Ethnos, Archeos Society et l’interaction dans les jeux
Ethnos, Archeos Society and interaction in game design

Paolo Mori, auteur du génial Unusual Suspects, mais aussi de jeux plus ambitieux comme Libertalia ou Dogs of War, est l’un de mes créateurs de jeux préférés. J’avais de mes quelques parties d’Ethnos, originellement publié par CMON en 2017, un excellent souvenir, même si le jeu ne semblait pas tout à fait fini. Les choix graphiques étaient discutables, un peu plats. La carte divisée en six régions ne servait pas à grand-chose. Bref, un jeu au potentiel énorme, mais qui semblait avoir été développé et édité à la va-vite.

Je me suis donc réjoui lorsque j’ai appris que l’équipe des Space-Cowboys, qui avait déjà édité un autre excellent jeu de Paolo, Libertalia, préparait une nouvelle version d’Ethnos. Archeos Society vient de sortir, il est magnifique. J’en ai vite fait deux parties qui sont tombées un peu à plat. Ne me souvenant plus bien des règles d’Ethnos, je suis allé rouvrir ma vieille boite pour voir ce qui avait changé. J’ai tout de suite compris le problème, qui me semble illustrer une erreur que font aujourd’hui la plupart des éditeurs : vouloir expurger les jeux de tout ce qui est un peu agressif parce que la guerre, la violence, tout ça, c’est mal (et ça ne se vend pas).

La guerre, la violence, c’est en effet très mal dans la vraie vie, mais cela ne pose pas de problème dans les films ou les romans. Il ne devrait pas en aller autrement dans les jeux, d’autant que c’est un excellent moyen de générer de l’interaction entre les joueurs. La baston n’était déjà pas très sanglante dans Ethnos, qui était plus un jeu de majorité que d’affrontement, et je pense qu’il aurait fallu en rajouter un peu en permettant à certains peuples de franchir les frontières pour attaquer les voisins. Le choix inverse a été fait dans Archeos Society, où les rivalités pour le contrôle des six régions ont été remplacées par l’avancement de pions sur des pistes. Ce ne sont même pas des courses, il n’y a pas de prix pour le premier où de possibilité de faire un croche-pied à celui qui vous dépasse. Le fun, l’intérêt, l’interaction ont été supprimés et remplacés par des systèmes de score tarabiscotés, différents sur chaque piste, poussant chaque joueur à faire ses calculs en ignorant complètement ses adversaires.

Bref, même si les neuf-dixièmes des règles sont identiques, Ethnos et Archeos Society sont des jeux très différents. Ethnos était un jeu léger, que l’on jouait avec et contre ses adversaires. Archeos Society est, pour l’essentiel, un exercice d’optimisation mathématique que l’on fait chacun pour soi. Ethnos était un jeu simple, amusant, méchant, tout public. Archeos Society est un jeu sérieux, froid, techniquement intéressant mais qui reste sans doute trop simple pour les amateurs de gros jeux stratégiques.

Beaucoup d’éditeurs sont convaincus qu’un jeu de société ne peut aujourd’hui être un succès que s’il est gentil – gentil rose ou gentil vert -, si l’on peut jouer pour soi sans jouer contre les autres. J’ai récemment discuté avec l’un d’entre eux, qui envisageait de rééditer Isla Dorada, jeu méchant s’il en est, mais en en retirant les possibilités de blocage qui en font tout le charme. Curieusement, ceux qui tiennent ce discours citent toujours les deux mêmes mauvais exemples, Les Aventuriers du Rail et les Colons de Catan. Ce sont certes d’excellents jeux grand public mais, si l’on ne s’y fait pas vraiment la guerre, la course et le blocage y sont très présents.

Alors, certes, j’aime bien les jeux un peu agressifs, un peu méchants, ou pour parler politiquement correct « interactifs ». C’est un goût personnel, mais je pense qu’il reste très partagé, et sans doute plus dans le grand public que dans le petit milieu des professionnels et des initiés du jeu de société. J’en suis suffisamment convaincu pour continuer à faire des jeux « interactifs ».


Quelques jours seulement après avoir écrit cet article, je suis tombé sur un tweet de mon ami Eric Lang dans lequel il mettait en avant une autre manifestation de la même erreur d’analyse.

Il constatait que beaucoup de la complexité inutile des jeux de société récents était due à la volonté de minimiser les « feel bad moments », expression que je ne sais pas trop comment traduire, disons les moments où un joueur peut avoir l’impression de s’en prendre plein la gueule. Je n’avais pas employé cette expression, mais c’est précisément pour cette raison que les régions d’Ethnos sont devenues les pistes de score d’Archéos Society.
Eric pointe sur un autre procédé des éditeurs, qui demandent au concepteur du jeu d’introduire des « compensations » pour le joueur qui perd un combat ou une majorité, que ce soit à la suite d’un manque de chance ou d’un bon coup adverse, afin que la perte ne soit pas trop fortement ressentie.

C’est généralement une erreur pour deux raisons. D’abord, comme le remarque Eric, parce que ces « compensations », par exemple des bonus à utiliser plus tard pour modifier un jet de dé, complexifient les règles. Mais aussi et surtout parce ces « feel bad » moments, font partie du plaisir du jeu, ne serait ce que pour mieux mettre en avant les « feel good » moments. Un jeu où on ne rate jamais vraiment son coup, c’est aussi un jeu ou l’on ne réussit jamais vraiment, c’est un jeu plat.

Eric cite comme exemple King of Tokyo, de Richard Garfield, mais mes plus grands succès, Diamant, Mascarade ou Citadelles sont aussi des jeux qui peuvent parfois sembler injustes. Non seulement cela ne pose pas de problèmes aux joueurs, mais je suis convaincu que c’est une des raisons de leur succès.

Si je prends l’exemple de Citadelles, les alternatives à l’Assassin, Sorcière et Magistrat, sont effectivement une réponse à une demande de l’éditeur, qui voulait que le joueur tué, parfois un peu par erreur, ne perde pas complètement son tour. Je ne joue jamais avec ces personnages plus complexes, et je ne crois pas que beaucoup de joueurs y aient recours. L’assassin est injuste, mais il est aussi tellement plus simple et plus drôle.

Je ne suis pas toujours opposé aux compensations. Quand cela rentre dans le thème, ne complique pas trop les règles, ne ralentit pas le jeu et peut relancer la partie, pourquoi pas. Dans un de mes prototypes, le singe qui réveille le tigre reçoit un brin de moustache qu’il pourra utiliser plus tard pour refuser une carte et en piocher une autre. Cela passe parce que c’est simple. Trop souvent, et je m’y suis parfois laissé entraîner, les compensations s’accumulent au point qu’il devient presque indifférent de perdre ou de réussir un jet de dé, de piocher une bonne carte ou une mauvaise, et le jeu perd alors tout son sel.

J’ajouterai que les éditeurs qui cherchent à minimiser ces « moments négatifs » se méprennent assez largement sur la nature du plaisir ludique. Bien sûr, quand on joue, on cherche à gagner, c’est le principe même du jeu. Mais ce qui apporte le plaisir du jeu, ce n’est pas le résultat, la victoire, c’est la tension qui y mène – ou pas. On ne se souvient avec plaisir des parties que l’on a gagné que quand on a failli les perdre, et on se souvient avec le même plaisir de celles que l’on a perdu mais que l’on aurait pu gagner. Pourquoi tant de gens jouent-ils au poker, qui n’est guère fait que de “feel bad” moments ?

Ces éditeurs – pas tous, heureusement – me semblent oublier que les jeux sont achetés par des gens qui aiment jouer, qui cherchent à gagner mais acceptent de perdre. Les gens qui n’aiment pas perdre ne jouent pas.


Quelques mois plus tard encore, je me suis rappelé la grande théorie de mon ami Bruno Cathala, selon laquelle le plaisir du jeu vient en grande partie de la frustration du joueur à qui il manque toujours une carte, un point d’action, un jet de dé, une case pour pouvoir faire ce qu’il veut. Cette frustration est très voisine de celle que j’ai décrit plus haut, que ressent le joueur qui prépare longuement son coup… pour se faire soudain bloquer par une route ou un ouvrier posé par le joueur à sa droite. Elle est bien sûr tout aussi présente dans les jeux coopératifs, où c’est le système qui vient nous embêter.

Cet article a généré, depuis que je l’ai publié, pas mal de discussions parfois un peu arrosées avec d’autres auteurs de jeux. Si tous ne mettent pas toujours en avant la même émotion négative, je ne crois pas qu’il y en ait un seul qui m’ait dit faire, ou chercher à faire, des jeux « positifs ». C’est un fantasme d’éditeur, et un mauvais argument commercial qui repose sur une méconnaissance des joueurs et des mécanismes du plaisir ludique.



My favorite game by the talented designer Paolo Moris is certainly Unusual Suspects, but he mostly designed more ambitious stuff, games like Libertalia or Dogs of War. I played a few games of Ethnos, when it was published in 2017 by CMON, and thoroughly enjoyed them, even when the game felt a bit unfinished. The art was good but the graphics bland. The map was divided in six regions which didn’t mean much in game terms. It felt like a fabulous game which had been developed and published a bit too fast.  

I rejoiced when I heard that the Space Cowboys team, which was already responsible for publishing another of Paolo’s great designs, Libertalia, was working on a retheme of Ethnos. Archeos Society is just out, and it looks gorgeous. I played it twice and it fell flat twice. Since I didn’t remember Ethnos very well, I just opened my old box and browsed through the rules to check the changes. I instantly saw the problem. The game has been thoroughly expurgated from everything a bit aggressive, from every possibility to attack other players, because war and violence 1)are bad and 2) don’t sell. Such bowdlerization has recently become commonplace with game publishers.

War and violence are certainly bad in real life, but they are not a problem in novels and movies. They should not be either in games, especially since they make for an efficient way to generate interaction between the players. The fight was not very bloody in Ethnos, which was technically more an area majority game than a war game, and I think it could have been improved with the possibility, for some people, to cross borders and attack neighbors. Anyway, the opposite has been done in Archeos Society, where the rivalry for the control of the six regions has been replaced with simply moving players pieces on various scoring tracks. These are not even race tracks, since there’s no bonus for the first one past the post, and no possibility to trip opponents up. The fun and interactive part of the game has been replaced by complex scoring systems, different on every track, so that each player makes their own calculations, mostly ignoring opponents.

As a result, even when nine tenths of the rules are the same, Ethnos and Archeos Society feel completely different. Ethnos was a true game, played with and against opponents. Archeos Society feels like a math optimization problem. Ethnos was simple, fun, nasty, a game for every casual gamer. Archeos Society feels serious, cold, technically challenging but still probably too simple for hardcore gamers.

Most publishers nowadays seem to believe that a game can only be a major hit if it is cute – meaning either pink cute or green cute – if one can play for oneself without playing against the other. I even recently got an email from a publisher who wanted to republish Isla Dorada, a deliberately nasty game, with removing  the blocking possibilities which make most of its charm. Ironically, those who adhere to this narrative always give the same two examples, Ticket to Ride and Settlers of Catan. Both are outstanding games, and not about war, but blocking, and sometimes aggressive blocking, is one of their essential features.

I like aggressive, even mean, games – or, to use the euphemized term, interactive games. It’s a personal taste, but I think it is a very common one, and probably more among casual gamers than among hardcore ones and publishers. And I intend to keep on designing “interactive” games.


A few days only after I posted this blogpost, I read a tweet by my friend Eric Lang, in which he highlighted another manifestation of most publishers’ aversion fore negative effects in games.

He noticed that some of the unnecessary complexity of modern board games came from trying to minimize “feel bad moments” in games. I didn’t use this wording, but it is for this exact reason that the regions in Ethnos have been replaced by scoring tracks in Archeos Society.
The other reaction pointed by Eric is publishers asking the designer to add “compensations” for the player who loses a fight or a majority, be it because of bad luck or of an opponent’s clever move, so that the loss doesn’t feel too bad.

It is usually an error for two reasons. First because, and that was Eric’s main point, these compensations are added rules and make the game more complex. Another reason is that these “feel bad” moments are part of a game’s fun, if only because they help emphasizing the good moments. A game with no real bad moments is also a game with no real good moments – it feels flat.

Eric gives one example of game with simple rules bad moments, Richard Garfield’s King of Tokyo. My three best-selling games, Diamant, Mascarade and Citadels, are also merciless and even sometimes unfair. It doesn’t seem to be a problem for players, I even think it’s one of the reasons for their success.

In the recent editions of Citadels, there are two #1 cards designed to replace the Assassin, the Witch and the Magistrate. These two characters come from a demand by the publisher, who wanted to make the #1 character’s effect less violent for the affected player. I never play with these more complex characters, and I don’t think many players do. The assassin is so much simpler and more fun.

I’m not totally against compensations. If it fits with the story, if it doesn’t slow or complexify the game, if it adds to the tension, why not. In a prototype I’m working on at the moment, the monkey who wakes up the tiger can keep a whisker and use it later to discard a card and redraw. It’s OK because there’s a fun story in it, and it’s simple. In too many games, compensations are such that it doesn’t really matter any more if your die roll is a hit or miss, if the card you draw is good or bad – and the game becomes tenseless.

The publishers who want to minimize these “bad moments” misunderstand the essence of the gaming pleasure. Of course, players try to win, that’s the whole point of the game. The fun, however, is not in the result, in winning, it is in the tension, in trying to win. The games we best remember are those we won but nearly lost, and those we lost but could have won. Why do so many people play poker, a game which is mostly “feel bad moments”.

Many publishers – not all, luckily – seem to forget that the people who buy and play games are people who like playing. This means they try to win, but they dont mind losing. People who hate losing don’t play games.


A few months later, I remembered that Bruno Cathala had once explained to me his theory that gaming pleasure is largely based on frustration, on the players always missing one card, one action point, one spot on the die, on space on the track to do what they want. This frustration is not very different from that described above, of the player patiently preparing a move to see it blocked by a road or a worker placed the player on their right, just before their turn comes. It is not different in cooperative games, where blocking is done by the system.

This article has generated, since I published it six months ago, many half-drunk discussions with fellow game designers. While we don’t all claim to aim at the exact same negative emotion, I don’t think a single designer ever told me they design, or would like to design, entirely « positive » games. This idea is both a publisher’s fantasy, and a bad sales pitch due to a misunderstanding of gamers and the nature of gaming fun.

Tom Vasel aime Secrets
Tom Vasel approves Secrets

Tom Vasel a aimé Secrets, et comme il est sans doute l’ « influenceur » le plus influent dans le petit monde du jeu de société, je ne peux que m’en réjouir.
Dans ses commentaires, il revient à plusieurs sur deux remarques. La première est que ce jeu fait penser à une version plus sophistiquée de Cockroach Poker. C’est fort bien vu, même s’il n’y a pas d’identités secrètes dans le jeu de Jacques Zeimet. Secrets, c’est un peu la version « joueurs » d’un mélange entre le poker des cafards, auquel j’ai beaucoup joué il y a une quinzaine d’années, et Mascarade.
L’autre remarque, c’est que cela ressemble plus à un jeu de Bruno Faidutti qu’à un jeu d’Eric Lang. Je m’y attendais, d’autant que c’est une réflexion que l’on nous avait déjà faite à la sortie de Dolorès, notre première collaboration. La réponse sera donc la même, non, on a vraiment bossé tous les deux là dessus, se renvoyant régulièrement la balle. Ceci dit, notre collaboration ces dernières années est surtout due à un souhait d’Eric de faire des trucs plus légers et moins stratégiques. Je n’ai pas autant, je crois, l’envie de me remettre aux gros jeux, même si Eric et moi avons aussi un truc un peu plus ambitieux en chantier.

Tom Vasel likes Secrets, and since he’s probably the most influent influencer in the small board gaming world, that’s a good news.
In his comments, he stresses two interesting points I’d like to shortly discuss. He compares several times Secrets with Cockroach Poker. that’s well spotted, even when there’s no hidden identities in Jacques Zeimet’s game. Secrets feels a bit like a gamers’ fusion between Mascarade and Cockroach Poker, which I played a lot fifteen years ago.
The other comment Tom repeats a few times is that this game feels more like Bruno Faidutti than like Eric Lang. I’m not really surprised, especially after already having the same remark made last year about Dolores, our first common design. The answer is that we really designed both games together, and that there are ideas from both of us in the final result. What is probably true, however, is that our collaboration was more due to Eric wanting to work on lighter stuff, than to me wanting to come back to big heavy boxes. Anyway, we’re still occasionally working on another game, and this one might end up being heavier.

And by the way, here’s another nice review of Secrets.

 

Secrets

Eric Lang et moi avons, ces deux dernières années, travaillé ensemble sur trois petits jeux de cartes.

Dilemma, notre premier prototype, construit autour du dilemme du prisonnier, s’appelle finalement Dolorès, et est sorti l’an dernier chez Lui-Même éditions. Secrets, notre deuxième jeu va bientôt arriver chez Repos Production, dans le même format que Mascarade. Le troisième, qui pour l’instant s’appelle Animal Farm, n’en est qu’à de premières mais prometteuses ébauches. J’entends déjà les critiques affirmer que ces petits jeux de cartes assez légers et psychologiques ressemblent plus à du Faidutti qu’à du Lang, mais le fait est qu’ils ont vraiment été tous, du début à la fin, des collaborations. Nous avons aussi essayé de faire un party game, et un gros jeu plus langien dans une grosse boite, mais cela n’a rien donné de très convaincant pour l’instant.


Discussion avec Eric Lang à la Gen Con

Dolorès n’était pas encore totalement finalisé lorsque nous avons commencé à réfléchir à notre deuxième jeu. Depuis le succès des Loups-Garous, les jeux à identités secrètes – ce que les anglo-saxons appellent les « social deduction games » – sont devenus un genre à part entière, avec ses précurseurs, Hoax et Mafia (et peut-être Citadelles), ses classiques, Les Loups Garous, Résistance ou Complots et de nombreuses variations plus ou moins originales.  Ce sont des jeux vivants, rapides, tendus, tout en bluff et en interactions – un genre qui semble fait pour moi, et auquel je me suis déjà essayé avec Mascarade et quelques projets inaboutis. Eric Lang, de son côté, était plutôt spécialisé ces dernières années dans les gros jeux de plateaux avec plein de règles et de figurines, mais ayant souvent une dimension psychologique, comme dans le draft de Blood Rage, sans doute celle de ses créations que je préfère.

La feuille de route de notre deuxième projet, griffonnée lors d’une discussion à la Gen Con, était assez simple – un jeu à identités secrètes, par équipe, dans lequel les joueurs doivent enquêter et intriguer pour découvrir quels sont leurs partenaires, et peuvent changer d’équipe en cours de partie. Le titre, Which Side are you on?, chanson emblématique des syndicats et de la gauche américaine, s’est imposé de lui-même, et le premier prototype avait donc des équipes rouge et jaune.


Which Side are you on ? aux rencontres ludopathiques

Alors que Mascarade est un jeu que l’on joue chacun pour soi, Which Side are you on? était dès le début, comme l’indique son titre, un jeu opposant des équipes secrètes et mouvantes, et où l’une des difficultés est d’identifier ses partenaires. Au cours du développement, nous y avons quand même ajouté un ou deux joueurs qui la jouent perso, mais ils n’ont pas le même objectif que ceux qui jouent en équipe.

Contrairement à Dilemma / Dolorès, qui avait été terminé assez vite, Which Side are you on ? / Secrets  a demandé beaucoup de réglages. Dans les premières ébauches, par exemple, l’identité d’un joueur était déterminée par la majorité de trois jetons, un qu’il avait devant lui et deux qu’il partageait avec chacun de ses deux voisins. C’était sans doute malin, mais finalement un peu lourd à manipuler. De même, les joueurs avaient très classiquement des cartes en main, et le manque de données sur les mains des autres joueurs rendait le bluff difficile. Nous avons essayé bien des versions, avec plus ou moins de cartes, plus ou moins d’information, plus ou moins de jetons, plus ou moins de mouvement. Même après la signature du contrat, nous avons continué à faire des modifications – la dernière règle que j’aie rédigée portait le numéro 6.8, et c’était avant que l’équipe de Repos ne suggère d’autres réglages.

Pour le thème, après les syndicats américains, nous avons essayé une version ésotérique, cabalistes contre illuminatis, qui fonctionnait assez bien, mais le thème était un peu trop, justement, ésotérique. Dans le même esprit fantastique, nous avons pensé aux grandes religions, islam et christianisme ; cela collait assez bien, avec des conversions plus ou moins secrètes et un ou deux bouddhistes pour faire bon poids, mais il est devenu trop risqué aujourd’hui de se moquer de la religion. Chats et chiens ne fonctionnait pas vraiment, faute d’ambiguïté entre les deux statuts et de problèmes existentiels. Je sais que l’éditeur a essayé un temps une thématique science-fiction, vaguement Star Wars, Empire et rebelles. Finalement, après bien des tâtonnements, Repos a choisi la guerre froide, CIA contre KGB dans les années 60 – avec quelques hippies venus semer le trouble dans les consciences. Un thème plus original, et qui permet des illustrations au look vintage et un peu décalé, la spécialité de Carole Chaland.

Pour le titre, j’aurais voulu conserver Which Side are you on? , qui a l’avantage de suggérer déjà les mécanismes du jeu, mais cela ne marche qu’en anglais, et rappelle trop aux américains l’univers des grèves et des syndicats, certes positif mais pas très excitant. C’est donc finalement Secrets – car à notre grande surprise, comme vous pouvez le vérifier sur le Boardgamegeek, il n’y a pas encore de jeu qui s’appelle ainsi.

Secrets se joue de 4 à 8 joueurs. La majorité d’entre eux appartiennent à l’une des agences rivales, CIA et KGB, et un ou deux sont des hippies. Les cartes représentent des personnages, Politicien, Journaliste, Diplomate, Scientifique et quelques autres que chacun essaie de recruter dans son camp, tout en s’efforçant de déterminer quels sont ses alliés. Pour cela, chaque joueur à son tour pioche deux cartes, connues de tous, et en choisit secrètement une qu’il propose à l’un des autres joueurs, face cachée. Le joueur à qui la carte est proposée décide alors lequel des deux recrute la carte et en applique les effets – effets bons ou mauvais, qui peuvent affecter les scores des joueurs, révéler des informations, et parfois faire changer de camp un joueur.  Secrets demande donc de la psychologie, un peu de sens tactique, et une certaine capacité à déjouer les embrouilles.

Secrets
Un jeu de Eric M. Lang et Bruno Faidutti
Illustré par Carole Chaland
4 à 8 joueurs – 20 minutes
Publié par Repos Prod (2017)
Vindjeux      Ludovox     Trictrac      Boardgamegeek


These last years, Eric Lang and I have worked together on three light card games.

Our first co-design, built around the prisoner’s dilemma, H.M.S. Dolores, has been published last year by Lui-Même. The second one, Secrets, is published by Repos Production, in the same box size as Mascarade. The third one, with working title Animal farm, is only a rough prototype so far, but shows some promise. We’ve been already told a few times that these light and psychological games felt more like Faidutti than Lang , but the truth is that they all have been, from the original idea to the final version, collaborative work. We’ve also thought of a party game, and started working on heavier and more langesque stuff, but none of this has been very convincing so far.

We’ve started thinking on our second game before HMS Dolores was even finalized. Since the world success of Werewolves, secret identity games, also known as social deduction games, have become a genre in itself, with its precursors, Hoax and Mafia (and may be Citadels), its classics, Werewolves, The Resistance or Coup, and several more or less original variations. These are lively, tense and fast paced games, built around bluffing and interaction, a genre I’ve always liked and with which I already tinkered with with Mascarade and a few abandoned projects. These last years, Eric Lang has mostly worked on big boxes full of rules, cardboard and plastic, but often with some psychological elements, like the draft in Blood Rage, which is probably my favorite among his designs.

The roadmap for our second design, which we discussed very shortly two years ago at gen Con, was relatively simple. It was to be a secret identity game, in which players had to find out who their teammates were, but could also try to change teams when they thought the other side was winning. The obvious title was Which Side are you on ?, and the first prototype was therefore themed about worker unions, the teams being red and yellow (In French, “yellow” is slang for strike-breaker – I don’t know if it also works in English).

While Mascarade is every player for himself, Which Side are you on was, as one can guess from its original name, a team game with secret and sometimes changing teams, in which every player must try to find out who is on their side. During the game development, we added one or two players with a different and individual victory condition.
Unlike Dilemma / Dolorès, whose development went very fast, Which Side are you on ? / Secrets needed lots of tuning. For example, in the first versions, a player’s team was determined by the majority in three tokens, one in front of them and two shared with their left and right neighbor. It was clever, but it was also confusing and a bit heavy. Similarly, players had hands of cards, and the lack of information about other players’ hands mad bluffing very hazardous. So we changed all that, and tried many versions with fewer or more tokens or cards, with more or less movement and information. Even after the contract was signed, we kept on making criticl changes to the game. The last rules version I wrote was the 6.8, and that was before the Repos team took over and suggested more changes.

US trade unions made for an original setting, but not something very easy to sell. We tried something esoteric, cabalists against illuminatis; it worked but the setting was too, well, esoteric. We thought of another strange fantasy, religion, Islam vs Christianism, with more or less secret conversions and one or two Buddhists thrown in just for fun, but it has become too risky to mock religions. Cats vs Dogs didn’t work, due to a lack of ambiguity between the two positions. I know the publisher tried a sci-fi version, empire against rebels. We finally agreed on one of the publisher’s ideas, the cold war, CIA against KGBs in the sixties, with a few hippies thrown in to question the meaning of all this. It’s relatively original, and makes for a nice vintage graphic look, something Carole Chaland masters perfectly.

Which Side are you on? was a nice title that suggested the mechanisms, and I would have liked to keep it, but the pun worked only in English and might have been too strongly associated with the trade unions history – something positive but not very exciting. We finally settled on something less original – Secrets – and you can check on the BGG, there’s no boardgame so far with this name.

Secrets is a 4 to 8 players game. Most players belong to one of the two rival agencies, CIA and KGB, and one or two might be hippies. Cards figure various characters, Politician, Journalist, Diplomat, Scientist… that players try to recruit on their side – assuming they know which side they are on, and with whom. Each player on turn draws two cards, shows them to everyone, and then secretly proposes one, face down, to some other player. This player then decides if he takes the card for himself and applies its effects, good or bad, or if the proponent does. Cards effect can affect scoring, can reveal information to one or all players, and can even make players swap team. Secrets requires subtle psychology, tactical sense, and an ability to see clearly in muddled situations.

 

Secrets
A game by Eric M. Lang & Bruno Faidutti
Art by Carole Chaland
4 to 8 players – 20 minutes
Published by Repos Prod (2017)
Boardgamegeek

Gen Con 2016 Report

GClogo-header-2016-91a751cab7b3dc33dd0ac3b3b95595ac9c4e1b4bc5f42b6388531396cb8729be
Depuis que le salon d’Essen a été avancé d’une semaine, et ne coïncide donc plus avec les vacances de Toussaint, il m’est devenu difficile d’y aller. Du coup, je prends mes habitudes à la Gen Con estivale d’Indianapolis, l’autre grand rendez-vous du petit monde ludique. L’ambiance y est à la fois moins familiale et plus décontractée qu’à Essen, et c’est plutôt bien.

dolorescitadels 2 coverWaka Tanka US - Coverfearz-box
Les jeux que j’ai présentés sur le salon

Comme les années précédentes, j’en ai profité pour passer d’abord quelques jours à Minneapolis chez FFG, pardon, chez Asmodee North-America, pour discuter essentiellement de projets dont je n’ai pas encore le droit de parler. C’est toujours chez Asmodée, qui présentait la nouvelle édition de Citadelles, avec plein de nouveaux personnages et quartiers, et Dolorès, ma première collaboration avec Eric M. Lang (il y en aura d’autres), que j’ai passé le plus clair de mon temps à Indianapolis. J’étais un peu déçu que  Raptor ne soit pas mis en avant. J’ai quand même trouvé quelques heures pour aller faire quelques parties de Waka Tanka, dont CMON (il ne faut plus dire Cool Mini or Not) publie la version américaine et politiquement correcte et de Fearz!, ma première collaboration avec Anja Wrede (il y en aura d’autres), chez les petits français de Don’t Panic Games.

waka tankaUne partie de Waka Tanka

citadels gencon
Explications de Citadelles

Ayant d’abord pas mal bossé sur le développement de Citadelles, et ayant ensuite un peu manqué d’idées ces derniers mois, je n’avais apporté qu’un seul prototype,  pour lequel j’ai eu la chance de trouver assez facilement un éditeur. Ça laissait du temps pour “faire du relationnel”, comme on dit, pour causer les éditeurs des jeux qui sortiront l’an prochain, pour discuter de plein de projets avec les nombreux auteurs qui trainaient au bar du J.W. Marriott, pour des interviews plus ou moins improvisées, et pour attraper quelques variétés locales de pokemons. Dans un bistrot, on m’a demandé mon passeport pour vérifier que j’avais bien 21 ans, l’âge minimum pour boire une bière.

eric lang
Quelques nouvelles idées de jeux avec Eric Lang….

seiji
Et discussion avec Seiji Kanai (photo par Douglas Morse de tabletopmovie)

GenCon
Les auteurs Sweet November, avec Juan Rodriguez et Julien Prothière

Je ne suis pas en mesure de vous dire quels étaient les succès du salon, les jeux dont tout le monde parle. La Gen Con est un immense bouillon de culture ou groupes et réseaux s’entremêlent ou s’ignorent, et les jeux dont parlent les uns ne sont pas toujours ceux dont causent les autres. Alors, bien sûr, il y a le GeekBuzz du boardgamegeek, mais il ne donne que les jeux dont parlent les Geek, et peut être sujet à manipulations. L’an dernier, tout le monde jouait à Codenames, cette année, tout le monde jouait à Codenames Pictures. Ont aussi bien buzzé Cry Havoc, Mansions of Madness, Dead Last, Grifters, Vast, The Dragon and the Flagon, Scythe, Lotus, SeaFall, Terraforming Mars, Secret Hitler, Last Friday, Captain Sonar, et j’en oublie beaucoup. Mention spéciale pour Scythe et Lotus, qui sont aussi magnifiques.

pic2323719_lgpic3068462_md

La panne informatique de Delta a quelque peu compliqué le retour de tous les participants à la Gen Con. Parmi les français, je pense ne m’en être pas trop mal sorti avec juste une dizaine d’heures de retard – mais j’ignore encore où sont mes bagages.


GClogo-header-2016-91a751cab7b3dc33dd0ac3b3b95595ac9c4e1b4bc5f42b6388531396cb8729be
Since the Essen fair has been advanced to mid-october, it doesn’t coincide anymore with French school holidays, and it has become complex for me to go there. This is why I now regularly attend the other major boardgame convention, the summer Indianapolis Gen Con. It feels different, both more geeky and more casual, and I think I enjoy it more than Essen.  

dolorescitadels 2 coverWaka Tanka US - Coverfearz-box
The games I was demoing at the fair

Like the former years, I seized the oportunity to spend a few days at FFG – ooops, at Asmodee North-America, mostly to discuss stuff I cannot talk about yet. I also spent most of my time at Gen Con at Asmodee, wher. e two of my upcoming games were premiered.  The new edition of Citadels has lots of new characters and districts. Dolorès is my first collaboration with Eric Lang – there will be more. I was a bit depited that Raptor was not demoed on the fair, but it’s not possible to have all games. I escaped for a few hours to demo Waka Tanka whose US edition is published by CMON (now it’s CMON, not Cool Mini or Not) and  Fearz!, my first collaboration with Anja Wrede – there wil be more – at Don’t Panic Games, a small French company created by good friends of mine.

waka tankaDemoing Waka Tanka

citadels gencon
Explaining Citadels

I’ve spent much time last year on the playtesting and development of Citadels, and then I had a game designer’s block this last two monthes.  I had only one prototype to show, but it found a publisher relatively easily. On the other hand, I had much time to socialize at the J.W. Marriott bar, to discuss upcoming games with publishers and new ideas with other game designers, to do a few interviews, and to capture local varieties of pokemons. Nice anecdote, I was asked for my ID in a bar when ordering a beer to prove that I am 21.

eric lang
Discussing a game idea with Eric Lang….

seiji
And meeting Seiji Kanai (photo by Douglas Morse of tabletopmovie)

GenCon
The Sweet November game designers, with Juan Rodriguez and Julien Prothière

I cannot tell you what were the main hits of the con. The Con is vast and messy, with numerous groups and networks which sometimes mix and sometimes don’t. The games that buzz in a group might go completely unnoticed in another one. Of course, there’s the boardgamegeek Geekbuzz, but it’s not flawless and it only gives the specific opinion of the true boardgamegeeks.
Last year, everybody was playing Codenames, and this year everybody was playing Codenames pictures. I’ve heard mentioned quite often Cry Havoc, Mansions of Madness, Dead Last, Grifters, Vast, the Dragon and the Flagon, Scythe, Lotus, SeaFall, Terraforming Mars, Secret Hitler, Last Friday, Captain Sonar and I certainly forget many. Scythe and Lotus deserve a special mention for their strong and original themes and graphic choices.

pic2323719_lgpic3068462_md

Delta’s computer system outage has made flying back from GenCon a bit complex. Among the French people, I think I didn’t do bad with only about ten hours delay – but I’ve yet no idea where my bags are. 

Dolorès
H.M.S. Dolores

Ceux qui allumeront la nuit des feux trompeurs sur les grèves de la mer et dans les lieux périlleux pour y attirer & faire perdre les navires seront  punis de mort & leurs corps attachés à un mât planté aux lieux où ils  auront fait les feux.
Colbert, Ordonnance de la Marine, 1681

Les naufrageurs n’écrivent leur nom que sur l’eau.
Guy Debord, conférence sur le cinéma.

dolores box

C’est l’histoire de deux prisonniers…

L’histoire de Dolorès commence à Essen, à l’automne 2013. C’est au petit déjeuner que j’ai sympathisé avec Eric Lang, que je n’avais jusqu’ici que croisé rapidement sur quelques salons sans que nous ayons vraiment pris le temps de discuter. Bien évidemment, lorsque deux auteurs de jeux se rencontrent, ils parlent de jeux, de leurs projets, de leurs idées… Je ne sais plus lequel d’entre nous a, le premier, dit qu’il réfléchissait à un jeu fondé sur le dilemme du prisonnier, mais toujours est-il que l’autre a immédiatement réagi en disant – moi aussi !

Pour ceux qui ne connaissent pas le dilemme du prisonnier, très utilisé en économie notamment pour étudier les choix commerciaux des entreprises en situation d’oligopole, en voici la formulation classique par le mathématicien Albert Tucker, en 1950 :

Deux suspects sont arrêtés par la police. N’ayant pas de preuves, les policiers les interrogent séparément en leur faisant la même offre. « Si tu dénonces ton complice et qu’il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté et l’autre écopera de 10 ans de prison. Si tu le dénonces et lui aussi te dénonce, vous écoperez tous les deux de 5 ans de prison. Si personne ne dénonce personne, vous aurez tous deux 6 mois de prison. »

Chacun des prisonniers réfléchit de son côté en considérant les deux cas possibles de réaction de son complice.

« S’il me dénonce :
Si je me tais, je ferai 10 ans de prison ;
Mais si je le dénonce, je ne ferai que 5 ans. »
« S’il ne me dénonce pas :
Si je me tais, je ferai 6 mois de prison ;
Mais si je le dénonce, je serai libre. »
« Quel que soit son choix, j’ai donc intérêt à le dénoncer. »

Si chacun des complices fait ce raisonnement, les deux vont probablement choisir de se dénoncer mutuellement. Conformément à l’énoncé, ils écoperont dès lors de 5 ans de prison chacun. Or, s’ils étaient tous deux restés silencieux, ils n’auraient écopé que de 6 mois chacun. Ainsi, lorsque chacun poursuit rationnellement son intérêt individuel, le résultat obtenu n’est pas le meilleur possible. Pour les mathématiciens, c’est un équilibre de Nash mais pas un optimum de Pareto.

Du coup, nous avons décidé de nous y mettre ensemble et, après quelques gribouillis sur la nappe de l’hôtel Atlantic (je sais, c’est absurde, mais il y a un hôtel Atlantic à Essen), nous avions l’ébauche d’un jeu de cartes. À chaque tour, deux joueurs doivent décider secrètement s’ils acceptent la moitié d’un lot de cartes ou s’ils en voulent la totalité, étant entendu que si les deux joueurs veulent tout, personne n’a rien.

Pour que le jeu ne soit pas trop répétitif, il était nécessaire que, selon la situation, chacun puisse estimer l’intérêt des différentes cartes pour son partenaire / adversaire, et que cet intérêt soit variable d’un tour à l’autre, rompant ainsi avec la symétrie du dilemme originel. C’est pour cela que nous avons imaginé un système de score original, dans lequel chacun ne compterait en fin de partie que les cartes des séries dont il a le plus et le moins. C’est pour la même raison, rendre le jeu moins répétitif, moins mécanique, que nous avons introduit un troisième choix, je ne veux qu’une carte mais je la choisis d’abord. Nous avons aussi essayé d’imaginer des partages impliquant plus de deux joueurs, mais cela fonctionnait mal. D’ailleurs, si l’on tente vraiment de généraliser à plus de deux joueurs le dilemme du prisonnier, on débouche sur un tout autre problème, le paradoxe du passager clandestin, que j’ai déjà exploité dans un autre jeu, Terra.

dolores test

Brocanteurs et naufrageurs

Après quelques tests, le jeu fonctionnait parfaitement. Philippe des Pallières, sur la suggestion d’Oriol Comas, y joua lors de mes rencontres ludopathiques, au printemps 2014, et quelques semaines plus tard je passais dans son chateau pour finaliser l’accord, faire quelques parties et réfléchir à ce qui manquait encore à notre mécanique un peu abstraite – un thème, une histoire.

dolores need 2

Notre jeu, qui s’appelait alors Dilemma, est en effet construit entièrement à partir d’une mécanique. Pour le premier prototype, j’avais utilisé de jolis clipart animaliers récupérés sur internet, les mêmes que j’entrevois régulièrement sur les prototypes code nombreux auteurs, et je racontais vaguement que les joueurs étaient propriétaires de zoos, comme dans Zooloretto, mais le thème n’était pas très convaincant. Philippe des Pallières a d’abord pensé à des gamins se partageant des bonbons à la récréation, puis à des collectionneurs d’objets un peu vintage faisant le tour des brocantes. C’est ce thème qui fut d’abord retenu, et Tom Vuarchex réalisa même une très jolie maquette au look très sixties. Mais, bon, personne n’étant vraiment convaincu, nous avons refait un brain storming d’où sont sorties encore d’autres idées. La mécanique du jeu, le choix entre le poing fermé, la guerre, et la main tendue, la paix, faisait de « Guerre et Paix » un titre évident, et on envisagea des cartes avec des soldats des guerres napoléoniennes. L’idée du partage amena aussi à des naufragés sur une île déserte, puis à une variante de la même idée, des naufrageurs allumant des feux pour attirer sur des rochers les navires pris dans la tempête. Après bien des hésitations, bien des allers retours, c’est finalement ce dernier thème qui fut choisi.

dolores naufrageurs

Le titre fut aussi difficile à trouver. Dilemma était trop technique et sans lien avec la thématique du jeu. Naufrageurs, ou son équivalent anglais Shipwreckers, ne convenait pas car il nous fallait quelque chose d’international. Nous avons pensé à quelques lieux célèbres pour avoir abrité, ou avoir été censé abriter, des naufrageurs. Nous avions trouvé Sark, une petite île au large de Guernesey, Penmarch, en Bretagne, et Nag’s Head, en Caroline du Nord, qui avait ma préférence. Ce sera finalement Dolorès, censé être le nom du navire pris dans la tempête, et qui a l’avantage et l’originalité d’être international sans être anglais.

Une fois l’univers choisi, il fallait trouver un illustrateur. Tom, qui s’était beaucoup amusé avec les meubles et  objets vintage des brocanteurs, n’était guère attiré par les naufrageurs. Je venais de découvrir les splendides illustrations de Raptor, et avançai le nom de Vincent Dutrait. Philippe fut d’abord réticent, parce que la Corée est un peu loin et qu’il préfère travailler avec des personnes, qu’il s’agisse d’auteurs ou d’illustrateurs, qu’il peut rencontrer physiquement. Il se laissa cependant convaincre après une discussion avec Vincent à la Gen Con d’Indianapolis, à l’été 2015.

La carte et le poing

Les premiers prototypes de notre jeu utilisaient des cadrans présentant les trois choix possibles, que nous avions baptisé Guerre, Paix et 1 et qui s’appellent finalement, dans les règles du jeu, partage, conflit et esquive. Simultanément, les deux participants au dilemme orientaient la flèche vers l’un des trois symboles, puis les deux cadrans étaient révélés simultanément. Cela aurait coûté un peu cher à fabriquer, et l’éditeur nous demanda donc si l’on pouvait remplacer ces cadrants par des cartes, portant les mêmes symboles. C’était un peu moins pratique, mais cela fonctionnait très bien aussi. Finalement, nous eûmes l’idée de remplacer les cadrans par rien du tout – ce qui est encore moins cher à produire que des cartes – et de jouer les dilemmes à la lanière de Pierre – Feuille – Ciseaux, le poing fermé signifiant « je veux tout », la main ouverte « on partage » et le pouce levé « je choisis une carte ».

C’est bien sûr cette solution, qui ne nous est venue que sur le tard, que nous avons choisie, pour trois raisons. D’abord, bien sûr, elle ne demande aucun matériel. Ensuite, la rencontre du dilemme du prisonnier et de Pierre-Feuille-Ciseaux, un jeu qui m’a toujours fasciné, a une certaine élégance. Enfin, comme je l’ai déjà expliqué dans un post précédent, il nous a semblé que les choix des joueurs, du moins lors des premières parties, étaient un peu différents, plus de guerre et moins de paix. Peut-être le geste du bras tendu pousse-t-il «naturellement » à l’agressivité, peut-être le fait de devoir prendre la décision en un instant, sans pouvoir hésiter ni revenir en arrière, nous pousse-t-il à des choix plus risqués. En tout cas, cela a donné au jeu un peu plus de dynamisme et de nervosité.

Pour le reste, le jeu a peu changé. Il y a une famille de cartes de moins que dans les premières versions et les valeurs ont été modifiées. Au tout dernier moment, nous avons ajouté quelques cartes action, baptisées « bouteille à la mer », que Vincent s’est amusé à dessiner à la manière de parchemins. En combinant les idées de Philippe et du nouveau Tom, celles d’Eric et les miennes, nous sommes arrivés à neuf cartes, ce qui est clairement un peu trop dans une partie. Après quelques marchandages (- 3 ! , – non 5 ! , – bon, allez, 4 ), nous avons décidé que la règle officielle serait d’ajouter aléatoirement quatre des neuf bouteilles à la mer dans le deck pour chaque partie.

Dolorès est ma première collaboration avec Eric Lang, mais je peux d’ores et déjà vous dire qu’il y en aura d’autres. C’est aussi mon premier jeu chez Lui-Même, la petite maison d’édition de Philippe des Pallières, pourtant mon ami depuis plus de vingt ans.

Dolorès
Un jeu de Bruno Faidutti et Eric M. Lang
Illustré par Vincent Dutrait

2 à 4 joueurs  – 15 minutes
Publié par Lui-même éditions
Ludovox      Vind’jeu      Tric Trac
      Boardgamegeek


dolores game

A tale of two prisoners

The story of H.M.S.Dolorès began at the 2013 Essen game fair. At breakfast, I hit it off with Eric Lang, whom I had already met on various game events, but with whom I had never seriously talked so far, in part because we didn’t seem to be working on the same kind of games. Of course, when two game designers meet, they talk of game design, their ideas, their regrets, their projects. I don’t remember which one first told he would like to design a game based in the prisoner’s dilemma, but the other one answered that he was thinking of it as well.

If you’ve never heard of the prisoner’s dilemma, which is frequently used in economics, especially when studying oligopolies, here is its seminal description by the mathematician Albert Tucker, in 1950 :

Two suspects of a crime have been arrested by the police, but the policemen lack sufficient evidence to convict them. The police questions them in two different rooms, and they are both offered the same deal: “if you betray your accomplice and he doesn’t betray you, you’ll be freed and he’ll spent 10 years in jail. If you betray him and he betrays you, you’ll both be jailed for 5 years. If you both remain silent, you’ll both be jailed for only 6 months”.
Both prisoners think on it, each in his own cell, considering what might happen depending on what their accomplices will do.

“If he tells on me:
If I keep quiet, I’ll spend 10 years in jail.
If I tell on him, I’ll do only 5 years.
If he doesn’t tell on me:
If I keep quiet, I’ll spend 6 months in jail
But if I tell on him, I’ll be free.”

If both prisoners rely on this same rationale, they will denounce each other, and will end being both jailed for 5 years. If they had both stayed silent, they could have been jailed for only 6 months. This shows that, if every actor rationally acts to maximize his satisfaction, the outcome is not the best possible. For those who had some maths, it is a Nash equilibrium but not a paretian optimum. 

So we decided to work on it together and, after some scribbles on the Atlantic napkin –no there is an Atlantic hotel in Essen, strange as it may seem  – we had a rough sketch for a card game. Every round involves two players, who must secretly decide if they accept half of a set of cards, or if they want all the cards. Of course, if everybody wants everything, no one gets anything.

In order for the game not to be repetitive, each player must be able to roughly estimate the value of each card for his opponent, and this value must vary from round to round, making the game less symmetrical than the original dilemma. This is why we designed a specific scoring system, where every player scores only the items of which he has the most and the fewest. For the same reason, making the game less pedestrian, we added a third choice, I want one card but I choose it first. We also tried to imagine dilemmas involving more than two players, but it didn’t work well. The true multiplayer generalization on the prisoners’ dilemma is the free-rider paradox, which I’ve used in an older game, Terra.

dolores proto

Collectors and shipwreckers

After only a few playtests, the game was working really well. Philippe des Pallières played it at my 2014 ludopathic gathering and, a few weeks later, I visited his castle to finalize the deal and discuss what was still lacking – a theme.

Our game, so far named Dilemma, was a pure abstract mechanism. I had used nice animal cliparts for the prototype, the same ones I’ve seen on so many other game prototypes, and I was vaguely telling my playtesters that the players owned zoos, like in Zooloretto, but it didn’t make any real thematic sense and didn’t convince anyone.

dolores need

Philippe’s first setting idea was kids sharing candies in the school courtyard, then vintage furniture collectors haunting garage sales. This setting was first decided for, and Tom Vuarchex even made a pretty mock-up with a plain sixties look. Unfortunately, no one else was really convinced by a graphic setting which lacked a clear storyline, so we had more brain stormings. The choice between the closed fist, war, and the open hand, peace, made for an obvious name – War and Peace – and we considered cards picturing soldiers from the Napoleonic wars. The idea of sharing the loot led to castaways, and then to a variation on the same idea, shipwreckers lighting fires on the rocky shore to lure ships lost in the storm. After lots of hesitations, we settled for this.

dolores shipwreckers

Finding a name for the game wasn’t much easier. Dilemma was too technical, too factual, and didn’t suggest the game theme. Shipwreckers sounded well, but Philippe wanted something international. We considered a few places known for having supposedly sheltered shipwreckers – a small Island near from Guernesey, Penmarch, in Britanny, and Nag’s Head, in Nort Carolina, which had my preference. We finally went for Dolorès, supposed to be the name of the ship lost in the storm, mostly because we liked the idea of a name that could be international without being in English.

The next step was to find an illustrator. Tom had had much fun making a mock-up with vintage furniture pictures, but was not really interested in shipwreckers. I suggested Vincent Dutrait, who had just finished working on Raptor. Philippe was first reluctant, because Vincent lives in Korea and he prefers to work with people he can actually meet, be they designers or illustrators. He was convinced after meeting Vincent in Indianapolis, at the 2015 GenCon

The card and the fist

Our first prototypes used dials. Simultaneously, both players involved in the dilemma had to point the arrow to one of the the three possible choices, Peace, Fight and First Pick. Then the two dials were revealed and the dilemma carried out. Since Philippe didn’t want the game to be too expensive, he asked Eric and me if we could replace the dials with cards. It also worked, though it was bit cumbersome. Then someone – I don’t remember who – thought of using rock-paper-scissors like hand gestures. Open hand means “let’s share the loot”, closed fist means “I want all the cards”, raised thumb means “I want first pick”.

This was an elegant solution, using no component, and merging the prisoner’s dilemma with a game which has always fascinated me, Rock-Paper-Scissors. As I have already explained in an earlier post, this had unexpected effects on the players’ decisions, at least in the first rounds. There were more fights and fewer peaceful agreements. I don’t know if this is because handing one’s fist at arm’s length “naturally” causes aggressive behaviors, or because having to decide at once, with no possibility of moving back, makes players take more risks. Anyway, we liked it because it made the game slightly more dynamic, and Philippe liked it also because it made it cheaper.

There has been few other changes in the game. There is one type of items fewer than in the first versions, and the card values have been modified. The last development was adding a few action cards, called “message in a bottle”, which Vincent had great fun drawing like on parchment. Merging ideas from Philippe, from the new Tom, from Eric and from me, we ended with nine cards worth keeping, which was too many for the game balance. After some bargaining (3! – no, 5! – OK, 4!) the final rule is that four random  “message in a bottle” cards are added to the deck for every game.

Dolorès is my fist co-design with Eric Lang, but stay tuned, since there will be more. It’s also my first game published by my good old friend Philippe des Pallières, of Lui-Même éditions.

Dolorès
A game by Bruno Faidutti & Eric M. Lang
Art by Vincent Dutrait

2 t 4 players  – 15 minutes
Published by Lui-même éditions
Boardgamegeek

dolores cardfan

Philippe des Pallières présente Dolorès

Dolorès est un petit jeu de bluff que j’ai conçu avec Eric M. Lang, et qui devrait sortir à la fin de l’été chez Lui-Même éditions.

C’est Philippe des Pallières, l’éditeur, qui raconte l’histoire du jeu sur Tric Trac.

Puis c’est le nouveau Tom qui explique les règles.

Puis c’est de nouveau Philippe qui fait une partie avec Guillaume et Phal.

H.M.S. Dolorès is a light bluffing game I’ve designed with Eric M. Lang. It will be published later this year by Lui-Même éditions – meaning Philippe des Pallières. Philippe and Tom present the game – in French – in these three videos – first the history of the game, then rules explanations, then a full three player game.

Quelques gros jeux
Heavier games I’m playing

J’avais un peu délaissé les gros jeux de deux heures ou plus, avec plein de texte dans les règles, sur les cartes, sur le plateau et même parfois sur les pions. Il y a plein de raisons à cela, le manque de temps, la lassitude, la paresse, mais aussi une curiosité un peu pervertie qui amène à vouloir découvrir, dans les quelques soirées jeux que je ne consacre à mes prototypes, le plus grand nombre de jeux possible.
Alors, ces derniers mois, je me suis forcé à faire des soirées jeux plus modestes, avec quatre ou cinq joueurs et non une quinzaine, de manière à pouvoir sortir un peu quelques monstres récents, moi qui ne connaissais que les anciens, et voir ce qu’ils avaient dans le ventre. Et dans l’ensemble, ils tiennent mieux la route que les vieux monstres d’il y a vingt ou trente ans.

Donc, voici cinq gros, voire très gros, jeux parus assez récemment et qui me semblent mériter le détour.

Blood Rage

Je travaille en ce moment avec mon ami Eric lang sur quelques petits jeux de cartes, mais son truc, ce sont plutôt les grosses boites, les grosses mécaniques à l’américaine. Et son chef d’œuvre, c’est son jeu de vikings, Blood Rage. Blood Rage un jeu de baston plein de sang et de fureur, mais ce n’est absolument pas un jeu de guerre classique. Le but y est en effet autant est autant la gloire, que l’on peut obtenir dans de belles défaites, que la conquête de territoires. Le cœur du jeu est un système de draft combinant tous les éléments du jeu, par lequel les joueurs se construisent une main de héros, d’actions et d’objectifs secrets, ce qui donne à ce jeu complexe une forte cohérence.

cthulhu wars

Du jeu de rôle au jeu video, Sandy Petersen a touché à tout, avec une certaine préférence pour les grosses machines. Cthulhu Wars est un bon vieux jeu à l’ancienne, basé sur une formule éprouvée, le mélange du Risk et de Cosmic Encounter. Les dieux de la mythologie lovecraftienne, maintenant qu’ils sont passés dans le domaine public, partent à la conquête du monde – mais chacun pour soi. Chaque joueur est donc un Dieu au nom imprononçable, avec ses créatures aux pouvoirs inquiétants, ses sortilèges, ses objectifs intermédiaires, et cherche, un vieux classique du jeu de société, à éliminer ses adversaires.

dogs of war

Dogs of War, de Paolo Mori, l’auteur de l’excellent Libertalia, est peut-être un peu plus léger qu’il en a l’air. La boite est aussi grosses que celle de Blood rage, les figurines également, mais c’est au fond un jeu de cartes assez subtil, dans lequel les joueurs sont des mercenaires qui, tout à la fois, parient sur la victoire de certaines familles et louent leurs services au combat. Quelque part entre le jeu de cartes, le jeu de guerre, le jeu de placement d’ouvrier, Dogs of War est étonnamment fluide et est sans doute le plus « léger » des cinq monstres présentés ici – mais ça prend quand même deux heures.

age of discovery

Empires: Age of Discovery n’est pas vraiment une nouveauté, puisqu’on le connaissait déjà sous le nom de Age of Empires, mais il vient de bénéficier d’une très belle nouvelle édition. Glenn Dover a construit son jeu sur une mécanique très « allemande » de placement d’ouvriers – ou plutôt d’explorateurs – mais y a ajouté développement, exploration et découverte, et bien sûr un peu de baston aux frontières des empires coloniaux. Très thématique, un peu baroque et remarquablement équilibré, Age of Discovery est mon jeu de placement d’ouvriers préféré.

argent

Comme Empires: Age of Discovery, Argent – the Consortium, de Trey Chambers, est un jeu de placement d’ouvriers – ou cette fois de mages – dans lequel les figurines ont pouvoirs particuliers selon les emplacements qu’elles occupent. Le doyen de l’université de magie, impliqué dans une affaire de mœurs, vient de démissionner, et votre but est donc d’être élu à la tête de l’école. La tâche est rendue assez complexe par le secret qui entoure la composition du conseil d’université chargé d’élire le nouveau doyen. Il vous faut donc enquêter pour découvrir qui sont les votants et comment les influencer. Nous sommes dans une école de magie, et tout cela va se faire à grands coups de sortilèges, d’objets magiques et d’intrigues secrètes dans des lieux enchantés. J’ai un peu hésité à mettre Argent: the Consortium dans cette liste, car je pense que le jeu aurait été bien meilleur s’il avait été un peu simplifié. Tel qu’il est, il se passe trop de choses, on a trop de choix, et j’ai le sentiment qu’il y avait la matière à faire trois ou quatre excellents jeux. Il n’empêche que c’est un jeu auquel je ne cesse de penser depuis mon unique partie, signe qu’il y a quand même quelque chose.

Argent

Et maintenant, on va retourner à du plus léger….


I had largely stopped playing heavier games, lasting two hours or more, with lots of text in the rules, on the board, on the cards and even sometimes on the tokens. I had, and stil have, lots of good reasons – lack of time, laziness, weariness but also a kind of perverted curiosity which made me want to discover as many new games as possible during the rare game nights which were not devoted mostly to playing prototypes.
These last months, I’ve tried to hold more modest game nights, with only four or five players and not a dozen or more, so that I can try to bring on the table some recent monsters – my only references in really heavy stuff were ten or twenty years old – and see what they are worth. As a general rule, they seem to be better than the old stuff from the eighties or nineties.

Here are five really heavy games, heavy in time, rules and weight, which I’ve played recently and which I think I can recommend.

Blood Rage

I’m now working with my friend Eric Lang on two very light card games, but his specialty is more big american boardgames with lots of chrome and miniatures. Everybody seems to agree that his masterwork is his Viking game, Blood Rage. Blood Rage is a game of war, full of blood and fury, but it’s not your classical risk-like war on a map. The goal is as much glory, which can be achieved through gorgeous sacrificial defeats, than territorial control. The core of the game is a draft system which brings together all the main elements of the game – armies, heroes, actions and objectives – and makes this complex game highly consistent.

cthulhu wars

Sandy Petersen has designed almost everything, from role playing games to video games, always with a strong preference for heavier and thematic stuff. Cthulhu Wars is an old-style war on map game, kind of a mix between Risk and Cosmic Encounter. Now that the Lovecraftian gods are in the public domain, they have decided to finally take over the world – but it’s every god for himself. Each player is a God with his own minions, spells, curses and objectives, the ultimate goal being to crush opponents and conquer the world, something relatively classic in this kind of games.

dogs of war

Dogs of War, by Libertalia’s designer Paolo Mori, is not as heavy a game as it seems. The box and the miniatures are as big as Blood Rage’s ones, but at its heart Dogs of War is a subtle card game in which players, as condottiere, both bid on the success of warring families and sell them armies. Somewhere between card game, war game and worker-placement game, Dogs of War is very fluid and is probably the lightest of the five games presented here – though it’s still two hours long.

age of discovery

Empires – Age of Discovery is not really new, since it was published about ten years ago as Age of Empire, but there’s a new edition with largely better components (and a much better box). Glenn Drover’s design is based on a very classical German style « worker placement » – or rather explorer placement – system, but with lots of thematic stuff added – development, exploration, discoveries, and even some border wars between colonial empires. Highly thematic, a bit baroque and cleverly balanced, Age of Discovery is my favorite worker placement game.

argent

Like Empires: Age of Discovery, Trey Chambers’ Argent – The Consortium is a worker placement – or rather this time mage placement – with different kinds of mages having different abilities depending on where one plays them. The deacon of the magical university has resigned after being involved in some sex scandal, and the players are trying to be elected as the new head of the school. The exact composition of the council which will elect the new deacon is secret, so one must at the same time find out who the voters are and manage to get their votes. Since we are in the magical university, this is dealt with spells, curses, magical artifacts and secret intrigues in enchanted rooms. I hesitated a bit over adding Argent – The Consortium too this list because I think the game could have been better if simplified a bit. As it is, it feels like there is enough stuff in it for three or four really strong games. On the other hand, I regularly think of it since my one and only game of Argent, so there is something there.

Argent

Now, let’s go back to lighter stuff.

Racisme et graphisme dans les jeux aux États-Unis et en Europe
Race and game imagery in Europe and in the USA

Bruno shaman

Une revue universitaire américaine (Analog Game Studies) m’a demandé de retravailler mon article sur “décoloniser Catan” pour en faire un essai plus long et un peu plus sérieusement argumenté. Ce post de blog reprend une annexe à cet essai, annexe consacrée aux problèmes rencontrés outre-Atlantique par les illustrations de deux de mes jeux, une sorte d’étude étude de cas sur la différence de perception, et donc de sens, de certaines représentations entre l’ancien et le nouveau monde. Il m’a semblé que la parution de Waka Tanka était une bonne occasion pour publier ce petit texte ici. Lorsque l’article complet sera publié en anglais, je posterai l’intégralité de sa traduction française.

À deux reprises, d’abord avec Isla Dorada, puis maintenant avec Waka Tanka, les illustrations réalisées en France pour mes jeux ont dû être modifiées par crainte qu’elles soient considérées comme racistes aux Etats-Unis. Mes amis de Days of Wonder ont aussi essuyé des critiques, assez puériles vues d’Europe, sur la présence d’esclaves dans Five Tribes, leur jeu sur les Mille et Une Nuits. Ce qui est intéressant ici, c’est de comprendre comment certaines images, ou certains thèmes, peuvent être perçus comme racistes aux Etats-Unis et pas en Europe, et parfois aussi l’inverse. Lorsqu’un tel problème se pose, et c’est fréquent dans de très nombreux domaines, les européens réagissent habituellement en se moquant de l’hypersensibilité et du politiquement-correct à l’américaine, tandis que les américains critiquent – à tort – l’insensibilité et l’aveuglement des européens et – parfois à raison – leur goût de la provocation. Un autre problème est que les américains sont habitués à voir les critiques du politiquement-correct venir d’une droite plus ou moins décomplexée, réclamant la liberté d’exprimer des idées socialement problématiques, et ne réalisent pas qu’en Europe les attaques viennent autant de la gauche, de tous ceux qui pensent comme moi que l’euphémisation du langage et des représentations est surtout une excuse pour ne pas s’occuper des vrais problèmes sociaux, voire un moyen de les cacher, et que la logique du politiquement correct finit par nuire aux bonnes causes qu’elle est censée défendre.

five tribesfive tribes
L’esclave et le fakir. Je reconnais que le dessin du fakir est meilleur.

Quoi qu’il en soit, et sans doute parce que je suis européen, je n’ai toujours pas vraiment compris quel problème posait la présence d’esclaves dans Five Tribes. Leur absence, voire leur occultation, dans Puerto Rico me met plus mal à l’aise. L’univers de Five Tribes relève de l’imaginaire orientaliste, celui de Puerto Rico est plus historique, mais les esclaves étaient présents dans ces deux mondes. Les remplacer par d’euphémistiques colons, ou par des fakirs quand il y a des centaines d’esclaves mais pas un seul fakir dans tout le texte des Mille-et-une-nuits, semble surtout un moyen d’ignorer, voire d’effacer, les passages les plus gênants de notre histoire. Cela ne contribue en rien à lutter contre l’orientalisme ou le racisme, cela n’aide pas non plus à les comprendre, cela les cache simplement d’une manière très superficielle et un peu hypocrite.

Ce qui m’est arrivé – ou, plus précisément, qui est arrivé à mes illustrateurs et mes éditeurs – est plus intéressant.

Isla Dorada est un compendium de clichés orientalistes sur diverses cultures, souvent allègrement mélangées. Tout dans son thème et ses illustrations relève de la caricature. Lorsque mes amis de Fantasy Flight Games prirent la décision de le publier en anglais, ils tiquèrent devant l’une des illustrations, le sauvage noir de la tribu des Ovetos, et demandèrent à l’éditeur français de la modifier car elle était, pour eux, à la limite du racisme. J’ai demandé le point de vue du seul auteur de jeu noir que je connaisse, Eric Lang, qui travaillait alors avec Fantasy Flight Games, et cette illustration ne lui posa aucun problème – mais il est aussi canadien, et donc à demi européen.

L’éditeur et l’illustrateur français réagirent de la manière habituelle « il n’y a rien de raciste, mais les américains sont un peu paranos sur ces questions, on va modifier le dessin ». Le problème de l’éditeur américain était que le cliché exploité par l’illustrateur n’était pas politiquement correct, le problème de l’illustrateur français était d’être fidèle à un cliché qui n’avait rien de politique, et qui était le véritable thème du jeu.

Là où les choses deviennent amusantes, c’est que nous nous sommes dans un premier temps trompés sur ce que les américains trouvaient raciste dans cette image. Nous avons pensé que c’était l’os qui traversait le nez du sauvage, alors que c’était ses lèvres proéminentes. Cela montre qu’une caricature n’est jamais raciste en elle-même. Nul ne fronça un sourcil lorsque le jeu fut publié outre-Atlantique avec un noir aux lèvres fines et au nez percé et décoré. Les codes définissant ce qui est raciste et ne l’est pas ne sont tout simplement pas les mêmes des deux côtés de l’océan. Pour nous, et pour moi, l’os, avec son côté “sauvage et barbare” était peut-être un peu limite, les lèvres, n’étant qu’un attribut physique, ne posaient pas plus de problème que des cheveux frisés – mais il est vrai que notre personnage est chauve.

Isla Dorada - Ovetos Isla Dorada - Ovetos Isla Dorada - Ovetos
Trois versions successives de la carte Ovetos :
L’original, une première version rapidement corrigée avec des grosses lèvres mais la peau claire, et la version publiée, à laquelle les lèvres fines donnent un aspect cruel.

C’est un peu la même histoire qui est arrivée à Waka Tanka. Comme je l’ai expliqué précédemment, nous n’avons pas en Europe les mêmes complexes que les américains pour parler des indiens d’Amérique, un peu parce que, nous, nous ne leur avons rien fait mais surtout parce que l’image exotique que nous en avons est construite autant sur la similitude que sur l’étrangeté. Quoi qu’il en soit, un éditeur brésilien a décidé d’éditer ce jeu pour le marché américain. Il fut aussi surpris que moi, et que l’illustrateur, en apprenant que l’image de couverture risquait de passer pour une caricature ouvertement raciste. Bien sûr, nous nous sommes d’abord moqués du fait qu’il était impossible de dessiner un indien qui ressemble à un indien, mais après quelques discussions sur les forums de joueurs, il est apparu que le problème était, là encore, très spécifique. Ce n’était pas tant l’univers exotique des indiens des plaines, présent dans bien des jeux européens déjà vendus en Amérique, que la figure du vieux chef au premier plan, qui rappelait à tous les américains les « Cigar Store Indians », une image dont je ne connaissais que vaguement l’existence, mais qui est un peu l’équivalent américain de notre “noir banania”.

Pour les deux jeux, les premières discussions entre européens (et brésiliens) d’un côté, et américains de l’autre, ont consisté à argumenter, à expliquer que l’image était, ou n’était pas, raciste. Bien sûr, cela était vain, car la même image peut être raciste en Amérique et pas en Europe, selon les éléments de représentation qui sont devenus les codes arbitraires du discours raciste, et accessoirement selon le fait qu’une caricature est en elle même tenue ou non comme quelque chose d’insultant.

C’est pour cette raison que, même si cela coûte un petit peu plus cher, l’éditeur français de Waka Tanka a décidé de conserver la couverture initialement prévue pour l’Europe, et a demandé à l’illustrateur, David Cochard, d’en réaliser une autre pour les Etats-Unis. David s’est même fendu sur Facebook d’un petit billet d’humeur fort bien vu dans lequel il expliquait ce qu’est une caricature. Pour lui, comme d’ailleurs pour moi si j’avais su dessiner, ne pas être raciste consiste à caricaturer tout le monde de la même manière, tandis que refuser de caricaturer certains groupes aurait été à la fois raciste et paternaliste.

Waka Tanka - CoverWaka Tanka US - Cover
Les couvertures françaises et américaines de Waka Tanka

Nous avons aussi envisagé de déplacer l’action dans les îles du Pacifique, en remplaçant le totem par un tiki. Cela nous aurait permis, une fois le jeu publié sans que nul n’y trouve à redire, de faire remarquer ironiquement qu’alors qu’il y a plus de polynésiens que d’indiens d’Amérique, seuls ces derniers posent problème. Cela aurait cependant obligé à refaire toutes les illustrations et aurait donc coûté plus cher, et l’histoire des esprits animaux aurait moins collé à l’univers polynésien. Et puis, j’ai un autre jeu avec des tikis qui arrive bientôt, on va bien voir comment il sera reçu…. Il reste que, dans un monde ou les produits et les images sont mondialisés plus rapidement que les idées, ce genre de problème risque de se poser de plus en plus fréquemment.


Bruno grand shaman 

A US academic review, Analog Game Studies, has asked me if I could expand on my post about “postocolonial Catan” to make a longer and more scholarly essay out of it. The new version of this articles, which develops some new themes, will be published in the second volume of the print edition of Analog Game Studies. The following post was originally intended as an annex about the problems we encountered in the US with the art for two of my games. It is a case study of the difference in the perception, and therefore in the meaning, of  representations between the European and the American culture. I think that the publication of Waka Tanka, first in a French and in a few months in English, is a good oportunity to post this short text here,

 Two times, with Isla Dorada and now with Waka Tanka, there has been problems with the graphics in my games, which had to be changed by fear that they would be considered racist in the US. My friends at Days of Wonder also experienced unexpected (and incomprehensible from Europe) attacks about the presence of slaves in their 1001 nights boardgame Five Tribes. I think there is something interesting in why some pictures or themes can be seen as racist in the US and not in Europe. When such an issue occurs, and it happens very often in various industries, the usual reaction on this side of the Atlantic is to mock American oversensibility and political-correctness, while the US point is to consider Europeans insensitive – which they are not – or provocative – which they might be. Another problem is that Americans are used to see attacks on political-correctness come mostly from the right, meaning from people who want the freedom to express problematic ideas, and don’t realize that many European attacks are coming from the left, from people who think, as I do, that euphemizing language or representation is mostly an excuse not to deal with “real world” social or racial issues, and even to hide them. As a result, undiscriminate political-correctness applied to language and representation ends up harming the very cause it was supposed to foster.

five tribesfive tribes
Slave and Fakir. At least, the art for the fakir is better.

Anyway, may be because I am a European, I still don’t really understand what exactly was the problem with the presence of slaves in Five Tribes and, as I wrote earlier, I find their absence in Puerto Rico much more unsettling. Five Tribes has a fantasy and extremely orientalist setting, Puerto Rico has a more historical one, but both settings include slaves, and replacing them with so-called “colonists” or with fakirs, when there are hundreds of slaves but not a single fakir in the whole text of the 10001 nights, looks like a way to simply ignore, to erase, the problematic parts of our history. It’s not getting rid of orientalism or racism, it’s not even helping to make sense of it, it’s just euphemizing them in a very superficial, and some would say hypocritical way.

What happened to me, or at least to my illustrators and publishers, with the graphics of two different games is more interesting.

Isla Dorada is a compendium of orientalist clichés from several different – and often lightly mixed – cultures. Everything in its theme and its graphics is caricature. When Fantasy Flight Games decided to publish it in the US, they frowned at one of the pictures, a black savage of the Ovetos tribe, and asked the French publisher to change it because it bordered on racism. Actually, the only black boardgame designer I know, Eric Lang, who was working with Fantasy Flight Games at that time, didn’t have any issue with picture, but he’s also a Canadian, which means half a European.

The French publisher, and the artist, reacted in the usual way “OK, it’s not racist, but Americans are a bit paranoid when it comes to these issues, let’s change it”. In fact, the problem for the US publisher was whether the cliché was politically acceptable, while the problem for the French artist was to be esthetically true to the cliché, which is the real theme of the game.

Where it becomes really fun, is that we first mistook what Americans thought racist in the picture – it was the fat lips of the character, when the artist first thought it was the bone through his nose. This shows that an exotic caricature is not racist per se – no one raised an eyelash when the game was published in the US with a thin lipped black tribesman sporting a bone through his nose – but that the codes defining what is racist and what isn’t are not the same in Europe and in the US. For us, and for me, the bone, which could suggest “cultural backwardness” was borderline, while the lips, being a physical feature, were no more problem than fuzzy hair – well, this Ovetos is actually bald, but you see what I mean.

Isla Dorada - Ovetos Isla Dorada - Ovetos Isla Dorada - Ovetos
Three versions of the Isla Dorada Ovetos card :
Naiiiade’s original, a first reworking with white skin, and the final version with black skin and thin lips. The thin lips make him look more cruel.

A very similar story happened with the cover art for Waka Tanka. As I said before, we don’t much care for stereotypes in the representations of American Indians in Europe. The main reason is not the obvious one, that we didn’t kill them – our cousins did – , it is that the exotic image we have of them is universally positive, and based as much on sameness than on otherness. Anyway, a Brazilian publisher decided to bring the game to the US, and was as surprised as me, the illustrator, and the French publisher when told the cover picture of the game was overtly racist. Of course, we first mocked the idea that it was impossible to draw an American Indian who looks like an American Indian, but after some discussions on game forums, it appeared that the issue was, once more, extremely specific. The problem was not the exotic and unrealistic setting, which is common in European games and didn’t create any problem so far, but the figure of the old chief in the foreground, which reminded every American of the “Cigar stores Indian” – an image I didn’t even know about.

For both games, the first steps in the discussion between European (and Brazilians) and Americans were trying to prove that the picture was, or wasn’t, racist. Of course, this was vain, since the answer is that the same picture can be racist in the US and not in Europe, or the reverse, depending on what part of the representation of the other has become the accepted sign of racism, and whether the very act of caricature is considered insulting or not.

It is to emphasize this that, even when it means some added costs, the French publisher of Waka-Tanka has decided to keep the original cover in Europe, while the artist, David Cochard, was commissioned a new one that will be used only in the US. David even wrote a fun and clever, but also a bit angry, reaction on Facebook in which he explained that he was a caricaturist, and that not being racist meant caricaturing everyone in the same way, while refusing to caricature some groups would have been both racist and patronizing.  

Waka Tanka - CoverWaka Tanka US - Cover
The French and US covers for Waka Tanka

We also considered relocating the action in Polynesia, and replacing the totem with a tiki. This could have been fun in order, after the game had been published and raised no eyelash anywhere, to point at the irony that while there are far more Polynesians than American Indians, the latter were an issue and not the former. But changing all the graphics would have been expensive, and the animal spirit storyline would not have fitted as well in the new setting. And anyway, I have another game with tikis in the pipe, we’ll see what happens….. But, indeed, such issues will cause more and more problems in a world where products and images are globalized much faster than ideas.

Dolorès

Philippe des Pallières et le nouveau Tom racontent sur Tric Trac la longue histoire de Dolorès, mon premier jeu conçu avec Eric M. Lang – il y en aura d’autres. Ça commence à la 18ème minute, mais vous pouvez tout écouter, le reste est tout aussi intéressant.

In this long video – in French – Philippe des Pallières and the new Tom tell about all their projects, and mostly Dolorès, the first game I designed together with Eric M. Lang. There will be more.

À quoi je joue
Games I’m playing

Malgré beaucoup de jeux dans les tuyaux, dont certains nécessitent encore quelques réglages, j’ai quand même réussi à jouer ces derniers temps à pas mal d’autres trucs, surtout des nouveautés ou des jeux assez récents. En voici quelques uns qui sortent vraiment du lot et méritent, je pense, que vous vous y intéressiez.

Les grosses boites

pic2439223_md

Commençons par le plat de résistance de mes dernières soirées jeux, Blood Rage, de mon ami Eric Lang. Blood Rage reprend les mécanismes fondamentaux de Midgard, qui fut peut-être le premier jeu de draft, mais y ajoute énormément de chrome, de figurines, de cartes spéciales. Le génie d’Eric est sans doute d’être parvenu à cela sans alourdir aucunement le jeu, et en lui donnant à l’inverse une variété rafraichissante. Ce gros jeu de baston, très dynamique, très original dans ses mécanismes, avec des règles moins complexes qu’on pourrait le craindre, va certainement ressortir régulièrement dans mes soirées, d’autant que je viens de recevoir une flopée de suppléments et d’extensions. Certains, comme les mystiques ou les pouvoirs des dieux, sont visiblement inutiles, mais quelques uns des nouveaux monstres, comme le loup Fenrir, sont bien marrants et j’ai hâte de les essayer.

pic2546156_md

Broom Service, d’Andreas pelikan et Alexander Pflister, est un gros jeu à l’allemande comme il ne s’en fait plus guère, sans tonne de pions et de cartes, sans placement d’ouvriers, sans arbre de technologie, sans dizaine de ressources à produire, vendre ou échanger, sans tout ce qui a rendu une grande partie de la production allemande récente un peu lourdingue. Dans ce délicieux jeu de parcours, qui reprend une partie des mécanismes et du thème de Malédiction, autre jeu d’Andreas Pelikan, on a l’impression de jouer à la fois à Citadelles et à Elfenland – et c’est plutôt agréable.

pic2515532_md

La boite de New York 1901, de Chénier la Salle, rappelle un peu les Aventuriers du Rail, et ce n’est certainement pas un hasard, car le jeu s’adresse au même public. Il y a déjà eu bien des jeux de construction de cité – et Days of Wonder nous en prépare un, Quadropolis, qu’il faudra comparer à New York 1901 – mais celui-ci sort du lot par des mécanismes simples, même s’ils demandent pas mal d’attention, et bien des possibilités tactiques. Un jeu fluide, malin, assez méchant, avec un seul défut – la règle française n’est pas toujours claire, mais heureusement la règle anglaise se trouve aussi dans la boite. Enfin, sauf dans la mienne que j’ai récupérée parmi les boites de démo pleines de sable après Paris est Ludique.

Les jeux inclassables

pic2617634_md

Tout le monde parle de Time Stories, de Manuel Rozoy, je ne vais pas vous embêter plus avec cet objet ludique non identifié, quelque part entre escape room, livre dont vous êtes le héros et jeu de société. J’ai joué deux scénarios, celui de la boite de base, que j’ai adoré, et un autre qui n’est pas encore sorti et qui m’a plutôt ennuyé parce qu’il cherchait trop à ressembler à un jeu de rôles classique. J’y rejouerai certainement, mais avec des scénarios littéraires, comme l’Asile, construits pour se laisser emporter et non pour que l’on puisse chercher à gagner.

pic2601683_md

J’ai déjà parlé je ne sais combien de fois sur ce site de l’excellent Mysterium d’Oleksandr Nevskiy et Oleg Sidorenko, improbable croisement de Dixit et de Cluedo dans lequel un fantôme doit faire retrouver les circonstances d’un meurtre aux autres joueurs en leur passant des cartes aux dessins oniriques et inquiétants. Là aussi, c’est autant une expérience littéraire et poétique qu’un jeu, mais il faut vraiment chercher à gagner ensemble pour que cela marche. La nouvelle édition est magnifique, mais le jeu gagne vraiment à être joué sans les règles de clairvoyance.

Les jeux d’ambiance

pic2582929_md

J’ai toujours été un fan de Taboo. Code Names, de Vlaada Chvatil, est une sorte de Taboo pour joueurs et par équipe. Ce jeu est aussi fascinant qu’exténuant, en particulier pour les deux maitres espions, qui ne peuvent se permettre la moindre erreur. J’ai hâte que sorte une version française pour pouvoir jouer avec tout mon entourage, et je pense que mes boites de Taboo – car j’en ai plusieurs versions – ne ressortiront pas avant un bon bout de temps.

pic1936447_md

Guess the Mess, de Jack Degnan, est un peu la version party game, loufoque, de Mysterium. Quelques centaines de cartes sont, en vrac, faces cachées, sur la table, et les joueurs ont trente secondes pour y trouver celles qui permettront de faire deviner le lieu où ils se trouvent. J’ai vu trainer un prototype en français sur les salons, et pense donc là aussi qu’une version francophone devrait bientôt arriver.

pic2590346

Dans Agent Trouble, d’Alexander Ushan, un joueur doit aussi découvrir le lieu où il se trouve, tandis que les autres joueurs, qui savent parfaitement où ils sont, doivent le démasquer. C’est donc un jeu de déduction hors norme, à la fois drôle et tendu, où les questions sont ambiguës et les réponses très vagues. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’y jouer, mais assister à une partie a suffi à me convaincre que ce jeu était absolument génial, et je vais y jouer très vite – sans doute samedi prochain.

pic2519675_md

Mafia de Cuba, de Loïc Lamy, est un jeu à identité secrètes de la famille des Loups Garous mais, croyez-moi, celui-ci est complètement différent. Différent parce que le parrain est à la fois meneur de jeu et enquêteur, et surtout parce que chacun peut, quand la boite à cigares et à diamant passe autour de la table en début de partie, chacun peut choisir son rôle et prendre plus ou moins de risques. Si vous voulez changer un peu des Loups Garous, essayez Mafia de Cuba.

pic2335221_md

Et puis, bien sûr, maintenant que le jeu existe en vraie boite avec de vraies cartes, on s’est remis à jouer à Two Rooms and a Boom, la murder party clefs en main et frénétique, une dizaine de minutes et une vingtaine de joueurs.

Les petites boites

pic2404085_md

Je ne suis pas un grand fan de Seven Wonders, que je trouve un peu trop technique – c’est un jeu auquel il faudrait toujours jouer pour la première fois avec des gens qui n’y ont jamais joué non plus. Nevermore, de Curt Covert, est sans doute le jeu de draft qu’il me fallait, simple, épuré, pas prise de tête mais quand même bien méchant. On ne drafte que cinq type de cartes dont il faut chercher à avoir le plus grand nombre, dont des cartes à double tranchant, les corbeaux. S’y ajoutent, hors draft, quelques sorts de magie noire – bien méchants – et de magie blanche – un peu moins méchants. C’est mon jeu de draft préféré – avec Blood Rage, qui n’est pas vraiment dans la même catégorie.

pic2618391_md

Pairs, de James Ernest, est un excellent jeu de cartes à base de prise de risque, drôle et tendu, léger et calculatoire, un jeu évident dont on se demande pourquoi il n’a pas été inventé plus tôt. Le paquet de cartes permettant d’y jouer se compose d’un 1, deux 2, trois 3, etc…, selon le modèle du Grand Dalmuti. Malin, James a publié une douzaine de decks illustrés par divers artistes avec à chaque fois la règle de son jeu, et une ou deux règles d’autres jeux proposées par plusieurs auteurs. Je ne serais qu’à demi étonné si ce format évident, et permettant mille variations, devenait, dans quelques décennies, aussi répandu que les jeux de 52 cartes.

pic2292312_md

Stones of Fate, de Luke Laurie, est un étonnant mélange de jeu de mémoire et de stratégie. Des cartes sont faces cachées sur la table, et à son tour on peut regarder une carte, placer ou déplacer une de ses pierres entre les cartes, ou révéler une carte – ce qui déclenche des effets dépendant des pierres qui se trouvent des quatre côtés de la carte. Il faut donc un certain sens tactique pour préparer et enchaîner les effets des cartes, mais aussi une bonne mémoire pour placer ses pierres au bon endroit et retourner la bonne carte au bon moment, d’autant que vos adversaires manipulent aussi un peu tout ça. J’ai toujours aimé les jeux de mémoire, et celui-ci est étonnant.

Je parle généralement peu des jeux pour deux joueurs, auxquels j’ai rarement l’occasion de jouer. Il se trouve que, récemment, je me suis remis à bosser avec Gwenaël Bouquin sur un jeu à deux (d’ailleurs, je devrais être en train de revoir les cartes mission, là, maintenant). Du coup, nous avons passé quelques soirées, après avoir bossé sur notre projet, à essayer des jeux pour deux joueurs qui trainaient dans ma ludothèque. Les trois qui sont sortis du lot sont Stones of Fate, qui se joue jusqu’à quatre mais tourne remarquablement à deux, Tides of Time et Akrotiri.

pic2486726_md

Tides of Time, de Kristian Curla, est – encore – un jeu de draft épuré, mais du draft à deux joueurs, donc dans lequel on connaît bien les cartes que notre adversaire a en main – et cela donne un mélange assez amusant de tactique et de double guessing. Les règles sont simples, et les cartes – il n’y en a que dix-huit – magnifiques.

pic1917399_md

Akrotiri, de Jay Cormier et Sen-Foong Lim, est un un gros jeu pour deux dans une petite boite bien pleine. Pose de tuiles, objectifs secrets, pick-up and deliver, et j’en oublie sûrement. Pour un petit jeu à deux, dans une petite boite, joué en une demi-heure, c’est particulièrement touffu et ça fait chauffer les neurones. J’ai peut-être aimé parce que je n’avais plus l’habitude de jouer à ce genre de choses, mais j’ai vraiment aimé.


I have several games in the pipe, some of which still need some tuning, but I nevertheless found some opportunities these last weeks to play a few other games, mostly new or at least recent stuff. Here are some which really stand out.

Heavier stuff

pic2439223_md

Let’s start with the main course of my last gaming nights, Blood Rage, by my friend Eric Lang. Blood Rage takes the basics from Midgard, which might have been the very first card drafting game, and adds tons of chrome, miniatures, special units and special cards. The fantastic thing is that Eric managed to add all this without making the game feel heavier – on the opposite, it makes it feel varied and refreshing. This is a big battle game, with very dynamic and original systems, and rules far simpler than I was afraid of. I’m sure it will be played again regularly in the coming months, especially since I’ve just received lots of extra-stuff. Some of it looks superfluous, like the gods or the mystics, but the new monsters look great – especially the wolf Fenrir, and I’m eager to hire or fight them.

pic2546156_md

Andreas Pelikan & Alexander Pflister’s Broom Service is a big German-style game, but in the style of ten years ago, without tons of cards and tokens, worker placement, dozens of resource cubes to produce, nuy sell or trade, without all that has made most recent German big box games predictable and a bit boring. It’s a nice game of moving one’s pawns on the board, directly inspired by Andreas’ earlier card game Witch’s Brew. It feels a bit like playing both Citadels and Elfenland at the same time.

pic2515532_md

The box of Chénier La Salle’s New York 1901 obviously reminds one of Ticket to Ride. It’s deliberate, and to the point, since the games has a similar weight and targets the same audience. There are dozens of city building games, and Days of Wonder is going to publish one soon, Quadropolis, which will obviously be compared with New-York 1901. New York 1901 has relative simple rules, but requires lots of attention. It’s fluid, deep, mean and fast paced – a bit like Ticket to Ride.

Strange games

pic2617634_md

Manuel Rozoy’s Time Stories is the talk of the day, so if you’re reading my blog, you’ve already heard about it. This unidentified gaming object stands somewhere between board game, escape room and choose your own adventure book. I’ve played two scenarios, the one in the basic box, which I enjoyed a lot, and another one, not yet published, which was rather boring because always hopelessly trying to feel like good old RPG. I’ll certainly play it again, but I’ll look for literary adventure scenarios, like the Asylum, made to be lived rather than to be won.

pic2601683_md

I’ve already written several times here about Mysterium, by Oleksandr Nevskiy and Oleg Sidorenko. In this unlikely mix between Dixit and Clue, a ghost sends dreams to the other players in order to help them solve an old crime mystery. This dreams are figured by cards with oneiric, fantasy and often unsettling pictures. Like Time Stories, it’s not only a game but also an experience. The new edition has gorgeous components, but the game is much better when played without the Clairvoyance rules.

Party games

pic2582929_md

Taboo is one of my old favorites, and I still occasionally play it. Vlaada Chvatil’s Code Names is the gamers’ Taboo. This fascinating and exhausting team game needs strong concentration, especially for the two spy masters who cannot commit a single error. I’m eagerly waiting for a French version, so that I can play with all my Parisian friends, and I think my Taboo copies – since I own several versions – will then stay on my shelves for a long while.

pic1936447_md

Jack Degnan’s Guess the Mess! is the zany party game version of Mysterium. A few hundred picture cards are placed face down on the table, and players have thirty seconds to find the right hints to make their fellow players guess where they are. A great way to start or end a gaming night.

pic2453926_md

In Alexandre Ushan’s Spyfall, one player must find where the action takes place, while the other players, who know perfectly well where they are, must find him out. It’s a strange deduction game, with vague questions and ambiguous answers. I’ve not played Spyfall yet, but watching it being played was enough to convince me that this is a really great party game. I will play it very soon, probably next week.

pic2519675_md

Loïc Lamy’s Mafia de Cuba is one more hidden identity game, but it feels really different from all other variations on Werewolves. It’s different because the gamemaster, the godfather, is also the investigator, and because, when the cigar box, which also contains the boss’s diamonds, goes around the table, players can chose their role and how much risk they are willing to take. If you want a nice change from werewolves, try Mafia de Cuba.

pic2335221_md

Now that there’s a professional edition of Two Rooms and a Boom, with nice and solid plastica cards, we’ve started again to play this hectic ten minutes murder party for twenty players. And it’s still as fun as it was.

Small boxes

pic2404085_md

I’ve never been a fan of Seven Wonders. The game is fun when played a few times between novice players, and then it becomes extremely technical. Curt Covert’s Nevermore is a drafting game designed just for me – it’s light, simple, straightforward, but nevertheless extremely nasty. There are only five different types of cards in the draft, including the double edged raven cards. There are some nasty black magic cards, and slightly less nasty white magic cards, but these are not included in the draft. Nevermore is probably now my favorite drafting game – along with Blood Rage, but they are not the same style and weight.

pic2618391_md

James Ernest’s Pairs is a light, tense and fun risk mangament card game played with a special deck made of one 1, two 2s, three 3s, and so on up to 10. This distribution is so obvious, so simple, that one wonders why it had not been invented before – well, it has been at leats once, by Richard Garfield for the Great Dalmuti. James Ernest is clever, and published a dozen different decks, with graphics by different illustrators, all with his basic game rule and one or two suggested by other game designers. I’ll be only half surprised if, in a few decades, this becomes a standard deck like the 52 cards, four suits one – there are thousands of games to design here – but first play Pairs, it’s great.

pic2292312_md

Luke Laurie’s Stones of Fate is a strange mix of memory and strategy. Cards are placed face down on the table, and each player on turn can either look at card, place or move a stone of his color, or flip a card. Flipping a card triggers various effects depending on the numbers and colors of stones on its four sided. The tactics of preparing and chaining the cards effects can be tricky, but a good memory is required to know where to play one’s stones and when to flip a card, especially when opponents are also manipulating everything. I’ve always liked memory game, and this one is really different.

I usually don’t write about two player games, because I have very few opportunities to play them. Recently, with Gwenaël Bouquin, we’ve started to work on a two player game and as a result we’ve spent some time, after working on our prototype, playing some recent two player games in my collection. The three ones which really stood out were Stones of Fate, which can accommodate four players but works great with only two, Tides of Time and Akrotiri.

pic2486726_md

Kristian Curla’s Tides of Time is one more drafting game. A light, simple two player drafting game with only eighteen large and nbicely illustrated cards. Since each player knows quite well what his opponent has in hand, it becomes a fun mix of tactics and double guessing.

pic1917399_md

Jay Cormier & Sen-Foong Lim’s Akrotiri is a heavy two players game in a small but well-filled box. It has tile laying, secret goals, pick-up and deliver and some other stuff. For a two player game played in little more than half an hour, it’s intricate and brain burning. I might have liked it in part because I had not played that kind of game for quite long, but I really enjoyed my few games.