Santa’s Little Elves

Dans Santa’s Little Elves, vous êtes l’un des lutins vêtus d’un ridicule uniforme vert et rouge qui, dans l’atelier du Père Noël, fabriquent et emballent à la chaine les jouets destinés aux enfants du monde entier – enfin, surtout des pays où les parents ont assez d’argent pour acheter des jouets, car le Père Noël ne perd pas le Nord. Ce dernier est en effet un capitaliste de la pire espèce, qui vous exploite de manière éhonté, profitant de la rareté des offres de travail dans le grand nord.

Une partie des Lutins du Père Noël au kiosque à jeux de la Place de la République.

Le travail est éreintant et les salaires ridiculement bas. Les heures supplémentaires ne sont généralement pas déclarées, les possibilités de promotion sont inexistantes ou illusoires. L’usine est glaciale ; vous n’avez aucune idée de la date à laquelle le chauffage sera réparé, mais certainement pas avant la fin de la campagne d’hiver. Les situations de harcèlement sont également récurrentes. Seule consolation, ce n’est pas vraiment mieux pour vos camarades qui travaillent au tri des lettres, ni sans doute pour ceux du centre d’appel récemment délocalisé en Antarctique. Sans même parler de ces pauvres rennes, enfermés tout l’été dans un hangar sordide avant d’être contraints, tout l’hiver, de galoper dans la neige avec un costume et des cloches ridicules.

Solidarité et conscience de classe n’étant pas vraiment le point fort des lutins, il serait vain d’espérer pouvoir organiser une grève. Du coup, vous avez décidé de prendre votre destin en main, en volant des jouets sur la cabine pour les revendre sur ebay, tombé du traîneau. Bien sûr, vos petits cons de collègues font la même chose, et chacun espionne ses voisins, espérant les prendre sur le fait pour les faire chanter ou les dénoncer au patron.

Dans cette ambiance de rêve, le vainqueur sera bien sûr le plus riche à la fin de la partie, qui pourra quitter l’usine et se payer une croisière de rêve dans les Caraïbes. Les autres devront se contenter de quelques bières à la taverne du coin, et tant pis si le tavernier est un pote du patron.

Ceux qui connaissent bien mes jeux ne seront guère surpris par ces Petits lutins du Père Noël, un jeu de cartes simple et rapide, tout entier construit sur le bluff et la psychologie, dans la même famille que Dolorès, Waka Tanka ou Venture Angels. Conçu il y a plusieurs années de cela, ce jeu de cartes est resté dans mes cartons assez longtemps. Plusieurs éditeurs s’y sont intéressés, mais ils voulaient soit changer un thème auquel je tenais parce que je le trouvais drôle et politique, soit rendre plus complexe un jeu dont le charme réside en partie dans sa simplicité.

Le seul changement que je regrette un peu concerne la liste des jouets. Dans mon prototype, les jouets du père Noël était extrêmement typés, genrés comme on dit aujourd’hui, des poupées et des cuisines roses pour les filles, des voitures et des jeux de construction pour les garçons. Cela gênait d’autant plus les lutins qu’ils ne sont eux-mêmes pas très clairs sur les questions de genre. Craignant que certains joueurs ne prennent cela au premier degré, l’éditeur a remplacé cela par une distinction entre jouets technologiques (avec la technologie des années quatre-vingt-dix parce que c’est plus rigolo) et jouets traditionnels. Je sais bien qu’il est toujours plus prudent de prendre les joueurs pour des imbéciles, il y en a toujours quelques-uns dans le lot, mais c’est dommage quand on leur enlève une occasion à la fois de rire et de réfléchir. Enfin, c’est un peu moins drôle, mais cela devrait marcher aussi bien. Dans un jeu aux mécanismes finalement très simples, cela passera peut-être mieux auprès des plus jeunes joueurs qui n’ont pas connu l’époque des jouets hyper-genrés, des poupées Barbie et des maquettes d’avion. Pour le reste, toute ma petite histoire de lutins pré-marxistes, classe en soi mais pas pour soi, est bien là, et c’est l’essentiel.

Les règles très simples de Santa’s Little Elves mettent certes le jeu à la portée de tous, mais son thème ne doit pas faire croire qu’il n’est destiné qu’aux enfants. C’est aussi un jeu de bluff bien fourbe qui devrait plaire aux habitués de mes petits jeux de cartes.

Santa’s Little Elves
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Marlies Barends
3 à 5 joueurs – 20 minutes
Publié par Matagot / TGG / Knight and Day games (2023)


You’re one of Santa Claus Elves, in a ridiculous red and green uniform, working on the factory line all year long, manufacturing toys for kids from the whole world, or at least from the countries where parents are rich enough to buy kids toys. Stupid rich kids who never heard of you, and who probably would not care if the had. Santa Claus, a capitalist of the worse kind, is clearly exploiting you, taking advantage of the scarcity of jobs in the far North. 

Playtesting Santa’s Little Elves at the Ludopathic Gathering.

Exhausting work, bad pay, no pay at all for overtime, no consideration, no summer holidays, no career prospects. The factory is ice cold, and you have no idea when the heating will be fixed, but certainly not before the end of this winter season. Harassment issues are commonplace. It’s probably not better for your comrades sorting letters, and certainly even worse for those at the after-sales hotline, recently outsourced to Antarctica.And there are serious work harassment problem. Worst of all, the factory is terribly cold and you’ve no idea when the heating will be fixed. And better not talk about these poor reindeers, spending the whole summer in a dirty shed and running all around the world in the cold winter with ridiculous bells.

Solidarity and class consciousness are not elves’ strong suit, so you’ve decided to help yourself. On every occasion, you steal small toys from the line, and try to sell them on eBay as fallen of the back of the sledge. Of course, your nasty colleagues are all doing the same. They’re also spying on you, and will report you when caught, unless you give them what you have stolen.

The elf with the most cash at the end of the game is the winner, resigns from the job and goes for a two-month cruise in the Caribbean. The other elves have still enough cash for a few beers at the local tavern – and, yes, this means the money goes back to Santa Claus, who also owns the tavern, but that’s life.

Those who know my card games won’t be surprised by Santa Claus’ Elves. It is a simple and fast paced bluffing card game, entirely built on bluffing and psychology, a bit like my Dolores, Waka Tanka or Venture Angels. I have designed it a few years ago, but it has stayed unpublished because I was waiting for a publisher willing to keep both the simplicity of the core mechanism and the fun storyline, and many wanted to make the game more complex, or to go for a less political setting.

There’s one change I regret a bit, with the list of toys. My prototype had two categories of terribly gendered toys, dolls and pink plastic kitchens for girls, cars and construction sets for boys. This was one more problem for the elves, most of which are not clearly settled on gender issues. The publisher was afraid some gamers would take this at face value, even when the rest of the game is obviously parodic. The publisher replaced this with two other categories, traditional and modern toys – modern meaning from the nineties, because it looks nicer. I know it’s always safer to treat gamers as fools, there must be a few ones in the crowd, but it also means removing opportunities to both laugh and think. It’s not as fun, but it works as well and will probably make more sense with younger gamers who didn’t know the time of Barbie dolls and airplane models. And anyway, all the rest of my little proto-marxist elves story, class in itself but not for itself, is still there, and that’s what matters.

Santa’s Little Elves has short and simple rules, and can be played by kids, but you must not be fooled by its topic and title – it’s not just for kids. Played with the right crowd, it can also become a nasty bluffing game, like many of the small card games I have designed.

Santa’s Little Elves
A game by Bruno Faidutti
Art by par Marlies Barends
3 to 5 players – 20 minutes
Published by Matagot / TGG / Knight and Day games (2023)

Retraite et projets
Retirement projects

Cela fait maintenant une trentaine d’années que je mène de front deux activités professionnelles, la conception de jeu de société et l’enseignement. J’aurais très bien pu cesser d’enseigner et vivre très confortablement des droits d’auteur de mes quatre ou cinq jeux qui se vendent assez régulièrement, mais j’avais fait le choix de continuer à enseigner, quoique depuis une dizaine d’années seulement à mi-temps. Je ne voulais en effet pas vraiment envie d’arrêter un boulot épuisant mais que j’aime bien et dont l’utilité sociale est indiscutable, ce qui est moins le cas de la conception de jeux.

Dans deux mois, au 1er février 2024, je prendrai ma retraite de l’éducation nationale et cesserai d’enseigner l’économie et la sociologie. J’aurais pu continuer encore quelques années, mais je me suis dit que c’était l’une de mes dernières occasions de passer un peu à autre chose – c’est à dire sans doute à un peu plus d’activité dans le monde du jeu de société, que j’aime beaucoup aussi. Le contact avec des gens très différents, que ce soit parmi les élèves ou les profs, me manquera peut-être, tout comme le sentiment de servir à quelque chose. Et si l’enseignement me manque vraiment trop, je ferai quelques remplacements.

Je ne vais sans doute pas me mettre à concevoir plus de jeux. Il ne suffit pas de s’asseoir à son bureau pour que les idées surgissent, et il est peu probable que leur rythme s’accélère. Je serai en revanche, à compter du 1er février, beaucoup plus disponible pour participer à des salons ludiques un peu partout, pour promouvoir mes créations dans les boutiques et les bars à jeux, pour faire le tour des éditeurs avec mes prototypes sous le bras, et pourquoi pas pour des boulots plus formels – développement, traduction, relecture, écriture de règles et plus ou moins tout travail éditorial dans le petit monde ludique. Je ne compte pas, comme Antoine Bauza, me lancer moi-même dans l’édition, la gestion d’entreprise ne m’excitant pas vraiment, mais je suis tout à fait prêt à travailler un peu, ici ou ailleurs, en français ou en anglais, pour un éditeur sympathique et sur des jeux que j’apprécie.

Bref, je n’ai pas d’idée très précise de ce que je veux faire, je ne suis pas absolument obligé de faire quelque chose, mais je suis à l’écoute et espère recevoir plein d’invitations et de propositions intéressantes.



For thirty years now, I have been juggling with two day jobs, teaching and designing boardgames. While I could have stopped teaching and lived pretty well from the royalties on my four or five games with relatively consistent sales, but I had decided to keep on teaching, albeit part-time only for the last dozen years. I was reluctant to quit a job extremely demanding but also morally fulfilling, and with a clear social utility – a quality less apparent with game design.

In two months now, on the 1st of February, I will retire from my job as a teacher of economics and sociology. I could have stayed a few more years, but it’s probably one my last opportunities to try something else. This likely means being more active in the little boardgaming world, which I also enjoy quite a bit. I will probably miss the interactions with very different people, be they students or teachers, and the feeling of being socially useful, but if it becomes too hard, I will undertake short time replacements.

I will probably not design more games. Simply sitting a few hours more at my desk is unlikely to spark more ideas, and it is unlikely that inspiration will suddenly strike more often. However, starting on February 1st, i will be have more time for visiting game fairs all over the world, for promoting my games in shops and game cafes and to tour publishers with a big bag of prototypes. I will also become available for occasional more formal jobs, such as game development, translation, proof reading, rules writing, and any other editorial tasks. I have no intention of starting a publishing company, like Antoine Bauza is doing, being totally uninterested in daily company management, but I’m available for short term assignments here or there, in French or in English, with games and people I like.

I don’t have a precise idea of what I will do. I don’t really need to do something, but I’m here, I’m available and I expect to have lots of invites and intriguing propositions coming my way.

A question for English speakers: I asked ChatGPT to correct my English text, something I had never done before. I didn’t incorporate all the changes it suggested, but I did adopt many of them. In your opinion, does this text represent an improvement in my English compared to my usual writing ?

Reigns – The Council

Il est assez rare que je travaille sur commande. Je reçois de temps à autre des propositions d’éditeurs, ou d’autres, désirant un jeu sur un thème particulier, mais je ne donne suite que si le sujet m’amuse vraiment et si j’ai assez rapidement une idée qui me semble mériter au moins d’être approfondie et essayée. Sinon, je renvoie le demandeur sur Bruno Cathala, et depuis peu sur l’équipe de Kaedama, que je sais plus à l’aise avec ce type de boulot.

Parfois, heureusement, il y a des offres que l’on ne peut pas refuser. Concevoir un jeu de cartes à partir de Reigns, adorable petit jeu video à l’humour noir et malin, en était une. Il reste que lorsque j’ai d’abord été contacté par l’équipe de Reigns, François Alliot, Arnaud de Bock et Thomas Bidaux, à l’automne 2018, je voulais répondre oui mais ne savais pas trop par quel bout prendre ce projet. J’ai donc proposé de mettre aussi sur le coup mon ami et voisin Hervé Marly, également grand amateur de jeux d’ambiance rigolos. Mes interlocuteurs étant également fans de Skull, m’ont dit qu’il était le suivant sur la liste d’auteurs qu’ils pensaient contacter, et ont donc immédiatement accepté.

Le fait que les auteurs de Reigns aient pensé à moi et à Hervé, et non par exemple Antoine Bauza ou Bruno Cathala, en disait déjà beaucoup sur la direction à suivre – un jeu léger et rigolo, avec plus de baratin ou de bluff que de tactique ou de stratégie. Hervé et moi avons donc intensément pratiqué Reigns sur nos iPhones pendant une ou deux semaines pour bien nous imprégner de l’ambiance avant de commencer à réfléchir à l’adaptation que nous pourrions en faire.

Une partie test au café jeux Meisia, à Paris

Dans le jeu video, le joueur est le roi, et son seul objectif de survivre le plus longtemps. À chaque tour, l’un de ses conseillers lui fait une proposition – attaquer les barbares de l’est, construire un palais, faire un don à l’église – qu’il accepte ou refuse en « swipant » à gauche ou à droite, comme dans Tinder. L’humour du jeu est tout entier dans les propositions, la manière dont elles s’enchainent, et l’effet qu’a l’acceptation ou le refus du roi sur l’état du royaume. Très vite, nous nous sommes dit que le seul moyen de recréer cet humour dans un jeu à plusieurs était de faire imaginer l’histoire par les joueurs.

Du coup, dans Reigns – The Council, si l’un des joueurs est le roi, les autres sont ses conseillers ayant chacun un objectif secret. Les propositions des conseillers sont représentées par des cartes. Dans notre première ébauche, les joueurs étaient totalement libres de raconter ce qu’ils voulaient, les seules informations figurant sur les cartes étant les effets d’une acceptation ou d’un refus par le roi sur les quatre « jauges » que sont l’église, l’armée, le peuple et le trésor. Laisser trop de liberté aux joueurs en bloquaient certains, et beaucoup de propositions n’étaient guère cohérentes avec les effets inscrits sur les cartes. Du coup, nous avons ajouté sur les cartes des mots clés – Dragon, Croisade, Taverne, Princesse… – pour tout à la fois encadrer les propositions des joueurs et leur donner un point de départ. Là, c’était trop directif, beaucoup de joueurs interprétant cela plus comme une obligation de caser les mots dans leurs discours que comme un guide à leur imagination. L’étape suivante a donc été de remplacer ces mots par des icônes, remplissant la même fonction mais de manière plus souple – et plus internationale, ce qui arrangeait bien notre éditeur.

L’équipe de Reigns travaille à Londres, mais ils ont fait le voyage pour nous rencontrer à Paris et faire quelques parties. Thomas est venu aux rencontres ludopathiques – où l’on n’a d’ailleurs finalement assez peu joué à Reigns ! Chacun a testé ensuite le jeu de son côté du channel, mais à quelques exceptions près les retours étaient plus ou moins les mêmes, ce qui a bien facilité le développement.

Dès que nous avons décidé d’avoir des icônes sur les cartes, tout n’a plus été qu’affaire de réglages, choix des dessins de chaque carte, remplacement de ceux qui n’inspiraient guère les joueurs ou n’étaient pas toujours bien compris. Il manquait encore un truc important dans le jeu video, la mort du roi, et c’est François Alliot qui a eu l’idée de demander au joueur ayant provoqué la fin du règne de la raconter, lui donnant ainsi l’occasion de marquer quelques points supplémentaires. Tout est donc allé très vite, puisque nous avons vraiment commencer à travailler en janvier 2019, et que le jeu était bouclé début juillet.

Durant les derniers développements de Reigns, j’ai participé à plusieurs salons et événements ludiques. Au mois de mai 2019, je me suis rendu à la rencontre d’auteurs de jeu de Vevey, en Suisse, organisée par Sébastien Pauchon. Un peu avant ou un peu après, je ne sais plus bien, j’ai rendu visite à Antoine Bauza et sa clique dans leur cafetière de Valence. En juin, c’était Paris est Ludique. À chacune de ces occasions, j’avais apporté mon prototype de Reigns pour faire quelques parties, et à chaque fois il s’est trouvé quelqu’un, un peu jaloux, pour me dire qu’il avait aussi pensé à faire une adaptation de Reigns en jeu de cartes. Le seul projet qui m’ait été un peu détaillé était parti dans une direction très différente de la nôtre, et plus proche du jeu video, les joueurs étant des rois rivaux devant gérer des problèmes identiques, entièrement gérés par un jeu de cartes. Hervé et moi avons fait le choix de nous éloigner plus des mécanismes du jeu, pour essayer de rester plus fidèle à son humour. Vous nous direz si nous avons réussi.

Après le succès du kickstarter, Reigns est resté assez longtemps indisponible, mais le voici de retour, début 2023, chez un nouvel éditeur, Passe ton tour.

Reigns
Un jeu de Bruno Faidutti & Hervé Marly
Illustré par Arnaud de Bock & Hervé Marly, inspiré du travail de Mieko Murakami sur Reigns
3 à 6 joueurs  – 30 minutes
Publié par Nerial / Creative and Cool / Passe ton tour


I rarely do commissioned game design work. Every now and then, I get offers from publishers or other companies wanting a boardgame on some specific theme. I usually accept only when the theme sounds really exciting and when I have at once an idea which seems worth studying and playtesting. More often, I forward the commissioner to Bruno Cathala, and now to the Kaedama team, which are better at that kind of job.

Luckily, there are sometimes offers I can’t and don’t want to decline. Designing a card game based on Reigns, an adorable video game with a subtle dark humor, was one. When I was first contacted by the Reigns team, François Alliot, Arnaud de Bock and Thomas Bidaux, in autumn 2018, I wanted to accept but didn’t really know how to start with the project. I suggested we asked my friend and neighbor Hervé Marly, who is great at fun party games, to work with me on the project. They told me they were all fans of Skull and that he was the next one in the list of designers they wanted to ask, so the deal was done.

The very fact that the Reigns team had thought of contacting me or Hervé, and not better know designers such as Antoine Bauza or Bruno Cathala, was already a hint. They wanted a light and fun game, more about talking, storytelling and bluffing than about tactics or strategy. So Hervé and I intensely played Reigns on our iPhone for one or two weeks in order to take in the game’s atmosphere before we started really working on our card game mechanisms.


The Reigns team playtesting the game at the Game Designers Conference in San Francisco

In the Reigns phone game, the player is the king, and his only goal is to survive as long as possible. Every round, one of his counsellors makes a proposal – attack the eastern barbarians, build a palace, give money to the church… – and the player swipes to the left or right, like in Tinder, to accept or refuse the proposal. The game’s fun is in the proposals, the way they are interwoven, and their impact on the kingdom’s health. We immediately agreed that the only way to recreate this fun in a card game was to have the players, and not the game, tell the story.

In Reigns – The Council, one player is the king, and all the other ones are his counsellors, each one with a different secret objective. The counsellors improvise their suggestions based on cards. The first version of the game was completely freeform, the only informations on the cards being the effect of an acceptation or a refusal on the four kingdom health tracks, church, army, people and treasury. It was not enough, some players could not really improvise, and some proposals were not consistent at all with the effects on the cards. We added keywords on the cards – Dragon, Crusade, Tavern Princess – to guide the players and give them a starting point. this was too much, and many players interpreted this more like an obligation to use the exact word in their speech than as a thematic hint. So the next step was to replace these words with symbolic icons, giving more flexibility – and making the game really international, which was obviously a plus for our publisher.

The Reigns team works in London, but they made the trip to Paris to discuss the game and play together. Thomas went to my ludopathic gathering, but we didn’t play that much Reigns – The Council there. Then we each play tested on our side of the channel, and the returns were more or less the same, which made the final development relatively easy.

Once we had decided to have icons on the cards, all we had to do was fine tuning, choosing the icons on every card, replacing the few ones players didn’t like or didn’t understand. One important feature of the phone game was still lacking, the king’s death. François Alliot had the idea to ask the player who caused the end of the reign to tell the story, giving them the opportunity to score a few extra points. All in all, this was a job fast and well done, since we really started working in January and the game was finalized early July.

During the last developments on the game, I took part in several game fairs and other game events. In May 2019, I went to a game designers meeting in Switzerland, in Vevey, organized by Sébastien Pauchon. One or two weeks before or after, I don’t remember precisely, I met Antoine Bauza and his team at the Cafetière in Valence. In June, it was the paris est ludique game fair. On all of these occasions, I met game designers who told me they also had thought of a Reigns card game. One of them detailed his idea, which was very different from our – players were to be rival kings facing the same events, generated by a deck of cards. Hervé and I have decided to get away from some of the phone game mechanisms in order to be more true to its humor. You will tell us if we were successful.

After the success of the Kickstarter campaign, Reigns has been unavailable for while, but it’s now back with a new small publisher, Creative and Cool / Passe ton tour. Though the game has rules in both French and English, it is only sold in France so far, but I hope it will soon reach at least UK and the US.

Reigns
A party game by Bruno Faidutti & Hervé Marly
Art by Arnaud de Bock & Hervé Marly, inspired by Mieko Murakami’s art for Reigns
3 to 6 players – 30 minutes
Published by Nerial / Creative and Cool / Passe ton tour

L’imagination dans la boite, les paradoxes de la création de jeu de société
An open mind in a closed box, the paradoxes of boardgame design

Je ne suis pas de ces profs qui donnent aux élèves une méthode toute prête, avec l’illusion qu’elle puisse convenir à tous les tempéraments. Je glisse quand même quelques conseils qui me semblent pouvoir s’appliquer de manière assez générale, et notamment celui de ne jamais commencer à rédiger un texte avant d’avoir un plan, et donc une idée assez précise de ce que l’on va dire. Bref, réfléchir avant de commencer à écrire, ce qui n’interdit bien sûr pas de continuer à réfléchir quand on écrit.

Je ne donnerais pourtant pas ce conseil aux auteurs de jeu, et cela illustre un peu les limites du rapprochement entre la création ludique et le travail d’écriture, qu’il s’agisse d’articles, d’essais ou de romans. Contrairement à celui qui rédige un texte, l’auteur de jeu part toujours un peu à l’aventure, sans schéma préétabli, sans « roadmap » – encore un mot anglais qui n’a pas vraiment d’équivalent en français. S’il sait exactement où il veut aller, quel thème, quel style, combien de joueurs, quelle durée, il n’arrivera sans doute nulle part. L’auteur de jeu n’écrit pas une histoire, n’expose pas une théorie, il construit de bric et de broc, par approximations successives, un système qui ne peut pas vraiment avoir de sens intrinsèque mais qui fonctionne – ou pas. C’est une activité qui tient plus de la cuisine ou du bricolage que de l’écriture, il y faut savoir improviser, réagir, ne surtout pas être tenu par un cadre trop contraignant – ce qui est paradoxal car le jeu est, lui, la structure la plus rigide qui soit. C’est pour cela que je n’ai aucun problème pour travailler avec des éditeurs dont les opinions politiques sont assez éoloignées des miennes, et que le seul discours politique ou litéraire que je tienne parfois, assez rarement, dans mes jeux prend la forme de citations ou de gags, et non d’une argumentation que la structure même du jeu rendrait simpliste ou malhonnête.

En anglais, penser « hors des sentiers battus » se dit penser « out of the box », hors de la boite, expression récente et dont l’origine est d’ailleurs dans le monde du jeu. La fonction du jeu est de créer, pour un temps limité, un cadre intellectuel réglé fermé et rassurant à l’intérieur duquel les joueurs puissent penser quelques temps sans le moindre risque de sortir de la boite. L’auteur de jeu doit pourtant lui, dans une certaine mesure, être capable de sortir un peu de sa boite – pas trop loin quand même, car créer des jeux reste un peu un jeu, une activité dont l’intérêt vient largement de ce qu’elle est inutile.

Cela renvoie à un autre paradoxe. Alors que le jeu est une activité sociale, exercée en groupe et souvent après quelques verres, les auteurs de jeux sont, dans leur grande majorité, des gens qui ont un tempérament plutôt solitaire. Les studios, comme Kaedama ou Prospero Hall, sont rares, et l’immense majorité des auteurs travaillent le plus souvent seuls. Je sais qu’il peut m’arriver de généraliser à partir de mon cas personnel, mais je peux vous assurer que, sur ce point, j’ai fait quelques stats et elles sont assez impressionnantes. Lors des salons ludiques, j’ai souvent constaté que les auteurs, moi le premier, restaient bien plus souvent à méditer dans leur coin que les illustrateurs, les éditeurs, les commerciaux et, surtout, les joueurs. Pour autant, les auteurs de jeu aiment jouer, et jouer avec d’autres, tout comme les écrivains aiment lire et les musiciens écouter de la musique – mais il est vrai que l’interaction sociale générée par les jeux est un peu particulière.

On m’objectera peut-être que je suis, justement, l’un des auteurs ayant publié le plus de jeux conçus avec un coauteur. C’est effectivement le cas, mais le travail de conception du jeu, souvent avec un co-auteur se trouvant à l’autre bout du monde, relève plus souvent du relais, chacun travaillant à son tour et répondant aux blocages rencontrés par son partenaire, que de la collaboration. Les réunions de brain-storming à deux autour d’une table, ou même d’un appel video, sont relativement rares – à l’exception souvent de celle qui lance le projet, et c’est justement pour cela que le co-autorat est particulièrement difficile. En effet, les deux auteurs s’entendent généralement au début sur un projet, une feuille de route, et cela  rend plus difficile que pour un projet en solo les changements de thème ou de mécanique en cours de route, les rebonds pour faire un jeu finalement bien différent du projet initial, bref, cette ouverture souvent nécessaire à la réussite.

Tout cela renvoie à la nature des interactions sociales créées par les jeux de société – je ne parlerai pas ici des jeux video ou des jeux de rôles, dont le cas est assez différent et, je pense, plus complexe. Certes, les jeux créent de l’interaction sociale mais, parce qu’il faut comme je l’ai dit plus haut rester « dans la boite », l’interaction et la capacité d’initiative (ce que les anglophones appellent « agency », encore un mot anglais sans équivalent français) restent superficielles, limitées, encadrées. L’une des grandes qualités sociales du jeu est d’ailleurs de permettre de passer un bon moment avec des gens que l’on connaît, que l’on aime bien, mais avec qui on n’a pas nécessairement envie de raconter sa vie ou de parler politique. Et quand on joue avec ceux avec qui l’on a l’habitude raconter sa vie ou parler politique, c’est justement pour prendre un break.

Cela nous amène à un troisième paradoxe, qui semble remettre en cause un peu tout ce que j’ai écrit jusque-là, le succès récent des jeux de société pour un seul joueur – qu’il est assez ironique, du coup, d’appeler « jeux de société ». Cela existe en fait depuis longtemps dans le jeu video, des énormes jeux ouverts aux réussites, et ces dernières sont plus anciennes encore sous forme de jeux de cartes – mon grand-père en faisait quand j’étais enfant. Rien de vraiment nouveau, et je ne pense pas que la mode actuelle perdure longtemps, tant l’ordinateur se prête mieux que la boite en carton aux activités solitaires. Je ne l’espère pas en tout cas, je ne semble pas très doué pour concevoir des jeux solo, ni même pour imaginer des versions solitaires de mes créations. J’entends dire beaucoup de bien de la variante solo de The Artemis Odyssey, mais c’est Serge Laget qui en était entièrement responsable, je n’ai fait qu’y jouer quatre ou cinq fois pour donner mon opinion.



As a teacher, I am careful not to promote to my student a unique studying method which should work for every one of them. I nevertheless give a few advice which, I think, are valid for everyone. One of them is to never start writing a text without having, at least, a plan, an outline, a precise idea of what they want to say. In short, think first and then write, even though one should keep thinking while writing. 

Surprisingly, I don’t’ give this same advice to wannabe game designers, and this is a good illustration of the major differences between boardgame design and other writing works, be they writing articles, essays or novels. Unlike the writer, the game designer usually starts without an outline of what they want to do, they go on an adventure without a roadmap. If you know exactly where you are going, what theme, what length, what style, how many players, you will probably end not going anywhere. The game designer is not telling a story, is not defending an opinion, is not explaining a theory. The game designer is working by successive approximations, and it feels as much like cooking than as writing – all the while building a game, meaning a closed and rigid structure entirely defined by its rules. This is why I have no problem working with publishers whose political ideas are very different from mine, and why the only political, social or literary discourse I sometimes smuggle in is made of a few discreet quotes and puns. Trying to do more, to develop a real reasoning, would be simplistic and/or dishonest.

I like the English expression “thinking out of the box”. The French nearest equivalent means something like “leaving the well-trodden paths”, which is not exactly the same idea. Thinking out of the box is a relatively recent expression, whose origin is, no surprise, in games. The function of a game is to imprison the players for a limited time in a small reassuring world, bound by clear and finite rules, a small world with no risk of thinking out of the box. The game designer, on the other hand, must be able to get out of the box – but not too far, since designing a game is still a bit of a game, an activity whose main point is that it has no point – it just has rules.

This brings us to a second paradox. While playing boardgames is mostly a social activity, mostly played in groups and after some wine or beer, most game designers are loners. Studios, like Kaedama or Prospero Hall, are the exception and most game designers usually work alone. I know that I too often generalize from my personal experience, but I can assure you it’s not the case here – I made a few stats, they are impressive. At game fairs, I’ve even noticed that game designers were meditating, alone, in a corner of the booth, much more often than illustrators, publishers, commercials and, most of all, players. They enjoy playing games, like writers enjoy reading and musicians enjoy other people’s music, but game design is not a social activity like gaming is. This social aspect should not be overstated, though.

This might sound surprising coming from a game designer who is well-known for his many co-designs, often with a co-designer in some far away country. I do it, I like it, but co-design is more often a relay, each designer in turn solving the issues and blockings met by the other, than a true collaboration. Brain-storming meeting at the same table, or even through video-calls, are relatively rare, except at the very beginning, and that’s why co-design, which has its plus, can also be more difficult. Usually, both designers first discuss a relatively precise idea before starting working on it, a project if not a roadmap. It makes major changes in theme or mechanism, or even bouncing to a completely different game idea, more difficult than in solo design, it constrains designers to stay more or less in the box they have initially designed.

True, games are creating social interaction and player agency, but these are extremely specific. I am only here discussing boardgames, since I think the issue is a bit different with video games and role-playing games. True, boardgames bring players around the same table, with drinks and snacks, but the interaction and agency (a word which unfortunately has no equivalent in French, so this paragraph was easier to write in English) they generate are superficial, limited by the rules and therefore, once more, strictly enclosed in the box. This is why one of the great qualities of boardgames is that they give an opportunity to have a good time with people we like but don’t really want to discuss politics or personal matters with. And when we play with people we use to discuss politics or personal stuff with, we enjoy the break.

There’s another paradox, which seems to negate most of what I’ve written here so far, the recent emergence of one player boardgames. This is still marginal, though, and not that new. There are already thousands of one players video games, being monster open world games or just phone solitaire games. Solitaire card games have been here for centuries, and my grandfather, the only person in my family with some interest in gaming, used to play it a lot. I have some doubts about the recent trend towards one player boardgames, because computer seem to be a much more convenient tool for solitaire gaming than cardboard. I’m also very bad at designing solo games. I’ve heard lots of nice things about the solo version of The Artemis Odyssey, but this part was only Serge’s work. I just played it a few times to check it worked – indeed, it does.

Légendes de l’Ouest et du Pamir
Legends of the west and the Pamir

La version « Legacy » des Aventuriers du rail, Légendes de l’Ouest, à laquelle je n’ai pas encore joué, a été généralement très bien reçue dans le petit monde du jeu de société. L’équipe qui l’a développé, Alan Moon, Matt Leacock et Rob Daviau, réunit quelques uns des meilleurs auteurs contemporains. Tout ce que j’ai lu me fait envie, et je vais sans doute me le procurer, même si je doute fort de pouvoir jamais réunir une équipe prête à faire les douze parties de la campagne. Sur les réseaux sociaux, ce jeu a fait l’objet de quelques critiques, féroces mais marginales, sur la manière dont il présenterait développement du réseau ferré aux Etats-Unis. Ces critiques me semblent mal fondées, et je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion de m’exprimer à la fois en tant que prof, historien, marxiste et auteur de jeux, et de m’étonner une fois encore de la propension de beaucoup, à gauche, à se tromper d’ennemi.

Comme il était difficile de répondre de manière argumentée en 280 caractères, j’ai décidé de développer un peu pour écrire ce post de blog. L’une des trois discussions a rapidement dérivé sur un sujet voisin, mon hostilité aux jeux éducatifs et ma méfiance envers les jeux « à message », même et surtout lorsque je suis d’accord avec le message. J’aborderai donc aussi un peu ce point en deuxième partie.

Certes, la nouvelle version des Aventuriers du rail, un jeu déjà classique, illustre de toute évidence, plus encore que l’original, une version fantasmée de la conquête de l’ouest, des rails sur la prairie. Le jeu, qui s’appelle « Légendes de l’ouest » et non « Histoire de l’ouest » ne s’en cache nullement. Même quelqu’un qui, comme moi, ne connait à peu près rien à l’histoire américaine, ne peut, au simple vu de la boite, avoir le moindre doute. Si cela ne suffisait pas, une note des auteurs dans les règles indique bien qu’ils sont parfaitement conscients de s’être inspirés des clichés (tropes) sur la conquête de l’ouest, lesquels ignorent largement son coût humain aussi bien pour les tribus indiennes que pour les travailleurs. Paradoxalement, cette note a peut-être aggravé le problème – en tant que prof, je sais que c’est souvent une erreur de prendre les élèves pour des idiots en leur disant des choses qu’ils ont déjà comprises.

Malgré cela, certains ont reproché à ce jeu de ne pas être fidèle à la réalité historique, voire d’être un peu raciste, puisqu’il ne met pas en scène les tribus indiennes sur les terres desquelles les voies ferrées ont été construites, et très pro-capitaliste, puisqu’il ne dit rien de l’exploitation des esclaves puis des cheminots pour construire ces mêmes voies. Le jeu n’est bien sûr ni l’un, ni l’autre, puisqu’il ne prétend nullement être historique et assume clairement, ce qui n’est pas le cas de bien d’autres jeux aux vaguement historiques, être fondé sur des clichés.

Cet univers romantique et un peu enfantin est sans doute l’une des raisons qui me donnent envie de jouer aux Aventuriers du Rail – Légendes de l’ouest. Je jouerai peut-être aussi avec plaisir à un jeu sérieux et militant prétendant « démystifier » la conquête de l’ouest en détruisant des clichés que personne ne prend plus vraiment au sérieux, mais je n’en suis pas certain car ce serait un autre jeu visant un autre public.

La vision romantique et fantasmée de l’histoire américaine qui apparaît dans Les Aventuriers du Rail mérite certainement d’être utilisée avec prudence, ce qui est le cas dans ce jeu, et éventuellement d’être étudiée et analysée. Je m’y étais un peu essayé il y a une dizaine d’années dans mon essai sur Décoloniser Catan, puis dans un article sur les jeux de trains. En français, des études critiques sur l’imaginaire médiéval dans les jeux ont été publiées ces dernières années, notamment par Anne Besson, centrées sur les jeux de rôles et les jeux video ; la conquête de l’ouest, même si le thème est moins prégnant dans le jeu de société, mériterait le même traitement. Des universitaires américains travaillent sans doute sur le sujet ; je n’ai pas vraiment cherché, mais si on m’envoie un article sérieux, je le lirai avec plaisir.

Les critiques ne reprochent en fait pas vraiment à ce jeu de ne pas être historique, ils le condamnent surtout pour ne même pas essayer de l’être, pour ne pas prendre son thème au sérieux. Si j’ai pu apprécier quelques jeux au thème historique très sérieux, comme récemment Pax Pamir, je n’ai jamais confondu une partie de jeu et un cours d’histoire. J‘ai dans un coin de ma tête une vague idée de jeu de cartes sur les débuts de l’ouverture du Japon vers l’Ouest dans les années 1850, mais si ce projet aboutit, le ton en sera sans doute plus léger et ironique. Bon, j’espère que Cole Wehrle ne va pas m’écrire qu’il a déjà commencé à bosser sur ce sujet, qui lui irait assez bien.
En regardant sur les étagères où se trouvent mes jeux publiés, je n’en vois que trois au thème vaguement historique, Mystère à l’Abbaye, La Vallée des Mammouths et Silk Road. Aucun des trois, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a le moindre contenu historique un peu sérieux.

L’idée que les jeux de société devraient toujours prendre leur thème au sérieux me gène énormément. Elle implique en effet que, contrairement aux auteurs et aux critiques, les joueurs ordinaires seraient des idiots incapables de regard critique, de faire la différence entre l’histoire et la légende, entre le premier et le second degré. Elle sous-entend surtout que les jeux tireraient leur valeur de leur caractère éducatif. J’ai déjà sur ce site expliqué pourquoi je n’utilise pas les jeux dans mes cours, et pourquoi je considère l’idée même de jeu éducatif comme un oxymore dévalorisant aussi bien pour les enseignants que pour les auteurs de jeu.

On peut apprendre très efficacement l’histoire en lisant des livres d’histoire. On le peut encore, même si cela prend beaucoup plus de temps, en lisant des romans, en regardant des films, en pratiquant certains jeux video ou jeux de rôles, si l’on prend garde à ce que l’intrigue ne prenne pas le pas sur le contexte. Les jeux de société, entièrement centrés sur leurs règles, peuvent difficilement avoir la même profondeur psychologique, la même subtilité dialectique, ou même simplement apporter la même quantité d’informations. C’est pour la même raison qu’il est rarissime qu’ils parviennent à faire passer un message politique sans sombrer dans la caricature.

J’ai déjà bien du mal, dans mes cours, transmettre tout le contenu sur lequel je souhaite faire réfléchir mes élèves, je n’y parviendrais jamais si je devais utiliser comme médiateur un outil aussi complexe et rigide qu’une règle de jeu. Je n’ai pas de temps à perdre avec des règles, et j’ai besoin de la souplesse, des possibilités d’improvisation, de discussion et d’adaptation que seul le cours oral peut apporter. Pax Pamir, sans doute le plus réfléchi et le mieux documenté des jeux de société sérieusement historiques auxquels j‘ai joué, et celui auquel j’ai leplus pris de plaisir, demande deux heures de jeu pour un contenu qui tiendrait sur un article d’une vingtaine de pages ou un podcast d’une demi heure . C’est un excellent jeu, surtout quand on connaît déjà un peu son thème, mais c’est un outil pédagogique bien peu performant. On peut d’ailleurs finir la partie sans savoir qui a gagné (les anglais ont perdu, les russes n’ont pas vraiment gagné).

Il y a une dizaine d’années, je terminais mon essai sur le tropisme colonial dans les jeux de société en expliquant que le problème était moins le recours aux clichés historiques et/ou exotiques que le fait que ce recours soit parfois inconscient et trop rarement assumé et/ou ironique. Au vu des évolutions récentes du petit monde du jeu, je pense que j’aurais dû insister plus encore sur ce dernier point. Dans Les Aventuriers du Rails – Légendes de l’Ouest, les clichés sont parfaitement conscients et revendiqués. Comme le remarque une astucieuse critique, le jeu ne donne pas une vision biaisée de l’histoire, il s’en débarrasse et la jette par la fenêtre. Beaucoup d’auteurs, moi le premier, procèdent fréquemment ainsi, et ceux qui le font consciemment et le revendiquent sont ceux auxquels il est le moins légitime de le reprocher.

Dans l’une des trois discussions sur Twitter et Bluesky qui sont à l’origine de cet article, Cole Wehrle, auteur notamment du très sérieux Pax Pamir et du plus ironique Root, a très bien résumé le problème : «  je pense que nous condamnons trop facilement des jeux, alors qu’il y a de bonnes raisons pour lesquelles ils ignorent un point particulier. Il n’en reste pas moins important d’analyser les jeux (et les livres) et de s’interroger sur les effets de leurs mises en scène. »



The legacy version of Ticket to Ride, which I’ve not played yet, seems to be very well received in the small gaming world, which is not surprising given the great team of designers, Alan Moon, Matt Leacock and Rob Daviau. Everything I’ve read about it makes me want to play it, and I will certainly get a copy soon, even when I doubt being able to get a stable team of players ready to play the twelve parts of the campaign. On social networks, however, there has been some marginal but fierce criticisms of the way it is describing the rail network development in the US. I think these criticisms are ill-founded.

I could not let pass an occasion to speak at the same time as a historian (with a PhD), a teacher (of social sciences), a Marxist (though not always the most orthodox one) and a game designer (with nearly a hundred games under my belt), and to highlight the growing propension of many western leftists to pick the wrong enemy. Since it was hard to really explain my point in 280 characters, better write a blog post. One of the three simultaneous discussions on the subject rapidly digressed on a slightly different topic, my hostility to educative games and my reluctance to games trying to deliver a message – even and may be even more when I agree with the said message.

The action in Ticket to Ride – Legends of the West obviously takes place in a romantic fantasied version of the American frontier story, rails on the prairie. The game doesn’t try to hide this – it’s named “Legends of the West”, not “History of the West”. Even someone like me, who knows nearly nothing of American history, should notice it at first glance. If there were still doubts, a larged boxed paragraph in the rules even specifies that the game is inspired by tropes of the old west, which ignore the human cost for both Indian tribes and rail workers. Paradoxically, this note might have aggravated the issue – as a teacher, I know it’s usually a bad move to take students for idiots with telling them what they obviously already know. On the other hand, well, you never know exactly who will play your game.

Despite these carefully laid caveats, the game has been criticized for not being historically faithful, or even for being vaguely racist, since it doesn’t feature the native tribes whose territories these tracks were laid on, and definitely pro-capitalist, since it ignored the exploitation of slaves and other rail workers in building the network. It is neither one nor the other, since it doesn’t pretend to be historical, and the designers clearly assume having built it on clichés and tropes. And, yes, this romanticized and even a bit childish background is one of the reasons why I’m eager to play this new Ticket to Ride. I might enjoy as well a more serious and political game aiming at debunking the American railway myths, but I’m not sure of it and, anyway, it would be a completely different game aimed at a different market niche.

The fantasy version of the American railway history which appears in Ticket to Ride – Legends of the West certainly requires to be used with care, but it clearly is here, and even to be studied and analyzed. I vaguely touched on this a dozen years ago in my essay about Postcolonial Catan, before the idea was fashionable, and in a blogpost about train games. I’ve read a few interesting academic studies of the image of the Middle Ages in games, though in French and mostly about video and role-playing games, among others by Anne Besson. Even when it is a less pervasive setting, the old west certainly deserves the same type of research. I bet there are already American scholars working on it, and if someone sends me an article, I will gladly read it. 

In the end, what some critics reproach to the new Ticket to Ride is not that it is not historically faithful, it is that it doesn’t even try, that it doesn’t consider its setting to be something serious.
I have enjoyed a few serious historical games, the last one being
Pax Pamir, but I have never considered them to be a lecture in history. I have a very vague idea for a card game about the opening of Japan to the West in the 1850s, but if I ever finish it, it will probably have a more tongue in cheek feel. Well, let’s hope I won’t get a mail from Cole Wehrle saying he’s already working on this topic, which would fit him quite well.
When I look up at the shelves with my published games, I see only three with vaguely historical settings,
Mystery of the Abbey, Silk Road and Valley of the Mammoths. None has the slighest amount of serious historical content or discourse, even when I could have done it for the first one.

As an historian who, for forty years, has mostly designed game based on ridiculous fantasy settings, I find the idea that games should always take their setting seriously very disturbing. It implies that, unlike game designers and reviewers, average gamers are unfazed idiots, unable of any critical view, unable to make the difference between fantasy and history. It is also linked to the idea that the value of games is in their educational use. I have already explained on this blog why I consider the idea of « educational games » to be an absurdity which belittles both game designers and teachers.

One can learn history very effectively with reading history books. One can learn some bits of it with reading novels, watching movies or playing some video or role playing games, providing one is careful not to let the intrigue take over the context. Boardgames, being terribly rules-centric, cannot have the same psychological depth, the same dialectical subtlety, or even only bring the same amount of information. For this same reason, boardgames are not really adapted to the transmission of political messages, and those which try do it usually end up being simplistic.

I already struggle to bring to my students all the content I want them to think over, I cannot imagine having to do this through a media as rigid as game rules. I’ve no time to lose on rules, and I need the free-form flexibility, the possibility to react, discuss and improvise which only exists in oral and relatively freeform lectures. Even Pax Pamir, the best example I’ve played of a well thought out and documented historical boardgame, and one I'(ve had great pleasure un playing, takes two or three hours to bring the content one could learn reading a 20 pages article or listening to a 30 minutes podcast. It’s great to play as a game, especially if you already have some knowledge of the subject. it’s inefficient as a teaching tool.

A dozen years ago, i ended my long blogpost, or short essay, on the colonial tropes in boardgames with explaining why the real issue was not the use of historical / exotic clichés but the fact that this use was too often unconscious and too rarely assumed and/or ironic. In the light of what a part of the boardgaming scene has become since, I think I should have emphasized the last point even more. Anyway, in Ticket to Ride – Legends of the West, the clichés are conscious and assumed. It doesn’t give a wrong or biased version of history, it gets rid of history and throws it out of the window (see this clever review). That’s what most game designers do, and I don’t think it can be reproached to those who do it honestly and clearly.

Cole Wehrle, designer of the very serious Pax Pamir and the more tongue in cheek Root, summarized this very well in one of the three simultaneous Twitter and Bluesky discussions which made me write this blogpost « I think we often are too quick to call out erasure when, in fact, there are other good reasons why a game is not covering a particular element. Of course, I still think it’s important to scrutinize games (and books) and to consider the consequences of their framing. »

Archive de la ludothèque idéale
An archive of the ideal game library

Iain Cheyne a récupéré, grace à la machine à voyager dans le temps d’Internet, The Wayback Machine, l’ensemble des critiques de jeux que j’avais publiées sur mon site dans les années 2000, sous le nom un peu prétentieux de ludothèque idéale.

Les raisons pour lesquelles j’avais cessé de mettre à jour, puis entièrement effacé, cet ensemble de 700 et quelques petites critiques de jeux de société sont multiples.
Il y a bien sûr une explication technique, le site et la base de données étaient obsolètes et devenaient difficiles à mettre à jour, mais ce n’est pas l’essentiel.
La ludothèque idéale avait du sens à une époque où il était encore possible à une personne isolée comme moi de plus ou moins tout savoir sur les jeux de société publiés, et donc d’en présenter une vision encyclopédique. J’ai donc cessé lorsque les sorties sont devenues trop nombreuses. La seule démarche encyclopédique possible aujourd’hui, quand il sort plus de mille jeux par an, est celle de sites communautaires comme le Boardgagegeek.
Enfin, concevoir des jeux est peu à peu devenu mon métier. Même en me restreignant comme je le faisais délibérément à ne publier que des critiques positives, être à la fois auteur et critique me mettait de plus en plus souvent en porte à faux.

Beaucoup ont regretté la disparition de ces critiques de jeux. Récupérées par Iain Cheyne et publiées aujourd’hui sur le boardgamegeek, elles ont surtout un intérêt historique. Elles nous renvoient à une époque où les jeux étaient moins nombreux et, pour la plupart, plus méchants et moins sophistiqués – ce qui peut être un bien ou un mal.
En scrollant rapidement dans la très longue page reprenant toutes ces critiques, je constate avec surprise que j’ai entièrement oublié une grande partie de ces jeux que j’avais pourtant suffisamment aimé pour en faire des critiques élogieuses. Je suis aussi assez étonné de voir que mon anglais, dont je pensais qu’il avait surtout progressé ces dernières années, n’était déjà pas si mauvais.

Bref, si cela vous amuse, c’est là :



Using the internet time travel machine, The Wayback Machine, Iain Cheyne managed to get back all the boardgame reviews I published on my website in the 2000s under a rather pretentious title, the ideal game library.

The ideal game library was a database of more than 700 short boardgame reviews, in French and broken English. had removed it from my website for several reasons.
First, there was a technical issue. the website and the game database were becoming obsolete. Maintaining and updating them was time consuming. This was not, however, the main reason.
The ideal game library made sense in a time when it was still possible for one single and dedicated person to know more or less everything about the games that were published, and to present them in a more or less encyclopedic way. I had to stop when the number of new publications became too high. With a thousand new games published every year now, the only way to keep maintaining a kind of encyclopedia or catalog of games, or even only of good games, is through a communautary website, like the Boardgamegeek.
Last, designing games has progressively become my main professional activity. Even when restricting myself to discuss games I was really enjoying, this was putting more and more often in awkward situations.

Many gamers have expressed their regret about the disappearance of these game reviews. Iain Cheyne got them back and has now published all of them on the Boardgamegeek. their main interest now is historical. They send today’s gamers back to a time when there were fewer boardgames, and when most of them were nastier and less sophisticated – which can be both good and bad.
I’ve scrolled rapidly through the long new ideal game library listing. I’m surprised to realize that I don’t remember anything of more or less half of these games I had liked enough to praise them in my reviews. I also notice that my written English was not as bad I thought it was, which also means it didn’t imrpove that much these last years.

Anyway, if you want to have a look, it’s there :

Les jeux et l’argent
Money and games

Je prendrai au mois de février 2024 ma retraite de l’éducation nationale. Cela me donnera sans doute l’opportunité de travailler un peu plus ou un peu différemment dans le petit monde du jeu, et je suis d’ailleurs ouvert sur ce point à toutes les propositions. En attendant, je me retrouve pour ma dernière année au lycée à préparer un programme d’économie que je n’avais plus enseigné depuis longtemps, celui de première. Si je le trouve globalement moins intéressant que celui de terminale, il y a quelques chapitres que j’ai plaisir à traiter, dont celui sur la monnaie. Si l’histoire et la théorie monétaire m’intéressent, c’est peut-être parce que la très réelle monnaie a quelque chose à voir avec les univers virtuels du jeu.

La monnaie un peu comme un jeu

On me demande souvent lors des interviews quelle est ma définition du jeu. Je m’en tire généralement par une pirouette, expliquant n’avoir pas plus besoin d’une définition du jeu pour concevoir des jeux de société que je n’ai besoin d’une définition de l’éducation pour donner des cours. De fait, je suis un peu face au jeu comme Saint Augustin face au temps – je sais parfaitement de quoi il s’agit tant que l’on ne me demande pas de l’expliquer. Lorsque j’essaie vaguement d’y répondre, c’est donc moins par nécessité que… par jeu.

Je ne vais pas revenir sur les définitions les plus souvent citées, celles de Johan Huizinga et Roger Caillois, deux auteurs qui se sont aussi un peu intéressés aux licornes, ou plus récemment par le philosophe Colas Duflo. Faute d’une définition satisfaisante qui saisisse l’essence ou la fonction du jeu, je me contente généralement de la combinaison des deux caractéristiques les plus souvent citées, un système de règles arbitraires et une stricte séparation du monde réel, ce que certains appellent le « cercle magique ». À ces deux critères, il faudrait peut-être ajouter un troisième, à moins qu’il ne soit la synthèse des deux précédents, simplicité et compréhensibilité – par opposition au réel, complexe, incompréhensible et vraisemblablement absurde, le jeu est simple, compréhensible et clairement absurde.

Si la question de la définition du jeu présente quelque intérêt pratique, c’est surtout pour discuter des cas limites. Il existe des systèmes de règles simples et plus ou moins arbitraires dont la séparation avec le réel est relative ou discutable, comme les loteries et jeux d’argent, les jeux éducatifs et autres serious games, le sport de compétition, les duels, la roulette russe, les rituels et croyances religieux et une bonne partie de ce que les mathématiciens discutent dans leur théorie des jeux. Il y a donc parfois « du jeu » entre le jeu et le réel. D’autres univers séparés du réel ne pouvant que très partiellement être décrits par un ensemble de règles, comme les jeux de rôle ou les jeux videos ouverts, relèvent un peu du jeu mais peut-être aussi un peu de la littérature – qu’il faudrait alors aussi définir.

La « gamification » consiste à introduire des mécanismes, des règles, des conventions empruntés au monde ludique dans des cadres réels afin de les simplifier, parfois pour les rendre plus aisés à comprendre et à naviguer, plus souvent pour faire oublier leur nature et leurs « enjeux » réels. Très à la mode dans les années 2000, le procédé n’est cependant pas nouveau. Le système de notes utilisé depuis bien longtemps dans le cadre scolaire, l’un des cas de gamification les plus systématiques, montre bien qu’elle ne débouche pas toujours sur quelque chose de très amusant. La monnaie joue un peu le même rôle.

Les économistes définissent la monnaie par ses trois fonctions, intermédiaire des échanges, mesure de la valeur et réserve de valeur. Dans un système capitaliste comme le nôtre, il faudrait en ajouter une quatrième que les joueurs connaissent bien : la monnaie est un système de score – ce que les sociologues américains appellent un signe de statut social. Ces quatre fonctions font de la monnaie le moteur et le carburant de ce que l’on pourrait appeler la « gamification capitaliste ». La monnaie, comme le disait Jean-Baptiste Say, est un voile qui recouvre la complexité des utilités, des valeurs et des rapports sociaux. Encourageant les échanges et mettant les individus en concurrence, l’unité de compte unique et universelle fait de la société un simulacre de jeu. Elle amène à vivre selon un système de règles, celles de l’échange marchand, et pour un but arbitraire, être plus riche que son voisin. Elle a certainement contribué à pacifier les relations sociales et à améliorer nos conditions de vie mais, devenue sinon le seul système de score, du moins le principal moyen de mesurer un succès qui ne peut plus être qu’individuel, ´est un peu elle nous fait aujourd’hui entrer dans une spirale autodestructrice dont il n’est pas du tout certain que nous parvenions à échapper.

La monnaie et les jeux

Il reste que si la monnaie présente quelques caractéristiques du jeu, elle n’en est pas un. Elle est une convention, une pure règle, mais elle s’échange contre des biens et services très réels, et est au cœur de la vie sociale. Ne faisant pas vraiment travailler l’imagination, on s’attendrait à ce qu’elle soit peu présente dans des univers ludiques dont la seule fonction est de nous fournir une échappatoire consciente et passagère au réel. Elle est pourtant partout dans les jeux de société et dans les jeux videos, le plus souvent sans même chercher à se cacher. La raison est simple et purement technique : elle y remplit plus ou moins les mêmes fonctions que dans le monde réel, permettant de mesurer la valeur des éléments de jeux, cartes ou pions, et de faire des échanges avec le jeu – en anglais comme en français, on dit souvent avec la banque – et parfois avec les autres joueurs. Même lorsque le but du jeu n’est pas de s’enrichir, les échanges restent souvent au cœur de ses mécanismes.
Alors même que relativement peu d’entre nous ont jamais participé à une vente aux enchères, que ce soit comme vendeur oui acheteur, les enchères sont un système très présent dans les jeux de société. Elles permettent en effet de créer une forte concurrence entre les joueurs, et de les impliquer tous simultanément – et là encore, s’il y a des enchères, il faut de la monnaie. Bon, je ne vais pas faire la liste de tous les jeux d’enchères que j’ai conçu, c’est sans doute l’un des genres que j’apprécie le plus et auquel j’ai le plus contribué.

Jeux d’argent

Toutes les définitions du jeu insistant sur la stricte séparation avec le monde réel, l’idée de « jeux d’argent » comme le poker ou le blackjack, a quelque chose de paradoxal. S’il m’est arrivé, lors de discussions de fin de soirée à Essen ou Indianapolis, d’entendre arguer que les jeux d’argent ne devaient pas être considérés comme des jeux, ceux qui défendaient ce point de vue de principe ne les avaient le plus souvent jamais pratiqués. Tous ceux qui ont joué au poker, et j’y ai beaucoup joué, savent bien que c’est un jeu, que les sensations qu’il procure sont pour l’essentiel de même nature que celles générées par d’autres jeux de société – même si, et cela renforce encore le paradoxe, le jeu ne fonctionne plus s’il est joué avec des allumettes. Les joueurs d’échecs de haut niveau sont aussi souvent d’excellents joueurs de poker, et rien n’empêche de jouer aux échecs pour de l’argent. Quant au backgammon, il est difficile de défendre l’idée qu’il ne serait plus un jeu dès lors que l’on y ajoute un videau, mécanisme éminemment ludique.

Si les jeux d’argent sont bien des jeux, et même des jeux particulièrement efficaces, c’est parce qu’ils restent, malgré leur enjeu, bien séparés du temps et du monde ordinaire. Ils ont un début et une fin, un espace de jeu délimité, et surtout des règles de distribution de la monnaie qui n’ont rien à voir avec celles du monde réel. L’argent gagné (ou perdu) au jeu n’est pas un revenu du travail ou du capital, c’est un revenu du jeu. Cet enjeu réel ne fait que renforcer l’étrangeté, l’ivresse voire l’ironie ressenties par les joueurs. C’est sans doute pour renforcer cette séparation, ce « cercle magique » que la réalité monétaire pourrait mettre à mal, que les jeux d’argent sont toujours très abstraits.
Même si l’on n’y gagne pas que de la monnaie, on peut assimiler aux jeux d’argent les lotos et autres loteries. Là encore, ils ne fonctionnent comme jeux de hasard que parce qu’ils sont inscrits dans un temps et, le plus souvent, un lieu limité – et parce que la réalité, elle, n’est pas entièrement gouvernée par le hasard.

Les joueurs professionnels d’échecs, ou de football car beaucoup de sports sont aussi des jeux, pratiquent bien le même jeu que les amateurs, même si c’est pour des enjeux différents. De même, étant auteur de jeu de société, les parties que je fais, de mes jeux et d’autres, font partie de mon activité professionnelle, et je déclare d’ailleurs tous les jeux que j’achète comme frais professionnels – mais pas les bières et le whisky.

Que dire des jeux de cartes à collectionner, de Magic the Gathering, de Pokemon, bientôt peut-être de Lorcana ? La monnaie n’est pas dans la partie elle-même, mais elle est tout autour, celui qui dépense le plus d’argent ayant plus de chances de gagner…. Je ne sais pas si les plus gros acheteurs sont des joueurs ambitieux ou des collectionneurs compulsifs, il y a sans doute les deux.

Je ne parlerai pas ici des jeux videos, avec ou sans s, sujet que beaucoup connaissent mieux que moi. Un raisonnement similaire pourrait sans doute s’appliquer à ceux, assez nombreux, dans lesquels il est possible d’acheter cartes, objets ou compétences avec de monnaie réelle, voire pour lesquels existe un taux de change, officiel ou non, entre la monnaie du jeu et celle de l’extérieur. Qu’il y ait un peu de contrebande le long de la frontière avec le réel ne la fait pas disparaître.

Des textes comme La loterie, de Shirley Jackson, la loterie de Babylone, de Jorge Luis Borges, ou la loterie solaire, premier roman écrit par Philip K. Dick, jouent d’ailleurs de l’absurdité qu’il y a à voir le jeu devenir le monde.

La monnaie peut-elle être elle-même le support du jeu ? On pense bien sûr à pile ou face, d’un intérêt ludique très limité, et qui n’est pas vraiment un jeu d’argent. Les jeux d’adresse de type carrom ou crokinole joués avec des pièces de monnaie n’en sont pas non plus.
Je vous conseille plutôt ce que les américains appellent poker menteur, qui n’a rien à voir avec le jeu qui porte ce nom en Europe et se rapproche plutôt du Perudo. Je l’ai découvert dans un roman de l’un de mes auteurs préférés, Robert Russo, The Risk Pool.

Deux joueurs prennent chacun un billet de banque de même valeur, et parient à tour de rôle sur le nombre total d’occurence d’un chiffre donné sur les numéros de série de leurs deux billets. Si un joueur annonce « quatre 6 », par exemple, son adversaire peut surenchérir en annonçant soit le même nombre d’occurrences d’un chiffre supérieur, « quatre 7 », quatre 8 », etc, soit un plus grand nombre d’occurrences de n’importe quel chiffre , « cinq 3 », « cinq 6 », six 8 », etc. Un joueur peut aussi refuser la proposition de son adversaire, et on révèle alors les numéros de série. Le vainqueur du pari conserve les deux billets. En tournoi, comme j’en avais organisé un il y a une dizaine d’années, le vainqueur d’un duel peut choisir pour la manche suivante soit son billet de départ, soit l’un de ceux qu’il a déjà remportés.

Inflation

La théorie mathématique des jeux, qui ne traite pas de tous les jeux et traite de beaucoup de situations qui, quelle que soit la définition qu’on en donne, n’ont rien à voir avec le jeu, porte très mal son nom. Elle peut cependant aider à comprendre certains jeux, en particulier parmi ceux qui font usage de monnaie. Elle distingue les jeux à somme nulle et les jeux à somme positive.

Un jeu fermé joué avec de la monnaie réelle, comme le poker, ne peut être qu’un jeu à somme nulle. Tout ce qui est gagné par un joueur est simultanément perdu par un autre. La fausse et enivrante impression d’inflation dans une nuit de poker n’est due qu’à l’excitation, aux recaves successives, parfois à l’alcool. Les processus à somme positive existent dans la réalité, en économie notamment, mais ce ne sont pas des jeux.

Les jeux faisant appel à des monnaies fictives peuvent en revanche, comme le plus célèbre d’entre eux, le Monopoly, être à somme positive. Les mécanismes même du jeu, chacun recevant de l’argent de « la banque », c’est à dire du jeu, lorsqu’il repasse par la case départ, lorsqu’il vole une banque, lorsqu’il découvre un trésor, font que les sommes augmentent au fur et à mesure de la partie, et que tous les joueurs peuvent s’enrichir. Du coup, dans les échanges ou dans les enchères, les prix augmentent à un rythme qui pousserait au suicide un ministre des finances ou un directeur de banque centrale. Dans les jeux de paris, ce sont les enjeux qui augmentent. Cas extrême, dans un jeu comme QE – pour quantitative easing -, ce sont les joueurs qui créent la monnaie, sans aucune limite. Le jeu ne fonctionne que grâce à une astuce peu réaliste, le meilleur enchérisseur étant mis de côté, c’est toujours le second qui l’emporte.

Pour l’auteur de jeu, l’inflation n’est pas un monstre à éviter, elle est un mécanisme intéressant. Pour maintenir l’intérêt des joueurs tout au long de la partie, il faut à la fois que toutes les phases du jeu soient importantes et que ceux qui sont mal partis aient toujours, ou au moins pensent avoir, une chance de se refaire. Une manière d’y parvenir sans changer les règles au cours de la partie est alors d’augmenter régulièrement les enjeux en introduisant des sommes de plus en plus importantes à chaque tour, comme Léo Colovini et moi l’avons très délibérément fait dans Vabanque.

Mes réserves pour les prototypes

Le but du jeu

Au Monopoly, mais aussi dans tous les jeux de société s’en inspirant plus ou moins créés durant les trente glorieuses, l’argent n’est pas seulement le nerf de la guerre ou le carburant du commerce, il est le but du jeu. Le plus riche est vainqueur. C’est encore parfois le cas, et il y a toujours lors de l’explication des règles un petit malin pour dire « comme dans la vraie vie » – parce que, justement, c’est un peu plus compliqué dans la vraie vie. En français, on parle de « gagner sa vie » sans pour autant jamais prendre la vie pour un jeu.

Parmi les jeux auxquels j’ai contribué, dans Draco and Co, Silk Road, Key Largo, Vabanque, Santa’s Little Elves et sans doute quelques autres qui ne me reviennent pas à l’esprit maintenant, celui qui a le plus d’argent à la fin de la partie est vainqueur.

Le but du jeu est d’être le plus riche. Cela marche pour les hommes, mais aussi pour les dragons.

Parfois, il peut y avoir des embrouilles. Dans Draco and Co, les ex-æquo sont éliminés, ce qui n’a aucun sens thématique mais permet quelques interactions amusantes dans un jeu où les scores sont assez réduits et « granuleux ». Dans Cléopatre et la société des architectes, de Bruno Cathala et Ludovic Maublanc, le plus riche gagne, certes, mais après que le plus corrompu a été jeté aux crocodiles. Dans The Rich and the Poor, de Carlo Rossi, c’est celui qui a le moins donné aux bonnes œuvres qui est éliminé. L’objectif des auteurs n’est bien sûr pas de donner une vision plus morale du capitalisme, ni même de s’en moquer, juste d’introduire un mécanisme amenant les joueurs à prendre des risques et les empêchant de savoir avec certitude qui est en tête.

A l’inverse, dans High Society, de reiner Knizia, les joueurs doivent dépenser leur argent pour acquérir la plus belle collection d’objets d’art, mais sans en faire trop car, en fin de partie, le plus pauvre est éliminé avant de déterminer le vainqueur.

Dans d’autre cas, plus fréquents, la monnaie est toujours là mais n’est plus guère utilisée que pour effectuer des échanges avec la « banque » ou avec ses rivaux. Elle n’est plus le but du jeu, mais elle en reste le moteur, ou au moins le carburant. Parfois, l‘argent qu’il reste aux joueurs en fin de partie ne vaut plus rien, et apparaît donc comme une occasion gâchée. Souvent, il peut être converti en points de victoire, mais à un taux assez faible pour ne plus être qu’un élément parmi tous ceux qui, combinés, permettent de l’emporter. C’est le cas, par exemple, dans un jeu de gestion que j’ai pas mal joué ces derniers temps et que j’apprécie beaucoup, Iki.

Dans l’une de mes créations préférées, le Trésor des Nains, qui sortira l’année prochaine, le système de score a été réglé de telle manière que l’argent, sous forme de pièces d’or, d’argent et de cuivre, représente à peu près un tiers du score des joueurs, les deux autres tiers provenant de deux autres éléments du jeu. Je pourrais citer des dizaines d’autres exemples, car dans une salade de points, il y a toujours un peu de monnaie. J’aime beaucoup le système de Raja of the Ganges, d’Inka et Markus Brand, où les deux pions de score de chaque joueur, représentant fortune et prestige, tournent en sens inverse, le but étant d’être le premier à les faire se croiser – on peut gagner en étant plus cool que riche, ou plus riche que cool, mais les deux sont importants.

Toutes sortes de monnaie

Qu’ils soient des petits cœurs ou de petites étoiles, lorsque points de prestige, d’influence de victoire peuvent être dépensés pour effectuer telle ou telle action, pour acheter telle ou telle carte, ils sont une monnaie qui ne dit pas son nom. Parfois, il y a une bonne explication thématique, comme dans les jeux dans l’univers de Dune, qui font tous de l’épice une monnaie. Parfois, c’est jusque parce que le mot monnaie semble devenu un peu grossier, un peu honteux. Dans Kemet, de Jacques Bariot et Guillaume Montiage, les pièces d’or sont devenues des points de prière; on peut y trouver une certaine logique, les dieux sont naïfs et corruptibles et l’on achète leurs faveurs en priant. Dans Smallworld, de Philippe Keyaerts, les points de victoire, des jetons qui ressemblent vraiment beaucoup à des pièces d’or, peuvent être dépensés dans des enchères pour, notamment, acheter sa place dans l’ordre du tour. On ramasse ainsi des gemmes dans Diamant, des diamant de valeur 5 et des rubis de valeur 1, mais c’est tout à fait comme si l’on ramassait des pièces. L’édition américaine s’appelle d’ailleurs Incan Gold et non Incan Gems.

D’autres éléments du jeu peuvent être utilisés comme monnaie. Dans Night Parade of a Hundred Yokais, de Luis Brueh, ce sont les spermatozoïdes esprits qui peuvent acheter les faveurs des esprits. Dans Patchwork, d’Uwe Rosenberg, les boutons, qui ont un peu l’aspect de pièces, sont à la fois monnaie et points de victoire. Dans Race for the Galaxy, de Tom Lehman, toutes les cartes du jeu peuvent être utilisées comme monnaie. Dans les jeux avec des arbres et des animaux mignons, des thèmes consensuels et donc très prisés ces derniers temps par les éditeurs, on peut payer en noisettes, en myrtilles…..

À l’inverse, mais c’est plus rare, il arrive que la monnaie n’en soit pas vraiment une. Les roupies de Jaipur, les dollars d’Union Pacific, ne peuvent rien acheter, ne sont jamais dépensés, et sont donc juste des points de victoire.

Pièces et billets

Cette monnaie qui, dans les jeux de mon enfance se présentait systématiquement sous forme de billets de couleurs différentes, sur le modèle du Monopoly, est aujourd’hui plutôt constituée de pièces en carton, ou même de simples jetons de bois ou de plastique jaune (or), gris (argent) et marron (bronze ou cuivre, cela dépend et n’a guère d’importance). Lorsqu’un éditeur veut « deluxifier » – cela se dit en anglais – un jeu, la première idée qui lui vient à l’esprit est généralement de faire des pièces métalliques, de presque vraies pièces.

La première explication qui vient à l’esprit est bien sûr que les jeux des années soixante et soixante-dix, périodes d’optimisme et de croissance économique, avaient principalement des thèmes contemporains. Ceux d’aujourd’hui, quand présent et futur proche ne font plus guère rêver, se situent plutôt dans des univers historiques ou fantastiques, souvent médiévaux. Comme on n’imagine guère un dragon assis sur une pile de billets de banque hautement inflammables, les billets de Ponzi Scheme, de Jesse Li, sont devenus des pièces d’or et d’argent dans sa nouvelle version, Dragon Interest. La devise utilisée n’a souvent même pas de nom, il y a juste des pièces de 10, 5 et 1 – c’est même le cas, à mon grand regret, dans Oliver Twist, de Bruno cathala et Sébastien Pauchon, alors que cela aurait quen même été plus drôle avec des guinées, livres, shillings, pennies et farthings.

La monnaie dans quelques jeux pris, un peu au hasard, sur mes étagères.

Ce n’est pourtant pas si simple, et de nombreux jeux au thème sinon contemporain du moins assez récent, surtout parmi ceux que l’on appelle les « eurogames », utilisent des pièces en carton. On trouve dans les boites de Suburbia, de Ted Alspach, de Machi Koro, de Masao Suganuma, des pièces d’or, d’argent et de cuivre qui ne semblent guère à leur place dans les banlieues d’aujourd’hui. L’éditeur de Happy City, de Toshiki Sato, leur a substitué de vilains jetons de casino, qui font un peu plus d’époque mais ne sont pas plus réalistes pour autant.
Pour la science-fiction, tout est possible, et dans Terraforming Mars, de Jacob Fryxelius, jeu à l’esthétique pourtant très réaliste, la monnaie est représentée par des cubes… d’or, d’argent et de bronze !

Je me souviens que, pour la première édition de Key Largo, en 2005, nous avions discuté du choix entre billets et pièces. L’action du jeu se situant dans l’époque contemporaine, j’étais partisan des billets. Les trésors rapportés par les plongeurs étaient plus anciens, les pièces n’étaient pas absurdes pour autant. Les éditions française, puis américaine, ont eu recours à des billets, remplacés par des pièces en carton dans la version polonaise.

Les billets imprimés, comme ceux du Monopoly, sur du papier fin, ressemblent en effet plus à de la vraie monnaie d’aujourd’hui. Ils donnent aux jeux au thème contemporain un côté réaliste, surtout lorsque la mécanique est un peu inflationniste. Si elle se déprécie vraiment trop vite, comme dans QE, la monnaie ne peut plus être qu’une écriture comptable. Lorsque les joueurs doivent discrètement remplir et se passer des enveloppes, comme dans Intrige, de Stefan Dorra, les billets de banque s’imposent également.

L’utilisation de pièces pour représenter de grosses sommes, ce qui n’est plus le cas dans les sociétés actuelles, aide à sortir le jeu du réel. C’est encore plus vrai lorsque ces pièces ont un look un peu exotique – c’est facile, il suffit de faire un trou carré au milieu. On les retrouve donc dans des jeux à thème historique ou fantastique, mais aussi dans des jeux où l’argent n’est pas le cœur du système, comme Scythe, de Jamey Stegmaier, dont les pièces sont particulièrement réussies. Les étranges pièces triangulaires de la nouvelle édition de Mascarade contribuent à l’ambiance exotique et multiculturelle, bien différente de l’univers médiéval un peu sombre de la première édition. Mais, bon, le plus dépaysant, ce sont sans doute les jolies perles d’Abyss, de Bruno Cathala et Charles Chevalier.

Il y a bien sûr aussi des raisons plus triviales au choix des éditeurs. Les billets coûtent un peu plus cher à imprimer que les pièces et ont, à tort me semble-t-il car je n’ai jamais eu ce problème, la réputation de mal vieillir, de devenir poisseux. Ayant généralement, comme les dollars, tous la même taille, ils permettent plus facilement aux joueurs de cacher leur richesse; c’est un problème dans quelques jeux, mais c’est dans la plupart un avantage. Lorsque les auteurs souhaitent que la fortune de chacun soit clairement visible de tous, ils peuvent, comme dans Raja of the Ganges, la représenter par un pion sur une piste.

Quand la monnaie disparaît

On imagine toujours une économie médiévale, fantastique ou non, irriguée de pièces d’or et d’argent, écus, couronnes, florins, ducats et doublons. L’un des coups de génie de Klaus Teuber dans Les Colons de Catan est sans doute de s’être débarrassé de la monnaie. Faute d’équivalent universel, les joueurs en sont ramenés au troc, du bois contre du blé, du blé contre des moutons, des moutons contre des briques, et la difficulté à trouver le bon partenaire pour les échanges est l’un des éléments qui font le charme et l’intérêt du jeu. Bon, c’est quand même plus réaliste dans l’Âge de Pierre, il n’y avait sans doute pas de monnaie à la préhistoire.

Ad Astra, récemment réédité aux Etats-Unis sous le nom de Artemis Odyssey, est inspiré de Catan. Serge Laget et moi avons pris soin de conserver cet aspect. Il n’y a pas de monnaie, de crédits galactiques ou de dollars de l’espace, juste de l’énergie, de l’eau, de la nourriture et des minerais. Il est vrai que l’action est censée se dérouler dans un futur un peu angoissant, alors que la terre est en train de mourir, et les économies en crise ou en guerre retournent parfois au troc.
Petite remarque en passant, j’ai remarqué que, même dans les jeux où il n’y a pas de monnaie et dont le thème n’a rien à voir avec la finance, les joueurs ont tendance à appeler « banque » les stocks de cartes et pions non utilisés.

La mauvaise monnaie chasse la bonne

Pour l’auteur de jeu, la monnaie est de moins en moins un passage obligé, de plus en plus un outil que l’on peut bricoler, adapter, et le plus souvent limiter, pour mettre les joueurs devant des choix difficiles. Les monnaies des jeux sont donc de plus en plus souvent de mauvaises monnaies, qui s’échangent mal, se conservent mal, mesurent mal la valeur, se font concurrence.

L’inflation, dont j’ai déjà parlé, est souvent délibérément introduite par les mécanismes du jeu, pour augmenter les enjeux et permettre aux joueurs distancés de se refaire. C’est facile, il suffit de faire augmenter le stock de monnaie de tour en tour, de plus en plus rapidement. Je suis assez content de la manière dont cela est géré dans Vabanque.

Un autre moyen d’euthanasier les rentiers est simplement de les empêcher de conserver et faire fructifier leur argent. Certains jeux – aucun exemple ne me vient à l’esprit, mais je suis certain d’avoir déjà vu cela – limitent les sommes qui peuvent être conservées d’un tour sur l’autre. Dans d’autres, comme Citadelles, les plus riches deviennent presque automatiquement la proie des voleurs. Dans l’Or des Dragons, Michael Schacht et moi avons utilisé la légende de l’or des fées, qui disparait au lever du jour et doit donc être dépensé rapidement.

Pour contraindre les joueurs à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, pour les obliger à faire des choix, un jeu peut faire appel à plusieurs formes de monnaie qui ne sont pas convertibles entre elles. C’est le cas bien sûr dans Alhambra, de Dirk Henn, avec ses dinars, dirhams, ducats et florins (pourquoi pas doublons? dommage), ou Peanut Club, de Henri Kermarec, où les monnaies sont les chameaux, les cacahuètes et les millions de dollars. La limite entre monnaie et « ressource », un terme vague très utilisé dans les règles de jeu, peut alors être floue. Les cinq couleurs de mana de Magic the Gathering sont-elles de la monnaie ? Si oui, que dire des cinq ressources de Catan ?

Décréter que la banque ne fait pas et ne rend pas la monnaie est un astuce fort peu réaliste, mais techniquement très intéressante car elle peut obliger certains joueurs, souvent les plus riches, à faire des sacrifices. Il en va ainsi dans Kuhhandel, de Rüdiger Koltze, dans High Society de Reiner Knizia, dans Space Base, de John D. Clair, et dans bien d’autres jeux. Cela accélère également le déroulement du jeu en évitant des manipulations.

Je suis assez content de la monnaie du Trésor des Nains, qui devrait paraître en 2024. On y trouve les classiques pièces d’or, d’argent et de cuivre, mais il peut arriver que certaines pièces n’aient pas la même valeur pour tous les joueurs. Les enchères peuvent être payées en monnaie, mais aussi avec des gemmes qui fonctionnent comme une sorte de monnaie parallèle obéissant à des règles différentes, notamment pour le calcul du score. Le système monétaire un peu tarabiscoté, principe que j’avais déjà exploité dans Aux Pierres du Dragon, oblige les joueurs à des choix incessants et difficiles, puisqu’il ne suffit pas de savoir combien l’on est prêt à payer, il faut aussi savoir comment.

Les règles du jeu peuvent parfois illustrer des mécanismes financiers plus subtils, en donnant aux joueurs la possibilité d’épargner ou, plus souvent, d’emprunter. On peut hypothéquer ses propriétés au Monopoly, mais cela signale généralement que la faillite approche. Dans des jeux de gestion économique complexes, comme les nombreux jeux de trains américains de la série 18XX, ou Tokyo Metro de Jordan Draper, les joueurs en difficulté ou ayant des projets ambitieux peuvent emprunter à la banque, capital et intérêt étant dûs à la fin de la partie. On retrouve même cette idée dans des jeux plus simples, comme l’excellent Manila, de Franz-Benno Delonge, ou Homesteaders de Alex Rockwell. Dans Big Shot, un vieux jeu d’Alex Randolph qui mériterait une réédition, les taux d’intérêt augmentent même tout au long de la partie, ce qui peut pousser à s’endetter vite et parfois trop. Dans At the gates of LoYang, d’Uwe Rosenberg, les emprunts font directement perdre des points de victoire. À l’inverse, dans Iki, un joueur qui s’arrête à la banque peut échanger une grosse somme d’argent contre une somme plus grosse encore, ce qui n’est pas une mauvaise simulation du prêt à intérêt.

La monnaie comme thème

Dans certains jeux, peu nombreux il est vrai, la monnaie n’est pas seulement un élément, un mécanisme du jeu, elle en est le cœur et le thème. Il n’est alors question que de devises, de prêts, de taux de change ou d’intérêt, d’actions et d’obligations, de spéculation, voire d’achat à terme et d’effet de levier. J’ai parlé ici ou là dans cet article de QE, pour Quantiative Easing, un jeu sur la politique monétaire – si, si, et le jeu est surprenant. Ponzi Scheme et Dragon Interest sont des jeux de spéculation dans lesquels il faut savoir jusqu’où aller trop loin. Beaucoup de jeu assez anciens comme Acquire, de Sid Sackson, portent sur le marché des actions. La bourse faisant de moins en moins rêver, ces jeux se font aujourd’hui plus rares ou plus ironiques, comme Panique à Wall Street de Britton Roney. Chinatown, de Karsten Hartwig, et Lords or Vegas, de James Ernest et Mike Selinker, sont des jeux de spéculation immobilière bien plus modernes et intéressants que le Monopoly.

L’argent et la bourse peuvent aussi être le thème de petits jeux dont les cartes représentent soit des billets, soit des actions, sans être réellement intégrés aux mécanismes. Les exemples qui me viennent tout de suite à l’esprit sont deux de mes jeux de début ou de fin de soirée préférés, le Pit et le Big Deal. Le Pit, l’un des plus anciens jeux de société modernes puisqu’il fut publié en 1903, recrée l’ambiance de la bourse au temps où l’on hurlait autour de la corbeille. The Big Deal, ou Cover your Assets, de Brent et Jeffrey Beck, traite avec un certain humour des « signes extérieurs de richesse ». J’ai commis un jeu de carte sur le thème des investissements dans des startups technologiques, Venture Angels, qui n’a malheureusement été distribué qu’en Corée; mes amis japonais d’Oink games en ont un autre que j’aime beaucoup, Startups. On pourrait leur ajouter le bien nommé Money, de Reiner Knizia, plus abstrait, et quelques autres de moindre intérêt. Même lorsque les cartes représentent des billets de banque, elles n’y sont cependant pas vraiment utilisées pour faire des achats.

Lorsque j’ai commencé à réfléchir à cet article, je pensais pouvoir opposer assez clairement une « antiquité du jeu”, une époque où la monnaie était partout dans des jeux dont le but était de s’enrichir, l’exemple type étant le monopoly, et une période moderne, commençant dans les années quatre-vingt dix avec les Colons de Catan, qui aurait vu la monnaie presque disparaître. Comme vous l’avez vu, je me trompais. La monnaie est devenue plus discrète, mais elle reste très présente notamment dans tous les jeux de gestion ou de développement, des choses qui effectivement ne se font pas sans argent.

Et, oui, je sais, il faudrait faire une comparaison avec les jeux videos, qui font de la monnaie des usages un peu différents et très intéressants. Je ne connais pas assez bien le sujet pour m’y engager.



I plan to retire from my day job teaching economy in high school in February 2024. This might be an opportunity to try working more and differently in the small world of games. Since I don’t know what exactly I want to do then, I’m open to all kind of proposals… In the meantime, for my last year in front of students, I have to tackle with a curriculum I didn’t teach for quite long, and which I don’t like much, except for a few chapters, among which the one about money. The reason why I have long been interested in the history and theory of money might be that, in some way, the very real money has something in common with the virtual worlds of games.

What money has in common with games

I’m often asked about my definition of games. I usually dodge the question and explains that I don’t need a definition of gaming to design games, no more than I need a definition of education to teach. I feel with gaming a bit like Saint Augustine with time – I know very well what it is as long as I’m not asked to explain it. And when I try, like I will do here, to explain it, it’s not by necessity but by play.

I won’t discuss here the many definitions of games which have been proposed by historians and philosophers, like, in French, Johan Huizinga, Roger Caillois or more recently Colas Duflo. There is certainly also an English language intellectual tradition of discussing the nature of games, I didn’t look into it. Having not found a satisfying definition of the essence or function of games, I usually do with an empirical one, made of two characteristics, an arbitrary set of rules and a complete separation from the real world, the latter being sometimes called the “magic circle” of gaming. Unless we consider it to be the synthesis of the two first ones, a third characteristic might be need, simplicity and understandability. Reality is complex, incomprehensible and probably absurd, games are simple, understandable and certainly absurd.
The main interest in defining what exactly a game is is to discuss the few borderline cases. There are simple and more or less arbitrary sets of rules whose separation from reality is partial and/or debatable, such as lotteries and gambling games, educative and other “serious” games, competitive sports, duels, Russian roulette, religious beliefs and rituals, and a good deal of what mathematicians discuss in their so-called “game theory”. There is some play between game and reality. There are also virtual worlds, clearly separated from reality, who can only partially be described by a set of rules, such as role playing games and some video games – are they games or literature ? It also depends on how we define literature…

“Gamification” is the process of using in real life rules and processes borrowed from game, sometimes in order to make the reality easier and simpler to navigate, more often to hide its true nature and stakes. It was all the craze in the years 2000, but it’s nothing really new. The whole system of marks and grades used in school is one of the most systematic cases of gamification, and not really fun. Money works in a very similar way.

Economists define money by its three main functions, medium of exchange, unit of account, storage of value. In our capitalistic system, it also has a forth function that players may see more clearly than other people because they are used to it – it’s a scoring system, what sociologists call a “sign of social status”. Through these four functions, money is both the engine and the fuel – a gas – of what we should call “capitalistic gamification”. Money is, quoting the words of XIXth century economist Jean-Baptiste Say, a veil covering the complexity of relative prices, utilities and social relations. Fostering trades and pitting people in competition with each other, money transforms social reality into a sham game. It makes people live according to a set of rules, that of market exchange, and for an arbitrary goal, being richer than one’s neighbor. It certainly helped pacify human relations and improve living standards. Unfortunately, having become the only way to measure success, and having made success an individual matter, it is now one of the mechanisms throwing earth and humanity into a self-destructive spiral, with no way out in view.

Money and games

Anyway, if money has some characteristics of a game, it is not one. It is a pure convention, a ruleset, a scoring system, but it is traded for very real stuff and is at the heart of very real social relations. Most of all, it doesn’t really foster imagination. It is therefore a bit surprising to find it everywhere in games whose only goal is to give us a short-lived and conscious break from reality. The explanation is not ideological but technical : Money has in boardgames and video games more or less the same functions as in real life. It is used to reckon the value of cards, tokens and other stuff. It is used to trade with other players and with the game – which, in this case, is significantly often nicknamed “the bank”, both in English and in French – I’m curious ti know if it’s the same in other languages. Even when getting rich is not the goal of the game, these trade systems are often an essential part of the gameplay.
Most of the gamers have never taken part in an auction, neither as a seller or a buyer. There are, however, many auction games. the reason is simple – auctions are an easy and dynamic way to generate tensions between the players, and to have all players engaged simultaneously. And where there are auctions, money is needed. I won’t give the whole list of the auction games I’ve designed or co-designed, it’s one of my favorite genres and probably the one I’ve most contributed to.

Playing games with money

All the definitions of gaming I’ve seen have one element in common, the idea of a strict break from reality. This make the idea of gambling games, games played with actual money like poker or blackjack, paradoxical. I’ve sometimes heard, in late half-drunk discussions in Essen or Indianapolis, people arguing that they should not be labelled games, that gaming and gambling were two different things. Those who say this have usually never played any gambling game. Those who play poker, and I used to play it a lot, know quite well that is a game, that the feeling it generates is very similar to that generated by other boardgames – even when, and this brings back the paradox, poker played for nuts or matches doesn’t work. Good chess players are often good poker players as well. And what about backgammon ? It’s not possible to argue that it stops being a game when you add a doubling dice, which is a very gamey mechanism.

Gambling games are games. They are even very efficient games because, even when the stakes are real, they are clearly apart from normal time and life. They have a beginning and an end and, more importantly, the way they distribute money among players has nothing in common with that of the real world. The money won or lost at games is not a labor or capital income, it’s a gaming income. The strong reality of the stakes only reinforces the game tension, and doubles it with a kind of drunken and tragic irony. If gambling games have no theme, are purely abstract, it is to remind everyone of the “magic circle”, of the separation from the real.
Even when winners don’t always get money, the same could be said of bingos and lotteries – they only work as games of luck because they happen at a specific time, often in a specific place, and because reality is not entirely governed by chance.

A game is still a game even when it is also a job. Professional chess players, or football players because many sports are also games, play the same game as amateurs, with the same rules, even when the stakes are higher. Similarly, since I am a boardgame designer, playing games is part of my job. I write down all the games I buy as business expanses, though not the beer and whisky I dring when playing. I nevertheless still play the same games as all other players around the table.

What can I say if collectable card games – Magic the Gathering, Pokemon, may be soon Lorcana ? Money is not is not in the game itself, but is all around. The player who spends the most real money in cards is most likely to win. I don’t know, though, if the biggest buyers are players or pure collectors – probably both.

I won’t talk here about video games, which many gamers know much better than I do. The same reasoning could probably apply to the many video games in which real money can be spent to buy cards, items or abilities, and even to all those for which there is an exchange rate, official or not, between real and game currency. There is some smuggling at the boarder between game and reality, but it’s not enough to make this boarder disappear.

Texts like Shirley Jackson’s The Lottery, Jorge Luis Borges The lottery in Babylon, or Philip K. Dick’s first novel, Solar Lottery, show the absurdity of letting the game becoming the world.

Currency itself can even be the only game component. Of course, there’s Head or Tails, but it is rather weak game and not really a gambling one. Crokinole like games played with coins don’t qualify either.
What’s more interesting is
Liar’s Poker – not the dice game played in Europe, but the banknote game similar to Perudo. I learned about in a novel by one of my favorite American writers, Robert Russo, The Risk pool.

Here are the rules, if you don’t know them:
The two players each bring a banknote of the same value. Players in turn announce a minimal number of occurrences of a given digit on the two serial numbers. The opponent must then either challenge the claim or make a higher one. challenge the bet. If, for example, a player bets “four 6es”, their opponent can call the same number of a higher digit, say “four 7s” or “four 9s”, or a higher number of any digit, “five 4s”, “five 6s”… This goes on until a player challenges their opponent, and serial numbers are revealed. Of course, the winner of the bet keeps both banknotes. In a tournament, I remember organizing one a dozen years ago, the winner of a duel can either keep their banknote or change for one they have won in earlier duels.

Inflation

What mathematicians strangely call game theory doesn’t deal with all games, and doesn’t deal only with games. It can nevertheless help to understand some games, especially those who use money. One of the interesting distinction it makes is between zero-sum games and positive-sum games, or win-win situations.
Closed games played with real money, like poker, are necessarily zero-sum games. Every cent a player wins has been lost by another, and vide versa. The illusory feeling of inflation is only due to rebuys, and sometimes intoxication. There are real money win-win, and lose-lose, situations in real life, but these are not games.

On the other hand, games using a virtual currency, the best known being Monopoly, are often positive-sum. The very game mechanisms – for example getting money when you pass through the starting space, when you rob a bank, when you fin a hidden treasure – regularly increase the amount of money in the game, and everyone can get richer. As a result, the prices paid in trades between players, or in auctions, tend to increase at a rate that would push to suicide any finance minister or central bank CEO. In betting games, stakes increase. The extreme case is probably QE – for Quantitative Easing – in which players can create money as they wish, with no limit. The game only works thanks to an unrealistic twist, the highest bidder is always ignored, and the second highest wins the auction.

For game designers, inflation is not a scary monster, and can even be a useful feature. It is hard to maintain, or even increase, the tension in a long game. It requires on the one hand that all phases of the game are critical, and on the other hand that a losing player can always come back – or at least think they can. A simple way to do thus without tweaking the rules is to regularly up the stakes with bringing more money from the “bank” into the game, like Leo Colovini and I did in Vabanque.

Prototyping stuff

Money, it’s a gas

In Monopoly, but also in all of the games it inspired during the post-war boom, money is not only the “sinews of war”, as in a French proverb, or the fuel of trade, it is also the goal of the game. Richest player wins. It is still the case, and when the rules are explained, there’s always some clever guy adding “like in real life” – because, luckily, it’s still a bit more complex in real life. In French, earning a living is « winning one’s life ».

Among the games I’ve contributed to, in Draco and Co, Silk Road, Key Largo, Vabanque, Santa’s Little Elves and probably a few others that don’t come to my mind now, whoever has the most money at the end of the game is the winner.

Dragons are very human-like – they also just want to get the most money.

Sometimes, it can get a little confusing. In Draco and Co, tied high-scores are eliminated, which makes no sense thematically, but does allow for a few nasty tricks in a game where the scores are fairly small and grainy. In Cleopatra and the Society of Architects, by Bruno Cathala and Ludovic Maublanc, the richest player wins, but only after the most corrupt has been thrown to the crocodiles. In Carlo Rossi’s The Rich and the Poor, the one who has given the least to charity is eliminated. The authors of these games are not aiming at giving a moral vision of capitalism. They might want to poke fun at it, but most of all they introduce a mechanism that encourages players to take risks and prevents them from knowing for sure who’s winning.

Conversely, in High Society, by Reiner Knizia, players must spend their money to acquire the best art collection, but without overdoing it, since at the end of the game, the poorest player is eliminated before checking who wins.

More often, money is still there but is mostly used to trade with “the bank” or with other players. It is no longer the goal of the game but it is its fuel. In some games, money left at the end of the game has no value, and feels like a wasted opportunity. Often, it can be converted into victory points, at a more or less interesting rate, remaining one of the many elements which must be combined to win the game. A good example is the management game Iki, which I have played a lot these last months.

In one of my favorite own designs, Treasure of the Dwarves, which will be out next year, Money, made of gold, silver and copper coins, has been tuned to count for roughly one third of players’ scores, the two other third being made with other parts of the game. I could easily find many other examples since money is an ingredient of most point salads.

In Inka & Markus Brand’s Raja of the Ganges, each player has two scoring tokens for money and prestige, which rotate in opposite directions. The goal os to have both tokens cross paths, which can be achieved with being more cool than rich or more rich than cool.

All kinds of money

Be they hearts, stars or anything, when Prestige, Influence or Victory points can be spent to play one more action, to buy a card, a resource or a meeple, they are a currency, money by another name. There are sometimes sound thematic reasons for this, and all the Dune themed boardgames use spice as money. Sometimes, it’s just that the word money has become unsexy and even a bit shameful. In Jacques Bariot and Guillaume Montiage’s Kemet, they are victory points, which makes sense if you see Gods as gullible and corruptible beings whose favors can be bought with praying. In Philippe Keyaerts’ Smallworld, victory points look very much like gold coins and are spent in a tun order auction. In Diamant, for example, players pick up gems – diamonds worth 5 and rubies worth 1 – but it’s just like picking up coins. The American edition is even called Incan Gold, not Incan Gems.

Some other game resource can be used as money. In Luis Brueh’s Night Parade of a Hundred Yokais, spermatozoids spirits can buy the Yokai’s favors. In Uwe Rosenberg’s Patchwork, buttons are both money and victory points. In Tom Lehman’s Race for the Galaxy, any card can be spent as money. These two or three last years, publishers have favored consensual settings with big trees and cute animals, where the money can be berries or nuts – btw, in French, hazelnut is a cute slang word for money.

Conversely, sometimes what is called money in fact isn’t. Rupees in Jaipur, Dollars in Union Pacific cannot buy anything and are just victory points.

Coins and banknotes

In the few games I played as kid, money was usually made of paper banknotes in different colors and denominations, like in Monopoly. Nowadays, it is more often made of cardboard printed coins, or sometimes of simple wooden or plastic coins in two or three colors – yellow is gold, grey silver, brown is copper or bronze, it depends and doesn’t matter. When a publisher want to “deluxify” a game, the first and easiest step is usually to ad nice metal coins, almost true ones.

The first explanation that comes to mind is that games of the sixties and seventies, times of optimism and economic growth, had mostly contemporary settings. Now that present and near future are no more something to dream about, most games have historical or fantasy settings. One cannot imagine a dragon seated over a pile of highly inflammable paper notes and, in the recent remake of Jesse Li’s Ponzi Scheme as Dragon Interest, banknotes have been replaced with metal coins. The currency is not always named, there are often just coins of value 10, 5 and 1. It’s even the case in Sebastien Pauchon & Bruno Cathala’s Oliver Twist, which would have been more fun and thematic, though not necessarily as easy to play, with pounds, guineas, shillings, farthings and pennies.

Money in a random selection of games from my shelves.

It’s not that simple though, and many games in a contemporary or relatively recent setting, especially among the so called “eurogames” use cardboard coins. Ted Alspach’s Suburbia, or Masao Suganuma’s Machi Koro, have gold, silver and copper coins which feel a bit incongruous in today’s suburbs. In Toshiki’s Sato Happy City, they are replaced with ugly casino-like tokens which feel more contemporary but not quite appropriate either
Everything is possible in Science Fiction. Jacob Fryxelius’
Terraforming Mars has a very realistic graphic style, but money is represented by gold, silver and bronze cubes !

I remember that, for the first edition of Key Largo, in 2005, we discussed the choice between paper currency and cardboard coins with the publisher. I favored banknotes, because the game’s action takes place somewhere between the forties and the nineties, but coins would not have been incongruous either, since the treasures brought back by the divers were supposed to be much older. The French and US versions use banknotes, but they have been replaced with cardboard coins in the Polish edition.

Printed banknotes on thin paper, like in Monopoly, look a bit like today’s money, and give games a realistic feel. Inflation, especially, feels more realistic with banknotes than with coins. but, when inflation start spiralling out of control, like in QE, money can only be kept track of through writing. Banknotes are also the way to go when players must discreetly pass banknotes to each- other, like in Stefan Dora’s Intrige.

Conversely, the use of coins to represent large sums of money can make the game feel less realistic. This is even more true when these coins look exotic – that’s easy, just make a square hole in the center. That’s why we find them not only in fantasy or historical games, but also in games where money is not the heart of the system, like Jamey Stegmaier’s Scythe, whose coins are really cute. The triangular coins in the new edition of Mascarade make it feel more exotic than the older one, with its European medieval setting. Shiny pearls money also make for a nice change of scene in Bruno Cathala & Charles Chevalier’s Abyss.

Of course, there are also more trivial reasons for the publishers’ choices. Banknotes are slightly more expensive to print than cardboard coins. Some players don’t like them because they’re supposed to become sticky with use, and issue I’ve never encountered with my own games. Having usually all the same size, banknotes make easier for players to hide their fortune; it’s a necessity with some games, a problem with other ones. Anyway, when the designer and publisher really want everyone’s fortune to be visible to all, the only way is to have a money track with one pawn for every player.

When money disappears

We imagine medieval and fantasy settings with gold and silver money, be they crowns, doubloons guldens or florins. One of Klaus Teuber’s genius strokes in Settlers of Catan was to get rid of all this. With no universal mean of exchange, players have to barter, make arrangements to trade wood for wheat, wheat for sheep, sheep for bricks, etc. The difficulty in finding trading partners is one of the highlights of the game – even when this sounds more realistic in a prehistory themed game like Stone Age.


Ad Astra, recently revamped and republished in the US as Artemis Odyssey, is inspired by Catan. Serge Laget and I deliberately kept this feature. There are no space dollars or galactic credits, only energy, water, food and various ores. It can make sense – the action takes place in an stressful future, when the earth is dying, and economies under stress or at war often go back to barter.
Anyway, even in games with no actual money and a setting which has noting to do with finance, I’ve noticed that players tend to call “bank” the stock of cards, tokens and other resources.

Bad money drives good one out

For game designers, money has become a tool which can be adapted, twisted, often limited, to generate challenging players choices. This is why so many recent games have what economists would call bad or incomplete moneys – money which are difficult to trade, difficult to stock, difficult to use to measure value.

I’ve already talked of inflation, which is often deliberately introduced in the game, so that stakes get higher when the game goes on and losing players get some chances to come back. This is very easy to implement, just bring more money in the game every round. I really like the way we did it in Vabanque.

Another way to euthanize the rentiers is to prevent them from keeping their cash. Some games – I’ve no example in mind at the moment, but i know there are a few – have a limit on the amount of money or money-like resource that can be kept from round to round. In many games, like in Citadels, the more cash you keep, the likelier it becomes that you will be robbed. In Fist of Dragonstones, Michael Schacht and I introduced fairy gold which, like in the fools gold legend, disappears at the end of the day and must therefore be spent at once.

To prevent players from putting all their golden eggs in one basket, to force them to make choices, a game can have several kinds of non-convertible currencies. The best known example is Alhambra with its dinars, dirhams, ducats and guldens – why not doubloons ? -, another one is Henri Kermarec’s Peanut Club, where currencies are camels, peanuts and millions of dollars. In such cases, the difference between money and “resource”, a vague wording overused in game rules, becomes blurried. Can we consider that the five colors of mana in Magic the Gathering are money ? If they are, what about the five resources in Catan ?

An unrealistic but very interesting twist is to decide that the bank doesn’t make change and doesn’t give change back. It forces players, and especially the richest ones, to optimize the way they spend their cash. This is a relatively common rule, which can be found for example in Rüdiger Koltze’s Kuhhandel, in Reiner Knizia’s High Society or in John D. Clair’s Space Base. It also makes the game play faster.

I am quite proud of the way I dealt money in my upcoming game Treasure of the Dwarves, which should arrive in 2024. It has the usual gold, silver and copper coins, but their relative values can differ between players. Bid for auctions are made with money, but also with gems which are a kind of parallel currency with different scoring rules. The convoluted monetary system, an idea that was already in Fist of Dragonstones, forces the players to make difficult choices. It’s not only about how much to pay, it’s also about how to pay.

The game rules can even go into more complex money mechanisms, allowing players to loan or, more often, borrow money. Monopoly player’s can mortgage their properties, though it’s rarely a good move. In complex economic management games such as the train games of the 18XX series, or in Jordan Draper’s Tokyo Metro, players short on cash or with ambitious investment projects can borrow from the bank and pay back capital and interest at the end of the game. It is sometimes even the case in simpler games, like Franz-Benno Delonge’s masterwork Manila, or Alex Rockwell’s Homesteaders. In Alex Randolph’s Big Shot, an old game which would deserve a new edition, interest rates raise from turn to turn, encouraging players to borrow early, and sometimes too much. In Uwe Rosenberg’s At the Gates of Loyang, players lose points for every loan. Conversely, in Yamata Kooda’s Iki, a rich player can stop at the bank to trade lots of money for even more money, not a bad simulation of short term interest.

Money as a theme

There are a few games in which money is not just one element, one mechanism, but is the heart and the theme of the action. These games are all about currencies, loans, interest or exchange rates, stocks, speculation or even forward purchase and leveraging. I have already talked a bit about QE, a game about central banks monetary policy – it doesn’t sound very sexy, but the game is actually fun. So are Ponzi Scheme and Dragon Interest, two speculation games in which players must know when to stop borrowing. Many games from the seventies and eighties, like Sid Sackson’s Acquire, deal with the stock exchange market. Since stocks don’t make us dream any more, they have become rarer, or ironic like Britton Roney’s Panic on wall Street. If you want a modern and interesting take on the real estate market Karsten Hartwig’s Chinatown and James Ernest & Mike Selinker’s Lords of Vegas revisit the monopoly story in much more challenging ways.

Currency and stock exchange are also the settings of many small cardgames whose cards represent either banknotes or company shares, but whose mechanism have little to do with actual money or speculation. The two example which come to mind are two of my favorites game night opening or closing games, The Pit and The Big Deal. The Pit, one of the earliest modern board games since it was published in 1903, recreates Wall Street’s feel in the time when traders were really shouting around the pit. The Big Deal, aka Cover your Assets, by Brent & Jeffrey Beck, is a humorous take on wealth as a status symbol. I have designed a game about investing in startups, Venture Angels, and y friends at Oink games another one, Startups. Reiner Knizia did several, the best know being simply called Money. Even when these games’ cards figure banknotes, they are not used to buy other stuff and are therefore not really money.

When I started writing this article, I imagined two ages of money in boardgames. The antiquity, when money was omnipresent, the archetypal game being Monopoly, and the moderne era, starting in the 1990s with Settlers of Catan, when money started to disappear. I was wrong. Money has become more discreet, often subsumed in more complex economic systems, but it’s still there, mostly but no only in management or development games – these are things one cannot do without money.

And, yes, I know, a comparison with video games could be very interesting. The use of money in these games is even more fascinating, but i don’t know the subject well enough to write about it.

Ethnos, Archeos Society et l’interaction dans les jeux
Ethnos, Archeos Society and interaction in game design

Paolo Mori, auteur du génial Unusual Suspects, mais aussi de jeux plus ambitieux comme Libertalia ou Dogs of War, est l’un de mes créateurs de jeux préférés. J’avais de mes quelques parties d’Ethnos, originellement publié par CMON en 2017, un excellent souvenir, même si le jeu ne semblait pas tout à fait fini. Les choix graphiques étaient discutables, un peu plats. La carte divisée en six régions ne servait pas à grand-chose. Bref, un jeu au potentiel énorme, mais qui semblait avoir été développé et édité à la va-vite.

Je me suis donc réjoui lorsque j’ai appris que l’équipe des Space-Cowboys, qui avait déjà édité un autre excellent jeu de Paolo, Libertalia, préparait une nouvelle version d’Ethnos. Archeos Society vient de sortir, il est magnifique. J’en ai vite fait deux parties qui sont tombées un peu à plat. Ne me souvenant plus bien des règles d’Ethnos, je suis allé rouvrir ma vieille boite pour voir ce qui avait changé. J’ai tout de suite compris le problème, qui me semble illustrer une erreur que font aujourd’hui la plupart des éditeurs : vouloir expurger les jeux de tout ce qui est un peu agressif parce que la guerre, la violence, tout ça, c’est mal (et ça ne se vend pas).

La guerre, la violence, c’est en effet très mal dans la vraie vie, mais cela ne pose pas de problème dans les films ou les romans. Il ne devrait pas en aller autrement dans les jeux, d’autant que c’est un excellent moyen de générer de l’interaction entre les joueurs. La baston n’était déjà pas très sanglante dans Ethnos, qui était plus un jeu de majorité que d’affrontement, et je pense qu’il aurait fallu en rajouter un peu en permettant à certains peuples de franchir les frontières pour attaquer les voisins. Le choix inverse a été fait dans Archeos Society, où les rivalités pour le contrôle des six régions ont été remplacées par l’avancement de pions sur des pistes. Ce ne sont même pas des courses, il n’y a pas de prix pour le premier où de possibilité de faire un croche-pied à celui qui vous dépasse. Le fun, l’intérêt, l’interaction ont été supprimés et remplacés par des systèmes de score tarabiscotés, différents sur chaque piste, poussant chaque joueur à faire ses calculs en ignorant complètement ses adversaires.

Bref, même si les neuf-dixièmes des règles sont identiques, Ethnos et Archeos Society sont des jeux très différents. Ethnos était un jeu léger, que l’on jouait avec et contre ses adversaires. Archeos Society est, pour l’essentiel, un exercice d’optimisation mathématique que l’on fait chacun pour soi. Ethnos était un jeu simple, amusant, méchant, tout public. Archeos Society est un jeu sérieux, froid, techniquement intéressant mais qui reste sans doute trop simple pour les amateurs de gros jeux stratégiques.

Beaucoup d’éditeurs sont convaincus qu’un jeu de société ne peut aujourd’hui être un succès que s’il est gentil – gentil rose ou gentil vert -, si l’on peut jouer pour soi sans jouer contre les autres. J’ai récemment discuté avec l’un d’entre eux, qui envisageait de rééditer Isla Dorada, jeu méchant s’il en est, mais en en retirant les possibilités de blocage qui en font tout le charme. Curieusement, ceux qui tiennent ce discours citent toujours les deux mêmes mauvais exemples, Les Aventuriers du Rail et les Colons de Catan. Ce sont certes d’excellents jeux grand public mais, si l’on ne s’y fait pas vraiment la guerre, la course et le blocage y sont très présents.

Alors, certes, j’aime bien les jeux un peu agressifs, un peu méchants, ou pour parler politiquement correct « interactifs ». C’est un goût personnel, mais je pense qu’il reste très partagé, et sans doute plus dans le grand public que dans le petit milieu des professionnels et des initiés du jeu de société. J’en suis suffisamment convaincu pour continuer à faire des jeux « interactifs ».


Quelques jours seulement après avoir écrit cet article, je suis tombé sur un tweet de mon ami Eric Lang dans lequel il mettait en avant une autre manifestation de la même erreur d’analyse.

Il constatait que beaucoup de la complexité inutile des jeux de société récents était due à la volonté de minimiser les « feel bad moments », expression que je ne sais pas trop comment traduire, disons les moments où un joueur peut avoir l’impression de s’en prendre plein la gueule. Je n’avais pas employé cette expression, mais c’est précisément pour cette raison que les régions d’Ethnos sont devenues les pistes de score d’Archéos Society.
Eric pointe sur un autre procédé des éditeurs, qui demandent au concepteur du jeu d’introduire des « compensations » pour le joueur qui perd un combat ou une majorité, que ce soit à la suite d’un manque de chance ou d’un bon coup adverse, afin que la perte ne soit pas trop fortement ressentie.

C’est généralement une erreur pour deux raisons. D’abord, comme le remarque Eric, parce que ces « compensations », par exemple des bonus à utiliser plus tard pour modifier un jet de dé, complexifient les règles. Mais aussi et surtout parce ces « feel bad » moments, font partie du plaisir du jeu, ne serait ce que pour mieux mettre en avant les « feel good » moments. Un jeu où on ne rate jamais vraiment son coup, c’est aussi un jeu ou ne réussit jamais vraiment, c’est un jeu plat.

Eric cite comme exemple King of Tokyo, de Richard Garfield, mais mes plus grands succès, Diamant, Mascarade ou Citadelles sont aussi des jeux qui peuvent parfois sembler injustes. Non seulement cela ne pose pas de problèmes aux joueurs, mais je suis convaincu que c’est une des raisons de leur succès.

Si je prends l’exemple de Citadelles, les alternatives à l’Assassin, Sorcière et Magistrat, sont effectivement une réponse à une demande de l’éditeur, qui voulait que le joueur tué, parfois un peu par erreur, ne perde pas complètement son tour. Je ne joue jamais avec ces personnages plus complexes, et je ne crois pas que beaucoup de joueurs y aient recours. L’assassin est injuste, mais il est aussi tellement plus simple et plus drôle.

Je ne suis pas toujours opposé aux compensations. Quand cela rentre dans le thème, ne complique pas trop les règles, ne ralentit pas le jeu et peut relancer la partie, pourquoi pas. Dans un de mes prototypes, le singe qui réveille le tigre reçoit un brin de moustache qu’il pourra utiliser plus tard pour refuser une carte et en piocher une autre. Cela passe parce que c’est simple. Trop souvent, et je m’y suis parfois laissé entraîner, les compensations s’accumulent au point qu’il devient presque indifférent de perdre ou de réussir un jet de dé, de piocher une bonne carte ou une mauvaise, et le jeu perd alors tout son sel.

J’ajouterai que les éditeurs qui cherchent à minimiser ces « moments négatifs » se méprennent assez largement sur la nature du plaisir ludique. Bien sûr, quand on joue, on cherche à gagner, c’est le principe même du jeu. Mais ce qui apporte le plaisir du jeu, ce n’est pas le résultat, la victoire, c’est la tension qui y mène – ou pas. On ne se souvient avec plaisir des parties que l’on a gagné que quand on a failli les perdre, et on se souvient avec le même plaisir de celles que l’on a perdu mais que l’on aurait pu gagner. Pourquoi tant de gens jouet-ils au poker, qui n’est guère fait que de “feel bad” moments.

Ces éditeurs – pas tous, heureusement – me semblent oublier que les jeux sont achetés par des gens qui aiment jouer, qui cherchent à gagner mais acceptent de perdre. Les gens qui n’aiment pas perdre ne jouent pas.


My favorite game by the talented designer Paolo Moris is certainly Unusual Suspects, but he mostly designed more ambitious stuff, games like Libertalia or Dogs of War. I played a few games of Ethnos, when it was published in 2017 by CMON, and thoroughly enjoyed them, even when the game felt a bit unfinished. The art was good but the graphics bland. The map was divided in six regions which didn’t mean much in game terms. It felt like a fabulous game which had been developed and published a bit too fast.  

I rejoiced when I heard that the Space Cowboys team, which was already responsible for publishing another of Paolo’s great designs, Libertalia, was working on a retheme of Ethnos. Archeos Society is just out, and it looks gorgeous. I played it twice and it fell flat twice. Since I didn’t remember Ethnos very well, I just opened my old box and browsed through the rules to check the changes. I instantly saw the problem. The game has been thoroughly expurgated from everything a bit aggressive, from every possibility to attack other players, because war and violence 1)are bad and 2) don’t sell. Such bowdlerization has recently become commonplace with game publishers.

War and violence are certainly bad in real life, but they are not a problem in novels and movies. They should not be either in games, especially since they make for an efficient way to generate interaction between the players. The fight was not very bloody in Ethnos, which was technically more an area majority game than a war game, and I think it could have been improved with the possibility, for some people, to cross borders and attack neighbors. Anyway, the opposite has been done in Archeos Society, where the rivalry for the control of the six regions has been replaced with simply moving players pieces on various scoring tracks. These are not even race tracks, since there’s no bonus for the first one past the post, and no possibility to trip opponents up. The fun and interactive part of the game has been replaced by complex scoring systems, different on every track, so that each player makes their own calculations, mostly ignoring opponents.

As a result, even when nine tenths of the rules are the same, Ethnos and Archeos Society feel completely different. Ethnos was a true game, played with and against opponents. Archeos Society feels like a math optimization problem. Ethnos was simple, fun, nasty, a game for every casual gamer. Archeos Society feels serious, cold, technically challenging but still probably too simple for hardcore gamers.

Most publishers nowadays seem to believe that a game can only be a major hit if it is cute – meaning either pink cute or green cute – if one can play for oneself without playing against the other. I even recently got an email from a publisher who wanted to republish Isla Dorada, a deliberately nasty game, with removing  the blocking possibilities which make most of its charm. Ironically, those who adhere to this narrative always give the same two examples, Ticket to Ride and Settlers of Catan. Both are outstanding games, and not about war, but blocking, and sometimes aggressive blocking, is one of their essential features.

I like aggressive, even mean, games – or, to use the euphemized term, interactive games. It’s a personal taste, but I think it is a very common one, and probably more among casual gamers than among hardcore ones and publishers. And I intend to keep on designing “interactive” games.


A few days only after I posted this blogpost, I read a tweet by my friend Eric Lang, in which he highlighted another manifestation of most publishers’ aversion fore negative effects in games.

He noticed that some of the unnecessary complexity of modern board games came from trying to minimize “feel bad moments” in games. I didn’t use this wording, but it is for this exact reason that the regions in Ethnos have been replaced by scoring tracks in Archeos Society.
The other reaction pointed by Eric is publishers asking the designer to add “compensations” for the player who loses a fight or a majority, be it because of bad luck or of an opponent’s clever move, so that the loss doesn’t feel too bad.

It is usually an error for two reasons. First because, and that was Eric’s main point, these compensations are added rules and make the game more complex. Another reason is that these “feel bad” moments are part of a game’s fun, if only because they help emphasizing the good moments. A game with no real bad moments is also a game with no real good moments – it feels flat.

Eric gives one example of game with simple rules bad moments, Richard Garfield’s King of Tokyo. My three best-selling games, Diamant, Mascarade and Citadels, are also merciless and even sometimes unfair. It doesn’t seem to be a problem for players, I even think it’s one of the reasons for their success.

In the recent editions of Citadels, there are two #1 cards designed to replace the Assassin, the Witch and the Magistrate. These two characters come from a demand by the publisher, who wanted to make the #1 character’s effect less violent for the affected player. I never play with these more complex characters, and I don’t think many players do. The assassin is so much simpler and more fun.

I’m not totally against compensations. If it fits with the story, if it doesn’t slow or complexify the game, if it adds to the tension, why not. In a prototype I’m working on at the moment, the monkey who wakes up the tiger can keep a whisker and use it later to discard a card and redraw. It’s OK because there’s a fun story in it, and it’s simple. In too many games, compensations are such that it doesn’t really matter any more if your die roll is a hit or miss, if the card you draw is good or bad – and the game becomes tenseless.

The publishers who want to minimize these “bad moments” misunderstand the essence of the gaming pleasure. Of course, players try to win, that’s the whole point of the game. The fun, however, is not in the result, in winning, it is in the tension, in trying to win. The games we best remember are those we won but nearly lost, and those we lost but could have won. Why do so many people play poker, a game which is mostly “feel bad moments”.

Many publishers – not all, luckily – seem to forget that the people who buy and play games are people who like playing. This means they try to win, but they dont mind losing. People who hate losing don’t play games.

Mystère à l’Abbaye, 3e édition
Mystery of the Abbey, 3d edition

Le financement participatif n’est plus, dans l’édition ludique, une nouveauté mais je continue à me poser pas mal de questions sur l’impact de Kickstarter, et aujourd’hui de son concurrent Gamefound, sur le marché du jeu.
Côté plus, cela permet la sortie de jeux très ambitieux, ou de rééditions, comme aujourd’hui avec The Artemis Odyssey et Mystère à l’Abbaye, qui n’auraient sans doute pas vu le jour sans cette possibilité. Cela a permis l’apparition de  tout un écosystème de petits studios d’édition, les italiens de Mojito Games en sont un, qui n’auraient  pas pu financer de tels projets par les procédés plus classiques. J’achète d’ailleurs beaucoup de jeux sur Kickstarter, un peu moins sur Gamefound.
Côté moins, cela encourage les jeux surproduits, plein d’extensions et de matériel inutile à une époque où l’on devrait plutôt chercher la sobriété. Cela ne profite guère aux tout petits jeux, qui sont de plus en plus mon centre d’intérêt, et contribue à ce que le milieu des joueurs reste un milieu d’initiés. Surtout, même avec l’invention récentes des pledges groupés pour les revendeurs, cela marginalise les boutiques spécialisées, un peu comme Amazon et les liseuses tuent lentement les librairies.

Pour les auteurs, c’est compliqué. Je n’aime pas le travail de promotion supplémentaire sur les réseaux sociaux que nous devons faire, ou que nous sentons obligés de faire, lorsque l’un de nos jeux arrive sur Kickstarter ou Gamefound, mais je suis content lorsque cela permet la sortie d’un jeu qui n’aurait sans doute pas été publié autrement, et c’est le cas de cette nouvelle édition. Et puis, il y a le problème du calcul des droits d’auteur sur les jeux en financement participatif. Si l’on accepte un pourcentage un peu plus faible du CA éditeur parce que le jeu sera vendu directement, on se retrouve lésé lorsque, après le lancement initial, il est retiré pour une vente en boutique. Et les contrats avec plusieurs taux selon le mode de distribution deviennent vite des usines à gaz. Ou alors, on base les contrats sur le prix boutique, mais on tombe alors dans d’autres problèmes….

Je ne sais même plus ce qu’il y a à ce sujet dans le contrat de Mystère à l’Abbaye, il faudrait que j’aille vérifier, mais je suis très heureux de voir arriver cette nouvelle version de ce qui fut l’une de mes premières collaborations avec mon ami Serge Laget. Il est malheureusement mort avant d’avoir pu voir les boites de cette troisième édition, ni d’ailleurs celles de The Artemis Odyssey ou celles de Castel (et je commence à me demander si ce dernier va vraiment sortir).

La troisième édition de Mystère à l’Abbaye est publiée par un petit éditeur italien, Mojito Studios, qui s’est fait une spécialité des rééditions un peu luxueuses de jeux des années 2000. Avant de signer, Serge et moi avon d’ailleurs demandé l’avis de Bruno Cathala et Ludovic Maublanc, auteurs de Cléopatre et les Architectes, qui nous ont dit que tout s’était très bien passé pour eux et que l’on pouvait y aller. Tout s’est aussi très bien passé pour nous.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Mystère à l’Abbaye est t un jeu de déduction familial d’un format très classique, hommage tout à la fois au Cluedo, pour les mécanismes, et au Nom de la Rose, pour l’histoire, même si le jeu prend bien des libertés avec ces deux sources d’inspiration. Un moine est mort, et ses collègues, les joueurs, enquêtent pour trouver l’assassin. Des cartes permettent d’innocenter certains occupants de l’abbaye, les livres de la bibliothèque donnent accès à des indices, et les rumeurs circulent à la sortie de la messe. Quand on en sait trop, il faut parfois faire vœu de silence. Vous trouverez plus de détails dans l’article que j’avais consacré, en 2012, à la deuxième édition.

Les changements sont peu nombreux pour cette nouvelle édition, for joliment illustrée par Naïïade. Par souci de simplification, nous avons retiré du jeu de base la Crypte, que peu de joueurs utilisaient, mais elle revient sous la forme d’une mini-extension avec le kickstarter, tout comme quelques nouvelles cartes sorties pour moitié de notre imagination ou de celle de l’éditeur, pour moitié des forums assez actifs consacrés à ce sujet. Les Templiers de l’édition Days of Wonder, dont on se demandait un peu ce qu’ils faisaient là, sont enfin redevenus des Dominicains comme dans la toute première édition, chez Multisim. Comme pour Cléopatre, l’édition devrait être assez luxueuse, tout ça. Elle est prévue pour l’instant en Anglais, Italien et Espagnol, mais il y aura probablement, peut-être plus tard, des boîtes en français. Je trouverais rigolo de faire une version en latin, mais je ne suis pas certain qu’il y ait un marché pour cela, et mon latin un peu rouillé n’est pas assez bon pour prendre en charge la traduction.

Mystère à l’Abbaye
Un jeu de Serge Laget et Bruno Faidutti
Illustré par Naïïade
3 tà 6 joueurs – 60 minutes
Publié par Mojito Studios
Prévu pour 2024
Boardgamegeek



Boardgames Crowdfunding is nothing new any more, but I am still wondering what will be the lasting effects of Kickstarter, and now its competitor Gamefound, on the boardgame market and business. On the bright side, it makes possible the publishing of ambitious projects, or of new editions of older games sur as, for example, The Artemis Odyssey  and Mystery of the Abbey, which would probably not have been possible without it. It made possible the emergence of a bunch of new small publishers such as the Italian Mojito Games, which would not have found the funds to start their business otherwise. I buy many such games on Kickstarter, and a few ones on Gamefound. On the dark side, it favors big and often overproduced games, filled with unnecessary expansions and showy components, in a time where we should focus on sobriety. It’s not made for smaller and lighter games, on which I am focusing on now. It makes boardgames an even more geeky and insiders’ world. Most of all, even when some campaigns now have shop grouped pledges, it marginalized the friendly local game shops, a bit like Amazon and tablet are slowly killing bookshops.

On the designer’s side, things are also ambiguous. I don’t like the extra work of promoting a new Kickstarter or Gamefound campaign on social networks, but I am happy when, like with this new edition of Mystery of the Abbey, it makes possible something which would probably never have happened otherwise. The royalty rate is also an issue. If we accept a smaller rate based on turnover because the game will be sold directly, we end up wronged if, after the initial crowdfunded print run,  a new one one is made for standard shops. On the other hand, contracts with different rates depending on the distribution network soon become Rube-Goldberg machines. And it’s another story if based on MSRP.

I don’t remember what we decided for Mystery of the Abbey, I should check, but I am very happy to see that one of my first codesigns with my late friend Serge Laget is back. Serge unfortunately died too soon to see the copies of this next edition, as well as those of the Artemis Odyssey or of the new Castle – if the latter is finally published, which is far from certain.

The new edition of Mystery of the Abbey is published by a small Italian publisher, Mojito Studios, who specializes in luxuous remakes of classic games from the 2000s. Before signing with them, Serge and I asked Bruno Cathala and Ludovic Maublanc, the desiners of Cleopatra and the Society of Architects, for advide. They told us everything went well for them, so we followed. We were right, everything went well for us as well.

Mystère à l’Abbaye is a family-style deduction game, inspired by Clue / Cluedo for its mechanisms, and by Umerto Eco’s Name of the Rose for its background story, but it takes liberties with both its sources. A monk has been killed, and its colleagues, the players, investigate the murder. Cards help to exculpate some of the Abbey monks, the library books give hints, and rumours fly around after the mass. When someone knows too much, it might be better to make a vow of silence. More about it in the blogpost I wrote in 2012 for the second edition.

There has been very few changes for this new version, with gorgeous art by Naïïade. For the sake of Simplicity, the Crypta, which few players really used, has been removed, but it’s back as an optional expansion with the Kickstarter, together with a dozen of extra cards, half o which come from the various internet forum discussions about the game. The Templars of the Days of Wonder version, who had no reason to be there, are back as Dominicans, like in the very first French edition, and it makes more sense. The components should be as gorgeous as those in Mojito Studio’s last offering, Cleopatra and the Society of Architects. So far, only English, Italian and Spanish language copies are scheduled, but there will probably be a French version, may be a few months later. I would love to see a Latin version of the game, but I’m not sure there’s a market for it, and my rusty Latin is not good enough to do the translation.

Mystery of the Abbey
A game by Serge Laget et Bruno Faidutti
Art par Naïïade
3 to 6 players – 60 minutes
Published by Mojito Studios
Scheduled for 2024
Boardgamegeek

Entre création et édition, les ambiguïtés du “développement” d’un jeu
Between design and publication, the ambiguities of game “development”

En octobre 2022, j’ai été invité à participer à une rencontre d’auteurs et d’éditeurs de jeu à Puszczykowo, en Pologne, dont j’ai parlé un peu dans un autre post. J’y ai donné une conférence, inspirée par quelques déconvenues récentes, sur les bienfaits qu’apportent, mais aussi les problèmes que posent, les modifications d’un jeu par l’éditeur. Cet article en est une version rédigée, un peu développée, et mise à jour puisque plusieurs des jeux dont je parlais sont depuis arrivés en boutique, ou sont maintenant, en juin 2023, en train d’arriver.

Les romanciers assurent volontiers, en plaisantant à demi, qu’éditeurs et directeurs de collection sont des écrivains frustrés. Il n’en va pas très différemment dans le monde du jeu. Cela rend les discussions sur les détails d’un jeu à la fois intéressantes, parce que techniques, et difficiles, parce qu’empreintes de jalousie. Cela fait surtout de la phase de « développement » d’un jeu, un euphémisme pour « modifications apportées après que le contrat a été signé », la partie la plus mentalement épuisante et moralement difficile de la création, au point que je sois parfois tenté de laisser tomber.

Bien sûr, comme tous les auteurs de jeux, je ne présente à des éditeurs que des prototypes longuement testés et qui me semblent prêts à être publiés, après éventuellement l’ajout de quelques jolis dessins. Il reste néanmoins parfaitement normal que celui qui publie le jeu veuille faire quelques modifications. La nature et l’ampleur de ces bricolages devraient néanmoins être discutées à l’avance, ce qui est rarement le cas, voire précisées dans le contrat, ce qui n’est jamais le cas. Les désaccords entre auteur et éditeur sur le « développement » du jeu sont bien plus fréquents que ceux portant sur des questions financières, mais nos contrats ne parlent le plus souvent que d’argent, et parfois de temps. Malheureusement, lorsqu’un désaccord survient à propos d’un point qui n’est pas discuté dans le contrat, l’éditeur, qui il est vrai est seul à risquer son argent, se retrouve en position de force et peut faire un peu ce qu’il veut.

L’organisation du développement (j’arrête les guillemets) du jeu après que le contrat a été signé est d’abord une question pratique. Les désaccords entre auteur et éditeur sont une question morale, et pourraient même devenir une question légale, bien que je ne connaisse pas (encore?) d’exemple qui ait fini devant les tribunaux. Je signale néanmoins que le droit est, en la matière, assez différent d’un pays à l’autre. En droit français, les droits d’auteur moraux et patrimoniaux sont distincts, et seul le droit patrimonial est cédé à l’éditeur, qui ne peut donc théoriquement pas modifier substantiellement une création, et donc s’agissant d’un jeu en modifier la règle, sans l’accord explicite de son auteur originel. Cette distinction n’existe pas dans de nombreux pays, et notamment aux États-Unis.

L’important n’est cependant pas la loi. C’est l’auteur, l’éditeur, les personnes, leurs relations, et bien sûr le jeu. Si je tiens le plus souvent à ce que mes jeux soient publiés avec les règles précises que j’ai imaginées et rédigées, il m’est arrivé dans quelques cas, après en avoir discuté, de laisser délibérément le champ libre à l’éditeur – mais cela dépend du jeu, du moment, de l’éditeur. Chaque cas est particulier, et chaque cas doit être discuté à l’avance.

Je connais bien sûr quelques créateurs qui ont eu des problèmes avec le calcul ou le paiement de leurs droits d’auteur, mais je n’en connais pas un seul qui n’ait une histoire un peu absurde à raconter sur les modifications de dernière minute apportées à un jeu par un éditeur, sur les règles bidouillées à la va vite, ou, et c’est un autre problème dont j’ai déjà parlé en détail dans un autre article, sur les traductions faites avec les pieds.
Les désaccords financiers, en outre, peuvent toujours se régler, quitte à ce que ce soit avec un peu de retard, quitte à ce que soit, ce qui est heureusement rarissime et ne m’est jamais arrivé, après intervention de la justice. Les problèmes éditoriaux ne peuvent pas être réparés, un jeu n’ayant quasiment jamais aujourd’hui de seconde chance.

Si cet article parle presque exclusivement de mon expérience personnelle, c’est parce que je ne suis pas sûr que mes collègues auteurs souhaitent que je rapporte ce qui a pu leur arriver, même si beaucoup m’en ont parlé. En outre, si discuter de ces problèmes est difficile pour un auteur déjà bien installé comme moi, j’imagine que c’est plus compliqué encore pour de jeunes créateurs ayant une moindre expérience du petit monde ludique, et pesant moins lourd face à un éditeur. Je vais donc dans la suite de cet article m’adresser directement à l’auteur, même si mon propos est un peu aussi destiné aux éditeurs, souvent trop sûrs d’eux en matière de « développement ».

Rentrer dans les cases

Donc, vous êtes auteur de jeu néophyte, vous avez présenté votre projet de jeu à un éditeur, qui le trouve intéressant mais….

Le thème ne rentre pas dans sa gamme
Le thème est trop proche de celui d’un autre de ses jeux
C’est trop long
C’est trop court
C’est trop agressif
Cela manque d’interaction
C’est trop simple
C’est trop compliqué
Il faudrait que cela tourne à deux joueurs – j’ai sans cesse ce problème, car très peu de mes prototypes sont conçus pour deux joueurs.

Pour le thème, cela dépend du jeu. Il est souvent facile de le changer, mais c’est aussi parfois impossible ou absurde. Pour tout le reste, rien n’est inconcevable tant que c’est fait avec soin, sans se presser, et par l’auteur ou du moins avec sa participation. Les écrivains ont le même problème. Le manuscrit de mon livre sur les licornes était 2,4 fois trop long, mais c’est moi qui ai fait les coupes.

Le thème (enfin, l’univers)

Note : certains critiques ludiques font une distinction, empruntée à la critique littéraire, entre le thème et l’univers. Le thème serait la nature de l’intrigue (coopération, enquête…) et l’univers le contexte du récit (médiéval fantastique, exploration spatiale…). Si cette distinction est intéressante pour parler de roman ou de théâtre, elle ne fait pas toujours sens dans les jeux de société, ou ce que les littérateurs appellent « thème » est plus ou moins intégré aux mécanismes. J’emploie donc ici le mot thème dans son sens ludique usuel, et certains lui préfèreront univers.

Parfois, un éditeur est séduit par un jeu qu’il a essayé, mais pense que le thème n’est pas vendeur, ou ne convient pas à sa gamme. C’est le problème le plus fréquent, et en général le plus aisé à résoudre – un changement est possible, ou ne l’est pas.
Ne s’engageant pas à publier un jeu tant qu’ils ne sont pas fixés sur son thème, la plupart des éditeurs vont discuter d’un nouvel univers avec l’auteur, ou au moins annoncer clairement qu’ils comptent en trouver un, avant de signer le contrat d’édition. Deux ou trois fois pourtant, il m’est arrivé de voir un éditeur aborder le changement de thème après la signature, comme s’il était évident que cela ne poserait aucun problème. Ils ont toujours cependant, ce qui est la moindre des choses, discuté du nouvel univers avec moi.

Quant à savoir si ce changement est techniquement possible ou non, cela dépend bien sûr du jeu.
Beaucoup sont fondamentalement abstraits. Si le thème n’est rien de plus qu’un vague contexte exotique ou historique permettant de donner un nom au jeu et à ses éléments, en changer ne devrait poser aucun problème. Je ne me souviens plus du thème originel d’Attila, mais je suis certain qu’il n’y était pas question de barbares dont les chevaux piétinent l’herbe. L’un de mes prototypes ne s’appelle Chasseurs de vampires que parce que les pions que j’ai utilisé pour faire mon prototype représentent des vampires et des types avec un chapeau 1900. Je ne sais plus si le changement de thème de Mascarade, passé d’Alice au pays des merveilles au carnaval de Venise, est intervenu avant ou après la signature du contrat avec Repos Prod. Pigeons, un jeu dans lequel des vieilles dames donnaient des miettes de pain aux oiseaux, est devenu Chawaï, un jeu de chats polynésiens attrapant des poissons, et c’est toujours le même jeu.


À l’inverse, certains jeux sont tout entiers construits autour d’un univers, rendant le plus souvent ce changement impossible. C’est bien sûr le cas des jeux de simulation, y compris les wargames. Dans d’autres jeux de société moins ambitieux, c’est souvent le signe que ce sont de bons jeux, des jeux qui racontent une histoire. Parmi mes propres créations, je pense à Trollfest ou Mystère à l’abbaye. On peut pourtant parfois avoir des surprises, puisque je ne pensais pas que le jeu que Bruno Cathala et moi avions imaginé, dans lequel une araignée géante tentait de capturer des hobbits, pourrait avec quelques ajustements devenir un jeu où des chasseurs essaient d’attraper des bébés Raptors.

La plupart des jeux, ou en tout cas de mes jeux, se situent quelque part entre ces deux extrêmes. C’est bien sûr là que les choses se compliquent.
Souvent, le changement proposé par l’éditeur donne au jeu une nouvelle dimension que l’auteur n’avait pas imaginé, et sur laquelle il peut rebondir. C’est ce qui est arrivé pour Isla Dorada. Le prototype que j’avais présenté à Funforge avait un thème passablement ennuyeux et peu original, une caravane de marchands dans l’Europe médiévale. Je savais que ce n’était pas terrible, mais je n’avais rien trouvé d’autre. C’est Philippe Nourah, à Funforge, qui a eu l’idée de raconter l’histoire d’un groupe d’explorateurs perdus sur une ile déserte, ce qui est quand même plus sexy. Le changement a été décidé rapidement, me laissant le temps de retravailler le jeu pour l’adapter au nouveau thème, introduisant de nouveaux éléments comme un dirigeable, des pandas tueurs et des guerres tribales. Ce n’est pourtant qu’une fois le jeu publié que j’ai réalisé qu’il y manquait un cliché essentiel des îles tropicales, le volcan. Si un jour ce jeu connait une nouvelle version, je me débrouillerai pour l’ajouter.
Je suis aussi très satisfait du thème de Tonari. Mon prototype, comme le jeu d’Alex Randolph qui l’a inspiré, était purement abstrait. Je savais qu’il avait besoin d’un univers pour prendre toute sa dimension, mais n’en avait pas trouvé de satisfaisant. L’idée du bateau de pêche pris dans la tempête vient de l’éditeur, IDW games – qui a malheureusement quitté le monde du jeu de société peu après la sortie de ce joli jeu qui cherche aujourd’hui un nouvel éditeur.
Même s’il fut fait avec mon accord, le changement du thème de ce qui est devenu Dreadful Circus, a été plutôt raté. Dans le prototype, comme dans le jeu qui sortira en 2023, les joueurs étaient des nains sous la montagne amassant pièces d’or, gemmes et objets magiques. Cela collait parfaitement aux mécanismes du jeu, mais n’était guère plus original que les marchands médiévaux d’Isla Dorada. Je n’ai donc pas été très surpris que l’équipe de Portal décide de changer le thème, et j’étais très content qu’ils en aient trouvé un. Malheureusement, le nouvel univers manque de cohérence, on ne voit pas très bien quelle histoire le jeu raconte. Je ne sais pas bien dans quelle mesure cela est dû au thème lui-même, ou au fait qu’il a été mis en place rapidement, quelques mois avant la publication, sans aucun feedback sur les mécanismes du jeu.

Le premier problème, et souvent la première victime, d’un changement d’univers est la cohérence thématique. Mes jeux ne sont pas des simulations, mais le thème d’origine peut néanmoins avoir influencé les mécanismes de bien des manières. J’essaie par exemple toujours d’introduire de petites règles thématiques, ainsi que des clins d’œil dans les noms et les effets des cartes et autres éléments du jeu. Tout cela est perdu lorsque le jeu change d’univers de référence, et doit être remplacé par de nouvelles astuces, de nouveaux gags, de nouveaux clins d’œil, quitte à changer quelques règles. Souvent, je retire carrément un élément de jeu qui ne fait pas sens dans le nouveau monde. Malheureusement, cette étape essentielle de “retour vers le prototype” est souvent négligée, voire ignorée, l’éditeur se contentant, sans grand souci de logique, de donner aux éléments du jeu de nouveaux noms inspirés par le nouveau référentiel. Si le thème d’un jeu édité semble plaqué, et c’est souvent le cas, c’est parce que le thème a en effet été plaqué, vite et mal, plus souvent par l’éditeur que par l’auteur.
Introduire dans le jeu ces nouveaux clin d’œil, ces nouvelles petites règles, comme Anja Wrede et moi l’avons fait lorsque notre jeu des brebis perdues est devenu Le petit poucet demande un peu de temps, et une bonne connaissance des équilibres du jeu. C’est pourquoi cela doit être fait par, ou au moins avec, l’auteur.

Règles et mécanismes

Et là, les choses se compliquent encore, entraînant désaccords et parfois rancœur. Lorsqu’ils ne sont pas des auteurs frustrés, les petits éditeurs, et plus encore les développeurs professionnels qui œuvrent chez les gros éditeurs, sont d’anciens auteurs. Ils résistent rarement à la tentation de mettre leur grain de sel, d’ajouter de nouvelles règles, de nouvelles cartes, et de bricoler les équilibres du jeu. Ils connaissent les jeux et les joueurs aussi bien voire mieux que vous, ils savent lire et écrire des règles, ils peuvent apporter un regard extérieur et critique nécessaire, mais aussi vaste que soit leur culture ludique, ils n’en savent pas autant que vous sur votre jeu, votre création. Ils peuvent aider à terminer un jeu encore un peu brouillon, ils peuvent donner des conseils utiles, mais vous ne devez pas les laisser vous mettre sur la touche. Les meilleurs développeurs n’essaient d’ailleurs pas de réécrire les règles, et se contentent de guider l’auteur en lui indiquant dans quelle direction travailler.

Bruno Cathala et moi avons eu une expérience un peu étrange avec Raptor. Après que nous avions – enfin, que Bruno avait car c’est lui qui a fait le plus gros du travail – transformé notre jeu de hobbits et d’araignées en jeu de dinosaures et de scientifiques, nous avons trouvé un éditeur intéressé, Matagot. Les premiers mois de travail sur le jeu ont été assez pénibles, l’éditeur apportant aux règles des modifications qui n’avaient pas vraiment de sens. Tous ces changements rendaient le jeu plus complexe, moins thématique, et souvent nous renvoyaient à d’anciennes versions du jeu, d’anciennes règles que nous avions éliminées car elles ne fonctionnaient pas bien. Fort heureusement, si l’éditeur était sans doute un auteur frustré, il était intelligent et, après quelques mois de perdus, a réalisé qu’il faisait fausse route et nous a rendu la main pour, essentiellement, revenir à notre version d’origine. D’autres sont plus têtus, ou ne pensent même pas à consulter l’auteur.

Bien sûr, comme en ce qui concerne le thème, il arrive que l’éditeur / développeur ait d’excellentes idées. Plusieurs des nouveaux personnages de Mascarade, ou de la grande boite de Citadelles, sont des idées des équipes de Repos Prod et de Z-Man. Ne vous braquez pas contre l’équipe éditoriale, n’ignorez pas ses suggestions, mais – sauf exception, j’y reviendrai – ne la laissez pas non plus s’approprier votre création. Testez chaque nouvelle règle, chaque nouvelle carte, pas après pas, une par une.

Rien n’est plus frustrant que de ne pas avoir de nouvelles d’un éditeur pendant des mois, puis de recevoir soudain un lien vers des pdfs déjà quasiment maquettés, de nouvelles règles et de nouvelles cartes, avec une centaine de modifications par rapport à la version précédente. L’auteur, celui dont le nom va figurer sur la boîte, découvre alors, trop tard, que le “développement” s’est fait sans lui, que ce n’est pas son jeu qui va être publié. C’est ce qui m’est arrivé avec Dreadful Circus, et c’est la raison pour laquelle je suis passé à côté de certaines des modifications les plus problématiques. Fort heureusement, après une discussion avec mes amis de Portal où nous avons tous reconnu nos erreurs, nous nous sommes entendus pour que je récupère mes droits. Le jeu que j’avais imaginé, sans doute la création dont je suis le plus fier, avec ses règles, ses équilibres et son thème, sortira cette année chez Trick or Treat Games sous le nom de Treasure of the Dwarves.

Cela se passe bien mieux lorsque l’on accepte de lâcher un peu son bébé à l’avance, après en avoir discuté. J’aurais sans doute préféré que Oink games, le sympathique éditeur japonais de petits jeux dans de toutes petites boîtes, publie le jeu de décompte des étoiles dans le ciel que je lui avais proposé. J’ai néanmoins été très content lorsque Jun Sasaki m’a dit que cela lui avait donné une idée pour un autre jeu, assez différent, utilisant le même mécanisme central. J’ai vu son jeu, j’y ai joué en ligne avec lui et son équipe, et j’ai accepté qu’il soit publié. Mon nom vient cependant en second sur la boite après celui de Jun. Il était originellement entendu que je pourrais continuer à chercher un éditeur pour mon jeu originel, mais j’ai abandonné cette idée après quelques parties de la version finale de Whale to Look. Contrairement à ce qu’il s’était passé pour Dreadful Circus, Whale to Look est en effet meilleur, plus léger et plus dynamique, que mon Constellations.

Vampire the Masquerade – Vendetta est passé par trois phases de design successives, ce qui en fait un bon exemple de la manière dont un éditeur peut efficacement gérer le développement du jeu.
Lorsque Charlie Cleveland, designer de jeux videos, entreprit de concevoir un jeu de société sur le thème des vampires, Il décida prudemment de demander l’aide d’un auteur de jeu de société plus expérimenté. J’ai eu la chance qu’il me choisisse. Partant de son premier prototype, nous avons ensemble réalisé une deuxième version du jeu, plus fluide, et qui nous a paru suffisamment différente pour que nos deux noms figurent sur le prototype – j’étais un peu le développeur. Nous avons ensuite trouvé un éditeur, Horrible games, qui décida de situer l’action dans l’univers de la Mascarade – toujours des vampires, certes, mais des vampires un peu spéciaux, avec leur monde, leur culture. Cet univers était familier aussi bien à Charlie qu’à Lorenzo et Hjalmar, de Horrible Games, mais je n’en connaissais à peu près rien. Pour travailler avec eux à cette phase finale du développement, il aurait fallu que je passe d’abord des mois à me documenter, essentiellement en lisant des livrets de jeu de rôles. Je choisis alors de me mettre en retrait, mais l’auteur originel, Charlie, était toujours là et fit même le voyage jusqu’à Milan pour quelques sessions intensives de tests et de développement. Charlie, Lorenzo et Hjalmar ont fait, tous ensemble, un excellent boulot.

Remakes et rééditions

Étant un vieil auteur de jeu, j’ai maintenant dans mon « catalogue » de nombreux jeux qui ne sont plus édités, et dont quelques uns ont connu deux ou trois versions différentes. Si vous êtes un éditeur éventuellement intéressé, voici un post récent avec une liste de titres disponibles.

Serge Laget et moi avions, il y a quelques années, décidé de reprendre de fond en comble Ad Astra pour en faire une version plus dynamique, qui sort ces jours-ci chez un éditeur américain, Great Gamers Guild. Là encore, nous avons fait le plus gros du développement, l’éditeur testant quelques versions successives et nous envoyant de temps à autre ses remarques et suggestions. Serge n’étant pas très à l’aise en anglais, c’est moi qui ai écrit les règles, mais en discutant de chaque point avec lui. L’équipe de the Great Gamers Guild a ensuite reformulé quelques passages, mais toujours après en avoir discuté avec nous. Cela s’est malheureusement moins bien passé avec l’éditeur de la « localisation » française.

Le plus souvent cependant, et en particulier lorsque c’est l’éditeur qui m’a contacté pour faire une nouvelle version d’un jeu que j’ai un peu perdu de vue, voire dont j’ai oublié les règles, je n’ai pas de plaisir ou d’intérêt particulier à m’y replonger. Je trouve cela à la fois plus difficile et moins excitant que d’essayer de faire quelque chose de vraiment nouveau. Qu’elle ait eu du succès ou non, si « ma version » originelle du jeu a été publiée, j’e n’ai guère de problèmes à laisser un autre, le plus souvent un éditeur, la retravailler à sa guise. Ayant déjà fait ce que je pouvais faire d’une idée, je suis même curieux de voir ce que d’autres pourront en tirer.

Grail Cup, qui arrive ces jours-ci chez Matagot, est un bon exemple de cette démarche un peu plus distancée. Il s’inspire d’un jeu plus ancien, Lost Temple, paru il y a une quinzaine d’années, qui reprenait déjà le système de choix de personnage de Citadelles, mais dans un jeu de course. Lost Temple ne s’était d’abord pas trop mal vendu, mais les ventes avaient vite décliné et j’avais récupéré les droits. Me penchant à nouveau dessus, il m’a semblé que je pouvais le dynamiser en supprimant les gemmes, qui étaient un peu la monnaie du jeu. J’ai donc fait un nouveau prototype. Matagot s’y est intéressé, mais à condition de pouvoir changer le thème. Nous avons discuté ensemble de quelques idées, pour nous entendre sur les chevaliers de la table ronde et la quête du Graal. Lost Temple existait déjà, il me restait quelques exemplaires d’auteur, et j’étais déjà pas mal pris par d’autres projets, certains d’ailleurs chez Matagot. Nous avons donc convenu ensemble que ce serait l’équipe de l’éditeur qui s’occuperait de cette nouvelle version. De temps en temps, ils me montraient leur dernière version pour que je puisse la tester, la valider, et parfois y glisser mon grain de sel, mais l’initiative, les orientations, le gros du travail ne sont pas de moi. Le résultat est sans doute meilleur que ce que j’aurais pu faire.

J’ai récemment placé pas moins de cinq jeux chez un nouvel éditeur très sympathique, Trick or Treat studios. Trois d’entre eux, Trollfest, Treasure of the Dwarves et un troisième dont je ne peux pas encore parler, sont de nouvelles créations, que l’éditeur ne m’a guère demandé de modifier. Halloween Party est une nouvelle édition de Toc Toc Toc!, un petit jeu de cartes paru il y a plus de dix ans. Gwenaël Bouquin et moi, les deux auteurs d’origine, avons travaillé ensemble avec l’équipe de Trick or Treat pour revoir un peu les effets des cartes.

Le dernier jeu, qui lui aussi n’a pas encore été annoncé, est aussi une nouvelle version d’un petit jeu assez ancien. L’éditeur souhaitait changer le thème, ce qui impliquait de revoir tous les effets des cartes pour construire des decks cohérents avec le nouvel univers, et j’ai dit clairement que ce travail ne m’intéressait pas vraiment. C’est donc l’éditeur qui développe tout cela en interne, tandis que je me contente de regarder de temps à autre où ils en sont et de tester un peu les decks pour vérifier qu’ils ne sont pas trop déséquilibrés. Le boulot n’est pas encore terminé.

Les règles, écriture et réécriture

Un jeu, au fond, ce n’est qu’une règle, et c’est donc la règle que vous devez relire avec soin pour vérifier qu’une modification n’y a pas été apportée sans que vous soyez au courant. Cela peut arriver même dans les jeux les plus simples. Je me souviens de la toute première édition de Diamant, dans laquelle l’éditeur avait sans prévenir personne supprimé la règle selon laquelle, lorsque deux cartes danger identiques sont piochées, l’une d’entre elles et retirée du jeu. Lorsque je repérai, au dernier moment, cette curieuse « correction », l’explication de l’éditeur fut qu’il ne voyait pas de problème à enlever une petite règle sans importance qui ne faisait que compliquer le jeu. C’est certes une petite règle de rien du tout, mais elle est essentielle car elle augmente les enjeux et diminue les risques au fur et à mesure de la partie, rendant possible des come-backs inattendus, ce qu’il n’avait pas réalisé. Si je n’avais pas fait attention, si je n’avais pas insisté pour que ce « petit détail » soit réintroduit dans les règles, le jeu serait paru sans et n’aurait peut-être pas rencontré le succès qu’il a eu.

J’insiste désormais systématiquement pour rédiger moi-même le premier jet des règles destinées à figurer dans la boîte, l’éditeur passant derrière mais ne faisant de corrections qu’avec mon accord.
Tous les auteurs ne procèdent pas ainsi. Certains n’aiment pas rédiger des règles ou savent qu’ils ne sont pas très bons dans cet exercice. Du moins leur faut-il s’assurer qu’elles sont rédigées en bon anglais, ou en bon français, ce qui est loin d’être toujours le cas. Cette rédaction doit aussi être entamée suffisamment à l’avance pour permettre plusieurs allers-retours afin de faire toutes les corrections et reformulations nécessaires. Trop souvent, ce travail pourtant essentiel, est fait dans l’urgence, dans la semaine qui précède l’envoi à l’imprimeur.

Curieusement, ce sont surtout les éditeurs français qui ont tendance à passer des semaines, voire des mois, à soigner la maquette d’un jeu, à en retravailler les illustrations avec soin, puis à écrire les règles avec les pieds dans dans les derniers jours, avant de laisser, quand ils y pensent, une dizaine d’heures à l’auteur pour la relecture et les corrections. Les éditeurs anglo-saxons semblent mieux comprendre l’importance de la clarté et de l’élégance du texte, et c’est l’une des raisons pour lesquelles, dans les boites de jeu, les règles en anglais sont presque toujours bien meilleures que celles en français.

Il y a un temps pour tout

Auteurs et éditeurs de jeux n’ont pas la même temporalité. Je comprends très bien les problèmes de gamme et de programmation de sorties des éditeurs. Je n’en suis pas moins énervé, voire désespéré, lorsque après avoir attendu un ou deux ans sans la moindre nouvelle après la signature d’un contrat d’édition, je reçois soudain un email me disant « le jeu sort dans six mois, et d’ici là il faut changer le thème, ajouter une variante pour deux joueurs et une variante coopérative, diminuer le nombre de cartes pour baisser le coût de production, et remplacer tout le texte des cartes par des icônes pour que le jeu soit plus facile à localiser « à l’international » ». Peu importe alors que l’éditeur vous demande de faire les changements ou pense pouvoir les faire lui-même, le résultat sera toujours le même, un désastre éditorial.
Le prototype de l’auteur est le résultat de mois, parfois d’années de réglages, de bricolage et de tests. Il est toujours possible d’en faire plus, mais les nouveaux changements doivent être faits avec le même soin, et testés prudemment, l’un après l’autre, à leur rythme. Trop d’éditeurs sous-estiment le temps nécessaire pour cela, ou surestiment aussi bien l’auteur originel que leurs développeurs.

Les idées de dernière minute peuvent être excellentes, mais on n’en est jamais certain. Méfiez vous des vôtres, et plus encore de celles de l’éditeur, qui ne connaît pas le jeu aussi bien.

Tout faire soi-même

Alors, bien sûr, il reste la possibilité de tout faire soi-même, d’être l’auteur, l’éditeur et parfois aussi l’illustrateur. C’est le choix qu’a fait, par exemple, Luis Bruêh, auteur notamment de l’excellent Night Parare of a Hundred Yokais. J’apprécie son stytle de jeu comme son style graphique, et j’aimerais que tous mes jeux soient illustrés avec le même humour et aussi soigneusement édités. C’est bien sûr la meilleure façon, comme auteur, d’obtenir très exactement ce que l’on souhaite, mais je n’y ai jamais pensé très sérieusement.

La première raison est que, comme je l’ai expliqué plus haut, si les éditeurs ont parfois de mauvaises idées, ils en ont plus souvent de bonnes. Je râle pour quelques déceptions, mais si je faisais le compte, je trouverais sans doute un plus grand nombre de mes jeux auxquels le développement éditorial a vraiment ajouté quelque chose.

La seconde raison est que l’édition, c’est un métier, que je ne pense pas être capable de maîtriser. Il faut discuter illustration, maquette, imprimerie, fabrication, distribution, toute une série de domaines dont je crains qu’ils ne me passionnent pas, et pour lesquels je suis à peu près certain de ne pas être compétent. Je ne sais pas dessiner, et Kickstarter ne règle plus ou moins que le problème de la distribution. D’ailleurs, pour une success story comme celle de Luis Bruêh, que je citais plus haut, on compte de nombreux échecs, des auteurs inconnus et parfois ruinés, qui se sont lancés sans trop savoir où ils allaient, persuadés à tort qu’en concevant un jeu, ils avaient fait le plus gros du boulot. Ils n’avaient fait que le plus amusant.

Quarante ans déjà….

Les quelques mauvaises expériences que j’ai eu récemment montrent bien que la manière dont un jeu peut être « développé » (je reprends les guillemets pour la conclusion) devrait être l’un des premiers points discutés entre auteur et éditeur. Ce n’est presque jamais le cas. Les problèmes autour du jeu lui même, de son thème ou de ses règles, sont bien plus fréquents que les désaccords financiers entre auteur et éditeur, mais nos contrats consacrent de longues pages au calcul des droits d’auteur et pas une phrase au « développement » du jeu. Je ne connais pas d’exemple de désaccord éditorial qui se soit terminé devant les tribunaux, mais c’est peut-être justement parce que les contrats ne disent rien. Il n’est peut-être pas nécessaire de tout formaliser par écrit, mais auteur et éditeur devraient discuter de ce sujet clairement et systématiquement avant de se lancer dans un processus d’édition.

Cela fait maintenant quarante ans que je conçois des jeux et discute avec des éditeurs. Ce qui était un hobby un peu intello est devenu un marché et un business. La quasi totalité des auteurs et des éditeurs sont encore des joueurs, des passionnés, mais ils ont dû, comme moi, devenir aussi un peu des professionnels. Au moment de donner la dernière touche à un jeu, de faire les derniers petits réglages, de rédiger le texte définitif des règles, de choisir un illustrateur, chacun se sent responsable de tout. Peut-être parce que je ne suis pas très sensible aux images, je ne me mêle pas trop du choix des artistes qui illustrent mes jeux; j’apprécie que l’on me demande mon avis, mais je laisse l’éditeur décider. Pour tout le reste, pour tout ce qui concerne le jeu lui même, et notamment la rédaction des règles, les choses sont de plus en plus difficiles. Être ouvert à la discussion, c’est être capable de changer d‘avis, mais c’est aussi savoir défendre son point de vue.

Les éditeurs connaissent le marché mieux que vous, et mieux que moi. Ils savent ce qui se vend et ce qui ne se vend pas. Ils savent ce qui rentre dans leur gamme et ce qui n’y rentre pas. Ils risquent leur argent dans la publication d’un jeu, quand je n’y dépense guère que du temps. Face à des auteurs, jeunes et vieux, de plus en plus nombreux, ce sont eux qui font leur marché. Tout cela les met en position de force et fait qu’il est difficile à un auteur de refuser des modifications lorsqu’il pense qu’elles peuvent affaiblir le jeu.
D’un autre côté, le nom de l’auteur figure désormais sur toutes les boites de jeu, comme c’était depuis longtemps le cas sur les couvertures des livres. L’auteur de jeu est bien devenu un « auteur », presqu’un écrivain. Ce n’était pas le cas dans les années quatre-vingt-dix, où on le considérait comme une sorte d’inventeur, de bricoleur – ce qu’il est un peu aussi, c’est vrai. Mais ce nom sur la boite, parfois aux côtés de celui de l’illustrateur et toujours au dessus de celui de l’éditeur, il signifie que l’auteur est responsable du jeu, de ce qui est dans la boite. Si je suis responsable, même solidairement, je dois être impliqué jusqu’au bout.


In october 2022, I was invited to a game designers and publishers meeting in Puszczykowo, in Poland. I already told about it in an earlier blogpost, here. I gave a speech, largely inspired by a few recent bad experiences, about the benefits, but also the problems encountered when a publisher wants to “develop”, that is to change, a game. This article is a streamlined and updated version of this speech – updated because several of the games I used as examples, and on which I was working then are hitting the shelves just now, in June 2023.

Any novelist would tell you, half jokingly, that most literary editors and publishers are frustrated writers. The same is true in the boardgame industry. It makes discussing the details of a game with the publisher both interesting, because of the technicity, and challenging, because hampered by jealousy. The « development » of a boardgame, development being an euphemism for « rule changes made after the publishing contract has been signed » is the most mentally and morally exhausting part of boardgame designto the point I am sometimes tempted to give it up.

Of course, like every other boardgame designer, I only show to publishers well tested prototypes which, I think, are finalized and nearly ready for publication after the addition of some art. It is perfectly understandable, however, that the publisher might want to implement some changes. The nature and possible extent of these changes should be discussed in advance, which is rarely the case. May be they should even be specified in the contract, which is never the case. Design and development issues between designer and publisher are much more frequent than money issues, but most game publishing contracts deal almost exclusively with royalty rates and publication deadlines. Unfortunately, when there’s a disagreement about something which is not dealt with in the contract, the publisher is in a position of strength – meaning they can do more or less what they want.

How to organize the game development after a publishing contract has been signed is a practical issue. How to deal with disagreements between the designer and the publisher about a game is also a moral issue, and could become a legal one, though I don’t know (yet?) of a single case of game development issue which ended before a court. I’d like to stress, however, that the law on these issues is very different depending on the country. In French law, there is a patrimonial author’s right which is sold via the publishing contract, and a moral author’s right which cannot be sold and implies that, no matter what’s in the contract and how many subcontracors there are, a cultural work cannot be substantially modified without the agreement of its author. As far as I know, there’s no such distinction in US law.

What is important however is not the law, it is the designer, the publisher, their relations, and of course the game. While I wanted most of my games to be published with the exact rules I had devised, and usually managed to do it, there are some designs for which I was ready to give the publisher free rein, and even a few cases where I asked for it. It all depends on the people, the game, the timing – every case is different, but every case must be discussed beforehand.

I know very few designers who ever had troubles with the calculation or the payment of their royalties. I don’t think I know a single one who doesn’t have an absurd story to tell about how a publisher modified, or wanted to modify, one of his designs. We also all experienced clumsy rules rewriting, or but that’s another topic which I already discussed in an article last year, terrible rules translation.
Furthermore, money issues can always be solved, even if late, even if with help from a court, something which is luckily extremely rare and never happened to me. Editorial issues, on the other hand, cannot be corrected. What’s done is done and games almost never get a second chance.

I will write here almost exclusively from my experience, because that’s what I know best, but also because I’m not sure fellow designers would like me to make public stories I’ve heard from them. If discussing this issues is still very difficult for a well established designer like me, I imagine it must be even harder to young publishers with no or little experience in the boardgame business, and therefore no strong standing when facing a publisher. Of course, even though I formally address designers, this article is also, in a way, intended to be read by publishers.

The game “must fit”

So, you’ve shown your prototype to a publisher and they find your game interesting but…

The theme doesn’t fit with their line
The theme is too much like another of their games
It’s too long
It’s too short
It lacks interaction
It’s too aggressive
It’s too simple
It’s too complex
It should accommodate two players – this happens to me all the time, because my first prototypes usually don’t.


Theme issues depends on the game. Sometimes the setting can be changed, sometimes not. Changes in the game systems should always be conceivable, as long as they’re not excessive. It must be done carefully, with no hurry, and if not by the original designer at least with them. It happens to writers as well, who often have to shorten their text, or rewrite some parts of it. My unicorn book was 2.4 too long for my publisher, I accepted it, but I did the cuts.

The theme – OK, the setting, if you prefer

Note : As is now usual in the gaming world, I use indifferently the terms « theme » and « setting » to describe the universe in which the game action is taking place. I know perfectly well that some critics make a difference, taken from literary theory, with the theme being the plot underlaying the game action (cooperation, whodunnit…) and the setting the universe in which it takes place (medieval fantasy, science fiction…). While this distinction is interesting when discussing novels or theater plays, it doesn’t always make sense with boardgames. What literary critics call « theme » is, in most games, inherent with the mechanisms.

A very common situation is when a publisher enjoys playing a game, but thinks the setting won’t sell or won’t fit their line. A change in theme is the most frequent publisher request, and usually the easiest one to deal with – it’s possible, or it isn’t.
Since they don’t plan to publish a game before knowing what its setting will be, most publishers will discuss it with the designer before signing the publishing contract, or at least make clear that they want to look for a new theme. Two or three times however, I have signed a contract with a publisher who didn’t specify beforehand that they wanted to change the theme of a game, because they didn’t really think it could be an issue. At least they always discussed the new setting with me afterwards.

Of course, whether a change is possible or not depends on the game.
Many games are, at their heart, abstract. If the setting doesn’t go further than giving a vaguely historical or exotic name to the game and its pieces, changing it should never be a problem. I don’t remember what was the original theme, if any, of
Attila, but I know it wasn’t barbarians swamping grass. I have a prototype named Vampire Hunters only because the pieces I used in the prototype are vampire shaped, and which could have hundreds of other themes. I don’t even remember if the change of theme in Mascarade, from Alice in Wonderland to Venice Carnival, happened before or after I signed the publishing contract with Repos production. Miaui was about old ladies giving bread crumbs to pigeons, the publisher made it about Polynesian cats catching fishes, but this doesn’t affect the gameplay.


Conversely, some games are built around their theme, making a change of setting clearly impossible. This is obviously the case with simulation games, including wargames, but that’s also true of many other lighter games. Among my own designs, that’s the case with
Mystery of the Abbey or Trollfest, and if often means these are good games, games that tell a story. There may be surprises, though – I never imagined that the Hobbits vs giant spider that Bruno Cathala and I had designed could, with minor rules changes, become a game about Raptors and hunters scientists.

Most games, or at least most of my designs, are in between, and that’s where things can get tricky.

Often, the change initiated by the publisher is for the better. A good example of this was Isla Dorada. The original prototype I had shown to Funforge had the most boring setting one can imagine – medieval merchants in central Europe. I knew it was bland but had vainly been looking for another meaningful and consistent setting. The idea of making it the exploration of an island, which is undoubtedly more sexy, came from the publisher, Philippe Nourah. The change was implemented soon enough to let us about one year to introduce new and fun thematic elements such as airship, killer pandas and tribe wars. Only after the game was published did I realize that we forgot to add an essential exotic island cliché, the volcano – if there’s a new edition someday, I’ll manage to bring one in.
Another nice story is that of
Tonari. My prototype, like the simpler Alex Randolph’s game which inspired it, was purely abstract, and I knew it needed a more or less meaningful setting. The idea of a fishing boat, which fits perfectly, came from the publisher, IDW games (who unfortunately left the boardgame business since, so this fun little game is looking for a new publisher).
Even when I had agreed with it when proposed by the publisher, the theme change in
Dreadful Circus was a miss. The prototype, like the upcoming new version of the game, was about dwarves collecting coins, gems and magical treasures. It fitted perfectly well with the game mechanisms, but it was only slightly more original than German medieval merchants. I was not really surprised when Portal asked to change it, and I was happy they had found an idea. The problem is that the new universe doesn’t really make sense when playing, and the game never feels like the unfolding of a story. It’s hard to say if it’s because of the setting itself, or because it was implemented in a hurry, a few months before publication, without any real feedback to the game elements.

My designs are not simulations, but the original universe can nevertheless inform the game mechanisms in many ways. I usually try to give hints to the setting, either with minor thematic rules, or with jokes linking card names and their game effects. These small rules, these lights puns, are obviously lost when there’s a change of theme and should be replaced with other ones, even if it means changing a few rules. When a given rule doesn’t make sense in the new setting, it’s often better to just remove it. Most times, this necessary feedback from the new theme into the game rules and cards is forgotten. The publisher takes the card, pieces and effects from the prototype and just gives them more or less random new names inspired by the new setting, names which don’t always make sense. If the theme of so many games feels « pasted on », it usually is because it has indeed been hurriedly and carelessly pasted on.
Bringing new small thematic rules, small thematic puns into the game, like Anja Wrede and I did when our
Lost Sheep game became Lost in the Woods, needs some time, and an intricate knowledge of the game balance. That’s why it should be done by, or at least with, the original designer.

The mechanisms – that is, the rules

That’s where things can get tricky, and this can lead to disagreements and even bitterness. The few publishers who are not frustrated designers are former game designers. Both can’t resist jumping in, adding new rules, new cards, reworking the game balance. Big publishers even hire in-house “game developers”, who are something like glorified professional frustrated game designers. These people have a vast game culture, lots of experience with reading and writing rules, they know the games and the gamers better than you do. The problem is that despite their larger game culture, they don’t know your specific game as well as you do. They can help finalizing a game that is still a bit rough, they can give you valuable advice, but you should not let them put you aside. The best developers are those who don’t try to rewrite the game rules but rather guide the designer and tell them in what direction they should work.

Bruno Cathala and I had a strange and mixed experience with Raptor. After we – well, mostly Bruno – had changed the setting of our Hobbits/Spider game to Raptors/Scientists, we found a publisher for it, Matagot. The first months of development were painful, the publisher trying to make changes to the game that didn’t really make sense, like replacing fire on the different spaces with barbed wire between the spaces. It made the game more complex, less thematic, and in some ways it was sending it back to earlier versions we knew didn’t work. Luckily, if the publisher was a frustrated designer, it was an intelligent one who realized this didn’t work. We mostly went back to our original version, but after a few months lost. Other publishers are more stubborn, or don’t even think of discussing the changes with the designer.

Of course, just like with theme, the publisher or developer can have really good ideas. Some of the characters in Mascarade, or in the new version of Citadels, are in-house additions made by the people at Repos prod and Z-Man. As a designer, you should not block developers, you should not ignore them, but you should not let them get loose. Keep control of your game, be sure to check every new card, every new rule – and that’s why they must be implemented one by one.

Nothing is most frustrating than getting no news from a publisher and then suddenly finding out that the development has been made and more or less playtested without you, when receiving a link to a new set of rules and cards with hundreds of changes from your last version. That’s what happened with Dreadful Circus and is the reason why I missed some of the most critical and problematic changes. I had long discussions with Ignacy and the team at Portal, we all admitted our errors, and we decided that I will get my rights on the game back. My original game, probably the design I’m most proud of, will be published at the end of 2023 by Trick or Treat Games as Treasure of the Dwarves, with its original setting, its original rules and its original balance. It’s defintely not the same game as Dreadful Circus.

It might be OK, and even go very smoothly, when everything has been discussed from the beginning. I would have preferred Oink games, the small Japanese publisher of small games in very small boxes, to publish my original game about counting stars in the sky, Constellations. I was nevertheless happy when Jun Sasaki told me it had given him an idea for something a bit different, using one of the core mechanisms of my game. I saw his game about tourists going whale watching, Whale to look, played it online with their team, and agreed to have it published. My name, however, is second after Jun’s one on the box. We originally agreed that I would still be allowed to look for a oublisher for my original game, though I gave up this idea after a few plays of the final version of Whale to Look, which, unlike what happened with Dreadful Circus, is indeed better and more fun than my Constellations.

Vampire the Masquerade – Vendetta, which had three successive design phases, is a good example of how publisher development can be dealt with efficiently.
When Charlie Cleveland, who was already a successful video game designer, decided to give a try at a Vampire themed boardgame, he prudently chose to ask an old boardgame designer for collaboration, and he chose me. We started from his original prototype and together designed a second version, more fluid and different enough to deserve both our names on the prototype box – in a way, I was the developper there. Then we found a publisher, Horrible Games, who decided to move the game into the Masquerade universe. It’s still a vampire settiong, but a very specific and sophisticated one. Charlie, Lorenzo and Hjalmar of Horrible games were all familiar with it, I wasn’t. Working on this with them would have implied spending months reading sourcebooks to get acquainted with this universe, and I didn’t have the time for it. This is why, for mostly technical reasons, I decided to step aside from this last development phase, but the original designer, Charlie, stayed in and even made the trip from San Francisco to Milan for a few intensive playtest and development sessions. They made a fantastic job.

New versions of older designs

Being an old game designer, I now have a “catalog” with many out of print games, and even a few ones which have had two or three successive editions. By the way, if you’re a publisher interested in republishing some of my older stuff, here’s a recent blogpost with a list of available titles.

A few years ago, Serge Laget and I have decided to work on a more dynamic version of Ad Astra. This new version ought to be published soon by Great Gamers Guild. Like for a brand new game, Serge and I made most of the development. The publisher was just testing successive iterations and emailing us remarks and advice, of which we made good use. Similarly, I wrote a first draft of the rules, which were rewritten here and there by the Great Gamers Guild, but always after discussion with us. Unfortunately, it didn’t went as smoothly with the publisher of the French version.

Most times however, and especially when the idea of a new edition of an out of print game comes from the publisher, I am not that much intellectually interested in reworking my older designs. It’s never as exciting as making something really new. When « my » original version of a game has already been published, no matter whether it has been successful or not, I have no problem with giving a publisher free rein on a new version. What I could do with this game has been done, I’m now curious to see what others can do out of it.

A good example is Grail Cup which is hitting the shelves just now, published by Matagot. It is a reworking of an older game, Lost Temple, published ten or fifteen years ago. Lost Temple was itself a different take on the Citadels character system. It sold relatively well, but the success didn’t last and the publisher discntinued it. I took it back, made a streamlined version without the gem/money element, and showed it to a few publishers. Matagot was interested, but they also wanted a different settoing, to emphasize that it’s not the same game. We discussed it together and ended with a fun idea, Knights of camelot racing for the Grail castle. Lost Temple was already here, I still had a few author copies on my shelves, I was working on other projects at the time, so we decided together that their development team will handle the changes. Everey few months, they showed me their last version of the prototype so that I can playtest it and, sometimes, jump in with a few small ideas. I’m really happy with the result, which is probably better than what I could have done.

Similarly, I recently signed for five games, no less, with a new publisher, Trick or Treat Studios. Three of them were brand new designs, Trollfest, Treasure of the Dwarves and a third one which has not been announced yet; the publisher didn’t ask for any major change to their rules. The two other ones are new versions of older card games. Knock Knock! Has just been republished as Halloween Party. The development was a real collaborative work, the two designers, Gwenaël Bouquin and I, working together with the publisher on the fine tuning of some card effects.

The last one, a card game which has not been announced yet, is also a new version of an older design which already had several iterations. Trick or Treat wanted to change the setting, and the new theme meant that we have to design new cards and decks embedded in this new universe. I made clear from the beginning that I was not very interested in working this, and I let them do the development. I check from time to time what they are doing, I playtest new cards deck to make sure everything works. It’s still a work in progress.

Writing and rewriting rules

In the end, a game is just a set of rules. That’s why, until the very end, the designer should check every version of the rules to make sure no unexpected and unwelcome change has been made. Theoretically, no change should be made that was not discussed with you before, but, well, it happens. It even happens in the lightest and simplest games. When checking the final rules for the very first edition of Diamant, I suddenly realized the rule stating that when two identical danger cards are revealed, one of them is removed from the game, was missing. This had not been discussed before with the publisher. I emailed the publisher, whose answer was that this was just a very minor rule which was removed for the sake of simplicity. It is indeed a small rule, but it is essential because it changes the odds, making advancing slightly less hazardous when the game moves on, and therefore making dramatic comebacks more likely. If I had not noticed this, if I had not insisted on bringing back this trivial rule, the game would have been published without, and would probably have been less successful.

I now insist on writing the first draft of the final ruleset, which then comes back and forth between publisher and designer for corrections and, here or there, rewriting. Most game authors don’t work like this, because they don’t like rules writing or because they know they’re not very good at it. At least, you must make sure the rules are clear, grammatically correct, and that there is enough time for corrections and serious proof-reading. Too often, this is made hurriedly, sometimes in the week before the game goes to the printer. No wonder so many game rules are ambiguous and badly written.

Some publishers (mostly French ones, I don’t know why) spend months reworking the art and graphic design of a game, before writing clumsy rules in the last wekk and letting a day or two to the designer for prof-reading and correction. US publishers seem to be more aware of the importance of a clear and elegant writing. That’s one of the many reasons why the English rules of a game are almost always better than the French ones.

There’s a time for everything

Game designers and game publishers have different time frames. I can understand why, I can sympathize with publishers’ schedule issue. I nevertheless feel both overwhelmed and frustrated when I sign a publishing contract, wait one or two years with little or no news, and then suddenly receive an email saying « we plan to publish the game six months from now and, in the meantime we would like to change the setting, add a two player and a cooperative variant, remove a few cards and replace all the text with icons to make it language independent ». No matter whether the publisher asks you to do the changes or assumes it can work on it in-house, this is a recipe for editorial disaster
The designer’s prototype is usually the result of months, if not years, of playtesting and fine tuning. Changes can always be made afterwards, but they must be made with the same care, one after the other, with enough playtesting and feedback in between. Many publishers underestimate the time needed to implement these changes, or overestimate both their developers’ and the original designer’s ability to do it.

Last minute ideas can be great, but you are never sure. Be wary of your own ones, and be even more wary of those from developers who don’t know the game as well as you do.

All by oneself ?

Of course there’s always the temptation to do all by oneself, to be at the same time designer, publisher and sometimes even illustrator. This is the choice made, for example, by Luis Brueh, who designed, among others, the recent and excellent Night Parade of a Hundred Yokais. I like his design style, and I would like all my games to be so well illustrated and produced. This might look like the best way to get exactly the game one wants. I never really seriously considered it, for two reasons.

The first reason is that, as I explained before, while publishers sometimes have bad ideas, they more often have good ones. I can grumble here for a few disappointments, but if I were to reckon all lmy published games, there are probably many more which were realy improved by the publisher’s “development”.

The second reason is that publishing is a different job, and one I don’t think I can master. I don’t feel like discussing graphic design, printing, production and distribution, and I’m quite sure I would be very bad at it. I’m terrible at drawing, and Kickstarter partially solves only one other issue, distribution. For one relatively successful story like that of Luis Bruêh, there are many unknown and sometimes ruined designers, who went all-in, confident that by designing a game, they had made the hardest part of the job. They had not.

What has changed in 40 years….

I’ve had a few bad experiences recently. How a game will be « developed » should be clear from the beginning, and it almost never is. Between publishers and designers, issues with game development are far more frequent than issues about money, when our contracts sometimes have more than ten pages about how to reckon royalties and not a single sentence about the development and finalization of the game. It might make little sense to write it down if no one is willing to go to court about it, but at least it should be clearly and openly discussed by designer and publisher before signing a contract.

I’ve been designing games and dealing with publishers for forty years now. There has been lots of changes in what went from a tiny hobby to a mass market. Most designers and publishers are still enthusiast gamers, but they also had to become more professional. When it comes to finalizing a game, making last adjustments to the rules, choosing an artist, writing the final ruleset, everyone feels more and more responsible and wants to check everything. May be because I’m not that good at art, I don’t try to mess with the publisher’s choice of illustration, even when I prefer to be informed and sometimes give my opinion. But on all other publishing issues, on everything that deals with the game itself, discussions have become more tense. I’m open to discussion, but if I’m not convinced, I try to hold my ground, and I think more designers should try to hold theirs.

Publishers know the market better than I do, and better than you do. They know what sells and what doesn’t. They know what can fit in their line and what cannot. Contrary to game designers, they spend their own money in publishing a game. All this places them in a stronger position and can make difficult for a boardgame designer, especially a wannabe one, to resist a change they are afraid might weaken the game.
On the other hand, the designer’s name is now on the game box like the novelist’s name is on a book cover. A game designer is now recognized as an « author », almost a writer ; this was not the case in the nineties, when he was seen as a kind of « inventor ». This also means the designer / author is accountable for what is in the box, the game, its setting, its mechanisms, its rules. If I’m accountable, I need to be in
charge, or at least involved.