Je prendrai au mois de février 2024 ma retraite de l’éducation nationale. Cela me donnera sans doute l’opportunité de travailler un peu plus ou un peu différemment dans le petit monde du jeu, et je suis d’ailleurs ouvert sur ce point à toutes les propositions. En attendant, je me retrouve pour ma dernière année au lycée à préparer un programme d’économie que je n’avais plus enseigné depuis longtemps, celui de première. Si je le trouve globalement moins intéressant que celui de terminale, il y a quelques chapitres que j’ai plaisir à traiter, dont celui sur la monnaie. Si l’histoire et la théorie monétaire m’intéressent, c’est peut-être parce que la très réelle monnaie a quelque chose à voir avec les univers virtuels du jeu.
La monnaie un peu comme un jeu
On me demande souvent lors des interviews quelle est ma définition du jeu. Je m’en tire généralement par une pirouette, expliquant n’avoir pas plus besoin d’une définition du jeu pour concevoir des jeux de société que je n’ai besoin d’une définition de l’éducation pour donner des cours. De fait, je suis un peu face au jeu comme Saint Augustin face au temps – je sais parfaitement de quoi il s’agit tant que l’on ne me demande pas de l’expliquer. Lorsque j’essaie vaguement d’y répondre, c’est donc moins par nécessité que… par jeu.
Je ne vais pas revenir sur les définitions les plus souvent citées, celles de Johan Huizinga et Roger Caillois, deux auteurs qui se sont aussi un peu intéressés aux licornes, ou plus récemment par le philosophe Colas Duflo. Faute d’une définition satisfaisante qui saisisse l’essence ou la fonction du jeu, je me contente généralement de la combinaison des deux caractéristiques les plus souvent citées, un système de règles arbitraires et une stricte séparation du monde réel, ce que certains appellent le « cercle magique ». À ces deux critères, il faudrait peut-être ajouter un troisième, à moins qu’il ne soit la synthèse des deux précédents, simplicité et compréhensibilité – par opposition au réel, complexe, incompréhensible et vraisemblablement absurde, le jeu est simple, compréhensible et clairement absurde.
Si la question de la définition du jeu présente quelque intérêt pratique, c’est surtout pour discuter des cas limites. Il existe des systèmes de règles simples et plus ou moins arbitraires dont la séparation avec le réel est relative ou discutable, comme les loteries et jeux d’argent, les jeux éducatifs et autres serious games, le sport de compétition, les duels, la roulette russe, les rituels et croyances religieux et une bonne partie de ce que les mathématiciens discutent dans leur théorie des jeux. Il y a donc parfois « du jeu » entre le jeu et le réel. D’autres univers séparés du réel ne pouvant que très partiellement être décrits par un ensemble de règles, comme les jeux de rôle ou les jeux videos ouverts, relèvent un peu du jeu mais peut-être aussi un peu de la littérature – qu’il faudrait alors aussi définir.
La « gamification » consiste à introduire des mécanismes, des règles, des conventions empruntés au monde ludique dans des cadres réels afin de les simplifier, parfois pour les rendre plus aisés à comprendre et à naviguer, plus souvent pour faire oublier leur nature et leurs « enjeux » réels. Très à la mode dans les années 2000, le procédé n’est cependant pas nouveau. Le système de notes utilisé depuis bien longtemps dans le cadre scolaire, l’un des cas de gamification les plus systématiques, montre bien qu’elle ne débouche pas toujours sur quelque chose de très amusant. La monnaie joue un peu le même rôle.
Les économistes définissent la monnaie par ses trois fonctions, intermédiaire des échanges, mesure de la valeur et réserve de valeur. Dans un système capitaliste comme le nôtre, il faudrait en ajouter une quatrième que les joueurs connaissent bien : la monnaie est un système de score – ce que les sociologues américains appellent un signe de statut social. Ces quatre fonctions font de la monnaie le moteur et le carburant de ce que l’on pourrait appeler la « gamification capitaliste ». La monnaie, comme le disait Jean-Baptiste Say, est un voile qui recouvre la complexité des utilités, des valeurs et des rapports sociaux. Encourageant les échanges et mettant les individus en concurrence, l’unité de compte unique et universelle fait de la société un simulacre de jeu. Elle amène à vivre selon un système de règles, celles de l’échange marchand, et pour un but arbitraire, être plus riche que son voisin. Elle a certainement contribué à pacifier les relations sociales et à améliorer nos conditions de vie mais, devenue sinon le seul système de score, du moins le principal moyen de mesurer un succès qui ne peut plus être qu’individuel, ´est un peu elle nous fait aujourd’hui entrer dans une spirale autodestructrice dont il n’est pas du tout certain que nous parvenions à échapper.
La monnaie et les jeux
Il reste que si la monnaie présente quelques caractéristiques du jeu, elle n’en est pas un. Elle est une convention, une pure règle, mais elle s’échange contre des biens et services très réels, et est au cœur de la vie sociale. Ne faisant pas vraiment travailler l’imagination, on s’attendrait à ce qu’elle soit peu présente dans des univers ludiques dont la seule fonction est de nous fournir une échappatoire consciente et passagère au réel. Elle est pourtant partout dans les jeux de société et dans les jeux videos, le plus souvent sans même chercher à se cacher. La raison est simple et purement technique : elle y remplit plus ou moins les mêmes fonctions que dans le monde réel, permettant de mesurer la valeur des éléments de jeux, cartes ou pions, et de faire des échanges avec le jeu – en anglais comme en français, on dit souvent avec la banque – et parfois avec les autres joueurs. Même lorsque le but du jeu n’est pas de s’enrichir, les échanges restent souvent au cœur de ses mécanismes.
Alors même que relativement peu d’entre nous ont jamais participé à une vente aux enchères, que ce soit comme vendeur oui acheteur, les enchères sont un système très présent dans les jeux de société. Elles permettent en effet de créer une forte concurrence entre les joueurs, et de les impliquer tous simultanément – et là encore, s’il y a des enchères, il faut de la monnaie. Bon, je ne vais pas faire la liste de tous les jeux d’enchères que j’ai conçu, c’est sans doute l’un des genres que j’apprécie le plus et auquel j’ai le plus contribué.
Jeux d’argent
Toutes les définitions du jeu insistant sur la stricte séparation avec le monde réel, l’idée de « jeux d’argent » comme le poker ou le blackjack, a quelque chose de paradoxal. S’il m’est arrivé, lors de discussions de fin de soirée à Essen ou Indianapolis, d’entendre arguer que les jeux d’argent ne devaient pas être considérés comme des jeux, ceux qui défendaient ce point de vue de principe ne les avaient le plus souvent jamais pratiqués. Tous ceux qui ont joué au poker, et j’y ai beaucoup joué, savent bien que c’est un jeu, que les sensations qu’il procure sont pour l’essentiel de même nature que celles générées par d’autres jeux de société – même si, et cela renforce encore le paradoxe, le jeu ne fonctionne plus s’il est joué avec des allumettes. Les joueurs d’échecs de haut niveau sont aussi souvent d’excellents joueurs de poker, et rien n’empêche de jouer aux échecs pour de l’argent. Quant au backgammon, il est difficile de défendre l’idée qu’il ne serait plus un jeu dès lors que l’on y ajoute un videau, mécanisme éminemment ludique.
Si les jeux d’argent sont bien des jeux, et même des jeux particulièrement efficaces, c’est parce qu’ils restent, malgré leur enjeu, bien séparés du temps et du monde ordinaire. Ils ont un début et une fin, un espace de jeu délimité, et surtout des règles de distribution de la monnaie qui n’ont rien à voir avec celles du monde réel. L’argent gagné (ou perdu) au jeu n’est pas un revenu du travail ou du capital, c’est un revenu du jeu. Cet enjeu réel ne fait que renforcer l’étrangeté, l’ivresse voire l’ironie ressenties par les joueurs. C’est sans doute pour renforcer cette séparation, ce « cercle magique » que la réalité monétaire pourrait mettre à mal, que les jeux d’argent sont toujours très abstraits.
Même si l’on n’y gagne pas que de la monnaie, on peut assimiler aux jeux d’argent les lotos et autres loteries. Là encore, ils ne fonctionnent comme jeux de hasard que parce qu’ils sont inscrits dans un temps et, le plus souvent, un lieu limité – et parce que la réalité, elle, n’est pas entièrement gouvernée par le hasard.
Les joueurs professionnels d’échecs, ou de football car beaucoup de sports sont aussi des jeux, pratiquent bien le même jeu que les amateurs, même si c’est pour des enjeux différents. De même, étant auteur de jeu de société, les parties que je fais, de mes jeux et d’autres, font partie de mon activité professionnelle, et je déclare d’ailleurs tous les jeux que j’achète comme frais professionnels – mais pas les bières et le whisky.
Que dire des jeux de cartes à collectionner, de Magic the Gathering, de Pokemon, bientôt peut-être de Lorcana ? La monnaie n’est pas dans la partie elle-même, mais elle est tout autour, celui qui dépense le plus d’argent ayant plus de chances de gagner…. Je ne sais pas si les plus gros acheteurs sont des joueurs ambitieux ou des collectionneurs compulsifs, il y a sans doute les deux.
Je ne parlerai pas ici des jeux videos, avec ou sans s, sujet que beaucoup connaissent mieux que moi. Un raisonnement similaire pourrait sans doute s’appliquer à ceux, assez nombreux, dans lesquels il est possible d’acheter cartes, objets ou compétences avec de monnaie réelle, voire pour lesquels existe un taux de change, officiel ou non, entre la monnaie du jeu et celle de l’extérieur. Qu’il y ait un peu de contrebande le long de la frontière avec le réel ne la fait pas disparaître.
Des textes comme La loterie, de Shirley Jackson, la loterie de Babylone, de Jorge Luis Borges, ou la loterie solaire, premier roman écrit par Philip K. Dick, jouent d’ailleurs de l’absurdité qu’il y a à voir le jeu devenir le monde.
La monnaie peut-elle être elle-même le support du jeu ? On pense bien sûr à pile ou face, d’un intérêt ludique très limité, et qui n’est pas vraiment un jeu d’argent. Les jeux d’adresse de type carrom ou crokinole joués avec des pièces de monnaie n’en sont pas non plus.
Je vous conseille plutôt ce que les américains appellent poker menteur, qui n’a rien à voir avec le jeu qui porte ce nom en Europe et se rapproche plutôt du Perudo. Je l’ai découvert dans un roman de l’un de mes auteurs préférés, Robert Russo, The Risk Pool.
Deux joueurs prennent chacun un billet de banque de même valeur, et parient à tour de rôle sur le nombre total d’occurence d’un chiffre donné sur les numéros de série de leurs deux billets. Si un joueur annonce « quatre 6 », par exemple, son adversaire peut surenchérir en annonçant soit le même nombre d’occurrences d’un chiffre supérieur, « quatre 7 », quatre 8 », etc, soit un plus grand nombre d’occurrences de n’importe quel chiffre , « cinq 3 », « cinq 6 », six 8 », etc. Un joueur peut aussi refuser la proposition de son adversaire, et on révèle alors les numéros de série. Le vainqueur du pari conserve les deux billets. En tournoi, comme j’en avais organisé un il y a une dizaine d’années, le vainqueur d’un duel peut choisir pour la manche suivante soit son billet de départ, soit l’un de ceux qu’il a déjà remportés.
Inflation
La théorie mathématique des jeux, qui ne traite pas de tous les jeux et traite de beaucoup de situations qui, quelle que soit la définition qu’on en donne, n’ont rien à voir avec le jeu, porte très mal son nom. Elle peut cependant aider à comprendre certains jeux, en particulier parmi ceux qui font usage de monnaie. Elle distingue les jeux à somme nulle et les jeux à somme positive.
Un jeu fermé joué avec de la monnaie réelle, comme le poker, ne peut être qu’un jeu à somme nulle. Tout ce qui est gagné par un joueur est simultanément perdu par un autre. La fausse et enivrante impression d’inflation dans une nuit de poker n’est due qu’à l’excitation, aux recaves successives, parfois à l’alcool. Les processus à somme positive existent dans la réalité, en économie notamment, mais ce ne sont pas des jeux.
Les jeux faisant appel à des monnaies fictives peuvent en revanche, comme le plus célèbre d’entre eux, le Monopoly, être à somme positive. Les mécanismes même du jeu, chacun recevant de l’argent de « la banque », c’est à dire du jeu, lorsqu’il repasse par la case départ, lorsqu’il vole une banque, lorsqu’il découvre un trésor, font que les sommes augmentent au fur et à mesure de la partie, et que tous les joueurs peuvent s’enrichir. Du coup, dans les échanges ou dans les enchères, les prix augmentent à un rythme qui pousserait au suicide un ministre des finances ou un directeur de banque centrale. Dans les jeux de paris, ce sont les enjeux qui augmentent. Cas extrême, dans un jeu comme QE – pour quantitative easing -, ce sont les joueurs qui créent la monnaie, sans aucune limite. Le jeu ne fonctionne que grâce à une astuce peu réaliste, le meilleur enchérisseur étant mis de côté, c’est toujours le second qui l’emporte.
Pour l’auteur de jeu, l’inflation n’est pas un monstre à éviter, elle est un mécanisme intéressant. Pour maintenir l’intérêt des joueurs tout au long de la partie, il faut à la fois que toutes les phases du jeu soient importantes et que ceux qui sont mal partis aient toujours, ou au moins pensent avoir, une chance de se refaire. Une manière d’y parvenir sans changer les règles au cours de la partie est alors d’augmenter régulièrement les enjeux en introduisant des sommes de plus en plus importantes à chaque tour, comme Léo Colovini et moi l’avons très délibérément fait dans Vabanque.
Mes réserves pour les prototypes
Le but du jeu
Au Monopoly, mais aussi dans tous les jeux de société s’en inspirant plus ou moins créés durant les trente glorieuses, l’argent n’est pas seulement le nerf de la guerre ou le carburant du commerce, il est le but du jeu. Le plus riche est vainqueur. C’est encore parfois le cas, et il y a toujours lors de l’explication des règles un petit malin pour dire « comme dans la vraie vie » – parce que, justement, c’est un peu plus compliqué dans la vraie vie. En français, on parle de « gagner sa vie » sans pour autant jamais prendre la vie pour un jeu.
Parmi les jeux auxquels j’ai contribué, dans Draco and Co, Silk Road, Key Largo, Vabanque, Santa’s Little Elves et sans doute quelques autres qui ne me reviennent pas à l’esprit maintenant, celui qui a le plus d’argent à la fin de la partie est vainqueur.
Le but du jeu est d’être le plus riche. Cela marche pour les hommes, mais aussi pour les dragons.
Parfois, il peut y avoir des embrouilles. Dans Draco and Co, les ex-æquo sont éliminés, ce qui n’a aucun sens thématique mais permet quelques interactions amusantes dans un jeu où les scores sont assez réduits et « granuleux ». Dans Cléopatre et la société des architectes, de Bruno Cathala et Ludovic Maublanc, le plus riche gagne, certes, mais après que le plus corrompu a été jeté aux crocodiles. Dans The Rich and the Poor, de Carlo Rossi, c’est celui qui a le moins donné aux bonnes œuvres qui est éliminé. L’objectif des auteurs n’est bien sûr pas de donner une vision plus morale du capitalisme, ni même de s’en moquer, juste d’introduire un mécanisme amenant les joueurs à prendre des risques et les empêchant de savoir avec certitude qui est en tête.
A l’inverse, dans High Society, de reiner Knizia, les joueurs doivent dépenser leur argent pour acquérir la plus belle collection d’objets d’art, mais sans en faire trop car, en fin de partie, le plus pauvre est éliminé avant de déterminer le vainqueur.
Dans d’autre cas, plus fréquents, la monnaie est toujours là mais n’est plus guère utilisée que pour effectuer des échanges avec la « banque » ou avec ses rivaux. Elle n’est plus le but du jeu, mais elle en reste le moteur, ou au moins le carburant. Parfois, l‘argent qu’il reste aux joueurs en fin de partie ne vaut plus rien, et apparaît donc comme une occasion gâchée. Souvent, il peut être converti en points de victoire, mais à un taux assez faible pour ne plus être qu’un élément parmi tous ceux qui, combinés, permettent de l’emporter. C’est le cas, par exemple, dans un jeu de gestion que j’ai pas mal joué ces derniers temps et que j’apprécie beaucoup, Iki.
Dans l’une de mes créations préférées, le Trésor des Nains, qui sortira l’année prochaine, le système de score a été réglé de telle manière que l’argent, sous forme de pièces d’or, d’argent et de cuivre, représente à peu près un tiers du score des joueurs, les deux autres tiers provenant de deux autres éléments du jeu. Je pourrais citer des dizaines d’autres exemples, car dans une salade de points, il y a toujours un peu de monnaie. J’aime beaucoup le système de Raja of the Ganges, d’Inka et Markus Brand, où les deux pions de score de chaque joueur, représentant fortune et prestige, tournent en sens inverse, le but étant d’être le premier à les faire se croiser – on peut gagner en étant plus cool que riche, ou plus riche que cool, mais les deux sont importants.
Toutes sortes de monnaie
Qu’ils soient des petits cœurs ou de petites étoiles, lorsque points de prestige, d’influence de victoire peuvent être dépensés pour effectuer telle ou telle action, pour acheter telle ou telle carte, ils sont une monnaie qui ne dit pas son nom. Parfois, il y a une bonne explication thématique, comme dans les jeux dans l’univers de Dune, qui font tous de l’épice une monnaie. Parfois, c’est jusque parce que le mot monnaie semble devenu un peu grossier, un peu honteux. Dans Kemet, de Jacques Bariot et Guillaume Montiage, les pièces d’or sont devenues des points de prière; on peut y trouver une certaine logique, les dieux sont naïfs et corruptibles et l’on achète leurs faveurs en priant. Dans Smallworld, de Philippe Keyaerts, les points de victoire, des jetons qui ressemblent vraiment beaucoup à des pièces d’or, peuvent être dépensés dans des enchères pour, notamment, acheter sa place dans l’ordre du tour. On ramasse ainsi des gemmes dans Diamant, des diamant de valeur 5 et des rubis de valeur 1, mais c’est tout à fait comme si l’on ramassait des pièces. L’édition américaine s’appelle d’ailleurs Incan Gold et non Incan Gems.
D’autres éléments du jeu peuvent être utilisés comme monnaie. Dans Night Parade of a Hundred Yokais, de Luis Brueh, ce sont les spermatozoïdes esprits qui peuvent acheter les faveurs des esprits. Dans Patchwork, d’Uwe Rosenberg, les boutons, qui ont un peu l’aspect de pièces, sont à la fois monnaie et points de victoire. Dans Race for the Galaxy, de Tom Lehman, toutes les cartes du jeu peuvent être utilisées comme monnaie. Dans les jeux avec des arbres et des animaux mignons, des thèmes consensuels et donc très prisés ces derniers temps par les éditeurs, on peut payer en noisettes, en myrtilles…..
À l’inverse, mais c’est plus rare, il arrive que la monnaie n’en soit pas vraiment une. Les roupies de Jaipur, les dollars d’Union Pacific, ne peuvent rien acheter, ne sont jamais dépensés, et sont donc juste des points de victoire.
Pièces et billets
Cette monnaie qui, dans les jeux de mon enfance se présentait systématiquement sous forme de billets de couleurs différentes, sur le modèle du Monopoly, est aujourd’hui plutôt constituée de pièces en carton, ou même de simples jetons de bois ou de plastique jaune (or), gris (argent) et marron (bronze ou cuivre, cela dépend et n’a guère d’importance). Lorsqu’un éditeur veut « deluxifier » – cela se dit en anglais – un jeu, la première idée qui lui vient à l’esprit est généralement de faire des pièces métalliques, de presque vraies pièces.
La première explication qui vient à l’esprit est bien sûr que les jeux des années soixante et soixante-dix, périodes d’optimisme et de croissance économique, avaient principalement des thèmes contemporains. Ceux d’aujourd’hui, quand présent et futur proche ne font plus guère rêver, se situent plutôt dans des univers historiques ou fantastiques, souvent médiévaux. Comme on n’imagine guère un dragon assis sur une pile de billets de banque hautement inflammables, les billets de Ponzi Scheme, de Jesse Li, sont devenus des pièces d’or et d’argent dans sa nouvelle version, Dragon Interest. La devise utilisée n’a souvent même pas de nom, il y a juste des pièces de 10, 5 et 1 – c’est même le cas, à mon grand regret, dans Oliver Twist, de Bruno cathala et Sébastien Pauchon, alors que cela aurait quen même été plus drôle avec des guinées, livres, shillings, pennies et farthings.
La monnaie dans quelques jeux pris, un peu au hasard, sur mes étagères.
Ce n’est pourtant pas si simple, et de nombreux jeux au thème sinon contemporain du moins assez récent, surtout parmi ceux que l’on appelle les « eurogames », utilisent des pièces en carton. On trouve dans les boites de Suburbia, de Ted Alspach, de Machi Koro, de Masao Suganuma, des pièces d’or, d’argent et de cuivre qui ne semblent guère à leur place dans les banlieues d’aujourd’hui. L’éditeur de Happy City, de Toshiki Sato, leur a substitué de vilains jetons de casino, qui font un peu plus d’époque mais ne sont pas plus réalistes pour autant.
Pour la science-fiction, tout est possible, et dans Terraforming Mars, de Jacob Fryxelius, jeu à l’esthétique pourtant très réaliste, la monnaie est représentée par des cubes… d’or, d’argent et de bronze !
Je me souviens que, pour la première édition de Key Largo, en 2005, nous avions discuté du choix entre billets et pièces. L’action du jeu se situant dans l’époque contemporaine, j’étais partisan des billets. Les trésors rapportés par les plongeurs étaient plus anciens, les pièces n’étaient pas absurdes pour autant. Les éditions française, puis américaine, ont eu recours à des billets, remplacés par des pièces en carton dans la version polonaise.
Les billets imprimés, comme ceux du Monopoly, sur du papier fin, ressemblent en effet plus à de la vraie monnaie d’aujourd’hui. Ils donnent aux jeux au thème contemporain un côté réaliste, surtout lorsque la mécanique est un peu inflationniste. Si elle se déprécie vraiment trop vite, comme dans QE, la monnaie ne peut plus être qu’une écriture comptable. Lorsque les joueurs doivent discrètement remplir et se passer des enveloppes, comme dans Intrige, de Stefan Dorra, les billets de banque s’imposent également.
L’utilisation de pièces pour représenter de grosses sommes, ce qui n’est plus le cas dans les sociétés actuelles, aide à sortir le jeu du réel. C’est encore plus vrai lorsque ces pièces ont un look un peu exotique – c’est facile, il suffit de faire un trou carré au milieu. On les retrouve donc dans des jeux à thème historique ou fantastique, mais aussi dans des jeux où l’argent n’est pas le cœur du système, comme Scythe, de Jamey Stegmaier, dont les pièces sont particulièrement réussies. Les étranges pièces triangulaires de la nouvelle édition de Mascarade contribuent à l’ambiance exotique et multiculturelle, bien différente de l’univers médiéval un peu sombre de la première édition. Mais, bon, le plus dépaysant, ce sont sans doute les jolies perles d’Abyss, de Bruno Cathala et Charles Chevalier.
Il y a bien sûr aussi des raisons plus triviales au choix des éditeurs. Les billets coûtent un peu plus cher à imprimer que les pièces et ont, à tort me semble-t-il car je n’ai jamais eu ce problème, la réputation de mal vieillir, de devenir poisseux. Ayant généralement, comme les dollars, tous la même taille, ils permettent plus facilement aux joueurs de cacher leur richesse; c’est un problème dans quelques jeux, mais c’est dans la plupart un avantage. Lorsque les auteurs souhaitent que la fortune de chacun soit clairement visible de tous, ils peuvent, comme dans Raja of the Ganges, la représenter par un pion sur une piste.
Quand la monnaie disparaît
On imagine toujours une économie médiévale, fantastique ou non, irriguée de pièces d’or et d’argent, écus, couronnes, florins, ducats et doublons. L’un des coups de génie de Klaus Teuber dans Les Colons de Catan est sans doute de s’être débarrassé de la monnaie. Faute d’équivalent universel, les joueurs en sont ramenés au troc, du bois contre du blé, du blé contre des moutons, des moutons contre des briques, et la difficulté à trouver le bon partenaire pour les échanges est l’un des éléments qui font le charme et l’intérêt du jeu. Bon, c’est quand même plus réaliste dans l’Âge de Pierre, il n’y avait sans doute pas de monnaie à la préhistoire.
Ad Astra, récemment réédité aux Etats-Unis sous le nom de Artemis Odyssey, est inspiré de Catan. Serge Laget et moi avons pris soin de conserver cet aspect. Il n’y a pas de monnaie, de crédits galactiques ou de dollars de l’espace, juste de l’énergie, de l’eau, de la nourriture et des minerais. Il est vrai que l’action est censée se dérouler dans un futur un peu angoissant, alors que la terre est en train de mourir, et les économies en crise ou en guerre retournent parfois au troc.
Petite remarque en passant, j’ai remarqué que, même dans les jeux où il n’y a pas de monnaie et dont le thème n’a rien à voir avec la finance, les joueurs ont tendance à appeler « banque » les stocks de cartes et pions non utilisés.
La mauvaise monnaie chasse la bonne
Pour l’auteur de jeu, la monnaie est de moins en moins un passage obligé, de plus en plus un outil que l’on peut bricoler, adapter, et le plus souvent limiter, pour mettre les joueurs devant des choix difficiles. Les monnaies des jeux sont donc de plus en plus souvent de mauvaises monnaies, qui s’échangent mal, se conservent mal, mesurent mal la valeur, se font concurrence.
L’inflation, dont j’ai déjà parlé, est souvent délibérément introduite par les mécanismes du jeu, pour augmenter les enjeux et permettre aux joueurs distancés de se refaire. C’est facile, il suffit de faire augmenter le stock de monnaie de tour en tour, de plus en plus rapidement. Je suis assez content de la manière dont cela est géré dans Vabanque.
Un autre moyen d’euthanasier les rentiers est simplement de les empêcher de conserver et faire fructifier leur argent. Certains jeux – aucun exemple ne me vient à l’esprit, mais je suis certain d’avoir déjà vu cela – limitent les sommes qui peuvent être conservées d’un tour sur l’autre. Dans d’autres, comme Citadelles, les plus riches deviennent presque automatiquement la proie des voleurs. Dans l’Or des Dragons, Michael Schacht et moi avons utilisé la légende de l’or des fées, qui disparait au lever du jour et doit donc être dépensé rapidement.
Pour contraindre les joueurs à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, pour les obliger à faire des choix, un jeu peut faire appel à plusieurs formes de monnaie qui ne sont pas convertibles entre elles. C’est le cas bien sûr dans Alhambra, de Dirk Henn, avec ses dinars, dirhams, ducats et florins (pourquoi pas doublons? dommage), ou Peanut Club, de Henri Kermarec, où les monnaies sont les chameaux, les cacahuètes et les millions de dollars. La limite entre monnaie et « ressource », un terme vague très utilisé dans les règles de jeu, peut alors être floue. Les cinq couleurs de mana de Magic the Gathering sont-elles de la monnaie ? Si oui, que dire des cinq ressources de Catan ?
Décréter que la banque ne fait pas et ne rend pas la monnaie est un astuce fort peu réaliste, mais techniquement très intéressante car elle peut obliger certains joueurs, souvent les plus riches, à faire des sacrifices. Il en va ainsi dans Kuhhandel, de Rüdiger Koltze, dans High Society de Reiner Knizia, dans Space Base, de John D. Clair, et dans bien d’autres jeux. Cela accélère également le déroulement du jeu en évitant des manipulations.
Je suis assez content de la monnaie du Trésor des Nains, qui devrait paraître en 2024. On y trouve les classiques pièces d’or, d’argent et de cuivre, mais il peut arriver que certaines pièces n’aient pas la même valeur pour tous les joueurs. Les enchères peuvent être payées en monnaie, mais aussi avec des gemmes qui fonctionnent comme une sorte de monnaie parallèle obéissant à des règles différentes, notamment pour le calcul du score. Le système monétaire un peu tarabiscoté, principe que j’avais déjà exploité dans Aux Pierres du Dragon, oblige les joueurs à des choix incessants et difficiles, puisqu’il ne suffit pas de savoir combien l’on est prêt à payer, il faut aussi savoir comment.
Les règles du jeu peuvent parfois illustrer des mécanismes financiers plus subtils, en donnant aux joueurs la possibilité d’épargner ou, plus souvent, d’emprunter. On peut hypothéquer ses propriétés au Monopoly, mais cela signale généralement que la faillite approche. Dans des jeux de gestion économique complexes, comme les nombreux jeux de trains américains de la série 18XX, ou Tokyo Metro de Jordan Draper, les joueurs en difficulté ou ayant des projets ambitieux peuvent emprunter à la banque, capital et intérêt étant dûs à la fin de la partie. On retrouve même cette idée dans des jeux plus simples, comme l’excellent Manila, de Franz-Benno Delonge, ou Homesteaders de Alex Rockwell. Dans Big Shot, un vieux jeu d’Alex Randolph qui mériterait une réédition, les taux d’intérêt augmentent même tout au long de la partie, ce qui peut pousser à s’endetter vite et parfois trop. Dans At the gates of LoYang, d’Uwe Rosenberg, les emprunts font directement perdre des points de victoire. À l’inverse, dans Iki, un joueur qui s’arrête à la banque peut échanger une grosse somme d’argent contre une somme plus grosse encore, ce qui n’est pas une mauvaise simulation du prêt à intérêt.
La monnaie comme thème
Dans certains jeux, peu nombreux il est vrai, la monnaie n’est pas seulement un élément, un mécanisme du jeu, elle en est le cœur et le thème. Il n’est alors question que de devises, de prêts, de taux de change ou d’intérêt, d’actions et d’obligations, de spéculation, voire d’achat à terme et d’effet de levier. J’ai parlé ici ou là dans cet article de QE, pour Quantiative Easing, un jeu sur la politique monétaire – si, si, et le jeu est surprenant. Ponzi Scheme et Dragon Interest sont des jeux de spéculation dans lesquels il faut savoir jusqu’où aller trop loin. Beaucoup de jeu assez anciens comme Acquire, de Sid Sackson, portent sur le marché des actions. La bourse faisant de moins en moins rêver, ces jeux se font aujourd’hui plus rares ou plus ironiques, comme Panique à Wall Street de Britton Roney. Chinatown, de Karsten Hartwig, et Lords or Vegas, de James Ernest et Mike Selinker, sont des jeux de spéculation immobilière bien plus modernes et intéressants que le Monopoly.
L’argent et la bourse peuvent aussi être le thème de petits jeux dont les cartes représentent soit des billets, soit des actions, sans être réellement intégrés aux mécanismes. Les exemples qui me viennent tout de suite à l’esprit sont deux de mes jeux de début ou de fin de soirée préférés, le Pit et le Big Deal. Le Pit, l’un des plus anciens jeux de société modernes puisqu’il fut publié en 1903, recrée l’ambiance de la bourse au temps où l’on hurlait autour de la corbeille. The Big Deal, ou Cover your Assets, de Brent et Jeffrey Beck, traite avec un certain humour des « signes extérieurs de richesse ». J’ai commis un jeu de carte sur le thème des investissements dans des startups technologiques, Venture Angels, qui n’a malheureusement été distribué qu’en Corée; mes amis japonais d’Oink games en ont un autre que j’aime beaucoup, Startups. On pourrait leur ajouter le bien nommé Money, de Reiner Knizia, plus abstrait, et quelques autres de moindre intérêt. Même lorsque les cartes représentent des billets de banque, elles n’y sont cependant pas vraiment utilisées pour faire des achats.
Lorsque j’ai commencé à réfléchir à cet article, je pensais pouvoir opposer assez clairement une « antiquité du jeu”, une époque où la monnaie était partout dans des jeux dont le but était de s’enrichir, l’exemple type étant le monopoly, et une période moderne, commençant dans les années quatre-vingt dix avec les Colons de Catan, qui aurait vu la monnaie presque disparaître. Comme vous l’avez vu, je me trompais. La monnaie est devenue plus discrète, mais elle reste très présente notamment dans tous les jeux de gestion ou de développement, des choses qui effectivement ne se font pas sans argent.
Et, oui, je sais, il faudrait faire une comparaison avec les jeux videos, qui font de la monnaie des usages un peu différents et très intéressants. Je ne connais pas assez bien le sujet pour m’y engager.
I plan to retire from my day job teaching economy in high school in February 2024. This might be an opportunity to try working more and differently in the small world of games. Since I don’t know what exactly I want to do then, I’m open to all kind of proposals… In the meantime, for my last year in front of students, I have to tackle with a curriculum I didn’t teach for quite long, and which I don’t like much, except for a few chapters, among which the one about money. The reason why I have long been interested in the history and theory of money might be that, in some way, the very real money has something in common with the virtual worlds of games.
What money has in common with games
I’m often asked about my definition of games. I usually dodge the question and explains that I don’t need a definition of gaming to design games, no more than I need a definition of education to teach. I feel with gaming a bit like Saint Augustine with time – I know very well what it is as long as I’m not asked to explain it. And when I try, like I will do here, to explain it, it’s not by necessity but by play.
I won’t discuss here the many definitions of games which have been proposed by historians and philosophers, like, in French, Johan Huizinga, Roger Caillois or more recently Colas Duflo. There is certainly also an English language intellectual tradition of discussing the nature of games, I didn’t look into it. Having not found a satisfying definition of the essence or function of games, I usually do with an empirical one, made of two characteristics, an arbitrary set of rules and a complete separation from the real world, the latter being sometimes called the “magic circle” of gaming. Unless we consider it to be the synthesis of the two first ones, a third characteristic might be need, simplicity and understandability. Reality is complex, incomprehensible and probably absurd, games are simple, understandable and certainly absurd.
The main interest in defining what exactly a game is is to discuss the few borderline cases. There are simple and more or less arbitrary sets of rules whose separation from reality is partial and/or debatable, such as lotteries and gambling games, educative and other “serious” games, competitive sports, duels, Russian roulette, religious beliefs and rituals, and a good deal of what mathematicians discuss in their so-called “game theory”. There is some play between game and reality. There are also virtual worlds, clearly separated from reality, who can only partially be described by a set of rules, such as role playing games and some video games – are they games or literature ? It also depends on how we define literature…
“Gamification” is the process of using in real life rules and processes borrowed from game, sometimes in order to make the reality easier and simpler to navigate, more often to hide its true nature and stakes. It was all the craze in the years 2000, but it’s nothing really new. The whole system of marks and grades used in school is one of the most systematic cases of gamification, and not really fun. Money works in a very similar way.
Economists define money by its three main functions, medium of exchange, unit of account, storage of value. In our capitalistic system, it also has a forth function that players may see more clearly than other people because they are used to it – it’s a scoring system, what sociologists call a “sign of social status”. Through these four functions, money is both the engine and the fuel – a gas – of what we should call “capitalistic gamification”. Money is, quoting the words of XIXth century economist Jean-Baptiste Say, a veil covering the complexity of relative prices, utilities and social relations. Fostering trades and pitting people in competition with each other, money transforms social reality into a sham game. It makes people live according to a set of rules, that of market exchange, and for an arbitrary goal, being richer than one’s neighbor. It certainly helped pacify human relations and improve living standards. Unfortunately, having become the only way to measure success, and having made success an individual matter, it is now one of the mechanisms throwing earth and humanity into a self-destructive spiral, with no way out in view.
Money and games
Anyway, if money has some characteristics of a game, it is not one. It is a pure convention, a ruleset, a scoring system, but it is traded for very real stuff and is at the heart of very real social relations. Most of all, it doesn’t really foster imagination. It is therefore a bit surprising to find it everywhere in games whose only goal is to give us a short-lived and conscious break from reality. The explanation is not ideological but technical : Money has in boardgames and video games more or less the same functions as in real life. It is used to reckon the value of cards, tokens and other stuff. It is used to trade with other players and with the game – which, in this case, is significantly often nicknamed “the bank”, both in English and in French – I’m curious ti know if it’s the same in other languages. Even when getting rich is not the goal of the game, these trade systems are often an essential part of the gameplay.
Most of the gamers have never taken part in an auction, neither as a seller or a buyer. There are, however, many auction games. the reason is simple – auctions are an easy and dynamic way to generate tensions between the players, and to have all players engaged simultaneously. And where there are auctions, money is needed. I won’t give the whole list of the auction games I’ve designed or co-designed, it’s one of my favorite genres and probably the one I’ve most contributed to.
Playing games with money
All the definitions of gaming I’ve seen have one element in common, the idea of a strict break from reality. This make the idea of gambling games, games played with actual money like poker or blackjack, paradoxical. I’ve sometimes heard, in late half-drunk discussions in Essen or Indianapolis, people arguing that they should not be labelled games, that gaming and gambling were two different things. Those who say this have usually never played any gambling game. Those who play poker, and I used to play it a lot, know quite well that is a game, that the feeling it generates is very similar to that generated by other boardgames – even when, and this brings back the paradox, poker played for nuts or matches doesn’t work. Good chess players are often good poker players as well. And what about backgammon ? It’s not possible to argue that it stops being a game when you add a doubling dice, which is a very gamey mechanism.
Gambling games are games. They are even very efficient games because, even when the stakes are real, they are clearly apart from normal time and life. They have a beginning and an end and, more importantly, the way they distribute money among players has nothing in common with that of the real world. The money won or lost at games is not a labor or capital income, it’s a gaming income. The strong reality of the stakes only reinforces the game tension, and doubles it with a kind of drunken and tragic irony. If gambling games have no theme, are purely abstract, it is to remind everyone of the “magic circle”, of the separation from the real.
Even when winners don’t always get money, the same could be said of bingos and lotteries – they only work as games of luck because they happen at a specific time, often in a specific place, and because reality is not entirely governed by chance.
A game is still a game even when it is also a job. Professional chess players, or football players because many sports are also games, play the same game as amateurs, with the same rules, even when the stakes are higher. Similarly, since I am a boardgame designer, playing games is part of my job. I write down all the games I buy as business expanses, though not the beer and whisky I dring when playing. I nevertheless still play the same games as all other players around the table.
What can I say if collectable card games – Magic the Gathering, Pokemon, may be soon Lorcana ? Money is not is not in the game itself, but is all around. The player who spends the most real money in cards is most likely to win. I don’t know, though, if the biggest buyers are players or pure collectors – probably both.
I won’t talk here about video games, which many gamers know much better than I do. The same reasoning could probably apply to the many video games in which real money can be spent to buy cards, items or abilities, and even to all those for which there is an exchange rate, official or not, between real and game currency. There is some smuggling at the boarder between game and reality, but it’s not enough to make this boarder disappear.
Texts like Shirley Jackson’s The Lottery, Jorge Luis Borges The lottery in Babylon, or Philip K. Dick’s first novel, Solar Lottery, show the absurdity of letting the game becoming the world.
Currency itself can even be the only game component. Of course, there’s Head or Tails, but it is rather weak game and not really a gambling one. Crokinole like games played with coins don’t qualify either.
What’s more interesting is Liar’s Poker – not the dice game played in Europe, but the banknote game similar to Perudo. I learned about in a novel by one of my favorite American writers, Robert Russo, The Risk pool.
Here are the rules, if you don’t know them:
The two players each bring a banknote of the same value. Players in turn announce a minimal number of occurrences of a given digit on the two serial numbers. The opponent must then either challenge the claim or make a higher one. challenge the bet. If, for example, a player bets “four 6es”, their opponent can call the same number of a higher digit, say “four 7s” or “four 9s”, or a higher number of any digit, “five 4s”, “five 6s”… This goes on until a player challenges their opponent, and serial numbers are revealed. Of course, the winner of the bet keeps both banknotes. In a tournament, I remember organizing one a dozen years ago, the winner of a duel can either keep their banknote or change for one they have won in earlier duels.
Inflation
What mathematicians strangely call game theory doesn’t deal with all games, and doesn’t deal only with games. It can nevertheless help to understand some games, especially those who use money. One of the interesting distinction it makes is between zero-sum games and positive-sum games, or win-win situations.
Closed games played with real money, like poker, are necessarily zero-sum games. Every cent a player wins has been lost by another, and vide versa. The illusory feeling of inflation is only due to rebuys, and sometimes intoxication. There are real money win-win, and lose-lose, situations in real life, but these are not games.
On the other hand, games using a virtual currency, the best known being Monopoly, are often positive-sum. The very game mechanisms – for example getting money when you pass through the starting space, when you rob a bank, when you fin a hidden treasure – regularly increase the amount of money in the game, and everyone can get richer. As a result, the prices paid in trades between players, or in auctions, tend to increase at a rate that would push to suicide any finance minister or central bank CEO. In betting games, stakes increase. The extreme case is probably QE – for Quantitative Easing – in which players can create money as they wish, with no limit. The game only works thanks to an unrealistic twist, the highest bidder is always ignored, and the second highest wins the auction.
For game designers, inflation is not a scary monster, and can even be a useful feature. It is hard to maintain, or even increase, the tension in a long game. It requires on the one hand that all phases of the game are critical, and on the other hand that a losing player can always come back – or at least think they can. A simple way to do thus without tweaking the rules is to regularly up the stakes with bringing more money from the “bank” into the game, like Leo Colovini and I did in Vabanque.
Prototyping stuff
Money, it’s a gas
In Monopoly, but also in all of the games it inspired during the post-war boom, money is not only the “sinews of war”, as in a French proverb, or the fuel of trade, it is also the goal of the game. Richest player wins. It is still the case, and when the rules are explained, there’s always some clever guy adding “like in real life” – because, luckily, it’s still a bit more complex in real life. In French, earning a living is « winning one’s life ».
Among the games I’ve contributed to, in Draco and Co, Silk Road, Key Largo, Vabanque, Santa’s Little Elves and probably a few others that don’t come to my mind now, whoever has the most money at the end of the game is the winner.
Dragons are very human-like – they also just want to get the most money.
Sometimes, it can get a little confusing. In Draco and Co, tied high-scores are eliminated, which makes no sense thematically, but does allow for a few nasty tricks in a game where the scores are fairly small and grainy. In Cleopatra and the Society of Architects, by Bruno Cathala and Ludovic Maublanc, the richest player wins, but only after the most corrupt has been thrown to the crocodiles. In Carlo Rossi’s The Rich and the Poor, the one who has given the least to charity is eliminated. The authors of these games are not aiming at giving a moral vision of capitalism. They might want to poke fun at it, but most of all they introduce a mechanism that encourages players to take risks and prevents them from knowing for sure who’s winning.
Conversely, in High Society, by Reiner Knizia, players must spend their money to acquire the best art collection, but without overdoing it, since at the end of the game, the poorest player is eliminated before checking who wins.
More often, money is still there but is mostly used to trade with “the bank” or with other players. It is no longer the goal of the game but it is its fuel. In some games, money left at the end of the game has no value, and feels like a wasted opportunity. Often, it can be converted into victory points, at a more or less interesting rate, remaining one of the many elements which must be combined to win the game. A good example is the management game Iki, which I have played a lot these last months.
In one of my favorite own designs, Treasure of the Dwarves, which will be out next year, Money, made of gold, silver and copper coins, has been tuned to count for roughly one third of players’ scores, the two other third being made with other parts of the game. I could easily find many other examples since money is an ingredient of most point salads.
In Inka & Markus Brand’s Raja of the Ganges, each player has two scoring tokens for money and prestige, which rotate in opposite directions. The goal os to have both tokens cross paths, which can be achieved with being more cool than rich or more rich than cool.
All kinds of money
Be they hearts, stars or anything, when Prestige, Influence or Victory points can be spent to play one more action, to buy a card, a resource or a meeple, they are a currency, money by another name. There are sometimes sound thematic reasons for this, and all the Dune themed boardgames use spice as money. Sometimes, it’s just that the word money has become unsexy and even a bit shameful. In Jacques Bariot and Guillaume Montiage’s Kemet, they are victory points, which makes sense if you see Gods as gullible and corruptible beings whose favors can be bought with praying. In Philippe Keyaerts’ Smallworld, victory points look very much like gold coins and are spent in a tun order auction. In Diamant, for example, players pick up gems – diamonds worth 5 and rubies worth 1 – but it’s just like picking up coins. The American edition is even called Incan Gold, not Incan Gems.
Some other game resource can be used as money. In Luis Brueh’s Night Parade of a Hundred Yokais, spermatozoids spirits can buy the Yokai’s favors. In Uwe Rosenberg’s Patchwork, buttons are both money and victory points. In Tom Lehman’s Race for the Galaxy, any card can be spent as money. These two or three last years, publishers have favored consensual settings with big trees and cute animals, where the money can be berries or nuts – btw, in French, hazelnut is a cute slang word for money.
Conversely, sometimes what is called money in fact isn’t. Rupees in Jaipur, Dollars in Union Pacific cannot buy anything and are just victory points.
Coins and banknotes
In the few games I played as kid, money was usually made of paper banknotes in different colors and denominations, like in Monopoly. Nowadays, it is more often made of cardboard printed coins, or sometimes of simple wooden or plastic coins in two or three colors – yellow is gold, grey silver, brown is copper or bronze, it depends and doesn’t matter. When a publisher want to “deluxify” a game, the first and easiest step is usually to ad nice metal coins, almost true ones.
The first explanation that comes to mind is that games of the sixties and seventies, times of optimism and economic growth, had mostly contemporary settings. Now that present and near future are no more something to dream about, most games have historical or fantasy settings. One cannot imagine a dragon seated over a pile of highly inflammable paper notes and, in the recent remake of Jesse Li’s Ponzi Scheme as Dragon Interest, banknotes have been replaced with metal coins. The currency is not always named, there are often just coins of value 10, 5 and 1. It’s even the case in Sebastien Pauchon & Bruno Cathala’s Oliver Twist, which would have been more fun and thematic, though not necessarily as easy to play, with pounds, guineas, shillings, farthings and pennies.
Money in a random selection of games from my shelves.
It’s not that simple though, and many games in a contemporary or relatively recent setting, especially among the so called “eurogames” use cardboard coins. Ted Alspach’s Suburbia, or Masao Suganuma’s Machi Koro, have gold, silver and copper coins which feel a bit incongruous in today’s suburbs. In Toshiki’s Sato Happy City, they are replaced with ugly casino-like tokens which feel more contemporary but not quite appropriate either
Everything is possible in Science Fiction. Jacob Fryxelius’ Terraforming Mars has a very realistic graphic style, but money is represented by gold, silver and bronze cubes !
I remember that, for the first edition of Key Largo, in 2005, we discussed the choice between paper currency and cardboard coins with the publisher. I favored banknotes, because the game’s action takes place somewhere between the forties and the nineties, but coins would not have been incongruous either, since the treasures brought back by the divers were supposed to be much older. The French and US versions use banknotes, but they have been replaced with cardboard coins in the Polish edition.
Printed banknotes on thin paper, like in Monopoly, look a bit like today’s money, and give games a realistic feel. Inflation, especially, feels more realistic with banknotes than with coins. but, when inflation start spiralling out of control, like in QE, money can only be kept track of through writing. Banknotes are also the way to go when players must discreetly pass banknotes to each- other, like in Stefan Dora’s Intrige.
Conversely, the use of coins to represent large sums of money can make the game feel less realistic. This is even more true when these coins look exotic – that’s easy, just make a square hole in the center. That’s why we find them not only in fantasy or historical games, but also in games where money is not the heart of the system, like Jamey Stegmaier’s Scythe, whose coins are really cute. The triangular coins in the new edition of Mascarade make it feel more exotic than the older one, with its European medieval setting. Shiny pearls money also make for a nice change of scene in Bruno Cathala & Charles Chevalier’s Abyss.
Of course, there are also more trivial reasons for the publishers’ choices. Banknotes are slightly more expensive to print than cardboard coins. Some players don’t like them because they’re supposed to become sticky with use, and issue I’ve never encountered with my own games. Having usually all the same size, banknotes make easier for players to hide their fortune; it’s a necessity with some games, a problem with other ones. Anyway, when the designer and publisher really want everyone’s fortune to be visible to all, the only way is to have a money track with one pawn for every player.
When money disappears
We imagine medieval and fantasy settings with gold and silver money, be they crowns, doubloons guldens or florins. One of Klaus Teuber’s genius strokes in Settlers of Catan was to get rid of all this. With no universal mean of exchange, players have to barter, make arrangements to trade wood for wheat, wheat for sheep, sheep for bricks, etc. The difficulty in finding trading partners is one of the highlights of the game – even when this sounds more realistic in a prehistory themed game like Stone Age.
Ad Astra, recently revamped and republished in the US as Artemis Odyssey, is inspired by Catan. Serge Laget and I deliberately kept this feature. There are no space dollars or galactic credits, only energy, water, food and various ores. It can make sense – the action takes place in an stressful future, when the earth is dying, and economies under stress or at war often go back to barter.
Anyway, even in games with no actual money and a setting which has noting to do with finance, I’ve noticed that players tend to call “bank” the stock of cards, tokens and other resources.
Bad money drives good one out
For game designers, money has become a tool which can be adapted, twisted, often limited, to generate challenging players choices. This is why so many recent games have what economists would call bad or incomplete moneys – money which are difficult to trade, difficult to stock, difficult to use to measure value.
I’ve already talked of inflation, which is often deliberately introduced in the game, so that stakes get higher when the game goes on and losing players get some chances to come back. This is very easy to implement, just bring more money in the game every round. I really like the way we did it in Vabanque.
Another way to euthanize the rentiers is to prevent them from keeping their cash. Some games – I’ve no example in mind at the moment, but i know there are a few – have a limit on the amount of money or money-like resource that can be kept from round to round. In many games, like in Citadels, the more cash you keep, the likelier it becomes that you will be robbed. In Fist of Dragonstones, Michael Schacht and I introduced fairy gold which, like in the fools gold legend, disappears at the end of the day and must therefore be spent at once.
To prevent players from putting all their golden eggs in one basket, to force them to make choices, a game can have several kinds of non-convertible currencies. The best known example is Alhambra with its dinars, dirhams, ducats and guldens – why not doubloons ? -, another one is Henri Kermarec’s Peanut Club, where currencies are camels, peanuts and millions of dollars. In such cases, the difference between money and “resource”, a vague wording overused in game rules, becomes blurried. Can we consider that the five colors of mana in Magic the Gathering are money ? If they are, what about the five resources in Catan ?
An unrealistic but very interesting twist is to decide that the bank doesn’t make change and doesn’t give change back. It forces players, and especially the richest ones, to optimize the way they spend their cash. This is a relatively common rule, which can be found for example in Rüdiger Koltze’s Kuhhandel, in Reiner Knizia’s High Society or in John D. Clair’s Space Base. It also makes the game play faster.
I am quite proud of the way I dealt money in my upcoming game Treasure of the Dwarves, which should arrive in 2024. It has the usual gold, silver and copper coins, but their relative values can differ between players. Bid for auctions are made with money, but also with gems which are a kind of parallel currency with different scoring rules. The convoluted monetary system, an idea that was already in Fist of Dragonstones, forces the players to make difficult choices. It’s not only about how much to pay, it’s also about how to pay.
The game rules can even go into more complex money mechanisms, allowing players to loan or, more often, borrow money. Monopoly player’s can mortgage their properties, though it’s rarely a good move. In complex economic management games such as the train games of the 18XX series, or in Jordan Draper’s Tokyo Metro, players short on cash or with ambitious investment projects can borrow from the bank and pay back capital and interest at the end of the game. It is sometimes even the case in simpler games, like Franz-Benno Delonge’s masterwork Manila, or Alex Rockwell’s Homesteaders. In Alex Randolph’s Big Shot, an old game which would deserve a new edition, interest rates raise from turn to turn, encouraging players to borrow early, and sometimes too much. In Uwe Rosenberg’s At the Gates of Loyang, players lose points for every loan. Conversely, in Yamata Kooda’s Iki, a rich player can stop at the bank to trade lots of money for even more money, not a bad simulation of short term interest.
Money as a theme
There are a few games in which money is not just one element, one mechanism, but is the heart and the theme of the action. These games are all about currencies, loans, interest or exchange rates, stocks, speculation or even forward purchase and leveraging. I have already talked a bit about QE, a game about central banks monetary policy – it doesn’t sound very sexy, but the game is actually fun. So are Ponzi Scheme and Dragon Interest, two speculation games in which players must know when to stop borrowing. Many games from the seventies and eighties, like Sid Sackson’s Acquire, deal with the stock exchange market. Since stocks don’t make us dream any more, they have become rarer, or ironic like Britton Roney’s Panic on wall Street. If you want a modern and interesting take on the real estate market Karsten Hartwig’s Chinatown and James Ernest & Mike Selinker’s Lords of Vegas revisit the monopoly story in much more challenging ways.
Currency and stock exchange are also the settings of many small cardgames whose cards represent either banknotes or company shares, but whose mechanism have little to do with actual money or speculation. The two example which come to mind are two of my favorites game night opening or closing games, The Pit and The Big Deal. The Pit, one of the earliest modern board games since it was published in 1903, recreates Wall Street’s feel in the time when traders were really shouting around the pit. The Big Deal, aka Cover your Assets, by Brent & Jeffrey Beck, is a humorous take on wealth as a status symbol. I have designed a game about investing in startups, Venture Angels, and y friends at Oink games another one, Startups. Reiner Knizia did several, the best know being simply called Money. Even when these games’ cards figure banknotes, they are not used to buy other stuff and are therefore not really money.
When I started writing this article, I imagined two ages of money in boardgames. The antiquity, when money was omnipresent, the archetypal game being Monopoly, and the moderne era, starting in the 1990s with Settlers of Catan, when money started to disappear. I was wrong. Money has become more discreet, often subsumed in more complex economic systems, but it’s still there, mostly but no only in management or development games – these are things one cannot do without money.
And, yes, I know, a comparison with video games could be very interesting. The use of money in these games is even more fascinating, but i don’t know the subject well enough to write about it.
Merci pour cet article que j’ai dévoré pour son texte et ses nombreuses illustrations. Travaillant depuis presque 20 ans dans la finance j’ai un penchant/interêt particulier pour les jeux où l’argent/la monnaie est une composante forte. Quel plaisir ainsi de parcourir cet écrit aussi long sur le sujet. Merci encore.
“Certains jeux […] limitent les sommes qui peuvent être conservées d’un tour sur l’autre.” : par exemple Carson City