Ceux qui suivent mon actualité ludique savent que ce jeu a eu une histoire compliquée. Faisant à priori confiance tout le monde, je ne fais pas d’enquête approfondie sur les éditeurs qui me proposent de publier l’un de mes jeux. Dans l’immense majorité des cas, tout se passe bien. Très rarement, comme cela a été le cas avec The Gaming Goat, l’éditeur initial de Santa’s Little Elves, les choses tournent au vinaigre. Je n’étais visiblement pas le seul avec qui leurs relations étaient difficiles, puisque l’équipe de The Gaming Goat a finalement jeté l’éponge et quitté le monde ludique.
Les boutiques, la maison d’édition, et le stock de Santa’s Little Elves qui venait d’être imprimé (je n’étais même pas au courant), ont été repris par Hassan Sheikh et Morhan Fleur de Lys (quel nom!), qui ont tout l’air d’être des gens très bien. Leur nouvelle boite, baptisée Knight and Day games, se concentre pour l’instant sur les boutiques qu’ils ont aux États-Unis, mais ils envisagent peut-être un jour de se lancer dans l’édition. En attendant, ils ont quelques milliers de boites de Santa’s Little Elves sur les bras, et quels que soient les reproches que je peux faire à TGG Games, je dois reconnaître qu’il a été bien édité. Knightn and Day games n’est pour l’instant pas en mesure d’expédier le jeu hors des États-Unis, mais cela viendra sans doute bientôt. Il est en outre probable que Matagot en publie un jour une version française – surtout si on arrive à retrouver les fichiers graphiques, qui semblent avoir disparu. Arnaud Charpentier, de Matagot, s’est en effet beaucoup investi pour sauver ce qui pouvait l’être dans le naufrage de la chèvre ludique, et a récupéré certains contrats des jeux qui n’avaient pas encore été édités.
Bref, surtout si vous êtes aux États-Unis, et si vous cherchez un petit jeu de bluff simple, amusant et sans prétention, vous n’avez plus de raison d’éviter les petits elfes que vous trouverez non pas dans la boutique du Père Noël mais dans celle de Hassan et Morgan, ici.
Dans Santa’s Little Elves, vous êtes l’un des lutins vêtus d’un ridicule uniforme vert et rouge qui, dans l’atelier du Père Noël, fabriquent et emballent à la chaine les jouets destinés aux enfants du monde entier – enfin, surtout des pays où les parents ont assez d’argent pour acheter des jouets, car le Père Noël ne perd pas le Nord. Ce dernier est en effet un capitaliste de la pire espèce, qui vous exploite de manière éhonté, profitant de la rareté des offres de travail dans le grand nord.
Le travail est éreintant et les salaires ridiculement bas. Les heures supplémentaires ne sont généralement pas déclarées, les possibilités de promotion sont inexistantes ou illusoires. L’usine est glaciale ; vous n’avez aucune idée de la date à laquelle le chauffage sera réparé, mais certainement pas avant la fin de la campagne d’hiver. Les situations de harcèlement sont également récurrentes. Seule consolation, ce n’est pas vraiment mieux pour vos camarades qui travaillent au tri des lettres, ni sans doute pour ceux du centre d’appel récemment délocalisé en Antarctique. Sans même parler de ces pauvres rennes, enfermés tout l’été dans un hangar sordide avant d’être contraints, tout l’hiver, de galoper dans la neige avec un costume et des cloches ridicules.
Solidarité et conscience de classe n’étant pas vraiment le point fort des lutins, il serait vain d’espérer pouvoir organiser une grève. Du coup, vous avez décidé de prendre votre destin en main, en volant des jouets sur la cabine pour les revendre sur ebay, tombé du traîneau. Bien sûr, vos petits cons de collègues font la même chose, et chacun espionne ses voisins, espérant les prendre sur le fait pour les faire chanter ou les dénoncer au patron.
Dans cette ambiance de rêve, le vainqueur sera bien sûr le plus riche à la fin de la partie, qui pourra quitter l’usine et se payer une croisière de rêve dans les Caraïbes. Les autres devront se contenter de quelques bières à la taverne du coin, et tant pis si le tavernier est un pote du patron.
Ceux qui connaissent bien mes jeux ne seront guère surpris par ces Petits lutins du Père Noël, un jeu de cartes simple et rapide, tout entier construit sur le bluff et la psychologie, dans la même famille que Dolorès, Waka Tanka ou Venture Angels. Conçu il y a plusieurs années de cela, ce jeu de cartes est resté dans mes cartons assez longtemps. Plusieurs éditeurs s’y sont intéressés, mais ils voulaient soit changer un thème auquel je tenais parce que je le trouvais drôle et politique, soit rendre plus complexe un jeu dont le charme réside en partie dans sa simplicité.
Le seul changement que je regrette un peu concerne la liste des jouets. Dans mon prototype, les jouets du père Noël était extrêmement typés, genrés comme on dit aujourd’hui, des poupées et des cuisines roses pour les filles, des voitures et des jeux de construction pour les garçons. Cela gênait d’autant plus les lutins qu’ils ne sont eux-mêmes pas très clairs sur les questions de genre. Craignant que certains joueurs ne prennent cela au premier degré, l’éditeur a remplacé cela par une distinction entre jouets technologiques (avec la technologie des années quatre-vingt-dix parce que c’est plus rigolo) et jouets traditionnels. Je sais bien qu’il est toujours plus prudent de prendre les joueurs pour des imbéciles, il y en a toujours quelques-uns dans le lot, mais c’est dommage quand on leur enlève une occasion à la fois de rire et de réfléchir. Enfin, c’est un peu moins drôle, mais cela devrait marcher aussi bien. Dans un jeu aux mécanismes finalement très simples, cela passera peut-être mieux auprès des plus jeunes joueurs qui n’ont pas connu l’époque des jouets hyper-genrés, des poupées Barbie et des maquettes d’avion. Pour le reste, toute ma petite histoire de lutins pré-marxistes, classe en soi mais pas pour soi, est bien là, et c’est l’essentiel.
Les règles très simples de Santa’s Little Elves mettent certes le jeu à la portée de tous, mais son thème ne doit pas faire croire qu’il n’est destiné qu’aux enfants. C’est aussi un jeu de bluff bien fourbe qui devrait plaire aux habitués de mes petits jeux de cartes.
Santa’s Little Elves
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Marlies Barends
3 à 5 joueurs – 20 minutes
Publié par Matagot / TGG / Knight and Day games (2023)
If you follow this blog, you know that this game has had a complex story. I trust people by default, and don’t systematically check the business past of people who want to publish my games. In nearly every case, everything goes well. Very rarely, like things turn sour. That’s what happened with The Gaming Goat, the original publisher of Santa’s Little Elves. I was not the only one with whom their relations were difficult, since the Gaming Goat finally gave up publishing and selling games and quit the the boaredgame business.
The company assets, meaning the shops, the IPs, and the stock of santa’s Little Elves which had just been printed, have been taken over by Hassan Sheikh and Morgan Fleur de Lys (what a name !), which seem to be really nice people. Their new company is called Knight and Day games. So far, they mostly focus on the game shops, but they might later become a publisher. In the meantime, they have a few thousand copies of Sant’s Little Elves which, no matter the many issues I had with TGG games, has been well illustrated and produced. Knight and Day doesn’t yet shop outside of the US, but I hope the soon will. It is also likely that Matagot will some day publishe a French version – especially if we can track the graphic files, which seem to have vanished. Arnaud Charpentier, of Matagot, took great pain in salavging what could be salvaged from the Gaming Goat shipwreck, including some of contracts for games which had not yet been produced.
This means that, if you are in the US and are looking for a light, simple and family friendly bluffing game, there’s no more reason to avoid my Little Elves. You can buy them not in santa’s shop but in Hassan & Morgan’s one, here.
You’re one of Santa Claus Elves, in a ridiculous red and green uniform, working on the factory line all year long, manufacturing toys for kids from the whole world, or at least from the countries where parents are rich enough to buy kids toys. Stupid rich kids who never heard of you, and who probably would not care if the had. Santa Claus, a capitalist of the worse kind, is clearly exploiting you, taking advantage of the scarcity of jobs in the far North.
Exhausting work, bad pay, no pay at all for overtime, no consideration, no summer holidays, no career prospects. The factory is ice cold, and you have no idea when the heating will be fixed, but certainly not before the end of this winter season. Harassment issues are commonplace. It’s probably not better for your comrades sorting letters, and certainly even worse for those at the after-sales hotline, recently outsourced to Antarctica.And there are serious work harassment problem. Worst of all, the factory is terribly cold and you’ve no idea when the heating will be fixed. And better not talk about these poor reindeers, spending the whole summer in a dirty shed and running all around the world in the cold winter with ridiculous bells.
Solidarity and class consciousness are not elves’ strong suit, so you’ve decided to help yourself. On every occasion, you steal small toys from the line, and try to sell them on eBay as fallen of the back of the sledge. Of course, your nasty colleagues are all doing the same. They’re also spying on you, and will report you when caught, unless you give them what you have stolen.
The elf with the most cash at the end of the game is the winner, resigns from the job and goes for a two-month cruise in the Caribbean. The other elves have still enough cash for a few beers at the local tavern – and, yes, this means the money goes back to Santa Claus, who also owns the tavern, but that’s life.
Those who know my card games won’t be surprised by Santa Claus’ Elves. It is a simple and fast paced bluffing card game, entirely built on bluffing and psychology, a bit like my Dolores, Waka Tanka or Venture Angels. I have designed it a few years ago, but it has stayed unpublished because I was waiting for a publisher willing to keep both the simplicity of the core mechanism and the fun storyline, and many wanted to make the game more complex, or to go for a less political setting.
There’s one change I regret a bit, with the list of toys. My prototype had two categories of terribly gendered toys, dolls and pink plastic kitchens for girls, cars and construction sets for boys. This was one more problem for the elves, most of which are not clearly settled on gender issues. The publisher was afraid some gamers would take this at face value, even when the rest of the game is obviously parodic. The publisher replaced this with two other categories, traditional and modern toys – modern meaning from the nineties, because it looks nicer. I know it’s always safer to treat gamers as fools, there must be a few ones in the crowd, but it also means removing opportunities to both laugh and think. It’s not as fun, but it works as well and will probably make more sense with younger gamers who didn’t know the time of Barbie dolls and airplane models. And anyway, all the rest of my little proto-marxist elves story, class in itself but not for itself, is still there, and that’s what matters.
Santa’s Little Elves has short and simple rules, and can be played by kids, but you must not be fooled by its topic and title – it’s not just for kids. Played with the right crowd, it can also become a nasty bluffing game, like many of the small card games I have designed.
Santa’s Little Elves
A game by Bruno Faidutti
Art by par Marlies Barends
3 to 5 players – 20 minutes
Published by Matagot / TGG / Knight and Day games (2023)