Si, dans quelques siècles, des historiens essaient d’imaginer la vie des hommes du début du XXIème siècle à partir d’une collection de jeux de société, ils déduiront logiquement des boites et des innombrables extensions des Aventuriers du Rail ou de Age of Steam, que le moyen de transport le plus populaire et le plus utilisé était le train. Ils ne verront sans doute dans l’automobile, considérée plutôt comme un sport, qu’un mode de transport très marginal. Bien sûr, la réalité est exactement inverse, la majorité de nos déplacements se faisant en voiture. Le trains ne parvient pas, malgré tous les discours plus ou moins écolo en sa faveur, à se débarrasser d’une image un peu vieillotte et ringarde. Comment expliquer alors que, dans la société de l’automobile, auteurs de jeux et joueurs soient si attirés par les trains? Sont-ils tous comme moi, qui aime les trains, qui s’y sent si bien qu’il s’endort à peine quitté la gare? Sans doute pas.
Une première raison tient sans doute à l’histoire, et en particulier à l’histoire de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Les auteurs de jeux de train sont presque tous anglais ou américains, et certains ont publié un assez grand nombre de jeux de trains – Freight Train, Union Pacific, Santa Fe Rails et Ticket to Ride pour Alan Moon, Age of Steam, Last Train to Wensleydale, Steel Driver, Railroad Tycoon et une douzaine d’autres pour Martin Wallace, 1830 et quelques autres dates pour Francis Tresham. Tous ces jeux ont d’ailleurs été originellement conçus pour se jouer sur une carte de tout partie du territoire de la Grande Bretagne ou des États Unis, et ce n’est que lorsqu’un jeu de trains rencontre un réel succès, comme Les Aventuriers du Rail ou Age of Steam, que des cartes supplémentaires, d’abord de l’Europe continentale, puis si le succès se confirme de terres plus exotiques, jusqu’à l’Afrique Noire ou à Mars, sont ensuite publiées.
Ce que l’on retrouve dans le jeu de société, c’est donc une fascination de l’histoire populaire anglaise et américaine pour les trains, et en particulier les trains à vapeur.
Les Anglais les associent à la révolution industrielle, une période de l’histoire qui semble ne faire rêver qu’eux – comme le montre aussi la mode du steampunk victorien. L’un des premiers jeux de Martin Wallace s’appelait Lancashire Railways, et décrivait la construction des toutes premières voies ferrées commerciales autour de Manchester. Les jeux de Francis Tresham ont pour nom des dates qui, dans tout le reste de l’Europe, font plus penser à des révolutions qu’à des locomotives. Lorsque Reiner Knizia voulut faire un jeu de trains, il l’appela Stephenson’s Rocket, du nom de l’une des premières locomotives à vapeur.
Lorsqu’ils ne se jouent pas sur une carte de l’Angleterre au XIXème siècle, les jeux de trains utilisent le plus souvent une carte des États-Unis, et le thème devient alors la conquête de l’ouest, les rails sur la prairie. Il y a aux États-Unis, pays où les trains sont aujourd’hui rares, vieux et lents, un véritable fétichisme ferroviaire. J’ai parfois l’impression que pour les américains, tous les trains, jusqu’à notre TGV et au transsibérien, sont associés au mythe de la frontière. Un micro-éditeur, Winsome Games, ne publie même que des jeux au thème ferroviaire, généralement très laids.
Il y a aussi sans doute une explication plus pratique, plus technique, à l’usage excessif des trains et voies ferrées par les auteurs de jeux. L’automobile, et c’est d’ailleurs sans doute l’une des raisons pour laquelle elle reste le moyen de transport le plus utilisé dans les pays riches, malgré son coût individuel et collectif, donne une grande liberté de déplacement, permet de partir de n’importe ou pour aller n’importe ou, sans changement, sans rupture. Le train ne permet jamais que d’aller d’une gare à une autre, mais ce qui est une contrainte dans la vraie vie – le réseau, ses nœuds et ses limites – devient un élément structurant intéressant pour le concepteur de jeu. Je me permets de renvoyer ici à l’un de mes articles précédents, dans lequel je faisais remarquer que les cartes “en réseau” sont de plus en plus utilisées dans les jeux, et le réseau ferré est l’un des plus aisés à représenter.
Les jeux de train sont en effet généralement construits autour de trois mécaniques fondamentales, de trois usages du réseau, qui peuvent d’ailleurs se combiner. Les joueurs peuvent construire le réseau, souvent avec des tuiles hexagonales représentant les voies ferrées et leurs croisements et aiguillages, et c’est l’élément central de Age of Steam. Ils peuvent aussi, et c’est le cas des Aventuriers du Rail, chercher à acquérir des liaisons d’un réseau déjà dessiné sur la carte. Enfin, il arrive, plus rarement, qu’ils doivent déplacer un train, souvent pour livrer une marchandise dans telle ou telle gare qui en fait la demande.
Les jeux de train sont en effet joués sur une carte représentant le réseau ferré. Les joueurs n’y sont généralement pas les passagers d’un train, mais plutôt les gestionnaires d’une compagnie ferroviaire. Ce n’est pas le moindre paradoxe qu’alors que le plaisir du voyage en train, comme d’ailleurs du voyage en avion, vient en partie de l’enfermement dans la linéarité du parcours, de l’abandon de toute liberté de descendre, de s’arrêter, de changer d’avis, les jeux de trains soient au contraire des jeux très compétitifs, joués non sur une ligne mais sur un réseau complexe, une grille.
Reste l’automobile. Il y a des jeux de voitures, mais ils sont moins nombreux que les jeux de trains. Curieusement, ce sont eux qui, le plus souvent, se jouent sur un simple circuit fermé, linéaire. Ce n’est en effet plus de transport qu’il s’agit mais de course de vitesse, et une course de trains est impossible – vous avez déjà vu un train déboiter pour en doubler un autre?
If, a few centuries from now, historians try to imagine our life in early XXIth century based on a collection of boardgames, they will probably deduce from the many boxes of Ticket to Ride and Age of Steam, and all their expansions, that the most popular means of transportation were trains. They will even guess that automobiles, while popular as a racing sport, were only marginally used for transportation. Of course, reality is the exact opposite. Despite all the ecological warnings, despite official discourse and, more and more, public opinion favoring public transport, the vast majority of our travels are still made by car. Trains are more marginal than ever, and feel a bit old fashioned. How come that, in the world of automobile, gamers and game designers are so attracted by trains? I actually like trains, and feel so good in a train that I usually fall asleep as soon as we leave the station, but I don’t think all game designers feel like this. There must be some other reasons.
The first ones can be found in history, and specifically in British and North American history. Most train games designers are British or American, and some of them have published several train-themed games. Alan Moon did Freight Train, Union Pacific, Santa Fe Rails and, last but not least, Ticket to Ride. Martin Wallace did Age of Steam, Railroad Tycoon, Last Train to Wensleydale, Steel Driver and a dozen more. Francis Tresham did 1830 and several other years in the XIXth century. All these games are usually played on a map of England, of the United States, or of some part of them. It’s only when a train game sells really well that other and more exotic maps are published, first of Europe and then of even stranger places, up to Black Africa or even Mars. Boardgames are affected by a fascination of British and American popular history for trains, and especially XIXth century steam trains.
In England, trains are seen as the main feature of industrial revolution, and therefore of British economic domination of the XIXth century. It might sound strange to dream of the industrial revolution and to want to reenact it, but British do – as is also indicated by the popularity of steampunk there. One of Martin Wallace’s first train games was called Lancashire Railways and described the building of the very first railway lines in England. Frances Tresham’s train games are named after years which, in the rest of Europe, usually refer to national revolutions and not to railway building. Reiner Knizia’s only train game is called Stephenson’s Rocket, after one of the first commercial Bitish steam locomotives.
When they are not played on a map of XIXth century industrial England, train games are played on a map of the United States, and the game is more or less about the American Frontier heading west, rails on the prairie. The US are now the country of aiplanes and automobiles, and american trains are rare, old and incredibly slow, but ironically the train fetish is stronger there than anywhere else, deeply embedded in the western frontier story. It’s a very broad minded fetish, and for Americans all trains, including the Orient Express, the Transsiberian and even the French TGV are more or less associated with the far west frontier mythology. There’s even a small publisher, Winsome games, who publishes only train games, usually rough editions with very cheap components.
There are also some technical, pragmatic reasons for the frequent use of trains in boardgames. The main reason why cars are still the most frequently means of transportation used in the rich countries, despite their high individual and collective costs, is that they give more freedom than public transports, allowing one to drive from anywhere to anywhere, without any need for transfer or connecting. Trains, on the other hand, move only from station to station. The network, its nodes and its limits are a strong constraint for the real world traveller, but can be a convenient structuring feature for the game designer. In one of my earlier posts, I discussed the use of maps in games, and noted that network maps are now frequently used on game boards, and most of my examples were railway networks.
Most train games are based on one or more of three game systems, three uses of the network. Players can build the network, often with hex tiles figuring the rails and their crossings, like in Age of Steam. They can also, like in Tiket to Ride, take control of the railway tracks between two cities, on a network already drawn on the board. They can also have to move a train from city to city to deliver goods.
Most train games are played on a complex map of the rail network. Players are not train drivers or passengers, but rail barons or railroad tycoons, managing a railway company. This is another paradox of train games. The pleasure of travelling by train (or by plane) derives from the linearity of the travel, from the impossibility to stop, to get off, to change one’s mind, from the abandonment of control, but train games are very competitive, all about control, and played not on a single track but on a complex network, a grid.
So what about car games ? There are car games, though much fewer than train games. Surprisingly, car games are more often played on a single track. Most of them are race games, and train racing games wouldn’t make sense – did you ever see a train pull out to pass another one ?
Il y a aussi “Paperclip Railways” (chemins de fer avec trombones).
Et le nouveau “Trains” des japonais Okazu, une bonne combinaison de Dominion et de jeux de reseaux ferroviaires genre Paris Connection.
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I’d also recommend “Paperclip Railways”, worth it if only for its tagline “The game where trains are stationery” (can’t translate in French).
And the new Okazu-brand “Trains”, a winning combination of Dominion and network-building like Paris Connection.
Il y a un jeu de “BUS”
Il manque surtout à la liste l’excellentissime Days of Steam d’Aaron Lauster, qui pourtant est implicitement évoqué dans le texte (on y déplace des locomotives).
Non-racing car/truck games:
Auf Achse
Logistico
10 Days in Africa
OK, that’s all I can think of…