Dragon’s Gold

Si mes premiers jeux furent publiés à la fin des années quatre-vingt, ce sont surtout trois petits jeux de cartes sortis au tout début des années deux-mille, Citadelles, Castel (avec Serge Laget) et L’Or des Dragons, qui m’ont fait connaître. Citadelles est toujours là, et son succès ne se dément pas. Après bien des vicissitudes, puisque deux contrats ont été signés avec des éditeurs qui ont par la suite abandonné le projet, j’ai récupéré les droits de Castel et ne désespère pas de lui retrouver un éditeur. L’Or des Dragons a connu plusieurs éditions, chez différents éditeurs, mais n’était plus disponible depuis quelques années. Il reviendra donc en 2024, via kickstarter, chez un jeune éditeur espagnol, Samaruc, dans une édition au graphisme baroque de Jose David Lansa Cebrian at au matériel luxueux. Les gemmes marquées de symboles rendent enfin ce jeu très coloré accessible aux daltoniens.

Dragon’s Gold, puisqu’il porte désormais ce nom anglais dans toutes les éditions, est un jeu de cartes et de négociations en temps limité, fondé sur une idée toute simple qui rappellera des souvenirs à bien des vieux rôlistes. S’ils sont suffisamment nombreux et armés, il est assez facile à une bande d’aventuriers sinon d’occire un dragon, du moins de l’assommer pour s’emparer de ses richesses. Les vrais difficultés commencent au moment de se partager le trésor encore chaud. 

Chaque joueur à son tour place donc une carte guerrier, voleur ou magicien sous une carte dragon et, pouf, dès que le groupe est assez nombreux, le monstre est mis hors de combat. On retourne alors un sablier, et les joueurs disposent d’une minute pour s’entendre sur le partage des pièces d’or et d’argent, des gemmes et des objets magiques. S’ils n’y parviennent pas à temps, la bête qui n’était qu’étourdie se réveille, et nos aventuriers trop cupides et imprudents repartent en courant. Parfois, le dragon est bien mort, mais le vent porte vite la rumeur dans les montagnes, et il ne faut guère plus d’une minute à ses héritiers pour pointer le bout de leur museau.

L’Or des dragons est un jeu dynamique et tendu, qui alterne placements de cartes murement réfléchis, coups bas et négociations frénétiques. Le système de score fait que chacun a des intérêts un peu différents dans le partage des trésors, les objets magiques apportent une bonne dose d’inattendu, et les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

Dragon’s Gold
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Jose David Lansa Cebrian
3 à 6 joueurs – 40 minutes
Publié par Samaruc
Boardgamegeek
Kickstarter



While my first boardgames were published in the early eighties, I only really became an established game designer in the early 2000s, with three small card games published almost simultaneously, Citadels, Castle (with Serge Laget) and Dragon’s Gold. Citadels is still around, and still my best seller. Things have been a bit messy with Castle, since two contracts were signed with publishers who later gave up the project – I now have the rights back again and am ready to discuss with any publisher interested. Dragon’s Gold has had several editions, with different publishers, but was out of print for a few years. It will be back in 2024 through Kickstarter and a young Spanish publisher, Samaruc. This new edition has baroque art by Jose David Lansa Cebrian, and cute plastic gems with symbols – for the first time, this multicolored game will be playable by colorblinds.

Dragon’s Gold is a card placement and real-time negotiation game, whose premise will be familiar to old D&D players. If they are numerous enough, strong enough and well armed, a party of adventurers can always if not kill a dragon, at least knock it unconscious for a while to steal its hoard. The difficult part is not to overcome the beast, it is to divide the still warm treasure.

Each player on turn plays a warrior, thief or wizard card under a dragon, and as soon as the group is strong enough, the monster is neutralized. Then a 1 minute sand timer is flipped, and the players involved have 1 minute to divide the loot made of gold, silver, gems and magic items. If they can’t do it in time, the stunned beast wakes up and the greedy and careless adventurers run away at full speed. Well, sometimes the dragon is really dead, but rumor flies fast with the mountain wind, and its legitimate heirs need little more than one minute to show up.

Dragon’s Gold is a fast paced and fun card game. It alternates between carefully managed card placement, frenzied negotiations and unashamed backstabbing. The scoring system makes dividing the loot quite intricate, magic item cards add some unexpected events, and promises bind only those who believe them. 

Dragon’s Gold
A game by Bruno Faidutti
Art by Jose David Lansa Cebrian
3 – 6 players – 40 minutes
Published by Samaruc
Boardgamegeek
Kickstarter

Le point de Polgara – les jeux qui ont influencé mes créations
Le point de Polgara – games which influenced my designs.

J’aime beaucoup la démarche de Polgara dans son podcast ludique, faite d’expérimentations et de prises de risque. Dans sa dernière émission, enregistrée juste avant le salon de Cannes, elle m’a demandé quels étaient les cinq jeux qui avaient le plus influencé mes créations personnelles. Si vous voulez le savoir, c’est là.

I really like Polgara and her boardgaming podcast, in which she takes risks and always tries new formulas – but always in French. In her last podcast, recorded just before the Cannes game fair, she asked me which five games had the most influence on my designs. It’s there – but in French.

Plus de temps pour le jeu
More time for games

Je suis désormais à la retraite de mon emploi d’enseignant.

Je vais avoir plus de temps à consacrer aux jeux, mais plus de temps ne signifie pas nécessairement plus d’idées, et il n’est donc pas certain que je sois beaucoup plus créatif.

Je deviens donc plus disponible pour participer à des salons, pour faire le tour des éditeurs et présenter mes créations, pour travailler sur commande, et pour faire de petits boulots intéressants dans le monde ludique, traduction, critique ou analyse.

Bref, je suis ouvert à toutes les propositions.


From now on, I am retired from my job as a teacher.

I wil thereforel have more time to devote to boardgames, but more time doesn’t necessarily mean more ideas, and I’m not sure I will be much more creative.

This means I also become more available to take part in game fairs, to tour publishers and show my design prototypes, to work on order, and to do any small and interesting boardgame related job, including translations, critics or analysis.

To put in short, any offers and suggestions are welcome.

Des nains et des dragons
Of dragons and dwarves

Mes amis du petit monde du jeu se moquent gentiment, et depuis pas mal de temps, de ma propension à concevoir des jeux « avec des nains et des dragons », c’est à dire situés dans un monde médiéval fantastique caricatural. Ils n’ont pas tort. Parmi mes nouveautés à sortir en 2024, il y aura Le Trésor des Nains, sans doute ma création préférée, pour lequel j’ai en vain cherché un autre thème.

Je suis d’autant plus conscient du problème que je peux l’expliquer, et que j’ai parfois cherché à le contourner. J’ai eu une éducation bourgeoise et, surtout, intello. Je n’ai dû voir qu’un ou deux dessins animés Disney, je n’ai vu aucun Star Wars, les seuls super-héros que je connaisse sont ceux de la mythologie grecque, et je n’ai jamais appris à entrer dans l’imaginaire par l’image, seulement par le texte – ce qui m’a permis, en revanche, d’apprécier Le Seigneur des Anneaux et, plus tard, Game of Thrones et le Disque Monde.

Je n’en apprécie pas moins les jeux à thème fort, les jeux dont les mécanismes, les règles, sont étroitement liés au contexte, l’univers. Un bon thème de jeu est un thème dont les joueurs sont déjà familiers. Cela leur permet de se concentrer sur les règles sans rien perdre du fun, de l’intérêt ou de la profondeur du thème. L’univers médiéval fantastique, surtout dans ses versions un peu parodiques, était, avec la science-fiction, un peu tout ce qu’il me restait comme thème exotique, riche et populaire pour lequel je n’aie pas à me plonger régulièrement dans la documentation.

Il y a en effet un peu de paresse dans ma propension à mettre partout des nains, des gobelins et des dragons. Les thèmes historiques « réels », tout comme d’ailleurs les univers littéraires « à licence », de Disney à Game of Thrones, demandent un effort de documentation que j’ai d’autant moins envie de fournir que je me spécialise de plus en plus dans les petits jeux de cartes.

Ce qui n’était guère gênant il y a trente ans le devient un peu aujourd’hui. L’univers médiéval fantastique fait en effet de moins en moins partie des références communes des jeunes adultes qui sont le cœur du public du jeu de société. Sans compter que, même parmi les plus âgés, beaucoup – moi y compris – s’en sont un peu lassés. J’ai aussi un peu taquiné la science-fiction générique mais plus l’avenir semble mal barré, moins elle m’attire et me fait rêver, et moins, sans doute, elle attire et fait rêver les joueurs.

Que faire alors ?

Je ne suis guère tenté par un binge watching de tous les films Star Wars ou Marvel, et de tous les dessins animés Disney, mais je n’exclus pas de faire un effort de documentation si on me demande un jour de concevoir un jeu dans un univers particulier. Je serai à la retraite dans un mois, cela me laissera plus de temps pour ce genre de défi.

Je peux aussi, et c’est ce que j’ai commencé à faire, me replier sur des clichés plus ou moins universels, comme ceux concernant le monde animal – et rejoindre ainsi un peu Disney. Je ne serai pas le seul, puisque vous avez sans doute remarqué que les jeux avec de mignons animaux, anthropomorphes ou non, ont récemment envahi les étagères des boutiques. Les variations thématiques possibles sont nombreuses, mais elles commencent déjà à encombrer les étagères des boutiques, et je crains que le public adulte ne soit vite lassé d’une thématique un peu enfantine.

Il y a quelques années, ils auraient tous été des nains…

Au delà des animaux, c’est la nature tout entière, les fleuves, les arbres, même les champignons, qui peut fournir des thèmes de jeux efficaces – même s’il est moins excitant d’être un champignon qu’un dragon. Là aussi, je ne suis pas le premier à avoir eu l’idée, et cela pose quelques autres problèmes dont j’ai récemment discuté dans un long article. Mais bon, je commence à avoir quelques prototypes de jeux de cartes avec des poules, des canards, des fleurs, des fruits, voire des légumes. D’autres auteurs de ma génération, rencontrant les mêmes contraintes, tentent de s’en sortir de la même manière.

Certains s’étonnent que, ayant passé une thèse d’histoire, je n’aie publié aucun jeu à thème historique – ou alors uniquement des jeux ne prenant guère leur sujet au sérieux, comme La Vallée des Mammouths, Mystère à l’Abbaye ou Ménestrels. Je suis sans doute le spécialiste mondial des licornes, mais je n’ai conçu que des jeux avec des dragons. J’ai aussi enseigné l’économie et la sociologie, et n’ai publié qu’un unique jeu faisant vaguement référence aux théories économiques, Terra.

J’ai plusieurs problèmes avec les thèmes historiques.

Techniquement, il est souvent plus difficile de situer un jeu de société dans un contexte historique précis que dans un monde imaginaire. Le fantastique ou la science-fiction permettent assez facilement de tout justifier; un pion qui passe d’un côté à l’autre du plateau de jeu peut avoir emprunté un vortex magique ou spatial, ce sont des trucs qui trainent partout. Avec un thème réel, if faut rester… réaliste, ce qui peut s’avérer frustrant lorsque l’on a l’idée d’un mécanisme qui rendrait le jeu plus intéressant.

Les jeux à thème historique ont du coup souvent un aspect un peu sérieux, qui peut les faire passer pour des outils pédagogiques. Comme enseignant, j’ai pu voir les dégâts des jeux pédagogiques, sujet que j’ai déjà abordé en détail sur ce blog. Disons pour résumer que passer par l’intermédiaire de règles de jeux pour « faire découvrir et expérimenter » des mécanismes ou apporter des connaissances oblige à simplifier à l’extrême et surtout est, par rapport au bon vieux livre ou au cours, une immense perte de temps – je précise que cela est beaucoup moins le cas pour le jeu video, qui peut plus facilement faire passer ses règles au second plan. En outre, comme tous les procédés destinés à faire passer un « curriculum implicite », cela semble rendre la science plus abordable pour tous, alors qu’en réalité seuls ceux qui maîtrisent déjà les règles de la culture scolaire sont en mesure de « repérer » les connaissances valides. Je trouve aussi, en tant qu’auteur, les jeux didactiques un peu inélégants, voire dévalorisants. Comme le disait Proust, « Une oeuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix ».

La guerre, les historiens et les joueurs

Les historiens académiques ont tendance à négliger un peu l’histoire militaire, et tout particulièrement les dimensions techniques des conflits (Rome et la Grèce antique font un peu exception – les guerres romaines sont cools, allez savoir pourquoi, les autres un peu vulgaires). Tactique et stratégie militaire apparaissent comme des thèmes de mauvais goût que l’on préfère laisser aux historiens amateurs – et aux joueurs de wargames. De fait, les programmes scolaires qui, il y a un siècle, faisaient la part belle aux grandes guerres les traitent aujourd’hui rapidement, comme des transitions entre des périodes de paix étudiées plus en détail. Et ne parlons pas des économistes pour lesquels la guerre, étant irrationnelle, ne peut pas exister.
Il se trouve justement que les conflits militaires sont, à l’inverse, les événements historiques qui se prêtent le mieux à une exploitation ludique, ce que savent bien les généraux qui utilisent les Kriegspiel, devenus wargames, depuis le XIXe siècle. Le plateau de jeu est une carte géographique, les pions sont des armées, la métaphore est pertinente et efficace, même pour décrire, comme c’est de plus en plus souvent le cas, les conflits insurrectionnels. Certains wargames sont presque des simulations et peuvent permettre de comprendre les choix stratégiques et tactiques des parties au conflit.

À côté des jeux de guerre se sont développés d’abord des jeux sur le thème de l’expansion coloniale, pour lesquelles la carte de géographie est là encore un support efficace. Je n’y reviendrai pas, y ayant déjà consacré un très long article. D’autres jeux publiés depuis une vingtaine d’années relèvent plus de l’histoire politique et économique, mais beaucoup sont presque des eurogames, avec un thème un peu forcé. Si, d’un côté, je me réjouis que les auteurs de jeux s’intéressent à des aspects multiples de l’histoire, je ne peux que constater que ces jeux sont généralement moins convaincants. Faute d’une métaphore aussi satisfaisante que celle des jeux de guerre ou de conquête, il est rare qu’ils donnent de leur sujet une représentation à la fois simple, juste et efficace. S’il y a une carte, ils ont tendance à surjouer le rôle historique de la géographie. S’il y a simplement des cartes, ils deviennent vite abstraits.

Je me résoudrai sans doute quand même aussi à situer un peu plus souvent l’action de mes jeux dans des univers historiques réels, mais en prenant quelques précautions pour interdire une lecture trop sérieuse – et ce même et surtout si le jeu a été conçu avec un certain sérieux documentaire.

Après, ne dramatisons pas – il reste les dinosaures, les vampires, les zombies, les pirates, les dystopies et quelques autres univers qui ne me viennent pas à l’esprit maintenant. Les nains et les dragons qui ont longtemps été mon univers par défaut le resteront néanmoins sans doute encore un peu, ne serait-ce que parce que les trouve sympathiques.

Le retour des dragons ?

J’avais presque terminé de rédiger cet article lorsque j’ai vu passer l’annonce de…. Wyrmspan, un jeu avec des dragons de Connie Vogelmann développé sur la base de Wingspan, un jeu avec des oiseaux de Elizabeth Hargrave et l’un des grands succès du jeu de société de ces dernières années. Assiste-t-on déjà au retour des dragons, bien décidés à reprendre leur territoire et flamber les naïfs petits oiseaux qui ont, un temps, contesté leur suprématie ? S’agit-il juste d’une variante mineure de Wingspan soigneusement calibrée pour la vieille génération de joueurs, les vieux rôlistes par les petits oiseaux que par les gros reptiles ? J’avoue ne pas bien savoir…



My friends in the small gaming world are, for quite a long time, mocking me for always designing games about “dragons and dwarves”. This means, of course, games in a light humorous generic medieval fantasy setting. They are not wrong, and one of my new games coming in 2024, probably my favorite design so far, is Treasure of the Dwarves, a game for which I have vainly tried to find a more original setting.

Being able to explain it makes me even more conscious of the issue. I’ve had a bourgeois and, most of all, intellectual education. I’ve seen maybe one or two Disney cartoons, I’ve not seen any Star Wars movie, the only superheroes I learned anything about are those from the Greek mythology. I’ve never learned to get into a fantasy world through images, only through text – which still allowed me to get easily into the Lord of the Rings and, later Game of Thrones and the Discworld.

I nevertheless enjoy games with a strong theme, games whose mechanisms are strongly embedded into their context, their setting. A good game setting is a setting players are already familiar with. This allows them to focus on the mechanisms without losing the setting’s fun, depth or interest. Heroic fantasy, and especially slightly parodic medieval fantasy, was, with good old science fiction, the only rich, exotic and popular setting I could work with without spending hours browsing through literature and other documentation.

Laziness might indeed be one of the reasons why I tend to put dwarves, dragons and sometimes goblins everywhere. Serious historical settings, like “licensable” literary settings, from Disney to game of Thrones, require a great documentation effort, something I’m even more wary of now that I am specializing in light and fast card games.

What wasn’t really an issue thirty years ago is becoming one now. Medieval heroic fantasy is becoming much less a common cultural reference of young adults who are buying and playing boardgames. Even the older ones, like me, are becoming a bit bored with it. I’ve also made use of generic science fiction, but the less optimistic we are about the future of humanity, the less it attracts me and the less it makes players dream.

So what ?

I’m not really interested in binge watching all the Star Wars and Marcel movies, and all the Disney cartoons, but I can make an effort at learning about a specific universe if I’m asked to design a game in it. I’ll soon retire from my day job and will have more time for that kind of challenge.

I can also fall back on other more universal clichés, especially about the animal world – and Disney is more or less part of it. I won’t be the only one, and you’ve probably noticed that boardgames with cute animals, often anthropomorphic ones, have recently become fashionable. They allow for many thematic variations, but most of them are already cluttering boardgame shop shelves and I’m afraid gamers will soon get bored of it or dismiss it as childish.

A few years ago, theu would all have been dwarves.

Animals, but also the whole natural world, rivers, trees, even mushrooms can make for very effective game settings, though being a mushroom feels less exciting than being a dragon. Here also, I’m not the first one to get the idea, and it makes for other problems I’ve discussed at length in a former blogpost.
Anyway, I’m starting to have game prototypes with hens and ducks, with flowers, with fruits and even vegetables. Many game designers of my generation are trying to use the same trick.

Some gamers are surprised that, having a PhD in history, I’ve never published a historically themed game – except for very few ones which don’t take their subject seriously, like Valley of the Mammoths, Mystery of the Abbey or Minstrels. I’m probably the world specialist in unicorns, but have only published games about dragons. I also taught economics and sociology, but published only one game vaguely related to economics theory, Terra.

Why I am careful with historical game settings.

Technically, it is far more difficult to design a historical boardgame than a fantasy one. Fantasy, and this includes science-fiction, makes very easy to justify any gaming effect. A token moving from one end of the board to the other can have used some magical or space vortex, everyone knows these things happen. In a realistic setting, game rules must be realistic, which can be frustrating for the designer wanting to implement a mechanism which would make the game more interesting.

This is why game in a historical setting often look and feel serious, which might suggest they can be used as teaching tools. As a teacher, I’ve witnessed the damage done by the pedagogical use of boardgames, a question I’ve already discussed on this blog. To put it shortly, using game rules to “make learners discover and experiment” usually requires an extreme simplification of knowledge and, when compared with text or lectures, always leads to a terrible waste of time – this is far less the case with video games, which can more easily have rules dealt with in the background by a computer. Also, like all pedagogical methods relying on an “implicit curriculum”, it looks like it makes knowledge more affordable for all when, in reality, only those who already master the rules of school culture are able to spot the valid knowledge items. Also, as a game designer, I find the idea of a didactical game inelegant, even a bit belittling. As Marcel Proust wrote, “a work with theories is like a gift whose price-tag has not been removed”.

War, history and games

Academic historians tend to neglect, or even despise, the technical aspects of military conflicts (except in the ancient Rome and Greece; for some reason, Roman wars are cool when most other wars are mundane). Military tactics and strategy are considered bad taste topics, which can be let to amateur historians and, yes, wargamers. School curricula which, one century ago, devoted entire chapters to wars now see them as transitions between periods of peace which are studied much more extensively. As for economists, they seem to consider that war, being irrational, simply cannot happen.
Conversely, military conflicts are the historical events which are the most easily and effectively represented, almost simulated, in a game. Generals, who use Kriegspiel, later renamed wargames, since the XIXth century know this quite well. The game board becomes the geographical map, the players’ pawns and tokens are armies. The metaphor is very efficient and relevant, even to describe, like it is more and more often the case, insurrectional conflicts. Some wargames are almost simulations, and can help to understand the tactical and strategic choices of the opponents.

After the war games came games about colonial conquests, for which a geographical map is also an efficient and convincing board. I won’t discuss them here, I’ve already written a very long article on this topic. There has also been recently more games about political or economic history, but many of them are near-eurogames whose settings feel pasted on. On the one side, I’m happy that game designers are now interested in various aspects of history, but I have to admit that, with a few exceptions, games which are not about war or conquest are less convincing, and rarely give a consistent, accurate and efficient picture of their subject. If the game is played on a map, it tends to overplay the importance of geography. If it’s made only of cards, the gameplay usually feels abstract.

I will probably also resign myself to design games with a real historical setting, but I will take a few steps to prevent a too serious reading of their content – even and above all if the design is based on a serious documentation.

Let’s not dramatize – there are still dinosaurs, vampires, zombies, pirates, dystopias and many other possible settings which don’t come to my mind just now. Anyway, dragons and dwarves have long been my default setting, and will probably keep being it, though to a lesser extent, if only because I like them.

Are Dragons back ?

I had almost finished writing this blogpost when I saw the first announcement of… Wyrmspan, a dragons game by Connie Vogelmann based on Elizabeth Hargrave’s Wingspan, a birds game and one of these last years major hits. Are dragons already back, determined to get their realm back and to burn the naive birdies who thought they could replace them ? Or is it just a minor variation on Wingspan cleverly targeted at my generation, at old bearded gamers not really excited by cute singing birds ? I don’t know, time will tell….

Santa’s Little Elves

Dans Santa’s Little Elves, vous êtes l’un des lutins vêtus d’un ridicule uniforme vert et rouge qui, dans l’atelier du Père Noël, fabriquent et emballent à la chaine les jouets destinés aux enfants du monde entier – enfin, surtout des pays où les parents ont assez d’argent pour acheter des jouets, car le Père Noël ne perd pas le Nord. Ce dernier est en effet un capitaliste de la pire espèce, qui vous exploite de manière éhonté, profitant de la rareté des offres de travail dans le grand nord.

Une partie des Lutins du Père Noël au kiosque à jeux de la Place de la République.

Le travail est éreintant et les salaires ridiculement bas. Les heures supplémentaires ne sont généralement pas déclarées, les possibilités de promotion sont inexistantes ou illusoires. L’usine est glaciale ; vous n’avez aucune idée de la date à laquelle le chauffage sera réparé, mais certainement pas avant la fin de la campagne d’hiver. Les situations de harcèlement sont également récurrentes. Seule consolation, ce n’est pas vraiment mieux pour vos camarades qui travaillent au tri des lettres, ni sans doute pour ceux du centre d’appel récemment délocalisé en Antarctique. Sans même parler de ces pauvres rennes, enfermés tout l’été dans un hangar sordide avant d’être contraints, tout l’hiver, de galoper dans la neige avec un costume et des cloches ridicules.

Solidarité et conscience de classe n’étant pas vraiment le point fort des lutins, il serait vain d’espérer pouvoir organiser une grève. Du coup, vous avez décidé de prendre votre destin en main, en volant des jouets sur la cabine pour les revendre sur ebay, tombé du traîneau. Bien sûr, vos petits cons de collègues font la même chose, et chacun espionne ses voisins, espérant les prendre sur le fait pour les faire chanter ou les dénoncer au patron.

Dans cette ambiance de rêve, le vainqueur sera bien sûr le plus riche à la fin de la partie, qui pourra quitter l’usine et se payer une croisière de rêve dans les Caraïbes. Les autres devront se contenter de quelques bières à la taverne du coin, et tant pis si le tavernier est un pote du patron.

Ceux qui connaissent bien mes jeux ne seront guère surpris par ces Petits lutins du Père Noël, un jeu de cartes simple et rapide, tout entier construit sur le bluff et la psychologie, dans la même famille que Dolorès, Waka Tanka ou Venture Angels. Conçu il y a plusieurs années de cela, ce jeu de cartes est resté dans mes cartons assez longtemps. Plusieurs éditeurs s’y sont intéressés, mais ils voulaient soit changer un thème auquel je tenais parce que je le trouvais drôle et politique, soit rendre plus complexe un jeu dont le charme réside en partie dans sa simplicité.

Le seul changement que je regrette un peu concerne la liste des jouets. Dans mon prototype, les jouets du père Noël était extrêmement typés, genrés comme on dit aujourd’hui, des poupées et des cuisines roses pour les filles, des voitures et des jeux de construction pour les garçons. Cela gênait d’autant plus les lutins qu’ils ne sont eux-mêmes pas très clairs sur les questions de genre. Craignant que certains joueurs ne prennent cela au premier degré, l’éditeur a remplacé cela par une distinction entre jouets technologiques (avec la technologie des années quatre-vingt-dix parce que c’est plus rigolo) et jouets traditionnels. Je sais bien qu’il est toujours plus prudent de prendre les joueurs pour des imbéciles, il y en a toujours quelques-uns dans le lot, mais c’est dommage quand on leur enlève une occasion à la fois de rire et de réfléchir. Enfin, c’est un peu moins drôle, mais cela devrait marcher aussi bien. Dans un jeu aux mécanismes finalement très simples, cela passera peut-être mieux auprès des plus jeunes joueurs qui n’ont pas connu l’époque des jouets hyper-genrés, des poupées Barbie et des maquettes d’avion. Pour le reste, toute ma petite histoire de lutins pré-marxistes, classe en soi mais pas pour soi, est bien là, et c’est l’essentiel.

Les règles très simples de Santa’s Little Elves mettent certes le jeu à la portée de tous, mais son thème ne doit pas faire croire qu’il n’est destiné qu’aux enfants. C’est aussi un jeu de bluff bien fourbe qui devrait plaire aux habitués de mes petits jeux de cartes.

Santa’s Little Elves
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Marlies Barends
3 à 5 joueurs – 20 minutes
Publié par Matagot / TGG / Knight and Day games (2023)


You’re one of Santa Claus Elves, in a ridiculous red and green uniform, working on the factory line all year long, manufacturing toys for kids from the whole world, or at least from the countries where parents are rich enough to buy kids toys. Stupid rich kids who never heard of you, and who probably would not care if the had. Santa Claus, a capitalist of the worse kind, is clearly exploiting you, taking advantage of the scarcity of jobs in the far North. 

Playtesting Santa’s Little Elves at the Ludopathic Gathering.

Exhausting work, bad pay, no pay at all for overtime, no consideration, no summer holidays, no career prospects. The factory is ice cold, and you have no idea when the heating will be fixed, but certainly not before the end of this winter season. Harassment issues are commonplace. It’s probably not better for your comrades sorting letters, and certainly even worse for those at the after-sales hotline, recently outsourced to Antarctica.And there are serious work harassment problem. Worst of all, the factory is terribly cold and you’ve no idea when the heating will be fixed. And better not talk about these poor reindeers, spending the whole summer in a dirty shed and running all around the world in the cold winter with ridiculous bells.

Solidarity and class consciousness are not elves’ strong suit, so you’ve decided to help yourself. On every occasion, you steal small toys from the line, and try to sell them on eBay as fallen of the back of the sledge. Of course, your nasty colleagues are all doing the same. They’re also spying on you, and will report you when caught, unless you give them what you have stolen.

The elf with the most cash at the end of the game is the winner, resigns from the job and goes for a two-month cruise in the Caribbean. The other elves have still enough cash for a few beers at the local tavern – and, yes, this means the money goes back to Santa Claus, who also owns the tavern, but that’s life.

Those who know my card games won’t be surprised by Santa Claus’ Elves. It is a simple and fast paced bluffing card game, entirely built on bluffing and psychology, a bit like my Dolores, Waka Tanka or Venture Angels. I have designed it a few years ago, but it has stayed unpublished because I was waiting for a publisher willing to keep both the simplicity of the core mechanism and the fun storyline, and many wanted to make the game more complex, or to go for a less political setting.

There’s one change I regret a bit, with the list of toys. My prototype had two categories of terribly gendered toys, dolls and pink plastic kitchens for girls, cars and construction sets for boys. This was one more problem for the elves, most of which are not clearly settled on gender issues. The publisher was afraid some gamers would take this at face value, even when the rest of the game is obviously parodic. The publisher replaced this with two other categories, traditional and modern toys – modern meaning from the nineties, because it looks nicer. I know it’s always safer to treat gamers as fools, there must be a few ones in the crowd, but it also means removing opportunities to both laugh and think. It’s not as fun, but it works as well and will probably make more sense with younger gamers who didn’t know the time of Barbie dolls and airplane models. And anyway, all the rest of my little proto-marxist elves story, class in itself but not for itself, is still there, and that’s what matters.

Santa’s Little Elves has short and simple rules, and can be played by kids, but you must not be fooled by its topic and title – it’s not just for kids. Played with the right crowd, it can also become a nasty bluffing game, like many of the small card games I have designed.

Santa’s Little Elves
A game by Bruno Faidutti
Art by par Marlies Barends
3 to 5 players – 20 minutes
Published by Matagot / TGG / Knight and Day games (2023)

Retraite et projets
Retirement projects

Cela fait maintenant une trentaine d’années que je mène de front deux activités professionnelles, la conception de jeu de société et l’enseignement. J’aurais très bien pu cesser d’enseigner et vivre très confortablement des droits d’auteur de mes quatre ou cinq jeux qui se vendent assez régulièrement, mais j’avais fait le choix de continuer à enseigner, quoique depuis une dizaine d’années seulement à mi-temps. Je ne voulais en effet pas vraiment envie d’arrêter un boulot épuisant mais que j’aime bien et dont l’utilité sociale est indiscutable, ce qui est moins le cas de la conception de jeux.

Dans deux mois, au 1er février 2024, je prendrai ma retraite de l’éducation nationale et cesserai d’enseigner l’économie et la sociologie. J’aurais pu continuer encore quelques années, mais je me suis dit que c’était l’une de mes dernières occasions de passer un peu à autre chose – c’est à dire sans doute à un peu plus d’activité dans le monde du jeu de société, que j’aime beaucoup aussi. Le contact avec des gens très différents, que ce soit parmi les élèves ou les profs, me manquera peut-être, tout comme le sentiment de servir à quelque chose. Et si l’enseignement me manque vraiment trop, je ferai quelques remplacements.

Je ne vais sans doute pas me mettre à concevoir plus de jeux. Il ne suffit pas de s’asseoir à son bureau pour que les idées surgissent, et il est peu probable que leur rythme s’accélère. Je serai en revanche, à compter du 1er février, beaucoup plus disponible pour participer à des salons ludiques un peu partout, pour promouvoir mes créations dans les boutiques et les bars à jeux, pour faire le tour des éditeurs avec mes prototypes sous le bras, et pourquoi pas pour des boulots plus formels – développement, traduction, relecture, écriture de règles et plus ou moins tout travail éditorial dans le petit monde ludique. Je ne compte pas, comme Antoine Bauza, me lancer moi-même dans l’édition, la gestion d’entreprise ne m’excitant pas vraiment, mais je suis tout à fait prêt à travailler un peu, ici ou ailleurs, en français ou en anglais, pour un éditeur sympathique et sur des jeux que j’apprécie.

Bref, je n’ai pas d’idée très précise de ce que je veux faire, je ne suis pas absolument obligé de faire quelque chose, mais je suis à l’écoute et espère recevoir plein d’invitations et de propositions intéressantes.



For thirty years now, I have been juggling with two day jobs, teaching and designing boardgames. While I could have stopped teaching and lived pretty well from the royalties on my four or five games with relatively consistent sales, but I had decided to keep on teaching, albeit part-time only for the last dozen years. I was reluctant to quit a job extremely demanding but also morally fulfilling, and with a clear social utility – a quality less apparent with game design.

In two months now, on the 1st of February, I will retire from my job as a teacher of economics and sociology. I could have stayed a few more years, but it’s probably one my last opportunities to try something else. This likely means being more active in the little boardgaming world, which I also enjoy quite a bit. I will probably miss the interactions with very different people, be they students or teachers, and the feeling of being socially useful, but if it becomes too hard, I will undertake short time replacements.

I will probably not design more games. Simply sitting a few hours more at my desk is unlikely to spark more ideas, and it is unlikely that inspiration will suddenly strike more often. However, starting on February 1st, i will be have more time for visiting game fairs all over the world, for promoting my games in shops and game cafes and to tour publishers with a big bag of prototypes. I will also become available for occasional more formal jobs, such as game development, translation, proof reading, rules writing, and any other editorial tasks. I have no intention of starting a publishing company, like Antoine Bauza is doing, being totally uninterested in daily company management, but I’m available for short term assignments here or there, in French or in English, with games and people I like.

I don’t have a precise idea of what I will do. I don’t really need to do something, but I’m here, I’m available and I expect to have lots of invites and intriguing propositions coming my way.

A question for English speakers: I asked ChatGPT to correct my English text, something I had never done before. I didn’t incorporate all the changes it suggested, but I did adopt many of them. In your opinion, does this text represent an improvement in my English compared to my usual writing ?

Reigns – The Council

Il est assez rare que je travaille sur commande. Je reçois de temps à autre des propositions d’éditeurs, ou d’autres, désirant un jeu sur un thème particulier, mais je ne donne suite que si le sujet m’amuse vraiment et si j’ai assez rapidement une idée qui me semble mériter au moins d’être approfondie et essayée. Sinon, je renvoie le demandeur sur Bruno Cathala, et depuis peu sur l’équipe de Kaedama, que je sais plus à l’aise avec ce type de boulot.

Parfois, heureusement, il y a des offres que l’on ne peut pas refuser. Concevoir un jeu de cartes à partir de Reigns, adorable petit jeu video à l’humour noir et malin, en était une. Il reste que lorsque j’ai d’abord été contacté par l’équipe de Reigns, François Alliot, Arnaud de Bock et Thomas Bidaux, à l’automne 2018, je voulais répondre oui mais ne savais pas trop par quel bout prendre ce projet. J’ai donc proposé de mettre aussi sur le coup mon ami et voisin Hervé Marly, également grand amateur de jeux d’ambiance rigolos. Mes interlocuteurs étant également fans de Skull, m’ont dit qu’il était le suivant sur la liste d’auteurs qu’ils pensaient contacter, et ont donc immédiatement accepté.

Le fait que les auteurs de Reigns aient pensé à moi et à Hervé, et non par exemple Antoine Bauza ou Bruno Cathala, en disait déjà beaucoup sur la direction à suivre – un jeu léger et rigolo, avec plus de baratin ou de bluff que de tactique ou de stratégie. Hervé et moi avons donc intensément pratiqué Reigns sur nos iPhones pendant une ou deux semaines pour bien nous imprégner de l’ambiance avant de commencer à réfléchir à l’adaptation que nous pourrions en faire.

Une partie test au café jeux Meisia, à Paris

Dans le jeu video, le joueur est le roi, et son seul objectif de survivre le plus longtemps. À chaque tour, l’un de ses conseillers lui fait une proposition – attaquer les barbares de l’est, construire un palais, faire un don à l’église – qu’il accepte ou refuse en « swipant » à gauche ou à droite, comme dans Tinder. L’humour du jeu est tout entier dans les propositions, la manière dont elles s’enchainent, et l’effet qu’a l’acceptation ou le refus du roi sur l’état du royaume. Très vite, nous nous sommes dit que le seul moyen de recréer cet humour dans un jeu à plusieurs était de faire imaginer l’histoire par les joueurs.

Du coup, dans Reigns – The Council, si l’un des joueurs est le roi, les autres sont ses conseillers ayant chacun un objectif secret. Les propositions des conseillers sont représentées par des cartes. Dans notre première ébauche, les joueurs étaient totalement libres de raconter ce qu’ils voulaient, les seules informations figurant sur les cartes étant les effets d’une acceptation ou d’un refus par le roi sur les quatre « jauges » que sont l’église, l’armée, le peuple et le trésor. Laisser trop de liberté aux joueurs en bloquaient certains, et beaucoup de propositions n’étaient guère cohérentes avec les effets inscrits sur les cartes. Du coup, nous avons ajouté sur les cartes des mots clés – Dragon, Croisade, Taverne, Princesse… – pour tout à la fois encadrer les propositions des joueurs et leur donner un point de départ. Là, c’était trop directif, beaucoup de joueurs interprétant cela plus comme une obligation de caser les mots dans leurs discours que comme un guide à leur imagination. L’étape suivante a donc été de remplacer ces mots par des icônes, remplissant la même fonction mais de manière plus souple – et plus internationale, ce qui arrangeait bien notre éditeur.

L’équipe de Reigns travaille à Londres, mais ils ont fait le voyage pour nous rencontrer à Paris et faire quelques parties. Thomas est venu aux rencontres ludopathiques – où l’on n’a d’ailleurs finalement assez peu joué à Reigns ! Chacun a testé ensuite le jeu de son côté du channel, mais à quelques exceptions près les retours étaient plus ou moins les mêmes, ce qui a bien facilité le développement.

Dès que nous avons décidé d’avoir des icônes sur les cartes, tout n’a plus été qu’affaire de réglages, choix des dessins de chaque carte, remplacement de ceux qui n’inspiraient guère les joueurs ou n’étaient pas toujours bien compris. Il manquait encore un truc important dans le jeu video, la mort du roi, et c’est François Alliot qui a eu l’idée de demander au joueur ayant provoqué la fin du règne de la raconter, lui donnant ainsi l’occasion de marquer quelques points supplémentaires. Tout est donc allé très vite, puisque nous avons vraiment commencer à travailler en janvier 2019, et que le jeu était bouclé début juillet.

Durant les derniers développements de Reigns, j’ai participé à plusieurs salons et événements ludiques. Au mois de mai 2019, je me suis rendu à la rencontre d’auteurs de jeu de Vevey, en Suisse, organisée par Sébastien Pauchon. Un peu avant ou un peu après, je ne sais plus bien, j’ai rendu visite à Antoine Bauza et sa clique dans leur cafetière de Valence. En juin, c’était Paris est Ludique. À chacune de ces occasions, j’avais apporté mon prototype de Reigns pour faire quelques parties, et à chaque fois il s’est trouvé quelqu’un, un peu jaloux, pour me dire qu’il avait aussi pensé à faire une adaptation de Reigns en jeu de cartes. Le seul projet qui m’ait été un peu détaillé était parti dans une direction très différente de la nôtre, et plus proche du jeu video, les joueurs étant des rois rivaux devant gérer des problèmes identiques, entièrement gérés par un jeu de cartes. Hervé et moi avons fait le choix de nous éloigner plus des mécanismes du jeu, pour essayer de rester plus fidèle à son humour. Vous nous direz si nous avons réussi.

Après le succès du kickstarter, Reigns est resté assez longtemps indisponible, mais le voici de retour, début 2023, chez un nouvel éditeur, Passe ton tour.

Reigns
Un jeu de Bruno Faidutti & Hervé Marly
Illustré par Arnaud de Bock & Hervé Marly, inspiré du travail de Mieko Murakami sur Reigns
3 à 6 joueurs  – 30 minutes
Publié par Nerial / Creative and Cool / Passe ton tour


I rarely do commissioned game design work. Every now and then, I get offers from publishers or other companies wanting a boardgame on some specific theme. I usually accept only when the theme sounds really exciting and when I have at once an idea which seems worth studying and playtesting. More often, I forward the commissioner to Bruno Cathala, and now to the Kaedama team, which are better at that kind of job.

Luckily, there are sometimes offers I can’t and don’t want to decline. Designing a card game based on Reigns, an adorable video game with a subtle dark humor, was one. When I was first contacted by the Reigns team, François Alliot, Arnaud de Bock and Thomas Bidaux, in autumn 2018, I wanted to accept but didn’t really know how to start with the project. I suggested we asked my friend and neighbor Hervé Marly, who is great at fun party games, to work with me on the project. They told me they were all fans of Skull and that he was the next one in the list of designers they wanted to ask, so the deal was done.

The very fact that the Reigns team had thought of contacting me or Hervé, and not better know designers such as Antoine Bauza or Bruno Cathala, was already a hint. They wanted a light and fun game, more about talking, storytelling and bluffing than about tactics or strategy. So Hervé and I intensely played Reigns on our iPhone for one or two weeks in order to take in the game’s atmosphere before we started really working on our card game mechanisms.


The Reigns team playtesting the game at the Game Designers Conference in San Francisco

In the Reigns phone game, the player is the king, and his only goal is to survive as long as possible. Every round, one of his counsellors makes a proposal – attack the eastern barbarians, build a palace, give money to the church… – and the player swipes to the left or right, like in Tinder, to accept or refuse the proposal. The game’s fun is in the proposals, the way they are interwoven, and their impact on the kingdom’s health. We immediately agreed that the only way to recreate this fun in a card game was to have the players, and not the game, tell the story.

In Reigns – The Council, one player is the king, and all the other ones are his counsellors, each one with a different secret objective. The counsellors improvise their suggestions based on cards. The first version of the game was completely freeform, the only informations on the cards being the effect of an acceptation or a refusal on the four kingdom health tracks, church, army, people and treasury. It was not enough, some players could not really improvise, and some proposals were not consistent at all with the effects on the cards. We added keywords on the cards – Dragon, Crusade, Tavern Princess – to guide the players and give them a starting point. this was too much, and many players interpreted this more like an obligation to use the exact word in their speech than as a thematic hint. So the next step was to replace these words with symbolic icons, giving more flexibility – and making the game really international, which was obviously a plus for our publisher.

The Reigns team works in London, but they made the trip to Paris to discuss the game and play together. Thomas went to my ludopathic gathering, but we didn’t play that much Reigns – The Council there. Then we each play tested on our side of the channel, and the returns were more or less the same, which made the final development relatively easy.

Once we had decided to have icons on the cards, all we had to do was fine tuning, choosing the icons on every card, replacing the few ones players didn’t like or didn’t understand. One important feature of the phone game was still lacking, the king’s death. François Alliot had the idea to ask the player who caused the end of the reign to tell the story, giving them the opportunity to score a few extra points. All in all, this was a job fast and well done, since we really started working in January and the game was finalized early July.

During the last developments on the game, I took part in several game fairs and other game events. In May 2019, I went to a game designers meeting in Switzerland, in Vevey, organized by Sébastien Pauchon. One or two weeks before or after, I don’t remember precisely, I met Antoine Bauza and his team at the Cafetière in Valence. In June, it was the paris est ludique game fair. On all of these occasions, I met game designers who told me they also had thought of a Reigns card game. One of them detailed his idea, which was very different from our – players were to be rival kings facing the same events, generated by a deck of cards. Hervé and I have decided to get away from some of the phone game mechanisms in order to be more true to its humor. You will tell us if we were successful.

After the success of the Kickstarter campaign, Reigns has been unavailable for while, but it’s now back with a new small publisher, Creative and Cool / Passe ton tour. Though the game has rules in both French and English, it is only sold in France so far, but I hope it will soon reach at least UK and the US.

Reigns
A party game by Bruno Faidutti & Hervé Marly
Art by Arnaud de Bock & Hervé Marly, inspired by Mieko Murakami’s art for Reigns
3 to 6 players – 30 minutes
Published by Nerial / Creative and Cool / Passe ton tour

L’imagination dans la boite, les paradoxes de la création de jeu de société
An open mind in a closed box, the paradoxes of boardgame design

Je ne suis pas de ces profs qui donnent aux élèves une méthode toute prête, avec l’illusion qu’elle puisse convenir à tous les tempéraments. Je glisse quand même quelques conseils qui me semblent pouvoir s’appliquer de manière assez générale, et notamment celui de ne jamais commencer à rédiger un texte avant d’avoir un plan, et donc une idée assez précise de ce que l’on va dire. Bref, réfléchir avant de commencer à écrire, ce qui n’interdit bien sûr pas de continuer à réfléchir quand on écrit.

Je ne donnerais pourtant pas ce conseil aux auteurs de jeu, et cela illustre un peu les limites du rapprochement entre la création ludique et le travail d’écriture, qu’il s’agisse d’articles, d’essais ou de romans. Contrairement à celui qui rédige un texte, l’auteur de jeu part toujours un peu à l’aventure, sans schéma préétabli, sans « roadmap » – encore un mot anglais qui n’a pas vraiment d’équivalent en français. S’il sait exactement où il veut aller, quel thème, quel style, combien de joueurs, quelle durée, il n’arrivera sans doute nulle part. L’auteur de jeu n’écrit pas une histoire, n’expose pas une théorie, il construit de bric et de broc, par approximations successives, un système qui ne peut pas vraiment avoir de sens intrinsèque mais qui fonctionne – ou pas. C’est une activité qui tient plus de la cuisine ou du bricolage que de l’écriture, il y faut savoir improviser, réagir, ne surtout pas être tenu par un cadre trop contraignant – ce qui est paradoxal car le jeu est, lui, la structure la plus rigide qui soit. C’est pour cela que je n’ai aucun problème pour travailler avec des éditeurs dont les opinions politiques sont assez éoloignées des miennes, et que le seul discours politique ou litéraire que je tienne parfois, assez rarement, dans mes jeux prend la forme de citations ou de gags, et non d’une argumentation que la structure même du jeu rendrait simpliste ou malhonnête.

En anglais, penser « hors des sentiers battus » se dit penser « out of the box », hors de la boite, expression récente et dont l’origine est d’ailleurs dans le monde du jeu. La fonction du jeu est de créer, pour un temps limité, un cadre intellectuel réglé fermé et rassurant à l’intérieur duquel les joueurs puissent penser quelques temps sans le moindre risque de sortir de la boite. L’auteur de jeu doit pourtant lui, dans une certaine mesure, être capable de sortir un peu de sa boite – pas trop loin quand même, car créer des jeux reste un peu un jeu, une activité dont l’intérêt vient largement de ce qu’elle est inutile.

Cela renvoie à un autre paradoxe. Alors que le jeu est une activité sociale, exercée en groupe et souvent après quelques verres, les auteurs de jeux sont, dans leur grande majorité, des gens qui ont un tempérament plutôt solitaire. Les studios, comme Kaedama ou Prospero Hall, sont rares, et l’immense majorité des auteurs travaillent le plus souvent seuls. Je sais qu’il peut m’arriver de généraliser à partir de mon cas personnel, mais je peux vous assurer que, sur ce point, j’ai fait quelques stats et elles sont assez impressionnantes. Lors des salons ludiques, j’ai souvent constaté que les auteurs, moi le premier, restaient bien plus souvent à méditer dans leur coin que les illustrateurs, les éditeurs, les commerciaux et, surtout, les joueurs. Pour autant, les auteurs de jeu aiment jouer, et jouer avec d’autres, tout comme les écrivains aiment lire et les musiciens écouter de la musique – mais il est vrai que l’interaction sociale générée par les jeux est un peu particulière.

On m’objectera peut-être que je suis, justement, l’un des auteurs ayant publié le plus de jeux conçus avec un coauteur. C’est effectivement le cas, mais le travail de conception du jeu, souvent avec un co-auteur se trouvant à l’autre bout du monde, relève plus souvent du relais, chacun travaillant à son tour et répondant aux blocages rencontrés par son partenaire, que de la collaboration. Les réunions de brain-storming à deux autour d’une table, ou même d’un appel video, sont relativement rares – à l’exception souvent de celle qui lance le projet, et c’est justement pour cela que le co-autorat est particulièrement difficile. En effet, les deux auteurs s’entendent généralement au début sur un projet, une feuille de route, et cela  rend plus difficile que pour un projet en solo les changements de thème ou de mécanique en cours de route, les rebonds pour faire un jeu finalement bien différent du projet initial, bref, cette ouverture souvent nécessaire à la réussite.

Tout cela renvoie à la nature des interactions sociales créées par les jeux de société – je ne parlerai pas ici des jeux video ou des jeux de rôles, dont le cas est assez différent et, je pense, plus complexe. Certes, les jeux créent de l’interaction sociale mais, parce qu’il faut comme je l’ai dit plus haut rester « dans la boite », l’interaction et la capacité d’initiative (ce que les anglophones appellent « agency », encore un mot anglais sans équivalent français) restent superficielles, limitées, encadrées. L’une des grandes qualités sociales du jeu est d’ailleurs de permettre de passer un bon moment avec des gens que l’on connaît, que l’on aime bien, mais avec qui on n’a pas nécessairement envie de raconter sa vie ou de parler politique. Et quand on joue avec ceux avec qui l’on a l’habitude raconter sa vie ou parler politique, c’est justement pour prendre un break.

Cela nous amène à un troisième paradoxe, qui semble remettre en cause un peu tout ce que j’ai écrit jusque-là, le succès récent des jeux de société pour un seul joueur – qu’il est assez ironique, du coup, d’appeler « jeux de société ». Cela existe en fait depuis longtemps dans le jeu video, des énormes jeux ouverts aux réussites, et ces dernières sont plus anciennes encore sous forme de jeux de cartes – mon grand-père en faisait quand j’étais enfant. Rien de vraiment nouveau, et je ne pense pas que la mode actuelle perdure longtemps, tant l’ordinateur se prête mieux que la boite en carton aux activités solitaires. Je ne l’espère pas en tout cas, je ne semble pas très doué pour concevoir des jeux solo, ni même pour imaginer des versions solitaires de mes créations. J’entends dire beaucoup de bien de la variante solo de The Artemis Odyssey, mais c’est Serge Laget qui en était entièrement responsable, je n’ai fait qu’y jouer quatre ou cinq fois pour donner mon opinion.



As a teacher, I am careful not to promote to my student a unique studying method which should work for every one of them. I nevertheless give a few advice which, I think, are valid for everyone. One of them is to never start writing a text without having, at least, a plan, an outline, a precise idea of what they want to say. In short, think first and then write, even though one should keep thinking while writing. 

Surprisingly, I don’t’ give this same advice to wannabe game designers, and this is a good illustration of the major differences between boardgame design and other writing works, be they writing articles, essays or novels. Unlike the writer, the game designer usually starts without an outline of what they want to do, they go on an adventure without a roadmap. If you know exactly where you are going, what theme, what length, what style, how many players, you will probably end not going anywhere. The game designer is not telling a story, is not defending an opinion, is not explaining a theory. The game designer is working by successive approximations, and it feels as much like cooking than as writing – all the while building a game, meaning a closed and rigid structure entirely defined by its rules. This is why I have no problem working with publishers whose political ideas are very different from mine, and why the only political, social or literary discourse I sometimes smuggle in is made of a few discreet quotes and puns. Trying to do more, to develop a real reasoning, would be simplistic and/or dishonest.

I like the English expression “thinking out of the box”. The French nearest equivalent means something like “leaving the well-trodden paths”, which is not exactly the same idea. Thinking out of the box is a relatively recent expression, whose origin is, no surprise, in games. The function of a game is to imprison the players for a limited time in a small reassuring world, bound by clear and finite rules, a small world with no risk of thinking out of the box. The game designer, on the other hand, must be able to get out of the box – but not too far, since designing a game is still a bit of a game, an activity whose main point is that it has no point – it just has rules.

This brings us to a second paradox. While playing boardgames is mostly a social activity, mostly played in groups and after some wine or beer, most game designers are loners. Studios, like Kaedama or Prospero Hall, are the exception and most game designers usually work alone. I know that I too often generalize from my personal experience, but I can assure you it’s not the case here – I made a few stats, they are impressive. At game fairs, I’ve even noticed that game designers were meditating, alone, in a corner of the booth, much more often than illustrators, publishers, commercials and, most of all, players. They enjoy playing games, like writers enjoy reading and musicians enjoy other people’s music, but game design is not a social activity like gaming is. This social aspect should not be overstated, though.

This might sound surprising coming from a game designer who is well-known for his many co-designs, often with a co-designer in some far away country. I do it, I like it, but co-design is more often a relay, each designer in turn solving the issues and blockings met by the other, than a true collaboration. Brain-storming meeting at the same table, or even through video-calls, are relatively rare, except at the very beginning, and that’s why co-design, which has its plus, can also be more difficult. Usually, both designers first discuss a relatively precise idea before starting working on it, a project if not a roadmap. It makes major changes in theme or mechanism, or even bouncing to a completely different game idea, more difficult than in solo design, it constrains designers to stay more or less in the box they have initially designed.

True, games are creating social interaction and player agency, but these are extremely specific. I am only here discussing boardgames, since I think the issue is a bit different with video games and role-playing games. True, boardgames bring players around the same table, with drinks and snacks, but the interaction and agency (a word which unfortunately has no equivalent in French, so this paragraph was easier to write in English) they generate are superficial, limited by the rules and therefore, once more, strictly enclosed in the box. This is why one of the great qualities of boardgames is that they give an opportunity to have a good time with people we like but don’t really want to discuss politics or personal matters with. And when we play with people we use to discuss politics or personal stuff with, we enjoy the break.

There’s another paradox, which seems to negate most of what I’ve written here so far, the recent emergence of one player boardgames. This is still marginal, though, and not that new. There are already thousands of one players video games, being monster open world games or just phone solitaire games. Solitaire card games have been here for centuries, and my grandfather, the only person in my family with some interest in gaming, used to play it a lot. I have some doubts about the recent trend towards one player boardgames, because computer seem to be a much more convenient tool for solitaire gaming than cardboard. I’m also very bad at designing solo games. I’ve heard lots of nice things about the solo version of The Artemis Odyssey, but this part was only Serge’s work. I just played it a few times to check it worked – indeed, it does.

Légendes de l’Ouest et du Pamir
Legends of the west and the Pamir

La version « Legacy » des Aventuriers du rail, Légendes de l’Ouest, à laquelle je n’ai pas encore joué, a été généralement très bien reçue dans le petit monde du jeu de société. L’équipe qui l’a développé, Alan Moon, Matt Leacock et Rob Daviau, réunit quelques uns des meilleurs auteurs contemporains. Tout ce que j’ai lu me fait envie, et je vais sans doute me le procurer, même si je doute fort de pouvoir jamais réunir une équipe prête à faire les douze parties de la campagne. Sur les réseaux sociaux, ce jeu a fait l’objet de quelques critiques, féroces mais marginales, sur la manière dont il présenterait développement du réseau ferré aux Etats-Unis. Ces critiques me semblent mal fondées, et je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion de m’exprimer à la fois en tant que prof, historien, marxiste et auteur de jeux, et de m’étonner une fois encore de la propension de beaucoup, à gauche, à se tromper d’ennemi.

Comme il était difficile de répondre de manière argumentée en 280 caractères, j’ai décidé de développer un peu pour écrire ce post de blog. L’une des trois discussions a rapidement dérivé sur un sujet voisin, mon hostilité aux jeux éducatifs et ma méfiance envers les jeux « à message », même et surtout lorsque je suis d’accord avec le message. J’aborderai donc aussi un peu ce point en deuxième partie.

Certes, la nouvelle version des Aventuriers du rail, un jeu déjà classique, illustre de toute évidence, plus encore que l’original, une version fantasmée de la conquête de l’ouest, des rails sur la prairie. Le jeu, qui s’appelle « Légendes de l’ouest » et non « Histoire de l’ouest » ne s’en cache nullement. Même quelqu’un qui, comme moi, ne connait à peu près rien à l’histoire américaine, ne peut, au simple vu de la boite, avoir le moindre doute. Si cela ne suffisait pas, une note des auteurs dans les règles indique bien qu’ils sont parfaitement conscients de s’être inspirés des clichés (tropes) sur la conquête de l’ouest, lesquels ignorent largement son coût humain aussi bien pour les tribus indiennes que pour les travailleurs. Paradoxalement, cette note a peut-être aggravé le problème – en tant que prof, je sais que c’est souvent une erreur de prendre les élèves pour des idiots en leur disant des choses qu’ils ont déjà comprises.

Malgré cela, certains ont reproché à ce jeu de ne pas être fidèle à la réalité historique, voire d’être un peu raciste, puisqu’il ne met pas en scène les tribus indiennes sur les terres desquelles les voies ferrées ont été construites, et très pro-capitaliste, puisqu’il ne dit rien de l’exploitation des esclaves puis des cheminots pour construire ces mêmes voies. Le jeu n’est bien sûr ni l’un, ni l’autre, puisqu’il ne prétend nullement être historique et assume clairement, ce qui n’est pas le cas de bien d’autres jeux aux vaguement historiques, être fondé sur des clichés.

Cet univers romantique et un peu enfantin est sans doute l’une des raisons qui me donnent envie de jouer aux Aventuriers du Rail – Légendes de l’ouest. Je jouerai peut-être aussi avec plaisir à un jeu sérieux et militant prétendant « démystifier » la conquête de l’ouest en détruisant des clichés que personne ne prend plus vraiment au sérieux, mais je n’en suis pas certain car ce serait un autre jeu visant un autre public.

La vision romantique et fantasmée de l’histoire américaine qui apparaît dans Les Aventuriers du Rail mérite certainement d’être utilisée avec prudence, ce qui est le cas dans ce jeu, et éventuellement d’être étudiée et analysée. Je m’y étais un peu essayé il y a une dizaine d’années dans mon essai sur Décoloniser Catan, puis dans un article sur les jeux de trains. En français, des études critiques sur l’imaginaire médiéval dans les jeux ont été publiées ces dernières années, notamment par Anne Besson, centrées sur les jeux de rôles et les jeux video ; la conquête de l’ouest, même si le thème est moins prégnant dans le jeu de société, mériterait le même traitement. Des universitaires américains travaillent sans doute sur le sujet ; je n’ai pas vraiment cherché, mais si on m’envoie un article sérieux, je le lirai avec plaisir.

Les critiques ne reprochent en fait pas vraiment à ce jeu de ne pas être historique, ils le condamnent surtout pour ne même pas essayer de l’être, pour ne pas prendre son thème au sérieux. Si j’ai pu apprécier quelques jeux au thème historique très sérieux, comme récemment Pax Pamir, je n’ai jamais confondu une partie de jeu et un cours d’histoire. J‘ai dans un coin de ma tête une vague idée de jeu de cartes sur les débuts de l’ouverture du Japon vers l’Ouest dans les années 1850, mais si ce projet aboutit, le ton en sera sans doute plus léger et ironique. Bon, j’espère que Cole Wehrle ne va pas m’écrire qu’il a déjà commencé à bosser sur ce sujet, qui lui irait assez bien.
En regardant sur les étagères où se trouvent mes jeux publiés, je n’en vois que trois au thème vaguement historique, Mystère à l’Abbaye, La Vallée des Mammouths et Silk Road. Aucun des trois, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a le moindre contenu historique un peu sérieux.

L’idée que les jeux de société devraient toujours prendre leur thème au sérieux me gène énormément. Elle implique en effet que, contrairement aux auteurs et aux critiques, les joueurs ordinaires seraient des idiots incapables de regard critique, de faire la différence entre l’histoire et la légende, entre le premier et le second degré. Elle sous-entend surtout que les jeux tireraient leur valeur de leur caractère éducatif. J’ai déjà sur ce site expliqué pourquoi je n’utilise pas les jeux dans mes cours, et pourquoi je considère l’idée même de jeu éducatif comme un oxymore dévalorisant aussi bien pour les enseignants que pour les auteurs de jeu.

On peut apprendre très efficacement l’histoire en lisant des livres d’histoire. On le peut encore, même si cela prend beaucoup plus de temps, en lisant des romans, en regardant des films, en pratiquant certains jeux video ou jeux de rôles, si l’on prend garde à ce que l’intrigue ne prenne pas le pas sur le contexte. Les jeux de société, entièrement centrés sur leurs règles, peuvent difficilement avoir la même profondeur psychologique, la même subtilité dialectique, ou même simplement apporter la même quantité d’informations. C’est pour la même raison qu’il est rarissime qu’ils parviennent à faire passer un message politique sans sombrer dans la caricature.

J’ai déjà bien du mal, dans mes cours, transmettre tout le contenu sur lequel je souhaite faire réfléchir mes élèves, je n’y parviendrais jamais si je devais utiliser comme médiateur un outil aussi complexe et rigide qu’une règle de jeu. Je n’ai pas de temps à perdre avec des règles, et j’ai besoin de la souplesse, des possibilités d’improvisation, de discussion et d’adaptation que seul le cours oral peut apporter. Pax Pamir, sans doute le plus réfléchi et le mieux documenté des jeux de société sérieusement historiques auxquels j‘ai joué, et celui auquel j’ai leplus pris de plaisir, demande deux heures de jeu pour un contenu qui tiendrait sur un article d’une vingtaine de pages ou un podcast d’une demi heure . C’est un excellent jeu, surtout quand on connaît déjà un peu son thème, mais c’est un outil pédagogique bien peu performant. On peut d’ailleurs finir la partie sans savoir qui a gagné (les anglais ont perdu, les russes n’ont pas vraiment gagné).

Il y a une dizaine d’années, je terminais mon essai sur le tropisme colonial dans les jeux de société en expliquant que le problème était moins le recours aux clichés historiques et/ou exotiques que le fait que ce recours soit parfois inconscient et trop rarement assumé et/ou ironique. Au vu des évolutions récentes du petit monde du jeu, je pense que j’aurais dû insister plus encore sur ce dernier point. Dans Les Aventuriers du Rails – Légendes de l’Ouest, les clichés sont parfaitement conscients et revendiqués. Comme le remarque une astucieuse critique, le jeu ne donne pas une vision biaisée de l’histoire, il s’en débarrasse et la jette par la fenêtre. Beaucoup d’auteurs, moi le premier, procèdent fréquemment ainsi, et ceux qui le font consciemment et le revendiquent sont ceux auxquels il est le moins légitime de le reprocher.

Dans l’une des trois discussions sur Twitter et Bluesky qui sont à l’origine de cet article, Cole Wehrle, auteur notamment du très sérieux Pax Pamir et du plus ironique Root, a très bien résumé le problème : «  je pense que nous condamnons trop facilement des jeux, alors qu’il y a de bonnes raisons pour lesquelles ils ignorent un point particulier. Il n’en reste pas moins important d’analyser les jeux (et les livres) et de s’interroger sur les effets de leurs mises en scène. »



The legacy version of Ticket to Ride, which I’ve not played yet, seems to be very well received in the small gaming world, which is not surprising given the great team of designers, Alan Moon, Matt Leacock and Rob Daviau. Everything I’ve read about it makes me want to play it, and I will certainly get a copy soon, even when I doubt being able to get a stable team of players ready to play the twelve parts of the campaign. On social networks, however, there has been some marginal but fierce criticisms of the way it is describing the rail network development in the US. I think these criticisms are ill-founded.

I could not let pass an occasion to speak at the same time as a historian (with a PhD), a teacher (of social sciences), a Marxist (though not always the most orthodox one) and a game designer (with nearly a hundred games under my belt), and to highlight the growing propension of many western leftists to pick the wrong enemy. Since it was hard to really explain my point in 280 characters, better write a blog post. One of the three simultaneous discussions on the subject rapidly digressed on a slightly different topic, my hostility to educative games and my reluctance to games trying to deliver a message – even and may be even more when I agree with the said message.

The action in Ticket to Ride – Legends of the West obviously takes place in a romantic fantasied version of the American frontier story, rails on the prairie. The game doesn’t try to hide this – it’s named “Legends of the West”, not “History of the West”. Even someone like me, who knows nearly nothing of American history, should notice it at first glance. If there were still doubts, a larged boxed paragraph in the rules even specifies that the game is inspired by tropes of the old west, which ignore the human cost for both Indian tribes and rail workers. Paradoxically, this note might have aggravated the issue – as a teacher, I know it’s usually a bad move to take students for idiots with telling them what they obviously already know. On the other hand, well, you never know exactly who will play your game.

Despite these carefully laid caveats, the game has been criticized for not being historically faithful, or even for being vaguely racist, since it doesn’t feature the native tribes whose territories these tracks were laid on, and definitely pro-capitalist, since it ignored the exploitation of slaves and other rail workers in building the network. It is neither one nor the other, since it doesn’t pretend to be historical, and the designers clearly assume having built it on clichés and tropes. And, yes, this romanticized and even a bit childish background is one of the reasons why I’m eager to play this new Ticket to Ride. I might enjoy as well a more serious and political game aiming at debunking the American railway myths, but I’m not sure of it and, anyway, it would be a completely different game aimed at a different market niche.

The fantasy version of the American railway history which appears in Ticket to Ride – Legends of the West certainly requires to be used with care, but it clearly is here, and even to be studied and analyzed. I vaguely touched on this a dozen years ago in my essay about Postcolonial Catan, before the idea was fashionable, and in a blogpost about train games. I’ve read a few interesting academic studies of the image of the Middle Ages in games, though in French and mostly about video and role-playing games, among others by Anne Besson. Even when it is a less pervasive setting, the old west certainly deserves the same type of research. I bet there are already American scholars working on it, and if someone sends me an article, I will gladly read it. 

In the end, what some critics reproach to the new Ticket to Ride is not that it is not historically faithful, it is that it doesn’t even try, that it doesn’t consider its setting to be something serious.
I have enjoyed a few serious historical games, the last one being
Pax Pamir, but I have never considered them to be a lecture in history. I have a very vague idea for a card game about the opening of Japan to the West in the 1850s, but if I ever finish it, it will probably have a more tongue in cheek feel. Well, let’s hope I won’t get a mail from Cole Wehrle saying he’s already working on this topic, which would fit him quite well.
When I look up at the shelves with my published games, I see only three with vaguely historical settings,
Mystery of the Abbey, Silk Road and Valley of the Mammoths. None has the slighest amount of serious historical content or discourse, even when I could have done it for the first one.

As an historian who, for forty years, has mostly designed game based on ridiculous fantasy settings, I find the idea that games should always take their setting seriously very disturbing. It implies that, unlike game designers and reviewers, average gamers are unfazed idiots, unable of any critical view, unable to make the difference between fantasy and history. It is also linked to the idea that the value of games is in their educational use. I have already explained on this blog why I consider the idea of « educational games » to be an absurdity which belittles both game designers and teachers.

One can learn history very effectively with reading history books. One can learn some bits of it with reading novels, watching movies or playing some video or role playing games, providing one is careful not to let the intrigue take over the context. Boardgames, being terribly rules-centric, cannot have the same psychological depth, the same dialectical subtlety, or even only bring the same amount of information. For this same reason, boardgames are not really adapted to the transmission of political messages, and those which try do it usually end up being simplistic.

I already struggle to bring to my students all the content I want them to think over, I cannot imagine having to do this through a media as rigid as game rules. I’ve no time to lose on rules, and I need the free-form flexibility, the possibility to react, discuss and improvise which only exists in oral and relatively freeform lectures. Even Pax Pamir, the best example I’ve played of a well thought out and documented historical boardgame, and one I'(ve had great pleasure un playing, takes two or three hours to bring the content one could learn reading a 20 pages article or listening to a 30 minutes podcast. It’s great to play as a game, especially if you already have some knowledge of the subject. it’s inefficient as a teaching tool.

A dozen years ago, i ended my long blogpost, or short essay, on the colonial tropes in boardgames with explaining why the real issue was not the use of historical / exotic clichés but the fact that this use was too often unconscious and too rarely assumed and/or ironic. In the light of what a part of the boardgaming scene has become since, I think I should have emphasized the last point even more. Anyway, in Ticket to Ride – Legends of the West, the clichés are conscious and assumed. It doesn’t give a wrong or biased version of history, it gets rid of history and throws it out of the window (see this clever review). That’s what most game designers do, and I don’t think it can be reproached to those who do it honestly and clearly.

Cole Wehrle, designer of the very serious Pax Pamir and the more tongue in cheek Root, summarized this very well in one of the three simultaneous Twitter and Bluesky discussions which made me write this blogpost « I think we often are too quick to call out erasure when, in fact, there are other good reasons why a game is not covering a particular element. Of course, I still think it’s important to scrutinize games (and books) and to consider the consequences of their framing. »

Archive de la ludothèque idéale
An archive of the ideal game library

Iain Cheyne a récupéré, grace à la machine à voyager dans le temps d’Internet, The Wayback Machine, l’ensemble des critiques de jeux que j’avais publiées sur mon site dans les années 2000, sous le nom un peu prétentieux de ludothèque idéale.

Les raisons pour lesquelles j’avais cessé de mettre à jour, puis entièrement effacé, cet ensemble de 700 et quelques petites critiques de jeux de société sont multiples.
Il y a bien sûr une explication technique, le site et la base de données étaient obsolètes et devenaient difficiles à mettre à jour, mais ce n’est pas l’essentiel.
La ludothèque idéale avait du sens à une époque où il était encore possible à une personne isolée comme moi de plus ou moins tout savoir sur les jeux de société publiés, et donc d’en présenter une vision encyclopédique. J’ai donc cessé lorsque les sorties sont devenues trop nombreuses. La seule démarche encyclopédique possible aujourd’hui, quand il sort plus de mille jeux par an, est celle de sites communautaires comme le Boardgagegeek.
Enfin, concevoir des jeux est peu à peu devenu mon métier. Même en me restreignant comme je le faisais délibérément à ne publier que des critiques positives, être à la fois auteur et critique me mettait de plus en plus souvent en porte à faux.

Beaucoup ont regretté la disparition de ces critiques de jeux. Récupérées par Iain Cheyne et publiées aujourd’hui sur le boardgamegeek, elles ont surtout un intérêt historique. Elles nous renvoient à une époque où les jeux étaient moins nombreux et, pour la plupart, plus méchants et moins sophistiqués – ce qui peut être un bien ou un mal.
En scrollant rapidement dans la très longue page reprenant toutes ces critiques, je constate avec surprise que j’ai entièrement oublié une grande partie de ces jeux que j’avais pourtant suffisamment aimé pour en faire des critiques élogieuses. Je suis aussi assez étonné de voir que mon anglais, dont je pensais qu’il avait surtout progressé ces dernières années, n’était déjà pas si mauvais.

Bref, si cela vous amuse, c’est là :



Using the internet time travel machine, The Wayback Machine, Iain Cheyne managed to get back all the boardgame reviews I published on my website in the 2000s under a rather pretentious title, the ideal game library.

The ideal game library was a database of more than 700 short boardgame reviews, in French and broken English. had removed it from my website for several reasons.
First, there was a technical issue. the website and the game database were becoming obsolete. Maintaining and updating them was time consuming. This was not, however, the main reason.
The ideal game library made sense in a time when it was still possible for one single and dedicated person to know more or less everything about the games that were published, and to present them in a more or less encyclopedic way. I had to stop when the number of new publications became too high. With a thousand new games published every year now, the only way to keep maintaining a kind of encyclopedia or catalog of games, or even only of good games, is through a communautary website, like the Boardgamegeek.
Last, designing games has progressively become my main professional activity. Even when restricting myself to discuss games I was really enjoying, this was putting more and more often in awkward situations.

Many gamers have expressed their regret about the disappearance of these game reviews. Iain Cheyne got them back and has now published all of them on the Boardgamegeek. their main interest now is historical. They send today’s gamers back to a time when there were fewer boardgames, and when most of them were nastier and less sophisticated – which can be both good and bad.
I’ve scrolled rapidly through the long new ideal game library listing. I’m surprised to realize that I don’t remember anything of more or less half of these games I had liked enough to praise them in my reviews. I also notice that my written English was not as bad I thought it was, which also means it didn’t imrpove that much these last years.

Anyway, if you want to have a look, it’s there :