Argo

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L’un des cinq croquis proposés par Miguel Coimbra pour la couverture

Lorsque j’explore mon disque dur, je constate que le dossier « Argo » a été créé le 8 février 2002, mais on peut remonter plus loin encore. Dès les années 90, Serge et moi avions en effet pensé à un jeu de tuiles sur un thème de science-fiction. J’ai le très vague souvenir de discussions sur le thème du « point central » qui apparaît dans quelques aventures de Valerian et Laureline – une vaste station spatiale constituée de modules très variés accrochés là par des espèces extra-terrestres toutes plus exotiques les unes que les autres. Je ne sais plus si cette idée nous est venue avant ou après Castel, mais il y avait de toute évidence un lien. Il y en a un aussi avec Kheops, notre jeu de tuiles triangulaire et labyrinthique, conçu plus tard, et qui lui aussi ressort bientôt.

Un jour, je ne sais plus quand, je ne sais plus pourquoi, plusieurs années après que le très vague projet de Point Central avait été abandonné, nous avons recommencé à parler d’une station spatiale. Les modules ayant chacun un pouvoir différent étaient toujours là, mais les occupants de la station en construction étaient désormais tous des humains, équipes rivales devant tout à la fois construire la station spatiale en accrochant les modules l’un à l’autre et lutter contre les aliens désireux de s’y installer. Je me souviens d’un premier prototype dans lequel les modules avaient plusieurs types de connecteurs – USB, VGA, parallèle, SCSI (c’était il y a longtemps) – ce qui rendait les assemblages problématiques….. Dès l’origine, il y avait donc des aliens, et l’objectif était que les équipes rivales se fassent bouffer pendant que nos gars s’échappaient à bord des navettes. Les salles n’étaient peut-être pas exactement les mêmes qu’aujourd’hui, mais l’idée des effets différents obtenus en activant les différents modules était déjà là. Les astronautes, en revanche, étaient tous identiques, et le sont longtemps resté. Pour le nom, nous avons pas mal hésité – je me suis fixé sur Argo, qui me semblait un nom assez indiqué pour un vaisseau spatial, tandis que Serge préférait le moins original Space Station, arguant avec raison que ce que l’on construisait était plus une station immobile qu’un vaisseau en voyage.

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Prototype, phase 1

Pendant un ou deux ans, les versions du jeu se succédèrent, avec une tendance très nette de Serge à en rajouter, dans les mécanismes comme dans le matériel. Je présentai le jeu à quelques éditeurs et, très rapidement, Fantasy Flight Games décida de le publier. Je viens de fouiller dans mes dossiers et ai même retrouvé le contrat, daté de mai 2005. Nous commencions déjà à imaginer une grosse boite, avec des modules en cartons épais et de jolies figurines d’astronautes et d’aliens. Il était évident que, si nous voulions coller au style baroque et violent des jeux de Fantasy Flight, et justifier l’utilisation de figurines différentes, il fallait imaginer, pour les différents astronautes, pilote, space marine ou scientifique, des pouvoirs spécifiques. Un an plus tard, lorsque FFG, qui s’était lancé dans trop de projets simultanément – une de leurs habitudes – renonçait au projet, Serge et moi nous retrouvâmes donc avec un jeu qui avait pris du poids, mais auquel cela réussissait assez bien.

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Prototype, phase 2

C’est donc cette nouvelle version que nous avons commencé, en 2007, à montrer à d’autres éditeurs, dont plusieurs se montrèrent intéressés, mais dont aucun ne donna finalement suite. Il était alors assez difficile de vendre des jeux de science-fiction, et j’ai d’ailleurs toujours dans mes cartons un bon petit jeu de bluff, les Pirates de l’Espace, conçu à la même époque. J’ai du imprimer une dizaine de stations spatiales envoyés à Edge, Matagot, Asmodée et quelques autres, en vain.

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Prototype, phase 3 – avec des astronautes aux capacités différentes.

De temps à autre lors des week-ends de jeu, je ressortais ce prototype que j’aimais bien et, en 2012 (je crois), aux rencontres ludopathiques (je crois) Flatlined Games, c’est à dire Eric Hanuise, petit éditeur Belge, nous annonça qu’il était prêt à publier notre jeu – mais ce n’était que le début d’une autre histoire. Flatlined n’est pas Fantasy Flight, et notre concept avait peut-être un peu vieilli. Bref, l’éditeur souhaitait un jeu plus accessible, plus rapide, moins touffu et, en un sens, plus moderne. Argo entama alors sous la ferme direction d’Eric une cure d’amaigrissement. La plupart des éléments sont toujours là – les aliens, les navettes, les salles et les astronautes aux capacités variées – mais tout a été allégé. Plus de cases sur les tuiles, plus de règles de déplacement compliquées, on va d’un module à un module voisin. Eric, auquel le jeu final doit sans doute autant qu’à Serge et à moi, imagina en outre de donner aux aliens la possibilité de l’emporter s’ils éliminent suffisamment d’astronautes, mais on reste très loin d’un jeu coopératif.

Un des derniers prototypes, avec Serge, au salon de Cannes 2015

Un des derniers prototypes, avec Serge, au salon de Cannes 2015

On continue à pousser ses copains dans les bras des aliens ou à les téléporter dans l’espace pour faire de la place, à faire lâchement décoller des navettes avant qu’elles ne soient pleines, et les robots, que les aliens ignorent, rigolent bêtement en voyant leurs courageux maîtres humains se faire dévorer. Il n’y a pas de place pour tous dans les navettes de sauvetage, mais nous sommes dans un futur où il n’y a plus d’enfants et où l’égalité entre les sexes s’est définitivement imposée – c’est chacun pour soi, les plus forts et les plus malins d’abord.

Argo
Un jeu de Bruno Faidutti et Serge Laget
Illustré par Miguel Coïmbra et Alexandre de la Serna
2 à 4  joueurs  –
40 minutes
Publié par Flatlined Games (2015)
Tric Trac      Ludovox      Boardgamegeek


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One of the five sketches submitted by Michael Coimbra for the box cover

Browsing through my hard disk, I’ve just noticed that the Argo folder was created on February 8th, 2002 – thirteen years ago. I can go even farther back, in the nineties, when Serge and I first considered designing a tile laying science-fiction game. I have vague memories of discussions of “Central Point”, a gigantic baroque space station made of modules haphazardly attached by exotic alien species which appears in many of the issues of Valerian and Laureline, a French sci-fi comics from the seventies. I don’t remember if we had this idea before or after designing Castle, but there’s obviously a link with this game, as well as with Kheops, our triangular and labyrinthine tile game which will soon get a new edition.

Some day, I don’t remember when or why, years after the Central Point project had been abandoned, we came back to the space station idea. There were still modules with various effects and powers, but the builders of the station were now all humans, rival teams vying both in building and taking control of the station…. while fighting the aliens who were also trying to settle in. I remember a first prototype in which modules had different kinds of connectors – USB, VGA, parallel, even SCSI (this was years ago…) – which made the assembly a bit tricky.

Aliens were there from the beginning, and the goal was to escape them and flee the station in emergency shuttles while other team were devoured. The rooms were not exactly the same as in the final versions, but they already had each a different effect which had to be triggered after taking control of them. Astronauts, on the other hand, were all the same, without any specific abilities, and it stayed so for quite long. I named my prototype Argo, a name that sounded fit for a spaceship, while Serge remarked that what we were building was more a motionless station than a travelling ship, and called his simply Space Station.

Prototype, phase 1

Prototype, phase 1

Two years long, we worked on this game. Serge had a natural tendency to add rules and stuff, and I let him go with it. I showed the game to a few publishers, and Fantasy Flight Games almost at once decided to do it. I just looked in my contract folders and even found our contract, signed in May 2005. Serge and I were already imagining a big box full of heavy cardboard modules and large alien and astronaut miniatures. Obviously, if we wanted to fit in FFG’s baroque game design style, and give some rationale to the different astronauts miniatures, the game needed different abilities for the different astronauts – pilot, space marine, scientist… One year later, when Fantasy Flight, who had started working on too many games at once, abandoned the project, our game had took some weight, but was carrying it easily.

Prototype, phase 2

Prototype, phase 2

So, in 2007, we started showing the new version of our space station building and escaping game to other publishers. Several showed some interest, but no one decided to make the game. Science Fiction games had a reputation of being bad sellers, and I still have on my shelves a nice science-fiction bluffing game designed at the same time, Space Pirates. I have printed about ten space stations, and sent them to Edge, Matagot, Asmodée and some other, all in vain. We gave up, but these became one of the old prototype that I still play from time to time.

Prototype, phase 3, with differentiated astronauts.

Prototype, phase 3, with differentiated astronauts.

In 2012 (if I remember well) at the ludopathic gathering (if I remember well) I played a game of Argo with Eric Hanuise, of Flatlined Games, a small Belgian publisher – and he decided to publish it. This was not the end of the story. Flatlined is not Fantasy Flight, and our game had aged a bit. Eric wanted something slightly faster, lighter, not just old style FFG stuff. Under his firm direction, Argo entered a slimming program. Most elements are still there – aliens, shuttles, astronauts and modules with different effects and abilities – but everything feels lighter. No more spaces on the module tiles, no more complex movement rules, movement is just from one room to an adjacent one. Eric, who has probably spent more time than Serge and me in developing this last version, added a possibility for the aliens to win the game if they devour enough astronauts, but it’s still very far from being a cooperative game.

Near final prototype, with Serge, at the 2015 Cannes game fair

Near final prototype, with Serge, at the 2015 Cannes game fair

We still push fellow astronauts into the aliens’ arms, or into sketchy teleporters that can send them directly into deep space, in order to make more room in the shuttles. Shuttles still often leave the station before being really full. Robots are completely ignored by aliens, and giggle when they see their masters devoured. Well, there’s no room from every astronaut in the emergency life shuttles, and since we’re in a bright future with no more kids and achieved sex equality, it’s every man for himself, the strongest and shrewdest ones first.

Argo
A game by Bruno Faidutti & Serge Laget
Art by Miguel Coïmbra & Alexandre de la Serna
2 to 4 players  –
60 minutes

Published by Flatlined Games (2015)
Boardgamegeek

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Les Bruno sont de retour (II) – Mission Planète Rouge
The Brunos are back (II) Mission Red Planet

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Mission : Planète Rouge, conçu en collaboration avec Bruno Cathala, a été publié en 2005 par Asmodée – vous pouvez lire ici une histoire de la conception de ce jeu et de sa première édition. Pour des raisons que l’on peu plus ou moins comprendre après coup, il n’a pas alors rencontré un grand succès. La synthèse entre jeu de majorité à l’allemande, aux règles assez simples, et jeu de cartes très thématique et très interactif à l’américaine, n’était pas encore à la mode. Le thème steampunk, choisi par l’éditeur, n’était pas aussi populaire qu’il l’est devenu depuis. Bref, ce jeu était en avance sur son temps. Il est vrai aussi que l’édition, avec son papier trop brillant, ses pions ridiculement petits, ses cartes qui collent et ses cartons qui se décollent, n’était pas à la hauteur des belles illustrations de Christophe Madura. Malgré un très bon accueil critique, l’édition française ne s’est pas vendue du tout, et l’édition américaine ne s’est pas vendue beaucoup. Pourtant, deux ans plus tard, les boites de Mission Planète Rouge, et plus encore celles de Mission: Red Planet, se revendaient à pris d’or, et sur les forums un peu ésotériques du boardgamegeek il était désormais présenté comme un classique, souvent comparé à Citadelles. Tout comme il y a huit personnages dans Citadelles, il y en a effet neuf dans Mission: Planète Rouge, Recruteur, Explorateur, Scientifique, Agent Secret, Saboteur, Femme Fatale (en français dans le texte), Agent de Voyage, Militaire et Pilote. Mais ce jeu est aussi un jeu de majorité, les personnages envoyant et manipulant des astronautes pour tenter de s’emparer des précieuses ressources de la planète nouvellement ouverte à l’exploitation minière.

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Version Asmodée, 2005

C’est au salon d’Essen, en 2013, que, au détour d’une conversation, John Grams, de Fantasy Flight Games me demanda si Bruno et moi avions récupéré nos droits sur Mission: Planète Rouge et serions intéressés pas une nouvelle édition. Il ne connaissait pas personnellement le jeu, mais plusieurs de ses revendeurs aux États-Unis lui avaient suggéré de s’y intéresser. Nous ne pouvions laisser passer cette chance, qui était aussi pour l’autre Bruno l’occasion de glisser un pied chez FFG, éditeur avec lequel il n’avait encore jamais travaillé.

Tout est ensuite allé très vite.
À Minneapolis, chez Fantasy Flight, où je passai quelques jours à l’été 2014, ce fut Steven Kimball qui prit en charge le développement de Mission : Red Planet – et je voudrais avoir toujours des chefs de projet aussi efficaces. Rien n’a changé dans les grandes structures du jeu, si ce n’est peut-être l’ajout de Phobos, lune de Mars qui joue le rôle d’une sorte de base de commandos parachutistes. Mais dans les détails, tout a été soigneusement reconsidéré, testé, réévalué, mission après mission, personnage après personnage, pour enrichir le jeu tout en préservant sa légèreté. En quelques mois, après de nombreuses et fructueuses discussion à trois, nous avions une nouvelle version du jeu, sur une carte de Mars largement repensée, et dans laquelle près de la moitié des cartes découverte et mission avaient été remplacées ou modifiées.

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Un des premiers prototypes de la nouvelle version du jeu

On peut désormais jouer à six joueurs, et même à deux grâce à une variante de Bruno Cathala, sa spécialité – je ne l’ai même pas essayée, je lui fait confiance. C’est à la dernière minute, alors que les fichiers allaient bientôt être envoyés chez l’imprimeur, qu’un joueur me suggéra ce qui fut le tout dernier changement, qui ne modifie en rien les règles mais rend le jeu bien plus amusant, numéroter les personnages non pas de 1 à 9, mais de 9 à 1, créant une sorte de compte à rebours avant le décollage – et je n’en reviens pas qu’aucun d’entre nous n’y ait pensé plus tôt !

Si l’on reste dans l’univers Steampunk, le style graphique d’Andrew Bosley pour l’édition Fantasy Flight Games est bien éloigné des illustrations que Christophe Madura avait réalisées pour Asmodée – plus léger, plus BD, tout en nuances de beiges et de roux. J’aime beaucoup, et j’ai hâte de recevoir mes boites.

Je n’ai qu’un seul petit regret, j’ai toujours trouvé le titre Mission: Planète Rouge un peu ridicule. S’il ne tenait qu’à moi ce jeu s’appellerait Planète Rouge, ou tout simplement Mars. Comme il avait déjà acquis une certaine notoriété, il n’était pas possible d’en changer le titre pour cette seconde édition. Mission: Red Planet est donc de retour. Au dos de la boite, l’éditeur assure qu’il s’agit là de l’  « édition définitive d’un classique », et je pense qu’ils ne sont pas loin d’avoir raison.

Nous avons commencé le travail de développement de la nouvelle version de Mission Planète Rouge alors que je venais d’écrire mon analyse postcolonialiste des jeux de société, dont il aurait aussi pu être une bonne illustration – l’exploitation minière d’une lointaine colonie aussi vide que Catan. Je me suis donc amusé à rebaptiser « résistance indigène » l’une des cartes découvertes faisant perdre quelques astronautes aux joueurs. En écrivant « décoloniser Catan », je ne pensais pas que cet article, qui reçoit aujourd’hui à lui seul plus de visites que tout le reste de mon site, serait aussi discuté et qu’il me faudrait désormais justifier les thèmes de tous mes jeux. Je m’en sors assez facilement sur Mission : Planète Rouge, mais ça va être nettement plus dur pour ma prochaine annonce, dans quelques semaines ;-).

Mission : Red Planet (Mission: Planète Rouge)
Un jeu de Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Illustré par Andrew Bosley
2 à 6 joueurs –
60 minutes
Publié par Fantasy Flight Games (2015)
Tric Trac         Ludovox          Boardgamegeek


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Mission : Red Planet, codesigned with Bruno Cathala, was first published in 2005 by Asmodée – you can read an older blogpost here that tells the story of the original design and its first edition. For various reasons, which are always easy to figure out after the fact, it was a near flop. The mix between a German-style majority game and an American- style interactive card game, something that is now commonplace, was then still a bit disturbing. The steampunk setting, chosen by the publisher, was still a bit too geeky. I must also admit that, despite great graphics by Christophe Madura, the edition was mediocre, with excessively glossy paper, sticky cardstock, and badly glued cardboard. Despite some rave reviews, the French edition of Mission : Planète Rouge didn’t sell, and the US Mission: Red Planet didn’t do much better. But two years later used copies of the game were selling at top dollar. Though few people had actually played the game, it was being called a classic on gamers’ websites such as BoardGameGeek, and it was often compared with my older Citadels. As there are eight characters in Citadels, there are nine in Mission: Red Planet: Recruiter, Explorer, Scientist, Secret Agent, Saboteur, Femme Fatale, Travel Agent, Soldier and Pilot. But it’s not a city-building game, it’s a majority game, in which players send astronauts to Mars in order to seize the valuable natural resources of a planet that has just opened up for mining and colonization.

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A nearly final prototype

At the 2013 Essen fair, I was having a casual talk with John Grams of Fantasy Flight Games. He asked me if Bruno and I had got our rights on Mission: Red Planet back, and if we would be interested in a new edition. He hadn’t actually played the game, in fact didn’t really know the game, but some of his US resellers had inquired about it and suggested it would be a great idea to republish it. Of course, neither of us could miss the opportunity -,especially not Bruno Cathala, who had not yet worked with Fantasy Flight.

Then everything happened very fast.
In summer 2014, I spent a few days at FFG headquarters in Minnesota, where Steve Kimball took charge of the development of Mission: Red Planet. I wish I could always work with such an efficient developer. The basic system of the game stayed unchanged, the only important new feature being the addition of the moon Phobos, from which paratroopers can be airdropped anywhere on Mars. But every detail of the game, every mission, character or discovery card was reconsidered, retested and fine tuned to make the game richer and better balanced while keeping its rhythm smooth and light. After a few months and long e-mail discussions between Bruno, Steven and I, we had a new version of the game with a brand new map of Mars and half of the mission and discovery cards had been replaced or redesigned.
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The game now supports up to six players. There’s even a two players variant, but since it’s Bruno Cathala’s specialty, I trust him on it and didn’t even playtest it. The very last change, a few days before the files went to the printer, was suggested by a playtester – invert the numerical order of the characters, so that they can be counted down from 9 to 1 instead of 1 to 9. I’m still amazed none of us had this idea earlier.

The setting is still steampunk, but Andrew Bosley’s art for Fantasy Flight Games is very different from Christophe Madura’s for Asmodée. It’s much lighter, more like European comics, all in beige and red shades. I love it, and I’m eager to get the final product.

I’ve only one minor regret: the game’s name. I’ve always found Mission : Red Planet a bit ridiculous, and would have liked the game to be called simply Red Planet or even Mars. Anyway, the game was already well known with its old name and it wasn’t possible to change it now. So Mission : Red Planet is back. At the back of the box, the publisher’s blurb says that this is the definitive version of a classic, and it might very well be true.

We started working on this new version of Mission: Red Planet when I had just written my article about postcolonialism and boardgames. This game about rivalries in the exploitation of the natural resources of a far away and supposedly empty recently colonized planet could also have been a good illustration for it, and I just renamed Native Resistance, one of the discovery cards that eliminates a few astronauts from the planet. When I wrote about postcolonial Catan I didn’t think this blogpost would set off such a strong debate. It gets now more hits every day than the whole rest of my website, and it looks like I’ll have to find a politically correct justification for the theme of all my future new games. That’s relatively easy with Mission: Red Planet, but it will be much harder for the game that will probably be my next announcement.

Mission : Red Planet
A game by Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Graphics by Andrew Bosley
2 to 6 players –
60 minutes

Published by Fantasy Flight Games (2015)
Boardgamegeek
The announcement at FFG

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A four players game in progress

Space Station Argo

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Vous vous réveillez dans les pods d’une salle d’hibernation qui ne semble pas tout à fait celle dans laquelle, quelques semaines ou quelques années plus tôt, vous avez été endormis. Vos camarades des autres équipes devant participer à la construction de la nouvelle station spatiale internationale se réveillent à vos côtés. Vous ouvrez paresseusement vos yeux quand soudain des lumières rouges se mettent à clignoter et une voix métallique annonce «présence extra-terrestre détectée, préparez-vous à évacuer la station, autodestruction dans GRRRZZZZRRR minutes».

Space Station Argo – il s’appellera sans doute autrement – est un projet déjà ancien, dont Serge et moi avons réalisé la première version en…. je ne sais plus bien quand, vers 2003 ou 2004. Peu après, nous avions signé un contrat d’édition chez Fantasy Flight Games, qui nous avait demandé d’apporter au jeu quelques modifications, qui l’avaient un peu complexifié. Et puis, après deux ans d’attente, Fantasy Flight a finalement renoncé à publier le jeu, nous avons conservé notre modeste avance et repris nos droits. Depuis, nous l’avions un peu retravaillé, et finalement en 2013, ce jeu a suscité l’intérêt d’un autre éditeur, Flatlined Games, qui devrait le publier en 2014. Flatlined Games est un petit éditeur belge, une entreprise individuelle menée par Éric Hanuise, qui a publié l’excellent Rumble in the House, de Ken Rush, et, plus récemment, Twin Tin Bots, jeu de programmation de Philippe Keyaerts.

Cette fois, il nous a fallu simplifier le jeu, mais ce ne fut en rien un simple retour en arrière. La plupart des ajouts demandés par Fantasy Flight, et notamment l’individualisation des personnages, ont en effet été conservés, mais Eric Hanuise a souhaité accélérer le déroulement des parties et alléger les règles. Ce sont donc la structure des modules de la station spatiale, qui ne sont plus divisés en cases, et les règles de déplacement, qui ont été modifiées. Les modules sont aussi moins nombreux et leurs effets ont un peu changé. Les aliens, qui ne pouvaient apparaître que dans l’un de leurs quatre nids, sont désormais susceptibles de se matérialiser un peu n’importe ou dans la station. Ils peuvent même remporter la partie si les joueurs les y aident un peu en poussant les astronautes adverses dans leurs bras, ou dans un téléporteur en dérangement. Et nous continuons à bricoler un peu le prototype pour rendre les choses plus simples, plus méchantes et plus drôles encore.

Flatlined est un petit éditeur, aux moyens limités, et la publication d’Argo aura vraisemblablement recours, selon la mode actuelle, au «financement participatif» sur Kickstarter ou Ulule. Après l’expérience un peu désagréable de Formula E, je m’étais promis de ne plus avoir de jeu publié selon ce système, mais il semble trop se répandre pour qu’il soit possible d’y échapper. D’ailleurs, je continue moi-même à l’encourager en «pledgeant» régulièrement des jeux qui m’attirent (le dernier, il y a quelques jours, était l’excellent Two Rooms and a Boom), et je continue à penser que le principe est excellent. Il est juste psychologiquement beaucoup plus confortable pour le souscripteur que pour l’auteur, et sans doute que pour l’éditeur.


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You’re waking up from the hibernation pods. The hibernation room doesn’t look like the one in which you were being sent to sleep. In the nearby pods, your comrades from the other national teams that are to help you build build the new international space station are also slowly emerging from their pods. You’re eyes are not yet completely open when alarms start flashing red and a metallic voice shouts from the loudspeakers « alien presence detected, evacuation in progress, self destruction in GRRRRZZZRRRRR minutes».

Space Station Argo – it will probably have some other name – is an old game design by Serge Laget and I. We made the first version of it in 2003 or 2004. Soon after this, we signed a publishing contract with Fantasy Flight Games, which asked us to make some change to the game rules, mostly adding more variety and making it a bit more complex. Then, after two years, Fantasy Flight finally resigned, we got our rights back and kept our modest advance. Since then, we had regularly worked on it, trying to find a new publisher. It will finally be Flatlined games. Flatlined Games is a small Belgian publisher, the one person company of Eric Hanuise, who has published Ken Rush’s outstanding Rumble in the House, and more recently Philippe Keyaert’s programming board game Twin Tin Bots.

This time, we had to make the game simpler, but it wasn’t just moving back to our original version. Most of the changes initiated by Fantasy Flight, and first of all the different abilities of characters, are still there, but Philippe wanted to make the game faster and the rules simpler and more consistent. This was achieved through lots of changes, some minor, some more important. The station’s modules are no more divided in spaces, and the movement rules have been completely revamped. There are fewer modules, and their effects have sometimes changed. Aliens, which could appear only in one of their four nests, can now materialize almost anywhere in the station. They can even win the game if the players help them a bit, pushing opponents astronauts towards them or into dysfunctional teleporters. And we’re still working on the prototype to make the game even more fun, simple and nasty.

Flatlined is a small publisher, with limited means, and Argo will probably be published using crowdfunding, as is becoming more and more usual. I didn’t like my first experience of this, with Formula E, but it looks like it’s becoming impossible to always avoid it. Furthermore, if I didn’t like it as an author, I like it as a gamer and still regularly pledge for games that look interesting (the last being the outstanding Two Rooms and a Boom, a few days ago). It’s just psychologically much more comfortable for the pledger than it is for the designer or for the publisher.

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Aliens et sorciers, même combat
Aliens and Wizards, same battle

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Lorsque je réfléchis à l’exploitation dans les jeux de société d’un thème particulier, comme je l’ai fait récemment pour l’univers Steampunk, je commence généralement par une comparaison avec la littérature, peut-être parce que je connais assez mal les mondes, sans doute plus proches, du cinéma, du jeu video et de la bande dessinée. La fonction du thème dans les jeux de société est pourtant assez particulière, parce que les mécanismes y sont plus importants, plus rigoureux, plus incontournables que dans un film ou un roman – il n’y a guère que Pérec qui ait écrit des livres comme Reiner Knizia fait des jeux, en partant des mécanismes et non du thème, et je ne trouve pas le résultat, une sorte de littérature abstraite, très convaincant. Dans un autre style, cependant, j’aime bien Mallarmé…

L’auteur de jeu, même lorsqu’il part d’un thème, doit rapidement se préoccuper de mécanismes, de systèmes de jeu. Les meilleurs jeux sont même souvent ceux dont le thème et la mécanique sont inséparables, car ils ont été d’emblée conçus ensemble. Et là, on se rend vite compte que certaines thématiques reviennent facilement, de manière presque paresseuse.

Deux univers sont particulièrement pratiques pour les auteurs de jeux, et en particulier ceux qui, comme moi, aiment introduire des effets un peu farfelus ou inattendus sans renoncer à la cohérence de l’univers. Ce sont l’Heroic Fantasy et la science fiction.

Il y a une dizaine d’années de cela, il y avait dans presque tous mes jeux des sorciers et des dragons. Bien sûr, le fait que j’ai fait pas mal de GN et lu un peu de littérature fantastique y était pour quelque chose, mais c’était aussi un choix extrêmement pratique, technique. Avec la magie, tout est possible. Tout ce qui est intéressant du point de vue de la mécanique de jeu, des interactions entre joueurs, des choix tactiques ou stratégiques, peut trouver une justification thématique, toujours la même : c’est magique. Si Richard Garfield a choisi pour Magic the Gathering le thème de l’Heroic Fantasy la plus générique, la plus floue, la plus vaste, c’est par ce que c’était le seul univers dans lequel il était possible de donner un vague sens à toutes les cartes, à tous les effets imaginables, pour peu qu’on leur trouve un nom aux sonorités vaguement féériques.

Avec la science fiction, comme avec le fantastique, tout peut assez facilement trouver une justification thématique. La technologie, surtout lorsqu’elle est extra-terrestre, ne s’explique pas et peut donc tout expliquer. Les pions passent d’un bout à l’autre du plateau de jeu, au travers de portes stellaires ou de fractures du continuum spatio-temporel. Les cartes circulent d’un joueur à l’autre grâce aux pouvoirs télékynésiques de civilisations lointaines. Rencontre Cosmique, de très loin le meilleur jeu de science fiction jamais publié, illustre à merveille toutes les possibilités permises par ce thème.

D’autres thèmes qui peuvent sembler beaucoup plus cadrés, plus précis, sont également très utilisés dans le monde du jeu de société. Les jeux pour deux joueurs représentent très fréquemment la guerre, les jeux pour des joueurs plus nombreux préférant l’exploration, la gestion de ressources, la construction d’une cité ou d’un royaume. Mais quand on parle d’un jeu de guerre, de gestion, d’exploration, est-on encore dans le thème ou déjà dans la mécanique ? Une guerre peut être antique, médiévale, contemporaine, fantastique ou spatiale, tout comme le commerce, tout comme la gestion d’un empire ou même d’un village. On peut explorer une forêt, un souterrain, une galaxie. Tout cela peut donc être situé dans un univers historique, ou relativement abstrait, mais là encore, le fantastique et la science-fiction apportent toujours plus de libertés à l’auteur de jeu, surtout s’il a, comme moi, l’esprit quelque peu baroque. Si l’archétype du gros jeu pour joueurs est un jeu d’exploration spatiale, de construction et de gestion de son empire et de sa flotte, puis, comme dans un orgasme final, de bataille intergalactique avec les flottes adverses, ce n’est pas parce que les joueurs sont particulièrement fans de Space opera baroque, un genre littéraire marginal et ennuyeux, même s’il passe mieux au cinéma. C’est parce que seul le Space Opera permet de tout mettre, tout caser, tout faire rentrer dans une boîte de jeu – même s’il faut souvent une très grosse boîte, comme dans Twilight Imperium ou Eclipse.

Pour les gros jeux, les jeux pour joueurs, science-fiction et fantastique sont donc des thèmes particulièrement faciles, surtout pour qui veut concevoir un jeu un peu alambiqué, un peu chaotique, un peu touffu. On pourrait sans doute expliquer de la même manière pourquoi les jeux de gestion de ressources, avec des cubes en bois de toutes les couleurs, ont si souvent un thème médiéval ou Renaissance. Quoi de plus évident que de faire des cubes de couleur du bois, de la pierre, du métal, et tout le nécessaire pour construire des châteaux des palais, qu’il faudra faire plus beaux que ceux du voisin ?. Quant aux jeux plus familiaux, voire enfantins, ce sont le domaine des animaux, et très souvent ces animaux n’ont qu’une activité principale – ils mangent, que ce soit des cartes carottes ou des jolies carottes de bois.


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When I try to think on the uses of some specific setting in boardgames, as I made in a recent article about Steampunk, I often start with a comparison with literature, may be in part because I don’t know that much about movies, comics and video-games, even when their universes might be more similar with those of boardgames. It would be wrong to assume, however, that the function of the theme/setting and mechanisms/systems are the same in a novel and in a game. Perec is the only author I can think of who wrote books like Knizia designs games, starting from a mechanism idea, and I’m not really convinced by his nearly abstract literature. Well, on the other hand, I quite like Mallarmé…

The game author, even when he starts from a theme, must almost from the beginning think of the game systems, the machanisms that wil go with it. The best games are often those in which setting and mechanism cannot be set apart, because they were devised together. Two settings are very convenient to work simultaneously on story and systems, especially for authors like me who like to add zany and unexpected effects while keeping the game universe consistent. These are Heroic Fantasy and Science Fiction

Ten or twelve years ago, all my games had wizards and dragons. Of course, this was also the time I was playing larps and reading fantasy, but this may not be the main reason. There was also a very technical explanation – magic makes everything possible, and therefore almost everything consistent. Any game system that can be interesting because if brings tactical choices, strategic decisions, bluffing opportunities, can find a thematic justification. In fact, the justification is always the same – it’s magic! Richard Garfield choose generic heroic fantasy as a setting for Magic the Gathering because it was the only way to give a vague thematic sense to all the zany card effects he had in mind, as long as he gave each one of them some meaningless fantasy name.

It is the same with Science Fiction, which can also give some meaning to any game event or effect. Technology, and especially alien technology, cannot be explained and therefore can explain everything. Tokens can jump from one part of the board to another through stellar gates or tears through the space-time continuum. Cards move from one player to the other due to the telekinetic powers of far away civilizations, and so on. Cosmic Encounter, my favorite science fiction game, is a good illustration of the infinite possibilities of alien cultures.

There are also some more precise, more limited, more mundane settings that are often used in boardgames – but the question here is what exactly is still theme or setting and what is already mechanism or system. Two players games are often about war, multiplayer games about resource management, building castles, kingdoms or empires, or exploration. But is war, resource management, exploration a mechanism or a theme ? It is neither one nor the other, and a bit of both. A war can be antique, medieval, modern, fantasy of in deep space, and the same is true of resource trading or management. Explorers can enter a cave, a forest or a galaxy. All these subjects – war, exploration, trade, development – can fit with many settings but, once more, science fiction and fantasy allow for more variety, more opportunities, more freedom for the designer – especially the baroque minded one. The archetypal heavy gamers game is a game of space exploration, development and empire management, with a intergalactic war as final climax. This doesn’t mean that hardcore gamers are all fans of space opera, a rather boring and repetitive literary genre, even when it can make for impressive movies. This is just because it’s the only setting that allows to put everything in the same game box – even when it often needs a very big box, such as with Twilight Imperium or Eclipse.

Heroic Fantasy and Science Fiction are very useful settings for boardgame designers wanting to make something a bit heavy, a bit convoluted, a bit chaotic. It might be possible to explain in a similar way why so many wooden cubes – ressource management – worker placement eurogames are about building medieval or Renaissance castles, palaces or churches : wooden cubes seem destined to represent wood, stone, metal, and therefore to be used in some kind of old style building trade. As for kids games, the obvious theme is animals – and often these animals have just one main activity, they eat. So you have rabbit cards, and carrot cards, or sometimes carrot tokens…

runewars

Steampunk

L’uchronie Steampunk

L’Empire Britannique à la conquête de Mars.
The British Empire flies to Mars.

Deux de mes jeux, Mission : Planète Rouge et Novembre Rouge sont situés dans l’univers fantastique et uchronique qu’il est convenu d’appeler Steampunk. Le Steampunk est, du moins dans sa variante la plus répandue, que l’on pourrait appeler victorienne, un monde dans lequel la science de la révolution industrielle, celle des machines à vapeur, des dirigeables, des calculateurs mécaniques, a connu des développements fabuleux, allant parfois jusqu’à la conquête et la colonisation de Mars par les empires britanniques et allemands, grâce à de gigantesques navires spatiaux. Autant qu’une thématique, c’est, comme le montrent les boîtes de jeu qui illustrent cte article, une esthétique, mécanique, cuivrée et enfumée.

Un bon gros jeu de figurines, avec des cuirassés volants. En général, la thématique steampunk met en avant l’empire britannique, mais ici c’est un navire français qui est au premier plan.
A miniature game with flying dreadnoughts. Note that the forefront ship is French and bot British, the only unusual feature of this typical steampunk picture.

Le prototype de Mission : Planète Rouge s’appelait simplement Mars, et relevait de la science fiction réaliste; celui de Novembre Rouge s’appelait Sauvez le Kursk, et relevait de l’humour noir. Ce sont les éditeurs, Asmodée et Fantasy Flight Games, qui ont choisi pour Mission: Planète Rouge et pour Novembre Rouge cette thématique et l’univers graphique très particulier, tout en engrenages, en machineries, en fumées grises et rousses, qui lui est conventionnellement associé. Ils ne sont pas les seuls à avoir fait ce choix, et les jeux de société Steampunk sont de plus en plus nombreux. Ils comptent quelques chefs d’œuvre comme Planet Steam, Wiraqocha ou Sky Traders. Même dans des jeux qui n’ont thématiquement rien de Steampunk, comme Thèbes ou la dernière version d’Evo, le style graphique pointe le bout de son nez cuivré avec des roues du temps qui semblent les engrenages de gigantesques machines. Il est vrai que, autant qu’un thème, le Steampunk est une esthétique aux codes assez précis – les textes y parlent d’acier, mais sur les illustrations, cet acier a toujours la couleur du bronze ou du cuivre. Si Full Metal Planet était un peu moins bleu, si Funkenschlag était un peu moins vert, et s’ils étaient plus rouges, plus bruns, plus gris, ce seraient des jeux Steampunk.

Aucune idée de ce qu’était ce jeu, mais l’illustration n’est pas sans faire penser à Mission Planète Rouge.
I have no idea what this game was, but this picture reminds a bit of the box of Red November.

Cet univers est également de plus en plus populaire dans le jeu de rôles, et devient même une inspiration pour de nombreux couturiers, alors même que, contrairement à ce qu’il en est de la science fiction ou de l’Heroic Fantasy, la littérature Steampunk, qui pourrait lui servir de support, reste peu fournie. Cela ne veut pas dire qu’elle ne soit pas parfois de grande qualité, et souvent d’une impressionnante érudition, comme dans les délires de David Calvo ou dans le foisonnant Against the Day, de Thomas Pynchon, récent chef d’œuvre du genre.

Pourquoi donc l’univers Steampunk convient-il si bien aux jeux ?

Parce qu’il a une forte cohérence graphique, ce à quoi les éditeurs désireux de mettre en avant leurs produits sont de plus en plus attentifs. Parce que, comme tous les mondes un peu fantastiques, il permet de justifier aisément bien des effets ou mécanismes de jeu, ce qui est bien pratique pour les auteurs. Parce qu’il est suffisamment exotique et décalé pour faire rêver les joueurs, mais reste proche de nos angoisses techniciennes et écologiques – et sur ce dernier point, un parallèle avec la mode des vampires, qui vivent aussi souvent à la fin du XIXème siècle et nous renvoient à d’autres angoisses, serait sans doute intéressant. Et surtout, sans doute, parce qu’auteurs, joueurs et éditeurs se sont un peu lassés d’univers imaginaires plus classiques.

De toutes les boites de jeux que j’ai utilisées pour illustrer cet article, c’est la seule que je trouve moche, mais le jeu est peut-être très bon.
I don’t know if the game is good, but this is the only picture I really don’t like among the many ones I used in this post.

Cinq jeux Steampunk

Donc, pour ceux que cet univers intéresse, voici cinq bons jeux Steampunk – dont deux auxquels j’ai participé, je sais.

À la fin des années quatre-vingt, le jeu de rôles Steampunk Space 1889 connut un certain succès. Les puissances coloniales européennes, au premier rang desquelles l’empire britannique, s’y affrontaient dans un “scramble for Mars”, avec les martiens dans le rôle des zoulous. Excepté un jeu de combat de miniatures, Sky Galleons of Mars, dont j’ai depuis plus de vingt ans une boite avec laquelle je n’ai jamais joué, aucun jeu de société n’est, je crois, situé dans cet univers. Mission : Planète Rouge, comme je l’ai expliqué plus haut, à d’abord été conçu dans un univers de science fiction futuriste plus classique, avec des états ou des grandes multinationales rivalisant pour le contrôle des principales zones de la planète Mars. Un jeu de majorité, donc, de la famille d’El Grande ou de San Marco, sur lequel Bruno Cathala et moi avons greffé un système de personnages plus ou moins inspiré de Citadelles. La thématique Steampunk, décidée par l’éditeur, convient pourtant fort bien au jeu, et l’on imagine bien les grandes puissances coloniales, France, Grande Bretagne, Allemagne et quelques autres, partant à la conquête de Mars dans des fusées à vapeur. Les dessins sont l’œuvre du talentueux Christophe Madura, qui semble bien aimer le genre. Si vous aimez Citadelles, ou si vous appréciez le tout nouvea Libertalia, essayez-donc de vous procurer une boite de Mission : Planète Rouge, il en reste quelques unes dans quelques boutiques.

Les personnages typiquement steampunk de Mission : Planète Rouge
The typically steampunk characters in Mission : Red Planet

On imagine mal des machines à vapeur dans les profondeurs océaniques. Les sous-marins sont pourtant partie intégrante de l’univers Steampunk, qui doit un peu à Jules Verne et, en particulier à Vingt-mille lieues sous les mers. Sauvez le Kursk, le jeu de coopération que j’avais imaginé avec mon ami Jef Gontier, à fait rire bien des éditeurs mais était difficilement publiable en l’état. On a pensé à déplacer l’action dans une station spatiale, mais cela impliquait beaucoup de changements dans la structure du jeu. Les gens de Fantasy Flight Games ont donc imaginé de neutraliser un peu l’humour noir du jeu en faisant du Novembre Rouge un sous-marin à aubes et à vapeur piloté par des gnomes, et en chargeant Christophe Madura, déjà cité plus haut, de lui donner une esthétique Steampunk. Mission accomplie, et ce jeu de coopération plein de rebondissements, aussi drôle que tendu, est un succès qui ne se dément pas.

Novembre Rouge, un sous-marin gnome russe et à vapeur.
Red November, a russian gnome steam-propelled submarine

Planet Steam, de Heinz Georg Thiemann, est un bon gros jeu de gestion à l’allemande, un de ces jeux où l’on investit pour produire des cubes en bois – pardon, pour extraire des matières premières – que l’on cherche ensuite à revendre avec profit. Superbement édité dans une énorme boite, ce jeu exploite remarquablement le thème de la planète fumante sur laquelle les corporations multinationales s’affrontent pour prospecter, pour installer des plateformes de forage au dessus des lacs de lave en fusion, pour extraire les précieux minerais, et pour affréter de gigantesques vaisseaux capables de les emporter. C’est un jeu de commerce, de gestion, un bon gros jeu qui prend la tête et qui,soutient aisément la comparaison avec Funkenschlag ou d’Age of Steam.

Planet Steam – il y fait trop chaud pour que ce soit Mars.
Planet Steam – too hot to be Mars

Dans Wiraqocha, de Henri Kermarrec, nous ne sommes pas sur Mars, mais plus près de chez nous, dans la jungle mexicaine où des explorateurs cherchent à mettre la main sur les secrets perdus de la technologie inca et sur les riches gisements de somnium, un minerai source d’une énergie quasi-inépuisable. Le steampunk inca, qui donnerait sans doute un très mauvais film et un médiocre thriller, a produit un excellent jeu de placement et d’affrontement, plus tactique que stratégique, très agressif et plein de rebondissements, dans lequel il faut savoir s’adapter et saisir la moindre opportunité. Au premier coup d’œil, ça ressemble un peu aux Colons de Catan, mais ça se joue plus comme un croisement entre Neuroshima Hex et Alien Frontiers.

Les artefacts incas de la vallée de Wiraqocha
Incan artifacts from the Wiraqocha valley

L’univers de Sky Traders, de Gioacchino Prestigiacomo, n’est pas à proprement parler Steampunk, puisque la divergence technologique s’y est produite avant la révolution industrielle, au tournant des XVIIème et XVIIIème siècle. Dans ce monde ou Descartes aurait eu raison contre Newton, des navires de bois, propulsés au gaz phlogistique, voguent dans l’espace sur des tourbillons d’éther. Un peu long mais très fluide et plein de rebondissements, Sky Traders est un gros jeu à l’américaine, avec des la baston, des cartes action, de la négociation et des lancers de dés, dans lequel le thème, omniprésent, est traité avec humour et intelligence. Dans le genre “pick-up and deliver” ameritrash, je trouve ça plus sympa et plus moderne que Merchant of Venus.

Sky Traders, un look vénitien qui change du steampunk victorien.
Sky Traders, more venitiana than victoriana.

Et ce n’est pas fini… dix minutes sur le boardgamegeek m’a fait trouver trois jeux Steampunk à paraître dans les mois qui viennent – Mars needs Mechanics, City of Iron et Kings of Air and Steam. À priori, c’est City of Iron qui a l’air le plus prometteur.

City of Iron, sur Kickstarter – mais un peu cher quand on n’est pas aux États-Unis.
City of Iron, on Kickstarter, but too expensive if you’re not in the US.

Quelques figurines du jeu Dystopian Legions.
Miniatures for Dystopain Legions.


The Steampunk uchrony

The action of two of the games I designed, Mission : Red Planet and Red November,  is supposed take place in the fantasy and uchrony setting known as Steampunk. Steampunk is, in its most popular victorian version, a world in which the science of the industrial revolution, steam engines, Zeppelins and mechanical computers, have been developed to a fabulous level, allowing for example to the conquest and colonization of Mars by the British and German Empire using  gigantic ether or steam propelled spaceships. Steampunk is a fantasy setting, but it’s also, and may be even more, a mechanical, rusty and smelly esthetic, as can be seen on the various game boxes and cards inserted in this blogpost.

Sky Galleons of Mars, sans doute le premier jeu de société Steampunl.
Sky Galleons of Mars, probably the first Steampunk boardgame.

The prototype of Mission: Red Planet was simply called Mars, and was more realistic hard science-fiction. Red November’s one was called Save the Kursk and was dark and somewhat tasteless humor. The steampunk setting, and the associated graphic style heavy on red, brown and grey and dull of gears and pipes, was in both cases decided by the publisher, first Asmodée then Fantasy Flight. Steampunk games have become quite common these last years, and some of them, like Planet Steam, Wiraqocha and Sky Traders, are masterpieces. Even games which have little or nothing to do with the Steampunk universe sometimes borrow elements from its graphic style, for example with the bronze mechanical time wheels in Evo and Thebes, which look like piece from giant mechanical watches. In the end, steampunk is probably more a graphic style than a fantasy setting – steampunk texts talk of iron, but on the pictures, this iron always looks more like bronze or copper. If Full Metal Planet were less blue, if Funkenschlag were less green, and if both were more rusty brown, they would be steampunk games.

Un clone steampunk de Citadelles.
A Steampunk Citadels clone.

This universe is also quite popular in role playing games, and even in fashion, when steampunk literature, which should be the basis for all this, is still scarce. On the other hand, it’s often – not always – clever and erudite, like Thomas Pynchon’s Against the Day, the best steampunk novel I ever read.

So, why so many Steampunk games ?

Because the steampunk world is graphically consistent, and this helps publisher highlight their games. Because, like all fantasy settings, it allows for easy explanation of any strange rule or card effect. Because it’s enough exotic and out of line to make players dream of a fantasy world, and still very near from our technical and ecological concerns. A comparison with vampire settings, which are also quite popular in gaming, are also mostly late XIXth century, and bring forth other contemporary concerns, could be interesting. But may be, more simply, gamers, authors and publishers are just looking for imaginary settings other than the frequently used heroic fantasy and science fiction.

Un steampunk au look plus germanique que britannique.
A steampunk game with a name that sounds more German than British.

Five steampunk games

Anyway, if you’re looking for Steampunk games, here are five good ones – including two of mine, I know.

The Steampunk Space 1889 tabletop role-playing game achieved some success in the late eighties. If features the British Empire and the other European colonial powers in a “scramble for Mars”, with wild martians as Zulu warriors. There was a miniature game based on it, Sky Galleons of Mars, and I happen to own a box of it, still unplayed after twenty years. As I explained earlier, Mission : Red Planet wasn’t originally designed in a steampunk universe. It was more typical science fiction, with major companies from all over the world vying to settle on Mars and exploit its precious ore. It was a classical wooden-cubes majority game, like El Grande or San Marco, on which Bruno Cathala and I had grafted a character card system more or less inspired by Citadels. The steampunk style and setting was decided by the publisher, but fits the game very well, and it’s easy to imagine the XIXth century colonial powers launching steam rockets to Mars. The gorgeous and sometimes unsettling graphics were made by Christophe Madura, who seems to like the steampunk genre. Mission : Red Planet is out of print, but if you like Citadels, or the brand new Libertalia, it might be worth trying to find a copy.

Mission Planète Rouge – le cosmonaute en haut de forme est un peu inquiétant.
Mission : Red Planet – the top hat astronaut looks a bit scary.

Though it’s hard to imagine steam engines in the deep seas, submarines are a not uncommon in steampunk settings, partly because Jules Verne, and most of all among his books Twenty Thousand Leagues under the Sea, is often considered a precursor of the steampunk genre. Save the Kursk!, the cooperation game I had designed with my friend Jef Gontier, was probably impossible to publish with its original setting. We thought of moving the action into a space station, but this meant too many changes in the game’s structure. The Fantasy Flight Games team had the idea of making the storyline harmless with having the submarine driven by gnomes – Jef and I insisted on Russian gnomes – and asking the same Christophe Madura, who has already illustrated Mission : Red Planet, to give it a steampunk style. The result is gorgeous, and Red November is a best-seller translated in many languages – though not Russian.

Une vue en coupe d’un sous-marin steampunk.
A cross section of a steampunk submarine.

Heinz-Georg Thiemann’s Planet Steam is a heavy German style management game, a game about investing in in producing wooden cubes of different colors – or rather in extracting various ores – and then selling them at the best price. The graphics, by Czarné, and the gorgeous production,  help feel the heat and smell of the fuming planet. That’s probably why this game feels more thematic than most management eurogames. Players are space tycoons prospecting the hot red planet, building drills over the magma lakes, extracting the precious ore and sending them to earth in giant spaceships. Planet Steam is a trading and management game, a typical “woodenkubs” game, but it’s a really good one and it stands the comparison with better known ones such as Funkenschlag or Age of Steam. There were talks of a US edition, but it seems to have been cancelled.

Les personnages très steampunk de Steam Planet.
The steampunk characters in Steam Planet.

In Henri Kermarrec’s Wiraqocha, the action doesn’t take place on a faraway planet but in the Mexican jungle, where fierce explorers try to uncover the lost and powerful artifacts of inca technology, and the rich deposits of somnium requested to activate them. Inca Steampunk could have made a terrible movie, and a mediocre thriller, but it makes a great tactical game placement and war, aggressive and dynamic, in which, like in Alien Frontiers, one must make the best use of one’s dice rolls. It looks like Settlers of Catan, but it plays like a mix between Alien Frontiers and Neuroshima Hex. 

Masque inca ou machine steampunk ?
Inca mask or steampunk engine ?

Gioacchino Prestigiacomo’s Sky Traders is not, strictly speaking, a steampunk game, but it has a very similar look and feel. The technological divergence has happened before the industrial revolution, in the late XVIIth or XVIIIth century. Descartes was right, Newton was wrong, and wooden spaceships propelled by phlogiston travel on the ether whirlwinds. Sky Traders might a bit too long, but it’s fluid, nasty, and full of twists and turns. It’s a good “ameritrash” game, with dice, random event cards, negociations, and of course boarding parties. The theme is strong, clever and humorous – it’s probably a better pick-up and deliver game than the old Merchant of Venus, and certainly a more modern one.

Marchands de l’espace, mais aussi pirates de l’espace.
Sky Traders are also Space Pirates.

Of course, there will be more. In ten minutes on the boardgamegeek, I’ve already found three Steampunk games to be published in the coming months – City of Iron, Mars needs Mechanics and Kings of Air and Steam. City of Iron looks the most promising.

City of Iron, un jeu à voile et à vapeur.
Sorry, untranslatable pun.

Mission : Planète Rouge
Mission : Red Planet

Le Thème :

1889, tandis que, à Paris, l’exposition universelle bat son plein et les foules s’enthousiasment pour les derniers progrès de la technique, les grandes compagnies minières, soutenues par les grandes puissances européennes, préparent la conquête de Mars et l’exploitation des fantastiques richesses de son sous sol.

Chaque joueur, à la tête de l’un de ces grands groupes, s’efforce de recruter les scientifiques et les astronautes les plus compétents, et de remplir les fusées en partance, afin de prendre de vitesses ses concurrents et de s’assurer le contrôle des régions les plus prometteuses de la planète. Espions et militaires sont également au rendez-vous car ce monde encore vierge recèle bien des dangers et des secrets et, à des milliers et des milliers de kilomètres des plus proches journalistes, socialistes, écologistes et autres empêcheurs de prospecter en rond, tous les coups sont permis.

La mécanique :

Tout à la fois jeu de de majorité, jeu de personnages et jeu d’exploration, Mission Planète Rouge fait appel aussi bien au bluff qu’à la stratégie. Pour affréter des navettes pour Mars, et y prendre le contrôle des zones où seront découverts les minerais les plus intéressants, vous devrez faire le meilleur usage des pouvoirs de vos neuf personnages, tels le scientifique, qui fait de bien mystérieuses découvertes, le saboteur, qui peut faire exploser une fusée sur sa rampe de lancement, ou le pilote, qui peut modifier sa destination.

Histoire du jeu :

En 2004, on a beaucoup parlé des deux petits robots que la Nasa avait envoyés sur Mars. On les a un peu oubliés depuis mais ils y sont encore, et continuent à nous envoyer des images, comme on peut le voir sur le site de la Nasa. Après des années durant lesquelles la science n’était qu’un objet de peur, et l’exploration spatiale semblait un luxe coupable, Mars semblait être redevenu à la mode. Il n’en a pas fallu plus à Bruno Cathala et moi-même pour avoir envie de faire un jeu sur l’exploration de Mars, voire sa future colonisation. Serge Laget et Thierry Gislette ont fait de même. L’idée était dans l’air, elle y revient peut être aujourd’hui, en 2012,  avec les premières images d’un nouveau robot à l’allure de couteau suisse géant et déployé,,la sonde Discovery.

Nous envisageâmes un temps l’idée d’un jeu de collaboration sur le thème de la terraformation de Mars, avant de nous replier sur l’idée plus classique d’une rivalité entre compagnies désireuses de s’approprier les précieuses ressources de la planète. Aucun d’entre nous n’ayant encore commis de jeu de majorité, pourtant un classique presque obligé du jeu allemand, cela nous semblait en effet une bonne occasion. Nous décidâmes rapidement que le jeu comprendrait deux systèmes distincts, et que la rivalité entre les joueurs s’exercerait donc à la fois dans la constitution des expéditions en partance pour Mars, et sur la planète elle même.

Il a fallu des mois, et d’innombrables remises à plat de l’ensemble des systèmes, avant de parvenir à la version 7.7, celle qu’à publiée Asmodée. Si le tout premier plateau était déjà rond et rouge, il était couvert de petits hexagones, et la colonisation s’y faisait sous la forme de rangées de pions encerclant peu à peu des zones, un peu comme au Go. Il y eut ensuite plusieurs versions à deux plateaux, un grand rouge pour Mars et un petit pour la Lune, moins riche en ressources minières mais plus rapide à atteindre et pouvant servir de base intermédiaire. À bord des navettes, on a longtemps placé des cartes personnages faces cachées, mais le résultat était totalement chaotique. La version 6, celle que nous présentâmes à Essen 2004 ou elle suscita un certain intérêt, était déjà très proche du jeu publié, mais il n’y avait qu’un set de cartes personnages, qui étaient choisies tour à tour par les joueurs comme à Citadelles. C’est cette version qui convainquit l’équipe d’Asmodée, mais nous optâmes ensuite pour un autre système de sélection de personnage qui nous semblait mieux coller au jeu et ne donnait pas le sentiment de jouer à Citadelles.

Puisque nous partions du thème, et voulions être réalistes, je décidais de me documenter un peu. Je commençais par quelques visites sur les sites web, fort nombreux, consacrés à la planète rouge et à divers projets de colonisation plus ou moins farfelus. Alors que je n’avais plus guère lu de science fiction depuis bien longtemps, je me procurais aussi deux séries qui étaient souvent citées comme des classiques de la “littérature martienne” – Red Mars, Blue Mars et Green Mars de Kim Stanley Robinson, et Mars et Return to Mars de Ben Bova.

La volumineuse saga de Kim Stanley Robinson est généralement louée pour son réalisme, pour le sérieux de son arrière plan scientifique. Étant assez ignare en ce domaine, je ne suis pas vrament capable d’en juger, mais la lecture donne en effet l’impression que l’auteur s’est bien documenté sur les aspects techniques de son sujet. C’est malheureusement tout ce que l’on peut trouver au crédit de ces pavés lourds, ennuyeux et d’une incroyable prétention. S’il n’y avait que les aspects techniques, cela passerait encore, mais ils sont mis au service d’une espèce de socio-politique de bazar, un salmigondis de théories mal digérées, une sorte d’écolo-marxisme qui finit dans un délire messianique, et est asséné tout au long des trois tomes avec un imperturbable sérieux.

Les deux tomes de Ben Bova sont moins prétentieux, ce qui les rend déjà plus sympathiques, mais cet espèce de Loft Story martien n’apporte pas grand chose non plus à la littérature. C’est en effet l’archétype du roman politiquement correct, formaté avec soin pour les familles américaines. Comme dans une émission de télé-réalité, le casting est minutieusement étudié pour représenter favorablement toutes les minorités, et la psychologie des participants suffisamment primaire pour qu’aucun lecteur ne risque de se trouver intimidé. Au crédit de l’auteur, on notera quand même un style agréable, un tiers-mondisme sympathique mais qui aurait pu être plus subtil, et une intrigue habilement menée.

Je me suis forcé à finir ces deux sagas, mais la littérature de science-fiction “sérieuse” sur l’exploration ou la colonisation de Mars m’a semblé bien lourde et didactique. On est très loin aussi bien de l’humour de Frederic Brown que de la poésie de Ray Bradbury, mais les ouvrages de ces derniers ne nous auraient sans doute été d’aucune utilité pour réaliser ce jeu.

Le jeu que Bruno et moi avions imaginé était donc clairement futuriste, et nous pensions plutôt aux années 2050 qu’aux années 1880. C’est l’équipe d’Asmodée qui a imaginé de le situer dans le cadre uchronique du Steampunk. Le Steampunk est un univers décalé, une sorte de science fiction se déroulant vers la fin du XIXème siècle, comme si la révolution industrielle avait permis la conquête spatiale. À la fin des années quatre-vingt, le Steampunk martien connut son heure de gloire ludique avec le jeu de rôles Space 1889, qui rencontra un certain succès. L’univers de ce jeu était cependant plus fantastique et décalé que celui du notre, puisque Mars y était décrite comme on aurait pu l’imaginer à l’époque victorienne. l’atmosphère y était respirable, les canaux y étaient de vrais canaux creusés par de vrais martiens, et les puissances européennes s’y livraient à de bonnes vieilles guerres coloniales à l’aide de navires volants, que ce soit entre elles ou contre des martiens aux allures de guerriers zulu.

L’univers tout en gris et roux, avec de gigantesques machines crachant des nuages de vapeur, des hauts de forme et des zeppelins, n’est dénué ni d’humour, ni d’intelligence, comme on le voit par exemple dans le foisonnant Against the Day de Thomas Pynchon. Il est en outre une fantastique source d’inspiration pour les illustrateurs, par exemple dans le très beau dessin animé de Hiyao Miyazaki, Le Château Ambulant – et bien sûr aussi dans les illustrations superbes de Mission Planète Rouge ou d’autres jeux plus récents situés dans cet univers, comme Wiraqocha, Planet Steam ou même, dans une certaine mesure, Isla Dorada.

Malgré les superbes illustrations de Christophe Madura, un matériel médiocre, un prix trop élevé, un thème qui n’était pas encore vraiment à la mode tout cela a sans doute empêché que les très bonnes critiques de Mission: Planète Rouge se traduisent dans les chiffres de vente, et que le succès d’estime devienne un succès commercial. Dommage, car cela était, et reste, un très bon jeu de majorité dynamique, amusant et original.

Mission: Planète Rouge
Un jeu de Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Illustré par Christophe Madura
3 à 5 joueurs –
60 minutes
Publié par Asmodée (2005)
Tric Trac    Boardgamegeek


The setting :

1889. The Paris world fair is the last place to be, and the masses marvel at the last technical achievements which are exhibited there. Meanwhile, the big industrial trusts, supported by their governements, are planning the next step – the conquest of Mars and the mining of the fantastic ores ain its subsoil.

In Red Planet Mission, you control one of these big companies. You try to recruit the best scientists and astronauts, and to launch rockets in order to explore the planet and take control of the most promising places before anyone else comes here. Spies and armed forces are also required since this unexplored world is full of secrets and dangers and, many thousand kilometers away from the nearest journalists, socialists, ecologists and all such troublemakers, competition is played no holds barred.

The systems :

Red Planet Mission is a majority game, a character selection game, and an exploration game, with a balanced mix between bluffing and strategy. In order to charter shuttles to Mars, and to take control of the regions where the most interesting minerals will be found, you’ll have to make the best use of your nine characters’ powers. The scientist make mysterious discoveries, the saboteur can blow a rocket up before i leaves the launchpad, the pilot can change a shuttle’s destination, and so on.

History of the game :

In 2004, there was much talk of the two small robot rovers sent on Mars by the Nasa. They have been forgotten since, but last news was that they are still wandering over there, as you can see on the Nasa website. After years during which science was mostly a cause for anguish, and space exploration seemed to be a shameful luxury, Mars was back in fashion. That was enough for Bruno Cathala and I to start working on a game about Mars exploration, and why kot Mars colonization. Serge Laget and Thierry Gislette started another Mars game. Mars was in the air – it’s back now,min 2012, with the first pictures from another Martian explorer robot, Discovery, which looks like a giant open Swiss knife.

We first considered a collaboration game about the terraformation of Mars, but soon opted for a more classical game about mining companies vying for the precious minerals to be found on the red planet. None of us had ever designed a majority game, which is a classic of german style game design, and it seemed a good oportunity. We opted for two different game systems, one for recruiting astronauts and sending rockets to Mars, and one, the majority game, involving the astronauts already on the planet.

After monthes and monthes of testing different versions of the game, after starting it all over again a few times, we ended with version 7.7 – the one that was published by Asmodée.

The first board was already red and circular, but it had a small hex grid on it, and colonization was made by circling zones with one’s pawns, Go like. Then there had been a few versions with two boards, a large red one for Mars and a small white one for the moon, which has less mineral ressources but is easier to reach and can be used as a step on the way to Mars. There has been a few versions in which character cards were placed face down on the shuttles, but the result was far too chaotic. At the 2004 Essen fair, many publishers showed some interest in our version 6, which was already very similar with the actual game, but had only one character deck, in which cards were chosen like in Citadels. Asmodée was convinced by this version of the game, and we later changed the character drafting system for something that fitted better and felt less like Citadels.

Since we started with the theme, and wanted to make something realistic, I decided to look for some serious documentation. I first browsed some of the many websites devoted to Mars exploration and to some more or less zany colonization projects. I had not read any science fiction book for quite long and ordered the two series that were most often quoted as classics of “martian litterature”, Red Mars, Blue Mars and Green Mars by Kim Stanley Robinson, and Mars and Return to Mars by Ben Bova.

Kim Robinson’s heavy saga is often praised for its realism, for its serious scientific background. I’m not competent in this matter, and therefore cannot really judge it on this, but at least it feels as if the author seriously studied the technical aspects of the question. That’s the only positive thing in these long, heavy and pretentious books. Unfortunately, Kim Robinson’s technical competence is used as a support for a social and political hodgepodge, a mish mash of ill-digested theories, a kind of ecolo-marxism that ends in a delirious messianism, and is regularly and systematically forced upon the reader with boring and unruffled seriousness.

Being far less pretentious, the two tomes of ben Bova make for a more pleasant reading, but this martian big brother adds little to litterature. It is a well written politically correct novel, carefully formatted for US families. Like in a reality show, the casting is designed to give a positive picture of all minorities, and the psychology of the characters simple enough to prevent any reader to be intimidated. The author can however be given credit for his clear style, for his nice, if not always subtle, third-world support, and for a well designed plot.

I forced myself to read these sagas till the end, and my overall impression is that the litterature about exploring and colonizing Mars is heavy and didactic. All this was far from the humorous wit of Frederic Brown od the poetic subtleness of Ray Bradbury, whose books could unfortunately not be of any help in designing this game.

In the game Bruno and I designed, the action was taking place in the near future, around 2050 and not 1880. The Asmodée team moved it in the uchronic world of Steampunk. Steampunk is an alternative universe, a kind of science fiction in a victorian world, as if the industrial revolution directly led to space exploration, in world of steam power and zeppelins. In the late eighties, Martian Steampunk was popular among gamers, mostly due to the role playing game Space 1889, which was a minor hit. The Space 1889 Mars was even more fantastic than our, since it was Mars like victorian times scientists could have imagined it. The atmosphear was breathable, martian canals were real canals digged by real martians, and european powers were fighting there good old colonial wars between themselves and against zulu-like martian warriors.

À un moment ou à un autre lors de la réalisation du jeu, Vastitas Borealis est devenu Vasistas Borealis – des plaines du Nord à la petite fenêtre du Nord.
At some moment during the prepress, Vastitas Borealis became Vasistas Borealis. In French, a vasistas is a small window, so the Great Northern Plains became the Small Northern Window.

The grey and russet steampunk world, with gigantic rusty machines spitting dark smoke clouds, with businessmen in top hats and british explorers with pith helmets aboard giant zeppelins doesnt seem to be lacking in wit and humor, as for example in Thomas Pynchon’s Against the Day. It has also been a source of inspiration for graphic artists, as you can see in the nice anime movie by Hiyao Miyazaki, Howl’s Moving Castle – and of course in the great illustrations of Mission : Red Planet and more recent steampunk games, such as Wiraqocha, Planet Steam or even Isla Dorada.

Christophe Madura’s graphics were gorgeous, but the components were sub-par, the price too high, and the Steampunk setting was not as popular as it has become since. As a result, even when it got critics praise on all the boardgames websites, it didn’t sell well in the US and it didn’t sell at all in France. It’s a real shame because it was, and still is, really good, dynamic, fun and original majority game.

Mission: Red Planet
A game by Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Art by Christophe Madura
3 to 5 players –
60 minutes

Published by Asmodée (2005)
Boardgamegeek

Ad Astra – Strategies

Si les mécanismes fondamentaux d’As Astra ont été assez rapidement conçus, les réglages ont demandé de très nombreux tests. Pour que le jeu reste intéressant au delà des parties de découverte, il ne fallait pas qu’une stratégie, qu’un mode de développement s’avère systématiquement plus profitable qu’un autre. Alors que les mécanismes du jeu ne changeaient plus guère, nous avons à plusieurs reprises modifié le coût des déplacements ou le score des terraformations afin de rendre tel ou tel « chemin vers la victoire » plus ou moins praticable.

Bien sûr, le choix de votre stratégie dans une partie d’Ad Astra doit tenir compte des circonstances, et notamment de la production de votre planète de départ ainsi que, dans une moindre mesure, des paires de ressources figurant sur vos cartes de production. Surtout, s’il est bon de songer à une stratégie en début de partie, il faut aussi savoir s’adapter aux circonstances et à ce que font les autres joueurs. Il peut être bon, par exemple, de se spécialiser dans une ressource également produite par un autre joueur, afin de la voir produite plus fréquemment. D’un autre côté, il peut être intéressant de privilégier un mode de développement (terraformation, vaisseaux, colonies…) où nul ne vous concurrence, afin de bénéficier plus facilement des bonus de score. Bref, Ad Astra est un jeu plus stratégique que tactique, mais qui demande néanmoins une certaine souplesse. C’est d’ailleurs pour handicaper les stratégies trop spécialisées que nous avons introduit le mécanisme des cartes scores ne pouvant être récupérées que lorsqu’elles ont toutes été jouées.

Voici quelques unes des stratégies que nous avons vu émerger lors des parties tests et qui, dans les bonnes circonstances et menées sans dogmatisme excessif, peuvent conduire à la victoire.

Terraformation
Si vous débutez la partie sur une planète produisant de l’eau ou de la nourriture, vous pouvez tenter de terraformer rapidement plusieurs planètes, marquant des points d’abord lors de la terraformation, puis ensuite avec votre cartes scores. Si vous trouvez rapidement d’autres planètes terraformables et ne rencontrez pas de concurrence, cette stratégie est facile à mettre en œuvre. Elle peut cependant s’épuiser, et peut facilement être contrée si d’autres joueurs plus mobiles s’emparent des bonnes planètes avant vous.

Hyperspécialisation
Produire une même ressource en grande quantité, et notamment l’énergie, peut permettre en cas de besoin de faire des échanges intéressants, notamment avec la banque. Surtout, cela crée des opportunités de score très impressionnantes avec la carte “ressources identiques”. La limite de 10 cartes ressources en main n’étant effective qu’à la fin du tour, rien ne vous empêche d’accumuler les cartes d’énergie, ou de toute autre ressource, et d’en dépenser une douzaine, voire plus, sur une carte score astucieusement placée parmi les dernières du tour.

Vaisseaux et systèmes
Si vous disposez de minerai en début de partie, vous pouvez construire un second vaisseau dès le premier tour et vous répandre rapidement dans des systèmes nombreux, laissant éventuellement une colonie derrière vous sur les planètes les plus intéressantes. Les vaisseaux coûtent certes assez cher, mais les score ” vaisseaux” et ” systèmes” figurant sur des cartes actions différentes, vous pouvez espérer bénéficier ainsi d’un plus grand nombre de bonus de score, qui sont souvent déterminants pour la victoire finale.

Autostop
La stratégie de l’autostoppeur est l’une des plus difficiles à mener, mais elle est aussi très satisfaisante lorsqu’elle fonctionne. Elle consiste à se reposer essentiellement sur les cartes action des autres joueurs et à jouer rapidement ses cartes de score, quitte à ne pas toujours être premier, afin de profiter au mieux du choix qui est à chaque fois donné entre les deux types de score. Le principal risque est, ne pouvant vraiment se spécialiser dans aucun domaine, de scorer souvent et correctement mais sans jamais bénéficier des utiles bonus de trois points.

Aliens
Les planètes aliens sont rares, et les effets des artefacts trop différents pour permettre de construire à l’avance une “stratégie alien”. Il ne faut cependant pas négliger les planètes aliens, d’une part dans l’espoir de piocher une carte intéressante, mais aussi pour bénéficier des points accordés lors de la construction d’une colonie, et plus encore d’une usine, sur ces planètes.

Ad Astra est un jeu de Serge Laget. Il y a donc plusieurs stratégies possibles pour parvenir à la victoire, et il vaut mieux qu’un joueur en ait une en tête pour guider ses choix. C’est aussi un jeu de Bruno Faidutti. Flexibilité et adaptabilité sont donc également essentielles, et il est parfois bon de reconsidérer en cours de partie ses choix stratégiques.

Ad Astra
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Justin Albers & Kieran Yanner
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Nexus (2009)
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While the core systems of Ad Astra were quite easy to design, the fine-tuning required many tests of many different versions. We wanted the excitement and challenge of the first games to last for many, many games. This meant we had to balance the different strategies and to prevent one or another from becoming the obvious path to victory once a player knows the game well. Without changing anything in the core game systems, we made many late test games with minor changes in the cost of movement, or in the terraforming scorings, to make this or that path to victory harder or easier to follow.

You can’t decide of a strategy before knowing what your starting planet produces and, though it’s less critical, what are the resource pairings on your production cards. Also, while it’s good to have a clear strategy in the first turn, you must sometimes adapt to the circumstances, and to what other players are doing. It could interesting in the first turns, for example, to have the same production as another player so as to make use of his production action cards. On the other hand, it could be interesting in the long term to specialize in something other players are neglecting, like terraforming or spaceships, which will make easier to get the three points score bonuses. Ad Astra is more strategy than tactics, but it nevertheless rewards some flexibility. We devised the rule stating than one cannot get his scoring cards back until all three have been played specifically to discourage rigid, one way strategies.

During our test games, a few strategies have emerged. All of them, if played at the right time and with enough flexibility, can lead to victory.

Terraforming.
If you start the game on a water or food planet, you can try to terraform quickly two or more planets. This can make for huge scoring, first when terraforming, then with the terraforming scoring cards. This works only if you find other terraformable planets quite soon, and if no one else is terraforming. This strategy is very easy to implement, but it doesn’t always do well in the long run, especially if other players land on the water and food planet before you do.

Hyperspecialization
If you can produce the same resource, usually energy, in great quantities, it can put you in a good position for trade, either with the bank or with other players. Also, this creates an opportunity for impressive scoring with the “same resource”-scoring scoring card. The 10 resource cards hand limit is only at the end of the turn, so you can accumulate resource cards during the turn and spend a dozen or more on a same resource scoring card played in the very last spaces on the track.

Spaceship and Systems
If you start the game with an ore planet, it can be clever to build a second spaceship in the first turn and start exploring new systems, leaving a colony behind you in each system. Spaceships are expensive, but the “spaceships” and “systems” scores are triggered with different cards, which means you can hope for many scoring bonuses if you manage to hold both majorities. Bonuses are often decisive in this game.

Piggyback
The piggyback strategy requires psychology and adaptability, but it can be very satisfying. The idea is to count on action cards from other players, and play many scoring cards. This way, you choose more often than other players what element is scored, which can be a strong advantage. The drawback from this strategy is that you can’t really specialize in one item or another. You often get good scores, but you rarely get the 3 points bonuses

Alien artifacts
Alien planets are scarce, and the artifact effects are too varied to be predicted and used in an “alien strategy”. Going for alien planets can be good nevertheless, not only for the artifacts, but also for the scoring points awarded when you build a colony, and even more when you build a factory.

Ad Astra is a game by Serge Laget. This means there are many different strategies that can lead to victory, and one must always have a strategy in mind. It’s also a game by Bruno Faidutti. This means it nevertheless rewards adaptability, and one must be ready to switch strategy on a good opportunity

Ad Astra
by Bruno Faidutti and Serge Laget
Art by Justin Albers & Kieran Yanner
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by Nexus (2009)
Boardgamegeek

Sic itur ad astra

Explorez la galaxie, découvrez les mystérieux artefacts laissés par des civilisations depuis longtemps disaprues, débarquez sur des mondes inhabités pour en exploiter les ressources naturelles, construisez des bases, des usines et de gigantesques vaisseaux spatiaux, terraformez et colonisez les planètes lointaines.

Le thème et le look de ce jeu pourraient faire croire à un grand jeu de conquête à l’américaine. Ne vous y trompez pourtant pas, Ad Astra est un “eurogame”, un jeu “à l’allemande”.

Histoire du jeu

Depuis longtemps, Serge Laget et moi voulions faire ensemble un “gros” jeu, expérience que nous n’avions pas renouvelée depuis Mystère à l’Abbaye, malgré quelques ébauches vite abandonnées. Serge est très branché science-fiction ; je suis resté un fan des colons de Catan. Un soir, au téléphone, tout cela se mélangea pour donner un cahier des charges relativement simple : un gros jeu d’exploration et de développement d’un empire spatial, bâti sur un système de ressources façon Catan.

Quelques jours plus tard, un vendredi soir, Serge débarquait à Avignon, et nous nous mîmes aussitôt au travail. Serge, en connaisseur des poncifs de la SF, insista sur la possibilité de terraformer les planètes. Je parvins à recycler un système de programmation à l’aide de cartes cachées que j’avais un temps envisagé pour Warrior Knights. Toutes les pièces du puzzle s’imbriquant parfaitement, chacun rebondit sur les idées de l’autre, et après une dizaine d’heures, nous avions un premier prototype, fait des cartes action imprimées à la va-vite sur du bristol, de pièces récupérées dans divers jeux, et de planètes griffonnées sur des disques de carton. Autant vous rassurer tout de suite, cela se passe rarement ainsi. La gestation d’un jeu est habituellement bien plus longue et difficile, et il faut généralement des semaines, voire des mois de réflexion avant la réalisation du premier prototype. Si cet historique est plus bref que celui de la plupart des mes autres jeux, c’est donc tout simplement parce que l’histoire de Ad Astra est assez simple et courte.

La toute première partie d’Ad Astra
The very first game of Ad Astra

Le samedi soir, j’invitai donc quelques amis pour une première partie, qui permit de valider l’ensemble des mécanismes – exploration, découverte, production, programmation, construction, mouvement, terraformation, tout fonctionnait parfaitement, à l’exception du système de score, qui allait encore demander un peu de réflexions. Il ne nous restait donc qu’à faire les réglages – déterminer la répartition des planètes produisant les différentes ressources, les ressources précises nécessaires pour chaque développement, le nombre de points de victoire rapportés par chaque élément de jeu. De simples ajustements, certes, mais qui pour un jeu ambitieux nécessitant un équilibre parfait entre les différentes stratégies possibles, demandèrent une centaine de parties, et autant de coups de téléphone entre Lyon et Avignon.

Notre prototype, baptisé Andromeda, puis Cassiopeia, suscita beaucoup d’intérêt chez les éditeurs. Il faillit être publié par nos amis de Days of Wonder, Cyrille réalisant même une très jolie maquette. Après quelques détours par l’Allemagne, le jeu se retrouva finalement chez les italiens de Nexus, qui firent un bon boulot d’édition… mais disparurent quelques mois plus tard. Ad Astra ne sera donc pas réimprimé, du moins pour l’instant, et l’extension que nous avions prévue ne sortira jamais. C’est un peu dommage, c’est un bon jeu dont Serge et moi restons très fier. Il doit encore en rester dans quelques boutiques.

Ad Astra
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Justin Albers & Kieran Yanner
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Nexus (2009)
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Explore the galaxy, find the mysterious artifacts of long lost alien civilizations, land on uninhabited worlds and mine their precious ores, build living bases, factories and huge spaceships, terraform and colonize faraway planets…

The theme and graphic style of this game could make you think it’s an american style conquest and exploration game. It is not. Ad Astra is definitely a “Eurogame”.

History of the Game

For a few years, Serge Laget and I wanted to work together on a “heavy” game, something we had done only once, with Mystery of the Abbey. We had tried several times since, but none of our projects had gone very far. Serge is a science-fiction fan, I’m a Settlers of Catan fan. One evening, on the phone, these two facts merged into one simple idea – a big science fiction game about space exploration and empire development using a “Catan-like” resource and building system.

A few days later, on Friday night,  Serge was here in Avignon and we immediately started to work on this common design – and things went incredibly fast. Serge knows all Sci-fi clichés, and insisted on terraforming. I managed to recycle a face down card programming system I had once thought of using in Warrior Knights. All the pieces of our puzzle went together well, each one of us bounced on the other one’s ideas, and after ten hours of uninterrumpted work, we had a first prototype, with rough action cards, cardboard planet disks with drawn symbols, and pieces from various other games. Of course, it usually doesn’t happen that way. Most games usually need weeks, or even months, of thought and debate before realizing a first prototype. If this “history of the game” page is much shorter than for most of my other games, it’s simply because the story of the game design was short, simple, and straightforward.

On Saturday night, I called a few friends to play a first game. As a result, all global rules system were validated – exploration, discovery, production, programmation, building, movement, terraforming, everything worked well – the only exception being the scoring system, which needed a few more games before being satisfactory. So the game only needed tuning, but it needed a lot of fine tuning to decide of the planet distribution, the resources needed for every development, the number of victory points for ever game element, and so on. The game was nearly finalized after a first game session, but it needed a hundred more, and as many phone calls between Avignon and Lyon, before we were completely satisfied with it.

Bruno Cathala commente le prototype d’Ad Astra
Bruno Cathala comments on the Ad Astra prototype

The prototype was first called Andromeda, then Cassiopeia, and many publishers showed some interest in it. Our friends from Days of Wonder hesitated for a few months, and Cyrille even designed a wonderful prototype. After a few months in Germany, the prototype ended in Italy. Nexus made a great edition and production work… But went out of business a few months later. This means Ad Astra won’t be reprinted, at least for the moment, and the planned expansion won’t be published. It’s a shame, since Serge and I are very proud of this design. There ought to be still a few copies left in some shops.

Ad Astra
by Bruno Faidutti and Serge Laget
Art by Justin Albers & Kieran Yanner
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by Nexus (2009)
Boardgamegeek

Science Fiction

Je lis peu de science-fiction. Les rares auteurs du genre qui m’aient vraiment accroché sont Philip K. Dick, qui relève sans doute plus de la contre-culture des années soixante, ou de la psychiatrie, que de la tradition SF, et Iain Banks, avec sa « culture » prétentieuse et déroutante. Il reste que ni les délires psychédéliques de Dick, ni les savantes constructions intellectuelles de Banks, ne se prêtent à une transposition dans un jeu de société. Le jeu de science fiction, comme le cinéma de science fiction, c’est plutôt soit la difficile et claustrophobe colonisation de Mars ou de quelque lointaine et silencieuse galaxie, soit à l’inverse le space opera grandiloquent et le fracas des guerres interstellaires. Curieusement, alors que les livres m’ennuient et que les films ne m’amusent qu’un court moment, les jeux de science fiction m’ont toujours intéressé.

Pour l’auteur de jeu, science-fiction et fantastique sont d’abord deux univers de facilité. La science future ou extra-terrestre, comme la magie, permet en effet de justifier aisément toute sorte de petits mécanismes amusants, et intéressants d’un point de vue ludique (échange de cartes, déplacements instantanés, effets bizarres) qui paraîtraient immanquablement plaqués dans un jeu à l’univers plus réaliste, plus précis. Cela ne signifie pas que ce sont des thèmes que l’on plaque sur les jeux dont les mécanismes ne conviennent à rien d’autre, mais plutôt que ce sont les univers que l’on choisit lorsque l’on veut se faire plaisir en développant des mécanismes sans être trop bridé par le thème – voyez Cosmic Encounter, jeu à la richesse inégalée, que l’on n’imagine pas avec un thème historique !

On peut pourtant aussi faire de la science fiction simplement parce que l’on en a envie. Je ne lis plus guère de SF, mais j’en ai lu pas mal adolescent, et le silence des espaces infinis me fait encore rêver. Avec Bruno Cathala, nous voulions faire un jeu sur la colonisation de Mars, cela a donné Mission Planète Rouge. Avec Serge Laget, nous voulions faire un jeu d’exploration spatiale, cela donne Ad Astra.

Depuis que je suis dans le milieu du jeu, j’ai toujours entendu répéter que « les jeux de science fiction ne se vendent pas ». Ma seule expérience à ce jour dans ce domaine, Mission Planète Rouge, a plutôt confirmé cette rumeur. J’espére qu’Ad Astra la démentira, et sera enfin le signe que les choses sont en train de changer. Les espaces de la science-fiction sont vastes, riches, peuplés, baroques – ils se prêtent bien au jeu.


I read very little science fiction. The few sci-fi writers I really like are Philip K. Dick, which belongs more to the sixties counter-culture, or to psychiatry, than to traditional science-fiction, and Iain M. Banks, whose pretentious “culture” universe is fascinating. Anyway, neither Dick’s psychedelic deliriums, nor Banks ambitious intellectual constructions are really fit to be adapted in a board or card game. Science Fiction games are more like science fiction movies or TV series. Some describe the difficult and claustrophobic colonization of Mars, or of some far away galaxy. Most others are baroque space operas, with flashy and noisy interstellar wars. Surprisingly, while I find most science-fiction novels boring and most science fiction movies fun for only half an hour, I really enjoy science fiction boardgames.

For game authors, science fiction is, like fantasy, an easy and convenient setting. Future or alien science, like magic, can explain all kinds of strange and fun little game mechanisms, like cards swapping, instant movement and the like, which would have felt unrealistic and artificial in a more realistic universe. This doesn’t mean that fantasy and science fiction are the settings used when you can’t find another consistent one for a finalized game system. It rather means that they are the settings of choice when you want to let your imagination wonder and have fun designing game systems without being constrained and limited by the theme. See Cosmic Encounter, probably the most varied and baroque game ever designed, and try to imagine an historical setting for it…

Anyway, you can also use science fiction because you find the setting exciting. I don’t read a lot f sci-fi now, but I did as a teenager, and the silence of infinite spaces still make me dream. With Bruno Cathala, we wanted to make a game about colonizing Mars, and designed Mission: Red Planet. With Serge Laget, we wanted to make a game about space exploration and empire building, and we designed Ad Astra.

Since I’m in the game business, I’ve always been told that science fiction games don’t sell. My only experiment so far has been Mission Red Planet, and it indeed didn’t sell well, which is a shame, since it’s a game I’m really proud of. I hope Ad Astra will belie this rumor and show that things are now changing. The vast and baroque spaces of science fiction are well fitted for the intricate mechanisms of games.