Les jeux de société et la langue anglaise.
Boardgames and the English language

(Oui, je sais, j’ai déjà écrit à ce sujet sur ce blog, il y a une dizaine d’années, j’avais oublié et ne m’en suis aperçu qu’après avoir rédigé ce nouvel article)

Lorsque, dans les années quatre-vingt, j’ai commencé à m’intéresser aux jeux de société, ceux-ci appartenaient à deux écoles bien distinctes, que nous avions baptisées simplement américaine et allemande. Les jeux américains, comme Dune, Britannia, Junta ou Cosmic Encounter, avaient de longues règles rédigées en anglais, et imprimées en tout petits caractères. Les jeux allemands, comme Scotland Yard ou Le Lièvre et la Tortue, et plus tard Les Colons de Catan, nous parvenaient avec des règles plus courtes et aérées mais rédigées en allemand, et ce même lorsque leurs auteurs, comme David Parlett ou Alex Randolph, étaient anglo-saxons. Comme nombre de mes amis joueurs, j’avais d’abord étudié l’allemand au lycée, choix apparemment absurde qui était en fait une espèce de code secret de la bourgeoise française permettant de regrouper ses enfants dans les mêmes classes des lycées publics. Nous nous sentions pourtant déjà bien plus à l’aise avec les règles plus complexes et plus longues des jeux américains.

Lire des règles en anglais

Aujourd’hui, alors que le marché a explosé et que la quasi-totalité des jeux sont disponibles en français, je préfère encore, lorsque cela ne me coûte pas beaucoup plus cher, me procurer des éditions anglaise ou américaine. Je regrette beaucoup que cela soit devenu plus difficile, Philibert ayant, entre autres, largement cessé de vendre les versions en anglais des jeux disponibles en français.

Le texte anglais est généralement le texte d’origine, celui sur lequel auteur et éditeur ont travaillé – et pas seulement lorsque auteur et éditeur sont anglais ou américains. Ce livret de règles est donc plus soigné, plus précis, relu et testé avec soin, ce qui est rarement le cas des traductions. La version française, le plus souvent traduite de l’anglais, peut contenir des imprécisions, des ambiguïtés, des lourdeurs, voire des erreurs de traduction. Il y a encore une dizaine d’années, les règles françaises étaient souvent truffées d’erreurs et, même dans le cas où elles n’étaient pas traduites, de fautes de grammaire rendant la lecture difficile et souvent le sens ambigu. Il y a eu de nets progrès ces dernières années, les éditeurs font de plus en plus appel à des traducteurs, rédacteurs et même relecteurs compétents, mais je n’en continue pas moins à préférer lire les règles dans ce qui me semble être leur langue naturelle, l’anglais.

Écrire des règles en anglais

Parmi les conseils aux jeunes auteurs que je donne assez régulièrement, celui qui surprend parfois le plus mais pour lequel on m’a ensuite souvent remercié est de rédiger, dès la toute première version du jeu, cartes et règles, en anglais. C’est ce que je fais depuis une trentaine d’années, et cela n’empêche absolument pas d’utiliser le français lorsque l’on explique ces mêmes règles à ses amis joueurs.

Une langue plus adaptée

Je ne crois pas à la théorie bizarre qui voudrait que chacun pense dans sa langue, et que ceux qui pratiquent une langue différente pensent différemment. Cela me semble être au mieux de la pensée magique, au pire un dernier avatar du « racisme scientifique » (ces gens-là ne pensent pas comme nous, ils ne sont donc pas comme nous). Il n’en reste pas moins que si le langage n’influe guère sur la pensée qui le précède, il permet et contraint à la fois la communication qui la suit. On peut tout dire dans toutes les langues, mais certaines sont mieux adaptées à certains usages. C’est ce que Voltaire appelait « le génie de la langue », et c’est pour cette raison que son pote Frédéric II parlait « en espagnol à Dieu, en français aux hommes, en italien aux femmes et en allemand à son cheval ».

L’anglais est plus adapté, mieux équipé que le français pour la rédaction de textes techniques et directifs comme une règle de jeu. Tous ceux qui ont essayé de lire en français le mode d’emploi d’un appareil électro-ménager ou d’un logiciel savent que c’est une tâche difficile, là où le texte anglais est généralement limpide. À en croire les auteurs de jeux italiens avec qui j’ai abordé cette question, leur langue serait encore pire que le français. Mes rudiments de latin, polonais, japonais et allemand ne me permettent pas de me prononcer avec certitude, mais j’ai le sentiment que, à l’exception peut-être de la dernière, ces langues ne sont pas très adaptées non plus.

Pour rester simple

Une autre raison, qui ne contredit pas la précédente, est que rédiger en anglais, langue que je maîtrise à peu près mais bien moins que le français, m’aide à écrire des règles simples, directes, sans fioritures inutiles. C’était déjà utile il y a une vingtaine d’années, cela l’est plus encore aujourd’hui, sur un marché passablement encombré, et alors que la qualité de conception et de rédaction des règles a progressé. Un jeu trop complexe, ou dont les règles sont présentées de manière trop alambiquée, a bien peu de chances de trouver un éditeur, et moins encore de rencontrer le succès. En travaillant en anglais, les auteurs non anglophones comme moi se forcent à aller droit au but, avec des règles claires, directes, complètes mais aussi brèves que possible.

Pour tout le monde

Ils se donnent aussi plus de chances de rencontrer des éditeurs. La principale raison pour écrire les règles en anglais est en effet de pouvoir ensuite présenter facilement son jeu aux éditeurs du monde entier, français compris. Le petit monde de l’édition ludique est en effet très international, bien plus que celui de l’édition littéraire. Il y a certes encore quelques petites différences régionales, plus d’ailleurs dans le graphisme et la présentation des jeux que dans leur nature, mais l’éditeur princeps d’un jeu imaginé par un auteur français, brésilien ou japonais peut très bien être américain, coréen ou polonais, et inversement. Tous ces gens-là discutent, et le plus souvent travaillent, en anglais. Même un éditeur français préfèrera le plus souvent un prototype en anglais, parce que, comme je l’ai expliqué plus haut, les règles en seront plus claires, mais aussi parce que cela lui permettra de présenter facilement le jeu à des étrangers intéressés par une licence ou un contrat de distribution.

Contre-argument

Paradoxalement, la seule raison pour écrire des règles de jeu en français, ou dans votre langue maternelle, quelle qu’elle soit, est que vous devrez finalement, au moment de présenter le jeu à des éditeurs, le traduire en anglais. La traduction est en effet très souvent l’occasion de repérer les petits oublis dans les règles, les passages inutiles ou redondants, voire même, cela m’arrive encore un peu trop souvent, les résidus d’anciennes versions.

(Je reprends à peu près la conclusion d’un autre article de ce site, écrit il y a une dizaine d’années, car je n’ai pas grand-chose à y ajouter ou à en retirer)

Il existe en France un lobby (devrais-je dire groupe de pression ?) autoproclamé, paranoïaque et influent de « défenseurs de la langue française » qui voient dans tout usage de la langue anglaise par un français un acte de trahison. Leur conception de la culture comme un jeu à somme nulle où ce qui est gagné par les uns serait perdu par les autres est, au regard de l’histoire, d’une grande naïveté. L’anglais est aujourd’hui devenu un vecteur culturel, un outil qui, en facilitant les contacts entre les hommes, les textes, les cultures, ne peut que les enrichir tous. Il remplit en ce sens la même fonction que le latin à la Renaissance, et la remplit sans doute mieux encore puisque son usage ne se limite plus aujourd’hui aux milieux lettrés. On peut trouver ironique que l’anglais soit aujourd’hui la seule lingua franca, mais il vaut mieux se réjouir qu’il y en ait une, et en faire le meilleur usage, que perdre son temps en vains regrets et son énergie en excommunications et combats d’arrière-garde.



(Yes, I know, I have already written a blogpost on this topic, a dozen years ago. I had forgotten about it and only found out after having nearly finished this new one. I’m fascinated by languages and language theory, which explained why I often come back to it.)

When, in the eighties, I started getting interested in modern boardgames, the ones I had access to belonged to two different design schools, which me and my friends called American and German. American school games such as Dune, Britannia, Junta or Cosmic Encounter had relatively long rules written in English, and in a very small font. German games such as Scotland Yard or Hare and Tortoise, and soon Settlers of Catan, had shorter rules with a more airy layout, but the editions we had access to were written in German, even when their designers, like David Parlett or Alex Randolph, were English speaking. Like many of my friends, I had first studied German in school, a seemingly absurd choice which was in fact a kind of secret code used by the French upper class to put all their kids in the same classes of state schools. Despite this, we were all much more at ease with the longer and more complex rules of American games.

Reading rules in English

Even now, when the marker has skyrocketed and most games are available in French, I prefer, when it’s not much more expensive, to get English language versions of new games. It is unfortunately becoming more and more difficult, especially since Philibert has nearly stopped selling English language versions of games they also have in French.

The English text of the rules is usually the one on which designer and publisher have worked, and not only when they are both American or English. The English language rulebook is therefore more carefully written, more precise, proofread and playtested many times, which is rarely the case with translations. The French version, usually translated from the English one, can have ambiguities, heavy wordings, even mistranslations. Ten years ago, French rules, even when they were not translated, used to be full of grammar errors, making them painful to read and often ambiguous. There has been much progress these last ten years, French publishers having gotten used to rely on professional translators, redactors and even proofreaders, but I nevertheless still prefer to read rules in what feels to me like their natural language, English.  

Writing rules in English

One of the advice I regularly give to wannabe (non English speaking) game designers is to write every element of their prototype, be it rules or cards, in English, and to do this from the start, from the first iteration of the prototype. It is also the advice for which I have been thanked the most often. That’s what I do for thirty years now, and it doesn’t prevent anyone to use their native language when explaining the game to their playtester friends. 

A better fitting language

I don’t believe in the strange trendy theory according to which everyone thinks in their native language and people using different languages therefore think differently. It seems to me to be at best magical thinking, at worst the last avatar of “scientific racism” – these people don’t think like us, so they cannot be like us. Nevertheless, while language barely affects thought, because thought largely precedes it, it both allows and constrains the communication of thought. We can say more or less everything in every language, but some languages are better fitted to certain uses. Voltaire used to call this the “genius of language”, and it is why his buddy the King of Prussia Friedrich II said that “I speak in Spanish to God, in French to men, in Italian to women and in German to my horse”.

English is better fitted to the writing of technical and prescriptive texts, such as game rules. Anyone who has tried to decipher the French version of some household appliance or computer software instructions knows that it is nearly impossible, when the English version is usually crystal clear. I’ve discussed this with Italian game designers who maintain that their language is even worse than French. My very basic knowledge of Latin, Polish, Japanese and German doesn’t allow me to say it with certainty, but I have the feeling that, with the possible exception of the last one, these languages ​​are not very suitable either.

Keeping it simple

Another reason, which does not contradict the former one, is that using English, a language I don’t master as well as French, helps me to write simple, direct, straight to the point rules. This was already useful twenty years ago, it is even more now. The market is becoming overcrowded, the average quality both of the games themselves and of their rules has vastly increased. A game whose rules feel too convoluted, no matter whether they are indeed complex or just badly written, is unlikely to find a publisher, and even more unlikely to be a hit. For non-native speakers like me, English can help to write clear, direct, simple and short rules.

A language for everyone

Most of all, English rules helps when contacting publishers. The main reason for using English is that it makes possible to show one’s game to publishers from any country, France and other exotic markets included. The small game publishing world is largely, if not globalized, at least internationalized, far more than the book publishing one. There are still minor local differences, more in the art and packaging than in the games themselves, but the princeps publisher of a game designed by a French, Brazilian or Japanese designer can be American, Korean or Polish, and vice versa. All these people talk with each other, and often work, in English. Even a French publisher is more likely to consider an English language prototype, because its rules will be clearer, as I explained above, but also because it makes easier to show the game to foreigners who might be interested in localizing or distributing it.

Counter-argument

Paradoxically, the only good reason to start with rules in French, or un your own language, is that, in the end, you will have to translate everything in English in order to show it to publishers. Translating a text is a very efficient way to check small omissions and redundancies in the rules, or even, it stil occasionally happens to me, small residues from older versions which should have been deleted.

(This conclusion is almost copy-pasted from the one I wrote ten years ago, because unfortunately I have little to add or remove to it. )

We have in France a self-proclaimed, paranoid and influential lobby of “champions of the French language” who regard every use of the English language by a French as an act of treason. They naively consider culture to be always a zero-sum game, where what is won by some is necessarily lost by others. English is now a cultural tool that helps contacts between people, between texts, between cultures, and it’s an all-win game. English works a bit like Latin during the Renaissance, and works even better because its use is not limited to well-read scholars. Of course, there’s something ironic in English being the only lingua franca, but we ought to rejoice that there’s one, and make the best use of it, rather than waste time in vain regrets and energy in excommunications and rearguard actions.

Des formations en création de jeux de société ?
Boardgame design training ?

Depuis bien longtemps, il m’arrive, lors de rencontres d’auteurs de jeux, d’intervenir pour partager mon expérience et donner quelques conseils aux débutants. J’ai aussi, à l’occasion, été invité dans des écoles de jeu video, qui considèrent généralement, et à raison, le jeu de société comme un proche voisin qu’il est bon de connaître. Je réponds toujours avec d’autant plus de plaisir à ces invitations que j’aime parler en public et pense être assez pédagogue.

Comme dans bien des domaines, des “stages de découverte” sur quelques jours, à destination de tous ceux, généralement des adultes, tentés par la création ludique existent depuis longtemps. Si quelques-uns peuvent-être des arnaques, la plupart sont utiles. Ils détruisent parfois quelques illusions mais permettent surtout d’apprendre quelques astuces, quelques méthodes, et de découvrir les contraintes de l’édition et du marché du jeu. Ils sont donc une excellente chose.

L’un des premiers conseils que je donne aux aspirants auteur de jeu est de trouver d’abord un autre boulot, et de le conserver. J’ai donc été assez surpris, et d’abord un peu sceptique, en découvrant qu’il existait désormais des formations spécifiques, parfois sur plusieurs années, à l’université et dans des écoles privées, pour devenir auteur de jeux de société.

Mon scepticisme venait d’abord, bien sûr, de mon expérience personnelle. De telles formations n’existaient pas dans ma jeunesse, et si elles avaient existé, il ne me serait sans doute pas venu à l’idée de les suivre. Comme tous les auteurs de jeux que je connais, et pas seulement ceux de ma génération, j’ai appris le métier sur le tas, en commençant par bricoler à partir de mes jeux préférés. Lorsque l’on me demande comment on devient auteur de jeu, je répons d’ailleurs le plus souvent “en jouant”.

On m’objectera bien sûr que ce qui ne m’aurait pas tenté et ne m’a pas été nécessaire pourrait être aujourd’hui utile à d’autres. Les choses ont changé. Le marché du jeu de société a explosé, la qualité des jeux publiés a également augmenté. L’édition, la distribution, la fabrication, l’illustration, la critique et bien sûr la création, toute la filière s’est professionnalisée. Cette évolution, que j’ai vécue avec une certaine réticence puisque j’ai attendu ma retraite de l’éducation nationale pour faire de la création ludique mon activité principale, peut justifier que l’on ne devienne plus toujours auteur de jeux comme c’était le cas il y a quarante, ou même il y a seulement vingt ans. Cette professionnalisation de notre activité rendrait plus difficile l’apprentissage sur le tas et justifierait donc l’apparition d’une sorte de “formation professionnelle”.

L’autre raison de mon scepticisme initial est la nature relativement peu technique de la création ludique. S’il existe des conservatoires de musique et de danse, des structures comme les Beaux-Arts pour les arts plastiques, des écoles de cinéma, d’animation, ou de jeux videos, c’est parce que ces activités complexes ont un contenu technique très important. On peut heureusement encore devenir musicien ou cinéaste sans être passé par des formations dédiées, mais c’est rare parce que difficile dans des domaines où la technicité continue à augmenter.

Le jeu de société, par comparaison, me semble assez peu technique, plus proche de l’écriture littéraire, de la cuisine ou du bricolage, mais c’est peut-être une illusion due au fait que j’ai moi-même assimilé très progressivement, et sans en être bien conscient, ces aspects techniques. J’imagine assez facilement le contenu, en termes d’entrainement et de connaissances, d’une formation de quelques années dans la musique ou le jeu video, cela me semble moins pertinent pour le jeu de société, et peut même faire craindre une sorte de “formatage” nuisant à la créativité et à l’originalité.

En littérature, et c’est sans doute la comparaison la plus pertinente, des universités, surtout américaines, proposent depuis longtemps des cursus presque entièrement consacrés à la ”creative writing”. C’est plus rare en Europe, où cela se limite à quelques cours dans des filières littéraires plus générales.
J’ai donc mené une petite enquête sur Internet, et ai , et ai découvert que les cours d’écriture créative n’étaient pas le caca de taureau que j’imaginais. De nombreux auteurs américains, et parmi eux l’un de mes préférés, Raymond Carver, ont suivi ce type d’enseignement. Un ami américain m’a par ailleurs fait remarquer qu’ils étaient sans doute plus nombreux encore, beaucoup évitant de mettre en avant une formation qui, dans le petit monde littéraire anglo-saxon, pouvait être un peu stigmatisante. J’imagine ce qu’il en est en Europe !

Bref, forcé de reconnaître, même si je la regrette un peu, la professionnalisation du milieu ludique, et surpris d’apprendre que ce type d’enseignement était assez efficace en littérature, je pense maintenant qu’une formation à la création de jeux de société, mise en place par des gens informés et compétents, peut être une bonne idée. Je n’en continuerai pas moins à donner aux aspirants auteurs de jeux le conseil que l’on donne aux aspirants écrivains – trouvez d’abord un vrai métier !



For years, at game fairs or game designers meetings, I hold public talks to share my experience as a game designer and give some advice to newcomers. I have also, on occasion, given lectures in video-game schools, which usually and rightly consider that boardgame design is a neighboring activity worth knowing. I always have fun doing it, because I like speaking in public and I think I’m a good teacher.

Like in many other domains, there are short discovery training courses, usually over one or two days, for adults interested in boardgames design. A few of them might be scams, but most offer an opportunity to get rid of some illusions, learn a few tricks and technics, and discover the realities of the boardgame market. I’ve always thought this was a good idea.

One of the first advice I give to young game designers is to first find another job, a true job, and to keep it. I was therefore a bit surprised, and at first a bit skeptical, when I found out that there are now specific training cursus, sometimes over a few years, both in public universities and in private-owned schools, aimed at aspiring boardgames designers.

The first reason for my initial wariness was my personal history and experience. There were no such schools when I was young, and even if there were, I would certainly not have been tempted to attend them. Like all the boardgames designers I know, even younger ones, I learned the job as I went along, starting with toying with my favorite games. When asked how one can become a boardgames designer, I usually answer “with playing games”.

Of course, what didn’t exist and would not have tempted me can today be useful to others. Times have changed. The boardgames market has exploded, has become a real industry, and the quality of the games published has vastly increased. Publishing, distribution, printing, illustration, reviewing and, of course, boardgames design have been professionalized. I was a bit wary of this evolution, which explains why I have waited until I retire from my day job as a teacher, last year, to become a full time boardgames designer, but I cannot deny it. It explains why there are now more ways for becoming a boardgames designer than there were forty or even twenty years ago. And if our activity has been professionalized, technicised, learning on the go becomes more difficult and there is now room for professional training.

Another reason for my initial skepticism is the low level of technicality of boardgames design. There are music, drama, movies, graphic arts, animation and even video-games schools because these activities have a high level of specific technicality. One can still become a professional musician or movie director without having been through a specific training, but it has become are in domains whose technical nature has regularly increased.

In comparison, boardgame design feels to me more freeform, more akin to literary writing or cooking, but this feeling might be due to the fact that I learned the technicalities on the go, without being really conscious of it. Anyway, while I can imagine, both in terms of training and theory, the content of a two or three years training in music or video games, it feels to me less relevant for boardgames. One can even fear a kind of formatting, dangerous in a domain where originality is critical.

The most relevant comparison is probably with literature. For vert long, US universities offer cursus focused on “creative writing”. This is not that usual in Europe, where such courses are usually a small part of a more general literary cursus.
I made a small internet enquiry and, to my astonishment, found out that creative writing courses were not the bullshit I was imagining, and that several great American writers, including one of my favorite short stories writer, Raymond Carver, went through a creative writing training. An American friend also pointed out to me that there were probably even more, many writers avoiding highlighting a training which, in the small Anglo-Saxon literary world, could be a little stigmatizing.. You can imagine what it could be in Europe!

Anyway, even when I regret it a bit, I must acknowledge the professionnalisation of the little boardgaming world. Having learned, to my surprise, that such a training could be efficient in literature, I now see no reason to dismiss it for boardgames, providing it is done by informed and competent people. I will nevertheless keep on advising wannabe game designer, like wannabe novelists, to first find and keep a day job.

Cosmic Encounter, Vale of Eternity et bricoler ses jeux
Cosmic Encounter, Vale of Eternity and tinkering with games

Dans les années quatre-vingt, avec mon compère d’alors Pierre Cléquin, j’ai découvert le plaisir de la création ludique en modifiant, en bricolant des variantes de poker, et de nouveaux pouvoirs et cartes pour Rencontre Cosmique. Le poker ne se prenait pas encore trop au sérieux, ce qui permettait à chacun de le mettre à sa sauce sans que quiconque ne crie à l’hérésie. Les auteurs et éditeurs de Cosmic Encounter eux-mêmes encourageaient les joueurs à s’approprier leur création en vendant des paquets de cartes vierges. Bien sûr, cela était rendu plus facile par le petit nombre de jeux de société que nous connaissions, des jeux que nous jouions donc régulièrement et maitrisions bien. Je ne sais si notre petit groupe de joueurs était l’un des seuls à fonctionner ainsi, et si c’est pour cela que nous sommes ensuite devenus des auteurs de jeu, ou si tous les joueurs traitaient alors les jeux avec autant de légèreté, n’hésitant pas comme à en modifier, parfois en cours de partie, les règles qui ne nous plaisaient pas. Dans les années quatre-vingt-dix, c’est avec Pierre Rosenthal que j’avais bricolé une extension maison de Magic the Gathering, et Wizards of the Coast nous avait payé pour pouvoir en réutiliser les idées dans leurs futures extensions. Le Magicien, l’un des aliens que Pierre et moi avions imaginés pour Cosmic Encounter, s’est aussi retrouvé dans la plus récente édition du jeu.

Depuis une trentaine d’années, j’avais cependant cessé de bricoler les jeux des autres, tout en encourageant les joueurs à bricoler les miens. Les personnages et quartiers de la “grosse boite” de Citadelles proviennent ainsi en grande partie des idées d’un fan du jeu, Robin Corrèze, qui a su y porter un regard neuf. Beaucoup des nouveaux personnages de Mascarade ont aussi été imaginés par des amis ou des fans du jeu. Lorsqu’un jeu s’y prète, j’encourage mes éditeurs, s’il reste quelques cartes sur les planches d’impression, à ajouter quelques cartes vierges, mais je n’ai jamais eu beaucoup de succès.

L’une des raisons pour lesquelles je m’amuse moins aujourd’hui à bidouiller les jeux des autres auteurs est que ma pratique du jeu, et me semble-t-il la pratique du jeu en général, est devenue plus dispersée. On joue certes autant, mais on joue à des jeux de plus en plus nombreux, trouvant plus de plaisir dans la découverte que dans l’approfondissement, ce qui peut être un peu frustrant. Une autre raison est peut-être que les joueurs prennent aujourd’hui les jeux un peu trop au sérieux – c’est vrai des thèmes, je l’ai souvent écrit ici, mais c’est aussi vrai des mécanismes que l’on n’ose pas trop toucher.

Pour qu’un jeu me donne l’envie de le bricoler, d’inventer des cartes et des effets, il faut donc qu’il soit riche, ouvert aux extensions et développement, tout en restant suffisamment simple pour que quelques parties permettent de saisir la logique qui le sous-tend, les leviers à manipuler et, ce faisant, les équilibres à respecter. Beaucoup de jeux, aussi excellents qu’ils soient, sont soit d’emblée complets et fermés, soit trop baroques.

Le jeu qui m’a redonné envie de concevoir quelques cartes, et je vous invite à en faire autant, est The Vale of Eternity, d’Eric Hong. Ce jeu de draft, dans lequel les joueurs construisent peu à peu des combinaisons de cartes afin de marquer le plus de points possibles, n’apporte rien de vraiment nouveau ni dans son thème, ni dans ses mécanismes, mais il crée une sensation de profondeur, de variété et d’imbrication entre ses éléments avec très peu de mécanismes, des règles simples et une impressionnante fluidité.

Il y a eu tellement d’innovation dans les mécanismes ludiques depuis trente ans que la meilleure des nouveautés ne consiste plus tant aujourd’hui à faire des choses différentes qu’à faire les mêmes choses mais de manière plus fluide, plus légère. De ce point de vue, le jeu de Eric Hong est un chef d’œuvre.

Une partie de The Vale of Eternity, chez moi, avec deux autres auteurs de jeux, Hervé et Camille.

Le thème de cette vallée de l’éternité est très superficiel, pas vraiment original, mais il est traité avec une sympathique légèreté – on prend des créatures d’un peu toutes les mythologies, et on mélange tout. Je suis de plus en plus convaincu que, face aux fantasmes identitaires et aux tentations du repli sur soi, la seule démarche culturelle positive qui ait aujourd’hui du sens est cet universalisme désinvolte, qui enchevêtre tout sans rien prendre au sérieux. Quatre illustrateurs se sont partagé les cartes du jeu, Jiahui Gao dessinant les créatures de l’eau, Gautier Maia celles de la terre, Stefano Martinuz celles du feu et Erica Tormen celles de l’air. Ils ont tous fait quelques dragons, parce que c’est quand même trop classe de dessiner un dragon. Tous ont bien compris l’esprit du jeu, pas vraiment humoristique, mais pas vraiment sérieux non plus, et les très belles cartes contribuent aussi beaucoup à l’ambiance d’un voyage dans cette vallée de l’éternité.

Et une partie à Etourvy avec quelques pontes du milieu ludique.

Bien que les jeux soient mécaniquement et thématiquement très différents, Vale of Eternity m’a rappelé Cosmic Encounter, non dans sa version surdéveloppée actuelle mais tel que je l’avais découvert, il y a une quarantaine d’années. Dans les deux jeux, la combinaison de principes extrêmement simples, de règles peu nombreuses et d’interactions presque illimitées crée un effet « boîte à outils », donnant envie de bricoler, d’imaginer ses pouvoirs, ses cartes. Pour Cosmic, on pouvait fantasmer sur les races extra-terrestres, pour The Vale of Eternity, on peut faire appel aux innombrables créatures de tous les folklores et mythologies.

Les effets de la plupart des cartes n’ont pas de lien évident avec la nature des créatures représentées, mais cela encore facilite les bidouillages. Il était possible d’acheter des cartes vierges de Cosmic Encounter, sur lesquelles les joueurs pouvaient laisser libre cours à leur imagination. Aujourd’hui, avec les sleeves à dos opaque, ce n’est même plus nécessaire, et je me suis déjà amusé à bricoler une première petite extension d’une quinzaine de cartes, qui n’a été qu’assez peu testée jusqu’ici mais que je posterai sans doute sur ce site après quelques parties.

Si le succès de The Vale of Eternity se confirme, j’imagine que le jeu aura, comme Rencontre Cosmique, bien des extensions. La première, Artefacts, est déjà annoncée. Certaines n’apporteront seulement de nouvelles cartes, d’autres introduiront un ou deux mécanismes originaux, les possibilités semblent infinies, il faut juste prendre garde à ne pas trop compliquer les choses.

Et donc, après quelques tests, voici mes 24 nouvelles cartes pour Vale of Eternity. J’ai essayé de faire quelques trucs un peu nouveaux sans ajouter de règles ou de mécanismes au jeu. Il me semblait que le jeu favorisait un peu trop les stratégies construites autour dun “moteur” à point de victoire montant progressivement en puissance, au détriment des tactiques “coups d’un soir” s’efforçant de scorer un maximum à chaque tour, j’ai donc un peu plus insisté sur ce dernier aspect du jeu, avec plus de scoring immédiat et une proportion de dragons un peu plus forte que dans le jeu initial. Cela explique que je n’ai pas respecté la proportion de Dragons du jeu initial.



In the eighties, with my friend Pierre Cléquin, I discovered the fun of game design while tinkering with existing games, mostly designing poker variants and new aliens for Cosmic Encounter. Poker was not taken that seriously yet, which made easier to play crazy variants without being accused of heresy. The designers and publishers of Cosmic Encounter were even encouraging players to fiddle with their game, and even sold deck of blank cards. This was also made easier by the fact that we knew only a limited number of games, and therefore played them regularly and knew them intimately. I don’t know if our group was the only one. I don’t know if our gaming group was one of the few working that way, or if everyone was taking game rules so lightly, having no problem with changing the rules or adding to them, even in the middle of a game. In the mid-nineties, I designed with Pierre Rosenthal an alchemy-themed Magic the Gathering expansion which was deemed good enough by Wizards of the Coast to pay us so that they could recycle its ideas in future ofiicial expansions. The Magician, one of the many aliens Pierre and I had designed for Cosmic Encounter, made its way into the latest edition of the game.

These last thirty years, though, I had stopped tinkering with other designers’s games, though I kept encouraging people to do so with mine. Many of the new characters and districts cards in the Citadels big box come from the ideas of a game fan, Robin Corrèze, who could look at the game systems from a slightly different angle. Many of the new characters in the new edition of Mascarade were also suggested by friends and fans. When the game can easily support it, I encourage my publishers, if there are a few remaining spots on the printing card-sheets, to add a few blank cards. Unfortunately, I’ve rarely been successful.

One of the reasons why I now rarely tinker with other designers’ games is that the way I play games, and probably the way most gamers play games, has changed and become more scattered. We play as much, if not more, as before, but we don’t play the same game to death, we play many different games. We have more fun in discovery than in looking for hidden depth, which I sometimes find frustrating. Another reason might be that we tend to take games too seriously – it’s true of their settings, I’ve written many times about it, but it’s also true of their mechanisms, with which we don’t dare tinkering.

A game needs to be rich, intricate, open to expansions and development but at the same time simple enough  so that a few games allow you to grasp the logic behind it, the levers you can manipulate and the balance you should take care of. Most games, even the best ones, are either self-contained or too baroque.

The game which made me try again to design extra cards, and I invite you to do the same, is Eric Hong’s The Vale of Eternity. This drafting game in which players build step by step, card by card, comboes in order to score as many points as possible has nothing really new, neither in its theme or its mechanisms, but it generates a strong feeling of depth, variety and intricacy with few mecanisms, straightforward rules and an impressive fluidity. 

There has been so much innovation in game mechanisms these thirty last years that the real novelty now is not in making it different but in making it smoother, lighter. From this point of view, Eric Hong’s design is a masterpiece.

A game of The Vale of Eternity at y place in Paris, with two other game designers, Hervé and Camille.

The setting of The Vale of Eternity is extremely superficial and unoriginal, but it is dealt with a nice casualness – just take creatures from all folklores and mythologies and mix everything. I am everyday more convinced that, in a world which is prey to fantasies of identity and collective withdrawal, the only positive and meaningful cultural approach is this kind of casual universalism, which tangles everything and refuses to take anything seriously 

Four artists took charge of the illustrations. Jiahui Gao drew the water creaturesn Gautier Maia the earth ones, Stefano Martinuz the Fire ones and Erica Tormen the air ones. All four drew a few dragons each, because it’s so cool to draw dragons. All four artists got the spirit of the game really well, neither too serious nor too cartoony, and the gorgeous cards really create the mood for a trip in the Vale of Eternity. 

And a game in Etourvy with some big names of the French boardgaming world.

Even though both games are very different in their setting and mecanisms, The Vale of Eternity reminded me of Cosmic Encounter, may be not in its present overdevelopped version but as it was when I discovered it, forty years ago. Both games have straightforward systems and simple rules generating nearly unlimited interactions. This makes them the perfect tinkering toolboxes for who wants to design their own powers and cards. With Cosmic Encounter, one could fantasize various crazy deep space aliens, with The Vale of Eternity, one can use the inexhaustible bestiary of folklores and mythologies.

Most card effects in The Vale of Eternity don’t have obvious relations to the creature’s name, but this makes adding new ones even easier. It was possible to buy blank cards for Cosmic Encounter, we don’t even need that for The Vale of Eternity now that we can easily find opaque card sleeves. I’ve already designed my small 15 cards expansion, which I will probably post here after playtesting it a bit.

If The Vale of Eternity gets the success it deserves, there will probably be, like for Cosmic Encounter, many expansions. The first one, Artifacts, has already been announced. Some will only bring new cards, other ones will add one or two simple game elements. There seem to be infinite possibilities… designers must just be careful not to make things too complex.

After a few more playtests, here are the 24 new cards of my small fan expansion for Vale of Eternity. I tried to use a few unusual effects without adding any new rule or mechanisms.
I have a feeling that the game slightly favors “slow victory point engine building” strategies over successions of one shot big moves. I therefore tried to tweak the game a little bit in this last direction, with more “one night stand” scoring and more opportunities to disrupt opponent’s engines. This is why I have a slightly higher proportion of dragons than in the original game.

Des chiffres
Figures

Mon premier jeu publié, Baston, est sorti il y a exactement quarante ans, en 1984. Ce n’est cependant que dans les années 2000, avec Citadelles, Castel et l’Or des Dragons, que j’ai commencé à percevoir des droits d’auteur relativement importants, qui ont depuis régulièrement augmenté.

Quelques auteurs ont, ces dernières semaines, publié sur les réseaux sociaux des estimations de leurs revenus, ou des chiffres de vente de leurs jeux. Le procédé est sans doute plus habituel dans le monde anglo-saxon, mais pourquoi pas.

N’ayant jamais rien noté, je ne sais pas combien d’exemplaires de mes jeux ont été vendus, et serait bien en peine de retrouver l’information, surtout pour les jeux les plus anciens, qui ont souvent changé d’éditeur. Il s’est sans doute vendu plus ou moins trois millions de boites de Citadelles, beaucoup moins des autres jeux. Il m’est en revanche assez facile, surtout pour les années récentes, de retrouver le montant de mes droits d’auteur, pour lesquels je rédige des notes que je transmets à mon comptable, ce que je prévois d’ailleurs de faire ce soir pour le mois d’avril 2024.

Voici la répartition des droits d’auteur que j’ai reçu en 2023, pour un total de 118.000 euros, soit un revenu de 86.000 euros.Les dépenses entrainées par les salons, et tous mes achats de jeux, passent en effet en frais professionnels. C’est la première fois que je m’amuse à faire un tel graphique, mais je ne suis pas vraiment surpris des résultats.

J’ai regroupé dans la catégorie Divers tous les jeux, une douzaine, qui m’ont rapporté moins de 500 euros de droits d’auteur. Enfin, Avances et options regroupe les avances perçues en 2023 sur trois petits jeux qui ne sont pas encore publiés, et une option de six mois prise par un éditeur sur un jeu auquel il a ensuite renoncé, et que j’essaie donc à nouveau de placer.

Cela me fait un revenu très confortable, mais qui repose presque entièrement sur des jeux parus il y a bien longtemps, plus de 10 ans pour Mascarade, le Roi des Nains et Diamant, plus de 20 pour Citadelles. Ce dernier représente à lui seul, tous les ans, plus ou moins la moitié de mes droits d’auteur. J’espère qu’Asmodée va tenir le choc…

Je m’en sors donc très bien, mais cela ne signifie pas qu’il soit facile aujourd’hui de gagner sa vie comme auteur de jeu. Citadelles, Diamant, Mascarade et Le Roi des Nains sont ce que l’on appelle des Evergreen, des jeux dont les ventes sont presque identiques d’une année à l’autre. Si je n’avais pas dans mon catalogue ces quatre jeux, parus à une époque où le marché était moins encombré et où il était plus facile pour un jeu de s’installer, je me retrouverai avec un résultat fort modeste, en dessous SMIC – et encore, l’été 2023 a vu la sortie de Whale to Look, une excellente surprise dont j’espère un peu qu’elle va elle aussi s’installer durablement sur les tables de jeu. Il faut noter que les droits de trois de mes best sellers sont partagés avec des co-auteurs, Alan Moon pour Diamant, Jun Sasaki pour Whale to Look, les héritiers de Serge Laget pour the Artemis Odyssey.

Certains seront peut-être surpris des résultats du Roi des Nains, un jeu qui fait peu parler de lui sur les réseaux sociaux et dans le petit monde ludique, mais qui se vend très régulièrement à un public d’habitués des jeux de plis, qui apprécie sa simplicité et sa variété. Je pense que la nouvelle édition qui vient de sortir va encore le relancer.

Il est sans doute moins compliqué aujourd’hui de se lancer dans la création ludique, et même dans l’auto-édition. Grace à internet, et au grand nombre de jeux publiés en Europe, aux Etats-Unis et en Asie depuis une vingtaine d’années, l’accès à un riche catalogue de jeux, et donc à la culture ludique nécessaire à la création, est devenu bien plus facile. Sur un marché de plus en plus encombré, le succès financier est en revanche devenu très aléatoire. Même dans de relativement bonnes conditions, il s’est écoulé plus de quinze ans entre la sortie de mon premier jeu, en 1984, et le moment, dans les années 2000, où j’aurais pu envisager de ne plus vivre que de mes droits d’auteur. Je ne l’ai pas fait en partie par souci de sécurité, mais aussi parce que j’appréciais mon métier d’enseignant, qui me donnait le sentiment d’être socialement utile, quand le charme du jeu vient largement de ce qu’il est déconnecté du réel et ne sert à rien.

Si je suis aujourd’hui retraité, j’étais encore jusqu’à la fin 2023 professeur de lycée, quoique à temps partiel depuis une dizaine d’années. Mon mi-temps de professeur agrégé, qui me demandait beaucoup plus de temps et d’énergie que la création ludique, me rapportait pourtant bien moins, un peu plus de 20.000 euros sur l’année. En gros, je passais les quatre-cinquièmes de mon temps de travail sur une activité, l’enseignement, qui représentait un cinquième de mes revenus, et un cinquième de mon temps sur une autre, le jeu, qui m’en apportait la presque totalité.

Être à la retraite de l’éducation nationale va me donner l’occasion de faire mon métier d’auteur de manière un peu plus professionnelle. Cela me permettra d’être plus rigoureux dans le suivi des relations avec les éditeurs, d’assister à un plus grand nombre de salons, de consacrer plus de temps à la promotion de mes nouveautés, peut-être de trouver de nouvelles activités dans le monde ludique – je suis ouvert à toutes les propositions – mais je ne pense pas que cela m’amène à créer des jeux meilleurs ou plus nombreux.

Paradoxalement, si la création ludique est en effet une activité qui demande relativement peu de temps de travail, on n’en fait pas beaucoup plus quand on a plus de temps. Un auteur de jeu crée bien plus rapidement qu’un écrivain et perçoit des droits d’auteur calculés de la même manière. Pour autant, il ne suffit pas dy consacrer plus de temps, de faire des heures en plus, pour avoir plus d’idées ou être plus efficace. Plus encore que l’écriture, la création de jeux de société est donc une activité que l’on peut aisément mener en plus d’un emploi régulier, en prenant des notes rapides dans un coin de sa tête lorsque les idées viennent pour les formaliser ensuite durant son temps libre. Si vous êtes tenté par la création ludique, c’est comme cela que je vous conseille de procéder, ou au moins par cela que je vous conseille de commencer. Vous verrez alors si vous êtes assez bon et, parce que c’est quand même le plus important, assez chanceux.



My first published game, Baston, hit the shelves exactly 40 years ago, in 1984. It’s only much later, in 2000, with Citadels, Castle and Dragon’s Gold, that I started to earn significant and steady royalties, which then increased relatively regularly.

These last weeks, several game designers have published on social networks the stats of their game sales, and/or of their royalties. It’s probably something more usual and natural in the English speaking world, but why not.

Having never written anything down, I am totally unable to give an estimation of the number of copies of my games which have been sold so far – probably around three million copies of Citadels, much fewer of all other games. On the other hand, it’s very easy to reckon my royalties, for which I write royalty notes which I send every month to my accountant – something I have to do later today for April 2024.

Here is the distribution by games of the royalties I earned in 2023, for a total of 118.000 euros ($125.000), which means an income of 86.000 euros ($92.000) after deducting my business expanses, which include the cost of attending games fairs and…. buying more games. This is the first time I take the time to draw such a graph, but the results don’t surprise me.

The “miscellaneous” categories includes a dozen games which earned me less than 500 euros each. Advances and options include advances earned on three small card games which are not published yet, and an option paid by a publisher who later waived it, which means I’m back trying to find a place for this game.

This makes for a very decent income, though based largely on games published years ago – more than 10 years for Mascarade, The Dwarf King or Diamant / Incan Gold, more than 20 for Citadels. The latter generates, every year, more or less half of my royalties – so let’s hope the coming years won’t be too hard on Asmodee.

I am doing pretty well, but this doesn’t mean it’s that easy these days to earn one’s living as a game designer. Citadels, Diamant / Incan Gold, Mascarade and The Dwarf King are evergreens, games whose sales are extremely steady from year to year. If I had not these four older designs in my catalog, games first published when the market was not as cluttered as it is now and when it was much easier to find a place, I would only get a very modest income.

Furthermore, 2023 was the year when Whale to Look was published, an excellent surprise which, I hope, will also get lasting sales. It’s worth noting that the royalties on several of my best seller games are shared with co-designers, Alan R. Moon for Diamant, Jun Sasaki for Whale to Look and Serge Laget – well, his children – for the Artemis Odyssey.

Some might be surprised by the presence of The Dwarf King among these evergreens. It is not a game much talked about on the BGG and in the small gaming world, but its simplicity and variability has made it a minor classic among trick taking card games. I hope the recent new edition will make it even more popular.

Staring designing and even self-publihsing games has never been that easy. Thanks to the internet, and to the many games published these last twenty years in Europe, in America and in Asia, having access to a rich catalog of game designs, and therefore to game culture required to start seriously designing games, is not a problem any more. On the other hand, due to an overcrowded market, making money out of it has become mostly random. Even in a time when there were not that many designers and publishers, it took me fifteen years, until the 2000s, until I got enough royalties to make a living out of it. I decided however to keep my day-job as a teacher, though becoming part-time ten years ago, because it was safer but also because I liked it and because it gave me the feeling of being socially useful when most of the charm of games comes from the fact they are socially useless and disconnected from reality.

I am now retired, but I was still, last year, teaching economics in high school. Even part-time, it required much more time and energy than designing games, for a much lower reward, around 20.000 euros yearly. This means I spent four fifths of my time on an activity, teaching, which generated one fifth of my income, and one fifth on an activity, game design, which generated all the rest.

Being retired from teaching gives me the opportunity to manage my game design activity in a more professional way. I can now to be more serious and systematic in my relations with publishers, attend more game fairs (btw, any invites are welcome), spend more time on promoting my new games, may be find other activities in the gaming world (btw, any proposals are welcome), but I don’t think I will design more or better games.

Paradoxically, while boardgame design is indeed an activity which doesn’t require much working time, spending more time on it doesn’t mean one can do more. A boardgame designer creates much faster than a writer, but his royalties are calculated in the same way. Spending more hours on it, however, doesn’t bring more ideas or make one more efficient. Even more than writing, boardgame design is an activity one can easily handle together with a day job, taking fast notes in some corner of one’s brain when an idea arises to work on it more formally during free time. If you are considering becoming a boardgame designer, this is how I advise you to proceed, or at least how I advise you to start with. Then you’ll see if you are good and, that’s the most important, lucky enough.

Le point de Polgara – les jeux qui ont influencé mes créations
Le point de Polgara – games which influenced my designs.

J’aime beaucoup la démarche de Polgara dans son podcast ludique, faite d’expérimentations et de prises de risque. Dans sa dernière émission, enregistrée juste avant le salon de Cannes, elle m’a demandé quels étaient les cinq jeux qui avaient le plus influencé mes créations personnelles. Si vous voulez le savoir, c’est là.

I really like Polgara and her boardgaming podcast, in which she takes risks and always tries new formulas – but always in French. In her last podcast, recorded just before the Cannes game fair, she asked me which five games had the most influence on my designs. It’s there – but in French.

Plus de temps pour le jeu
More time for games

Je suis désormais à la retraite de mon emploi d’enseignant.

Je vais avoir plus de temps à consacrer aux jeux, mais plus de temps ne signifie pas nécessairement plus d’idées, et il n’est donc pas certain que je sois beaucoup plus créatif.

Je deviens donc plus disponible pour participer à des salons, pour faire le tour des éditeurs et présenter mes créations, pour travailler sur commande, et pour faire de petits boulots intéressants dans le monde ludique, traduction, critique ou analyse.

Bref, je suis ouvert à toutes les propositions.


From now on, I am retired from my job as a teacher.

I wil thereforel have more time to devote to boardgames, but more time doesn’t necessarily mean more ideas, and I’m not sure I will be much more creative.

This means I also become more available to take part in game fairs, to tour publishers and show my design prototypes, to work on order, and to do any small and interesting boardgame related job, including translations, critics or analysis.

To put in short, any offers and suggestions are welcome.

Des nains et des dragons
Of dragons and dwarves

Mes amis du petit monde du jeu se moquent gentiment, et depuis pas mal de temps, de ma propension à concevoir des jeux « avec des nains et des dragons », c’est à dire situés dans un monde médiéval fantastique caricatural. Ils n’ont pas tort. Parmi mes nouveautés à sortir en 2024, il y aura Le Trésor des Nains, sans doute ma création préférée, pour lequel j’ai en vain cherché un autre thème.

Je suis d’autant plus conscient du problème que je peux l’expliquer, et que j’ai parfois cherché à le contourner. J’ai eu une éducation bourgeoise et, surtout, intello. Je n’ai dû voir qu’un ou deux dessins animés Disney, je n’ai vu aucun Star Wars, les seuls super-héros que je connaisse sont ceux de la mythologie grecque, et je n’ai jamais appris à entrer dans l’imaginaire par l’image, seulement par le texte – ce qui m’a permis, en revanche, d’apprécier Le Seigneur des Anneaux et, plus tard, Game of Thrones et le Disque Monde.

Je n’en apprécie pas moins les jeux à thème fort, les jeux dont les mécanismes, les règles, sont étroitement liés au contexte, l’univers. Un bon thème de jeu est un thème dont les joueurs sont déjà familiers. Cela leur permet de se concentrer sur les règles sans rien perdre du fun, de l’intérêt ou de la profondeur du thème. L’univers médiéval fantastique, surtout dans ses versions un peu parodiques, était, avec la science-fiction, un peu tout ce qu’il me restait comme thème exotique, riche et populaire pour lequel je n’aie pas à me plonger régulièrement dans la documentation.

Il y a en effet un peu de paresse dans ma propension à mettre partout des nains, des gobelins et des dragons. Les thèmes historiques « réels », tout comme d’ailleurs les univers littéraires « à licence », de Disney à Game of Thrones, demandent un effort de documentation que j’ai d’autant moins envie de fournir que je me spécialise de plus en plus dans les petits jeux de cartes.

Ce qui n’était guère gênant il y a trente ans le devient un peu aujourd’hui. L’univers médiéval fantastique fait en effet de moins en moins partie des références communes des jeunes adultes qui sont le cœur du public du jeu de société. Sans compter que, même parmi les plus âgés, beaucoup – moi y compris – s’en sont un peu lassés. J’ai aussi un peu taquiné la science-fiction générique mais plus l’avenir semble mal barré, moins elle m’attire et me fait rêver, et moins, sans doute, elle attire et fait rêver les joueurs.

Que faire alors ?

Je ne suis guère tenté par un binge watching de tous les films Star Wars ou Marvel, et de tous les dessins animés Disney, mais je n’exclus pas de faire un effort de documentation si on me demande un jour de concevoir un jeu dans un univers particulier. Je serai à la retraite dans un mois, cela me laissera plus de temps pour ce genre de défi.

Je peux aussi, et c’est ce que j’ai commencé à faire, me replier sur des clichés plus ou moins universels, comme ceux concernant le monde animal – et rejoindre ainsi un peu Disney. Je ne serai pas le seul, puisque vous avez sans doute remarqué que les jeux avec de mignons animaux, anthropomorphes ou non, ont récemment envahi les étagères des boutiques. Les variations thématiques possibles sont nombreuses, mais elles commencent déjà à encombrer les étagères des boutiques, et je crains que le public adulte ne soit vite lassé d’une thématique un peu enfantine.

Il y a quelques années, ils auraient tous été des nains…

Au delà des animaux, c’est la nature tout entière, les fleuves, les arbres, même les champignons, qui peut fournir des thèmes de jeux efficaces – même s’il est moins excitant d’être un champignon qu’un dragon. Là aussi, je ne suis pas le premier à avoir eu l’idée, et cela pose quelques autres problèmes dont j’ai récemment discuté dans un long article. Mais bon, je commence à avoir quelques prototypes de jeux de cartes avec des poules, des canards, des fleurs, des fruits, voire des légumes. D’autres auteurs de ma génération, rencontrant les mêmes contraintes, tentent de s’en sortir de la même manière.

Certains s’étonnent que, ayant passé une thèse d’histoire, je n’aie publié aucun jeu à thème historique – ou alors uniquement des jeux ne prenant guère leur sujet au sérieux, comme La Vallée des Mammouths, Mystère à l’Abbaye ou Ménestrels. Je suis sans doute le spécialiste mondial des licornes, mais je n’ai conçu que des jeux avec des dragons. J’ai aussi enseigné l’économie et la sociologie, et n’ai publié qu’un unique jeu faisant vaguement référence aux théories économiques, Terra.

J’ai plusieurs problèmes avec les thèmes historiques.

Techniquement, il est souvent plus difficile de situer un jeu de société dans un contexte historique précis que dans un monde imaginaire. Le fantastique ou la science-fiction permettent assez facilement de tout justifier; un pion qui passe d’un côté à l’autre du plateau de jeu peut avoir emprunté un vortex magique ou spatial, ce sont des trucs qui trainent partout. Avec un thème réel, if faut rester… réaliste, ce qui peut s’avérer frustrant lorsque l’on a l’idée d’un mécanisme qui rendrait le jeu plus intéressant.

Les jeux à thème historique ont du coup souvent un aspect un peu sérieux, qui peut les faire passer pour des outils pédagogiques. Comme enseignant, j’ai pu voir les dégâts des jeux pédagogiques, sujet que j’ai déjà abordé en détail sur ce blog. Disons pour résumer que passer par l’intermédiaire de règles de jeux pour « faire découvrir et expérimenter » des mécanismes ou apporter des connaissances oblige à simplifier à l’extrême et surtout est, par rapport au bon vieux livre ou au cours, une immense perte de temps – je précise que cela est beaucoup moins le cas pour le jeu video, qui peut plus facilement faire passer ses règles au second plan. En outre, comme tous les procédés destinés à faire passer un « curriculum implicite », cela semble rendre la science plus abordable pour tous, alors qu’en réalité seuls ceux qui maîtrisent déjà les règles de la culture scolaire sont en mesure de « repérer » les connaissances valides. Je trouve aussi, en tant qu’auteur, les jeux didactiques un peu inélégants, voire dévalorisants. Comme le disait Proust, « Une oeuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix ».

La guerre, les historiens et les joueurs

Les historiens académiques ont tendance à négliger un peu l’histoire militaire, et tout particulièrement les dimensions techniques des conflits (Rome et la Grèce antique font un peu exception – les guerres romaines sont cools, allez savoir pourquoi, les autres un peu vulgaires). Tactique et stratégie militaire apparaissent comme des thèmes de mauvais goût que l’on préfère laisser aux historiens amateurs – et aux joueurs de wargames. De fait, les programmes scolaires qui, il y a un siècle, faisaient la part belle aux grandes guerres les traitent aujourd’hui rapidement, comme des transitions entre des périodes de paix étudiées plus en détail. Et ne parlons pas des économistes pour lesquels la guerre, étant irrationnelle, ne peut pas exister.
Il se trouve justement que les conflits militaires sont, à l’inverse, les événements historiques qui se prêtent le mieux à une exploitation ludique, ce que savent bien les généraux qui utilisent les Kriegspiel, devenus wargames, depuis le XIXe siècle. Le plateau de jeu est une carte géographique, les pions sont des armées, la métaphore est pertinente et efficace, même pour décrire, comme c’est de plus en plus souvent le cas, les conflits insurrectionnels. Certains wargames sont presque des simulations et peuvent permettre de comprendre les choix stratégiques et tactiques des parties au conflit.

À côté des jeux de guerre se sont développés d’abord des jeux sur le thème de l’expansion coloniale, pour lesquelles la carte de géographie est là encore un support efficace. Je n’y reviendrai pas, y ayant déjà consacré un très long article. D’autres jeux publiés depuis une vingtaine d’années relèvent plus de l’histoire politique et économique, mais beaucoup sont presque des eurogames, avec un thème un peu forcé. Si, d’un côté, je me réjouis que les auteurs de jeux s’intéressent à des aspects multiples de l’histoire, je ne peux que constater que ces jeux sont généralement moins convaincants. Faute d’une métaphore aussi satisfaisante que celle des jeux de guerre ou de conquête, il est rare qu’ils donnent de leur sujet une représentation à la fois simple, juste et efficace. S’il y a une carte, ils ont tendance à surjouer le rôle historique de la géographie. S’il y a simplement des cartes, ils deviennent vite abstraits.

Je me résoudrai sans doute quand même aussi à situer un peu plus souvent l’action de mes jeux dans des univers historiques réels, mais en prenant quelques précautions pour interdire une lecture trop sérieuse – et ce même et surtout si le jeu a été conçu avec un certain sérieux documentaire.

Après, ne dramatisons pas – il reste les dinosaures, les vampires, les zombies, les pirates, les dystopies et quelques autres univers qui ne me viennent pas à l’esprit maintenant. Les nains et les dragons qui ont longtemps été mon univers par défaut le resteront néanmoins sans doute encore un peu, ne serait-ce que parce que les trouve sympathiques.

Le retour des dragons ?

J’avais presque terminé de rédiger cet article lorsque j’ai vu passer l’annonce de…. Wyrmspan, un jeu avec des dragons de Connie Vogelmann développé sur la base de Wingspan, un jeu avec des oiseaux de Elizabeth Hargrave et l’un des grands succès du jeu de société de ces dernières années. Assiste-t-on déjà au retour des dragons, bien décidés à reprendre leur territoire et flamber les naïfs petits oiseaux qui ont, un temps, contesté leur suprématie ? S’agit-il juste d’une variante mineure de Wingspan soigneusement calibrée pour la vieille génération de joueurs, les vieux rôlistes par les petits oiseaux que par les gros reptiles ? J’avoue ne pas bien savoir…



My friends in the small gaming world are, for quite a long time, mocking me for always designing games about “dragons and dwarves”. This means, of course, games in a light humorous generic medieval fantasy setting. They are not wrong, and one of my new games coming in 2024, probably my favorite design so far, is Treasure of the Dwarves, a game for which I have vainly tried to find a more original setting.

Being able to explain it makes me even more conscious of the issue. I’ve had a bourgeois and, most of all, intellectual education. I’ve seen maybe one or two Disney cartoons, I’ve not seen any Star Wars movie, the only superheroes I learned anything about are those from the Greek mythology. I’ve never learned to get into a fantasy world through images, only through text – which still allowed me to get easily into the Lord of the Rings and, later Game of Thrones and the Discworld.

I nevertheless enjoy games with a strong theme, games whose mechanisms are strongly embedded into their context, their setting. A good game setting is a setting players are already familiar with. This allows them to focus on the mechanisms without losing the setting’s fun, depth or interest. Heroic fantasy, and especially slightly parodic medieval fantasy, was, with good old science fiction, the only rich, exotic and popular setting I could work with without spending hours browsing through literature and other documentation.

Laziness might indeed be one of the reasons why I tend to put dwarves, dragons and sometimes goblins everywhere. Serious historical settings, like “licensable” literary settings, from Disney to game of Thrones, require a great documentation effort, something I’m even more wary of now that I am specializing in light and fast card games.

What wasn’t really an issue thirty years ago is becoming one now. Medieval heroic fantasy is becoming much less a common cultural reference of young adults who are buying and playing boardgames. Even the older ones, like me, are becoming a bit bored with it. I’ve also made use of generic science fiction, but the less optimistic we are about the future of humanity, the less it attracts me and the less it makes players dream.

So what ?

I’m not really interested in binge watching all the Star Wars and Marcel movies, and all the Disney cartoons, but I can make an effort at learning about a specific universe if I’m asked to design a game in it. I’ll soon retire from my day job and will have more time for that kind of challenge.

I can also fall back on other more universal clichés, especially about the animal world – and Disney is more or less part of it. I won’t be the only one, and you’ve probably noticed that boardgames with cute animals, often anthropomorphic ones, have recently become fashionable. They allow for many thematic variations, but most of them are already cluttering boardgame shop shelves and I’m afraid gamers will soon get bored of it or dismiss it as childish.

A few years ago, theu would all have been dwarves.

Animals, but also the whole natural world, rivers, trees, even mushrooms can make for very effective game settings, though being a mushroom feels less exciting than being a dragon. Here also, I’m not the first one to get the idea, and it makes for other problems I’ve discussed at length in a former blogpost.
Anyway, I’m starting to have game prototypes with hens and ducks, with flowers, with fruits and even vegetables. Many game designers of my generation are trying to use the same trick.

Some gamers are surprised that, having a PhD in history, I’ve never published a historically themed game – except for very few ones which don’t take their subject seriously, like Valley of the Mammoths, Mystery of the Abbey or Minstrels. I’m probably the world specialist in unicorns, but have only published games about dragons. I also taught economics and sociology, but published only one game vaguely related to economics theory, Terra.

Why I am careful with historical game settings.

Technically, it is far more difficult to design a historical boardgame than a fantasy one. Fantasy, and this includes science-fiction, makes very easy to justify any gaming effect. A token moving from one end of the board to the other can have used some magical or space vortex, everyone knows these things happen. In a realistic setting, game rules must be realistic, which can be frustrating for the designer wanting to implement a mechanism which would make the game more interesting.

This is why game in a historical setting often look and feel serious, which might suggest they can be used as teaching tools. As a teacher, I’ve witnessed the damage done by the pedagogical use of boardgames, a question I’ve already discussed on this blog. To put it shortly, using game rules to “make learners discover and experiment” usually requires an extreme simplification of knowledge and, when compared with text or lectures, always leads to a terrible waste of time – this is far less the case with video games, which can more easily have rules dealt with in the background by a computer. Also, like all pedagogical methods relying on an “implicit curriculum”, it looks like it makes knowledge more affordable for all when, in reality, only those who already master the rules of school culture are able to spot the valid knowledge items. Also, as a game designer, I find the idea of a didactical game inelegant, even a bit belittling. As Marcel Proust wrote, “a work with theories is like a gift whose price-tag has not been removed”.

War, history and games

Academic historians tend to neglect, or even despise, the technical aspects of military conflicts (except in the ancient Rome and Greece; for some reason, Roman wars are cool when most other wars are mundane). Military tactics and strategy are considered bad taste topics, which can be let to amateur historians and, yes, wargamers. School curricula which, one century ago, devoted entire chapters to wars now see them as transitions between periods of peace which are studied much more extensively. As for economists, they seem to consider that war, being irrational, simply cannot happen.
Conversely, military conflicts are the historical events which are the most easily and effectively represented, almost simulated, in a game. Generals, who use Kriegspiel, later renamed wargames, since the XIXth century know this quite well. The game board becomes the geographical map, the players’ pawns and tokens are armies. The metaphor is very efficient and relevant, even to describe, like it is more and more often the case, insurrectional conflicts. Some wargames are almost simulations, and can help to understand the tactical and strategic choices of the opponents.

After the war games came games about colonial conquests, for which a geographical map is also an efficient and convincing board. I won’t discuss them here, I’ve already written a very long article on this topic. There has also been recently more games about political or economic history, but many of them are near-eurogames whose settings feel pasted on. On the one side, I’m happy that game designers are now interested in various aspects of history, but I have to admit that, with a few exceptions, games which are not about war or conquest are less convincing, and rarely give a consistent, accurate and efficient picture of their subject. If the game is played on a map, it tends to overplay the importance of geography. If it’s made only of cards, the gameplay usually feels abstract.

I will probably also resign myself to design games with a real historical setting, but I will take a few steps to prevent a too serious reading of their content – even and above all if the design is based on a serious documentation.

Let’s not dramatize – there are still dinosaurs, vampires, zombies, pirates, dystopias and many other possible settings which don’t come to my mind just now. Anyway, dragons and dwarves have long been my default setting, and will probably keep being it, though to a lesser extent, if only because I like them.

Are Dragons back ?

I had almost finished writing this blogpost when I saw the first announcement of… Wyrmspan, a dragons game by Connie Vogelmann based on Elizabeth Hargrave’s Wingspan, a birds game and one of these last years major hits. Are dragons already back, determined to get their realm back and to burn the naive birdies who thought they could replace them ? Or is it just a minor variation on Wingspan cleverly targeted at my generation, at old bearded gamers not really excited by cute singing birds ? I don’t know, time will tell….

Retraite et projets
Retirement projects

Cela fait maintenant une trentaine d’années que je mène de front deux activités professionnelles, la conception de jeu de société et l’enseignement. J’aurais très bien pu cesser d’enseigner et vivre très confortablement des droits d’auteur de mes quatre ou cinq jeux qui se vendent assez régulièrement, mais j’avais fait le choix de continuer à enseigner, quoique depuis une dizaine d’années seulement à mi-temps. Je ne voulais en effet pas vraiment envie d’arrêter un boulot épuisant mais que j’aime bien et dont l’utilité sociale est indiscutable, ce qui est moins le cas de la conception de jeux.

Dans deux mois, au 1er février 2024, je prendrai ma retraite de l’éducation nationale et cesserai d’enseigner l’économie et la sociologie. J’aurais pu continuer encore quelques années, mais je me suis dit que c’était l’une de mes dernières occasions de passer un peu à autre chose – c’est à dire sans doute à un peu plus d’activité dans le monde du jeu de société, que j’aime beaucoup aussi. Le contact avec des gens très différents, que ce soit parmi les élèves ou les profs, me manquera peut-être, tout comme le sentiment de servir à quelque chose. Et si l’enseignement me manque vraiment trop, je ferai quelques remplacements.

Je ne vais sans doute pas me mettre à concevoir plus de jeux. Il ne suffit pas de s’asseoir à son bureau pour que les idées surgissent, et il est peu probable que leur rythme s’accélère. Je serai en revanche, à compter du 1er février, beaucoup plus disponible pour participer à des salons ludiques un peu partout, pour promouvoir mes créations dans les boutiques et les bars à jeux, pour faire le tour des éditeurs avec mes prototypes sous le bras, et pourquoi pas pour des boulots plus formels – développement, traduction, relecture, écriture de règles et plus ou moins tout travail éditorial dans le petit monde ludique. Je ne compte pas, comme Antoine Bauza, me lancer moi-même dans l’édition, la gestion d’entreprise ne m’excitant pas vraiment, mais je suis tout à fait prêt à travailler un peu, ici ou ailleurs, en français ou en anglais, pour un éditeur sympathique et sur des jeux que j’apprécie.

Bref, je n’ai pas d’idée très précise de ce que je veux faire, je ne suis pas absolument obligé de faire quelque chose, mais je suis à l’écoute et espère recevoir plein d’invitations et de propositions intéressantes.



For thirty years now, I have been juggling with two day jobs, teaching and designing boardgames. While I could have stopped teaching and lived pretty well from the royalties on my four or five games with relatively consistent sales, but I had decided to keep on teaching, albeit part-time only for the last dozen years. I was reluctant to quit a job extremely demanding but also morally fulfilling, and with a clear social utility – a quality less apparent with game design.

In two months now, on the 1st of February, I will retire from my job as a teacher of economics and sociology. I could have stayed a few more years, but it’s probably one my last opportunities to try something else. This likely means being more active in the little boardgaming world, which I also enjoy quite a bit. I will probably miss the interactions with very different people, be they students or teachers, and the feeling of being socially useful, but if it becomes too hard, I will undertake short time replacements.

I will probably not design more games. Simply sitting a few hours more at my desk is unlikely to spark more ideas, and it is unlikely that inspiration will suddenly strike more often. However, starting on February 1st, i will be have more time for visiting game fairs all over the world, for promoting my games in shops and game cafes and to tour publishers with a big bag of prototypes. I will also become available for occasional more formal jobs, such as game development, translation, proof reading, rules writing, and any other editorial tasks. I have no intention of starting a publishing company, like Antoine Bauza is doing, being totally uninterested in daily company management, but I’m available for short term assignments here or there, in French or in English, with games and people I like.

I don’t have a precise idea of what I will do. I don’t really need to do something, but I’m here, I’m available and I expect to have lots of invites and intriguing propositions coming my way.

A question for English speakers: I asked ChatGPT to correct my English text, something I had never done before. I didn’t incorporate all the changes it suggested, but I did adopt many of them. In your opinion, does this text represent an improvement in my English compared to my usual writing ?

L’imagination dans la boite, les paradoxes de la création de jeu de société
An open mind in a closed box, the paradoxes of boardgame design

Je ne suis pas de ces profs qui donnent aux élèves une méthode toute prête, avec l’illusion qu’elle puisse convenir à tous les tempéraments. Je glisse quand même quelques conseils qui me semblent pouvoir s’appliquer de manière assez générale, et notamment celui de ne jamais commencer à rédiger un texte avant d’avoir un plan, et donc une idée assez précise de ce que l’on va dire. Bref, réfléchir avant de commencer à écrire, ce qui n’interdit bien sûr pas de continuer à réfléchir quand on écrit.

Je ne donnerais pourtant pas ce conseil aux auteurs de jeu, et cela illustre un peu les limites du rapprochement entre la création ludique et le travail d’écriture, qu’il s’agisse d’articles, d’essais ou de romans. Contrairement à celui qui rédige un texte, l’auteur de jeu part toujours un peu à l’aventure, sans schéma préétabli, sans « roadmap » – encore un mot anglais qui n’a pas vraiment d’équivalent en français. S’il sait exactement où il veut aller, quel thème, quel style, combien de joueurs, quelle durée, il n’arrivera sans doute nulle part. L’auteur de jeu n’écrit pas une histoire, n’expose pas une théorie, il construit de bric et de broc, par approximations successives, un système qui ne peut pas vraiment avoir de sens intrinsèque mais qui fonctionne – ou pas. C’est une activité qui tient plus de la cuisine ou du bricolage que de l’écriture, il y faut savoir improviser, réagir, ne surtout pas être tenu par un cadre trop contraignant – ce qui est paradoxal car le jeu est, lui, la structure la plus rigide qui soit. C’est pour cela que je n’ai aucun problème pour travailler avec des éditeurs dont les opinions politiques sont assez éoloignées des miennes, et que le seul discours politique ou litéraire que je tienne parfois, assez rarement, dans mes jeux prend la forme de citations ou de gags, et non d’une argumentation que la structure même du jeu rendrait simpliste ou malhonnête.

En anglais, penser « hors des sentiers battus » se dit penser « out of the box », hors de la boite, expression récente et dont l’origine est d’ailleurs dans le monde du jeu. La fonction du jeu est de créer, pour un temps limité, un cadre intellectuel réglé fermé et rassurant à l’intérieur duquel les joueurs puissent penser quelques temps sans le moindre risque de sortir de la boite. L’auteur de jeu doit pourtant lui, dans une certaine mesure, être capable de sortir un peu de sa boite – pas trop loin quand même, car créer des jeux reste un peu un jeu, une activité dont l’intérêt vient largement de ce qu’elle est inutile.

Cela renvoie à un autre paradoxe. Alors que le jeu est une activité sociale, exercée en groupe et souvent après quelques verres, les auteurs de jeux sont, dans leur grande majorité, des gens qui ont un tempérament plutôt solitaire. Les studios, comme Kaedama ou Prospero Hall, sont rares, et l’immense majorité des auteurs travaillent le plus souvent seuls. Je sais qu’il peut m’arriver de généraliser à partir de mon cas personnel, mais je peux vous assurer que, sur ce point, j’ai fait quelques stats et elles sont assez impressionnantes. Lors des salons ludiques, j’ai souvent constaté que les auteurs, moi le premier, restaient bien plus souvent à méditer dans leur coin que les illustrateurs, les éditeurs, les commerciaux et, surtout, les joueurs. Pour autant, les auteurs de jeu aiment jouer, et jouer avec d’autres, tout comme les écrivains aiment lire et les musiciens écouter de la musique – mais il est vrai que l’interaction sociale générée par les jeux est un peu particulière.

On m’objectera peut-être que je suis, justement, l’un des auteurs ayant publié le plus de jeux conçus avec un coauteur. C’est effectivement le cas, mais le travail de conception du jeu, souvent avec un co-auteur se trouvant à l’autre bout du monde, relève plus souvent du relais, chacun travaillant à son tour et répondant aux blocages rencontrés par son partenaire, que de la collaboration. Les réunions de brain-storming à deux autour d’une table, ou même d’un appel video, sont relativement rares – à l’exception souvent de celle qui lance le projet, et c’est justement pour cela que le co-autorat est particulièrement difficile. En effet, les deux auteurs s’entendent généralement au début sur un projet, une feuille de route, et cela  rend plus difficile que pour un projet en solo les changements de thème ou de mécanique en cours de route, les rebonds pour faire un jeu finalement bien différent du projet initial, bref, cette ouverture souvent nécessaire à la réussite.

Tout cela renvoie à la nature des interactions sociales créées par les jeux de société – je ne parlerai pas ici des jeux video ou des jeux de rôles, dont le cas est assez différent et, je pense, plus complexe. Certes, les jeux créent de l’interaction sociale mais, parce qu’il faut comme je l’ai dit plus haut rester « dans la boite », l’interaction et la capacité d’initiative (ce que les anglophones appellent « agency », encore un mot anglais sans équivalent français) restent superficielles, limitées, encadrées. L’une des grandes qualités sociales du jeu est d’ailleurs de permettre de passer un bon moment avec des gens que l’on connaît, que l’on aime bien, mais avec qui on n’a pas nécessairement envie de raconter sa vie ou de parler politique. Et quand on joue avec ceux avec qui l’on a l’habitude raconter sa vie ou parler politique, c’est justement pour prendre un break.

Cela nous amène à un troisième paradoxe, qui semble remettre en cause un peu tout ce que j’ai écrit jusque-là, le succès récent des jeux de société pour un seul joueur – qu’il est assez ironique, du coup, d’appeler « jeux de société ». Cela existe en fait depuis longtemps dans le jeu video, des énormes jeux ouverts aux réussites, et ces dernières sont plus anciennes encore sous forme de jeux de cartes – mon grand-père en faisait quand j’étais enfant. Rien de vraiment nouveau, et je ne pense pas que la mode actuelle perdure longtemps, tant l’ordinateur se prête mieux que la boite en carton aux activités solitaires. Je ne l’espère pas en tout cas, je ne semble pas très doué pour concevoir des jeux solo, ni même pour imaginer des versions solitaires de mes créations. J’entends dire beaucoup de bien de la variante solo de The Artemis Odyssey, mais c’est Serge Laget qui en était entièrement responsable, je n’ai fait qu’y jouer quatre ou cinq fois pour donner mon opinion.



As a teacher, I am careful not to promote to my student a unique studying method which should work for every one of them. I nevertheless give a few advice which, I think, are valid for everyone. One of them is to never start writing a text without having, at least, a plan, an outline, a precise idea of what they want to say. In short, think first and then write, even though one should keep thinking while writing. 

Surprisingly, I don’t’ give this same advice to wannabe game designers, and this is a good illustration of the major differences between boardgame design and other writing works, be they writing articles, essays or novels. Unlike the writer, the game designer usually starts without an outline of what they want to do, they go on an adventure without a roadmap. If you know exactly where you are going, what theme, what length, what style, how many players, you will probably end not going anywhere. The game designer is not telling a story, is not defending an opinion, is not explaining a theory. The game designer is working by successive approximations, and it feels as much like cooking than as writing – all the while building a game, meaning a closed and rigid structure entirely defined by its rules. This is why I have no problem working with publishers whose political ideas are very different from mine, and why the only political, social or literary discourse I sometimes smuggle in is made of a few discreet quotes and puns. Trying to do more, to develop a real reasoning, would be simplistic and/or dishonest.

I like the English expression “thinking out of the box”. The French nearest equivalent means something like “leaving the well-trodden paths”, which is not exactly the same idea. Thinking out of the box is a relatively recent expression, whose origin is, no surprise, in games. The function of a game is to imprison the players for a limited time in a small reassuring world, bound by clear and finite rules, a small world with no risk of thinking out of the box. The game designer, on the other hand, must be able to get out of the box – but not too far, since designing a game is still a bit of a game, an activity whose main point is that it has no point – it just has rules.

This brings us to a second paradox. While playing boardgames is mostly a social activity, mostly played in groups and after some wine or beer, most game designers are loners. Studios, like Kaedama or Prospero Hall, are the exception and most game designers usually work alone. I know that I too often generalize from my personal experience, but I can assure you it’s not the case here – I made a few stats, they are impressive. At game fairs, I’ve even noticed that game designers were meditating, alone, in a corner of the booth, much more often than illustrators, publishers, commercials and, most of all, players. They enjoy playing games, like writers enjoy reading and musicians enjoy other people’s music, but game design is not a social activity like gaming is. This social aspect should not be overstated, though.

This might sound surprising coming from a game designer who is well-known for his many co-designs, often with a co-designer in some far away country. I do it, I like it, but co-design is more often a relay, each designer in turn solving the issues and blockings met by the other, than a true collaboration. Brain-storming meeting at the same table, or even through video-calls, are relatively rare, except at the very beginning, and that’s why co-design, which has its plus, can also be more difficult. Usually, both designers first discuss a relatively precise idea before starting working on it, a project if not a roadmap. It makes major changes in theme or mechanism, or even bouncing to a completely different game idea, more difficult than in solo design, it constrains designers to stay more or less in the box they have initially designed.

True, games are creating social interaction and player agency, but these are extremely specific. I am only here discussing boardgames, since I think the issue is a bit different with video games and role-playing games. True, boardgames bring players around the same table, with drinks and snacks, but the interaction and agency (a word which unfortunately has no equivalent in French, so this paragraph was easier to write in English) they generate are superficial, limited by the rules and therefore, once more, strictly enclosed in the box. This is why one of the great qualities of boardgames is that they give an opportunity to have a good time with people we like but don’t really want to discuss politics or personal matters with. And when we play with people we use to discuss politics or personal stuff with, we enjoy the break.

There’s another paradox, which seems to negate most of what I’ve written here so far, the recent emergence of one player boardgames. This is still marginal, though, and not that new. There are already thousands of one players video games, being monster open world games or just phone solitaire games. Solitaire card games have been here for centuries, and my grandfather, the only person in my family with some interest in gaming, used to play it a lot. I have some doubts about the recent trend towards one player boardgames, because computer seem to be a much more convenient tool for solitaire gaming than cardboard. I’m also very bad at designing solo games. I’ve heard lots of nice things about the solo version of The Artemis Odyssey, but this part was only Serge’s work. I just played it a few times to check it worked – indeed, it does.

Légendes de l’Ouest et du Pamir
Legends of the west and the Pamir

La version « Legacy » des Aventuriers du rail, Légendes de l’Ouest, à laquelle je n’ai pas encore joué, a été généralement très bien reçue dans le petit monde du jeu de société. L’équipe qui l’a développé, Alan Moon, Matt Leacock et Rob Daviau, réunit quelques uns des meilleurs auteurs contemporains. Tout ce que j’ai lu me fait envie, et je vais sans doute me le procurer, même si je doute fort de pouvoir jamais réunir une équipe prête à faire les douze parties de la campagne. Sur les réseaux sociaux, ce jeu a fait l’objet de quelques critiques, féroces mais marginales, sur la manière dont il présenterait développement du réseau ferré aux Etats-Unis. Ces critiques me semblent mal fondées, et je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion de m’exprimer à la fois en tant que prof, historien, marxiste et auteur de jeux, et de m’étonner une fois encore de la propension de beaucoup, à gauche, à se tromper d’ennemi.

Comme il était difficile de répondre de manière argumentée en 280 caractères, j’ai décidé de développer un peu pour écrire ce post de blog. L’une des trois discussions a rapidement dérivé sur un sujet voisin, mon hostilité aux jeux éducatifs et ma méfiance envers les jeux « à message », même et surtout lorsque je suis d’accord avec le message. J’aborderai donc aussi un peu ce point en deuxième partie.

Certes, la nouvelle version des Aventuriers du rail, un jeu déjà classique, illustre de toute évidence, plus encore que l’original, une version fantasmée de la conquête de l’ouest, des rails sur la prairie. Le jeu, qui s’appelle « Légendes de l’ouest » et non « Histoire de l’ouest » ne s’en cache nullement. Même quelqu’un qui, comme moi, ne connait à peu près rien à l’histoire américaine, ne peut, au simple vu de la boite, avoir le moindre doute. Si cela ne suffisait pas, une note des auteurs dans les règles indique bien qu’ils sont parfaitement conscients de s’être inspirés des clichés (tropes) sur la conquête de l’ouest, lesquels ignorent largement son coût humain aussi bien pour les tribus indiennes que pour les travailleurs. Paradoxalement, cette note a peut-être aggravé le problème – en tant que prof, je sais que c’est souvent une erreur de prendre les élèves pour des idiots en leur disant des choses qu’ils ont déjà comprises.

Malgré cela, certains ont reproché à ce jeu de ne pas être fidèle à la réalité historique, voire d’être un peu raciste, puisqu’il ne met pas en scène les tribus indiennes sur les terres desquelles les voies ferrées ont été construites, et très pro-capitaliste, puisqu’il ne dit rien de l’exploitation des esclaves puis des cheminots pour construire ces mêmes voies. Le jeu n’est bien sûr ni l’un, ni l’autre, puisqu’il ne prétend nullement être historique et assume clairement, ce qui n’est pas le cas de bien d’autres jeux aux vaguement historiques, être fondé sur des clichés.

Cet univers romantique et un peu enfantin est sans doute l’une des raisons qui me donnent envie de jouer aux Aventuriers du Rail – Légendes de l’ouest. Je jouerai peut-être aussi avec plaisir à un jeu sérieux et militant prétendant « démystifier » la conquête de l’ouest en détruisant des clichés que personne ne prend plus vraiment au sérieux, mais je n’en suis pas certain car ce serait un autre jeu visant un autre public.

La vision romantique et fantasmée de l’histoire américaine qui apparaît dans Les Aventuriers du Rail mérite certainement d’être utilisée avec prudence, ce qui est le cas dans ce jeu, et éventuellement d’être étudiée et analysée. Je m’y étais un peu essayé il y a une dizaine d’années dans mon essai sur Décoloniser Catan, puis dans un article sur les jeux de trains. En français, des études critiques sur l’imaginaire médiéval dans les jeux ont été publiées ces dernières années, notamment par Anne Besson, centrées sur les jeux de rôles et les jeux video ; la conquête de l’ouest, même si le thème est moins prégnant dans le jeu de société, mériterait le même traitement. Des universitaires américains travaillent sans doute sur le sujet ; je n’ai pas vraiment cherché, mais si on m’envoie un article sérieux, je le lirai avec plaisir.

Les critiques ne reprochent en fait pas vraiment à ce jeu de ne pas être historique, ils le condamnent surtout pour ne même pas essayer de l’être, pour ne pas prendre son thème au sérieux. Si j’ai pu apprécier quelques jeux au thème historique très sérieux, comme récemment Pax Pamir, je n’ai jamais confondu une partie de jeu et un cours d’histoire. J‘ai dans un coin de ma tête une vague idée de jeu de cartes sur les débuts de l’ouverture du Japon vers l’Ouest dans les années 1850, mais si ce projet aboutit, le ton en sera sans doute plus léger et ironique. Bon, j’espère que Cole Wehrle ne va pas m’écrire qu’il a déjà commencé à bosser sur ce sujet, qui lui irait assez bien.
En regardant sur les étagères où se trouvent mes jeux publiés, je n’en vois que trois au thème vaguement historique, Mystère à l’Abbaye, La Vallée des Mammouths et Silk Road. Aucun des trois, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a le moindre contenu historique un peu sérieux.

L’idée que les jeux de société devraient toujours prendre leur thème au sérieux me gène énormément. Elle implique en effet que, contrairement aux auteurs et aux critiques, les joueurs ordinaires seraient des idiots incapables de regard critique, de faire la différence entre l’histoire et la légende, entre le premier et le second degré. Elle sous-entend surtout que les jeux tireraient leur valeur de leur caractère éducatif. J’ai déjà sur ce site expliqué pourquoi je n’utilise pas les jeux dans mes cours, et pourquoi je considère l’idée même de jeu éducatif comme un oxymore dévalorisant aussi bien pour les enseignants que pour les auteurs de jeu.

On peut apprendre très efficacement l’histoire en lisant des livres d’histoire. On le peut encore, même si cela prend beaucoup plus de temps, en lisant des romans, en regardant des films, en pratiquant certains jeux video ou jeux de rôles, si l’on prend garde à ce que l’intrigue ne prenne pas le pas sur le contexte. Les jeux de société, entièrement centrés sur leurs règles, peuvent difficilement avoir la même profondeur psychologique, la même subtilité dialectique, ou même simplement apporter la même quantité d’informations. C’est pour la même raison qu’il est rarissime qu’ils parviennent à faire passer un message politique sans sombrer dans la caricature.

J’ai déjà bien du mal, dans mes cours, transmettre tout le contenu sur lequel je souhaite faire réfléchir mes élèves, je n’y parviendrais jamais si je devais utiliser comme médiateur un outil aussi complexe et rigide qu’une règle de jeu. Je n’ai pas de temps à perdre avec des règles, et j’ai besoin de la souplesse, des possibilités d’improvisation, de discussion et d’adaptation que seul le cours oral peut apporter. Pax Pamir, sans doute le plus réfléchi et le mieux documenté des jeux de société sérieusement historiques auxquels j‘ai joué, et celui auquel j’ai leplus pris de plaisir, demande deux heures de jeu pour un contenu qui tiendrait sur un article d’une vingtaine de pages ou un podcast d’une demi heure . C’est un excellent jeu, surtout quand on connaît déjà un peu son thème, mais c’est un outil pédagogique bien peu performant. On peut d’ailleurs finir la partie sans savoir qui a gagné (les anglais ont perdu, les russes n’ont pas vraiment gagné).

Il y a une dizaine d’années, je terminais mon essai sur le tropisme colonial dans les jeux de société en expliquant que le problème était moins le recours aux clichés historiques et/ou exotiques que le fait que ce recours soit parfois inconscient et trop rarement assumé et/ou ironique. Au vu des évolutions récentes du petit monde du jeu, je pense que j’aurais dû insister plus encore sur ce dernier point. Dans Les Aventuriers du Rails – Légendes de l’Ouest, les clichés sont parfaitement conscients et revendiqués. Comme le remarque une astucieuse critique, le jeu ne donne pas une vision biaisée de l’histoire, il s’en débarrasse et la jette par la fenêtre. Beaucoup d’auteurs, moi le premier, procèdent fréquemment ainsi, et ceux qui le font consciemment et le revendiquent sont ceux auxquels il est le moins légitime de le reprocher.

Dans l’une des trois discussions sur Twitter et Bluesky qui sont à l’origine de cet article, Cole Wehrle, auteur notamment du très sérieux Pax Pamir et du plus ironique Root, a très bien résumé le problème : «  je pense que nous condamnons trop facilement des jeux, alors qu’il y a de bonnes raisons pour lesquelles ils ignorent un point particulier. Il n’en reste pas moins important d’analyser les jeux (et les livres) et de s’interroger sur les effets de leurs mises en scène. »



The legacy version of Ticket to Ride, which I’ve not played yet, seems to be very well received in the small gaming world, which is not surprising given the great team of designers, Alan Moon, Matt Leacock and Rob Daviau. Everything I’ve read about it makes me want to play it, and I will certainly get a copy soon, even when I doubt being able to get a stable team of players ready to play the twelve parts of the campaign. On social networks, however, there has been some marginal but fierce criticisms of the way it is describing the rail network development in the US. I think these criticisms are ill-founded.

I could not let pass an occasion to speak at the same time as a historian (with a PhD), a teacher (of social sciences), a Marxist (though not always the most orthodox one) and a game designer (with nearly a hundred games under my belt), and to highlight the growing propension of many western leftists to pick the wrong enemy. Since it was hard to really explain my point in 280 characters, better write a blog post. One of the three simultaneous discussions on the subject rapidly digressed on a slightly different topic, my hostility to educative games and my reluctance to games trying to deliver a message – even and may be even more when I agree with the said message.

The action in Ticket to Ride – Legends of the West obviously takes place in a romantic fantasied version of the American frontier story, rails on the prairie. The game doesn’t try to hide this – it’s named “Legends of the West”, not “History of the West”. Even someone like me, who knows nearly nothing of American history, should notice it at first glance. If there were still doubts, a larged boxed paragraph in the rules even specifies that the game is inspired by tropes of the old west, which ignore the human cost for both Indian tribes and rail workers. Paradoxically, this note might have aggravated the issue – as a teacher, I know it’s usually a bad move to take students for idiots with telling them what they obviously already know. On the other hand, well, you never know exactly who will play your game.

Despite these carefully laid caveats, the game has been criticized for not being historically faithful, or even for being vaguely racist, since it doesn’t feature the native tribes whose territories these tracks were laid on, and definitely pro-capitalist, since it ignored the exploitation of slaves and other rail workers in building the network. It is neither one nor the other, since it doesn’t pretend to be historical, and the designers clearly assume having built it on clichés and tropes. And, yes, this romanticized and even a bit childish background is one of the reasons why I’m eager to play this new Ticket to Ride. I might enjoy as well a more serious and political game aiming at debunking the American railway myths, but I’m not sure of it and, anyway, it would be a completely different game aimed at a different market niche.

The fantasy version of the American railway history which appears in Ticket to Ride – Legends of the West certainly requires to be used with care, but it clearly is here, and even to be studied and analyzed. I vaguely touched on this a dozen years ago in my essay about Postcolonial Catan, before the idea was fashionable, and in a blogpost about train games. I’ve read a few interesting academic studies of the image of the Middle Ages in games, though in French and mostly about video and role-playing games, among others by Anne Besson. Even when it is a less pervasive setting, the old west certainly deserves the same type of research. I bet there are already American scholars working on it, and if someone sends me an article, I will gladly read it. 

In the end, what some critics reproach to the new Ticket to Ride is not that it is not historically faithful, it is that it doesn’t even try, that it doesn’t consider its setting to be something serious.
I have enjoyed a few serious historical games, the last one being
Pax Pamir, but I have never considered them to be a lecture in history. I have a very vague idea for a card game about the opening of Japan to the West in the 1850s, but if I ever finish it, it will probably have a more tongue in cheek feel. Well, let’s hope I won’t get a mail from Cole Wehrle saying he’s already working on this topic, which would fit him quite well.
When I look up at the shelves with my published games, I see only three with vaguely historical settings,
Mystery of the Abbey, Silk Road and Valley of the Mammoths. None has the slighest amount of serious historical content or discourse, even when I could have done it for the first one.

As an historian who, for forty years, has mostly designed game based on ridiculous fantasy settings, I find the idea that games should always take their setting seriously very disturbing. It implies that, unlike game designers and reviewers, average gamers are unfazed idiots, unable of any critical view, unable to make the difference between fantasy and history. It is also linked to the idea that the value of games is in their educational use. I have already explained on this blog why I consider the idea of « educational games » to be an absurdity which belittles both game designers and teachers.

One can learn history very effectively with reading history books. One can learn some bits of it with reading novels, watching movies or playing some video or role playing games, providing one is careful not to let the intrigue take over the context. Boardgames, being terribly rules-centric, cannot have the same psychological depth, the same dialectical subtlety, or even only bring the same amount of information. For this same reason, boardgames are not really adapted to the transmission of political messages, and those which try do it usually end up being simplistic.

I already struggle to bring to my students all the content I want them to think over, I cannot imagine having to do this through a media as rigid as game rules. I’ve no time to lose on rules, and I need the free-form flexibility, the possibility to react, discuss and improvise which only exists in oral and relatively freeform lectures. Even Pax Pamir, the best example I’ve played of a well thought out and documented historical boardgame, and one I'(ve had great pleasure un playing, takes two or three hours to bring the content one could learn reading a 20 pages article or listening to a 30 minutes podcast. It’s great to play as a game, especially if you already have some knowledge of the subject. it’s inefficient as a teaching tool.

A dozen years ago, i ended my long blogpost, or short essay, on the colonial tropes in boardgames with explaining why the real issue was not the use of historical / exotic clichés but the fact that this use was too often unconscious and too rarely assumed and/or ironic. In the light of what a part of the boardgaming scene has become since, I think I should have emphasized the last point even more. Anyway, in Ticket to Ride – Legends of the West, the clichés are conscious and assumed. It doesn’t give a wrong or biased version of history, it gets rid of history and throws it out of the window (see this clever review). That’s what most game designers do, and I don’t think it can be reproached to those who do it honestly and clearly.

Cole Wehrle, designer of the very serious Pax Pamir and the more tongue in cheek Root, summarized this very well in one of the three simultaneous Twitter and Bluesky discussions which made me write this blogpost « I think we often are too quick to call out erasure when, in fact, there are other good reasons why a game is not covering a particular element. Of course, I still think it’s important to scrutinize games (and books) and to consider the consequences of their framing. »