Novembre Rouge
Red November

Le Thème :
Les temps sont durs à bord du Red November, sous-marin d’attaque de la marine russe gnome. Tous les voyants semblent soudain passer au rouge, et les sirènes d’alarme retentissent.
Vous avez appelé à l’aide par radio, mais les secours ne seront pas là avant une heure. Vous devez donc tenir soixante longues minutes à bord, avec la pression d’eau sur les structures qui augmente dangereusement, le réacteur nucléaire qui surchauffe, les missiles nucléaires qui font de l’auto-allumage, les incendies et voies d’eau qui se multiplient. Sans compter que l’oxygène et la vodka commencent à manquer.

La mécanique :
Red November est un jeu de coopération. C’est tous ensemble que les joueurs devront sauver le sous-marin. Dans un scénario qui ressemble de plus en plus à un film catastrophe, ils doivent sorganiser au mieux pour affronter les dangers, se répartir les tâches de manières à minimiser les risques, et parfois accepter de se sacrifier pour la cause.

L’histoire :
L’idée est née dans la voiture, en route pour Essen avec Serge Laget et Bruno Cathala. La discussion tournait sur les Chevaliers de la Table Ronde, et les différents thèmes qu’il serait possible de traiter avec des mécanismes similaires. On pensa bien sûr d’abord aux corpus les plus proches de la Table Ronde. Nous causâmes de Star Wars, pour lequel l’adaptation serait très simple, d’une histoire de Super Héros à laquelle je ne compris goutte car je ne connais rien à cet univers, puis des Apôtres, parmi lesquels il serait assez amusant de ne pas savoir qui va trahir. Le naufrage du Koursk étant encore frais dans les mémoires, je lançais l’idée du sous-marin en perdition dans lequel il fallait survivre jusqu’à l’arrivée des secours. On passa ensuite à autre chose, mais je gardais l’idée dans un coin de ma tête.

Quelques années plus tard, elle resurgit lors d’une discussion avec l’un de mes amis joueurs, Jef Gontier, qui dans la vraie vie travaille sur la mise au point des moteurs des sous-marins nucléaires français. Nous décidâmes presque immédiatement de nous atteler ensemble à la mise au point d’un jeu dont le titre semblait évident – « Sauvez le Koursk ! ». Ce devait être un jeu de coopération sur le même principe que les Chevaliers, c’est à dire avec un grand nombre de « quêtes » – ici les problèmes qui se posent au sous-marin, moteur en panne, voies d’eau dans la coque, réacteur nucléaire en surchauffe, missiles prêts à partir… – devant être résolues simultanément. En même temps, le jeu devait être plus simple, plus rapide et, surtout, traité avec beaucoup d’humour.

Le prototype
Prototype board

Le plan du sous marin, avec ses dix ou douze salles permettant aisément de tirer un lieu au hasard en lançant un dé, fut rapidement dessiné, et laissait la place pour les différents éléments du tableau de bord – profondeur et pression extérieure, niveau d’oxygène, température du réacteur et, dans un premier temps, compte à rebours des missiles. Il y avait aussi dès l’origine deux pioches de cartes, l’une d’événements désagréables, correspondant un peu aux cartes noires des Chevaliers de la Table Ronde, et l’autre d’objets plus ou moins utiles traînant dans le sous marin, correspondant aux cartes blanches. Tout cela a peu changé entre les premières versions et le jeu publié. Les premiers ajouts à cette structure de base furent les cartes vodka, servant de joker, et la gestion du niveau d’alcoolémie, reprenant les dés aux couleurs des joueurs des Chevaliers de la Table Ronde.

Nous avons beaucoup plus discuté, et testé pas mal de variantes, sur la gestion du temps, pour laquelle nous avons finalement emprunté l’astucieux système de Jenseits von Theben, et celle des voies d’eau et incendie dans le sous marin. Ces choix étant faits, les très nombreux tests ont surtout servi à équilibrer, par tâtonnements, le jeu, afin que la victoire ne soit ni trop facile, ni trop improbable. Le Seigneur des Anneaux et les Chevaliers de la Table Ronde, les deux jeux de coopération qui ont un peu été nos modèles pendant le développement de « Save the Kursk ! », ont un même défaut. Lorsque les joueurs les connaissent bien, ils savent comment jouer pour parvenir sans coup férir à la victoire, et la seule solution est alors d’augmenter artificiellement la difficulté du jeu, en changeant la position de départ de Sauron ou en débutant la partie comme écuyer. Cherchant à faire un jeu moins sérieux, et moins technique, nous avons fait le choix de contourner le problème en augmentant sensiblement le rôle du hasard tout à la fois dans le déroulement chronologique du jeu et dans l’échec ou la réussite des actions. Ainsi, les parties se ressemblent moins, et aucune stratégie ne peut s’appliquer à l’identique dans toutes les parties. Certes, on peut tout perdre sur un coup de dés, mais c’est sans doute aussi une forme de réalisme

Il y a vingt-cinq ans de cela, j’avais pas mal joué aux horribles choses vertes de l’hyper-espace. Le jeu de Tom Wham, assez délirant, oppose deux joueurs, l’un jouant l’équipage du vaisseau spatial Znutar et l’autre les horribles choses vertes qui tentent d’en prendre le contrôle. Ce n’est qu’après que Jef et moi avions terminé Novembre Rouge que l’on nous a fait remarquer les similitudes entre les deux jeux – dans le thème du vaisseau en huis clos, la structure du plateau de jeu, et l’humour général des règles. Peut-être ai-je été un peu influencé par mes souvenirs des choses vertes en travaillant sur Novembre Rouge, mais cela n’a pas été, comme avec Les Chevaliers et jenseits von Theben, une inspiration consciente et délibérée.

Quand au naufrage du B.S.M. Pandora, un gros jeu en solitaire des années quatre-vingt, je viens d’apprendre son existence et cherche à m’en procurer un exemplaire. Sur la boite, l’espèce d’alien rougeâtre menaçant d’avaler le vaisseau spatial n’est pas sans faire passer au Kraken tournant autour du Red November. Jef et moi avons d’ailleurs effectivement, un temps, envisagé de déplacer l’action de notre jeu dans un vaisseau spatial.

Le meilleur signe de l’intérêt d’un jeu est sans aucun doute le plaisir qu’y prennent les joueurs, et leur désir de rejouer. Au week-end de jeu d’Anse, organisé par Serge Laget, ou j’amenais une version presque définitive du prototype, puis au salon d’Essen, où j’avais une boite sous le bras, « Save the Kursk ! » fut clairement, de tous mes prototypes, celui qui m’était le plus fréquemment demandé, et celui qui suscitait le plus de commentaires. Après la partie, les joueurs se remémoraient l’histoire, se la racontaient un peu comme on le fait d’un jeu de rôles. Le thème un peu provocateur y était certes pour beaucoup, mais il n’aurait pas suffi à maintenir l’intérêt si les mécanismes du jeu n’avaient pas tenu la distance. Autre bon signe, l’intérêt que plusieurs éditeurs portèrent rapidement au jeu, même si beaucoup reculaient rapidement effrayés par le thème d’assez mauvais goût et pas très politiquement correct.

Un des premiers tests.
One of the first test sessions.

Bien sûr, le naufrage du Kursk n’était pas un thème anodin mais, un peu comme avec le sexisme de la Vallée des Mammouths, j’espérais neutraliser le mauvais goût par un recours appuyé à l’humour. Le rôle de la vodka, les vieux numéros de Playboy (finalement disparus de la version publiée), tout cela devait aider à faire prendre au second degré un jeu que, d’ailleurs, j’imaginais volontiers illustré par mon ami Gérard Mathieu. Malgré tout, le thème coinçait un peu, et je finissais par promettre à Croc que, si au bout d’un an personne ne voulait du sous-marin russe, on lui bricolerait une station spatiale écossaise carburant au whisky. Deux éditeurs américains, Z-Man et Fantasy Flight Games, se déclarèrent finalement intéressés pour prêts à publier le jeu en conservant le thème du sous-marin, et nous choisîmes Fantasy Flight Games, qui semblait très motivé et prêt à aller vite.

Novembre Rouge est paru en même temps qu’un autre jeu coopératif, Ghost Stories, de mon ami Antoine Bauza. Novembre Rouge penche plus du côté fun, immersif (en quelque sorte) et aléatoire et Ghost Stories plus du côté stratégique et calculatoire (Ameritrash et Eurogames en jargon de joueurs). Il est d’ailleurs curieux qu’à partir d’un thème assez loufoque – la série de films Histoire de Fantômes Chinois – Antoine ait créé un jeu très sérieux et stratégique, et qu’à partir d’un scénario plus dramatique, Jef et moi ayions imaginé un jeu plus léger et humoristique. Bref, nous ne nous faisons pas trop concurrence. On aurait même pu organiser quelque chose ensemble pour la sortie de nos jeux, avec de la vodka et de l’alcool de riz, mais Antoine ne boit pas d’alcool. Ludovic Maublanc, maintenant Antoine Bauza, bientôt peut-être Gwenaël Bouquin, cette tendance des jeunes auteurs de jeux à ne pas boire d’alcool ne laisse d’ailleurs pas d’inquiéter quant à l’avenir du métier.

La première édition de Novembre Rouge s’est fort bien vendue, mais beaucoup de joueurs se sont plaints de la petite taille des pions et du plateau, même si elle contribuait à l’ambiance claustrophobe. Le premier tirage étant épuisé, Fantasy Flight a finalement réédité le dans une boite plus grande, avec des cartes à la place des petits jetons, et un plateau de jeu sur les quels les gnomes se marchent un peu moins sur les pieds. C’est cette version, en boîte carrée, que vous pouvez aujourd’hui trouver en boutique.

Novembre Rouge
Un jeu de Bruno Faidutti & Jef Gontier
Illustrations de Christophe Madura
1 à 8 joueurs – 60 minutes
Publié par Fantasy Flight Games (2008)
Tric Trac    Boardgamegeek


The setting :
Hard times onboard the Red November, the brand new attack submarine, flagship of the russian gnome marine, where everythings seems to get wrong at once.

You’ve called for help on the radio, but it won’t be here before one full hour. This means you must try to survive one hour in the submarine, while the water pressure is increasing, the nuclear reactor is overheating, the nuclear missile launchers are pre-igniting, fires and water leaks are everywhere, and there’s very little oxygen and vodka left.

The systems :
Red November is a cooperative game. All together, players are trying to save the submarine. While the story feels more and more like a disaster movie, they must get organized to solve the problems, divide the tasks among themselves to minimize the risks, and sometimes accept to sacrifice themselves for the common cause.

The Story :
It all started in Bruno Cathala’s car, on the way to Essen. We were discussing Shadows over Camelot with Serge and Bruno, and we looked for other topics which could use similar game systems. Of course, we started with the settings most similar with the Knights of the Round Table world. We discussed Star Wars, which started as an obvious Round Table rip-off before it became a more complex universe, and some Super Hero stories, but I’m totally illiterate about this and didn’t really take part. We thought it would be fun to go back to the roots of the story and make a gospel cooperation game in which you wouldn’t know which apostle will betray. The sinking of the Kursk was still fresh and dramatic news, so I suggested a wrecked Russian submarine in which you had to survive until the rescue team came in. Then we moved to other topics, but I never completely forgot this idea.

It came back a few years later, when discussing with one of my usual playtesters, Jef Gontier, who, in real life, works as an engineer on the motors of the French nuclear attack submarines. We instantly decided to start to work on a game, which was to be called “Save the Kursk!”. We wanted to design something similar with Shadows over Camelot, with several “quests” that players had to fulfill simultaneously – the “quests” being the various issues faced by the submarine, stalled motor, water leaks, overheating reactor, self-igniting missiles. We also wanted the game to be simpler, faster and, most of all, more humorous than the round table one.

We started with the map of the submarine, with ten or twelve rooms so that it will be easy to randomly determine one with just rolling a die. The general shape of the sub left enough room on the board for the various dashboard elements – water depth and water pressure, oxygen level, reactor heat and, in the first versions, missile countdown. Then we made the first versions of the two card decks, a deck of more or less bad events and a deck of more or less useful items, like the black cards and white cards deck in Shadows over Camelot. This didn’t really change between the first drafts and the final published version of the game. Among the first additions to this basic structure were the joker vodka cards, and the alcohol level indicator, using the life points dice in the players’ colors from Shadows over Camelot.

Quelques cartes du prototype
Cards from the prototype

We had more problems with the time management, turn structure and turn order, and playtested a few different systems before settling on a direct rip-off of the extremely clever time system from Jenseits von Theben. We also had much troubles with the management of water leaks and water flows in the different rooms of the sub. The real tests started when all this was settled, and were mostly used to fine tune the game difficulty, so that it was neither too easy, neither too hard to save the sub. The two other cooperative games we had in mind when design “Save the Kursk!” were Reiner Knizia’s Lord of the Rings and Bruno Cathala & Serge Laget’s Shadows over Camelot, which both have the same flaw: once players are familiar with the game, they know the one best way, the winning strategy, and can apply it systematically, so that the only way to keep the game challenging is to increase its difficulty with Sauron starting farther or with beginning the game as squire. Since we wanted to make a less serious and less technical game, we opted for a different solution. We decided to bring more luck in the game, both in the event chronologic order and in the success or failure of the players’ actions. This means that we wanted no two games to feel the same, and no strategy to be the best one for every game. This also means players can lose everything on one or two bad rolls, but it’s also what makes the game feel realistic.

Twenty-five years ago, I played several games of The Awful Green Things from Outer Space. In Tom Wham’s zany two players boardgame, one plays the crew of the Znutar spaceship, the other plays the awful green things trying to take over the ship. After Jef and I had finalized the Red November, some friends reminded us of the similarities between these games – the closed doors ship setting, the board shape, and the humor in the rules. May be I was more or less inspired by my decades old games of the Awful Green Things while working on Red November, but it was not, as with Shadows over Camelot and Jenseits von Theben, a deliberate and conscious inspiration.

As for the Wreck of the B.S.M. Pandora, a big solitaire game from the eighties, I’ve just learned about this game and I’m trying to find a copy. Obviously, the reddish alien about to swallow the spaceship looks a bit like the kraken looming nearby the Red November. Furthermore, Jef and I seriously considered, at one time, to change the setting of our game and move it into deep space.

There’s no better token of a game’s quality than the players’ fun and investment, and the fact they want to play again. I brought a near final prototype the Anse game week-end, organized by Serge Laget and his friends, and then at the Essen game fair. It was the most played, the most asked for, the most commented of all my prototypes. After the game, players were telling the story over and over, like it sometimes happens with role playing games. Of course, the provocative theme helped, but it wouldn’t have been enough if the game systems were not really good. Another good omen was the immediate interest of many publishers when I showed them the game, even when most of them soon backed down because of the controversial and bad taste theme.

Of course, the sinking of the Kursk was not a light theme but, like with the sexist rules in Valley of the Mammoths, I hoped we could neutralize the bad taste with light graphics and humor. The Vodka rules, the Playboy and Penthouse copies (an item that has disappeared from the published version) were here to indicate clearly, in case anyone still had doubts, that this was second degree. I was even imagining that the game could be illustrated by Gérard Mathieu, who did the mammoths. The theme was nevertheless a problem, and I promised to Croc, of Asmodée, that if after one year we could not fin a publisher for the submarine game, we will make a sci-fi version with a Scottish space-station running on whisky. This was not necessary, since two US publishers, Z-Man Games and Fantasy Flight Games, wanted to publish the submarine game. We opted for Fantasy Flight, which sounded highly motivated and wanted to move fast.

The main point in the Fantasy Flight editorial policy is to add orcs and trolls everywhere, so Chris Petersen wanted to change the Russian sub into a gnome sub. This was both a clever hint at Warcraft II gnomish submarines, and a way to attenuate the gloomy Kursk wreck reference, which was not very politically correct but on the other hand made for some of the game’s appeal. After some email discussion, we found an arrangement. There would be gnomes, but Russian gnomes drinking vodka. The graphics style, a mix between Steampunk and socialist realism, proves that they got our point well. We also found a clever title, less controversial than Save the Kursk! – Red November. It’s a double allusion, to the movie Red October, which featured a Russian Submarine, and to the strange and little known fact that the October revolution took place in November.

Un sous-marin gnome de Warcraft II
A warcraft II gnomish submarine

Red November was published at the same time as another cooperative game, Ghost Stories, by my friend Antoine Bauza. Red November is more Ameritrash, meaning fun, thematic and sometimes random, while Ghost Stories is more Eurogames, meaning strategic and slightly abstract. It’s strange that from a zany setting – the Chinese Ghost Stories movies – Antoine made a very serious and strategic game, when from a dramatic story, Jef and I made a lighter and humorous game. Anyway, our games don’t really compete one against the other. We could have  held a common party for the launching of the two games, with vodka and rice liquor, but Antoine doesn’t drink alcohol

First Ludovic Maublanc, now Antoine Bauza, soon, may be, Gwenaēl Bouquin, there seems to be an unsettling trend towards dryness among young game authors. this doesn’t bode well for the future of boardgaming.

Jef and I thought this game, which is more than beer and pretzels and has many components, will be published if not in a big square box, at least in a middle sized box. We were a little disappointed  when FFG decided to publish this game in a very small box, Citadels-size, with a very small board and even smaller tokens – even when this helped the claustrophobic mood of the storyline. Anyway, many players called for a greater board, and when Red November was reprinted, it was in a greater box, with a larger board, and with item cards instead of small cardboard tokens. That’s this new version, in a square box, that you can now buy in stores.

Red November
A game by Bruno Faidutti and Jef Gontier
Art by Christophe Madura
1 to 8 players  – 60 minutes
Published by Fantasy Flight Games (2008)
Boardgamegeek