Ménestrels
Minstrels

J’ai rencontré Sandra Pietrini, il y a plus de vingt ans, dans la salle des manuscrits de la vieille Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, où, les mains soigneusement gantées de blanc (je crois que cela ne se fait plus maintenant), nous feuilletions les manuscrits médiévaux les plus somptueux. Elle cherchait dans les marges et les miniatures des jongleurs, acteurs et musiciens, j’y chassais les licornes.
Si les dragons abondent dans mes créations ludiques, l’Or des Dragons, Fist of Dragonstones, et tout récemment et tout simplement Dragons, les licornes y sont rares et bien cachées. Je ne suis jamais parvenu à tirer un jeu de ma thèse mais, du coup, Sandra et moi nous sommes dit que nous pourrions essayer d’en bricoler un à partir de la sienne, sur les troupes d’artistes ambulants à la fin du Moyen-Âge. Les cartes y représenteraient des acrobates, musiciens, acteurs, chanteurs et autres montreurs d’animaux et chaque joueur chercherait à recruter la troupe permettant de monter le plus beau spectacle.

C’est ensuite que les difficultés ont commencé, lorsqu’il s’est agi de concevoir le système d’embauche des artistes, c’est à dire de prise de cartes. Il fallait rester simple, et nous sommes partis sur pas mal de fausses pistes, jonglant avec le mille bornes et les sept familles, avant d’avoir une règle de choix qui nous satisfasse. Pour le système de score, donc pour décider quelle troupe ou quel spectacle est le meilleur, ce fut plus facile, tant il était évident que cela serait en partie basé sur des majorités.

Les joueurs sont donc des nobles cherchant à recruter une troupe pour une fête en l’honneur du roi qui visite la région. Le mécanisme central de Ménestrels n’est guère original. Chacun à son tour prend l’une des quatre cartes visibles au centre de la table, ou pioche une carte cachée, le but étant d’être majoritaire dans les trois catégories d’artistes, les musiciens, les acrobates et enfin tous ceux qui parlent et qui chantent. Bien sûr, quelques cartes appartiennent à plusieurs catégories, ou à aucune comme les très appréciés montreurs d’animaux. D’autres ont des effets particuliers sur le jeu, comme le voleur ou l’imposteur. Chaque noble a en outre un petit pouvoir particulier, comme regarder la carte du dessus de la pioche, pouvoir par trois fois dire non à un joueur qui décide de prendre une carte donnée, débuter la partie avec un peu plus d’argent, nécessaire pour recruter les meilleurs artistes, ou simplement faire la fête en dernier, en sachant ce qu’ont présenté les autres joueurs. Ces pouvoirs rendent le jeu très légèrement asymétrique et lui donnent un charme particulier.

Ménestrels est sans doute celui de mes jeux dont l’édition a le plus tardé. Le contrat d’édition, chez Sweet Games, un petit éditeur sympathique qui a déjà publié mon Waka Tanka, a été signé en 2014, mais les retards se sont ensuite accumulés, pour toute une série de raisons. À quelque chose, malheur est bon, puisque cela a permis de fignoler le jeu, et même d’y intégrer quelques petites idées de cartes et de règles qui nous sont venues toutes ces années durant. Le résultat est donc un jeu qui n’est peut-être plus tout à fait dans l’air du temps, mais qui a été joué, rejoué et modifié des dizaines de fois – la version finale des règles porte le numéro 7.9. Les points de bonus pour la constitution des couples, par exemple, sont une idée de l’éditeur qu’il a eue dans les derniers mois, en voyant les illustrations. Même le directeur artistique, Benjamin Treilhou, s’en est mêlé en suggérant quelques réglages, notamment pour équilibrer les nobles.

Dans mon prototype, les deux personnages nains pouvaient être placés dans n’importe quelle catégorie mais ne comptaient que comme un demi-personnage. Je trouvais cela rigolo, et c’était tactiquement assez intéressant. L’éditeur a eu un peu peur que l’humour passe mal, et que cela diminue les chances de trouver un partenaire pour faire ce jeu aux États-Unis, et nous avons finalement abandonné cette règle – ce qui ne m’empêchera sans doute pas de continuer à jouer avec.

Quelques uns des premiers essais de David.

Les illustrations du jeu, justement, sont l’œuvre de mon ami David Cochard, qui avait déjà illustré Key Largo, Waka Tanka et Kamasutra. David a d’abord tâtonné un peu, cherchant un style, s’inspirant tantôt des miniatures médiévales, tantôt des vitraux, avant d’opter pour un dessin proche des préraphaélites. Ce n’est donc pas le Moyen-Âge historique, c’est un Moyen-Âge imaginaire, mais pas celui, surexploité, de la fantasy d’aujourd’hui. C’est le Moyen-Âge tel qu’il a été rêvé et reconstruit par les artistes anglais de la fin du XIXème siècle, auquel David a rajouté une bonne dose de monstres à la façon de Jérome Bosch. Quelques personnages, comme le Roi, font même franchement Renaissance tardive, mais on n’est pas dans un livre d’histoire.

Certains des artistes, notamment les musiciens, sont plutôt des années soixante-dix, vous les reconnaitrez sans doute – j’ai repéré tout de suite les rockers, il a fallu que l’on m’aide pour les jazzmen et les acteurs, qui sont moins de mon monde. D’autres personnages sont juste des amis de David, ou des personnalités qu’il aime bien ou n’aime pas trop, et avait envie de dessiner… Sandra et moi sommes représentés en nobles. D’autres cartes s’inspirent de tableaux célèbres, de Velasquez et Vinci notamment. Bref, l’illustrateur s’est fait plaisir, passant sur ce projet un temps considérable, et le résultat est un splendide et joyeux mélange comme je les aime entre références historiques et imaginaires, entre sérieux et moquerie.


Quelques nobles sont aussi des artistes…. The Duke, the Prince and the King.

Puisque nous n’arrivions pas à décider quelle illustration mettre sur la boite, et comme cela ne coûtait pas beaucoup plus cher, l’éditeur a décidé de faire trois boites différentes, avec un ventriloque, un acrobate, une échassière. Le contenu des boites, lui est toujours le même.

Ménestrels
Un jeu de Bruno Faidutti & Sandra Pietrini
Illustrations de David Cochard
2  à 5 joueurs  – 30 minutes
Publié par Sweet Games
Boardgamegeek


I first met Sandra Pietrini more than twenty years ago, in the manuscript room of the old Paris National Library, rue de Richelieu. Wearing white gloves (I don’t know if these are still used) we were browsing through gorgeous medieval illuminated manuscripts, looking at the same margins and pictures. She was looking for drawings of actors and musicians, I was hunting unicorns.
There has been many dragons in my game designs. These fiery beasts appear in Dragon’s Gold, Fist of Dragonstones, more recently just Dragons, but the unicorns are rare and well hidden. So far, I could not manage to make a game out of any part of my PhD dissertation, but Sandra and I thought we could try to do something out of hers, which deals with wandering artists in the late Middle Ages. Cards figuring acrobats, musicians, singers and various animal tamers sounded like a nice idea, and the goal would obviously be to gather the group that will carry the best spectacle.

Difficulties started almost at once. Hiring artists meant choosing cards, and we had some trouble designing a simple and interesting systems. We wanted to stay simple, so our first attempts were inspired by classics like Mille Bornes or Happy Families, and we tried lots of rules before getting the right one. The scoring system meant finding out which group or show was the best, and it was clear from the beginning that it will be based on categories and majorities.

Players are nobles hiring a group to hold a show for the king who is travelling through the province. The core drafting system in Minstrels is not very original. Each player on turn draws a card, either one of the four face up ones or the face down top of the drawing deck. The goal is to get the majority in one of the three categories of artists, musicians, acrobats and actors. Of course, a few cards belong to more than one category, and other ones belong to none like the highly popular animal tamers. Other ones have instant effects on the game, like the Thief or the Impostor. Each Noble also has a special ability, like being able to look at the face down card from the deck, being able to prevent another player to do a specific action, starting the game with some more money for recruiting artists, or simply being he last to hold a party, after having seen what the other nobles have done. the abilities are not game breaking, but they make the game slightly asymmetrical, which is really enjoyable.

None of my games has waited longer for publication than Minstrels. The publishing contract with Sweet Games, a small French publisher who already did my Waka Tanka, was published in 2014. Then came delay after delay, for various reasons. Out of bad comes good, and this allowed us to add to the game a few ideas from these last years, mostly new cards and small scoring rules. As a result, Minstrels might feel a bit outdated in some ways, but it has also been more finely tuned than any of my other designs – the final rule has the serial number 7.9. One of the last additions was the point bonus for artist couples, an idea the publisher, Didier, got when looking at the illustrations. Even the art director, Benjamin Treilhou, helped with the fine balancing of the noble powers and order.

In my prototype, the two dwarf characters could be added to any category, but counted only as half a character. I liked the joke, and it was tactically interesting. The publisher was a bit afraid that the joke could be considered not politically correct and could make more difficult to find a partner willing to publish it in the US. So we discarded this rule, but I’ll probably keep on playing with it.

Some of David’s first tries and sketches.

The gorgeous illustrations of Minstrels is by my friend David Cochard, who already did the art for my Key Largo, Waka Tanka and Kamasutra. David first hesitated a bit, looking for a style, copying first medieval miniatures, then glass paintings, and then finally settled for a style inspired by the pre-raphaelites. It’s not the historical Middle-Ages, but it’s not classical medieval fantasy either. it’s the Middle-Ages as it was dreamed and revisited by XIXth century English artists – with scores of Hieronymus Bosch tiny monsters added.

Some of the cards, including most of he musicians, are portraits of artists from the seventies or eighties. You’ll probably recognize them – I spotted most rockers at once, but had more difficulties with the jazzmen and the few actors . Other ones are just friends of David, or personalities he likes (or dislikes) and wanted to draw – Sandra and I are among the nobles. Other cards are inspired by famous paintings, among which Vinci and Velasquez. David probably spent too much time on this job, but the result is the kind of zany mix I like between historical and imaginary references, between seriousness and mockery. A few characters, like the King, are more late Renaissance than Middle-Ages, but this is not a history book.

Here’s the King. Guess who’s the Prince ?

We could not decide which character we should put on the box cover. Since it was not really more expensive, the publisher finally decided to make three different boxes with a stilt walker, an acrobat and a ventriloquist. The content of the boxes, however, is always the same.

There’s no plan for an English language version yet, but anyone interested in doing it should contact Sweet Games.

Ménestrels (Minstrels)
A game by Bruno Faidutti & Sandra Pietrini
Art by  David Cochard
2  to 5 players  – 30 minutes
Published by Sweet Games
Boardgamegeek

Dragons

Dans Dragons, les joueurs ne sont pas comme trop souvent de vulgaires aventuriers avides de gloire et de crânes de dragons à accrocher au dessus de la cheminée, mais bien les fiers et nobles reptiles ailés et cracheurs de feu. Ceci dit, pour très anciens qu’ils soient, les dragons n’en sont pas plus vertueux et philosophes pour autant, et leurs préoccupations sont bien proches de celles des aventuriers. Ils passent en effet leurs étés à survoler la campagne, attaquant châteaux et abbayes à la recherche d’or et de pierreries. L’hiver venu, ils retournent à leurs caves, très haut dans la montagne, où ils aiment à accrocher les armes et les armures des chevaliers qu’ils ont défaits. Ils y passent le temps à compter et recompter leurs trésors, et à les astiquer pour qu’ils brillent mieux sous les flammes. Auri sacra fames, voila pour la très antique sagesse de ceux qui jouent à se croire encore les rois du monde. Une partie de Dragons, c’est trois ou quatre étés, selon le nombre de joueurs, suivis d’autant d’hivers.

Dragons est un jeu de prise de risque, de stop ou encore (je préférais la vieille expression de quitte ou double, qui semble avoir disparu), dans lequel on joue moins avec la chance qu’avec les nerfs des autres joueurs. Chacun à son tour ajoute une carte à l’une des piles de trésors, ou craque en s’emparant de l’une des piles, laissant ses collègues dragons continuer à piller la région. Il est toujours tentant d’ajouter encore quelques cartes sur une pile qui nous semble intéressante, mais c’est au risque de voir un autre reptile la ramasser sous notre museau. Dragons est aussi, un tout petit peu, un jeu de mémoire dans lequel on s’efforce de repérer discrètement les piles les plus intéressantes. Les subtilités du système de score font que la tactique n’en est pas non plus totalement absente.

Après trois ou quatre ans, ce qui équivaut à quelques jours en temps de dragon, Glaurung, Fafnir, Rhaegal, Falkor, Mélusine et les autres se retrouvent pour comparer leurs magots.
Qui croirait que les puissants dragons sont, comme nous autres petits humains, des êtres faibles qui se laissent parfois entraîner par la soif de l’or au point d’en oublier les choses vraiment importantes de la vie, comme la nourriture? Les dragons doivent manger, et même manger plus que nous. Ceux qui n’ont pas accumulé assez de nourriture sont donc éliminés avant même l’évaluation des butins. À cinq ou six joueurs, il faut même manger équilibré, des vaches et des moutons.
Les dragons qui ont stocké, soigneusement grillée et séchée au coin du feu, assez de nourriture pour les longs hivers à venir, comparent ensuite leurs magots. Les pièces d’or en sont bien sûr la valeur de base, mais bijoux et joyaux en tous genre sont également très prisés. La légende veut que les dragons mâles préfèrent les couronnes et sceptres royaux, et les gemmes bleues, tandis que les femelles recherchent les colliers, les torques et les pierres roses, mais rien n’est moins sûr. On n’est même pas certain, en fait, qu’il y ait des dragons mâles et femelles, les quelques inconscients qui se sont approchés des monstres d’assez près pour s’en assurer n’étant pas revenus pour conter leur histoire.
Les dragons tiennent fermement à leur réputation, et une caverne bien tenue se doit d’être inexpugnable.  Quelques armures, heaumes, boucliers et épées, alignées avec soin sur les murs de la grotte, montrent le peu de cas que l’hôte des lieux fait des chevaliers les mieux équipés.
Il est enfin une légende qui se transmet chez les dragons de génération en génération, celle de l’anneau unique. Rien n’est plus classe pour un dragon que d’avoir, dans son trésor, un anneau unique – mais encore faut-il, bien sûr, qu’il soit vraiment unique, et il y en a trois dans le jeu. Enfin, il ne suffit pas d’avoir un trésor, il faut aussi le ranger, l’entretenir, le faire briller sous les flammes de son propriétaire.


L’un des premiers prototypes

Concevoir un jeu, c’est souvent du travail, mais pas toujours. Il y a ceux qui demandent des années de tests, de réflexions, de bidouillages pour, parfois, n’arriver nulle part. Il y a ceux qui marchent tout de suite, ou presque tout de suite. Dragons est de ces derniers, puisqu’il ne s’est écoulé que quelques jours entre l’idée et les premières parties, quelques semaines entre le jour où j’ai fait jouer l’équipe de Matagot, croisée un peu par hasard au Nid, un bar à jeux parisien, et la signature du contrat, et quelques mois entre cette dernière et la parution du jeu. J’aimerais que cela se passe toujours ainsi.


L’une des premières ébauches de David pour Dragons

Pour les illustrations, tout est allé très vite aussi avec mon ami et presque voisin David Cochard, avec qui je travaille pas mal ces temps-ci. David a récemment illustré Waka-Tanka, Kamasutra, et est en train de s’attaquer à mes Jongleurs et ménestrels, à paraître l’an prochain. Il avait bien aimé dessiner des dragons il y a quelques années pour Dungeon Petz,, de Vlaada Chvatil, et a été heureux de s’y remettre. Des figurines comme celles que j’avais utilisées pour mon prototype auraient coûté trop cher pour un simple jeu de cartes, et elles ont été remplacées par des silhouettes en carton. Non content de dessiner six dragons, de face et de dos, David s’est ensuite amusé à représenter les reptiles sur les bijoux, sur les couronnes, sur les armes et les armures. Dans un royaume dont ils perturbent la vie quotidienne depuis des générations, on peut en effet imaginer que l’image des dragons est présente un peu partout.

Même si je n’en étais pas vraiment conscient durant le développement du jeu, la mécanique de Dragons s’inspire sans doute un peu de De l’Orc pour les Braves, un jeu de cartes que j’avais conçu avec Alan R. Moon, et qui a été publié il y a bien longtemps par Asmodée, et presque aussitôt oublié. Les sensations de jeu sont bien différentes, puisque De l’Orc pour les Braves était un jeu frénétique et passablement chaotique, joué en temps réel. On y trouvait cependant déjà les piles disposées en cercle sur lesquelles les cartes s’accumulent, et dont les joueurs doivent mémoriser les cartes pour déterminer le meilleur tas et s’en emparer le premier.

je suis certes le spécialiste mondial et incontesté de la licorne, qui était le sujet de ma thèse d’histoire, mais dans le monde ludique, je me suis plus intéressé aux dragons. Avant Dragons, il y eut en effet L’Or des Dragons, en 2001, récemment réédité par White Goblin et IDW games. Les joueurs y sont des aventuriers qui attaquent les dragons pour s’emparer de leurs trésors, ce qui est assez aisé, puis se partagent le butin, ce qui est plus difficile. Dans Aux Pierres des Dragons, dont une nouvelle édition devrait sortir en 2018, les mêmes aventuriers se retrouvent à la taverne du coin, où ils boivent, jouent et se racontent leurs aventures. Il y a des dragons aussi dans Citadelles, très discrets, dans Castel, et surtout dans King’s Life, qui vient de paraître chez Pandasaurus Games. Il y en a aussi dans quelques uns de mes projets en développement. Je n’étais plus tout à fait sûr, je viens de vérifier, il n’y a pas de Dragon dans De l’Orc pour les Braves.

« Les auteurs ont beaucoup débattu aux sujet des dragons ailés. Ces animaux existent-ils réellement dans la nature, ou ne se rencontrent-ils que dans les fables et les contes ? Nous-même avons longtemps été hésitant sur la question de l’existence des dragons. Nous avons finalement laissé tout doute de côté, après avoir non seulement lu des extraits de nombre d’auteurs reconnus, mais aussi recueilli des témoignages oculaires dignes de foi. Ces animaux monstrueux installent leurs nids et élèvent leurs petits dans des antres souterraines qui sont le sujet de ce livre. »
Athanase Kircher, Mundus Subterraneus, 1665

Mon intérêt pour les dragons vient bien sûr d’une jeunesse passée à lire des romans fantastiques et à pratiquer le jeu de rôle – même si je suis vite passé au GN où, pour des raisons techniques, les reptiles volants et cracheurs de feu sont plus rares. Il doit cependant aussi beaucoup au très baroque Athanase Kircher, dont j’ai croisé le chemin en faisant des recherches sur les licornes de la Renaissance. La bibliographie de ce polymathe haut en couleurs, si tant est que cette expression puisse s’appliquer à un père jésuite, est impressionnante.

Contrairement à ce que cette gravure de la China Illustrata pourrait laisser croire, Athanase Kirchner n’est pas certain de la présence de dragons en Chine. Il est en revanche positif sur la Suisse, dont les sommets sont infestés de dragons, et où se déroule sans doute l’action de mon jeu.

Dans son Mundus Subterraneus, paru en 1665, le frère jésuite décrit avec soin les différentes variétés de dragons vivant dans les hautes montagnes, ainsi que dans les fleuves de lave reliant les volcans du monde entier. Ce n’est qu’une facette de son œuvre. Dans Arca Noe, on trouve les plans complets, avec cotes, de l’Arche de Noe, qui bien sûr abritait un couple de licornes – et même deux couples, mais c’est une autre histoire. Kircher a de même précisé dans Turris Babel toutes les spécifications techniques de la tour de Babel, avec les dimensions et les matériaux utilisés. Oedipus Aegyptiaticus, un siècle et demi avant Champollion, c’est trois tomes de traductions de hiéroglyphes – tout faux, certes, mais avec quelques bonnes intuitions. China Illustrata est une vaste encyclopédie des connaissances sur l’extrême orient de ce savant qui avait beaucoup voyagé entre Allemagne, France et Italie. Enfin, dans Musurgia Universalis, le père Kircher fut le premier à présenter les plans du célèbre orgue à chats, instrument rarissime tant il est difficile de trouver des chats bien accordés.

Ce dragon bossu d’Éthiopie est décrit dans un ouvrage un peu plus ancien, Draconum et Serpentum Historia, d’Ulysse Aldrovandi.

Dragons
Un jeu de  Bruno Faidutti
Illustrations de David Cochard
3 à 6 joueurs – 30 minutes
Publié par Matagot (avril 2018)
Boardgamegeek



First cover draft

Players in Dragons are not impersonating common and greedy adventurers, eager for gold and dragons’ heads to hang as trophy over the fireplace, but proud, noble, winged and fire-breathing dragons. Anyway, dragons might be fantastically ancient, but this doesn’t make them much wiser and virtuous, and their main preoccupations are very similar to the adventurers’ ones. The spent the summer flying over the countryside, attacking castles and abbeys for gold, gems and jewels. When winter comes, they fly back to their caves, high in he mountain, where they love to display the weapons and armour of knights they have defeated. They spend their time counting and recounting their treasures, and polishing it so that it shines under their fiery breath. Auri sacra fames, so much for the ancient wisdom of these creatures who like to think they are still kings in the world. A game of Dragons is three or four summers, depending on the number of players, and as many winters.

Dragons is a risk taking card game, double or quits, in which one plays less against luck than against the other players’ nerves. Each player on turn either adds one more card to a treasure pile, or yields and take one of the piles, letting other dragons keep on rampaging the kingdom. Adding cards to a pile is tempting but risky, because some other dragon can always steal it just under your big fiery nose. It is also, though to a much lesser extent, a memory game in which one tries to discreetly spot and focus on the most interesting piles. Last but not least, it’s a tactical game, because there’s some subtleties in the scoring. Nothing revolutionary, but an easy, fun, light and tense card game.

After three or four years, which amounts to a few days in dragons’ time, Glaurung, Fafnir, Rhaegal, Falkor, Melusine and their kind meet to check who has the biggest and shiniest hoard.
Mighty dragons, like us petty humans, are weak creatures. They can get so enthralled by wealth that they forget about the really important things in life, like food. Even dragons must eat, and they even must eat far more than we do. Dragons who didn’t stock enough food are out of the game. With 5 or 6 players, one must even keep a balanced diet, with cows and sheep. Surviving dragons, those who kept enough smoked meat for the coming winter, compare their hoards.
Though gold coins are the base asset, jewellery is extremely popular with dragons. The saying goes that male dragons collect royal crowns and scepters, while females prefer women pieces such as necklaces, torques and bracelets, but we’re actually not even sure there are male and female dragons. No one has ever seen a dragon from near enough to ascertain it and come back to to tell the tale.
Dragons also enjoy bragging that they defeated proud and wel born knights who wanted to kill them and steal their treasure. To support the story, and the dragon’s reputation, one must show the knight’s equipment, helmet, breastplate, shield and sword.
The legend of the one ring is one of the oldest stories in dragons’ tradition, and what is old for dragons is indeed very old. Every dragon fancies having a one ring, the one ring, in its treasure. Of course, two same rings cannot be unique, and there are three in the game. Last but not least, owning a treasure is not enough, one must also make it shine under the its owner’s flames, and that’s were polish comes handy.


Playtesting Dragons

Designing a game is not always hard work. Some games spend years in development, tests, thoughts and tweakings, sometimes for no avail. Other ones play well at once, and Dragons is one of them. There were only a few days between the idea and the first playtests, a few weeks between the day I showed the game to the Matagot team in a parisian game café, and a tew months more until the game was published. I would like things to go always that smoothly.


One of David’s first sketches for Dragons

Things went very fast as well with my friend David Cochard, with whom I’m working a lot these last times. David already made the graphics for Waka-Tanka,, for Kamasutra, and is now working on my Jugglers and Minstrels game, to be published next year. David had enjoyed drawing dragons, years ago, for Vlaada Chvatil’s Dungeon Petz, and was glad to be back at it. Plastic dragon miniatures like the one in my prototype would have made what is basically a card game far too expensive, so David had to draw six dragon cardboard standups, face and back. He then decided to draw dragons on the jewels, the crowns, the weapons and amor pieces. In a kingdom whose daily life is being disrupted by dragons for centuries, the image of the mighty animal ought indeed to be everywhere.

I wasn’t conscious of it while working on Dragons, but the mechanics of this game were probably inspired by an older card game I designed with Alan R. Moon, and which hasn’t been published in English, though we had found a name for it, For a Few Orcs More. The two games feel very different, since For a Few Orcs More was a real time and rather chaotic game. The core idea of Dragons, cards accumulating in face up piles placed in circle, and players trying to remember what is were to determine the best pile and seize it first, was already there.  

I’m the world specialist on unicorns, not on dragons, but while my PhD in history is about unicorns, my games more often involve dragons. There were several long before Dragons. Dragon’s Gold, first published in 2001, is about adventuring parties attacking dragons to steal their treasures, which is relatively easy, and then dividing up the booty, which is much more complex. This game has recently been republished by IDW and White Goblin. In Fist of Dragonstones, adventurers are back at the local tavern, drinking beer, discussing their adventures and playing some games. A new and updated version of this game ought to be published in 2018. There are few and discreet dragons in Citadels, there’s one in Castel, and there’s one in King’s Life, just published by Pandasaurus. There are a few more in games I’m working on at the moment. I’ve just checked, since I wasn’t certain, but there’s no Dragon in For a Few Orcs More.

« There has been lots of controversy between writers about winged dragons. Are there really such animals in nature, or do they appear only in fables and fairy tales? We have long been undecided on the question of the existence off dragons. After having not only read many respected authors, but also listened to first hand testimonies by trustful people, we have set aside our doubts. These monstrous animals indeed make their nests and breed their young in underground caverns, which are the topic of this book. »
Athanasius Kircher, Mundus Subterraneus, 1665

My interest for dragons comes from my youth, largely spent reading fantasy novels and playing RPGs, even though I soon moved into LARPS where, for obvious technical reasons, giant flying and fire breathing reptiles are scarcer. But I also occasionally met dragons while researching unicorns, for example in the books of a very baroque character, Athanasius Kircher. This colourful polymath, if one can say this of a jesuit priest, has an impressing bibliography.

Contrary to what this engraving from China Illustrata suggests, Athanasius Kirchner is not certain that there were living dragons in China. He is far more confident about Switzerland, whose highest mountains are infested with dragons, and where the action of my game probably takes place.

In his Mundus Subterraneus, published in 1665, the jesuit father carefully distinguishes the different species of dragons living in the hight mountains, as well as in the lava rivers joining all the volcanoes in the world. That’s only one side of his works. In Arca Noe, Kircher unveiled the plans of Noah’s Arch, with its exact measurements, and of course a room for two unicorns – well, actually four, but that’s another story. Similarly, in Turris Babel, he gave the exact measurements of the Babel Tower, as well as the materials used. 150 years before Champollion, Kircher published Oedipus Aegyptiaticus, three heavy tomes of hieroglyph translations. It’s all wrong, but he had some clever intuitions. China Illustrata is a vast encyclopaedia of the far east, written by someone who travelled a lot between France, Italy and Germany. Last but not least, in Musurgia Universalis, the SJ father was the first to discuss a revolutionary musical instrument, the cat organ, still very rare because it requires well tuned cats.

These dragons are described in Edward Topsell’s History of Four-footed Beasts and Serpents and Insects, published in 1607, of which I own a nice fac-simile.

Dragons
A game by  Bruno Faidutti
Illustrated by David Cochard
3 – 6 players – 30 minutes
Published by Matagot (april 2018)
Boardgamegeek

Kamasutra

L’idée de ce jeu est née d’une video sur laquelle j’étais tombé un peu par hasard (si, si….), elle même inspirée de ce qui se pratique parfois dans les fins de mariage trop arrosées. Il m’a semblé qu’il y avait là matière à faire quelque chose d’un peu plus subtil, un véritable jeu de société, une sorte de twister pour adultes. Le problème des applications comme celle utilisée dans la video est qu’une bonne partie des positions qu’elles proposent ne conviennent pas au jeu, notamment parce qu’il est difficile et pourrait être dangereux de faire exploser un ballon à proximité du visage. J’ai donc cherché sur Amazon un jeu de cartes proposant diverses positions du kamasutra, afin de pouvoir trier les cartes et ne conserver que celles qui sont vraiment amusantes à jouer. J’en ai trouvé beaucoup, pas toujours du meilleur goût.

On pioche donc au hasard une carte, tous les couples se mettent dans la position indiquée avec un ballon bien gonflé sur la « zone de contact ». Un arbitre donne le signal du départ, et la première équipe à faire exploser son ballon remporte la carte. Quelques parties à Etourvy ont vite montré que cela fonctionnait très bien.

J’ai donc débarqué en 2015 à la Gen Con avec mon prototype, une centaine de ballons et une quarantaine de cartes. Si j’ai bien fait rire les éditeurs auxquels je l’ai présenté, aucun n’a alors souhaité le publier. J’ai alors décidé de le faire moi-même, gratuitement, sur mon site web, à la manière de ce que les éditeurs de Cards against Humanity avaient fait pour l’excellent jeu d’identités cachées Clusterfuck (qui apparemment n’est plus en ligne sur leur site aujourd’hui, mais j’espère que cela signifie comme pour Kamasutra qu’ils vont en publier une version imprimée avec un peu plus de cartes différentes).

J’ai demandé à mon ami David Cochard, le talentueux illustrateur de Key Largo, de Waka Tanka, et bientôt de deux autres de mes jeux, de faire les dessins. Je voulais quelque chose de mignon, de léger, sans vulgarité. La première idée de David fut de représenter des pandas, animal kawaii s’il en est. C’était d’autant plus amusant que le panda est réputé pour sa vie sexuelle particulièrement tranquille, lui qui ne fait l’amour qu’une fois tous les deux ans environ (au passage, un conseil de lecture : Panda Sex, de Mian Mian).  C’était une fausse bonne idée, la silhouette du panda, et ses courtes pattes, limitant sévèrement le nombre de positions possibles. David est donc revenu sur un couple humain des plus classiques, mignon et un peu poupon.

J’ai bien sûr rédigé les règles en français et en anglais. Du coup, j’ai cherché sur internet les noms des différentes positions en anglais, mais aussi souvent en français car j’étais loin de toutes les connaître. C’est au cours de ce fastidieux travail de documentation que j’ai découvert que le kamasutra japonais était extrêmement codifié, avec 48 positions  dont les noms traditionnels sont souvent plus poétiques que leurs équivalents occidentaux, comme le Moulin à thé, la Profanation de l’autel des ancêtres, ou Regarder la lune par la fenêtre. Du coup, j’ai décidé de faire aussi une version japonaise, et je remercie Yuka et Masumi pour la traduction.

En janvier 2017, j’ai mis en ligne ici les fichiers pdf des cartes et des règles du jeu, ce qui a suscité pas mal de récations dans le petit monde du jeu, au point que Kamasutra est resté pendant une semaine en tête de la hotlist du Boardgamegeek. Alors que je n’y pensais plus vraiment, j’ai été contacté par Matt Fantastic, qui souhaitait publier le jeu et le vendre aux États-Unis. Nous nous sommes rapidement mis d’accord, et Matt a commandé à David une petite vingtaine de dessins supplémentaires afin d’enrichir la version publiée du jeu. Après l’avoir un temps envisagé, nous avons renoncer à ajouter des règles en allemand car les noms des positions sont à la fois très longs et beaucoup moins drôles ou poétiques que les appellations françaises, anglaises ou japonaises.

J’ai fait ce jeu pour m’amuser, et David l’a illustré pour s’amuser, mais il y a aussi un positionnement politique dans sa publication, dans le fait de dire que le sexe ne doit pas toujours être pris au sérieux (parfois, certainement, mais pas toujours, et pas par principe), et que c’est donc un thème dont on peut jouer comme de bien d’autres. Les idéologies totalitaires, et notamment les religions qui reviennent en force ces temps-ci, ont toujours cherché à encadrer et régenter la sexualité, et tous les discours la concernant. En rire, en jouer, c’est aussi un peu prendre position contre leur discours culpabilisant aussi immoral que moralisateur.

On m’a reproché de n’avoir mis dans le jeu que des positions hétérosexuelles. Le reproche est fondé, mais il me semble lui aussi prendre la sexualité (et le jeu) un peu trop au sérieux. Il vient en effet de ceux qui cherchent à faire des préférences sexuelles un élément fondamental de l’identité individuelle. Elles ne devraient pas plus l’être que les préférences alimentaires ou musicales, dont nul ne se formalise outre mesure.

Une édition professionnelle étant maintenant disponible, j’ai retiré les fichiers qui étaient en téléchargement libre ici. Si vous étiez là pour ça, je vous invite à acheter plutôt le jeu publié par Matt et la sympathique petite équipe de Vice Games.

Kamasutra
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustrations de David Cochard
Publié par Vice Games
4 joueurs et plus
Ludovox
         Tric Trac         Boardgamegeek


The first idea for this game came from a fun youtube video on which I had stumbled by chance (see above in the French version). I immediately though there was matter for a true party game, a kind of adult twister more subtle than the stupid drunkard games sometimes played at the end of wedding parties. The problem with apps like the one used in this video is that many of the random positions are not really compatible with the game, mostly because pushing on a balloon with one’s face is not really fun, and could be dangerous. I looked on Amazon for card games with various sexual position, so that I could sort the cards and keep only the ones really fun to play. There are many such card games available, but most of them are of really bad taste.

You already got the rules. A random card is drawn, and all couples assume the position with an inflated balloon in the contact zone. At the gamemaster’s signal, everyone pushes, and the first couple to pop their ballon wins the round and keeps the card. A few tests with friends at my Ludopathic Gathering showed that this works very well.

So, in 2015, I land at Gen Con with my prototype, a hundred ballons and about forty cards. Publishers had a good laugh, but none was interested in publishing the game. I decided to publish it for free in my website, like the publishers of Cards against Humanity made for their great Clusterfuck party game (it’s unfortunately no more on their site, and I hope this means, like for Kamasutra, that a commercial version with more cards is coming soon).

I hired my friend David Cochard, the illustrator of Key Largo, of Waka Tanka, and soon of two more games of mine, to do the graphics. I wanted something cute and light, not vulgar or pornographic. David’s first idea was to draw pandas, probably the most kawaii animal. This was made even more fun by the fact that Pandas are not very interested in sex, having sexual intercourse only once every two years (BTW, I recommend Mian Mian’s novel Panda Sex). Pandas were a false good idea, their clumsy silhouette and short legs making many positions impossible to draw. So David went back to good old humans, a cute and chubby couple.

I wrote the rules in French and English, and looked on the web for the English names of the various positions, and for the French names of a few ones since I’m far from knowing everything about the subject. During this fastidious documentation work, I found out that the Japanese kamasutra was extremely codified, with 48 official positions whose traditional names are often much more fun than their western equivalents – The Tea Grinding Mill, Looking at the Moon by the Window, or the Profanation of the Ancestors’ Shrine. I therefore decided to have it also in Japanese, and I thank my friends Yuka and Masumi for their help in the translation.

In January 2017, I uploaded here pdf files with the rules and cards for the game. It generated some discussion in the small gaming world, and Kamasutra became the #1 on the Boardgamegeek hotlist for one week.
I was not really expecting anymore to have a publisher print a professional version of it, when I got an email from Matt Fantastic, of Vice Games, who wanted to publish and sell the game in the US. Vice games does sex, drugs and boardgames, but actually mostly boardgames. We agreed easily, and Matt ordered from David about twenty new pictures, so that the published version of the game will have more variety than the original printable one. We considered adding German names and rules, but gave up when we found out that the German names for positions were very long and most times not as fun or poetic as the French, English and Japanese ones. Vice Games sells only in the US, so if you’re interested in translating the game or distributing it in any other country, you can contact Matt at matt@vice.games.

I designed this game for fun, and David illustrated it for fun, but there’s a kind of political statement in publishing it. I want to say that sex should not always be taken seriously (sometimes, for sure, but not always, and not on principle), and that it is a game theme like any other. Totalitarian ideologies, and especially religions which are making a strong comeback these days, have always tried to control not only sexuality, but also all discourse about sex. Having fun of it, playing it, is also a way to condemn their guilt inducing discourse, which is as immoral as it is moralizing. Talking casually and not seriously about sex is already an act of intellectual resistance.

I was criticized for the absence of any homosexual position in the game. I can see the point, but I think this kind of remark also takes sexuality (and games) too seriously. It comes from people who try to make sexual preferences a critical part of one’s identity, when they are just a question of taste and should not be socially more important than preferences about food or music. No one really cares if a game is about fruits or vegetables.

Since a professional edition is now available, I’ve removed the pdf files from this website. If you were here to download it, I suggest you order the Vice Games version instead.

Kamasutra
A game by Bruno Faidutti
   Art by David Cochard
Published by Vice Games

5 + players
Boardgamegeek

David Cochard

La publication sur ce site du Kamasutra, qu’il a illustré avec finesse, a été l’occasion de faire une longue interview de mon ami David Cochard, un personnage hors du commun.

• Bruno : La plupart des illustrateurs que je connais sont venus au jeu de société parce qu’ils étaient déjà joueurs. Ce n’est pas ton cas. Comment es-tu devenu illustrateur de jeux ?

David : Il est vrai que malheureusement, je suis un handicapé de l’esprit de compétition, et cela m’empêche de profiter pleinement de la plupart des jeux. Si je peux sans problème comprendre la mécanique d’un jeu, et parfois même être capable de proposer des améliorations, mon désintérêt absolu de mon sort ou de celui de mon équipe dans une compétition fait de moi un horrible client pour ce genre d’activité. Je rêvasse, pense à autre chose, m’ennuie, pendant qu’autour de moi la colère contre le boulet que je suis commence à monter.
Si je suis tombé dedans, c’est parce que dans les années 90, deux options existaient pour un dessinateur comme moi passionné de science-fiction ou de fantasy : la bande dessinée et les jeux de rôles. Mais déjà dans les années 90, les éditeurs de bande-dessinées proposaient des contrats que je trouvais intolérables. De plus la bd n’autorise pas la diversification des styles comme peut le faire l’illustration. Donc les jeux de rôles étaient mon terrain de jeu. J’y ai rencontré des gens que j’apprécie toujours maintenant, Didier Guiserix, Pierre Rosenthal, etc. Et c’est par l’intermédiaire de l’un deux, Serge Olivier, transfuge de Casus Belli, le magazine de référence du jeu de rôle jusqu’en 2000 vers Tilsit éditions, éditeur de jeux de plateau français, que j’ai rencontré Didier Jacobee, puis Vlaada, etc


Himalaya, de Régis Bonnessée, publié chez Tilsit (2002)

• Tu travailles souvent pour les mêmes éditeurs, notamment CGE (Czech Games Edition), pour qui tu as illustré beaucoup des jeux de Vlaada Chvatil, et Sweet November, où tu as notamment fait les dessins de mon Waka Tanka. Pour quelles raisons ?

Pour des raisons de personnes. Je ne peux vraiment bien travailler que pour une personne que j’apprécie.
Vlaada est un créatif incroyable, d’une rapidité et d’une ouverture d’esprit rafraîchissantes, et avec un humour ravageur. C’est lui qui est venu me chercher en Argentine pour que je l’aide à créer son Dungeon Lords. Il avait senti que j’étais la personne avec qui il pourrait en imaginer l’univers. Nous partageons cela, le goût de la création de mondes aussi bizarres que possibles. Dans la roue de Vlaada, Filip Murmak, grâce à son exigence, et sa patience, m’a toujours permis de me dépasser.
Mon amitié avec Didier date de l’époque où Tilsit a coulé grâce à l’intervention de XXXX (Note de Bruno: les initiés devineront quel éditeur David cite ici, j’ai retiré le nom pour éviter les ennuis mais je partage l’analyse) qui se sont comportés de manière intelligente selon le capitalisme version Trump, comme des enfoirés de mon point de vue. Alors que tout le monde le lâchait, et qu’il croulait sous les dettes et les emmerdes, j’ai appris à connaître un type vraiment bien. Je lui ai donc offert mon amitié et je n’ai jamais eu à le regretter. Ni l’argent, ni la renommée ne sont pour moi des motivations.  Créer, dessiner, m’amuser si.

Dungeon Petz, de Vlaada Chvatil

• Dungeon Lords, Dungeon Petz, Trôl qui arrive bientôt, et aussi, en dehors du monde du jeu de société, ta série de peintures sur les monstres de Paris – Il me semble que tu aimes bien dessiner les monstres. Sais-tu pourquoi ?

La beauté existe sous de multiples formes. La plus évidente est certes intéressante, mais je préfère la beauté bizarre des monstres. Je suis passionné par la vie, et ses formes les plus extrêmes. Les organismes des grands fonds par exemples sont fascinants, mais aussi les champignons, les zooplanctons, les acariens etc. Qui fera l’éloge du psoque si je ne le fais pas ? Sur un plan plus personnel,  j’ai dû me battre longtemps contre une dysmorphophobie qui faisait que je me sentais d’une laideur si repoussante que je m’étonnais quotidiennement qu’on ne me jetât pas de pierres, et je pense que c’était une manière de dire que si j’étais monstrueux dehors, je n’étais pas si pire dedans. Maintenant, ça va beaucoup mieux, je me trouve normal, et c’est un sentiment grisant.

Découvrez ici Les Monstres de Paris, série de peintures de david Cochard

• Quel est le jeu que tu as eu le plus de plaisir à illustrer ? Pourquoi ?
Dungeon Petz Dark Alley. Le monde était déjà rodé, l’idée encore plus drôle, plus particulièrement destinée à un public plus jeune et féminin (même si la mécanique restait pour les enfants à mon avis trop complexe) et que lorsque je proposais des personnages plus délirants les uns que les autres, Vlaada adaptait, quand c’était possible, pour les intégrer

• Avant Kamasutra, tu avais déjà illustré deux de mes jeux, Key Largo, il y a bien longtemps, et plus récemment Waka Tanka. As-tu une anecdote, ou un truc particulier à raconter sur l’un ou l’autre ?

Key Largo est le premier « gros jeu » que j’ai illustré. Je ne savais pas comment et vers quoi aller et j’ai juste essayé de faire de mon mieux.

Pour Waka Tanka, j’ai particulièrement travaillé le style, et je suis tombé par hasard sur l’imagerie traditionnelle américaine.  Ce n’était en réalité pas si étonnant, car je me suis pas mal inspiré de l’imagerie indienne européenne, et en particulier celle de Morris dans Luky Luke Ça a été suffisamment réussi pour provoquer un mini scandale outre Atlantique, où l’on a dû changer l’illustration de couverture.

• Venons-en au Kamasutra. Qu’est-ce qui a été amusant ? Qu’est-ce qui a été difficile ?

L’idée du jeu est particulièrement amusante, et imaginer les gens s’efforcer d’éclater les ballons dans les positions que nous avons choisies et un plaisir récurrent
La difficulté a été de trouver un style qui soit suffisamment mignon pour éviter tout côté salace aux illustrations. Au départ j’avais pensé à des pandas, mais ces sympathiques animaux sont trop courts sur pattes pour se prêter à toutes les positions. Je me suis donc rabattu sur les humains. J’ai donc recherché différents traitements. Les premiers étaient trop comiques à mon goût, d’autres trop réalistes, et je suis finalement tombé sur un traitement qui fait penser un peu à Arthur de Pins, ce qui est plutôt flatteur.

• Comment illustres-tu un jeu ? Techniquement, fais-tu tout sur écran, ou commences-tu sur papier ?

Ça dépend. Si beaucoup de recherches sont indispensables, je préfère dessiner sur papier, et possiblement ailleurs que dans mon bureau. Pour Vlaada par exemple, je vais à Pragues ou à Brno et je crayonne au café pendant que Vlaada, Petr, Filip et autres discutent des personnages. Je jette quelques idées sur le papier, sur lesquelles ils rebondissent, jusqu’à ce que j’obtienne un personnage ou une composition qui satisfasse tout le monde. Je rentre ensuite chez moi et finalise à l’ordinateur.

• T’y prends-tu de la même manière quel que soit le jeu ?

Ça dépend des jeux et du résultat que je veux avoir. Pour Kamasutra par exemple, j’ai fait tous les crayonnés à la main, et les ai repris sur calque pour avoir un grain spécifique. J’ai ensuite aquarellé après les avoir imprimés sur papier (d’où la trame dans les cheveux) et j’ai retouché le résultat sur Photoshop.
En général, il est rare que je fasse autant de travail sur papier, mais je voulais un résultat sensuel, et donc j’ai privilégié le tactile sur le digital, la main plus que le doigt.
Sinon, le plus souvent, pour des raisons de délais, je privilégie l’ordinateur.

• Préfères-tu les éditeurs qui te laissent libre d’improviser ou ceux qui donnent des consignes précises ? J’ai entendu d’autres dessinateurs pester tantôt contre les uns, tantôt contre les autres…

J’aime les deux extrêmes, même si j’ai une légère préférence sur ceux qui ont des consignes précises. Mes clients de l’enfer sont ceux qui disent qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent mais savent ce qu’ils ne veulent pas. En réalité, ils attendent inconsciemment que le dessinateur fasse une vingtaine de propositions différemment géniales pour tomber amoureux d’une d’entre elles. Evidemment, cette méthode exige un travail dingue de la part du dessinateur, un investissement égal pour chaque version, et amène autant de déceptions que de refus pour une seule rémunération. C’est un peu comme si un type entrait chez un pâtissier, goûtait toutes les pâtisseries pour n’en choisir qu’une seule, après bien sûr qu’il ait commenté toutes celles qu’il n’aime pas en disant : ah, celle-ci non, j’aime pas la fraise, etc.
Avec un client qui sait précisément ce qu’il veut, il suffit d’être professionnel. Dans celui qui laisse libre, on doit en plus être créatif, et si le sujet inspire, c’est un bonheur, si non, c’est un travail supplémentaire. Si j’aime travailler avec Vlaada, c’est qu’il a les deux. Il a une idée précise mais sait quand lâcher la bride.
Toi, tu fais clairement de la seconde catégorie, et je pense que c’est parce que tu as confiance dans la capacité du graphiste à exercer son métier (Note de Bruno : c’est surtout parce que je suis conscient de mon incompétence totale en matière de graphisme). Sache que j’apprécie cela énormément.


The publication here of Kamasutra, a card game he has illustrated subtly and cleverly, was a good opportunity for an interview of my friend David Cochard, a very special guy.

• Most of the boardgame illustrators I know went into the job because they were already gamers. It’s not your case. How did you become a boardgame illustrator?

I’m handicapped by a lack of competitive spirit, and this prevents me from really enjoying most boardgames. I have no problem understanding game mechanics, I can even sometimes suggest some improvements, but I can’t get interested in my victory, or even that of my team, and I’m therefore not a nice guy to play with. I dream, my mind wanders, and fellow gamers start getting angry at me pretty soon.
In the ninetiesin France, there were two possible careers for a graphic artist fascinated by fantasy and science-fiction, comics and role playing games. Comics publishers were already proposing the kind of deals I found unacceptable. Furthermore, comics artists cannot change style like illustrators can. Role playing games were my artist playing field, where I met people I still meet occasionally and like, such as Didier Guiserix, Pierre Rosenthal… One of them, Serge Olivier, who had worked at Casus Belli, the grandad of all French rpg magazines, left for a French boardgame publisher, Tilsit editions, and that’s how I met Didier Jacobée, then Vlaada, etc…


With Vlaada Chvatil

• You often work for the same few publishers, mostly CGE (Czech Games Edition), where you made the art for most of Vlaada Chvatil’s games, and Sweet November, where you illustrated many small games, including my Waka Tanka. Why ?

It’s all about personal relations. I can only work for people I like.
Vlaada is incredibly creative, with a fast and open mind, and a devastating humor. He managed to track me in Argentina to help himon his Dungeon Lords, because he felt I was the guy who could help him imagine the right graphic universe. We both like designing bizarre worlds. With Vlaada, there is always his buddy Filip Murmak, whose exigence and patience (or lack of) always help me to give the best I can.
My friendship with Didier dates back to when Tilsit went out of business thanks to the help of XXX (Bruno’s note : insiders will guess whose publisher David is naming here, but though I agree with him, I’d rather not name it) who acted in a clever way according to Trump’s version of capitalism, like bastards according to my view. Everybody was dropping him, he was crumbling under debts, and that’s when I found out he was a really good guy. He became a true friend, and I never regretted it. My motives are not fame or money, they are to create, draw and have  fun.
I  could tell why I like you but it would be too personal ;-).


Trôl, a game by Christophe Lauras, soon to be published by Sweet November.

• Dungeon Lords, Dungeon Petz, soon Trôl, and outside the gaming world your series of paintings about Parisian monsters. It looks like you like to draw monsters. Do you know why?

There are many types of beauty. The obvious one is interesting, but I prefer the strange and disturbing beauty of monsters. I’m fascinated by life, and most of all by its most extreme forms, like deep sea creatures, but also mushrooms, zooplanktons, acarids… Who will praise the Booklice if I don’t? On a more personal note, I’ve long been affected by dysmorphobia, I was feeling so ugly that I was surprised people didn’t throw stones at me. May be it was a way to state that, if I was ugly on the outside, I was not that bad on the inside. I feel better now, normal, and this feeling of normalness is exhilarating.


Parisian Monsters, paintings by david Cochard

• Which game did you have the most fun illustrating? Why?

Dungeon Petz Dark Alleys.
The world was already there, the teamwork already built, but we were targeting other gamers, kids  and women (even when, imho, the systems are still too complex for kids), and many times when I was suggesting some zany and bizarre characters, Vlaada managed to bring them into the game.

• Before Kamasutra, you have already illustrated two of my games. The first one, long ago, was Key Largo. More recently came Waka Tanka. Do you have any fun anecdote about these?

Key Largo was my first “big box” game. I did not really know how to do it, and I just tried to do my best.

For Waka Tanka, I thought a lot on the style, trying to make ironical references to American imagery – it was successful enough to raise a small controversy over there, and we had to change the cover for the US edition.

• What about Kamasutra? What was fun in illustrating it, what was hard?

The game idea is incredibly fun, and I’m always giggling when I’m imagining players trying to pop the balloons in the various positions we have selected.
The most difficult thing was to create the right style, cute enough to defuse any vulgarity in the illustrations. The first idea was pandas, but these cute beasts are too short legged for most of the positions. So I reluctantly went back to humans, and tried several styles. The first ones were too funny and comical, the next ones were too realistic. I finally settled on a graphic style a bit similar with Arthur de Pins (a French comic artist).

• How do you work on game illustrations? Is-it all on-screen work, or do you start on paper?

It depends. If it needs some research and thinking, I’d rather start on paper, and if possible not in my office. To work with Vlaada, I fly to Prague or Brno and sit in some café while Vlaada, Petr, Filip and the rest discuss the characters. I draw some wild ideas on paper sheets, and they react on them until we got a character or a composition they like, then I fly back home and finalize it on the computer.

Tash Kalar, by Vlaada Chvatil

Dungeon Lords, by Vlaada Chvatil

• Do you always work in the same way, or do you change tools and methods depending on the game?

It depends on the game, and what I want to achieve. With Kamasutra, for example, I first drew sketches by hand (là, je n’arrive pas à traduire, ne serait-ce que parcequ’il y a des termes techniques dont je ne connaismême pas bien le sensenfrançais – calque, grain, trame…
I’ve made all the rough first hand and redraw them with tracing paper, in order to get a nice texture. I printed the result on watercolour paper to paint them in watercolours (the halftone screen dots in the hair come from that stage) and I finally photoshopped the whole in order to fix the mistakes I’ve left.
I usually don’t do that much on paper, but I wanted the final result to be sensual, so I needed to handle sensitive tools, working with the hand rather than digital. Most times, due to deadlines, I work more on computer.

• Do you prefer publishers who let you free to improvise, or those who give precise insttuctions for every picture? I’ve heard other illustrators curse the ones and the others.

I prefer those who give detailed instructions, but I can work and enjoy it both ways. What I don’t like are those who pretend they don’t know what they want, but know what they don’t want. In fact, they unconsciously expect the artist to show them a dozen different designs, so that they can get enthusiast about one. This requires more work from the illustrator, the same amount of work for every possible version, with the same final number of disappointments and cancellations but the same pay as a one version work. It feels a bit like someone entering a bakery and tasting all cakes before choosing only one – and making comments about all the ones one dislikes – oh, no, I don’t like strawberries…. 
When the client knows what he wants, the artist just has to do the job. When the artist is free, the artist must also be creative, which is a pleasure when he likes the setting, and a painful job when he doesn’t. What I like in working with Vlaada is that he works both ways. He has a precise idea of what he wants, but he also knows when to give more rope.
You belong to the last type of client, and I guess the reason you let so much rope is that you trust the graphist to know his job, and that’s truly appreciated

Racisme et graphisme dans les jeux aux États-Unis et en Europe
Race and game imagery in Europe and in the USA

Bruno shaman

Une revue universitaire américaine (Analog Game Studies) m’a demandé de retravailler mon article sur “décoloniser Catan” pour en faire un essai plus long et un peu plus sérieusement argumenté. Ce post de blog reprend une annexe à cet essai, annexe consacrée aux problèmes rencontrés outre-Atlantique par les illustrations de deux de mes jeux, une sorte d’étude étude de cas sur la différence de perception, et donc de sens, de certaines représentations entre l’ancien et le nouveau monde. Il m’a semblé que la parution de Waka Tanka était une bonne occasion pour publier ce petit texte ici. Lorsque l’article complet sera publié en anglais, je posterai l’intégralité de sa traduction française.

À deux reprises, d’abord avec Isla Dorada, puis maintenant avec Waka Tanka, les illustrations réalisées en France pour mes jeux ont dû être modifiées par crainte qu’elles soient considérées comme racistes aux Etats-Unis. Mes amis de Days of Wonder ont aussi essuyé des critiques, assez puériles vues d’Europe, sur la présence d’esclaves dans Five Tribes, leur jeu sur les Mille et Une Nuits. Ce qui est intéressant ici, c’est de comprendre comment certaines images, ou certains thèmes, peuvent être perçus comme racistes aux Etats-Unis et pas en Europe, et parfois aussi l’inverse. Lorsqu’un tel problème se pose, et c’est fréquent dans de très nombreux domaines, les européens réagissent habituellement en se moquant de l’hypersensibilité et du politiquement-correct à l’américaine, tandis que les américains critiquent – à tort – l’insensibilité et l’aveuglement des européens et – parfois à raison – leur goût de la provocation. Un autre problème est que les américains sont habitués à voir les critiques du politiquement-correct venir d’une droite plus ou moins décomplexée, réclamant la liberté d’exprimer des idées socialement problématiques, et ne réalisent pas qu’en Europe les attaques viennent autant de la gauche, de tous ceux qui pensent comme moi que l’euphémisation du langage et des représentations est surtout une excuse pour ne pas s’occuper des vrais problèmes sociaux, voire un moyen de les cacher, et que la logique du politiquement correct finit par nuire aux bonnes causes qu’elle est censée défendre.

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L’esclave et le fakir. Je reconnais que le dessin du fakir est meilleur.

Quoi qu’il en soit, et sans doute parce que je suis européen, je n’ai toujours pas vraiment compris quel problème posait la présence d’esclaves dans Five Tribes. Leur absence, voire leur occultation, dans Puerto Rico me met plus mal à l’aise. L’univers de Five Tribes relève de l’imaginaire orientaliste, celui de Puerto Rico est plus historique, mais les esclaves étaient présents dans ces deux mondes. Les remplacer par d’euphémistiques colons, ou par des fakirs quand il y a des centaines d’esclaves mais pas un seul fakir dans tout le texte des Mille-et-une-nuits, semble surtout un moyen d’ignorer, voire d’effacer, les passages les plus gênants de notre histoire. Cela ne contribue en rien à lutter contre l’orientalisme ou le racisme, cela n’aide pas non plus à les comprendre, cela les cache simplement d’une manière très superficielle et un peu hypocrite.

Ce qui m’est arrivé – ou, plus précisément, qui est arrivé à mes illustrateurs et mes éditeurs – est plus intéressant.

Isla Dorada est un compendium de clichés orientalistes sur diverses cultures, souvent allègrement mélangées. Tout dans son thème et ses illustrations relève de la caricature. Lorsque mes amis de Fantasy Flight Games prirent la décision de le publier en anglais, ils tiquèrent devant l’une des illustrations, le sauvage noir de la tribu des Ovetos, et demandèrent à l’éditeur français de la modifier car elle était, pour eux, à la limite du racisme. J’ai demandé le point de vue du seul auteur de jeu noir que je connaisse, Eric Lang, qui travaillait alors avec Fantasy Flight Games, et cette illustration ne lui posa aucun problème – mais il est aussi canadien, et donc à demi européen.

L’éditeur et l’illustrateur français réagirent de la manière habituelle « il n’y a rien de raciste, mais les américains sont un peu paranos sur ces questions, on va modifier le dessin ». Le problème de l’éditeur américain était que le cliché exploité par l’illustrateur n’était pas politiquement correct, le problème de l’illustrateur français était d’être fidèle à un cliché qui n’avait rien de politique, et qui était le véritable thème du jeu.

Là où les choses deviennent amusantes, c’est que nous nous sommes dans un premier temps trompés sur ce que les américains trouvaient raciste dans cette image. Nous avons pensé que c’était l’os qui traversait le nez du sauvage, alors que c’était ses lèvres proéminentes. Cela montre qu’une caricature n’est jamais raciste en elle-même. Nul ne fronça un sourcil lorsque le jeu fut publié outre-Atlantique avec un noir aux lèvres fines et au nez percé et décoré. Les codes définissant ce qui est raciste et ne l’est pas ne sont tout simplement pas les mêmes des deux côtés de l’océan. Pour nous, et pour moi, l’os, avec son côté “sauvage et barbare” était peut-être un peu limite, les lèvres, n’étant qu’un attribut physique, ne posaient pas plus de problème que des cheveux frisés – mais il est vrai que notre personnage est chauve.

Isla Dorada - Ovetos Isla Dorada - Ovetos Isla Dorada - Ovetos
Trois versions successives de la carte Ovetos :
L’original, une première version rapidement corrigée avec des grosses lèvres mais la peau claire, et la version publiée, à laquelle les lèvres fines donnent un aspect cruel.

C’est un peu la même histoire qui est arrivée à Waka Tanka. Comme je l’ai expliqué précédemment, nous n’avons pas en Europe les mêmes complexes que les américains pour parler des indiens d’Amérique, un peu parce que, nous, nous ne leur avons rien fait mais surtout parce que l’image exotique que nous en avons est construite autant sur la similitude que sur l’étrangeté. Quoi qu’il en soit, un éditeur brésilien a décidé d’éditer ce jeu pour le marché américain. Il fut aussi surpris que moi, et que l’illustrateur, en apprenant que l’image de couverture risquait de passer pour une caricature ouvertement raciste. Bien sûr, nous nous sommes d’abord moqués du fait qu’il était impossible de dessiner un indien qui ressemble à un indien, mais après quelques discussions sur les forums de joueurs, il est apparu que le problème était, là encore, très spécifique. Ce n’était pas tant l’univers exotique des indiens des plaines, présent dans bien des jeux européens déjà vendus en Amérique, que la figure du vieux chef au premier plan, qui rappelait à tous les américains les « Cigar Store Indians », une image dont je ne connaissais que vaguement l’existence, mais qui est un peu l’équivalent américain de notre “noir banania”.

Pour les deux jeux, les premières discussions entre européens (et brésiliens) d’un côté, et américains de l’autre, ont consisté à argumenter, à expliquer que l’image était, ou n’était pas, raciste. Bien sûr, cela était vain, car la même image peut être raciste en Amérique et pas en Europe, selon les éléments de représentation qui sont devenus les codes arbitraires du discours raciste, et accessoirement selon le fait qu’une caricature est en elle même tenue ou non comme quelque chose d’insultant.

C’est pour cette raison que, même si cela coûte un petit peu plus cher, l’éditeur français de Waka Tanka a décidé de conserver la couverture initialement prévue pour l’Europe, et a demandé à l’illustrateur, David Cochard, d’en réaliser une autre pour les Etats-Unis. David s’est même fendu sur Facebook d’un petit billet d’humeur fort bien vu dans lequel il expliquait ce qu’est une caricature. Pour lui, comme d’ailleurs pour moi si j’avais su dessiner, ne pas être raciste consiste à caricaturer tout le monde de la même manière, tandis que refuser de caricaturer certains groupes aurait été à la fois raciste et paternaliste.

Waka Tanka - CoverWaka Tanka US - Cover
Les couvertures françaises et américaines de Waka Tanka

Nous avons aussi envisagé de déplacer l’action dans les îles du Pacifique, en remplaçant le totem par un tiki. Cela nous aurait permis, une fois le jeu publié sans que nul n’y trouve à redire, de faire remarquer ironiquement qu’alors qu’il y a plus de polynésiens que d’indiens d’Amérique, seuls ces derniers posent problème. Cela aurait cependant obligé à refaire toutes les illustrations et aurait donc coûté plus cher, et l’histoire des esprits animaux aurait moins collé à l’univers polynésien. Et puis, j’ai un autre jeu avec des tikis qui arrive bientôt, on va bien voir comment il sera reçu…. Il reste que, dans un monde ou les produits et les images sont mondialisés plus rapidement que les idées, ce genre de problème risque de se poser de plus en plus fréquemment.


Bruno grand shaman 

A US academic review, Analog Game Studies, has asked me if I could expand on my post about “postocolonial Catan” to make a longer and more scholarly essay out of it. The new version of this articles, which develops some new themes, will be published in the second volume of the print edition of Analog Game Studies. The following post was originally intended as an annex about the problems we encountered in the US with the art for two of my games. It is a case study of the difference in the perception, and therefore in the meaning, of  representations between the European and the American culture. I think that the publication of Waka Tanka, first in a French and in a few months in English, is a good oportunity to post this short text here,

 Two times, with Isla Dorada and now with Waka Tanka, there has been problems with the graphics in my games, which had to be changed by fear that they would be considered racist in the US. My friends at Days of Wonder also experienced unexpected (and incomprehensible from Europe) attacks about the presence of slaves in their 1001 nights boardgame Five Tribes. I think there is something interesting in why some pictures or themes can be seen as racist in the US and not in Europe. When such an issue occurs, and it happens very often in various industries, the usual reaction on this side of the Atlantic is to mock American oversensibility and political-correctness, while the US point is to consider Europeans insensitive – which they are not – or provocative – which they might be. Another problem is that Americans are used to see attacks on political-correctness come mostly from the right, meaning from people who want the freedom to express problematic ideas, and don’t realize that many European attacks are coming from the left, from people who think, as I do, that euphemizing language or representation is mostly an excuse not to deal with “real world” social or racial issues, and even to hide them. As a result, undiscriminate political-correctness applied to language and representation ends up harming the very cause it was supposed to foster.

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Slave and Fakir. At least, the art for the fakir is better.

Anyway, may be because I am a European, I still don’t really understand what exactly was the problem with the presence of slaves in Five Tribes and, as I wrote earlier, I find their absence in Puerto Rico much more unsettling. Five Tribes has a fantasy and extremely orientalist setting, Puerto Rico has a more historical one, but both settings include slaves, and replacing them with so-called “colonists” or with fakirs, when there are hundreds of slaves but not a single fakir in the whole text of the 10001 nights, looks like a way to simply ignore, to erase, the problematic parts of our history. It’s not getting rid of orientalism or racism, it’s not even helping to make sense of it, it’s just euphemizing them in a very superficial, and some would say hypocritical way.

What happened to me, or at least to my illustrators and publishers, with the graphics of two different games is more interesting.

Isla Dorada is a compendium of orientalist clichés from several different – and often lightly mixed – cultures. Everything in its theme and its graphics is caricature. When Fantasy Flight Games decided to publish it in the US, they frowned at one of the pictures, a black savage of the Ovetos tribe, and asked the French publisher to change it because it bordered on racism. Actually, the only black boardgame designer I know, Eric Lang, who was working with Fantasy Flight Games at that time, didn’t have any issue with picture, but he’s also a Canadian, which means half a European.

The French publisher, and the artist, reacted in the usual way “OK, it’s not racist, but Americans are a bit paranoid when it comes to these issues, let’s change it”. In fact, the problem for the US publisher was whether the cliché was politically acceptable, while the problem for the French artist was to be esthetically true to the cliché, which is the real theme of the game.

Where it becomes really fun, is that we first mistook what Americans thought racist in the picture – it was the fat lips of the character, when the artist first thought it was the bone through his nose. This shows that an exotic caricature is not racist per se – no one raised an eyelash when the game was published in the US with a thin lipped black tribesman sporting a bone through his nose – but that the codes defining what is racist and what isn’t are not the same in Europe and in the US. For us, and for me, the bone, which could suggest “cultural backwardness” was borderline, while the lips, being a physical feature, were no more problem than fuzzy hair – well, this Ovetos is actually bald, but you see what I mean.

Isla Dorada - Ovetos Isla Dorada - Ovetos Isla Dorada - Ovetos
Three versions of the Isla Dorada Ovetos card :
Naiiiade’s original, a first reworking with white skin, and the final version with black skin and thin lips. The thin lips make him look more cruel.

A very similar story happened with the cover art for Waka Tanka. As I said before, we don’t much care for stereotypes in the representations of American Indians in Europe. The main reason is not the obvious one, that we didn’t kill them – our cousins did – , it is that the exotic image we have of them is universally positive, and based as much on sameness than on otherness. Anyway, a Brazilian publisher decided to bring the game to the US, and was as surprised as me, the illustrator, and the French publisher when told the cover picture of the game was overtly racist. Of course, we first mocked the idea that it was impossible to draw an American Indian who looks like an American Indian, but after some discussions on game forums, it appeared that the issue was, once more, extremely specific. The problem was not the exotic and unrealistic setting, which is common in European games and didn’t create any problem so far, but the figure of the old chief in the foreground, which reminded every American of the “Cigar stores Indian” – an image I didn’t even know about.

For both games, the first steps in the discussion between European (and Brazilians) and Americans were trying to prove that the picture was, or wasn’t, racist. Of course, this was vain, since the answer is that the same picture can be racist in the US and not in Europe, or the reverse, depending on what part of the representation of the other has become the accepted sign of racism, and whether the very act of caricature is considered insulting or not.

It is to emphasize this that, even when it means some added costs, the French publisher of Waka-Tanka has decided to keep the original cover in Europe, while the artist, David Cochard, was commissioned a new one that will be used only in the US. David even wrote a fun and clever, but also a bit angry, reaction on Facebook in which he explained that he was a caricaturist, and that not being racist meant caricaturing everyone in the same way, while refusing to caricature some groups would have been both racist and patronizing.  

Waka Tanka - CoverWaka Tanka US - Cover
The French and US covers for Waka Tanka

We also considered relocating the action in Polynesia, and replacing the totem with a tiki. This could have been fun in order, after the game had been published and raised no eyelash anywhere, to point at the irony that while there are far more Polynesians than American Indians, the latter were an issue and not the former. But changing all the graphics would have been expensive, and the animal spirit storyline would not have fitted as well in the new setting. And anyway, I have another game with tikis in the pipe, we’ll see what happens….. But, indeed, such issues will cause more and more problems in a world where products and images are globalized much faster than ideas.

Waka Tanka

Waka Tanka - Cover

Ceux qui suivent mes créations depuis longtemps savent qu’il y a un genre avec lequel je me sens assez à l’aise, et auquel je reviens fréquemment – les petits jeux de cartes basés presque exclusivement sur le bluff. Ceux qui apprécient le genre, ceux qui jouent à mon Toc Toc Toc! ou au Poker des Cafards, ceux qui ont joué dans leur jeunesse au Menteur, ne seront pas dépaysés par Waka Tanka, un jeu dans lequel on joue des cartes faces cachées en essayant de les faire passer pour d’autres.

Cherchant un thème amusant qui pourrait justifier le jeu d’une carte face cachée en prétendant que c’en était une autre, j’ai pensé aux sacrifices d’animaux, et à des prêtres sacrifiant un animal à la place d’un autre, espérant que cela passerait inaperçu des hommes et peut-être des dieux. J’ai hésité quelques temps entre les temples grecs et les sorciers indiens. Si J’ai préféré les seconds, c’est surtout parce que pumas, aigles et bisons avaient plus de gueule et me semblaient pouvoir donner lieu à de plus jolis dessins que vaches, poules et cochons. C’est juste dommage que, après rapide enquête de mon éditeur – je n’avais pas vérifié moi-même – il se soit avéré que les indiens ne sacrifiaient pas les animaux, et se contentaient d’invoquer leurs esprits. Enfin, c’est un jeu familial, on ne pouvait de toute façon pas y tuer de gentils animaux.

Waka Tanka

Nous avons donc des sorciers qui, comme dans les histoires d’indiens et de cowboys de mon enfance, dansent autour des totems en chantant et remuant les bras. Bien sûr, si l’on veut faire venir l’esprit du bison, il faut faire l’incantation du bison et non de la souris, tout comme il vaut mieux éviter d’appeler un glouglou au lieu d’un aigle.

À partir de là, le jeu était presque fini, il n’y avait plus qu’à mettre les totems en cercle au centre de la table, en regrettant un peu qu’il n’y en ait pas qu’un seul, comme dans l’imagerie du village indien des bandes dessinées de mon enfance. L’éditeur a dû se faire la même remarque, puisqu’il a ajouté un joli totem central, purement décoratif.

Waka Tanka

Donc, les joueurs ont en main des cartes représentant des animaux, et doivent s’en débarrasser en les jouant, faces cachées, devant les totems correspondants. Bien sûr, les endroits où l’on peut jouer et les cartes que l’on a en main ne correspondent pas toujours, et les autres sorciers ont tout intérêt à prendre le tricheur la main dans le sac.

Il y a quelques mois, j’ai publié sur ce blog un long article « décoloniser Catan » dans lequel je discutais de l’usage particulièrement fréquent et caricatural des stéréotypes historiques et culturels dans les jeux. Cet article m’a valu de nombreux commentaires et a été, de très loin, le plus visité de tous ceux que j’ai jamais publié sur mon site. On peut donc être surpris de voir, quelques mois plus tard, sortir un jeu exploitant de manière apparemment décomplexée les stéréotypes sur les Indiens d’Amérique. Il semblerait que Wakan Tanka soit un terme Lakota, et que les Lakotas aient des esprits mais pas de totems, mais qu’importe – ce n’est un jeu ni sur les Lakotas, ni sur les esprits, ni sur les totems, c’est un jeu de bluff qui exploite l’imagerie européenne du village indien.

interieur waka tanka

Le contrat d’édition de Waka Tanka a été signé bien avant que je ne réfléchisse sérieusement au sujet de l’exotisme dans les jeux et n’écrive « décoloniser Catan ». Si je devais développer ce jeu aujourd’hui, je me poserai certainement quelques questions, mais je ne choisirais peut-être pas un autre thème – en revanche, j’utiliserai certainement ce jeu comme exemple, en le mettant en pendant de Colt Express. Mon article sur l’orientalisme dans les jeux de société se contente en effet de constater une tendance, de l’expliquer et de montrer ses ambiguïtés. C’est délibérément, et après réflexion, que je ne suis pas allé jusqu’à une condamnation, et j’ai d’ailleurs précisé dans les commentaires, lorsque l’on ma demandé si je continuerai à avoir recours à l’exotisme, que ce serait certainement le cas. Exotisme historique et orientalisme relèvent certes toujours à l’origine d’un processus d’objectivation ou de simplification de l’autre, mais les univers imaginaires qu’ils créent deviennent parfois des références culturelles ayant leur propre cohérence, plus ou moins indépendantes de leur sujet d’origine. Bref, l’univers de mon jeu n’a rien de commun avec celui des indiens d’Amérique, dont je ne connais d’ailleurs pas grand chose, et tout avec les bandes dessinées de mon enfance, dont j’ai un souvenir bien précis, et qui donnaient d’ailleurs des indiens d’Amérique une image certainement fausse, mais très positive.

Waka Tanka

Il serait d’ailleurs intéressant de se demander pourquoi il n’y a pas, en Europe et tout particulièrement en France, de racisme à l’égard des indiens d’Amérique, dont nous avons une image très caricaturale mais systématiquement positive, et ce depuis le XIXème siècle. Bien sûr, on peut répondre par une boutade en disant que c’est parce que nous n’avons pas d’indiens, mais il y sans doute plus que cela. D’une part, nous n’avons pas vraiment conscience qu’il y a encore des indiens en Amérique, et ils sont donc perçus comme des figures historiques plus que comme des étrangers. Surtout, les indiens des Plaines tels qu’ils ont été décrits aux XVIIIème et XIXème siècles ont servi de modèle, en France mais aussi en Allemagne, à la manière dont nous avons construit l’imaginaire fantasmé de nos origines avant la conquête romaine – les villages Gaulois des images d’Épinal, comme celui d’Astérix, avec leur chef et leur druide, ont été construits sur le modèle, également fantasmé, du village indien avec son chef et son sorcier. Les Indiens ont donc toujours été pour nous les gentils, et les cow-boys les méchants. Se moquer des Indiens, c’est un peu se moquer de nos propres ancêtres – quelque chose que l’on fait volontiers, mais jamais méchamment (voir sur ce point cet autre post, plus récent)

Waka Tanka

Mon prototype s’appelait Wakan Tanka, mot Lakota pour le grand esprit, mais le titre est devenu Waka Tanka pour éviter la confusion avec un autre excellent jeu, Wakanda, de mon ami Charles Chevalier. Les illustrations de Waka Tanka ont été réalisées par David Cochard, un ami avec qui je n’avais plus travaillé depuis Key Largo, et qui a fait un travail exceptionnel, surtout pour un petit jeu sans prétention comme celui-ci. J’aime tout particulièrement les cartes d’incantation, avec les sombres silhouettes d’animaux en arrière plan. La mignonne petite souris, moins inquiétante que les autres, est d’ailleurs une idée de David pour la carte maudite. Elle n’a pas l’air bien inquiétante, mais c’est la carte dont il est le plus difficile de se débarrasser, car un shaman digne de ce nom n’aurait pas bien l’air sérieux en invoquant, devant tout le village, l’esprit d’une ridicule petite souris.

Waka Tanka
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par David Cochard
3 à 5  joueurs  –
20 minutes
Publié par Sweet November (2016)
Tric Trac       Ludovox       Boardgamegeek


Waka Tanka US - Cover

If you’ve followed me for some time, you know there is a genre I like playing, and to which as a designer I am often coming back, light card games based only on bluff. If you have played my Knock Knock!, and may be Letters of Marque, or if you’ve played Skull or Cockroach Poker, or even only if you’ve played Bullshit as kid, you might enjoy Waka Tanka, another game in which cards are played face down and are not always what they pretend to be.

When I was thinking of fun themes for a bluffing game, I came upon the idea of animal sacrifice, and of priests slaughtering the wrong animal hoping that men and may be even gods, would not notice. I hesitated between ancient Greek temples and American Indian shamans. I choose the latter because cougars, eagles and bison are sexier than cows, hens and pigs, and would make for much nicer graphics. My publisher made a very fast enquiry and found out that Plains indians didn’t sacrifice animals, but only summoned their spirits – this makes the game’s theme a bit less fun, but anyway, we probably could not have killed cute animals in a light family game, no matter whether the sacrificer was Greek or Indian.

Waka Tanka

So we have wizards who, like in the cow-boys and Indians comics I read as a teenager, dance around the totem pole and making ample arm gestures.Of course, since this is where the mechanics fit in the theme, a wizard lacking the right animal card might try to invoke a turkey cock instead of an eagle, a groundhog instead of a bear.

Once I had this storyline, the game was almost done – I just had to chose six animals and place six totems in the center of the table, regretting a bit that there was not only one, like in my childhood’s comics.The publisher must have though the same when he added a nice central cardboard totem, of no real use in the actual game.

Waka Tanka

Anyway, players have animal cards in hand, and must discard them in front of the corresponding totems. Of course, the places where one can play and cards one has in hand don’t always fit. Cheating is often the only way to get rid of cards, but the other sorcerers will try to catch the cheater red-handed.

A few months ago, I’ve published on this blog a long article about “postcolonial Catan” in which I discussed the frequent and caricatural use of cultural and historical stereotypes in games. This article was much discussed, and is still, by far, the most visited on my website. Some might be surprised to see, a few months later, a game of mine making an apparently careless use of stereotypes about Native Americans, even choosing an exotic sounding name without trying to see what it exactly means. Wakan Tanka is a Lakota expression for a more or less unique great spirit, and  Lakota have animal spirits but no totem poles – but anyway, this is not a game about Lakotas, about animal spirits or about totem poles – it’s a light bluffing game using the very European image of the Indian village elaborated in comics from the sixties and seventies, whose meaning here is a bit different from what it is in the US.

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The publishing contract for Wakan Tanka was signed long before I started thinking seriously of exoticism in games and I wrote the postcolonial Catan blogpost. If I were to design this game today, I would probably think a bit more on the theme, but I’m not sure I would change it. I would probably, on the other side, use it as an example and place its cover next to the one of Colt Express. My article on orientalism in boardgames notices the trend, tries to explain it and to show its ambiguities, but it doesn’t go as far as condemning it. When asked about it, I answered in a comment that I will very probably keep on making use of all forms of exoticism in my game themes – I even sometimes think it’s better to keep on using such themes just to remember what they mean rather than resigning with it and losing not only some humor, but also our knowledge of our intellectual history.

Anyway, if historical exoticism and orientalism always start with objectivation and simplification of the other, the imaginary world they create sometimes become cultural references more or less independent from their original object. The context of Waka Tanka is not native Americans culture, of which I know almost nothing, it’s the Indian villages as described in French and Belgian comics from the sixties and seventies – which were giving of American Indian a simplistic but also very positive idea – and this is also worth discussing.

Waka Tanka

There’s definitely much racism in Europe, but there’s certainly no racial prejudice against American Indians. On the contrary, the image we have of them is a caricature, but unequivocally a very positive one. Of course, we can explain this with the usual joke, saying it’s because there are no native Americans in Europe, but I think there’s more to it. Most Europeans don’t really know there are still Native American people and living native American cultures – for us, American Indians are historical figures, not contemporary ones, and therefore cannot be really seen as “foreigners”. Also, in France and in Germany, Plain Indians as described in the late XVIIIth and XIXth century were used as the metaphoric basis when inventing a fantasized history of our origins, before the Roman conquest. The mythical Gallic village of old history books, and of comics as well, with its chief and its druid, is directly copied from the almost as mythical Indian village, with its chief and sorcerer. That’s why Indians were always the good guys, and cow-boys the bad ones, and this from the XIX century. This means that gently mocking this image is also, in a way, a like mocking our own ancestors, something everybody does, but never in a really bad way. What makes this especially difficult to explain to US gameers is also the very American idea that caricature is inherently disparaging – in Europe, and may be even specifically in France, it’s not the case, which I think is the way it should be (more about this in this more recent post).

Waka Tanka

 My prototype was called Wakan Tanka. The name was changed into Waka Tanka to avoid confusion with Charles Chevalier’s recently published Wakanda, a great two players tactical game. The graphics for Waka Tanka were made by my friend David Cochard, with whom I had not worked since Key Largo, more or less ten years ago. I’m really impressed by his work, which really gives life to Waka Tanka, which is basically a light and unpretentious game. I’m most fond of the incantation cards, with the troubling dark shapes of animal spirits in the background. The cute little mouse is David’s idea for the cursed card, the one you can’t play. It’s not really frightening, but it’s actually the worse card you can have in hand because a shaman worthy of its rank can’t decently invoke the little mouse spirit in front of the whole village.

Waka Tanka
A game by Bruno Faidutti
Art by David Cochard
3 to 5 players  –
20 minutes

Published by Sweet November and Cool Mini or Not (2016)
Boardgamegeek

The English language edition of Waka Tanka is due later this year..

Waka Tanka

Festival des jeux de Cannes
Cannes game festival

Cannes - playmobil

Le salon du jeu de Cannes devient peu à peu un évènement ludique majeur. On y croise un peu les mêmes gens qu’à Essen ou Indianapolis, même s’ils sont encore un peu moins nombreux. J’avais un programme bien chargé cette année pour présenter dans le hall surpeuplé et bas de plafond mes jeux qui viennent de sortir (Raptor, 3 Singes, Warehouse 51), celui qui sortait tout juste sur le salon, Waka Tanka, et ceux qui sont en route pour une sortie prochaine, Dolorès et Fearz!.

Il y en a quelques autres dont je ne peux pas trop parler pour l’instant, et dont nous discutions plutôt dans les petits bureaux et salons à l’étage. Je n’avais amené que deux prototypes vraiment nouveaux à présenter aux éditeurs, mais ils semblent avoir plu.

Cannes - 3 singesCannes - 3 Singes - bannière

Cannes - Fearz - 2Cannes - Warehouse 51 - 2

Cannes - Raptor - Coralie Cannes - Argo

Waka Tanka, un jeu de bluff malin pour toute la famille, a été très bien accueilli. Mon ami David Cochard, l’illustrateur, était très occupé à peindre squaws et indiens tandis que je me contentais de signer les boites, ce qui prend moins de temps. Nous avons profité de ces quelques heures passées côte à côte sur le stand de Sweet November pour nous mettre d’accord sur un autre projet encore un peu secret.

David Cochard - Waka Tanka - 2Cannes - Waka Tanka

David Cochard - Waka Tanka - 1Cannes - Waka Tanka - 3.jpg

Au coin de chaque allée du salon, je croisais Nobuaki Takerube, qui m’a semblé être partout. David l’a d’ailleurs croqué en Indien. Sans doute a-t-il aussi semblé à Tak que j’étais partout. J’ai aussi passé pas mal de temps avec mon ami Eric Lang, mais cela, c’était prévu, car nous avons pas mal de projets communs.

Cannes - FearzCannes - Dolorès

Cannes, c’est aussi les As d’or. Le fabuleux et original Mysterium, d’Oleg Sidorenko et Oleksandr Nevskij, jeu de déduction coopératif que je soutiens depuis ses débuts, a reçu le très mérité as d’or, tandis que Maître Renard, de Frédéric Vuagnat, recevait le prix enfant et Pandemic Legacy de Matt Leacock et Rob Daviau le prix expert des jeux un peu compliqués. Parmi les auteurs que je côtoyais, et avec lesquels j’ai beaucoup discuté les jours suivants, cette cérémonie a provoqué un certain malaise, avec des discours qui vantaient la qualité d’édition et la ligne éditoriale mais parlaient bien peu des auteurs et encore moins des jeux eux-mêmes. C’est une maladresse dont on espère qu’elle ne présage pas de l’évolution du monde du jeu et qu’elle sera donc corrigée l’an prochain. On retiendra un moment d’émotion lorsque Régis Bonnessée, sachant, lui,  mettre ses auteurs en avant, a lu la lettre de remerciements des auteurs ukrainiens de Mysterium, qui n’avaient pas pu faire le voyage.

mysterium maitre renard pandémie

Entre soirées et cocktails, je n’ai pu passer au “off” ou les auteurs connus et moins connus font tourner leurs jeux encore en construction que jeudi soir, après la cérémonie des as d’or. Je pourrai désormais me vanter d’être le premier auteur à s’être fait virer du off. Enfin, je ne me suis pas vraiment fait virer, mais le service d’ordre est venu interrompre après trois tours une partie de Kamasutra trop bruyante et qui aurait pu choquer certains joueurs – pas de cela chez nous!

Cannes - off - 1Cannes - off

Sans doute pour contrebalancer cet épisode et me redonner un petit vernis culturel, j’étais le lendemain à la soirée de lancement d’Ilinx, la société d’édition littéraire dédiée aux univers ludiques créée par mes amies Adèle Perché et Natacha Deshayes. C’est un projet ambitieux et risqué, qui mérite d’être soutenu.

Cannes - ilinxiello

Les quelques heures libres dans mon emploi du temps bien chargé ne m’ont pas permis de faire vraiment le tour du salon et de découvrir toutes les nouveautés, mais j’ai quand même écouté les rumeurs et ramené quelques boites. Voici donc les jeux qui m’ont semblé faire le buzz, du moins parmi les gens que j’ai croisés, qui n’avaient pas joué à tout et n’ont pas nécessairement les mêmes goûts que vous, ni même que moi

fastfouille sea of clouds quadropolis potion explosion nebula  intrigue imagine happy pigs fourberieseurekamanchots

Sinon, j’ai fait un peu de tourisme la veille du salon, et conseille vivement la visite du musée Picasso d’Antibes.


Cannes - playmobil

The Cannes game fair is now becoming a major boardgaming event. It’s not yet Essen or Indianapolis, but the people one meets in the alleys is more and more the same. I had a very busy schedule this year, and spent most of my time in the crowded and low-ceilinged hall showing my recently published games (Raptor, 3 Monkeys, Warehouse 51), the one that was published just for the fair, Waka Tanka, and those which are due very soon, Dolorès and Fearz! I also spent a few hours in the upper office rooms discussing a few ones I cannot talk about yet. I had brought with me only two new prototypes which I wanted to show to prospective publishers, and both raised some interest.

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Cannes - Fearz - 2Cannes - Warehouse 51 - 2

Cannes - Raptor - Coralie Cannes - Argo

Waka Tanka, a light bluffing game for the whole family, was very well received. My friend David Cochard, the illustrator of Waka Tanka, was busy painting pretty squaws and indians while i only had to sign copies, which takes much less time. The long hours we spent side by side on the Sweet November booth also led to a new common project… more about this in a few weeks.

David Cochard - Waka Tanka - 2Cannes - Waka Tanka

David Cochard - Waka Tanka - 1Cannes - Waka Tanka - 3.jpg

Round every corner, i was walking into Nobuaki Taketube, who seemed to be everywhere, and David also drew him as an indian. Tak probably also thought I was everywhere. I also spent lots of time with my friend Eric Lang, but this was less of a surprise, since we have some common projects.

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Cannes is also where and when the As d’or awards are bestowed. The highly original and fantastically fabulous Mysterium, by Oleg Sidorenko and Oleksandr Nevskij, a game I am praising and promoting since its very beginnings, deservedly got the As d’Or, while Master Fox, by Frédéric Vuagnat got the Children award, and Pandemic Legacy, by Matt Leacock & Rob Daviau got the expert award for more complicated games. The many game designers who were there, however, were feeling a bit uneasy. The speeches were always praising the quality of the game production or the consistency of the editorial line, but told very little about the game designers and even less about the game themselves. We all hope this doesn’t foretell the way the boardgaming world will evolve in the coming years, and next year’s speeches will be more balanced, but there are reasons to be concerned. There was a moving moment when Régis Bonnessée read a letter by the Ukrainian designers of Mysterium, who could not attend the fair.

mysterium maitre renard pandémie

Every night, at the “off” festival, game designers can freely play their prototypes. With a heavy schedule of dinners and cocktail parties, I was there only once, on Thursday night, but I can now praise myself of being the first designer expelled from the Off. Well, I was not really expelled, but I was ordered by security to stop after three rounds of my Kamasutra game, which was too noisy and could be shocking for some of the audience.

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On Friday night, I tried to redeem myself and attended the launch party of Ilinx, the new book publishing company of my friends Adèle Perché and Natacha Deshayes. Ilinx, an intellectually ambitious project, plans to publish books about all the aspects of gaming.

Cannes - ilinxiello

I had too few and too short free slots in my schedule to play themany new games shown on the fair, but I tried to listen to the buzz. So, here are the games abiut which I’ve heard the most good things:

fastfouille sea of clouds quadropolis potion explosion nebula  intrigue imagine happy pigs fourberieseurekamanchots

Also, since I was in Cannes a day earlier, I went sightseeing, and  I strongly recommend the Picasso museum in Antibes.

Key Largo

Le Thème :
Nous sommes dans les derniers jours du XIXème siècle, sur une île des caraïbes qui fut longtemps un repaire de pirates. On a récemment découvert que de nombreux galions chargés d’or, coulés à l’époque de la flibuste, reposent par le fond à quelques milles des côtes. Le terrible ouragan Katty est annoncé dans une dizaine de jours, ce qui vous laisse peu de temps pour recruter sur place une équipe de plongeurs et ramener à la surface les trésors engloutis.

La mécanique :
Key Largo est un jeu de programmation simultanée. Chacun doit chaque matin décider secrètement de ce qu’il doit faire dans la journée – emmener des touristes voir les dauphins, plonger à la recherche de trésors engloutis, vendre vos trouvailles au marché, acheter du matériel ou traîner à la taverne pour recruter des plongeurs et écouter les dernières rumeurs. C’est aussi un jeu de gestion dans lequel chacun débute la partie avec une somme modeste qu’il devra faire fructifier, le vainqueur étant le joueur le plus riche lorsque l’ouragan oblige à arrêter les plongées.

L’histoire :
J’avais beaucoup apprécié La Crique des Pirates, et échangé à son sujet des emails très sympathiques avec Paul Randles, l’un des auteurs du jeu, mais nous n’étions jamais parvenu à nous croiser. Sans doute aurions nous fini par trouver le moyen d’organiser une rencontre, mais Paul fut surpris par un cancer qui l’emporta en quelques mois, alors même que le succès commençait à pointer le bout de son nez.

Paul Randles and Mike Selinker

Ne voulant pas se laisser abattre, Paul s’efforça jusqu’au bout de faire des projets, et l’un de ses derniers fut une sorte de suite à La Crique des Pirates, l’Île aux Trésors. L’action se déroulait autour de la même île, deux siècles plus tard, les joueurs étant des plongeurs cherchant à ramener les trésors des galions engloutis lors des nombreuses batailles navales ayant animé la crique à l’époque de la flibuste. Peu avant la mort de Paul, en février 2003, Paul et sa femme Katty en confièrent le prototype à leur ami Mike Selinker, lui aussi amateur de flibuste et de piraterie, puisqu’il allait bientôt se lancer dans l’aventure de Pirates of the Spanish Main.

C’est en avril que je fis pour la première fois le voyage à Columbus, pour le Gathering of Friends d’Alan Moon. Paul Randles, habitué des lieux, n’était plus là, mais j’y rencontrais Mike Selinker qui me fit jouer à « l’Île aux Trésors ». Le principe me séduisit aussitôt, et les quelques idées que j’avançai à l’issue de notre première partie, avec notamment la suppression du plateau de jeu figurant la mer, me firent aussitôt engager comme troisième larron.

Les plateaux de jeu du prototype, de l’édition française et de l’édition américaine.
The boards from the prototype, from the French version and from the US version.

Commencèrent alors de réguliers échanges de mails et de fichiers entre la France et les Etats-Unis, et la version définitive de l’Île aux Trésors prit forme. Les principes de base du jeu sont restés ceux du prototype de Paul, avec notamment la programmation par jour et les amusants plongeurs auxquels on ajoute des tuyaux pour qu’ils plongent plus profond, mais le jeu est devenu plus léger, plus rapide, plus amusant à jouer, sans rien perdre de sa richesse. Lorsque nous fûmes satisfaits, nous entamâmes la tournée des éditeurs, Mike aux Etats-Unis et moi en Europe.

je fus le premier à trouver, et le jeu fut donc publié en Europe par Tilsit, aujourd’hui disparu, avec des illustrations montrant l’île au trésor sous un soleil éclatant. Plus tard Mike prit part au lancement de Titanic Games, qui devint donc l’éditeur américain, et opta pour des graphismes plus sombres, montrant les nuages s’épaississant et le calme avant la tempête. L’éditeur polonais, Egmont, a également refait une partie des graphismes. J’ignore ce que Paul aurait choisi, mais je suis certain que deux versions du jeu, une ensoleillée et une tempêtueuse, aurait été au delà de ses rêves.

Illustrations françaises de David Cochard
French graphics by David Cochard

Il fallait un titre international, qui évoque la plongée et ne passe pas pour un autre jeu de pirates. Nous pensâmes à Sargasso, Tortuga, Barbado, avant d’opter pour Key Largo. En France, on ne connait guère sous ce nom que le superbe film de John Huston, modèle de film noir en huis-clos. Aux États-Unis, Key Largo c’est d’abord une île au large de la Floride, paradis des plongeurs à la recherche tant de vieilles épaves que de jolis poissons.

Key Largo
Un jeu de Paul Randles, Mike Selinker, Bruno Faidutti

Illustré par David Cochard
3 à 5 joueurs –
45 minutes
Publié par Tilsit (2005)
Tric Trac    Boardgamegeek


The setting :
The action takes place on a Caribbean island, in the very last days on the 19th century. The island has long been a pirate’s harbour, and it has recently be found out that there were many sunken galleons around. Hurricane Katty is due in ten days, so you have little time to hire a diver team and bring back as much sunken treasure as possible.

The systems :
Key Largo is a double-guessing game, like Paul Randles’ other game, Pirate’s Cove. Every morning, each player secretly decide what he will do the coming day – take tourists dolphin watching, search a wreck for treasures, sell treasures at the market, buy equipment at the local shop, or go to the tavern to hire more divers and listen to the rumours. It’s also a light management game, where you start with little cash and must make your money grow through fruitful investment. The winner is the richest player when the hurricane breaks through and stops all diving around the island.

The Story :
I really like Pirate’s Cove, and I had exchanged a few nice and interesting emails about it with Paul Randles, one of the game’s authors, when it was first published as Piratenbucht, but we never met. We could probably have arranged a meeting later, but Paul was caught by a cancer and died after a few months, just when his first boardgame was becoming a small hit.

Paul didn’t want to capitulate and, until the end, he worked and made projects. One of his last projects was Treasure Island, a boardgame that was intended as a kind of follow-up of Pirate’s Cove. Action takes place on the same island, two centuries later. Players are now divers vying to bring back the sunken treasures lost during the many battles and boarding around the island in the blustery times. A few days before Paul died, in february 2003, his wife Katty and him gave the prototype of Treasure Island to their friend Mike Selinker, whom fans of pirate games will know from co-designing the game Pirates of the Spanish Main.

I happened to make in april 2003, for the first time, the trip to Columbus for Alan R. Moon’s Gathering of Friends. Paul, who had been a regular, was no longer there, but I met Mike who invited me to play Treasure Island. I really liked the basic idea of the game, and made a few suggestions after this first game; as a result, I was immediately hired as a third guy to finalize the game.

Mike and I started sending emails and files over (or is it under?) the ocean between France and the USA and soon the Treasures Island took its definitive form. The basics are still those of Paul’s prototype, with, for example, day to day programming and divers that can buy extra hose to search deeper wrecks, but the game has become lighter, faster paced, more fun to play, without losing its depth and variety. When we were all satisfied with the game, we started to look for a publisher, Mike canvassing the American ones while I was looking in Europe.

Illustrations américaines de Ben Huen & Andrew Hou
US graphics by Ben Huen & Andrew Hou

I found one first, so the game got published in Europe by Tilsit (now out of business), with light graphics depicting the Treasure Island on a sunny day. Later, Mike became involved with Titanic games, which became the US publisher and opted for darker graphics depicting the island while clouds are gathering and the hurricane is approaching. The Polish publisher, Egmont, also changed some graphics. I don’t know what Paul would have chosen, but I’m sure having both a sunny day and a cloudy day version of the same game is more than he would have dreamed of.

L’édition polonaise, chez Egmont
Polish edition by Egmont

We needed an international title, a title which suggest the diving theme and makes clear this is not one more pirates game. We thought of Sargasso, Tortuga, Barbados and finally made up our mind for Key Largo. this will make no problem for the american gamers, but can prove funny in France. Though everybody here knows about the great film noir by John Huston, with an archetypal closed doors plot, few know that it’s also the name of a divers’ paradise island.

Key Largo
A game by Paul Randles, Mike Selinker, Bruno Faidutti

Art by Ben Huen & Andrew Hou
3 to 5 players –
45 minutes

Published by Titanic Games (2007)
Boardgamegeek