Pony Express

Dans Pony Express, votre but est d’être le courrier le plus rapide de l’ouest, sur le parcours historique de St Joseph à Sacramento. Une course avec des dés, mais des dés très spéciaux avec lesquels on peut bluffer, et même parfois descendre les pions adverses…

Histoire du jeu

En 2007, lors des préparatifs du salon d’Essen, Bruno , Ludo et moi furent quelque peu gênés par une étonnante coïncidence. Parmi la dizaine de prototypes que notre petite équipe francophone apportait dans ses cartons, et comptait présenter aux éditeurs, se trouvaient deux jeux de plateaux, de format équivalent, tous deux sur le thème du far-west et, surtout, basés sur l’utilisation de dés de poker. La ressemblance s’arrêtait là, puisque le Dice Town de Bruno et Ludo était essentiellement un jeu de paris, lointain cousin du yams, et mon Pony-Express un jeu de parcours. Nous décidâmes donc de présenter comme si de rien n’était les deux jeux, et il n’est guère étonnant que ce soit Dice Town, qui était le plus abouti, qui trouva le plus facilement un éditeur.

J’ai toujours beaucoup aimé les dés de poker, et cela faisait de longues années que je cherchais à faire un jeu les utilisant, jeu qui ne pouvait bien sûr que mettre en scène des cow-boys. Le déclic a du jeu fut l’idée d’exploiter ces mêmes dés tout à la fois comme dés, c’est à dire comme générateurs de mains de poker, et comme projectiles lors des duels. Réfléchissant depuis longtemps aux jeux de parcours, je pensais alors au thème du Pony Express, et la structure de base du jeu me vint très vite. La combinaison obtenue aux dés permet d’avancer son pion sur le parcours menant de Saint Joseph à Sacramento, avec bien sûr la possibilité de bluffer sur le résultat obtenu, et les rencontres entre pions se règlent par des duels lors desquels les joueurs lancent les dés d’une pichenette pour abattre les pions adverse. Le résultat devait donc être un mélange original de chance, de bluff et d’adresse, mais mon jeu, trop basé sur le bluff, était sans doute un peu long et un peu répétitif.

Le prototype de Pony Express, et une maquette de la boite, aux rencontres ludopathiques.
The prototype of Pony Express, and the mock-up of the box, at the Ludopathic Gathering.

Fort heureusement, ce fut aussi le moment où notre petite équipe fit la connaissance d’un jeune auteur dynamique et prometteur, Antoine Bauza, qui comme moi s’intéressait beaucoup aux jeux de parcours. Quelques semaines après le salon, je proposai donc à Antoine de jeter un œil nouveau sur ce vieux projet et de le reprendre avec moi. Après quelques échanges de mails, Pony Express avait beaucoup gagné en dynamisme, en rapidité et en variété. Nous commençâmes par montrer cette nouvelle mouture à quelques éditeurs qui n’en avaient pas vu les versions précédentes, et Philippe, de Fun Forge, se décida très rapidement. Lui-même auteur de jeu, puisqu’il avait créé le jeu de cartes Illusio, Philippe a également apporté une touche finale aux mécanismes de Pony Express.

Illustrations

Mon ami Pierô aurait dû être le choix logique pour illustrer Pony Express. Ayant pris part à tous les tests, il connaissait bien le jeu. Son trait coloré et plein d’humour convenait parfaitement aux mécanismes de Pony Express. Malheureusement, Pierô venait juste d’illustrer Dice Town, et il lui aurait été difficile de faire quelque chose de très différent pour Pony Express.

L’éditeur décida donc de faire appel à un jeune illustrateur québécois, qui n’avait pas encore sévi dans le monde du jeu de société, Mathieu Beaulieu. Le résultat est splendide et plein d’humour. Les personnages, les animaux, les objets, tout donne envie de sourire. Quant au plateau de jeu, je n’en ai jamais vu d’aussi réussi. Il est riche en détails, plein d’humour, et malgré tout d’une lisibilité exemplaire. Rien d’étonnant à ce que Mathieu ait depuis illustré d’autres jeux, parmi lesquels l’excellent Sobek, de mon ami Bruno Cathala.

Pony Express
Un jeu d’Antoine Bauza et Bruno Faidutti
Illustrations de Mathieu Beaulieu
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par FunForge (2009)
Tric Trac    Boardgamegeek


In Pony Express, you must prove that you are the fastest rider of the Pony Express, from St Joseph to Sacramento. It’s a race, with dice, but special dice with which you can bluff and even shoot at opponents’ pawns.        

In 2007, in the very last days before the Essen fair, Bruno, Ludo and I noticed a problematic coincidence. Among the dozen prototypes which our small team was bringing to show to publishers, there were two board games of very similar weight, look, theme and components – family boardgames using poker dice in a wild west setting. Of course, a game with poker dice has to be about saloons and cowboys, but this was nevertheless a striking coincidence.

The games worked very differently, but they looked very similar, and that was the problem. Ludo and Bruno’s Dice Town was a dice game loosely based on Yahtzee, while my Pony Express was a luck based race game with some bluffing and dexterity thrown in. So we decided to show both and Dice Town, which was better finalized, was first to find a publisher.

I’ve always liked poker dice, and for years I was trying to design a game using such dice – of course, it had to be a western themed game. This game started with the idea that the same dice could be used both classically, to generate poker hands, and as bullets in duels. I like race games, and thought of the Pony Express theme. The poker hand rolled with the dice gives the number of spaces one could move on the track from St Joseph to Sacramento – of course with some opportunities for bluffing. When two or more players land on the same space, there is a duel in which dice are used to shoot at one another’s pawn. This made for a nice mix – luck, bluffing and dexterity. Unfortunately, with just these elements, my game was a bit too heavily based on bluff, and felt a bit repetitive.

A new author was joining our team this year, Antoine Bauza. Antoine was, like me, much interested in race games. A few weeks after the fair, I asked him to have a new and fresh look at this old project, and suggested we worked on it together. After a few mails and some testing, the game became more dynamic, more varied, faster paced. We showed this game to some publishers who had not seen the earlier one, and Philippe, from Fun Forge, a new small French game company, decided to do it as his second game, and first big box. Philippe is also a game author, since he designed the first game published by Fun Forge, Illusio, and got involved in the last development of the game. Pony Express was published by FunForge in 2009.

Art

My friend Pierô should have been the obvious choice to illustrate Pony Express. He took part in most game tests, and knew the game really well. His colored, humorous and cartoony style would have fitted the game perfectly. Unfortunately, Pierô had just illustrated Dice Town, and it would have been difficult for him to make something different enough for Pony Express.

That’s why the publisher asked a young canadian illustrator, Mathieu Beaulieu, who had not so far illustrated games, to work on Pony Express. The result is gorgeous. The characters, the animals, the items, everything looks fun and makes you want to play. The best part is probably the board, the nicest one I’ve ever seen. It’s full of small details, and nevertheless perfectly clear. I think we’ll have one of the nicest looking boxes in Essen, and I’m sure we’ll have the nicest looking board. No wonder Mathieu has since been hired to work on some other games, including Bruno Cathala’s Sobek.

Pony Express
A game by Antoine Bauza & Bruno Faidutti
Art by Mathieu Beaulieu
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by FunForge (2009)
Boardgamegeek

Cette image un peu triste avait été dessinée pour figurer au dos de la boite, mais l’éditeur a finalement préféré y mettre une descripion du jeu et une photo du matériel. Commercialement, il a certainement eu raison, mais c’est un peu dommage.
This sad picture was intended to be at the back of the game box. The publisher later changed his mind and opted for a more classical description of the game, with a picture of its elements. This was commercially sound, but I regret that this nice picture is not in the game.

Ad Astra – Strategies

Si les mécanismes fondamentaux d’As Astra ont été assez rapidement conçus, les réglages ont demandé de très nombreux tests. Pour que le jeu reste intéressant au delà des parties de découverte, il ne fallait pas qu’une stratégie, qu’un mode de développement s’avère systématiquement plus profitable qu’un autre. Alors que les mécanismes du jeu ne changeaient plus guère, nous avons à plusieurs reprises modifié le coût des déplacements ou le score des terraformations afin de rendre tel ou tel « chemin vers la victoire » plus ou moins praticable.

Bien sûr, le choix de votre stratégie dans une partie d’Ad Astra doit tenir compte des circonstances, et notamment de la production de votre planète de départ ainsi que, dans une moindre mesure, des paires de ressources figurant sur vos cartes de production. Surtout, s’il est bon de songer à une stratégie en début de partie, il faut aussi savoir s’adapter aux circonstances et à ce que font les autres joueurs. Il peut être bon, par exemple, de se spécialiser dans une ressource également produite par un autre joueur, afin de la voir produite plus fréquemment. D’un autre côté, il peut être intéressant de privilégier un mode de développement (terraformation, vaisseaux, colonies…) où nul ne vous concurrence, afin de bénéficier plus facilement des bonus de score. Bref, Ad Astra est un jeu plus stratégique que tactique, mais qui demande néanmoins une certaine souplesse. C’est d’ailleurs pour handicaper les stratégies trop spécialisées que nous avons introduit le mécanisme des cartes scores ne pouvant être récupérées que lorsqu’elles ont toutes été jouées.

Voici quelques unes des stratégies que nous avons vu émerger lors des parties tests et qui, dans les bonnes circonstances et menées sans dogmatisme excessif, peuvent conduire à la victoire.

Terraformation
Si vous débutez la partie sur une planète produisant de l’eau ou de la nourriture, vous pouvez tenter de terraformer rapidement plusieurs planètes, marquant des points d’abord lors de la terraformation, puis ensuite avec votre cartes scores. Si vous trouvez rapidement d’autres planètes terraformables et ne rencontrez pas de concurrence, cette stratégie est facile à mettre en œuvre. Elle peut cependant s’épuiser, et peut facilement être contrée si d’autres joueurs plus mobiles s’emparent des bonnes planètes avant vous.

Hyperspécialisation
Produire une même ressource en grande quantité, et notamment l’énergie, peut permettre en cas de besoin de faire des échanges intéressants, notamment avec la banque. Surtout, cela crée des opportunités de score très impressionnantes avec la carte “ressources identiques”. La limite de 10 cartes ressources en main n’étant effective qu’à la fin du tour, rien ne vous empêche d’accumuler les cartes d’énergie, ou de toute autre ressource, et d’en dépenser une douzaine, voire plus, sur une carte score astucieusement placée parmi les dernières du tour.

Vaisseaux et systèmes
Si vous disposez de minerai en début de partie, vous pouvez construire un second vaisseau dès le premier tour et vous répandre rapidement dans des systèmes nombreux, laissant éventuellement une colonie derrière vous sur les planètes les plus intéressantes. Les vaisseaux coûtent certes assez cher, mais les score ” vaisseaux” et ” systèmes” figurant sur des cartes actions différentes, vous pouvez espérer bénéficier ainsi d’un plus grand nombre de bonus de score, qui sont souvent déterminants pour la victoire finale.

Autostop
La stratégie de l’autostoppeur est l’une des plus difficiles à mener, mais elle est aussi très satisfaisante lorsqu’elle fonctionne. Elle consiste à se reposer essentiellement sur les cartes action des autres joueurs et à jouer rapidement ses cartes de score, quitte à ne pas toujours être premier, afin de profiter au mieux du choix qui est à chaque fois donné entre les deux types de score. Le principal risque est, ne pouvant vraiment se spécialiser dans aucun domaine, de scorer souvent et correctement mais sans jamais bénéficier des utiles bonus de trois points.

Aliens
Les planètes aliens sont rares, et les effets des artefacts trop différents pour permettre de construire à l’avance une “stratégie alien”. Il ne faut cependant pas négliger les planètes aliens, d’une part dans l’espoir de piocher une carte intéressante, mais aussi pour bénéficier des points accordés lors de la construction d’une colonie, et plus encore d’une usine, sur ces planètes.

Ad Astra est un jeu de Serge Laget. Il y a donc plusieurs stratégies possibles pour parvenir à la victoire, et il vaut mieux qu’un joueur en ait une en tête pour guider ses choix. C’est aussi un jeu de Bruno Faidutti. Flexibilité et adaptabilité sont donc également essentielles, et il est parfois bon de reconsidérer en cours de partie ses choix stratégiques.

Ad Astra
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Justin Albers & Kieran Yanner
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Nexus (2009)
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Tric Trac         Boardgamegeek


While the core systems of Ad Astra were quite easy to design, the fine-tuning required many tests of many different versions. We wanted the excitement and challenge of the first games to last for many, many games. This meant we had to balance the different strategies and to prevent one or another from becoming the obvious path to victory once a player knows the game well. Without changing anything in the core game systems, we made many late test games with minor changes in the cost of movement, or in the terraforming scorings, to make this or that path to victory harder or easier to follow.

You can’t decide of a strategy before knowing what your starting planet produces and, though it’s less critical, what are the resource pairings on your production cards. Also, while it’s good to have a clear strategy in the first turn, you must sometimes adapt to the circumstances, and to what other players are doing. It could interesting in the first turns, for example, to have the same production as another player so as to make use of his production action cards. On the other hand, it could be interesting in the long term to specialize in something other players are neglecting, like terraforming or spaceships, which will make easier to get the three points score bonuses. Ad Astra is more strategy than tactics, but it nevertheless rewards some flexibility. We devised the rule stating than one cannot get his scoring cards back until all three have been played specifically to discourage rigid, one way strategies.

During our test games, a few strategies have emerged. All of them, if played at the right time and with enough flexibility, can lead to victory.

Terraforming.
If you start the game on a water or food planet, you can try to terraform quickly two or more planets. This can make for huge scoring, first when terraforming, then with the terraforming scoring cards. This works only if you find other terraformable planets quite soon, and if no one else is terraforming. This strategy is very easy to implement, but it doesn’t always do well in the long run, especially if other players land on the water and food planet before you do.

Hyperspecialization
If you can produce the same resource, usually energy, in great quantities, it can put you in a good position for trade, either with the bank or with other players. Also, this creates an opportunity for impressive scoring with the “same resource”-scoring scoring card. The 10 resource cards hand limit is only at the end of the turn, so you can accumulate resource cards during the turn and spend a dozen or more on a same resource scoring card played in the very last spaces on the track.

Spaceship and Systems
If you start the game with an ore planet, it can be clever to build a second spaceship in the first turn and start exploring new systems, leaving a colony behind you in each system. Spaceships are expensive, but the “spaceships” and “systems” scores are triggered with different cards, which means you can hope for many scoring bonuses if you manage to hold both majorities. Bonuses are often decisive in this game.

Piggyback
The piggyback strategy requires psychology and adaptability, but it can be very satisfying. The idea is to count on action cards from other players, and play many scoring cards. This way, you choose more often than other players what element is scored, which can be a strong advantage. The drawback from this strategy is that you can’t really specialize in one item or another. You often get good scores, but you rarely get the 3 points bonuses

Alien artifacts
Alien planets are scarce, and the artifact effects are too varied to be predicted and used in an “alien strategy”. Going for alien planets can be good nevertheless, not only for the artifacts, but also for the scoring points awarded when you build a colony, and even more when you build a factory.

Ad Astra is a game by Serge Laget. This means there are many different strategies that can lead to victory, and one must always have a strategy in mind. It’s also a game by Bruno Faidutti. This means it nevertheless rewards adaptability, and one must be ready to switch strategy on a good opportunity

Ad Astra
by Bruno Faidutti and Serge Laget
Art by Justin Albers & Kieran Yanner
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by Nexus (2009)
Boardgamegeek

Sic itur ad astra

Explorez la galaxie, découvrez les mystérieux artefacts laissés par des civilisations depuis longtemps disaprues, débarquez sur des mondes inhabités pour en exploiter les ressources naturelles, construisez des bases, des usines et de gigantesques vaisseaux spatiaux, terraformez et colonisez les planètes lointaines.

Le thème et le look de ce jeu pourraient faire croire à un grand jeu de conquête à l’américaine. Ne vous y trompez pourtant pas, Ad Astra est un “eurogame”, un jeu “à l’allemande”.

Histoire du jeu

Depuis longtemps, Serge Laget et moi voulions faire ensemble un “gros” jeu, expérience que nous n’avions pas renouvelée depuis Mystère à l’Abbaye, malgré quelques ébauches vite abandonnées. Serge est très branché science-fiction ; je suis resté un fan des colons de Catan. Un soir, au téléphone, tout cela se mélangea pour donner un cahier des charges relativement simple : un gros jeu d’exploration et de développement d’un empire spatial, bâti sur un système de ressources façon Catan.

Quelques jours plus tard, un vendredi soir, Serge débarquait à Avignon, et nous nous mîmes aussitôt au travail. Serge, en connaisseur des poncifs de la SF, insista sur la possibilité de terraformer les planètes. Je parvins à recycler un système de programmation à l’aide de cartes cachées que j’avais un temps envisagé pour Warrior Knights. Toutes les pièces du puzzle s’imbriquant parfaitement, chacun rebondit sur les idées de l’autre, et après une dizaine d’heures, nous avions un premier prototype, fait des cartes action imprimées à la va-vite sur du bristol, de pièces récupérées dans divers jeux, et de planètes griffonnées sur des disques de carton. Autant vous rassurer tout de suite, cela se passe rarement ainsi. La gestation d’un jeu est habituellement bien plus longue et difficile, et il faut généralement des semaines, voire des mois de réflexion avant la réalisation du premier prototype. Si cet historique est plus bref que celui de la plupart des mes autres jeux, c’est donc tout simplement parce que l’histoire de Ad Astra est assez simple et courte.

La toute première partie d’Ad Astra
The very first game of Ad Astra

Le samedi soir, j’invitai donc quelques amis pour une première partie, qui permit de valider l’ensemble des mécanismes – exploration, découverte, production, programmation, construction, mouvement, terraformation, tout fonctionnait parfaitement, à l’exception du système de score, qui allait encore demander un peu de réflexions. Il ne nous restait donc qu’à faire les réglages – déterminer la répartition des planètes produisant les différentes ressources, les ressources précises nécessaires pour chaque développement, le nombre de points de victoire rapportés par chaque élément de jeu. De simples ajustements, certes, mais qui pour un jeu ambitieux nécessitant un équilibre parfait entre les différentes stratégies possibles, demandèrent une centaine de parties, et autant de coups de téléphone entre Lyon et Avignon.

Notre prototype, baptisé Andromeda, puis Cassiopeia, suscita beaucoup d’intérêt chez les éditeurs. Il faillit être publié par nos amis de Days of Wonder, Cyrille réalisant même une très jolie maquette. Après quelques détours par l’Allemagne, le jeu se retrouva finalement chez les italiens de Nexus, qui firent un bon boulot d’édition… mais disparurent quelques mois plus tard. Ad Astra ne sera donc pas réimprimé, du moins pour l’instant, et l’extension que nous avions prévue ne sortira jamais. C’est un peu dommage, c’est un bon jeu dont Serge et moi restons très fier. Il doit encore en rester dans quelques boutiques.

Ad Astra
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Justin Albers & Kieran Yanner
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Nexus (2009)
Ludovox          Vind’jeu          Tric Trac         Boardgamegeek


Explore the galaxy, find the mysterious artifacts of long lost alien civilizations, land on uninhabited worlds and mine their precious ores, build living bases, factories and huge spaceships, terraform and colonize faraway planets…

The theme and graphic style of this game could make you think it’s an american style conquest and exploration game. It is not. Ad Astra is definitely a “Eurogame”.

History of the Game

For a few years, Serge Laget and I wanted to work together on a “heavy” game, something we had done only once, with Mystery of the Abbey. We had tried several times since, but none of our projects had gone very far. Serge is a science-fiction fan, I’m a Settlers of Catan fan. One evening, on the phone, these two facts merged into one simple idea – a big science fiction game about space exploration and empire development using a “Catan-like” resource and building system.

A few days later, on Friday night,  Serge was here in Avignon and we immediately started to work on this common design – and things went incredibly fast. Serge knows all Sci-fi clichés, and insisted on terraforming. I managed to recycle a face down card programming system I had once thought of using in Warrior Knights. All the pieces of our puzzle went together well, each one of us bounced on the other one’s ideas, and after ten hours of uninterrumpted work, we had a first prototype, with rough action cards, cardboard planet disks with drawn symbols, and pieces from various other games. Of course, it usually doesn’t happen that way. Most games usually need weeks, or even months, of thought and debate before realizing a first prototype. If this “history of the game” page is much shorter than for most of my other games, it’s simply because the story of the game design was short, simple, and straightforward.

On Saturday night, I called a few friends to play a first game. As a result, all global rules system were validated – exploration, discovery, production, programmation, building, movement, terraforming, everything worked well – the only exception being the scoring system, which needed a few more games before being satisfactory. So the game only needed tuning, but it needed a lot of fine tuning to decide of the planet distribution, the resources needed for every development, the number of victory points for ever game element, and so on. The game was nearly finalized after a first game session, but it needed a hundred more, and as many phone calls between Avignon and Lyon, before we were completely satisfied with it.

Bruno Cathala commente le prototype d’Ad Astra
Bruno Cathala comments on the Ad Astra prototype

The prototype was first called Andromeda, then Cassiopeia, and many publishers showed some interest in it. Our friends from Days of Wonder hesitated for a few months, and Cyrille even designed a wonderful prototype. After a few months in Germany, the prototype ended in Italy. Nexus made a great edition and production work… But went out of business a few months later. This means Ad Astra won’t be reprinted, at least for the moment, and the planned expansion won’t be published. It’s a shame, since Serge and I are very proud of this design. There ought to be still a few copies left in some shops.

Ad Astra
by Bruno Faidutti and Serge Laget
Art by Justin Albers & Kieran Yanner
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by Nexus (2009)
Boardgamegeek

Le jeu, les femmes et la grammaire
Games, women and grammar

Mon dernier article, sur les femmes et le jeu, m’a valu de nombreuses réactions, et quelques discussions intéressantes sur le point, assez amusant, de la rédaction des règles. De nombreux éditeurs américains se sont mis à utiliser le féminin « she » dans leurs règles de jeu en lieu et place du masculin « he » pour désigner le joueur (ou la joueuse). Cette tendance est d’autant plus étonnante que l’anglais permet, bien plus facilement que le français, le recours à des formules neutres, notamment en utilisant « one » ou « they » , qui n’ont pas de genre défini. Surtout, les règles rédigées en utilisant « she » donnent à la lecture une impression un peu forcée, peu naturelle – ce qui n’a rien d’étonnant, puisque l’écriture en a aussi été forcée et peu naturelle.
En français, la tendance est moins nette, mais il m’est arrivé de lire des règles précisant systématiquement « il ou elle » là où, il y a quelques années, il ne serait venu à personne l’idée d’utiliser autre chose que « il ».

Cette tendance me semble regrettable, et même contre-productive. Bien sûr, le fait que la plupart des langues occidentales – j’ignore ce qu’il en est des autres – utilise le plus souvent le genre masculin lorsqu’un choix serait logiquement possible, est l’expression historique de la domination masculine. La grammaire et le vocabulaire français sont, de ce point de vue, particulièrement édifiants, avec le masculin qui l’emporte sur le féminin dans les pluriels et les généralisations, et les intitulés des professions qui sont très souvent uniquement masculins, et de plus en plus quand on monte dans la hiérarchie. Cela signifie-t-il qu’il faille écrire systématiquement « le joueur ou la joueuse » au lieu de « le joueur », « l’auteure » au lieu de « l’auteur » quand on parle d’une femme ? Surtout pas, et pour quatre raisons.

D’une part, si malgré les nombreux progrès récents, les femmes peuvent légitimement se sentir opprimées par le machisme ambiant, par la division sexuelle des tâches, par le fonctionnement du système éducatif ou celui du marché du travail, je ne peux m’empêcher de penser qu’il faut une certaine dose de paranoïa pour se sentir opprimée au quotidien par la grammaire française (ou anglaise).
D’autre part, si ces vieilles règles de grammaire ont de toute évidence un caractère sexiste, c’est un sexisme fossilisé, un souvenir de l’histoire de la société plus qu’un mécanisme efficace de son fonctionnement présent. Ce fossile, ce souvenir du passé, il vaut mieux le conserver pour savoir d’où l’on vient, pour s’en moquer à l’occasion, que chercher à l’effacer.
Ensuite et surtout, si sur le long terme les réalités sociales et culturelles informent plus ou moins subtilement la langue, je ne pense pas qu’à court terme une modification volontariste et artificielle de cette langue ait le moindre effet sur les réalités sociales. Cela risque même de détourner des vrais problèmes de notre société, qui ne sont pas vraiment grammaticaux, et le côté un peu forcé de ces changements peut paradoxalement avoir l’effet inverse de celui recherché.
Enfin, écrire “auteure” ou “autrice” au lieu de “auteur”, ou même simplement “joueuse” au lieu de “joueur” revient, en bonne logique différentialiste, à prétendre que le genre de l’auteur ou du joueur a une importance si fondamentale que cela doit être toujours précisé, et donc que le jeu en est inévitablement différent. Je ne pense pas que ce soit le cas, pas plus en tout cas que pour l’âge, le background social ou culturel, voire la pathologie psychiatrique des joueurs et des auteurs, pour lesquels la grammaire ne prévoit rien.

Bref, je veux bien faire un effort pour écrire en anglais des règles aussi neutres que possible, en utilisant chaque fois que cela est possible one ou they au lieu de he et one’s ou their au lieu de his, car cela reste à peu près naturel – et est même parfois plus élégant. En revanche, je n’allongerai pas mes règles françaises en parlant de joueurs et de joueuses, et je préfère causer et travailler avec des auteurs, hommes ou femmes, qu’avec des auteurs et des auteures.


My last article about women in gaming was the occasion for a few interesting discussions, the most amusing ones being about writing rules, both in French and in English. Several US publishers have started using the feminine “she” instead of the masculine “he” in their rules to designate the standard player, who can be either male or female and is still most times male. What makes this even more surprising for me is that it’s easier in English than in French to use genderless expressions, such as “one” or “they”. Rules which refer to the player as “she” always feel a bit strained and artificial, which is not surprising since their writing was strained and artificial.
It’s not yet as usual with French games, but there’s a starting trend and I’ve already read several rulesets using “il ou elle” (he or she) where, a few years ago, no one would have even thought of writing anything else than “il”.

I think it’s wrong and probably counter-productive. Obviously, most western languages – I don’t know how it is with non western ones – have some sexist features which are the historical result of male domination. The plural of gender-mixed groups is always masculine, and most job names, especially the most prestigious ones, have only masculine forms. Does this mean that I ought to write systematically “le joueur et la joueuse” instead of “le joueur” (the player), or “l’auteure” (recently invented feminine form) instead of “l’auteur” (the author) when writing about a female game designer ? I don’t think so, for four different reasons.

First. Even when there has been some obvious progress in the recent years, women can still legitimately feel oppressed by the male chauvinist mood, by the division of daily task, or by subtle discrimination in the job market or the education system. I can’t help feeling, however, that there is something paranoid in feeling daily oppressed by French (or English) grammar.
Second. These very old grammar rules are sexist, but they are the fossilized form of past sexism, an image of old times society and not necessarily of the way it works now. Better keep this fossil, as a reminder of where we come from, and mock it from time to time, than try to discard and ignore it.
Third. If, in the long run, social and cultural realities certainly shape the language, I don’t think that, in the short run, any voluntarist and artificial change in the language can have any effect on social realities. It can even divert attention from our real problems, which have little to do with grammar. When these changes feel too strained and prescribed, they can even have a paradoxical effect.
Last, writing “auteure” instead of “auteur”, ‘joueuse” instead of “joueur” means, according to the differentialist theory, that a game is fundamentally different depending on the gender of its author, or of the players. I don’t think it is, or at least no more than it is with age, race, cultural or social background or even pyschiatric pathology, all characteristics which are not systematically distinguished by grammar.

So, I’ll try to write my English rules using the gender-neutral “one” or “they” instead of “he” and “one’s” or “their” instead of his, because it feels natural, but I won’t use “she”. I also won’t make my French rules longer with unnecessarily complex formulas such as “joueur et joueuses”, and I’ll keep using “auteur” no matter the sex of this “auteur”.

Le jeu et les femmes
Boardgame Design and Women

Lors du dernier salon des jeux de Cannes, j’ai fait la connaissance des deux auteurs de Et Toque, Barbara Turquier et Emmanuelle Piard. L’une des caractéristiques notables de Et Toque!, outre que c’est un jeu diablement amusant, est que ses deux auteurs sont des femmes.

J’ai toujours regretté que le monde du jeu de société soit aussi largement masculin. L’un des bons souvenirs que je garde des temps lointains où je jouais au jeu de rôles grandeur nature est que les femmes y étaient presque aussi nombreuses que les hommes, tandis que les soirées jeux de société, les salons, les réunions d’auteurs rassemblaient un public très largement masculin. Longtemps, en préparant les rencontres ludopathiques, je me suis livré à une sorte de discrimination positive, invitant le plus possible de joueuses, et engageant tous les auteurs de jeux à amener leur copine, avec dans l’idée qu’un public plus « équilibré » contribuerait à une ambiance plus naturelle – ce qui a sans doute été le cas.

De toute évidence, les choses sont en train de s’arranger. Le public des soirées jeux auxquelles je participe est de plus en plus féminin, et je n’ai plus besoin de tricher pour avoir mon quota de femmes aux ludopathiques. Il reste que je connais peu de femmes auteurs de jeux – Sylvie Barc, Anja Wrede, Andrea Meyer, (qui a dit Maureen Hiron ?) maintenant Barbara et Emmanuelle, alors que les hommes se comptent par dizaines.

Pourquoi ? Une société qui accorde traditionnellement plus de liberté aux hommes leur autorise-t-elle plus de plaisirs gratuits ? Il faudrait alors expliquer pourquoi les femmes sont aussi nombreuses que les hommes, voire plus, parmi les spectateurs de théâtre ou de cinéma, et parmi les joueurs de GN. Dans une société où ce sont les femmes qui s’occupent le plus des enfants, et jouent donc avec eux, les hommes sont-ils plus frustrés d’activités ludiques et se retrouvent donc plus à jouer entre adultes ? Notre monde met-il trop la pression sur les hommes, ce qui les pousse à jouer pour s’évader un peu ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait moins de pression sur les femmes. Quant aux auteurs, j’ai bien du mal à m’expliquer que la création ludique, dont j’ai toujours eu le sentiment qu’elle s’apparentait à l’écriture de romans, soit si masculine quand la majorité des auteurs de romans sont maintenant des femmes.

Quoi qu’il en soit, les choses changent, et il faut s’en réjouir. Mais pourquoi exactement faut-il s’en réjouir ? Parce qu’il y aura bientôt autant de femmes que d’hommes auteurs de jeux, parce que l’on se rencontre sur les salons et boit des bières ensemble, et parce que je suis moi-même, pour la première fois, en train de concevoir un jeu en collaboration avec une femme, ce qui n’est pas désagréable ? Ou parce que les femmes vont apporter à la création ludique un autre regard, un autre point de vue, un style plus léger ou moins agressif, et renouveler une création trop masculine ? C’est le vieux débat entre le féminisme universaliste et le féminisme différentialiste, entre celles et ceux qui pensent que les femmes doivent devenir des hommes comme les autres et ceux et celles qui veulent qu’elles soient enfin la moitié, et même la meilleure moitié, de l’humanité. Je penche habituellement vers l’universalisme, et c’est pourquoi je peux tout à la fois me réjouir qu’on abandonne Mademoiselle et pester contre les auteures et autres autrices. Mais j’hésite un peu ces temps-ci, quand je vois certaines et certains…. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que Et Toque ! n’est pas un jeu comme les autres, quant à savoir pourquoi…


Anja Wrede et Barbara Turquier aux rencontres ludopathiques
Anja Wrede & Barbara Turquier at the ludopathic gathering

At the last Cannes game fair, I got to know the two authors of Et Toque!, Barbara Turquier and Emmanuelle Piard. One of the noticeable characteristics of Et Toque! Is that its two authors are women – it’s also a really fun game, though I doubt it can easily be translated in English.

I’ve always regretted that there were so few women in the board and card gaming. One of my best memories of my L.A.R.P. days, twenty years ago, is that there were as many female gamers as male. In the same years, there were almost only men at the boardgame nights, boardgame fairs and game authors meeting. I remember cheating in a way, making my own little affirmative action when preparing the ludopathic gathering, trying to invite all the few female gamers I know, and to lure all the male gamers into bringing their girlfriend. I thought that a more “balanced” attendance would make for a better and lighter mood, and I still think it helped.

Obviously, things are changing. There are more and more girls at gaming nights, and I don’t have to cheat any more to get a fair proportion of girls – though still far from half – at the ludopathic gathering. On the other hand, I still know very few female game authors – Sylvie Barc, Anja Wrede, Andrea Meyer, now Barbara and Emmanuelle (who said Maureen Hiron?), while I know dozens of male authors.

Why ? A few wild thoughts, which might not be worth much. A society in which men are traditionally more free might not accept that women have pointless activities such as games  ? But, why, then, are women going to the movies, to the theater, and buying books more than men ? Or may be women are used to play games with children, while men are frustrated of this need and as a result play together, between adults?  Or there is such a pressure on men that they need gaming as an exit safety valve – but I’m not sure there’s less pressure on women. As for game design, I have always thought it was an acitivity really similar with novel writing, and most novel writers are now women…

Anyway, things are changing, and in a good way – but why is this a good way ? Because there will soon be as many men and women designing games, because we meet at game fairs, discuss games and drink beer together, and because I’m now, for the first time, designing a game in collaboration with a woman? Or because women will bring to game design a different point of view, a different sensibility, may be lighter and less aggressive ?

That’s a very old discussion, between the two main variants of feminism, universalist and differencialist. Everybody agrees that women did not so far have a fair place in the Western society – not to talk about other ones-  but what would be a fair place ?  Do we want individual women to be just like other men, or do we want women to become collectively half of humanity – and may be the best half. I’ve long been more on the universalist side, but I’m less sure now, when I see some women – and men.

Anyway, Et Toque! Is not a game like other games, no matter why.

Minimalisme
Minimalism

À l’heure où l’occident en général, et la vieille Europe en particulier, semblent prendre une leçon de modestie depuis longtemps méritée, les auteurs de jeux sont en première ligne. Il me semble en effet deviner comme une tendance au minimalisme, non seulement dans la taille des boites, et dans leur prix, mais aussi dans la nature des mécanismes sinon des jeux publiés, du moins de ceux auxquels je m’intéresse.

De mes nombreuses sorties de ces derniers mois, le jeu qui se vend le mieux est Le Roi des Nains, un jeu que j’ai voulu drôle et varié, mais nullement ambitieux. Si les Loups Garous font figure de précurseurs, on voit aujourd’hui sortir bien des jeux qui développent stratégie ou bluff à partir d’un matériel et de règles réduits à leur plus simple expression. Sept cartes dans Blue Lion, le même nombre dans Copié Collé. Rumble in the House, même s’il a un peu plus de matériel, est aussi une superbe réussite de jeu de société avec, en tout et pour tout, deux règles. Je travaille actuellement sur un prototype constitué de dix cartes et quelques jetons.

Dans le jeu de société aussi, le temps du bling bling est peut-être terminé. Question de chômage et de pouvoir d’achat, peut-être, question d’air du temps, surtout. Le fond de l’air est maigre, et vert pâle.


The Western World, and specifically the old Europe, is now receiving a well deserved lesson in modesty. Game designers may have been among the first to feel it. There seem to be strong trend towards minimalism in box size, in price, but also in mechanisms, if not in the games published, at least in the games I’m interested in.

The Dwarf King is the best selling of my many recently published games; I wanted it to be fun and varied, but certainly not ambitious. The werewolves were precursors, but there are now very different games developing bluff or strategy with minimal components and minimal rulesets. There are just seven cards in Blue Lion, as in Copié Collé. There are some more components in Rumble in the House, but it’s still a great boardgame with just two rules. The prototype I’m working on at the moment has just ten cards and scoring tokens.

Bling Bling time is over. It might have something to do with unemployment and purchasing power, but it’s more deeply just the spirit of the day. In the 60s, we used to say in French that “le fond de l’air est rouge” – it’s rather red out. Now, it’s rather lean out, and pale green.

Extensions
Expansions

Il arrive parfois qu’un éditeur me demande de réfléchir à une extension pour un de mes jeux. Je devrais apprécier, car cela signifie soit que le jeu se vend vraiment bien, soit que l’éditeur est décidé à le relancer quelque peu. Pourtant, j’ai souvent tendance à renâcler, à prétexter que j’ai déjà de nouveaux jeux en chantier, car, en fait, je n’aime pas travailler à des extensions de mes jeux – et pense souvent que je m’amuserai plus à imaginer des extensions pour d’autres jeux que j’apprécie. J’ai d’ailleurs toujours signalé à mes éditeurs que je ne voyais aucun inconvénient à ce que d’autres auteurs conçoivent des extensions pour mes jeux, à condition d’avoir un droit de regard sur le résultat pour m’assurer qu’il est conforme à ce que je pense être l’esprit original de ma création. Conséquence de tout cela, bien peu des mes jeux ont connu des extensions. Il y eut La Rue, pour Baston, dont je n’ai même plus un exemplaire, Tempête sur l’échiquier n°2, l’extension de Citadelles, en partie issue d’un concours de création de personnages, et l’extension de La Vallée des Mammouths, entièrement conçue par Greg Stafford.

Heureusement, je ne joue pas qu’à mes jeux. J’y joue même finalement assez peu, surtout après qu’ils ont été publiés. Et parmi mes jeux préférés, il en est beaucoup qui ont connu quelques extensions, ou parfois quelques dizaines comme Cosmic Encounter, Les Colons de Catan ou Carcassonne. J’ai donc quelques idées sur les extensions, celles que j’apprécie, celles que je méprise, et celles, les plus nombreuses, qui me semblent juste superflues.

Il y a plusieurs manières de concevoir une extension.

Une extension peut avoir pour but de corriger quelques petits défauts du jeu original. On l’a beaucoup dit, par exemple, des nouvelles cartes stratégiques de la première extension du monstrueux mais excellent Twilight Imperium III, bien plus équilibrées que celles du jeu original. Reste que c’est une grosse extension qui apporte aussi de nombreuses cartes, quelques races nouvelles pour la variété du jeu, et des pions pour deux joueurs supplémentaires. On peut certes critiquer l’éditeur qui n’a pas livré dès l’origine le jeu optimal, mais on peut aussi se réjouir de voir arriver une amélioration au jeu de base.

Beaucoup d’extensions de jeux à succès cherchent à rendre le jeu praticable par des joueurs plus nombreux. Les Colons de Catan, Ys, Les Piliers de la Terre, Himalaya, A Game of Thrones me viennent à l’esprit, mais il y en a beaucoup d’autres. L’extension d’Age of Empires III se limite à … un sachet plastique avec les pions pour un sixième joueur, sans une ligne de règle.

Les inconditionnels d’un jeu seront bien sûr heureux de pouvoir y jouer plus nombreux, mais si le jeu original avait été publié pour un nombre de joueurs plus réduit, c’est le plus souvent parce qu’il était meilleur ainsi. Il serait dommage de ne pas pouvoir jouer aux Colons de Catan Catan à 5 ou 6 joueurs, mais le jeu n’en est pas moins bien meilleur à 3 ou 4. Quant à essayer Twilight Imperium à 8, je ne m’y risquerai pas !!! Bref, les extensions visant essentiellement à permettre d’ajouter un ou deux joueurs doivent être réservées aux inconditionnels d’un jeu.

Depuis deux ou trois ans, la mode est aux mini-extensions, parfois appelées bonus, souvent données avec le jeu de base aux joueurs qui passent une précommande ou achètent le jeu sur un salon. Quelques cartes, deux ou trois pions, une ou deux tuiles, ces extensions sont symboliques et n’affectent généralement guère le jeu. Je me suis livré à l’exercice pour un de mes jeux à paraître cet automne, Le Temple Perdu, dont les premiers acheteurs auront droit à une mini-mini extension composée d’une seule et unique carte. C’est pour les éditeurs une manière sympathique et amusante de récompenser les  passionnés qui suivent l’actualité ludique et prennent la peine de soutenir un jeu en l’achetant dès sa publication, voire avant. C’est un peu dommage pour les autres, surtout lorsque, comme les artisans supplémentaires de Norenberc, cette mini extension ajoute réellement au jeu.

Les mini-extensions sont aussi un moyen de rappeler à peu de frais l’existence d’un jeu. Michael Schacht s’est fait une spécialité de ces mini-extensions, et je ne compte plus les nouvelles tuiles de Zooloretto et autres cartes postales animalières qui ont été ainsi distribuées sur des salons ou envoyées à ses amis, certaines intéressantes, d’autres seulement amusantes.

Restent les deux catégories principales dans lesquelles peuvent se ranger la plupart des extensions. Celles qui visent surtout à apporter à un jeu plus de variété sont généralement bienvenues. Celles qui cherchent à lui apporter plus de complexité et de profondeur sont généralement dispensables.

Les Aventuriers du Rail et SmallWorld ont tous deux connu de nombreuses extensions, et même des éditions de « variantes » comme Les Aventuriers du Rail Europe ou Scandinavie, ou SmallWorld Underground, que l’on peut assimiler à des extensions. Les Aventuriers du Rail et SmallWorld sont de vrais succès commerciaux, et mes amis de Days of Wonder ont voulu profiter de ce succès. Presque toutes les extensions et variantes de ces jeux visent avant tout à apporter de la variété avec un nouveau plateau de jeu, de nouveaux objectifs, de  nouveaux peuples, que les joueurs ne connaissent pas. Cela permet de renouveler le jeu sans ajouter à sa complexité. Sans allonger les parties, sans nouvelles règles, l’extension apporte un peu de fraîcheur sur la table de jeu. L’excellente extension de Kingsburg,l es moins tarabiscotées des cartes d’Age of Steam, ou même l’extension orientale de Hansa Teutonica, bien qu’elle introduise quelques nouveaux éléments, sont de ce type. Elles rafraîchissent un jeu sans l’alourdir.

À l’inverse, les extensions de beaucoup de jeux de coopération, comme Le Seigneur des Anneaux ou Battlestar Galactica, conservent tous les éléments du jeu de base et s’y ajoutent pour le rendre plus profond, plus riche, plus stratégique. C’est aussi le cas des grosses extensions Zooloretto ou de Ghost Stories, des leaders de 7 Wonders, et de la très grande majorité des extensions de Carcassonne. Cas extrême, et particulièrement malheureux, l’extension Cités et Chevaliers qui transforme les Colons de Catan en un jeu très différent, plus long, plus complexe, mais pas vraiment plus intéressant ou amusant. De telles extensions compliquant inutilement un jeu qui n’e a nul besoin ne sont pas réservées aux gros jeux de stratégie – des jeux d’une délicieuse légèreté, comme Elixir ou les Loups Garous de Thiercelieux en ont aussi été victimes.

Certaines de ces extensions « verticales » apportent effectivement de la richesse et de la variété au jeu de base sans trop le complexifier, et l’exemple type est ici l’extension maritime des Colons de Catan, ou certaines des extensions du délirant Cosmic Encounter. Pourtant, la plupart du temps, elles déçoivent les joueurs et sont vite oubliées, alors même que le jeu de base continue à être joué. La raison en est simple – si le jeu a plu, s’il a eu du succès, c’est parce qu’il avait le niveau de profondeur et de complexité qui convenait aux joueurs. En renouvelant le jeu sans prétendre l’approfondir, on apporte aux joueurs un peu plus de ce qu’ils aiment. En rajoutant une couche de règles, de stratégie, de complexité, on explique aux joueurs que le jeu de base qu’ils aimaient tant était pour les imbéciles, et que l’on va maintenant leur montrer le vrai jeu compliqué pour les gens intelligents. Ils n’apprécient généralement pas, et ils ont bien raison.

Comme toute typologie, celle que j’ai livré ici est simplificatrice. Beaucoup d’extensions font un peu tout cela, comme celles de Cosmic Encounter qui ajoutent un ou deux joueurs, une vingtaine de pouvoirs et souvent un ou deux mécanismes. Quand il y en a pour tous les goûts, c’est aux joueurs de faire leur cuisine. Il reste que j’ai de nombreux jeux pour lesquels j’aimerai juste un plateau en plus, un peu différent, ou une autre répartition des cartes, histoire de renouveler le plaisir, et ne trouve que des règles en plus.


I am occasionally asked by publishers to design expansions for my games. This ought to be exciting, since it means either that the game sells really well, either that the publisher wants to promote it and give it a new chance. Despite this, I’m often reluctant, and explains that I have other new games in the works, when the real point is that I don’t like to work on expansions for my games. I would probably have more fun designing expansions for other designers’ games that I like. That’s why I also always tell that I have no problems with other authors designing expansions for my games, as long as I can check the result before it goes to the printer to make sure it is true to the general idea of my game. As a result, very few of my games have had expansions. The was the street expansion for Baston, of which I even don’t have a copy left, Knightmare Chess 2, the Citadels Dark City expansion, now included in the basic box, and the Valley of the Mammoths expansion, entirely designed by Greg Stafford of Runequest fame.

Luckily, I don’t play only my own games, I even rarely play them once they are published. And among my favorite other games, there are many with some expansions, sometimes a bunch of them like with Cosmic Encounter, Settles of Catan or Carcassonne. As a result, I have some ideas about expansions – I like some, I despise some, and most of them I find just superfluous.

There are a few different ways of designing a boardgame expansion.

Some publishers have used expansions to correct minor flaws from the original game. The usual example is the Shattered Empire expansion for Twilight Imperium III, with its new strategy cards, better balanced than the basic ones. But it is also a big expansion, with lots of new cards and races, and components for two additional players. Of course, the publisher has been criticized for not publishing the optimally balanced game at once, but one could also thank him for an improvement on the basic game which could have been dismissed.

Expansions of well selling games are sometimes just made to accodmodate a few more players. Settlers of Catan, Ys, Pillars of the Earth, Himalaya, A Game of Thrones are the ones which jump to mind at the moment, but there are many others. The Age of Empires III expansion is just a plastic bag with pawns in a sixth color, without a single line of rules.

Of course, the fans are always happy if they can play their game with a few more friends. On the other hand, if the game was originally published with components for less players, it is usually because it doesn’t play as well with more. It would be a shame not to be able to play Settlers of Catan with 5 or 6, but the game is nevertheless much better with 3 or 4. As for 8 players Twilight Imperium, well, I don’t think I will ever dare to try. This means expansions which only add one or two players are only for real fans of a game.

These two or three last years, there has been many mini-expansions, sometimes modestly called bonus-expansions, often given for free to those who preorder the game, or who buy it at the fair where it is first presented. Five or six cards, two or three tiles, one or two pawns, a few line of rules, these are symbolic add-ons which don’t really change the basic game. I designed one for one my games to be published next autumn, The Lost Temple. First buyers will have a minimal bonus expansion made of just one extra character card. This is a nice and fun way for publishers to encourage and thank the dedicated gamers who follow the gaming world news and support new games with buying them immediately when published, or even before. It’s a shame for other gamers, especially when, like the dozen extra workmen tiles for Norenberc, the expansion really adds some fun and variety to the game.

Small bonus expansions can also to remind gamers of an existing game. Michael Schacht regularly designs mini-expansions for his games, which are sent to his friends or given at fairs, and can be downloaded for free from his website. I’ve received a dozen of Zooloretto postcards and tiles, some interesting, some just small jokes.

Most expansions, however, belong to two other main categories. Some just want to bring some change to the game board or cards, and these are usually welcome. Some try to develop the basic game and make it richer and deeper, and these are usually dispensable.

Ticket to Ride and  Smallworld both have numerous expansions, or even variants and follow-up versions, like Smallworld Underground or Ticket to Ride Northern Countries, which can be treated like expansions. Both games have been real hit, and my friends at Days of Wonder deservedly wanted to make the best use of this success. The expansions and variants were designed to bring some variety to the game, new maps, new goal cards, new races that players did not know so far. This make the game feel fresh and new, without adding anything in depth, length or complexity. The great Kingsburg exmpansion, the simplest ones of the Age of Steam maps, the eastern expansion for Hansa Teutonica, even when they bring one or two minor additional rule, are of this kind. They don’t even try to improve the game, they simply renew it.

Expansions for cooperative games like Lord of the Rings or Battlestar Galactica have a different aime. They keep all the elements from the basic game and add more to make the game deeper, richer, more strategic, and usually also longer. That’s also the case with the big expansions for Zooloretto or Ghost Stories, 7 Wonders leaders, and most of the Carcassonne expansions. The extreme case is the City and Knights expansion for Settlers of Catan, which changes a simple family game into something completely different, heavier, more complex, but not really more interesting. Even delightfully light games, such as Elixir or Werewolves of Miller’s Hollow, are sometimes burdened by unnecessarily complex and convoluted expansions.

Sometimes, an expansion manages to develop the game without making it too complex, like the Seefarers expansion for Settlers of Catan, or most of the Cosmic Encounter ones. Most times, however, these hardcore expansions miss their point and are soon dismissed and forgotten, even when the basic game is still played. No wonder. If the basic game is popular, it means that gamers like it as it is, that it has the right level of depth and complexity. Adding one or two layers of rules and mechanisms might add to the strategic challenge, but it usually changes the game into something longer and more involved that they might not like as much as they liked the original. And some gamers might resent being explained that they were wrong in liking the basic childish game and that they will now be shown the real, deep and challenging hardcore version.

Like any typology, this one is overly simplistic and can be misleading. Many expansions are a bit of everything, like the Cosmic Encounter ones, which add one or two players, a dozen new aliens and usually one or two new optional mechanisms. In such a catalog, there’s something for every one and each gaming group can make his own optimal version of the game. Nevertheless, the fact is that there are many games for which I would like to have just a new slightly different map, or a different set of cards, when all I can find is an overly complex set of additional rules.

Le rasoir d’Ockham
Ockham’s Razor

Très régulièrement, je reçois des emails de personnes, jeunes et moins jeunes, désireux de se lancer dans la création de jeu et qui me demandent des conseils, m’interrogent sur « la bonne méthode ». Il m’est aussi difficile d’y répondre qu’aux élèves qui me demandent comment ils doivent réviser leurs examens – chacun est différent, chacun doit trouver les méthodes qui lui correspondent, et je ne pourrais sans doute pas plus travailler mes jeux comme Reiner Knizia, ou Martin Wallace, ou même Bruno Cathala avec qui je collabore très volontiers, qu’ils ne pourraient travailler à ma manière.

Un récent voyage en Suisse, pour une rencontre d’auteurs de jeux à laquelle participaient de très nombreux auteurs débutants m’a cependant inspiré une réflexion de portée relativement générale. Beaucoup des prototypes auxquels j’ai joué, ou que j’ai simplement observé, m’ont semble complexes, un peu tarabiscotés. Un exemple parmi d’autres, des personnages avec une demi-douzaine de caractéristiques là ou un deux, voire une seule, aurait sans doute suffi.

Je ne dis pas que le jeu idéal soit nécessairement le go ou le morpion, avec une règle en tout et pour tout, mais qu’il ne doit y avoir dans un jeu aucun élément, aucune règle qui ne soit absolument nécessaire au fonctionnement du jeu, c’est à dire à son intérêt tactique ou stratégique, à sa tension chronologique, à sa cohérence thématique. De même, tout objectif que se fixe l’auteur, en matière d’intérêt tactique, de déroulement du jeu et de richesse thématique doit être atteint avec le plus petit nombre possible d’éléments. Ce principe de parcimonie me semble l’un des rares qui s’applique à tous les types de jeux, le jeu de stratégie à l’allemande, bien sûr, mais aussi le gros jeu un peu baroque à l’américaine, dans lequel chaque élément s’insère à la fois dans le thème du jeu, dans sa progression et dans sa stratégie globale, et s’avère nécessaire à l’ensemble.

Lorsque, dans les années quatre-vingt, j’ai commencé à m’intéresser à la création ludique, mes premiers projets étaient inutilement complexes, et je passais plusieurs mois ensuite à les simplifier, à en enlever le superflu. Aujourd’hui, j’ai plutôt tendance à partir d’un système très simple et à ajouter ensuite uniquement les éléments nécessaires pour en faire un véritable jeu. Des méthodes différentes, donc, mais un objectif commun, utiliser tout ce qui est nécessaire, mais rien que ce qui est nécessaire.


I regularly receive emails from people, young or old, who want to start deigning games and ask me for some hints or, even, for the right way, the right methodology. I can’t answer them any more than I can answer students asking me how they have to prepare their exams. Everyone is different, and everyone must find his way, the methodology that fits him and probably won’t work for someone else. I could never design games the way Reiner Knizia, Martin Wallace or, even when we can very well work together, Bruno Cathala, nor could they work like me.

I recently attended a very nice small game design convention in Switzerland. There were many young would be game designers there, often presenting their first projects. One thing was striking with most of the prototypes I played, or just looked at. Even with simple strategy games, they always looked and felt a bit too complex, even convoluted. Two or three games, for example, had character cards with four or five characteristics where two, or even one, would probably be enough.

This doesn’t mean the best game is necessarily a single-rule game such as Go or Five in a row. It means that every rule, every element in a game must have its use. Every part of the game must add something in terms of tactical or strategic challenge, of story arc and of thematic consistency. Similarly, every design requisite in terms of strategic challenge, story arc or thematic consistency must be achieved with the least possible elements.

This principle of parcimony is probably the one and only golden rule of game design. It is obviously valid with German style boardgame design, but it is also true of the best big and baroque “ameritrash” games, in which each one of the many elements is necessary for the whole to work as a global system, and adds something to the theme, to the game flow and to the challenge.

When I started designing games, in the early eighties, my first prototypes were complex and convoluted, and I had to work for months simplifying them, removing all the superfluous elements. Now, I usually start with a very simple and basic system and adds elements one by one, until I have a true game. Different methods, but a common goal, make use of everything necessary, but , and it’s more difficult, of nothing more.

Fun

Un jeu doit-il être “fun”, amusant ?

Pas nécessairement. Nul ne s’amuse en jouant aux échecs ni même, pour citer deux jeux récemment entrés dans la ludothèque idéale, en jouant à Troyes ou Nurenberc. L’intérêt de ces jeux est ailleurs, dans la tension et la compétition entre les joueurs, dans les efforts qu’ils font pour gagner et qui demandent un certain sérieux. Citadelles, celui de mes jeux qui se vend le mieux, peut être joué pour s’amuser, mais il peut aussi être pratiqué très sérieusement, comme le poker, dans une ambiance plus tendue, façon poker, que réellement « fun ».

À l’inverse, des jeux d’ambiance comme Time’s Up, Jungle Speed ou Twister ne sont de bons jeux que parce qu’ils sont drôles, même si la compétition est loin d’en être absente. Il faut rester concentré pour parvenir à gagner et pour que le jeu fonctionne, mais à l’inverse des jeux cités plus haut, le plaisir ne vient pas de la concentration elle même, mais plutôt de la rigolade qu’elle génère.

Et puis, il y a les jeux qui parviennent à jouer sur les deux tableaux. À ce jour, la note moyenne d’Isla Dorada sur le Boardgamegeek est de 6,83. C’est un score très honorable, mais pas vraiment exceptionnel. Ce qui me réjouit, plus que cette note, ce sont les commentaires. Sur la première page de commentaires, un mot revient régulièrement – fun. Isla Dorada n’est pourtant pas un « party game », c’est un jeu à l’allemande, classique, de la famille de Catan, Elfenland ou Les Aventuriers du Rail. Qu’il soit « fun » est donc juste un plus – mais c’est un plus dont je suis particulièrement fier.


Does a game have to be fun ?

Not necessarily. No one plays Chess for fun. Outstanding boardgames such as Troyes or Norenberc, which recently entered my ideal game library, are not intended to be fun. They are good games because they are tense and challenging, because players must concentrate to win, and this requires a certain dose of seriousness. My best selling game, Citadels, can be played casually and for fun, but it can also be played very seriously, like poker, for tension and not for fun.

On the other hand, party games such as Time’s Up, Jungle Speed or Twister are good games only because they are fun, even when there is much skill and competition in them. Players have to be highly concentrated on the game to make it work, but the gaming pleasure doesn’t come from the concentration itself, but from the crazy fun it creates.

And some games manage to win on both sides. As of this morning, Isla Dorada’s average rating on the Boardgamegeek is 6.83. It’s certainly not bad, but it’s not outstanding. What makes me really happy is not this ranking, but the comments on the game. If you browse through the first comments page, you will see one word over and over – fun. Isla Dorada is not a party game, but a classical eurogame of the Catan, Elfenland or Ticket to Ride family. It’s just fun on top of this.

Bonus et malus sont dans un donjon
Adding and substracting

Il y a deux ans de cela, ma curiosité avait été éveillée par les premières rumeurs au sujet de Dominion. Comme auteur de jeu, je suis toujours friand de nouveaux principes, de nouveaux mécanismes, et ceux de Dominion semblaient promettre des parties renouvelées et intéressantes. Le système de construction de deck, comme dans un jeu de cartes à collectionner mais tout au long de la partie, promettait d’être tactiquement passionnant. Le fait que les cartes disponibles ne soient pas les mêmes d’une partie sur l’autre semblait devoir éviter que le jeu ne devienne trop technique et promettre un grand renouvellement.
Le succès commercial de Dominion semble indiquer que le jeu a « trouvé son public », essentiellement parmi d’anciens joueurs de jeux de cartes à collectionner. Pour ma part, j’ai été très déçu. Le thème est inexistant, les effets des cartes se ressemblent. Une partie de Dominion consiste essentiellement à mélanger sans cesse ses cartes et à faire des additions et des soustractions – j’ai une action plus deux qui me permettent de piocher deux cartes plus une en gagnant deux fois un or, j’ajoute trois et je retiens deux…

Pourtant, sur le papier, le système restait intéressant, et je me mis à fantasmer à l’idée d’une extension de Dominion, ou d’un autre jeu utilisant le même principe, mais avec un thème, de l’humour, du chaos, de la variété, de l’agressivité, de l’interaction.
J’ai donc, à nouveau, été assez excité en lisant les premières annonces de Thunderstone, qui reprend en le système de construction de deck et de mélange permanent de Dominion. J’ai encore été à demi déçu. Certes, contrairement à Dominion, Thunderstone a un vrai thème, cohérent et plein d’humour à défaut d’être original – un village où l’on recrute des aventuriers et achète des équipements, un donjon voisin où grouillent monstres et créatures de toutes sortes. Le thème est bien exploité, mais très vite les joueurs se retrouvent, comme dans Dominion, à additionner bonus et malus, points d’attaque et points de force. Je ne m’y suis pas beaucoup plus amusé qu’à Dominion.

Je m’interroge donc. Est-ce le système de choix des cartes et de construction de deck au fur et à mesure de la partie qui conduit inévitablement à un jeu répétitif et calculatoire ? Est-ce le petit nombre de cartes disponibles dans le royaume ou le village qui oblige à bâtir le jeu sur un petit nombre de variables simples et à limiter l’interaction ? Est-ce simplement que l’auteur de Thunderstone n’a pas su prendre suffisamment ses distances de son modèle, Dominion ?
Peut-être m’essaierai-je un jour à jeu de ce type, et aurai-je alors la réponse à mes questions, mais je n’ai pas l’idée de départ pour le moment. En attendant, je reste très curieux de ce que d’autres auteurs feront de ce système. J’aimerai bien, par exemple, voir un Dominion-like conçu par Richard Garfield… Je vais lui envoyer le lien vers cet éditorial, cela lui donnera peut-être des idées.


I first heard of Dominion two years ago, and was at once very excited. As a game author, I’m eager for new mechanisms and new systems. From what I guessed of it, Dominion seemed to be the first in a new, family of card games, challenging and interesting. In old fashioned collectable card games, one built one’s deck before hand; in Dominion, one builds one’s deck during the game, which seemed to add an interesting tactical element. Dominion used few different cards in a game, a dozen or so, but the many available cards seemed to allow for very different games and a high replayability.
Dominion was a hit with former CCG addicts, which means that many gamers find it interesting, but I was really disappointed by the gameplay. The theme is bland and inconsistent, the card effects are all very similar. A game of Dominion feels like adding and subtracting, then shuffling one’s cards, rinse and repeat. It’s all about “I have two plus one actions so I draw one card, the two and get three times 1 gold…”.

Nevertheless, the deck building system still felt clever and interesting, so I start to imagine a Dominion expansion, or a different game using the same card system, with a solid theme, more fun, more chaos, more variety, more nastiness, more interaction.

That’s why I was, once more, really excited when I heard of Thunderstone, which borrows the deck building and permanent shuffling system of Dominion. Once more, I was disappointed.
Unlike Dominion, Thunderstone gas a real theme, a consistent and fun if not really original one – a village where the players hire a party of adventurers and buy equipment, a nearby dungeon where they send them to fight terrible monsters. The theme is really well implemented, and the first rounds are fun, but soon it becomes, like Dominion, all about adding and subtracting attack points and strength points.

Does the card selection and progressive deck building system inevitably leads to such a repetitive game ? Is this due to the small number of different cards in the Kingdom or Village which forces the designer to rely on a small number of game elements and mechanisms ? Or is it just that Thunderstone’s designer was too narrowly inspired by Dominion ?
May be, some day, I’ll try to design such a game, and I’ll get answers from experience. At the moment, I don’t have any basic idea, and I’m very curious of how other designers will use this system. I would like, for example, to see a Dominion-like game designed by Richard Garfield… I’ll email him a link to this editorial, may be it will give him ideas.