Attila

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En 451, la bataille des champs catalauniques, en Champagne, marqua l’extrême avancée vers l’Ouest des nomades Huns, venus d’Asie centrale. Elle opposa l’armée romaine du général Flavius Aetius à la horde d’Attila, mais on aurait tort d’y voir l’affrontement entre la civilisation et la barbarie. L’armée d’Aetius comptait sans doute plus de cavaliers wisigoths que de légionnaires romains, et, aussi surprenant que cela paraisse aujourd’hui, les deux chefs d’armée se connaissaient bien. Aetius, entre 405 et 408, avait été envoyé comme otage de Rome à la cour du roi des huns Alaric. Entre 408 et 412, le prince Hun Attila avait à son tour séjourné à la cour de Rome, où les deux jeunes aristocrates s’étaient liés d’amitié.
Aux champs catalauniques, c’est Aetius qui l’emporta, mais les Huns d’Attila étaient encore menaçants, capables de mener des raids sur le nord de l’Italie. Ce n’est qu’après la mort subite d’Attila, en 453, durant la nuit de noces de son cinquième ou sixième mariage, que les Huns, divisés, commencèrent à refluer vers l’Asie. Aetius fut, quant à lui, assassiné sur les ordres de l’empereur Valentinien, qui voyait dans le général victorieux un potentiel rival – l’un de ses conseillers lui reprocha d’avoir « tranché sa main droite avec sa main gauche ».

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Si les jeux de cartes à information imparfaite et plus ou moins manipulable sont devenus ma spécialité, ils n’ont jamais été mon seul centre d’intérêt ludique. Il fut un temps, il y a bien longtemps, où je ne jouais pas trop mal aux échecs, au go ou à l’awele. J’en ai gardé un certain intérêt pour les jeux de stratégie abstraits et tout particulièrement les jeux d’empilement, d’alignement ou de blocage – surtout lorsqu’ils sont relativement simples et rapides.
Cet intérêt n’a pas suscité beaucoup de créations, parce qu’il est un peu velléitaire, parce que j’ai peu d’occasions de jouer à deux, et parce qu’en matière de jeux simples et abstraits, il est facile d’avoir des idées mais rare d’en avoir qui soient vraiment originales. Il y a une quinzaine d’années, j’avais ainsi conçu, à la manière d’une trilogie, trois jeux de stratégie minimalistes. L’un a été publié sous le nom de Baylone, puis amélioré pur devenir Soluna. Un second a été abandonné lorsque je me suis aperçu qu’il était quasiment identique au Six de Steffen Mühlhaüser – et c’est d’ailleurs ainsi que j’ai rencontré l’éditeur de Soluna. Le troisième s’est d’abord appelé Cavalcade.

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Comme Babylone / Soluna, Cavalcade / Attila est un jeu de blocage dans lequel le joueur qui n’a plus aucun coup possible a perdu. La première version se jouait sur un plateau carré de trois cases de côté. Chacun y disposait de trois cavaliers d’échec, et le but était, déjà, d’immobiliser l’autre joueur. Vous pouvez essayer, c’est lassant si l’on peut reculer, et pas très intéressant si l’on ne peut pas. Pourtant, j’ai toujours gardé cette idée dans un coin de ma tête. Il y a une dizaine d’années, je l’adaptai pour un projet collectif, finalement jamais publié, de recueil de règles pour jouer avec le matériel du jeu babylonien d’Ur, dont les règles authentiques ne sont pas connues mais dont il est probable que c’était un jeu de course de la famille du backgammon. Finalement, il y a deux ans, m’est venu l’idée d’ajouter à mon jeu un deuxième mécanisme, celui des cases qui disparaissent, emprunté à Isola, de Bernd Kienitz, un jeu que j’ai joué dans ma jeunesse. Cela permettait d’agrandir le plateau de jeu et d’avoir enfin des parties vraiment différentes les unes des autres, donnant enfin au jeu la rejouabilité qui lui manquait. Les cases qui disparaissent suggéraient l’herbe qui ne repousse pas, ce qui donna au jeu son thème et son nom, Attila. Bien sûr, il semblerait thématiquement plus cohérent que ce soit toujours la case d’où le dernier cheval a sauté qui soit détruite, mais vous pouvez essayer, cela ne fonctionne pas.
Attila est donc un jeu de stratégie abstrait mais, comme Soluna, c’est un jeu simple et très rapide, qui se joue en une quinzaine de coups, et dans lequel le vainqueur est donc celui qui aura su anticiper un coup plus tôt que l’adversaire, ou celui qui aura su rapidement se créer plus d’ouvertures, plus de « libertés ».

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C’est donc avec un plateau de 5 x 5 cases, six cavaliers d’échecs, et quelques jetons pour indiquer les cases à l’herbe piétinée, que j’arrivais fin 2013 à Essen – où le jeu convainquit aussitôt l’équipe de Blue Orange. Thierry Denoual, lui-même auteur de jeux de stratégie comme Gobelet ou Dragon Face, eut ensuite l’idée du plateau de jeu modulaire, qui permet là encore de donner aux parties physionomies très différentes.
J’ai été assez surpris lorsque j’ai reçu les premières croquis de l’éditeur. Attila étant un jeu de stratégie abstrait, je m’attendais à un traitement sobre et classique, avec des cavaliers d’échecs beige set bruns, et pas du tout à des petits mickeys. J’aimais beaucoup, mais j’ai quand même demandé aux gens de Blue Orange s’ils étaient sûrs de leur coup, et s’ils pensaient qu’un style léger, rappelant vaguement Astérix, pouvait convenir à un jeu de ce type. Ils m’ont répondu que ça avait l’air de marcher pour Battle Sheep, et qu’ils avaient donc très consciemment fait le choix de continuer comme cela. C’est leur métier, ils savent ce qu’ils font !

Attila
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Cyril Bouquet
2 joueurs – 10 minutes
Publié par Blue Orange Games (2015)
Ludovox    Tric Trac    Boardgamegeek


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In 451 AD, the westward expansion of the Hun, nomads coming from Central Asia, was suddenly stopped at the battle of the Catalaunian plains, in Champagne. The Battle opposed the Roman army led by the general Flavius Aetius and the horde of Attila, but it was not, as we imagine it now, a clash of two worlds ignorant of each other, of civilization and barbarism. There were probably more visigoths riders than roman legionaries in Aetius’ army, and, surprisingly, the two generals knew each other well. The young Aetius had been sent as a hostage to the Hun court of Alaric, between 405 and 408. Then, between 408 and 412, the Hun prince Attila had been a hostage at the Roman court, where the two young aristocrats came to know each other, and became friends.
Aetius won the battle, but the Huns were still strong and menacing, launching successful raids into northern Italy. It’s only after Attila’s sudden death during his wedding night with his fifth or sixth wife, in 453, that the Huns split up and retreated into Asia. As for Aetius, he was assassinated under orders from the emperor Valentinian, who saw a possible rival under the victorious general. According to one of his counselors, the Emperor had cut his right hand with his left one.

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Card games in which imperfect information can be more or less manipulated by the players have become my specialty, but they have never been my only trade. A few decades ago, I was quite a good player at Chess, Go or Awele. I’m still more or less interested in abstracts, especially stacking, alignment and blocking games, especially simple and fast paced ones.
This passing interest didn’t produce many games, because it’s indecisive, because I have few opportunities to play two players games, and because it’s easy to have ideas for abstract games, but very rare to have really original ones. Fifteen years ago, I devised a light trilogy, a series of three minimalistic abstract strategy games. One has been published as Babylon, then improved to become Soluna. I had to abandon the second one when I found out it was nearly identical with Steffen Mühlhaüser’s Six – but that’s how I got in contact with Steffen, who now publishes Soluna. The third one was first named Cavalcade.

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Like Babylon / Soluna, Cavalcade / Attila is a blocking game in which the player who can’t play loses the game. The first version was played on a 3 x 3 square board. Each player had three pieces moving like Chess knights, starting from one side of the board. You can try – it’s boring and repetitive if knights can move backwards, and automatic and uninteresting if they cannot. I long kept this idea in a corner of my head (can you say this in English ?). Ten years ago, I adapted for an ambitious collective project that was never finalized, a compendium of rules that can be played with the components of the Babylonian game of Ur, whose exact rules are not known – though it very probably was a race game of the Backgammon family. Lately, two years ago, I thought of adding a second system to my game, a shrinking board with disappearing spaces, an idea borrowed from a game I played as a child, Bernd Kinietz’s Isola. Combined with a much larger board, this made for more variety and replayability. The disappearing spaces also gave the game a fitting theme, Attila, who is supposed to have said that « where my horse has passed, grass doesn’t grow again ». Of course, it would be thematically better if the space removed from the board were always the space left by the moved knight, but unfortunately it makes the game less interesting – you can try if you want.
Attila is an abstract strategy game but, like Soluna, it’s a very light and fast paced one. A full game is about fifteen moves. To win, one must anticipate one more move than the opponent, or manage to always keep one more possible move, one more liberty – like in Go.

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I arrived at the 2013 Essen fair with a small box containing a 5 x 5 board, six chess knights and a few black trampled grass tokens. The Blue Orange team liked it at once, and we had a deal before the end of the fair. Thierry Denoual, who has designed great abstract games like Gobblet or Dragon Face, had the idea of the modular board, adding even more variety.
I was surprised when I received the first sketches from the publisher. Since Attila is an abstract game, I was imagining something very sober and classic, with beige and brown chess like knights, not Disneyish cartoons. I asked the Blue Orange guys if they were confident such a light and humorous style could fit with an abstract game. They answered that it seemed to work for Battle Sheep, so they had very consciously decided to do it again. Well, that’s their job, let’s hope they were right !

Attila
A game by Bruno Faidutti
Graphics by Cyril Bouquet
2 players – 10 minutes
Published by Blue Orange Games (2015)
Boardgamegeek

Attila Hun

Soluna

Paru pour la première fois en 2004 sous le nom de Babylone, Soluna occupe une place un peu à part dans ma ludographie. Pas de cartes farfelues, pas d’effets incontrôlables, pas de bluff dans ce jeu de stratégie minimaliste, aux règles simples, aux parties rapides, et dont le matériel se limite à douze pions, sans même un plateau de jeu.

Steffen Mühlhaüser s’est fait une spécialité de ces jeux sobres et élégants, comme auteur avec des petites perles comme Six, un jeu d’alignement de la famille du morpion, ou Linja, un jeu de déplacement très subtil. Le succès venant, il est devenu éditeur. Steffen-Spiele, c’est un peu le Bauhaus du jeu de société, le choix assumé de l’épure aussi bien dans les principes que dans l’esthétique. Je suis très fier que Soluna, un jeu d’empilement, paraisse dans la même collection.

Babylone avait pour thème, assez logiquement, la construction interrompue de la tour de Babel. La lune, le soleil et les étoiles de Soluna font peut-être moins sens, mais permettent une réalisation d’une grande élégance. Les pions ont désormais un symbole différent au recto et au verso, ce qui permet des configurations de départ différentes d’une partie à l’autre.

Le principe reste le même : chaque joueur à son tour déplace une pile de pions sur une pile de même hauteur, ou dont le pion du dessus présente le même symbole. Dès qu’un joueur ne peut plus jouer, il a perdu.

Comme le morpion, et comme beaucoup de ces jeux de stratégie au matériel limité et aux règles simples, Soluna est un jeu résolu. Ce peut-être un problème si vous voulez jouer contre un ordinateur, mais ce n’en sera pas un si vous jouez avec un ami, et c’est pour cela que sont faits les jeux de société.

Soluna sera disponible pour le salon du jeu de société d’Essen, en octobre.

Soluna
Un jeu de Bruno Faidutti
2 joueurs – 5 minutes
Publié par Steffen Spiele (2012)
Tric Trac    Boardgamegeek


Soluna was first published in 2004 as Bayblon, and it’s an odd bird in my ludography – no fun cards, no zany effects, no bluffing or double guessing. Soluna is a minimalistic strategy game, played in ten minutes, with few rules and fewer components – just twelve pawns, and not even a board.

Sober and elegant game designs have been Steffen Mühlhaüser hallmark for years, first as a designer with little gems like Six, a cute five in row variant, or Linja, a subtle race game, then as a publisher. His company, Steffen-Spiele, is the Bauhaus of boardgames, the champion of simplicity and clarity both in game rules design and in graphic design. I’m proud that Soluna is now published in the same series and style.

Linia et Six, deux petits jeux de stratégie publiés par Steffen-Spiele
Linia and Six, two minimalistic strategy games by Steffen-Spiele

Babylon’s theme was, quite logically, the interrupted building of the Babel tower. Moon, sun and stars in Soluna make less sense, but they make for a really nice looking game. Discs now have a different symbol on both sides, allowing for different starting configurations.

The core rule is still the same : on his turn, a player moves a pile of discus atop another pile, providing both piles have either the same height or the same top symbol. First player with no legal move loses the game.

Like five in a row, like most light strategy games with few components, Soluna is a solved game It can be a problem if you plan to play against a computer, but it shouldn’t be if you play with a friend – and that’s what games are for.

Soluna will be at the Essen game fair in October.

Soluna
A game by Bruno Faidutti
2 players – 5 minutes
Published by Steffen Spiele (2012)
Boardgamegeek

Minimalisme
Minimalism

À l’heure où l’occident en général, et la vieille Europe en particulier, semblent prendre une leçon de modestie depuis longtemps méritée, les auteurs de jeux sont en première ligne. Il me semble en effet deviner comme une tendance au minimalisme, non seulement dans la taille des boites, et dans leur prix, mais aussi dans la nature des mécanismes sinon des jeux publiés, du moins de ceux auxquels je m’intéresse.

De mes nombreuses sorties de ces derniers mois, le jeu qui se vend le mieux est Le Roi des Nains, un jeu que j’ai voulu drôle et varié, mais nullement ambitieux. Si les Loups Garous font figure de précurseurs, on voit aujourd’hui sortir bien des jeux qui développent stratégie ou bluff à partir d’un matériel et de règles réduits à leur plus simple expression. Sept cartes dans Blue Lion, le même nombre dans Copié Collé. Rumble in the House, même s’il a un peu plus de matériel, est aussi une superbe réussite de jeu de société avec, en tout et pour tout, deux règles. Je travaille actuellement sur un prototype constitué de dix cartes et quelques jetons.

Dans le jeu de société aussi, le temps du bling bling est peut-être terminé. Question de chômage et de pouvoir d’achat, peut-être, question d’air du temps, surtout. Le fond de l’air est maigre, et vert pâle.


The Western World, and specifically the old Europe, is now receiving a well deserved lesson in modesty. Game designers may have been among the first to feel it. There seem to be strong trend towards minimalism in box size, in price, but also in mechanisms, if not in the games published, at least in the games I’m interested in.

The Dwarf King is the best selling of my many recently published games; I wanted it to be fun and varied, but certainly not ambitious. The werewolves were precursors, but there are now very different games developing bluff or strategy with minimal components and minimal rulesets. There are just seven cards in Blue Lion, as in Copié Collé. There are some more components in Rumble in the House, but it’s still a great boardgame with just two rules. The prototype I’m working on at the moment has just ten cards and scoring tokens.

Bling Bling time is over. It might have something to do with unemployment and purchasing power, but it’s more deeply just the spirit of the day. In the 60s, we used to say in French that “le fond de l’air est rouge” – it’s rather red out. Now, it’s rather lean out, and pale green.