Lors du dernier salon des jeux de Cannes, j’ai fait la connaissance des deux auteurs de Et Toque, Barbara Turquier et Emmanuelle Piard. L’une des caractéristiques notables de Et Toque!, outre que c’est un jeu diablement amusant, est que ses deux auteurs sont des femmes.
J’ai toujours regretté que le monde du jeu de société soit aussi largement masculin. L’un des bons souvenirs que je garde des temps lointains où je jouais au jeu de rôles grandeur nature est que les femmes y étaient presque aussi nombreuses que les hommes, tandis que les soirées jeux de société, les salons, les réunions d’auteurs rassemblaient un public très largement masculin. Longtemps, en préparant les rencontres ludopathiques, je me suis livré à une sorte de discrimination positive, invitant le plus possible de joueuses, et engageant tous les auteurs de jeux à amener leur copine, avec dans l’idée qu’un public plus « équilibré » contribuerait à une ambiance plus naturelle – ce qui a sans doute été le cas.
De toute évidence, les choses sont en train de s’arranger. Le public des soirées jeux auxquelles je participe est de plus en plus féminin, et je n’ai plus besoin de tricher pour avoir mon quota de femmes aux ludopathiques. Il reste que je connais peu de femmes auteurs de jeux – Sylvie Barc, Anja Wrede, Andrea Meyer, (qui a dit Maureen Hiron ?) maintenant Barbara et Emmanuelle, alors que les hommes se comptent par dizaines.
Pourquoi ? Une société qui accorde traditionnellement plus de liberté aux hommes leur autorise-t-elle plus de plaisirs gratuits ? Il faudrait alors expliquer pourquoi les femmes sont aussi nombreuses que les hommes, voire plus, parmi les spectateurs de théâtre ou de cinéma, et parmi les joueurs de GN. Dans une société où ce sont les femmes qui s’occupent le plus des enfants, et jouent donc avec eux, les hommes sont-ils plus frustrés d’activités ludiques et se retrouvent donc plus à jouer entre adultes ? Notre monde met-il trop la pression sur les hommes, ce qui les pousse à jouer pour s’évader un peu ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait moins de pression sur les femmes. Quant aux auteurs, j’ai bien du mal à m’expliquer que la création ludique, dont j’ai toujours eu le sentiment qu’elle s’apparentait à l’écriture de romans, soit si masculine quand la majorité des auteurs de romans sont maintenant des femmes.
Quoi qu’il en soit, les choses changent, et il faut s’en réjouir. Mais pourquoi exactement faut-il s’en réjouir ? Parce qu’il y aura bientôt autant de femmes que d’hommes auteurs de jeux, parce que l’on se rencontre sur les salons et boit des bières ensemble, et parce que je suis moi-même, pour la première fois, en train de concevoir un jeu en collaboration avec une femme, ce qui n’est pas désagréable ? Ou parce que les femmes vont apporter à la création ludique un autre regard, un autre point de vue, un style plus léger ou moins agressif, et renouveler une création trop masculine ? C’est le vieux débat entre le féminisme universaliste et le féminisme différentialiste, entre celles et ceux qui pensent que les femmes doivent devenir des hommes comme les autres et ceux et celles qui veulent qu’elles soient enfin la moitié, et même la meilleure moitié, de l’humanité. Je penche habituellement vers l’universalisme, et c’est pourquoi je peux tout à la fois me réjouir qu’on abandonne Mademoiselle et pester contre les auteures et autres autrices. Mais j’hésite un peu ces temps-ci, quand je vois certaines et certains…. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que Et Toque ! n’est pas un jeu comme les autres, quant à savoir pourquoi…
At the last Cannes game fair, I got to know the two authors of Et Toque!, Barbara Turquier and Emmanuelle Piard. One of the noticeable characteristics of Et Toque! Is that its two authors are women – it’s also a really fun game, though I doubt it can easily be translated in English.
I’ve always regretted that there were so few women in the board and card gaming. One of my best memories of my L.A.R.P. days, twenty years ago, is that there were as many female gamers as male. In the same years, there were almost only men at the boardgame nights, boardgame fairs and game authors meeting. I remember cheating in a way, making my own little affirmative action when preparing the ludopathic gathering, trying to invite all the few female gamers I know, and to lure all the male gamers into bringing their girlfriend. I thought that a more “balanced” attendance would make for a better and lighter mood, and I still think it helped.
Obviously, things are changing. There are more and more girls at gaming nights, and I don’t have to cheat any more to get a fair proportion of girls – though still far from half – at the ludopathic gathering. On the other hand, I still know very few female game authors – Sylvie Barc, Anja Wrede, Andrea Meyer, now Barbara and Emmanuelle (who said Maureen Hiron?), while I know dozens of male authors.
Why ? A few wild thoughts, which might not be worth much. A society in which men are traditionally more free might not accept that women have pointless activities such as games ? But, why, then, are women going to the movies, to the theater, and buying books more than men ? Or may be women are used to play games with children, while men are frustrated of this need and as a result play together, between adults? Or there is such a pressure on men that they need gaming as an exit safety valve – but I’m not sure there’s less pressure on women. As for game design, I have always thought it was an acitivity really similar with novel writing, and most novel writers are now women…
Anyway, things are changing, and in a good way – but why is this a good way ? Because there will soon be as many men and women designing games, because we meet at game fairs, discuss games and drink beer together, and because I’m now, for the first time, designing a game in collaboration with a woman? Or because women will bring to game design a different point of view, a different sensibility, may be lighter and less aggressive ?
That’s a very old discussion, between the two main variants of feminism, universalist and differencialist. Everybody agrees that women did not so far have a fair place in the Western society – not to talk about other ones- but what would be a fair place ? Do we want individual women to be just like other men, or do we want women to become collectively half of humanity – and may be the best half. I’ve long been more on the universalist side, but I’m less sure now, when I see some women – and men.
Anyway, Et Toque! Is not a game like other games, no matter why.
Pingback: 41-La boutique de jeu | Hard Gameurs