Politique
Je suis arrivé aux États-Unis le lendemain des événements de Charlotteville, qui étaient le grand sujet de discussion. Comme assez souvent, je me suis retrouvé devoir essayer d’expliquer les grilles de lecture européennes aux américains, et inversement. En effet, si le racisme aux États-Unis est un peu différent de ce qu’il est en Europe, l’antiracisme est lui complètement différent.
Pour un américain, être antiraciste c’est vouloir l’égalité des races, considérées comme des réalités incontournables, voire comme des identités à défendre. Pour un européen, surtout dans les pays latins, être antiraciste c’est nier l’existence de races humaines, considérées comme un fantasme dangereux et sans fondement scientifique. Du coup, l’antiraciste américain apparait à l’européen comme un raciste soft et gentil, et l’antiraciste européen est aux yeux de l’américain un grand naïf. Les deux reproches sont sans doute un peu fondés. Discutant des événements de Charlotteville, le chauffeur de taxi qui m’a amené à Roissy disait que « les races, c’est un truc de chien, pas d’hommes », tandis qu’un employé d’hôtel d’Indianapolis m’a assuré que « Dieu a créé toutes les races égales » (ce qui colle mal avec l’histoire d’Adam et Eve, mais bon, je n’allais pas engager un débat théologique avec un américain).
Universaliste par tempérament, je me méfie de l’obsession identitaire et communautaire à l’américaine, de la tribalisation qui mène à la violence. Je ne peux qu’espérer, sans trop y croire, que les événements de Charlotteville vont conduire la gauche américaine à réaliser que les identités sont le problème et non la solution. Je m’inquiète plutôt de voir la vision tribale du monde s’insinuer de nouveau en Europe, que l’on pouvait penser vaccinée par l’histoire contre les identités collectives un peu trop fortes. En même temps (comme dirait Macron😀) on ne lutte pas contre une réalité sociale en refusant de la voir, et se regrouper est parfois, à court terme au moins, la meilleure manière de se défendre.
L’attentat de Barcelone a été beaucoup moins discuté aux USA que les événements de Charlotteville ne l’ont été en Europe. C’est un peu dérangeant, mais cela s’explique peut-être en partie par l’habitude. Les attentats de Ouagadougou, eux, ont a peine été signalés, ce qui est encore plus dérangeant. Il reste que tous ont, au fond, la même origine – quelques allumés pensant qu’ils doivent être fiers d’une identité fantasmée qui les rendrait différent du reste de l’humanité.
Minneapolis
Comme ces trois ou quatre dernières années, j’ai passé les trois premiers jours à Roseville, accueilli par la sympathique équipe de Z-Man Games, et plus largement d’Asmodee (sans accent) North America dans une zone industrielle au milieu de nulle part dans la banlieue de Minneapolis.
On a joué à mes prototypes, dont certain ont suscité un certain intérêt, et à quelques unes des dernières nouveautés et des jeux à venir de Z-Man. J’ai particulièrement apprécié un proto de Florian Fay dont on n’a pas encore le droit de parler et sur lequel il y a encore pas mal de boulot, Smile, un petit jeu de cartes de Michael Schacht, et NMBR9, que je connaissais déjà. Moi qui n’aime pas trop Splendor, et de manière générale le style un peu froid de Marc André, j’ai bien aimé Majesty, un jeu avec de l’interaction et un vrai thème. Discutant de jeux à deux joueurs avec Steven Kimball, j’avais presque réussi à le convaincre de faire une nouvelle édition de Greedy Kingdoms, de Hayato Kisaragi, et de me laisser faire le développement pour lequel j’avais quelques idées. Malheureusement, j’ai appris le soir que les japonais avaient déjà revendu leur jeu à AEG….
Indianapolis
Downtown Indianapolis vu depuis ma chambre au 27ème étage
Changement de rythme après l’arrivée à Indianapolis, caricature de ville américaine à l’architecture brutale plantée au milieu de la brousse. La 50ème GenCon a attiré 70.000 visiteurs, un record. Les auteurs, éditeurs, distributeurs et même fabricants de jeux du monde entier étaient là, seuls les illustrateurs me semblant peu représentés, à l’exception de peintres fantastiques très américains. Beaucoup de français, et pas seulement des asmodéens. Avec une telle foule, les hôtels ne se gênaient guère et la chambre d’Antoine Bauza, arrivé un jour plus tard que prévu, avait déjà été attribuée à un autre. Du coup, je l’ai hébergé deux nuits dans la mienne, ce qui nous a permis de commencer à bosser sur un nouveau petit projet.
Au bar du JW Marriott vec Merry Nowak-Trzewiczek, Eric Lang et une partie de l’équipe CMON.
Tout ce qui gravite autour d’Asmodée, de FFG, de CMON, avec donc un grand nombre de français, avait pour quartier général le bar du JW Marriot, le grand hôtel le plus proche du salon. Ça buvait pas mal, ça parlait plus de jeux que ça ne jouait vraiment. Soirée Iello jeudi, soirée Asmodée vendredi, j’apprécie de ne pas avoir à choisir mon camp.
Les nouveautés
Cinq ou six-cent nouveaux jeux de société étaient présentés sur le salon. C’est beaucoup, peut-être trop. Heureusement, cette année, aucun jeu n’a suscité l’enthousiasme général au point d’accaparer toute l’attention. Pas de big hit, donc, ce qui a permis à pas mal de jeux de se faire remarquer. Je n’ai eu le temps de jouer à rien, mais j’ai entendu dire du bien de tous ceux là, dans le désordre :
et j’en oublie certainement. Quelques uns de ceux-ci, mais aussi pas mal de petites boites qui m’ont intrigué sans que je trouve le temps d’y jouer, sont dans le gros colis que FFG, pardon Asmodee North America, se charge gentiment de m’envoyer bientôt.
Côté styles, certaines des tendances que je constatais dans mes considérations d’avant salon se confirment nettement. Beaucoup de jeux de coopération, beaucoup de jeux narratifs, de plus en plus d’auteurs japonais, et une opposition très nette entre les petits jeux de cartes élégants et les grosses boites au look baroque et au matériel aussi inutile que tapageur. La gamme intermédiaire se fait plus rare. Côté thème, c’est le retour de la science fiction, avec souvent un look très seventies, mais l’heroic fantasy résiste.
Mes jeux à moi
Mon emploi du temps chargé consistait pour moitié en dédicaces et présentations de mes nouveaux jeux, Secrets, Junggle, King’s Life et Kamasutra, pour moitié en rendez-vous avec des éditeurs connus ou inconnus pour leur présenter quelques brouillons. Les deux stands sur lesquels j’étais le plus présent étaient celui de Z-Man, éditeur de Junggle, qui avait la gentillesse de m’héberger dans l’hôtel assez cher où tout se passe et tout se discute, et celui de Vice Games, éditeur de Kamasutra, parce que c’était rigolo.
Présentation de Junggle sur le stand Z-Man
Junggle, léger et familial, n’est sans doute pas le jeu le plus facile à présenter dans un salon très geek, surtout sur un stand occupé surtout par des trucs plus sérieux, plus conséquents et plus allemands. Les démos ont pourtant remporté un certain succès. Le dernier jour, je n’étais cependant plus très performant, ni dans les jeux de rapidité, ni dans ceux de mémoire.
Sans participer aux parties, plus longues, je faisais de temps en temps un saut à côté, dans l’espace joliment décoré où étaient présentées les nouveautés de Repos Prod, dont Secrets, ma deuxième collaboration avec Eric Lang. Les joueurs avaient toujours l’air de bien s’amuser et de ne pas se faire confiance, c’est bon signe.
Sur le stand de Pandasaurus, King’s Life était largement éclipsé par l’immense succès de Wasteland Express Delivery Service, mais j’ai quand même pu faire quelques parties dont une, à sept joueurs, restera un de mes meilleurs moments du salon. Cela confirme que ce jeu prend tout son sel quand les joueurs sont assez nombreux.
Kamasutra et Come Together, les deux jeux les plus chauds de la GenCon
Le stand de Vice Games n’était qu’une étroite bande de tissu noir derrière celui, plus conséquent, de leurs amis de Japanime Games, mais c’était l’un des coins les plus drôles et des plus animés de la GenCon. Pendant que Matt, en robe de Blanche neige, expliquait son jeu de cartes Come Together, j’ai animé quelques parties de Kamasutra, qui a été incontestablement l’un des jeux qui faisait parler d’eux. Les mignonnes illustrations de David Cochard, l’enthousiasme de Matt et un peu de bouche à oreille ont permis au jeu d’être sold out le dimanche matin.
On a fait jouer l’équipe du Boardgamegeek à Kamasutra
Il y a même eu des tournois improvisés, dont un que j’ai arbitré à la Game Nerds Night. Du coup, alors que personne il y a deux ans, puis l’an dernier, ne voulait publier ce jeu, pas mal de distributeurs potentiels se sont fait connaître cette année. S’il n’est pas trop tard, Vice Games va se débrouiller pour avoir un stand à Essen.
Préparatifs du tournoi de la Game Nerds night
Prospection
J’avais une douzaine de rendez-vous avec des éditeurs, du plus petit au plus gros, et une dizaine de jeux à présenter. Pour la première fois, j’avais fait le choix d’amener, outre mes brouillons et projets en cours, deux prototypes quasi finaux de jeux, Chawai et Small Detectives, qui vont sortir en France mais dont les éditeurs cherchent licenciés ou distributeurs outre Atlantique. Tout cela a suscité pas mal d’intérêt, ce qui laisse espérer quelques nouveaux jeux de Bruno Faidutti l’an prochain ou dans deux ans – on verra bien. Et puis, comme il ne faut pas renoncer à une bonne idée, je suis passé voir les gens d’AEG, que je ne connaissais pas encore, pour leur proposer d’ajouter mon grain de sel à Greedy Kingdoms.
Retour
Dimanche soir, un peu de repos dans les salons de l’hôtel.
Mon dernier rendez-vous était lundi matin pour un petit déjeuner de travail au Patachou avec Eric Lang. Malgré nos fatigues respectives après quatre jours épuisants passés à jouer, boire et discuter affaires, nous avons réussi à remettre sur les rails un projet avec des elfes et des trolls qui piétinait depuis un an. Reste à espérer que nous n’oublierons pas nos brillantes idées du lundi matin et qu’elles nous sembleront toujours aussi bonnes après une bonne nuit de sommeil.
Ensuite, ce fut l’éclipse au moment du départ d’Indianapolis, une correspondance sans problème à Atlanta, ce qui n’était pas gagné d’avance, et une très courte nuit au dessus de l’Atlantique durant laquelle j’écris ce petit compte rendu. En arrivant, il va falloir que je réimprime des protos pour envoyer aux éditeurs, et que je m’attaque aux nouveaux projets avec Eric Lang, avec Hayato Kisaragi, avec Antoine Bauza. Et puis il y a la rentrée scolaire….
Embarquement sur le vol retour avec Bruno Cathala
Politics
I arrived in the USA the day after the Charlotteville events, which were of course the main topic of conversation. As often, I ended up trying to explain to Americans the standard European interpretation frameworks and premises, and vice versa. Indeed, while racism in the USA is only slightly different from what it is in Europe, antiracism is completely different.
Americans antiracists fight for race equality, and consider that races are an undeniable reality, or even identities needing to be asserted and defended. Europeans antiracists, especially in latin countries, fight to get rid of the idea of race, which they consider a dangerous fantasy based on dubious scientific premises. As a result, European antiracists see American ones as “soft and kind racists”, while American antiracists see European ones as naive dreamers. There’s some truth in both critics. Discussing the Charlotteville events, the taxi driver who drove me from Paris to the Roissy airport told me that “races are for dogs, not for men”. In Indianapolis, a hotel clerk assured me that “God has created all races equal” (which doesn’t quite fit with the Adam & Eve storyline, but I didn’t dare discuss theology with an American).
I am an universalist, and I am extremely wary of the American identity and community fetish, which inevitably leads to violence. I have only little hope that Charlotteville’s white identity furor will make US liberals realize that identities are not the solution but the problem. Conversely, I’m afraid when I see the US style tribal worldview worming itself back in Europe, which I thought had been immunized by history against strong identities. On the other hand, refusing to see a social reality might not be the best way to fight it, and banding together is often, at least in the short term, the best defense system.
The Barcelona terror attack was far less discussed in the US than the Charlotteville events were discussed in Europe. It’s a bit disturbing, but might be in part because it feels less new. The attacks in Ouagadougou went almost unnoticed, which is even more disturbing. Anyway, in the end, all have the same origin – a small group of looneys thinking they can be proud of a bullshit racial or religious identity which supposedly makes them different from the rest of the human race.
Minneapolis
Like the three or four last years, I first stopped for a few days in Roseville, where I joined the friendly Z-Man team, and of all Asmodee (no accent) Nort America, in a lost suburb of Minneapolis. We played my prototypes, some of which raised some interest, and a few new or upcoming Z-Man games. My favorites were a Florian Fay prototype which still needs some development, and Smile, a cute light card game by Michael Schacht, and NMBR9, which I had already played. While I don’t like Splendor and Marc Andrés’s style usually leaves me cold, I really enjoyed my game of Majesty, which has strong interaction and a consistent theme.
While discussing two player games with Steven Kimball, I tried to convince him to make a mew version of Hayato Kisaragi’s Greedy Kingdoms, a game I really like, and to let me work on the development, only to learn the day after that the game was already signed with AEG.
Indianapolis
Downtown Indianapolis viewed from my 27th floor room
There was a change of pace when arriving in Indianapolis, an archetypal american city, some brutal architecture planted in the bush, in the middle of nowhere.
There were 70.000 attendees, a record, at the 50th Gen Con. Designers, publishers, distributors and even game manufacturers from all around the world were here, but there were few artists, except for very american fantasy illustrators. Many French people, not all asmodeans. With such a busy crowd, hotels were full, if not overbooked. When Antoine Bauza arrived one day later than initially scheduled, his room had already been passed to someone else. He slept in mine for two days, a good opportunity to discuss games and to start working together on what will probably be a small card game.
At the JW Marriott bar with Merry Nowak-Trzewiczek, Eric Lang and two guys from CMON.
All the people gravitating around Asmodee, FFG or CMON used the nearby JW Marriott bar and lobby as their headquarters. We drank a lot, we talked games, but we didn’t play that much. Thursday night was the Iello party, Friday night the Asmodee one, I felt relieved for not having to choose my side.
New stuff
There were five or six hundred new games on the show. Many games, may be too many. Luckily, this year, there was no main big hit monopolizing the gamers’ attention, which was divided between many interesting new games. I could not find the time to play anything else than my own games and prototypes, but I’ve heard good things about all of these, in no specific order.
and I certainly forget a few ones. Some of these, and a few dozen small card games, are in the big box that FFG – ooops, ANA – will send me in the coming days. Thanks again friends!
Some of the trends I discussed in a recent blogpost were confirmed. Lots of cooperative games, and of narrative and legacy ones. Many games by Japanese designers. A focus on both small card games and big heavy boxes with baroque graphics and ridiculously overproduced components, but little in between. Science fiction is back, often with a seventies graphic style, but good old heroic fantasy is not dead.
My games
I had a busy schedule, half appointments with publishers to show my prototypes, half signings and demos of my four new games, Secrets, Junggle, King’s Life and Kamasutra. The two booths where I spent most of my time were Z-Man, the publisher of Junggle, who was kind enough to take care of my accommodation in the rather expensive hotel where all the interesting discussions take place, and Vice Games, the publisher of Kamasutra, because it was plain good fun.
Demoing Junggle at the Z-Man booth
Junggle, a light and fast paced family game, might not be very easy to show in a geeky event like Gen Con, especially when most of the other games at Z-Man were more serious, heavy and german. My demos were nevertheless a success, though on the last day, I was not very good an y more at rapidity or memory games.
I didn’t actually play Secrets but I often went to have a look and discuss the game at the nearby nice space where the new Repos games were demoed. Players always seemed to have fun and to be completely distrustful of each other, which is a good sign.
Playing King’s Life, at Pandasaurus
At Pandasaurus, King’s Life was largely eclipsed by their big hit, Wasteland Express Delivery Service, a monster game about delivery drivers in a Mad Max setting. I nevertheless played a few games of King’s Life, one of which, with seven players, was probably one of my highlights of the con. This game is definitely best with more players.
Kamasutra and Come Together, the two hottest games at GenCon
The Vice Games booth was just a narrow strip of black cloth behind the bigger one owned by their friends at Japanime Games, but it was one of the most fun and sexy places at the con. Matt, in a snow white outfit, explained his sexy card game Come Together, while I showed Kamasutra. Matt’s enthusiasm, David Cochard’s cute graphics and some word of mouth helped the game selll out quite fast.
Playing Kamasutra with BGG’s Eric Martin as a teammate. We won.
There were even a few improvised tournaments, and I was the referee at the Game Nerds Night on Sunday. No one wanted to publish this game when I showed it two years ago, and again last year, now everyone wants to distribute it all around the world ! If it’s not too late, Vice Games will try to book a small booth in Essen.
Preparing the Kamasutra tournament
(BTW, English grammar question. When explaining the rules of Kamasutra, I used to say that the balloon is placed in the « contact zone ». Then I heard Matt explaining the game, and saying it was in the « zone of contact ». It’s obvious to me, though I don’t know why, that the third possibility, contact’s zone, would not be correct. So, what is the rule ? If zone of contact is correct and not contact zone, why ?)
Prospection
I had ten or twelve appointments with publishers, small and big ones, and several games prototypes to show. For the first time, I had brought not only rough prototypes but also publisher prototypes of two games, Chawai and Small Detectives, which will be soon published in France and are looking for foreign distributors or licensees. Both my prototypes and these games raised some interest, so you can expect some more Bruno Faidutti games in the coming years. And since I could not abandon this idea, I also contacted the AEG team, which I didn’t know so far, to ask if I could add my grain of salt to Greedy Kingdoms.
Back to France
Sunday evening in the hotel lobby.
My last appointment was for breakfast, on mondai morning, at Patachou, with Eric Lang. Even when we were both exhausted after four games of gaming, drinking and talking business, we managed to revive a game project with elves and trolls which had stalled for several months. I only hope that we will not forget our new ideas, and that they will still sound as great after a full night of sleep.
The eclipse took place just when we were leaving Indianapolis. The connection in Atlanta was fast and smooth, which was not certain. I’m now writing this report during the very short night over the ocean. When back, I will have to reprint prototypes for the publishers who asked for them, and then to start working on the new projects with Eric Lang, with Hayato Kisaragi, with Antoine Bauza.