6 Suspects

Les « microgames », des jeux au matériel minimalistes, une vingtaine de cartes, parfois deux ou trois pions, vendus à un prix lui aussi très modeste, sont depuis assez longtemps à la mode au Japon, où le plus connu est sans doute Love Letter, de Seiji Kanai. S’ils existent depuis longtemps aussi en Europe en aux Etats-Unis, avec par exemple dans les années 1990 de petites perles comme Pico ou Flinke-Pinke, ils n’avaient pas jusqu’ici rencontré le même succès. Ils semblent depuis deux ou trois ans devenir à la mode, peut-être en réaction contre les kickstarters surproduits, surchargés de plastique et de règles. Le format initié par Button Shy, 18 cartes dans une pochette de carte bleue, s’avère particulièrement efficace. 18 cartes, c’est un tiers de 54, ce qui permet d’imprimer trois exemplaires du jeu sur une planche de jeu de cartes classique. Une pochette de carte bleue, c’est assez classe, on dirait vaguement du cuir. Cela donne des jeux à l’a présentation élégante qui peuvent pourtant être vendus pour un prix très modeste, moins de 10$ ou €.

Du coup, j’ai acheté toute la série des jeux Button Shy, avant de me rendre compte qu’un tiers d’entre eux étaient des jeux solo, auxquels je ne jouerai jamais parce que, seul, je préfère toujours prendre un livre. Heureusement, d’autres, notamment parmi les jeux à deux joueurs, sont excellents. J’ai notamment apprécié Avignon, Les Bons Contes ou Hiérarchie, mais il en reste de très nombreux auxquels je n’ai pas encore joué. D’autres éditeurs se lancent aussi dans ce format, à commencer par mes amis de Matagot, qui distribuent déjà en France les jeux de Button Shy. Ils ont débuté l’an dernier avec Western Legends Showdown, un jeu à deux dont Bruno Cathala dit beaucoup de bien, il va falloir que j’y joue. Ils publient aujourd’hui 6 Suspects.

je me suis donc lancé le défi de réaliser moi aussi quelques petits jeux dans ce format 18 cartes Sur les quatre que j’ai imaginé jusqu’ici, deux ont trouvé un éditeur mais ont vu leur nombre de cartes augmenter un peu pour être jouable à 3 ou 4 et non seulement à 2 comme mes premières versions. Ce sont Migo et Cocktails de fruits, tous les deux publiés par Ghost Dog. Un tel bricolage n’était pas nécessaire pour 6 Suspects, l’un des rares jeux de 18 cartes pouvant être joué sans changement de règle de 2 à 8 joueurs.

6 Suspects est un jeu d’observation, de déduction logique et de mémoire. Les cartes représentant les six suspects éponymes, Albert, Brigitte, Charles, Denise, Eric et Francine (l’action doit se passer en France dans les années 60 ou 70), sont alignées sur la table. Sous chacune d’entre elles sont placées deux cartes indice, faces cachées. Le suspect dont les deux cartes indice ont la valeur totale la plus élevée est le coupable, mais une bonne partie des cartes ont des effets spéciaux, se recopiant, s’annulant ou déplaçant d’autres cartes. Chacun à son tour regarde l’une des douze cartes indice, puis la remet en place. Lorsqu’un joueur pense connaître le coupable, les autres regardent encore une carte et, simultanément, tous les joueurs désignent l’un des suspects. On révèle alors tous les indices et, après quelques calculs, on voit qui avait raison.

Eric est coupable.

Si les règles sont simplissimes, le processus de déduction est parfois un peu tarabiscoté, et c’est là que réside l’intérêt d’un jeu qui encourage à la prise de risque. Pour devancer ses adversaires, il faut souvent déclencher la fin de partie avant d’être sûr de son fait, et du coup, il peut arriver que l’on se trompe.

Les illustrations décalées de Gjermund Bohne situent l’action dans le même univers qu’un gros jeu paru il y a deux ou trois ans chez Matagot, Bad Company, auquel il va aussi falloir que je joue un de ces jours.

6 Suspects
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Gjermund Bohne
2 à 8 joueurs – 10 minutes
Publié par Matagot
Boardgamegeek



Microgames, games with a minimalistic content, usually more or less twenty cards and sometimes two or three tokens, are relatively common in Japan, the best known being Seiji Kanai’s Love Letter. There has also been such cheap light games in Europe and in the US for a while, for example forgotten gems like Pico or Flinke Pinke in the nineties, but they didn’t have the same success so far. These last years, though, they are becoming more popular, may be as a reaction against overproduced kickstarters, overcharged with rules and plastic. The format introduced by Button Shy games, 18 cards in a credit card sleeve, seems to be especially efficient and successful. 18 cards is one third of 54, which means it’s possible to print three copies of a game on a standard 54 cards plate. Credit card sleeves also look vaguely like leather. This makes for elegant looking and cheap to produce games, usually sold for less than 10 $ or €.

As a result, I bought the whole Button Shy line, before noticing than a third of them are solo games which I will probably never play – when I’m alone, I find a book more challenging and entertaining than a game. Luckily, there are a few gems among the other ones, mostly two player games such as Wonder Tales, Avignon or Hierarchy, and there are still many I have not tried yet. Other publishers are starting to follow and publish games in this format, among them my friends at Matagot, who are already distributing Button Shy in France. They started with a two player game, Western Legends Showdown, which Bruno Cathala highly recommended to me but which I’ve not found an opportunity to play yet. They are now publishing my 6 Suspects.

Two years ago, I decided to give at designing games in this very specific format. I’ve designed four so far, but two have seen the number of cards increase so that they can accommodate more than two players. These are Migo and Fruit Cocktails, both published by a young French company, Ghost Dog. This was not necessary for 6 Suspects, which can be played from 2 to 8 players with the same 18 cards.

6 Suspects is an observation, deduction and memory whodunnit game. The six eponymous suspect cards, Albert, Brigitte, Charles, Denise and Francine (looks like it happened in France in the sixties) are placed in a row on the table. Under each suspect cards are dealt two face down clue cards. The suspect whose two clue cards have the highest total value is the culprit, but half of the cards have special effects, such as copying, cancelling or swapping other cards. Each player on turn secretly looks at a card and places it back face down. Once a player thinks they know the culprit, all other players can look at one more card and, simultaneously, every player designates the character they think did it. All clue cards are then revealed to determine the culprit.

This one is really tricky, but Brigitte and Denise did it together.

While the rules are extremely simple, the deduction process can be a bit convoluted due to the many special effect cards. This brings into the game some logical thinking, but also some risk taking. Even when you are not sure who did it, ending the game can be a good move if you think you have better odds than your rivals at finding the criminal. Of course, it doesn’t always work….

The six suspects were drawn by Gjermund Bohne, in the same style and universe as those of another Matagot game, Bad Company, which I also have to play one of these days.

6 Suspects
A game by Bruno Faidutti
Art by Gjermund Bohne
2 to 8 players – 10 minutes
Published by Matagot
Boardgamegeek

Jednorożcze
Les licornes
Unicorns

Jednorożce – les licornes en polonais- est une nouvelle édition de Attila, un petit jeu de stratégie pour deux joueurs, très simple et rapide, du genre que l’on penserait plutôt sorti du cerveau de l’autre Bruno, Bruno Cathala. Sur un plateau dont les cases disparaissent une à une, chacun à son tour fait bondir un pion à la manière d’un cavalier d’échecs, le but du jeu étant d’être le dernier à pouvoir se déplacer. J’avais écrit l’histoire de la conception de ce jeu en 2015, lors de la sortie de la première édition chez Blue Orange, je n’ai pas grand-chose à y ajouter.

Toutes les pièces se déplaçant comme le cavalier du jeu d’échecs, les thèmes possibles tournent tous autour de la même idée, cavalcade, tournoi. Curieusement, je n’avais pourtant pas pensé à faire des ces chevaux des licornes, c’est la petite équipe polonaise de Moduko qui me l’a proposé, et je pouvais difficilement refuser.

Moduko n’a en principe les droits sur ce jeu que pour la Pologne, mais si vous voulez publier ça ailleurs avec les jolis dessins de licornes dans les nuages de Tomasz Larek, contactez-moi, on peut certainement s’arranger.

Jednorożce
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Tomasz Larek
2 joueurs – 10 minutes
Publié par Moduko (2024)
Boardgamegeek



Jednorożce – Unicorns in Polish – is a new version of Attila, a light and fast paced two-player strategy game which probably feels a bit like it was designed by the other Bruno, Bruno Cathala. On a board whose spaces vanish one after the other, each player on turn moves a piece like a Chess knight, the goal being to be the last player able to make a move. You can read more details about the game’s idea in the design diary I wrote when the first edition was published, in 2015 – I have very little to add.   

Since all pieces move like a Chess knight, all possible settings for his game have horses. Surprisingly, the idea of changing these horses into unicorns was not mine. It came from the small polish team at Moduko, but it’s the kind of offer I can’t refuse.  

Theoretically, Moduko has only the Polish rights for this game, but if you want to publish it anywhere else with the cute unicorns in the clouds art by Tomasz Larek, just email me, I’m sure we can arrange something.

Jednorożce
A game by Bruno Faidutti
Art by Tomasz Larek
2 players – 10 minutes
Published by Moduko (2024)
Boardgamegeek

Mystère à l’Abbaye, 3e édition
Mystery of the Abbey, 3d edition

Le financement participatif n’est plus, dans l’édition ludique, une nouveauté mais je continue à me poser pas mal de questions sur l’impact de Kickstarter, et aujourd’hui de son concurrent Gamefound, sur le marché du jeu.
Côté plus, cela permet la sortie de jeux très ambitieux, ou de rééditions, comme aujourd’hui avec The Artemis Odyssey et Mystère à l’Abbaye, qui n’auraient sans doute pas vu le jour sans cette possibilité. Cela a permis l’apparition de  tout un écosystème de petits studios d’édition, les italiens de Mojito Games en sont un, qui n’auraient  pas pu financer de tels projets par les procédés plus classiques. J’achète d’ailleurs beaucoup de jeux sur Kickstarter, un peu moins sur Gamefound.
Côté moins, cela encourage les jeux surproduits, plein d’extensions et de matériel inutile à une époque où l’on devrait plutôt chercher la sobriété. Cela ne profite guère aux tout petits jeux, qui sont de plus en plus mon centre d’intérêt, et contribue à ce que le milieu des joueurs reste un milieu d’initiés. Surtout, même avec l’invention récentes des pledges groupés pour les revendeurs, cela marginalise les boutiques spécialisées, un peu comme Amazon et les liseuses tuent lentement les librairies.

Pour les auteurs, c’est compliqué. Je n’aime pas le travail de promotion supplémentaire sur les réseaux sociaux que nous devons faire, ou que nous sentons obligés de faire, lorsque l’un de nos jeux arrive sur Kickstarter ou Gamefound, mais je suis content lorsque cela permet la sortie d’un jeu qui n’aurait sans doute pas été publié autrement, et c’est le cas de cette nouvelle édition. Et puis, il y a le problème du calcul des droits d’auteur sur les jeux en financement participatif. Si l’on accepte un pourcentage un peu plus faible du CA éditeur parce que le jeu sera vendu directement, on se retrouve lésé lorsque, après le lancement initial, il est retiré pour une vente en boutique. Et les contrats avec plusieurs taux selon le mode de distribution deviennent vite des usines à gaz. Ou alors, on base les contrats sur le prix boutique, mais on tombe alors dans d’autres problèmes….

Je ne sais même plus ce qu’il y a à ce sujet dans le contrat de Mystère à l’Abbaye, il faudrait que j’aille vérifier, mais je suis très heureux de voir arriver cette nouvelle version de ce qui fut l’une de mes premières collaborations avec mon ami Serge Laget. Il est malheureusement mort avant d’avoir pu voir les boites de cette troisième édition, ni d’ailleurs celles de The Artemis Odyssey ou celles de Castel (et je commence à me demander si ce dernier va vraiment sortir).

La troisième édition de Mystère à l’Abbaye est publiée par un petit éditeur italien, Mojito Studios, qui s’est fait une spécialité des rééditions un peu luxueuses de jeux des années 2000. Avant de signer, Serge et moi avon d’ailleurs demandé l’avis de Bruno Cathala et Ludovic Maublanc, auteurs de Cléopatre et les Architectes, qui nous ont dit que tout s’était très bien passé pour eux et que l’on pouvait y aller. Tout s’est aussi très bien passé pour nous.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Mystère à l’Abbaye est t un jeu de déduction familial d’un format très classique, hommage tout à la fois au Cluedo, pour les mécanismes, et au Nom de la Rose, pour l’histoire, même si le jeu prend bien des libertés avec ces deux sources d’inspiration. Un moine est mort, et ses collègues, les joueurs, enquêtent pour trouver l’assassin. Des cartes permettent d’innocenter certains occupants de l’abbaye, les livres de la bibliothèque donnent accès à des indices, et les rumeurs circulent à la sortie de la messe. Quand on en sait trop, il faut parfois faire vœu de silence. Vous trouverez plus de détails dans l’article que j’avais consacré, en 2012, à la deuxième édition.

Les changements sont peu nombreux pour cette nouvelle édition, for joliment illustrée par Naïïade. Par souci de simplification, nous avons retiré du jeu de base la Crypte, que peu de joueurs utilisaient, mais elle revient sous la forme d’une mini-extension avec le kickstarter, tout comme quelques nouvelles cartes sorties pour moitié de notre imagination ou de celle de l’éditeur, pour moitié des forums assez actifs consacrés à ce sujet. Les Templiers de l’édition Days of Wonder, dont on se demandait un peu ce qu’ils faisaient là, sont enfin redevenus des Dominicains comme dans la toute première édition, chez Multisim. Comme pour Cléopatre, l’édition devrait être assez luxueuse, tout ça. Elle est prévue pour l’instant en Anglais, Italien et Espagnol, mais il y aura probablement, peut-être plus tard, des boîtes en français. Je trouverais rigolo de faire une version en latin, mais je ne suis pas certain qu’il y ait un marché pour cela, et mon latin un peu rouillé n’est pas assez bon pour prendre en charge la traduction.

Mystère à l’Abbaye
Un jeu de Serge Laget et Bruno Faidutti
Illustré par Naïïade
3 tà 6 joueurs – 60 minutes
Publié par Mojito Studios
Prévu pour 2024
Boardgamegeek



Boardgames Crowdfunding is nothing new any more, but I am still wondering what will be the lasting effects of Kickstarter, and now its competitor Gamefound, on the boardgame market and business. On the bright side, it makes possible the publishing of ambitious projects, or of new editions of older games sur as, for example, The Artemis Odyssey  and Mystery of the Abbey, which would probably not have been possible without it. It made possible the emergence of a bunch of new small publishers such as the Italian Mojito Games, which would not have found the funds to start their business otherwise. I buy many such games on Kickstarter, and a few ones on Gamefound. On the dark side, it favors big and often overproduced games, filled with unnecessary expansions and showy components, in a time where we should focus on sobriety. It’s not made for smaller and lighter games, on which I am focusing on now. It makes boardgames an even more geeky and insiders’ world. Most of all, even when some campaigns now have shop grouped pledges, it marginalized the friendly local game shops, a bit like Amazon and tablet are slowly killing bookshops.

On the designer’s side, things are also ambiguous. I don’t like the extra work of promoting a new Kickstarter or Gamefound campaign on social networks, but I am happy when, like with this new edition of Mystery of the Abbey, it makes possible something which would probably never have happened otherwise. The royalty rate is also an issue. If we accept a smaller rate based on turnover because the game will be sold directly, we end up wronged if, after the initial crowdfunded print run,  a new one one is made for standard shops. On the other hand, contracts with different rates depending on the distribution network soon become Rube-Goldberg machines. And it’s another story if based on MSRP.

I don’t remember what we decided for Mystery of the Abbey, I should check, but I am very happy to see that one of my first codesigns with my late friend Serge Laget is back. Serge unfortunately died too soon to see the copies of this next edition, as well as those of the Artemis Odyssey or of the new Castle – if the latter is finally published, which is far from certain.

The new edition of Mystery of the Abbey is published by a small Italian publisher, Mojito Studios, who specializes in luxuous remakes of classic games from the 2000s. Before signing with them, Serge and I asked Bruno Cathala and Ludovic Maublanc, the desiners of Cleopatra and the Society of Architects, for advide. They told us everything went well for them, so we followed. We were right, everything went well for us as well.

Mystère à l’Abbaye is a family-style deduction game, inspired by Clue / Cluedo for its mechanisms, and by Umerto Eco’s Name of the Rose for its background story, but it takes liberties with both its sources. A monk has been killed, and its colleagues, the players, investigate the murder. Cards help to exculpate some of the Abbey monks, the library books give hints, and rumours fly around after the mass. When someone knows too much, it might be better to make a vow of silence. More about it in the blogpost I wrote in 2012 for the second edition.

There has been very few changes for this new version, with gorgeous art by Naïïade. For the sake of Simplicity, the Crypta, which few players really used, has been removed, but it’s back as an optional expansion with the Kickstarter, together with a dozen of extra cards, half o which come from the various internet forum discussions about the game. The Templars of the Days of Wonder version, who had no reason to be there, are back as Dominicans, like in the very first French edition, and it makes more sense. The components should be as gorgeous as those in Mojito Studio’s last offering, Cleopatra and the Society of Architects. So far, only English, Italian and Spanish language copies are scheduled, but there will probably be a French version, may be a few months later. I would love to see a Latin version of the game, but I’m not sure there’s a market for it, and my rusty Latin is not good enough to do the translation.

Mystery of the Abbey
A game by Serge Laget et Bruno Faidutti
Art par Naïïade
3 to 6 players – 60 minutes
Published by Mojito Studios
Scheduled for 2024
Boardgamegeek

Une modeste année ludique
A Modest Gaming Year

2019 a été pour moi une année relativement modeste, avec seulement trois jeux publiés. Le Petit Poucet, avec Anja Wrede, sera le tout dernier de la belle série des Contes et Jeux, chez Purple Brain. Tonari, joliment édité par IDW, est une remise au goût du jour d’une vieille idée d’Alex Randolph. Animocrazy est une nouvelle version de Democrazy, publié par un éditeur de Hong Kong, Jolly Thinkers, dans une édition bilingue anglais-chinois  Si les trois ont eu de bonnes critiques, je n’ai pas l’impression qu’ils soient de grands succès commerciaux.

Si tout se passe comme prévu, 2020 devrait être bien plus riche en nouveautés, avec une petite dizaine de jeux dans les tuyaux, même s’il est probable que quelques uns finiront, comme toujours, par prendre un peu de retard. 

Les premiers arrivés seront tous de petits jeux de cartes, mais dans des styles bien différents. Dans Vintage, illustré par Pilgrim Hogdson et publié chez Matagot, les joueurs collectionnent, et à l’occasion volent, des objets des années 50, 60 et 70. Dans Poisons, conçu avec Chris Darsaklis, illustré par Marion Arbona et publié chez Ankama, les joueurs sont des nobles attablés à un banquet et désireux de boire le plus possible sans se faire empoisonner. Dans Stolen Paintings, chez Gryphon Games, ils sont voleurs d’œuvre d’arts ou détectives tentant de les retrouver. Dans Gold River, version revisitée de La Fièvre de l’Or, ce sont des chercheurs d’or durant la ruée vers l’ouest. Dans Vabanque, un très vieux jeu conçu avec Leo Colovini qui n’avait jusqu’ici été publié qu’en allemand et en japonais, ils jouent, bluffent et trichent un peu au casino. Dans Reigns – The Council, avec Hervé Marly, l’un d’entre eux est le roi, les autres sont des courtisans s’efforçant, comme dans le jeu sur téléphone, d’influencer les décisions. Maracas, avec le même Hervé Marly, est un jeu qui se joue avec une maracas – vous devriez deviner aisément qui est l’éditeur en regardant la photo.

Je n’ose plus donner de date pour Ménestrels, conçu avec Sandra Pietrini et joliment illustré par David Cochard, dont, après quelques années de retard, j’attendais la sortie en 2019. L’éditeur rencontre quelques difficultés, mais j’espère que le jeu finira par arriver – et si ce n’est pas le cas, on lui cherchera un nouvel éditeur.

La fin de l’année, si tout va bien, devrait voir arriver des projets plus ambitieux et plus inhabituels, et même une ou deux grosses boites de jeu comme je n’en ai plus publié depuis quelques temps, avec des vampires, des nains et des trolls, de l’or, des pierres précieuses et du métal. Mais ça, je vous en parlerai plus tard.

 

J’espère que, dans un marché un peu encombré, mes nouvelles créations vont se vendre un peu car, confronté à l’immense gâchis (pour parler poliment) de la réforme du lycée, j’envisage  de plus en plus sérieusement, et un peu lâchement, de déserter l’éducation nationale. Si j’ai commencé l’enseignement un peu par hasard, c’est devenu une passion, mais cela ne peut en rester une que si je peux faire mon métier de prof honnêtement, c’est à dire enseigner des programmes qui ont du sens, dans des conditions correctes, et avec un minimum de liberté pédagogique. Tout cela ne va clairement plus être possible dans le cadre de la nouvelle organisation du lycée et du baccalauréat, qui brise en outre les solidarités entre enseignants et entre élèves auxquelles j’étais très attaché. Face à une réforme qui est au mieux un mélange absurde d’incompétence, d’improvisation et d’autoritarisme, au pire une stratégie délibérée d’humiliation et de précarisation subjective des enseignants, des élèves et des personnels de direction, beaucoup de profs sont désespérés et rêvent de s’en aller. Je suis l’un des rares à pouvoir se le permettre.

Abandonner l’enseignement impliquerait aussi de ne plus me consacrer qu’au jeu. Financièrement, ce ne devrait pas être un problème à court terme, même si je continue à penser que le marché du jeu a connu, ces dernières années, une croissance sinon artificielle, du moins trop rapide pour être durable. Entre la surproduction et la concurrence accrue, qu’elle soit en boutique et sur kickstarter, et des modes dans lesquelles je ne me reconnais pas toujours, je ne suis cependant pas certain d’être très à l’aise si j’essaie de m’impliquer plus avant dans le monde de l’édition… mais qui sait ! L’éducation m’apportait jusqu’ici un certain confort moral, le sentiment de faire un boulot qui a du sens, un boulot socialement utile, quand la caractéristique fondamentale du jeu, et celle qui fait tout son charme, est qu’il ne sert absolument à rien – mais il est vrai que c’est justement la perte programmée de ce sens qui me fait songer à quitter l’enseignement.

À propos des modes et tendances qui m’énervent un peu…. Je ne suis pas résolument hostile à Kickstarter, je suis même plutôt bon client et pense que cela va rester, mais je n’aime pas, quand l’un de mes jeux s’y retrouve, devoir faire la promotion de la campagne sur twitter et Facebook de manière un peu trop appuyée. Les jeux hybrides me semblent plus souvent le cul entre deux chaises que le meilleur des deux mondes, même si cela va peut-être s’arranger. Alors même que, dans les années quatre-vingt, j’avais bien aimé les livres dont vous êtes le héros, les Escape game en boîte (et ceux en vrai aussi) me font plus l’effet de casse-tête que de jeux de société. Les jeux Legacy demandent bien trop de temps et de régularité pour que j’y joue, bien trop de temps et de travail pour que j’essaie d’en concevoir. Pour compenser cela, Horrified et Pandemic – Fall of Rome m’ont un peu réconcilié avec les jeux coopératifs.

Si je râle un peu contre quelques modes, je constate cependant qu’il n’y a jamais eu autant non seulement de nouveaux jeux, mais surtout de bons voire d’excellents jeux publiés. Voici donc un petit choix parmi mes découvertes de cette année – mais il y a sans doute des jeux tout aussi bons, voire meilleurs, parmi tous ceux auxquels je n’ai pas joué.

Mr Face de Jun Sasaki et Selfie Safari de David Cicurel sont deux petits jeux d’ambiance sur les visages, aussi idiots que rigolos, et qui marchent toujours. Le second est d’ailleurs un jeu hybride, chaque joueur ayant besoin d’un téléphone, ce qui montre que je n’y suis pas totalement réfractaire. De la cafetière viennent deux autres petits jeux d’ambiance rigolos, Super Cats et Ninja Academy, j’ai même remporté un petit concours où il fallait imaginer une carte d’extension pour ce dernier. La même équipe, ou à peu près, a conçu le plus sérieux mais encore assez rapide Draftosaurus. Oriflamme, de Adrien et Axel Hesling, a tout d’un jeu de Bruno Faidutti, avec ses cartes tantôt cachées, tantôt visibles, et qui parfois se déplacent.  Die Quacksalber von Quedlinburg, de Wolfgang Warsch – Les Charlatans de Beaucastel en français – est un excellent jeu familial à l’allemande, qui mêle agréablement chance, prise de risque et planification – pour les pros, c’est du « bag building ». Flick of Faith, de Paweł Stobiecki, Jan Truchanowicz and Łukasz Włodarczyk, est un adorable jeu de pichenettes et de majorité avec votes et pouvoirs spéciaux, mélange improbable mais léger et très réussi. Scorpius Freighter, de Mathew Dunstan et David Short, est un jeu de pick-up and deliver particulièrement chafouin, pour utiliser un adjectif cher à l’autre Bruno, et malheureusement passé totalement inaperçu. Il fallait un jeu japonais dans la liste, c’est Master of Respect, de Kentaro Yazawa, un très dynamique et très mignon jeu de gestion d’une école d’arts martiaux – pourquoi pas ! Hadara, de Benjamin Schwer, est tellement fluide, bien conçu et bien édité qu’il m’a réconcilié avec un genre que je n’appréciais plus guère, les jeux de gestion de ressources allemands un peu froids et abstraits. Res Arcana, de Tom Lehmann, m’a quant à lui réconcilié avec les jeux de cartes à combinaisons tarabiscotées, même s’il reste un peu trop technique pour mon goût. Dans la même catégorie, mais bien plus légers quand même, j’ai aussi beaucoup aimé Abyss Conspiracy, de Bruno Cathala et Charles Chevallier, même si je n’en comprends ni le thème, ni le graphisme, ainsi que Nine, de Gary Kim. Horrified, de Prospero Hall, très américain, un peu baroque et pas trop au sérieux, est un jeu de coopération très agréable, même pour ceux qui, comme moi, n’apprécient pas trop le genre. Je ne pratique pas non plus beaucoup les jeux à deux, mais j’ai vraiment adoré Nagaraja, de Bruno Cathala et Théo Rivière, beaucoup plus agressif qu’il n’en a l’air.

La fréquentation de ce blog baissait depuis quelques années, et était passé en 2018 sous les 300 visiteurs par jour. En 2019, avec une actualité personnelle pourtant moins fournie, les visites sont redevenues plus nombreuses, ce qui m’encourage à continuer à écrire ici. Le nouvel article le plus visité a été celui sur la scène ludique iranienne, Jouer à Téhéran. Viennent ensuite un article déjà ancien, Décoloniser Catan, puis la présentation de mon jeu Kamasutra – mais dans ce dernier cas, je soupçonne des moteurs de recherche facétieux.

Ceci était la première et la dernière fois que je formatais et postais un article de blog entièrement sur mon ipad. C’est sûrement plein de fautes, et j’espère que c’est lisible sur un ordinateur….


2019 has been a modestly productive year for me, with only three games published. Lost in the Woods, designed with Anja Wrede, is the very last in the Purple Brain’s Tales and Games series. Tonari, gorgeously published by IDW, develops an older Alex Randolph’s design. Animocrazy is new version of Democrazy, in a bilingual Chinese / English edition by Hong Kong publisher Jolly Thinkers. All three got good reviews, but I don’t think they’ve been real hits so far.

If everything works as scheduled, I should have many more new designs in 2020, about ten, even when, as usual, a few ones will certainly be delayed. First will come several light games, in very different styles. In Vintage, published by Matagot with art by Pilgrim Hogdson, players sell, collect and occasionally steal vintage items from the 50s, 60s and 70s. In Poisons, designed with Chris Darsaklis, illustrated by Marion Arbona, and published by Ankama, they are nobles at a banquet, trying to drink as much as possible while avoiding getting poisoned. In Stolen Paintings, published by Gryphon Games, they are art thieves or detectives trying to find the stolen paintings. In Gold River, a modernized version of Boomtown published by The Lumberjacks, they are gold diggers during the gold rush. In Vabanque, an old co-design with Leo Colovini which had so far been published only in German and Japanese, they’re bluffing their way to riches in Casinos – unfortunately, I’m afraid the new version will be only in French ! In Reigns – The Council, with Hervé Marly, one of them is the king and the other ones are courtiers and advisors trying to influence his decisions, just like in the phone game. Maracas, designed with Hervé Marly, is a game played with a (special) Maracas. You should guess who the publisher is from looking at the picture.

 

I won’t give any more publishing deadline for Minstrels, designed with Sandra Pietrini and gorgeously illustrated by David Cochard. It has already been delayed a few times, but I really expected it to be published in 2019. The publisher has some problems, but I still hope the game will be there soon. If it really doesn’t work, we’ll look for another publisher.

I ought to have more ambitious designs, some of them in big boxes, at the end of the year. Big boxes with vampires, dwarves and trolls, with gems, gold and metal. More about it in a few months.

 

I really hope that, in a an already overcrowded market, some of my new games will sell well because I’m seriously, and a bit cowardly, considering quitting my daily job, as an economics and sociology teacher. The French high school reform which started to be implemented this year is absolutely catastrophic. Many French high school teachers would like to quit, I happen to be among the few ones who can afford it.  More details about it in the French text, I don’t think my english speaking readers will be much interested in this.

Of course, quitting teaching would mean devoting all of my working time to boardgames. Financially, I can afford it, at least in the short term, even when I still think the boardgame market growth these last years has been if not artificial, at least too fast to be sustainable much longer. Overproduction leads to increased competition, both in shops and on kickstarter, and while I like competition in gams, I don’t like it in real life. There are also a few recent trends I don’t necessarily like. That’s why I’m not sure I would feel at ease if I were to invest more time and energy in the game publishing business… but who knows ! Teaching is providing me with moral comfort, with the knowledge that I’m doing a meaningful and useful job, while the very essence of games, and what makes their charm, is that they are totally devoid of meaning or utility.

Here are some of the recent trends I’m wary of. I don’t really dislike Kickstarter. I think it’s here to stay, and I’m even a compulsive pledger, but I dislike having to support a campaign for my own games, posting too often and too aggressively on Twitter and Facebook. I think hybrid games usualy don’t bring the best of both worlds but fall between two stools – though I have hopes this will slowly improve. In the eighties, I really enjoyed reading choose your own adventure books, but I’m now bored by most « escape rooms in a box » – and in fact by most escape rooms, which feel more like puzzle than like games. Legacy games require too much time, dedication and regularity to play, too much time, dedication and work to design. At least, this year, the excellent Horrified and Pandemic – Fall of Rome made me reconsider my old hostility to cooperative games.

OK, I play the old boomer and rants against some trends, but I’m also impressed by the number not only opf games, but of outstanding games published now. Here comes a short list of my 2019 discoveries, but there are probably even better games among the hundred ones I’ve not played.

Jun Sasaki’s Mr Face and David Cicurel’s Selfie Safari are two fun party game about faces, fun and stupid, which work with everyone. The latter is a hybrid game, since every player needs their phone, which proves I’m not totally hostile to the genre. The coffee machine team has designed two other fun light party games, Super Cats and Ninja Academy – I even won an expansion card design contest for the latter. They also designed the more serious, though still fast paced, Draftosaurus. Adrien and Axel Hesling’s Oriflamme feels very much like one of my own designs, with its face up and face down cards – no wonder I enjoyed it a lot. Wolfgang Warsch’s The Quacks from Quedlinburg is your typical middle weight German family game, but it’s a really good one with the right mix of luck, programming and risk taking – it’s what pros call a « bag building » game, as if one could build a bag. Flick of Faith, by Paweł Stobiecki, Jan Truchanowicz and Łukasz Włodarczyk, is a really fun and light flicking / majority games with special powers and even some voting, on a fun and provocative theme, rival religions. Matthew Dunstan & David Short’s Scorpius Freighter an intricate pick-up and deliver game about space smugglers – which might explain why it went largely under radar. I had to put a Japanese game in this list, it’s Master of Respect, by Kentaro Yazawa, in which players are rival old masters of martial arts trying to form the best students – why not… Benjamin Schwer’s Hadara is a heavy German resource management game, a genre I’m supposed to be tired of, but it’s so fluid, well designed and well published that I really enjoyed playing it – even when I still have no idea what its theme is. Tom Lehman’s Res Arcana reconciled me with combo card games, even when it’s still a bit too technical for me. I’m more likely to play lighter games such as Bruno Cathala and Charles Chevallier’s Abyss Conspiracy – even when I don’t understand its art and setting – or Gary Kim’s Nine. Horrified, by Propspero Hall, is an american style game, slightly baroque and not too serious, extremely enjoyable, even by one who usually doesn’t care for cooperative gaming. I also don’t play many two player games, but I really enjoyed Nagaraja, by Bruno Cathala and Theo Rivière, which is much more interactive than it first looks.

This blog’s visiting figures were declining for a few years, and went for the first time under 300 visitors daily in 2018. In 2019, even though I had fewer new games, it started to go up again, which means it still makes sense to post long articles here. My most visited blogpost was Boardgaming in Tehran. The next ones are older stuff, first my long essay about Postcolonial Catan, then the presentation of my Kamasutra game. I suspect this last one is due to mischievous search engines.

This was the first and last time I entirely wrote, formatted and posted a blogpost entirely from my iPad. I’ll never do it again.

Attila

Attila-couv

En 451, la bataille des champs catalauniques, en Champagne, marqua l’extrême avancée vers l’Ouest des nomades Huns, venus d’Asie centrale. Elle opposa l’armée romaine du général Flavius Aetius à la horde d’Attila, mais on aurait tort d’y voir l’affrontement entre la civilisation et la barbarie. L’armée d’Aetius comptait sans doute plus de cavaliers wisigoths que de légionnaires romains, et, aussi surprenant que cela paraisse aujourd’hui, les deux chefs d’armée se connaissaient bien. Aetius, entre 405 et 408, avait été envoyé comme otage de Rome à la cour du roi des huns Alaric. Entre 408 et 412, le prince Hun Attila avait à son tour séjourné à la cour de Rome, où les deux jeunes aristocrates s’étaient liés d’amitié.
Aux champs catalauniques, c’est Aetius qui l’emporta, mais les Huns d’Attila étaient encore menaçants, capables de mener des raids sur le nord de l’Italie. Ce n’est qu’après la mort subite d’Attila, en 453, durant la nuit de noces de son cinquième ou sixième mariage, que les Huns, divisés, commencèrent à refluer vers l’Asie. Aetius fut, quant à lui, assassiné sur les ordres de l’empereur Valentinien, qui voyait dans le général victorieux un potentiel rival – l’un de ses conseillers lui reprocha d’avoir « tranché sa main droite avec sa main gauche ».

Attila-proto

Si les jeux de cartes à information imparfaite et plus ou moins manipulable sont devenus ma spécialité, ils n’ont jamais été mon seul centre d’intérêt ludique. Il fut un temps, il y a bien longtemps, où je ne jouais pas trop mal aux échecs, au go ou à l’awele. J’en ai gardé un certain intérêt pour les jeux de stratégie abstraits et tout particulièrement les jeux d’empilement, d’alignement ou de blocage – surtout lorsqu’ils sont relativement simples et rapides.
Cet intérêt n’a pas suscité beaucoup de créations, parce qu’il est un peu velléitaire, parce que j’ai peu d’occasions de jouer à deux, et parce qu’en matière de jeux simples et abstraits, il est facile d’avoir des idées mais rare d’en avoir qui soient vraiment originales. Il y a une quinzaine d’années, j’avais ainsi conçu, à la manière d’une trilogie, trois jeux de stratégie minimalistes. L’un a été publié sous le nom de Baylone, puis amélioré pur devenir Soluna. Un second a été abandonné lorsque je me suis aperçu qu’il était quasiment identique au Six de Steffen Mühlhaüser – et c’est d’ailleurs ainsi que j’ai rencontré l’éditeur de Soluna. Le troisième s’est d’abord appelé Cavalcade.

pic2375883_lg

Comme Babylone / Soluna, Cavalcade / Attila est un jeu de blocage dans lequel le joueur qui n’a plus aucun coup possible a perdu. La première version se jouait sur un plateau carré de trois cases de côté. Chacun y disposait de trois cavaliers d’échec, et le but était, déjà, d’immobiliser l’autre joueur. Vous pouvez essayer, c’est lassant si l’on peut reculer, et pas très intéressant si l’on ne peut pas. Pourtant, j’ai toujours gardé cette idée dans un coin de ma tête. Il y a une dizaine d’années, je l’adaptai pour un projet collectif, finalement jamais publié, de recueil de règles pour jouer avec le matériel du jeu babylonien d’Ur, dont les règles authentiques ne sont pas connues mais dont il est probable que c’était un jeu de course de la famille du backgammon. Finalement, il y a deux ans, m’est venu l’idée d’ajouter à mon jeu un deuxième mécanisme, celui des cases qui disparaissent, emprunté à Isola, de Bernd Kienitz, un jeu que j’ai joué dans ma jeunesse. Cela permettait d’agrandir le plateau de jeu et d’avoir enfin des parties vraiment différentes les unes des autres, donnant enfin au jeu la rejouabilité qui lui manquait. Les cases qui disparaissent suggéraient l’herbe qui ne repousse pas, ce qui donna au jeu son thème et son nom, Attila. Bien sûr, il semblerait thématiquement plus cohérent que ce soit toujours la case d’où le dernier cheval a sauté qui soit détruite, mais vous pouvez essayer, cela ne fonctionne pas.
Attila est donc un jeu de stratégie abstrait mais, comme Soluna, c’est un jeu simple et très rapide, qui se joue en une quinzaine de coups, et dans lequel le vainqueur est donc celui qui aura su anticiper un coup plus tôt que l’adversaire, ou celui qui aura su rapidement se créer plus d’ouvertures, plus de « libertés ».

Attila-pions

C’est donc avec un plateau de 5 x 5 cases, six cavaliers d’échecs, et quelques jetons pour indiquer les cases à l’herbe piétinée, que j’arrivais fin 2013 à Essen – où le jeu convainquit aussitôt l’équipe de Blue Orange. Thierry Denoual, lui-même auteur de jeux de stratégie comme Gobelet ou Dragon Face, eut ensuite l’idée du plateau de jeu modulaire, qui permet là encore de donner aux parties physionomies très différentes.
J’ai été assez surpris lorsque j’ai reçu les premières croquis de l’éditeur. Attila étant un jeu de stratégie abstrait, je m’attendais à un traitement sobre et classique, avec des cavaliers d’échecs beige set bruns, et pas du tout à des petits mickeys. J’aimais beaucoup, mais j’ai quand même demandé aux gens de Blue Orange s’ils étaient sûrs de leur coup, et s’ils pensaient qu’un style léger, rappelant vaguement Astérix, pouvait convenir à un jeu de ce type. Ils m’ont répondu que ça avait l’air de marcher pour Battle Sheep, et qu’ils avaient donc très consciemment fait le choix de continuer comme cela. C’est leur métier, ils savent ce qu’ils font !

Attila
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Cyril Bouquet
2 joueurs – 10 minutes
Publié par Blue Orange Games (2015)
Ludovox    Tric Trac    Boardgamegeek


pic2375881_lg

In 451 AD, the westward expansion of the Hun, nomads coming from Central Asia, was suddenly stopped at the battle of the Catalaunian plains, in Champagne. The Battle opposed the Roman army led by the general Flavius Aetius and the horde of Attila, but it was not, as we imagine it now, a clash of two worlds ignorant of each other, of civilization and barbarism. There were probably more visigoths riders than roman legionaries in Aetius’ army, and, surprisingly, the two generals knew each other well. The young Aetius had been sent as a hostage to the Hun court of Alaric, between 405 and 408. Then, between 408 and 412, the Hun prince Attila had been a hostage at the Roman court, where the two young aristocrats came to know each other, and became friends.
Aetius won the battle, but the Huns were still strong and menacing, launching successful raids into northern Italy. It’s only after Attila’s sudden death during his wedding night with his fifth or sixth wife, in 453, that the Huns split up and retreated into Asia. As for Aetius, he was assassinated under orders from the emperor Valentinian, who saw a possible rival under the victorious general. According to one of his counselors, the Emperor had cut his right hand with his left one.

Attila-proto

Card games in which imperfect information can be more or less manipulated by the players have become my specialty, but they have never been my only trade. A few decades ago, I was quite a good player at Chess, Go or Awele. I’m still more or less interested in abstracts, especially stacking, alignment and blocking games, especially simple and fast paced ones.
This passing interest didn’t produce many games, because it’s indecisive, because I have few opportunities to play two players games, and because it’s easy to have ideas for abstract games, but very rare to have really original ones. Fifteen years ago, I devised a light trilogy, a series of three minimalistic abstract strategy games. One has been published as Babylon, then improved to become Soluna. I had to abandon the second one when I found out it was nearly identical with Steffen Mühlhaüser’s Six – but that’s how I got in contact with Steffen, who now publishes Soluna. The third one was first named Cavalcade.

pic2375883_lg

Like Babylon / Soluna, Cavalcade / Attila is a blocking game in which the player who can’t play loses the game. The first version was played on a 3 x 3 square board. Each player had three pieces moving like Chess knights, starting from one side of the board. You can try – it’s boring and repetitive if knights can move backwards, and automatic and uninteresting if they cannot. I long kept this idea in a corner of my head (can you say this in English ?). Ten years ago, I adapted for an ambitious collective project that was never finalized, a compendium of rules that can be played with the components of the Babylonian game of Ur, whose exact rules are not known – though it very probably was a race game of the Backgammon family. Lately, two years ago, I thought of adding a second system to my game, a shrinking board with disappearing spaces, an idea borrowed from a game I played as a child, Bernd Kinietz’s Isola. Combined with a much larger board, this made for more variety and replayability. The disappearing spaces also gave the game a fitting theme, Attila, who is supposed to have said that « where my horse has passed, grass doesn’t grow again ». Of course, it would be thematically better if the space removed from the board were always the space left by the moved knight, but unfortunately it makes the game less interesting – you can try if you want.
Attila is an abstract strategy game but, like Soluna, it’s a very light and fast paced one. A full game is about fifteen moves. To win, one must anticipate one more move than the opponent, or manage to always keep one more possible move, one more liberty – like in Go.

Attila-pions

I arrived at the 2013 Essen fair with a small box containing a 5 x 5 board, six chess knights and a few black trampled grass tokens. The Blue Orange team liked it at once, and we had a deal before the end of the fair. Thierry Denoual, who has designed great abstract games like Gobblet or Dragon Face, had the idea of the modular board, adding even more variety.
I was surprised when I received the first sketches from the publisher. Since Attila is an abstract game, I was imagining something very sober and classic, with beige and brown chess like knights, not Disneyish cartoons. I asked the Blue Orange guys if they were confident such a light and humorous style could fit with an abstract game. They answered that it seemed to work for Battle Sheep, so they had very consciously decided to do it again. Well, that’s their job, let’s hope they were right !

Attila
A game by Bruno Faidutti
Graphics by Cyril Bouquet
2 players – 10 minutes
Published by Blue Orange Games (2015)
Boardgamegeek

Attila Hun

Mystère à l’Abbaye
Mystery of the Abbey

Cette abbaye tenue par les hospitaliers est une étape sur les chemins de Saint-Jacques. À votre arrivée, hier au soir, vous pensiez y trouver le calme et le repos. La découverte, au petit matin, du corps sans vie de frère Adelme, en contrebas du monastère, a rompu l’habituelle sérénité des lieux. Comment le jeune frère, aussi agile de pieds que d’esprit, a-t-il pu être entraîné dans pareille chute? Quelqu’un l’a-t-il aidé?

Mystère à l’Abbaye est un jeu d’enquête faisant part belle à l’intuition autant qu’à la déduction. Les joueurs enquêtent dans une abbaye médiévale, interrogeant moines et novices, feuilletant livres et parchemins, fouillant les cellules et le cloître. Dans une atmosphère recréée avec soin, le jeu est à la fois amusant, captivant et intense. Le matériel luxueux, l’interaction permanente entre les joueurs, le subtil jeu des questions, la dynamique de l’intrigue, font de Mystère à l’Abbaye un plaisir toujours renouvelé.

J’ai toujours été un grand joueur de Cluedo. Depuis longtemps, je rêvais de concevoir un jeu de déduction en “revisitant” le Cluedo comme mes amis de Ludodélire avaient revisité le Monopoly pour créer Supergang, comme j’avais moi-même exploité Risk et Civilisation pour faire La Vallée des mammouths.

La toute première version de ce jeu, dont il ne reste même pas une maquette, se déroulait dans un classique univers de polar. Dès la deuxième partie de test, un joueur suggérait de resituer le jeu dans un univers de science-fiction. Ainsi naquit La créature rouge avec un œil et huit tentacules. Les joueurs devaient retrouver la carte manquante en interrogeant leurs adversaires sur les cartes qu’ils avaient en main. Les questions étaient fermées, du type “combien as-tu de créatures vertes avec trois yeux et des antennes?”. Le jeu était certes intéressant, mais abominablement prise de tête, une sorte de mélange de Mastermind et de Cluedo – et j’ai découvert après coup qu’il ressemblait beaucoup au Sleuth de Sid Sackson. Je fis longtemps le tour des éditeurs avec une maquette sous le bras, pour m’entendre généralement répondre d’une part que ça ressemblait trop au Cluedo et au Master Mind et d’autre part que les jeux de science-fiction ne se vendaient pas. Je me résolus donc à reprendre le problème à l’origine, en ne gardant que le mécanisme de base des caractéristiques des suspects, qui me semblait bon.

La Créature rouge avec un œil et huit tentacules, un prototype de Hervé Marly et Bruno Faidutti.
The Red Creature with one eye and eight tentacles, a prototype by Hervé Marly and Bruno Faidutti.

Depuis longtemps aussi, je voulais collaborer avec Serge Laget, l’un des créateurs du regretté Gang des tractions avant. Je descendis donc le voir à Lyon, et nous eûmes une longue journée de brainstorming d’où il ressortit que le jeu devait se dérouler dans l’univers des “policiers médiévaux” très à la mode alors, sur un plateau représentant le monastère, où chaque pièce ou bâtiment permettrait des actions différentes. Nous nous quittâmes là-dessus, et ce fut la seule fois où nous avons effectivement travaillé ensemble, car chacun a ensuite gambergé de son côté. Craignant un peu le sérieux de Serge, grand joueur d’échecs et de 1830, je décidai d’introduire tant qu’il en était encore temps quelques éléments de chaos dans un système jusque-là bien réglé: ce furent les cartes qui tournent à chaque messe, les événements perturbant la sortie de l’office, et les questions ouvertes auxquelles on n’est pas tenu de répondre. Pendant ce temps, Serge Laget concevait le système de déplacement et le plan de l’abbaye, qui n’a quasiment pas changé entre la première maquette et la version finale.

Quelques coups de téléphone nous permirent de nous mettre d’accord, et chacun testa le jeu de son côté, avec ses équipes. Les maquettes firent le tour des éditeurs, et la version monastique excita bien plus leur curiosité que son ancêtre tentaculaire. Le jeu aboutit finalement chez MultiSim, un petit éditeur spécialisé dans les jeux de rôles.

La première version de Meurtre à l’Abbaye n’a pas été un franc succès. Il a fallu deux ans pour vendre les 3000 misérables boites françaises de la première édition, qui n’a jamais été traduite en anglais ou en allemand, et ce n’est qu’après que les collectionneurs ont commencé à me proposer des prix délirants pour un jeu dont je n’avais plus une boite.
Cet échec a sans doute plusieurs raisons. L’éditeur, Multisim, n’avait pas le réseau commercial adapté à ce genre de jeu, plus grand public que ses jeux de rôles. Les jeux de déduction, peut-être parce qu’ils sont peu nombreux (et ils sont peu nombreux parce qu’ils sont difficiles à concevoir), sont méconnus et méprisés des joueurs, qui les assimilent d’office au Cluedo (et si Meurtre à l’Abbaye est, par certains côtés, une parodie du Cluedo, ce n’est en aucune façon un clone de celui-ci). Si la maquette était assez réussie, l’éditeur, plus habitué à publier des jeux de cartes ou des jeux de rôles que des jeux de société, ne parvint qu’à produire une boite de jeu assez cheap, avec un plateau en carton souple et de vilains pions en plastique, et le tout pour un prix clairement trop élevé. En outre, Meurtre à l’Abbaye est paru alors que tous les joueurs – moi le premier – dépensaient toute leur fortune en cartes Magic.

Bref, un bon jeu sorti au mauvais moment, chez le mauvais éditeur et présenté maladroitement. Ce jeu méritait donc une seconde chance. Ayant récupéré les droits, je l’ai de nouveau proposé régulièrement à tous les éditeurs français et allemands, pour m’entendre répondre que ça ressemblait trop au Cluedo, que les jeux de déduction ne se vendaient guère, que publier un jeu à thème religieux pouvait exposer à de graves ennuis, et caetera.


Un matériel superbe, illustré par Julien Delval et Emmanuel Roudier.
Gorgeous components, illustrated by Julien Delval and Emmanuel Roudier.

 

Début 2002, alors que je n’y croyais plus guère, j’étais pourtant contacté par un franco-américain, Éric Hautemont, désireux de monter une nouvelle société d’édition de jeux de société, Days of Wonder, et qui, d’emblée, s’est montré intéressé par Meurtre à l’Abbaye. Serge, Eric et moi nous sommes rapidement entendus pour préparer une nouvelle version du jeu, avec de nombreux aménagements et clarifications des règles, mais sans aucun changement majeur.
Politiquement correct oblige, le jeu s’appelle désormais Mystère à l’Abbaye – mais c’est toujours d’un meurtre qu’il s’agit. C’est le même Cyrille Daujean, qui avait déjà réalisé la maquette de la première version, qui a également conçu la deuxième – mais avec un budget bien plus conséquent, ce qui a permis de faire appel à deux illustrateurs – Julien Delval (Citadelles, Aux Pierres du Dragon…) et Emmanuel Roudier (Castel, l’Or des Dragons). Meurtre à l’Abbaye, avec son plateau en carton fin, ses cartes en noir et blanc, ses pions et ses dés en plastique, est devenu Mystère à l’Abbaye, avec son superbe plateau de jeu, ses pions en “résine de pierre” (ça, c’est un concept!), sa clochette pour sonner la messe. Days of Wonder a en effet fait le choix de produire des jeux assez chers, certes, mais luxueux – car un beau matériel ajoute beaucoup au plaisir du jeu.

Cette seconde édition s’est fort bien vendue, suffisamment même pour que les gens de Days of Wonder se disent que les jeux d’enquête étaient, finalement, un bon créneau, d’autant que la concurrence y restait assez rare. C’est avec Antoine Bauza que mon compère Serge Laget a cette fois conçu Mystery Express, un jeu de déduction dans une ambiance très Agatha Christie, dont l’action se déroule dans l’Orient Express. Mystery Express est aussi un lointain cousin du Cluedo, mais plus sophistiqué, plus exigeant. C’est un jeu que j’apprécie vraiment, mais il était peut être trop complexe, trop sérieux et n’a pas eu le même succès commercial que Mystère à l’Abbaye. Days of Wonder a cependant voulu lui donner sa chance en ne réimprimant pas tout de suite son prédécesseur. Ils s’y sont finalement résolu, ce dont je ne peux que me réjouir – même si je regrette le relatif échec de Mystery Express.

Mystère à l’Abbaye
Un jeu de Bruno Faidutti et Serge Laget
Illustré par Emmanuel Roudier et Julien Delval

3 à 6 joueurs – 120 minutes
Publié par Days of Wonder (2003)
Ludovox          Tric Trac         Boardgamegeek


The peaceful Templars’ Abbey is a rare haven of tranquility for road weary travelers. And so you found it when you arrived late last night. That serenity was shattered this morning with the discovery of the lifeless body of Brother Adelmo at the foot of the Monastery’s cliffs. Did the usually nimble-footed Brother slip to his death? Or did someone help him in his fall?

Mystery of the Abbey is a new kind of “whodunit” game of deduction and intuition, set in a medieval abbey. Players compete and collaborate to solve the mystery by moving through the Abbey’s beautifully rendered board and questioning their brethren. Gameplay is in turn fun, captivating and tense; the atmosphere, vivid; the immersion, complete. Top notch components, constant interactivity between the players, intelligent questioning and dynamic intrigue make Mystery of the Abbey the game of choice for an hour of fun with friends and family alike.

I’ve always liked to play Clue and, for a long time, wanted to design a whodunnit game, a sort of “Clue revisited”, just as my friends at Ludodélire had revisited Monopoly to create Supergang, as I myself had explkoited Risk and Civilization to make The Valley of the Mammoths.

The very first version of the game, of which all that remains is a mock-up, took place in a classical thriller setting. From the second game, a player suggested to resituate the game in a science fiction world. Thus was born “The Red Creature with one eye and eight tentacles”. The players had to find the missing card by asking their opponents what card they had in their hands. The questions were closed, of the type “how many green creatures with three eyes and antennas do you have?”. The game was certainly interesting, but a little processional and abominably irritating, a sort of cross between Mastermind and Clue – and I later found out that it was also very similar with Sid Sackson’s Sleuth, that I didn’t know at this time. For a long time, I made a tour of the publishers, mock-up under one arm, only to hear eiter that it looked too similar with Clue or master Mind, either that science fiction games didn’t sell. I resolved to take this problem back to its origin, only keeping the basic mechanism of the characteristics of the suspect, which seemed to be good, and trying to make the game more dynamic.

La toute première édition française, Meurtre à l’Abbaye
The first french edition of Murder at the Abbey

For a long time, I wanted to work together with Serge Laget, one of the creators of the lamented Gang des Tractions. I went down to see him in Lyon, and we spent a long day brainstorming and out of this emerged that the game should be set in the world of mediaeval whodunnits, which were much in fashion at these times, on a board representing a monastery where each room in the building allowed a different action. We left each other at that, and this was the only time that we effectively worked together, because afterwards each of us pondered over the game separately. Fearing that Serge would be a little on the serious side, great player of Chess and 1830 that he is, I decided to introduce, whilst there was still time, some elements of chaos into a system which until then was very orderly: these were the cards which turned at each Mass, events which disrupted exit from the church and the possibility of open questions and declining to answer. During this time, Serge Laget developed a system of movement and the map of the abbey, that hardly changed between the first mock-up and the final version.

Several telephone calls – emails were not such usual in these times – allowed us to reach agreement and each of us tested the game from our own side with our own team. The mock-ups did the round of the publishers and the monastic version excited them much more than its tentacled ancestor. The game ended at Multisim, a small rpg publisher who had shown an early interest in it.

The first edition of Murder at the Abbey was a flop. Two years were necessary to sell the 3000 copies of the first and only french print run, and there has been no german or english language edition. Soon after the game went out of print, however, collectors started to offer incredible prices for it, but I had only two boxes left, and intended to keep them.
There are many reasons to this flop. First, the publisher, Multisim, didn’t have the commercial network for such a game, targeted at a much larger audience than their role playing games. Second, whodunnit games, probably because there are very few of them (and there are few of them because they are really difficult to design) are despised by many players, who believe they are all Clue-clones (and Murder at the Abbey is in part a Clue-parody, but it’s definitely not a Clue-clone). Third, if the graphics were nice, the game components were not first rate, since the publisher had no exeperience in publishing boxed boardgames, and the price was far too high for such a cheap-looking game. Last but not least, Murder at the Abbey appeared at a time when most players – including me – were spending all their hard-earned money in Magic cards.
All in all, a good game published at the wrong time, in a wrong edition and by the wrong publisher. This game deserved a second chance. I got the rights back, and started again submitting it to all french and german publishers, and always heard the same answers: it looks too much like Clue, whodunnit games don’t sell, publishing a game with a religious theme is too dangerous, et caetera.

Les personages ont été dessinés par Emmanuel Roudier.
The characters were drawn by Emmanuel Roudier.

 

In the first weeks of 2002, when I had nearly given up hope, I received a first email from a french-american guy, Eric Hautemont, who wanted to start a new game publishing company, Days of Wonder, and was already interested in this game, based on what he had heard about it. Serge, Eric and I soon made an agreement for a new version of the game, with many minor improvements and adjustments in the rules, but no major change.
Because of political correctness, the game will now be called Mystery of the Abbey – though it still deals with solving a murder case. The graphic design was made by the same Cyrille Daujean who had already made the first edition – but with a much bigger envelope for hiring illustrators. These are Julien Delval (Citadels, Fist of Dragonstones) and Emmanuel Roudier (Castle, Dragon’s Gold). Murder at the Abbey, with its light cardboard board, its plastic pawns and dices, its black and white cards, has become Mystery of the Abbey, with its wonderful map-like board, its “stone resin” (what a concept) monk figures, its bell for calling to mass. The policy of Days of Wonder is indeed to produce games with top-notch components, even when this means that they can be a bit expensive. I think they are right in doing this, and I hope you all think the same.

Le plateau a été dessiné par Julien Delval.
The board was drawn by Julien Delval

This second edition sold really well. It sold so well indeed that the Days of Wonder team thought that Whodunnit games were, after all, a profitable market niche with very little competition. So, they decided to publish a second one, Mystery Express, a deduction game designed once more by Serge Laget  but, this time, with the help of Antoine Bauza. The setting and characters remind of Agatha Christie’s novels, the action taking place aboard the Orient Express railway. Like Mystery of the Abbey, Mystery Express is a distant cousin of Clue / Cluedo, but it’s a more sophisticated one. I like it a lot, but it was probably too serious, too demanding for most gamers, and it didn’t sell as well as Mystery of the Abbey. Days of wonder really tried to push it, and decided not to reprint its predecessor for a while. After having been out of print for several years, Mystery of the Abbey is now back in stores. I’m glad of it, of course, even when I regret that Mystery Express made a relative flop.

Mystery of the Abbey
A game by Bruno Faidutti & Serge Laget
Graphics by Emmanuel Roudier & Julien Delval

3 to 6 players – 120 minutes
Published by Days of Wonder (2003)
Boardgamegeek

La Robe des Hospitaliers
The Templar’s Frock

Au départ, Emmanuel Roudier s’est inspiré pour dessiner les moines de ceux de la première édition de Meurtre à l’Abbaye, et de silhouettes de moine trouvées ici et là dans sa documentation. Il a donc dessiné des moines gris sombre, des moines bruns, et des moines blancs avec un peu de noir, qui auraient dû devenir les dominicains (même si ceux-ci sont plutôt tout en blanc). Là dessus, soucieux avant tout de jouabilité, l’éditeur a décidé que les moines blancs et noirs deviendraient blancs et rouges – un petit coup de photoshop, et le tour est joué – pour mieux les distinguer des gris. Graphiquement, le résultat était assez heureux.

Lorsque j’ai reçu les premiers fichiers des cartes, j’ai été choqué. J’ai immédiatement fait remarquer que des dominicains vêtus de rouge, cela ne faisait pas très sérieux, et j’ai souhaité qu’ils soient intégralement blanchis. Il me fut répondu que, d’une part, ils étaient plus jolis en rouge (ce qui est vrai) et que le premier marché visé par Days of Wonder était les familles américaines, et qu’aucune famille américaine n’avait la moindre idée préconçue sur le costume des dominicains.
S’ensuivirent de longs débats, jusqu’à ce que je suggère un compromis: garder les moines rouges et blancs, mais les rebaptiser Hospitaliers. Certes, on représente plutôt les hospitaliers l’épée au côté, et ils devraient être en blanc avec une croix rouge, mais cela passe quand même bien mieux – d’autant que des hospitaliers tenaient effectivement des abbayes hébergeant les pèlerins sur les routes de Saint Jacques.
Tout semblait réglé lorsque l’on découvrit que la famille américaine, encore elle, n’avait probablement jamais entendu parler des hospitaliers et risquait de penser que le jeu se déroulait dans un hôpital… Voila pourquoi nous avons des hospitaliers dans la version française et des templiers dans la version américaine!

Clovis Trouille, Religieuse italienne fumant la cigarette, 1944
Ce tableau qui faisait partie de la collection d’André Breton, dispersée aux enchères en 2003, montre que la robe des hospitaliers de Mystère à l’Abbaye n’est pas si invraisemblable…
Clovis Trouille, Italian Nun smoking a Cigarette, 1944
This painting was part of the André Breton collection, which was auctionned in 2003. It shows that the Templar frock in Mystery of the Abbey is not that incredible.

When he painted the monk figures, Emmanuel Roudier took his inspiration from the first edition of the game, Murder at the Abbey, and from a few monk figures he found here and there in his books. He made grey monks, brown ones and white and black ones – the latter ones being supposed to be dominicans – the Dominicans were called black friars because they wore white. Afraid that there could be confusion between the grey monks and the white ones, the publisher decided to change the white and black to white and red – easy to do with photoshop. The red monks, indeed, look nicer and are easy to distinguish from the others.
When I received the first files, I was shocked. I immediately protested that red dominicans were something really strange and will not look serious, and suggested to make them plain white. I was answered that they looked nicer in red – and that’s true – and that Days of Wonder first market was american families, who don’t care about the color of dominican robes since they have absolutely no idea about it.
We had long phone and email arguments about it, until I suggested a compromise: we keep the red monks, but we name hospitallers. Hospitallers are supposed to be in white with a red hospitaller cross, and are often figured in war costume, but they were not just fighting monks and some of their monasteries, indeed, used to provide food and shelter to pilgrims.
I thought everything was OK when someone found out that the same American families (see above) didn’t know about hospitallers and could think that the game has something to do with hospitals and medicine.. So we now have hospitallers in the french version, and templars in the american one!