Etourvy 2018

Profitant d’une configuration exceptionnelle de jours fériés, j’ai cette année organisé les rencontres ludopathiques un peu plus tardivement que d’habitude, du 7 au 13 mai. Je ne suis pas sûr que l’on puisse encore parler de week-end pour un événement commençant le lundi soir. Comme chaque année depuis plus de vingt ans, le petit village d’Étourvy, 170 habitants entre Champagne et Bourgogne, est devenu pour quelques jours la petite capitale du monde ludique. Il y avait là une trentaine d’auteurs, connus ou moins connus, une vingtaine d’éditeurs et beaucoup de mes amis joueurs de Paris et d’ailleurs. L’ouverture d’un nouveau gîte dans le village avait permis d’accueillir quelques nouvelles têtes, dont beaucoup d’enfants, mais nous avons de toute évidence atteint la limite de capacité du site. Si j’invite des nouveaux l’an prochain, il faudra que je renonce à voir quelques anciens….

Un week-end de cinq jours, et une météo finalement plus favorable que prévu, ont permis à ces rencontres d’être particulièrement décontractées. Malgré les 140 personnes présentes vendredi et samedi, nous n’étions pas trop tassés, et chacun prenait le temps de jouer, causer, boire, se promener. Pour moi, comme pour l’équipe du gîte, le fait que les arrivées des participants soient étalées sur quatre jours a aussi rendu les choses plus faciles.

Business

On m’a fait remarquer qu’Étourvy devenait de plus en plus professionnel, que l’on y passait un peu moins de temps à jouer et un peu plus à discuter contrats, sorties et rumeurs. Il est vrai que si mes vieux amis joueurs sont toujours là, les nouveaux convives invités chaque année sont le plus souvent auteurs ou éditeurs – enfin, les éditeurs sont à la fois de plus en plus et de moins en moins nombreux, puisqu’entre le moment où je les invite et celui où ils viennent, il y en a toujours quelques uns qui deviennent des cowboys de l’espace ou sont rachetés par Asmodée. Cette relative professionnalisation des rencontres ludopathiques n’est pas une dérive, je l’ai voulue et provoquée, et je suis très satisfait qu’elle n’ait en rien affecté l’ambiance décontractée et bon enfant de ce long week-end. Je ne souhaite pas pour autant qu’Étourvy devienne un « salon professionnel » de plus, et vais donc m’efforcer de conserver un public varié, avec des joueurs occasionnels, des familles avec enfants, et en tous cas des gens que je connais et que j’aime bien.
On a beaucoup parlé d’Asmodée, du statut des auteurs de jeu, des jeux japonais, coopératifs, legacy, surproduits, kickstartés, redondants, inutiles…

Beaucoup de joueurs, donc, et beaucoup de jeux. Les tables de jeux se répartissaient à peu près à égalité entre jeux publiés et prototypes. Si j’en crois les retours des participants sur le groupe facebook, les révélations du week-end ont été Shadows in Amsterdam et Cursed Court.

Protos

Je ne sais pas trop ce que j’ai le droit de dire sur Shadows Amsterdam, qui devrait sortir bientôt chez Libellud, mais n’y ayant pas joué, je ne peux de toute façon pas révéler grand chose si ce n’est que c’est joli et coloré et que les joueurs avaient l’air de bien s’amuser. Je ne sais même pas de quoi cela parle, mais je pense qu’il y a des ombres et que ça se passe à Amsterdam.


Shadows in Amsterdam

Un autre prototype que j’ai beaucoup vu tourner était Alkemus (rebaptisé depuis Res Arcana), un gros jeu de cartes et de combos apporté par Cyrille Daujean, qui se lance dans l’édition de jeu. Preuve qu’il est bien intégré, il fait ça à la californienne et a imprimé des T-shirts bien avant d’avoir sorti son premier jeu. Il y avait aussi un truc avec des tuiles aux formes bizarres avec des dessins bizarres, dont je ne connais même pas le nom mais qui, je crois, devrait sortir chez Repos
Mes prototypes m’ont semblé aussi être appréciés, en particulier Maracas et Diamants dans la Mine. Tout le monde appelle ce dernier le jeu des coffres, ce qui semble indiquer que mon titre est vraiment mauvais.

Nouveautés

Du côté des nouveautés publiés, les trois grands succès furent clairement Cursed Court, Kikafé et The Mind. Je ne suis pas un grand fan de The Mind, dont je pense que l’on va vite se lasser, mais je dois reconnaître que c’est extrêmement original et excitant. J’ai vu des gens faire partie après partie dans un silence total en se regardant dans les yeux, jusqu’à je ne sais quel niveau. Kikafé, une sorte de 7 familles à l’envers, c’est rigolo et c’est plus mon truc.



Cursed Court

J’en veux un peu aux gens d’Atlas Games, qui avaient promis de m’envoyer quelques boites de Cursed Court et ne l’ont pas fait (ou pas à temps) mais cela ne m’a pas empêché de faire la promotion de ce jeu de paris que j’adore. Tout le monde, je crois, a apprécié, mais les nombreux auteurs présents ont tous fait la même petite remarque, le manque de progression d’une année sur l’autre. Ma proposition, que je n’ai pas encore essayé, serait de ne révéler aucune carte à la première saison de la première année, une carte à celle de la deuxième année, deux cartes à celle de la troisième année. Ainsi, avec un plus grand nombre de cartes en jeu, il y aurait un peu plus de points chaque année à répartir entre les joueurs, ce qui permettrait plus facilement aux joueurs distancés de se refaire. Une autre idée, que Martin Vidberg a eu en même temos que moi, serait de retirer un jeton à chaque pari réussi. Le fait que ce jeu ait été le plus apprécié du week-end malgré ses petits défauts évidents montre bien sa qualité et son originalité.



Azul

J’ai vu aussi beaucoup de parties d’Azur et de Dragon Castle, deux jeux un peu abstraits, un peu méchants et avec de jolies tuiles exotiques que les joueurs ont eu tendance à comparer. Il m’a semblé qu’une légère majorité préférait Azul, mais Dragon Castle avait ses défenseurs.
Parmi mes nouveautés à moi, c’est clairement Dragons qui a été le plus joué. On n’a pas sorti Kamasutra, sans doute parce que les enfants ont rapidement fait main basse sur le stock de ballons.
Côté gros jeux pour nos joueurs, les deux succès de la semaine furent clairement Terraforming Mars et Rising Sun. On voit bien plus Rising Sun sur les photos, mais c’est surtout parce qu’il est sacrément plus joli.
Sinon, il y avait les Roll and Write, plein de Roll & Write, ces jeux où l’on lance des dés dont chaque joueur reporte le résultat sur sa petite fiche à lui. Ils se ressemblent tous un peu, il y en a sans route déjà trop, et je n’ai pas eu l’impression que l’un d’entre eux se détache vraiment.

Événements et remerciements

Gérer presque entièrement une telle rencontre est assez fatigant, mais c’est aussi amusant, voire excitant. Si la comptabilité de tout cela reste très approximative, je pense, contrairement à l’an dernier, être rentré dans mes frais. En revanche, bien que n’ayant cessé cinq jours durant de courir en tous sens, j’ai pris trois kilos, ce qui montre sans doute les limites d’un régime alimentaire à base de bières et de Red Bull, et dans une moindre mesure d’andouillette et de Chaource. J’ai aussi pu constater que tout au long de la semaine, mon anglais devenait tout à la fois plus fluide et moins performant.



Photo Challenge

Un grand merci à tous ceux qui ont organisé des animations annexes particulièrement soignées. Hervé poursuit sa série d’escape rooms, René, dont il a fait jouer cette année les deuxième et troisième épisodes. Laurent animait des jeux d’extérieur artistiques et rigolos, Touche Finale, Photo Challenge et CAP Paintball. Frank a organisé le traditionnel tournoi de poker du samedi soir. J’aurais dû leur donner plein de bons points mais, pris dans le tourbillon, je n’y ai plus pensé. De mon côté, j’avais prévu l’habituel Brouhaha, une bataille de ballons au pied, et un Turtle Wushu par équipe.

Merci aussi à tous ceux qui m’ont aidé à descendre, transporter et finalement remonter dans mon 4ème étage sans ascenseur mes nombreux cartons de jeux.

Un grand merci à toute l’équipe du domaine Saint-Georges qui nous a une fois de plus accueilli avec une grande gentillesse et sans s’énerver, et félicitations à notre cuisinier qui a fort bien tiré son épingle du jeu en terminant troisième du tournoi de poker.

Merci aussi à tous mes sponsors, c’est à dire les éditeurs qui avaient envoyé des jeux pour la table de prix – et dites-moi vite si je vous ai oublié

Ankama
Asmodée
Bioviva
Blackrock Games
Blue Orange
Catch Up Games
Days of Wonder (avec plus d’extensions de  SmallWorld qu’il n’y avait de joueurs de SmallWorld. C’est peut-être une tactique commerciale pour que ceux qui repartent avec une extension gratuite achètent ensuite le jeu de base).
Don’t Panic Games
Drei Magier
Edge (que je soupçonne d’avoir par erreur envoyé deux fois le même colis)
Fantasy Flight Games
Forgenext
Gigamic
Hans im Glueck
Heidelbär (Heiko devait apporter des jeux mais est revenu malade du Tokyo Game Market, il les apportera l’an prochain).
Horrible Games
Iello
Kolossal games
Letheia
Libellud
Ludonaute
Mandoo Games
Matagot
Mesa Boardgames (enfin, je ne sais pas bien si le colis provenait de Mesa Boardgames ou d’Arcane Wonders)
North Star Games
Oink Games (Laura devait apporter des jeux mais est aussi tombée malade. Elle les apportera l’an prochain)
Philibert
Pixie Games
Portal Games
Purple Brain (enfin, Space Cowboys, quoi)
Ravensburger était là mais ils avaient oublié d’apporter des jeux 😉
Rebel
Repos Production
Schmidt
Serious Poulp (il y avait un 7ème Continent bien caché sur la table de prix, je ne sais pas qui l’a trouvé)
Space Cowboys
Superlude
Sweet Games
Z Man Games


This year’s ludopathic gathering took place a bit later than usually, May 7 to 13, in order to make the best use of an exceptional configuration of French public holidays. Calling it a week-end might now be a bit excessive for an event which started on Monday night. Anyway, like every year the small French village of Etourvy, 170 inhabitants, located between Champagne and Bourgogne has become for a few days the capital city of the board gaming world. There were about 30 game designers, some well known some not yet, 20 or so publishers, mostly but not only French, and many friends of mine from Paris and elsewhere. I could rent two more houses in the village this year, which allowed me to invite a few new faces, among which several kids. The accommodation limit of our dining and gaming hall is now clearly reached, so if I want invite new people next year I will have to give up seeing a few old ones.

Thanks to a five days week-and and a better weather than expected, the mood was really cool. Even with 140 people on Friday and Saturday, we were not really crammed and everyone took the time to casually talk, play, drink and walk around. for me, as for for the reception team, having people arriving slowly over a few days also made things much easier.

Business

Some friends noticed that Etourvy was becoming more and more a professional event, that people spent fewer times playing and more time discussing contracts, new games and various rumors. Indeed, while my old friends are still there, most of the new faces are game designers or publishers – well publishers are both more and less numerous, since between when the invitations and the events a few ones became space cowboys or were bought by Asmodee. This (relative) professionalisation of my event is not an unfortunate slide. I wanted and provoked it, while also trying to keep the event cool and relatively small, and I think I succeeded. I don’t want Etourvy to become one more professional convention, which is why I will keep a balanced attendance, with occasional gamers, families with kids, and most of all people I know and like.
Anyway, we talked a lot, about Asmodee, about game designers and their legal status, about games – japanese games, cooperative games, legacy games, overproduced games, kickstarter games, redundant games, unnecessary games…

Anyway, were there mostly for gaming, and we still mostly played. game tables were ore or less half published games and half prototypes. From the few reports I got, it seems that the most noticed games were Shadows in Amsterdam and Cursed Court.

Prototypes

I don’t know what I’m allowed to say about Shadows Amsterdam, a new game soon to be published by Libellud. Anyway, I didn’t play it so I can’t say much except that it’s brightly colored and that players seemed to have fun. I don’t even know what it is about, except that there are shadows and it probably takes place in Amsterdam.




The game of Chests and Boxes

Another prototype I saw played a lot was Alkemus, (now renamed Res Arcana) a heavy looking card-combo game to be published by Cyrille Daujean, who is starting a game company next year. He does it the Californian way, and has printed T-shirts long before his first game is published. There was also a strange game with strangely shaped tiles printed with inconsistent pictures which, I think, is to be published by Repos. My own prototypes were also played a lot, especially Maracas and Diamonds in the Mine – which everybody is calling the Game of Chests, which probably means my name is bad.

New Stuff

Among the many newly published games, the most popular were undoubtedly Cursed Court, Whodidit and The Mind. I’m not really a fan of The Mind, and I think the twist will get old soon, but I must admit it’s extremely original and so far exciting. I’ve seen friends play game after game in total silence looking at each other in the eyes, up to the umpteenth level. Whodidit, a zany take on Happy families, is more my cup of tea.



Whodidit / Kikafé

I’m a bit angry at the Atlas Games. They had promised to send a few copies of Cursed Court to Etourvy and failed to do it – or failed to do it in time. this didn’t prevent my only cry to be played again and again all the week long, and everybody liked this tense betting game. Game designers, however, all made the same remark – the game lacks a progression from one year to the other. My proposal – untested so far – is to reveal no public card in the first season of the first year, one in the first season of the second year, and one in the first season of the third year. more cards in game means slightly more points to score and might make catching up more likely. Another solution could be to lose one chip for every successful bid. Anyway, despite its obvious little problems, this was the most discussed and the most liked game of this weekend.


Dragon Castle

Among my own new games, Dragons was certainly the most played. We didn’t play Kamasutra this year, may be because the kids soon took control of the stock of rubber balloons.  I also say many games of Azul and Dragon Castle, two games which scratch the same itch. They are half abstract, relatively aggressive, and have nice looking exotic tiles. The majority was probably with Azul, but Dragon Castle had its supporters.
The most played really heavy games were Terraforming Mars and Rising Sun. Rising Sun shows more on pictures, but that’s only because it looks so much nicer.
There were also dozens of new Roll & Write games, games in which dies are rolled for all players and each players writes their result on their own small grid. They all feel very similar, there are probably already too many of them, and none seemed to really stand out.

Events and Thanks

Managing such an event is tiring, but it’s also fun and exciting. The books are extremely vague but I have the feeling that, unlike last year, I didn’t lose money on it. On the other hand, despite running back and forth the whole week long, I put on three kilograms, which probably shows the limits of a diet based on beer and Red Bull, and to a lesser extent on local cheese and beer sausage. I also noticed that my English gradually became both more fluid and less accurate.


Balloon wars

Many thanks to all those who organized fun and carefully planned side events. Hervé Marly is keeping up his escape room series, René, and played this year both the second and third episodes. Laurent Escoffier held fun artistic outside games, Final Touch, Photo Challenge and CAP Paintball. Frank organised the usual Saturday night poker tournament. As for me, I held three short outside games, the usual Brouhaha, a foot-balloon battle and a giant team Turtle Wushu.

Many thanks also to all the friends who helped me carry my game collection to Etourvy, and back to Paris – I live in a gift floor flat, with no elevator.
Many thanks to the whole team of the Domaine Saint-Georges who, like every year, dealt with us with great kindness and patience. And congrats to our cook, who ended third in the poker tournament.

Many thanks also to all my sponsors, meaning the publishers who had sent or brought games for the prize table.

Ankama
Asmodee
Bioviva
Blackrock Games
Blue Orange
Catch Up Games
Days of Wonder (they brought more Smallworld expansions that there were people owning Smallworld. May be it’s a sales trick).
Don’t Panic Games
Drei Magier
Edge (I suspect they mistakenly sent twice the exact same parcel of games)
Fantasy Flight Games
Forgenext
Gigamic
Hans im Glueck
Heidelbär (Heiko was supposed to bring games with him, but he want back ill from the Tokyo Game Market and couldn’t come. He’ll bring them next year).
Horrible Games
Iello
Kolossal games
Letheia
Libellud
Ludonaute
Mandoo Games
Matagot
Mesa Boardgames (well, I’m not sure the parcel was from Mesa Boardgames of Arcane Wonders)
North Star Games
Oink Games (Laura also was ill. She’ll bring her games next year as well)
Pixie Games
Portal Games
Purple Brain (well, one more Space Cowboy)
Ravensburger was here but they had forgotten to bring games with them 😉

Rebel
Repos Production
Schmidt
Serious Poulp (I had carefully hidden the 7th Continent copy behind other games, I don’t know who found it.)
Space Cowboys
Superlude
Sweet Games
Z Man Games

 


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Pourquoi tant de dragons, tant de magiciens ?
Why so many Dragons, so many Wizards ?

Il y a quelque chose de paradoxal, et d’un peu triste, à parler d’un merveilleux standard, d’un fantastique générique. Solidifié aux États-Unis dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix à partir d’un précipité hâtif de thèmes empruntés à Tolkien et à un Moyen-Âge européen fantasmé, ce merveilleux « de base » existe pourtant et fut l’univers du premier jeu de rôles, Donjons et Dragons, des premiers GNs, du premier jeu de cartes à collectionner, Magic the Gathering. Alors que ce monde semble passer un peu de mode ou devenir plus subtil en littérature, dans les jeux video ou dans les jeux de rôles, il reste inchangé et omniprésent dans les jeux de société. J’en ai fait un large usage, et je continue – Castel, Citadelles, l’Or des Dragons, Aux Pierres des Dragons, Le Roi des Nains, et bientôt Dragons.

Certains moquent volontiers l’usage fréquent des univers médiévaux-fantastiques dans les jeux de société, et voient dans ce rabâchage le signe d’une certaine paresse des auteurs. S’il est vrai que beaucoup d’auteurs de jeux, moi le premier, viennent d’une génération qui a trop lu Tolkien et qui a joué à Donjons et Dragons jusqu’à plus soif, et à qui ces références viennent presque naturellement, il y aussi des raisons spécifiques à l’omniprésence dans les jeux de société d’un fantastique extrêmement balisé.

Pour un auteur de jeu comme moi, le fantastique, et dans une moindre mesure la science fiction, sont les univers qui donnent le plus de liberté dans l’exploitation et la combinaison des mécaniques ludiques. Sur un plateau, on a souvent envie de permettre à un joueur de déplacer un pion d’un bout de la carte à un autre, ou d’échanger un pion avec un pion adverse. Dans un jeu de cartes à effets, l’un de effets les plus classiques est d’annuler une carte adverse. Dans un jeu réaliste, historique, zap et téléportation ne sont pas toujours aisés à justifier. Dans un univers merveilleux, tout est possible – c’est magique, ou c’est de la technologie alien ou futuriste dont personne ne sait très bien comment elle fonctionne. Un auteur comme moi qui aime bien le chaos et l’interaction cherche toujours des capacités variées, des effets inattendus. Les dragons sont plus faciles à utiliser (et plus sympas) que les moutons, les baguettes magiques plus versatiles (et plus sympas) que les mitrailleuses.

Il y a plus de soixante cartes aux effets différents et souvent farfelus dans la nouvelle version de Fist of Dragonstones, qui sort cet été, et autant dans celle de Castel, qui cherche un éditeur. La magie est la seule explication commune possible à tout cela.

Une autre explication, que j’avais déjà abordée dans mon essai sur l’orientalisme, autre travers fréquent des univers ludiques, tient à la nécessaire légèreté thématique des jeux de société. Jeux de cartes et de plateau sont des constructions toujours à demi-abstraites, fermées, dans lesquelles, contrairement à ce qu’il se passe dans les jeux de rôles et beaucoup de jeux videos, les joueurs s’ils peuvent apprécier l’univers doivent rester concentrés sur les mécanismes, sur ce qui peut leur permettre de gagner.
Certains voient dans le thème d’un jeu un simple outil didactique destiné à faciliter l’apprentissage des règles. Je n’irai pas jusque là, en tout cas pour mes jeux, mais il reste que l’univers est un contexte qui doit pouvoir être immédiatement maîtrisé par le joueur, et n’est pas destiné à être exploré plus avant comme dans un film ou un roman. Les thèmes les plus efficaces sont donc relativement simples, voire puérils, et déjà maîtrisés par les joueurs. Un fantastique médiéval ou animalier parfaitement balisé, une science-fiction sans surprise, sont pour cela bien plus adaptés que des mondes plus complexes. Ce sont aussi des univers de clichés, de caricatures, qui ne posent pas les mêmes problèmes politiques que les contextes historiques et/ou exotiques – ou qui les posent plus subtilement, mais c’est un autre débat….

Un thème historique ou fantastique déjà bien, connu des joueurs, un peu caricatural, leur permet d’entrer dans le jeu, de se l’approprier, d’y trouver de la cohérence, d’en assimiler les règles, de manière bien plus efficace qu’un univers inconnu, bizarre ou sophistiqué. Loin d’être un atout, l’originalité, que ce soit celle d’une période historique peu connue ou d’un univers fantastique onirique, est pour un jeu un lourd handicap. Himalaya, un excellent jeu de programmation cachée de Régis Bonnessée paru en 2002, est l’un de mes jeux de plateau préférés. Les joueurs y guident leurs caravanes de yacks de vallée en vallée, transportant thé, or, sel et épices. Une dizaine d’années plus tard, Régis décidé de faire une nouvelle édition de son jeu. Lords of Xidit déplaçait l’action dans un univers fantastique original conçu spécialement pour le jeu, c’est à dire dénué de sens pour tout autre que son auteur. Le thème exotique original avait du sens et du charme. Un univers médiéval générique, avec des caravanes de marchands, aurait eu moins de charme mais aurait sans doute aussi convenu au jeu. Des nains et des elfes auraient sans doute fait l’affaire, même si le commerce n’est en principe pas trop leur tasse de thés. Si Lords of Xidit ne s’est pas vendu, malgré la qualité du jeu et de l’édition, c’est parce que l’histoire de Xidit, des Idrakys et de la malédiction venue du sud ne signifie rien pour les joueurs. Du coup, le thème complique le jeu au lieu de le faciliter. Comme tous mes amis, j’ai gardé mon Himalaya.

Bref, vous n’avez sans doute pas fini de voir dans mes jeux des dragons cracheurs de feu, des sorciers aux chapeaux pointus, des nains brandissant des haches, et toutes ces sortes de gens. Peut-être même bientôt des vampires…


There is something paradoxical, and a bit sad, in the very existence of a generic fantasy, as if wonders could be standardized. The genre exists, and was solidified in the US in the eighties and nineties, built over a hasty mix of themes borrowed from Tolkien and from a fantasised European Middle-Ages. It was the world of Dungeons and Dragons and the first role playing games, of the first LARPs, then of Magic the Gathering and the first collectable card games. While it seems to go out of fashion, or to become more subtle, in litterature, rpgs and video games, it didn’t change much and it’s still very popular in boardgames. I used it a lot, and I still do – Castle, Citadels, Dragons’ Gold, First of Dragonstons, The Dwarf King and soon Dragons.

Some reviewers mock the overuse of heroic fantasy worlds in boardgames, and consider it a sign of designers’ intellectual laziness. Indeed, these themes come relatively easily to older designers like me, who read Tolkien too young and played Dungeons and Dragons too much, but there are also sound and specific reasons for the use of such generic and marked out fantasy settings.

As a game designer, medieval fantasy and to a lesser extent science fiction are the settings that give me the most freedom to combine effects and mechanisms. In boardgames, I sometimes want to give a player an exceptional opportunity to move a meeple from one extremity of the board to another, or to swap one of his pawns with an opponent’s one. In games with lots of card effects, the most basic one is to cancel the card an opponent just played. In historical settings, zap and teleportation are not easy to justify. In a fantasy world, everything becomes possible, it’s just magic, or alien technology, which is the same. no one really cares how it works. I like chaos and interaction in my games, various abilities and unexpected effects. For this, Dragons are much better than sheep, magic wands much better than machine guns – and they’re more fun, by the way.

There are more than sixty different and often zany card effects in the new version of Fist of Dragonstones, coming next summer, and as many in that of Castle, looking for a publisher. Magic is the only possible common explanation for all o this. 

There’s another reason, which I already discussed a bit in my essay about good old orientalist topics, another disturbing trend in boardgames settings. Our themes need to be very light and superficial. Unlike or much more than video and role playing games, boardgames are half-abstract and closed systems. For the game to work, players must stay focused on trying to win, which means on the game systems, more than on the game’s universe.
I won’t go as far as some other designers and say that a game’s setting is just a didactical tool aimed at explaining its mechanics, but there’s something to it. In a way, the setting is more context than text, and must therefore be obvious, immediately mastered by the players. That’s why the best settings are often simple and generic, if not childish. They can only be more complex if already mastered by the players, usually from reading literature or watching movies. Bland medieval fantasy, childish animal fantasy, generic science fiction, work much better for this than anything more complex. They are also full of clichés and caricatures, which are very convenient for game design, without posing the same problems as historical/exotic settings – or may be they just pose these problems in a more hidden way, but that’s another question…

A history or fantasy setting already well known of the players, even a caricature, helps them get into the game, make it their own, feel its consistency and learn its rules. An unknown, bizarre or sophisticated setting doesn’t. An original game setting, be it a lesser known historical period or an oneiric fantasy world, is not a plus but a minus, especially for relatively light games. Himalaya, a hidden programming game designed by Regis Bonnessée and published in 2002, is still one of my favorite boardgames. Players move their yack caravans through the valleys, carrying tea, gold, salt and spices. A dozen years later, Régis revamped and republished his masterwork. the action of Lords of Xidit takes place in a fantasy world specifically designed for this game. The original oriental setting made sense and had charm. A generic medieval setting, with merchants travelling through France or Germany, would have had less charm but could have worked. Even eleven and dwarves, though they’re usually not that good at trade. If Lords of Xidit made a flop, despite the quality of its game systems and a gorgeous edition, it’s because the story of Xidit, Idrakys and the Black Southern Host doesn’t make any sense to players. Instead of making it simpler, the setting makes the game harder to grasp. Like all my friends, I kept my old battered copy of Himalaya.

Anyway, expect to keep on seeing fire-breathing dragons, wizards in robe and hat, axe-wielding dwarves and other such people in my games – may be even vampires soon.

À quoi je joue ces temps-ci
What I Play These Days

Je fais tourner pas mal de protos ces derniers temps, des trucs avec des nains, des musiciens, des collectionneurs, des elfes et des vampires…. Du coup, je ne joue pas à tout ce qui sort, loin de là, mais j’essaie quand même de repérer les perles, et il y en a. Ma précédente liste de conseils en nouveautés datait de l’automne dernier (vous pouvez la lire ici, elle n’a pas vieilli), voici donc celle du printemps.

Côté gros jeux un peu à l’allemande mais pas trop, un peu à l’américaine mais pas trop non plus, Eric Lang semble devenu incontournable. Après les excellents Blood Rage et Le Parrain, Rising Sun est encore un chef d’œuvre. Le jeu est riche sans être complexe, tactique mais étonnamment fluide, on n’y joue pas dans son coin mais sur tout le plateau de jeu, avec et surtout, contre les autres. Majorité, baston, bluff, alliances, il y a de tout, mais ce n’est jamais touffu. Un jour, Eric devrait commencer à vieillir, mais pour l’instant chacun de ses jeux est meilleur que les précédents. Comptez deux ou trois heures quand même pour Rising Sun, mais vous en aurez pour votre argent – oui, je sais, ce jeu est assez cher.

 

Bien plus léger, je conseille surtout Cursed Court, de Andrew Hanson, dont j’ai déjà parlé sur ce blog. Il est assez rare qu’un jeu « classique » parvienne créer les mêmes sensations qu’un jeu d’argent, amène les joueurs à faire des calculs qui tournent en rond en sirotant leur bière et en se regardant dans les yeux. Cursed Court fait ça très bien. C’est vraiment un jeu dans mon style, un jeu que j’aurais aimé concevoir. La boite est moche, le plateau est moche, les jetons ne sont pas des plus pratiques, mais dès qu’on est dans le jeu on oublie tout ça.

Les jeux de draft se ressemblent souvent, mais Fantasy Realms, de Bruce Glassco, renouvelle le genre avec une grande légèreté. L’éditeur semble avoir tout fait pour que ce jeu au titre bateau, au thème ressassé, aux illustrations fades, au look vieillot, passe inaperçu, mais heureusement quelques joueurs l’ont repéré. C’est simple, c’est rapide, c’est rigolo.

Mon autre petit jeu de cartes du moment est Kittys, de Emi Yusuke. C’est l’un des jeux que j’ai ramené de mon récent week-end au Japon, et il n’est pour l’instant disponible qu’au Japon, mais j’espère bien que quelqu’un va le faire venir par ici. C’est un petit jeu de « double guessing » de rien du tout mais avec un « twist » qui lui donne vraiment une saveur particulière, le fait qu’à chaque tour tout le monde essaie de deviner le même joueur. Si un éditeur américain ou européen est intéressé, je me ferai un plaisir de le mettre en contact avec l’auteur, qui a publié le premier tirage à compte d’auteur.

Je terminerai cette liste avec deux jeux de vocabulaire, un qui prend vraiment la tête et un qui ne la prend pas du tout.
Decrypto, de Thomas Dagenais-Lespérance, fait un peu penser à Codenames, un de mes jeux fétiches, mais fonctionne différemment. Je n’essaierai pas d’expliquer les règles, simples mais déconcertantes, mais faites-moi confiance – si vous cherchez un Codenames plus costaud, Decrypto est ce qu’il vous faut.

Krazy Wordz, de Dirk Baumann, Thomas Odenhoven, Matthias Schmitt est un jeu de vocabulaire, mais c’est aussi un jeu d’ambiance dans lequel les joueurs, avec des lettres imposées, doivent imaginer des mots nouveaux pour désigner une voiture électrique, une nouvelle marque de Yaourth, un club échangiste ou une insulte en serbo-croate. Après, bien sûr, il faut retrouver quel mot correspond à quoi, et c’est toujours très drôle.

 


I have several prototypes in the work at the moment, with dwarves, musicians, collectors, elves and vampires. As a result, I don’t play that many new games, but I try to spot the gems, hidden or not. My last list blogpost about good new games dates from last autumn (you can read it there, most of the stuff there still feels new), so here comes the spring list.

Eric Lang has become the major designer of relatively heavy eurogames-ameritrash hybrids. Blood Rage and The Godfather were great, Rising Sun is even better. It’s rich but not complex, it’s tactical but also fluid and fast paced. most of all, it’s extremely interactive, one must always move around the board and play with and also against the other players. It has majority, battles, alliances, double guessing, but it never feels overwhelming. Some day, Eric ought to start getting old, but so far every new game he designs is better than the former ones. Be warned though, it’s still a gamers’ game, and lasts about three hours. And it’s expensive, but worth the price.

 

I have already spoken here of Andrew Hanson’s Cursed Court. It’s one of the very few boardgames which manage to generate the same feeling, the same tension as a gambling game, with players thinking in circles while looking into each other’s eyes and slowly drinking their beer. It’s definitely my kind of game, and a game I would have liked to design. The box is ugly, the board is ugly, the chips are not the best ones, but who cares, the game is fantastic.

Card drafting game often feel very similar, but Bruce Glassco’s Fantasy Realms has a nice twist in the way cards are chosen. The publisher did everything he could to have this small card game go unnoticed – bland name, bland graphics, bland fantasy setting – but luckily some gamers noticed it. It’s simple, fast and fun.

My other small card game of the moment is Ami Yusuke’s Kittys. This is one of the games I brought back from a week-end in Japan. So far it’s only available there, but I hope someone will bring it here. It’s a very light double-guessing game with a nice twist, the fact that every round all players are trying to outguess the same player. If a US or European publisher wants to localise this little gem, just tell me, I’ll put you in contact with the designer and publisher.

Let’s end with two word game, a brain burning one and a light zany one.
Decrypto, by Thomas Dagenais-Lespérance, feels a bit like a hardcore version of Codenames, one of my all time favorites. I won’t try to explain the rules here, they are simple but a bit disconcerting at first. Just trust me – if you like codenames and look for something more challenging, Decrypto is what you need.

Krazy Wordz, by Dirk Baumann, Thomas Odenhoven and Matthias Schmitt, i a party game in which players use their own small set of letters to invent new words for a new model of electric car, a new brand of yogurt, a swingers’ club or an insult in Serbo-Croat. Of course, one must then guess what word was what.

Un faux et un vrai reportage
Practice coverage and true one

Bart est un ami, qui a fait des études pour devenir journaliste télé. En février 2014, dans le cadre de sa formation, il devait faire un reportage sur un personnage un peu original, et c’est moi qui m’y suis collé, d’abord au festival du jeu de Cannes, puis dans mon appartement parisien. Maintenant qu’il a son diplôme, on peut publier le reportage, que voici.
J’aurai juste un petit reproche à lui faire – il aime bien filmer en contre-plongée, et ça donne l’impression que j’ai du ventre – bon, j’en ai peut-être un peu, mais moins que ce que l’on pourrait croire en regardant ce petit reportage….

En février 2017, à l’occasion du même festival, un vrai journaliste est passé chez moi pour réaliser un peu le même reportage. Je suis cependant certain que lorsqu’il m’a demandé pourquoi j’étais encore prof, j’ai donné ma réponse habituelle, en deux parties. La seconde raison est donc que j’aime ce boulot, mais ça ne devait pas être dans la ligne éditoriale de M6.


Bart is a friend who finished in 2014 his studies to become a TV journalist. In Spring, for his final exam, he had to shoot a short coverage of some strange and interesting guy – and he chose me as his subject, filming me first at the Cannes game festival, then in my parisian apartment. Now that he got his degree, I can make it public – of course, it’s in French.
I have only one issue with this coverage – Bart likes low-angle shoot, and it makes me look more paunchy than I really am.

Three years later, in February 2017, a true journalist visited me before the Cannes festival to shoot more or less the same coverage. My only issue this time is that I’m quite sure that when he asked me why I’m still teaching, I had two answers. The second one was that I love my job, but it probably didn’t fit with the channel’s editorial policy.

C’est dans les vieux pots…
Older Stuff looking for new publishers

Je commence à être un vieil auteur, et certaines de mes créations du début des années 2000 ont récemment connu de nouvelles éditions. Avec des règles mises au goût du jour, plus rapide et plus varié, avec de nouvelles illustrations au look plus moderne, avec parfois un nouveau thème, bien des jeux peuvent connaître une nouvelle jeunesse. Si les nouvelles éditions de Kheops, du Collier de la Reine, d’Emoticon (King’s Life) ou de Babylone (Soluna) sont passées relativement inaperçues, celles de L’Or des Dragons et surtout de Citadelles, de Diamant et de Mission Planète Rouge sont de vrais succès. Les deux dernières se vendent même bien mieux que les jeux d’origine. De nouvelles versions des Pierres du Dragon, de Democrazy, de Terra et, j’espère, de Lost Temple devraient suivre.

Du coup, parmi mes nombreuses anciennes créations, il en est plusieurs dont je me dis qu’elles mériteraient peut-être le même traitement.

Castel et Ad Astra ont été tous les deux conçus à quatre mains (et surtout deux cerveaux) avec Serge Laget. Serge est un peu têtu, et ne laisse jamais tomber ses créations. Du coup, nous avons régulièrement continué à discuter de ces deux jeux et en avons déjà développé de nouvelles versions que nous sommes prêts à présenter. Ça a failli se faire pour Castel, c’est vaguement mais nous n’étions visiblement pas tombé sur le bon éditeur. C’est vaguement en discussion avec un autre, et nous attendrons sa réponse, mais rien n’est sûr.

Animal Suspect, créé avec Nathalie Grandperrin, n’a été publié qu’en France, et Gigamic vient de nous restituer les droits. Ce jeu de mime loufoque, dans lequel les joueurs doivent mimer simultanément animaux et émotions – Mouette Rieuse, Chat Psychopathe, Hanneton en Colère… mériterai certainement, au moins, une édition en langue anglaise. Speed Dating, mon autre création commune avec Nathalie, n’a été publié qu’en français et japonais, et j’aimerais bien aussi le voir un jour en anglais.

Parmi les très nombreux jeux que j’ai conçu avec Bruno Cathala, il aimerait bien voir revenir Chicago Poker. Moi, c’est pour La Fièvre de l’Or que j’ai un faible, d’autant qu’une réédition sur le thème des pirates existe, mais elle n’est disponible qu’en polonais. Il est certainement possible de s’arranger avec l’éditeur polonais pour l’adapter ailleurs.
Vabanque, ma seule collaboration avec Leo Colovini, vient de ressortir, mais la très belle nouvelle édition n’est disponible qu’en langue japonaise.

Je fais de moins en moins de grosses boites, mais j’en ai quelques unes dans mes cartons. Formula E, jeu de course d’éléphant conçu avec Sergio Halaban et André Zatz, bien que fort joliment édité, n’a pas vraiment eu sa chance, faute d’une distribution adéquate. Quelqu’un pourrait réessayer, avec les mêmes dessins ou d’autres…. Silk Road, une collaboration avec Ted Cheatham, mériterait aussi une nouvelle version dans une boite plus petite, et avec quelques petits changements de règles. Je suis particulièrement fier de Isla Dorada, un de mes rares vrais gros jeux, mais il faut sans doute encore attendre quelques années avant de penser à le ressortir.

Il y a aussi les plus petites trucs, les Mythos, Bongo, Corruption, Draco & Co, Toc Toc Toc, Bugs & Co, Lettres de Marque…. L’édition de ce dernier était un peu maladroite, je pense qu’il mérite une deuxième chance sous forme de simple petit jeu de cartes – ou alors, à l’inverse, je peux recycler le système dans un jeu plus conséquent.

Bref, si vous êtes éditeur, et s’il y a là dedans quelque chose qui vous intéresse, parlez-m’en. Il y a bien sûr deux ou trois jeux pour lesquels il faudra que je demande aux co-auteurs et/ou que je m’assure que j’ai bien récupéré les droits, mais en règle général ce n’est pas un problème. Il y en a aussi plusieurs qu’il faudra retravailler un peu, mais c’est mon boulot.

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I ‘m now a seasoned designer, and some of my old designs from the early 2000’s have recently been republished. With updated rules, usually faster and more varied, with up to date graphics, sometimes with a new setting, many games can start a new career.The new versions of Kheops, Queen’s Necklace, Smiley Face (King’s Life) or Babylone (Soluna) went largely unnoticed, but those of Dragons’ Gold and most of all Citadels, Diamant and Mission: Red Planet are really successful. The two last ones sell much better than the original games did. New versions of Fist of Dragonstones, Democrazy, Terra and, I hope, Lost Temple, are also in the pipe.

Of course, there are a few other older games which, in my opinion, could also deserve a reedition.

Castle and Ad Astra were both design with Serge Laget. Serge is quite stubborn and never abandons his games. As a result, we’ve always kept discussing them, and have already developed new versions ready to pitch to publishers. It nearly worked for Castel, but we clearly didn’t choose the right publisher. We are now discussing with another one, and will wait for its answer first, but nothing is settled yet.

Animal Suspect, codesigned with Nathalie Grandperrin, has only been published in France, and Gigamic just gave us the rights back. This zany party game in which players mimic animals and emotions (Laughing Seagull, Angry Scarab, Psychopathic Cat…) certainly deserves, at least, an English edition. Speed Dating, my other codesign with Nathalie, was only published in French and Japanese, and I’d love to see an english language version.

Among the many games I‘ve designed with Bruno Cathala, the one he would like to see back on the shelves is Chicago Poker. My choice would rather be Boomtown, of which there is a new pirate-themed edition, but available only in Polish. I’m sure an arrangement is possible with the Polish publisher to bring it into another language.
Vabanque, my only codesign with Leo Colovini, has just been republished but this one is only in Japanese….

I’m less and less into bigger games in bigger boxes, but I’ve done a few ones. Formula E, a nice elephant race game designed with Sergio Halaban and André Zatz was gorgeously published but very badly distributed. It deserves a second chance, with the same or with other art. Silk Road, a collaboration with Ted Cheatham, certainly deserves a new and more modest edition, with some streamlining of the rules. I’m extremely proud of Isla Dorada, one of my few relatively heavy games, but it’s probably too early to think of a new version of this one.

Then there’s the small stuff, the Mythos, Bongo, Corruption, Draco & Co, Knock Knock!, Bugs & CoLetter of Marque…. I think the Letter of Marque components do not help, and I’d like to see it back as a simple card game – or may be I should do the opposite and recyckle the core system in something more ambitious.

Anyway, if you’re a publisher and see something there which might be of interest for you, just tell me. there are a few games for which I will have to check with the co-designers if they’re not too ashamed of them, and with the old publishers to be sure I got the rights back, but it usually isn’t a problem. There are also several which needs some update and development, but that’s my job.

La Mémoire
Memory

Ce n’est qu’après coup que j’ai réalisé que mes quatre derniers jeux publiés, Small Détectives, Junggle, Chawai et Dragons, ainsi que plusieurs des projets sur lesquels je travaille en ce moment, avaient en commun de faire appel à la mémoire des joueurs. Elle joue un rôle essentiel dans Small Detectives, secondaire dans Dragons et mineur dans Chawaii, et elle est au cœur de celui des petits jeux de Junggle que je préfère, Perdu dans la Jungle. Il doit bien y avoir une raison.

Drame familial

Je ne suis pas vraiment un soutien fidèle de ce qu’il est convenu d’appeler les « valeurs familiales », mais j’apprécie de plus en plus les « jeux familiaux ». Cette expression, trompeuse car très restrictive, désigne en fait tout simplement des jeux pouvant être joués sans trop se prendre la tête entre personnes d’âge et de style différents, ce qui heureusement n’arrive pas que dans les familles. Les anglo-saxons parlent aussi de “casual games”, ce qui me semble plus adapté. Quoi qu’il en soit, c’est dans ces jeux que la mémoire trouve le plus facilement sa place, pour deux raisons principales.

Les jeux de pur hasard sont vite ennuyeux, car un jeu ne devient vraiment excitant que lorsque le joueur y exerce un certain contrôle, et a l’impression qu’il peut être récompensé s’il joue bien. Le problème est que, pour des raisons tant biologiques que culturelles, les adultes sont toujours plus forts que les enfants aux jeux faisant largement appel au sens tactique, au calcul stratégique, et même à l’adresse. La mémoire à court terme, celle qui est requise dans les jeux, est l’une des rares compétences pour laquelle les plus jeunes sont à égalité avec les adultes, voire même un peu avantagés. Cela permet à tout le monde de jouer vraiment, c’est à dire de chercher à gagner.

Quelques très bons vrais jeux de mémoire, dont un qui n’est pas vraiment familial

La mémoire est par ailleurs plutôt moins valorisée dans le monde moderne, ou du moins moins prise au sérieux, que d’autres capacités intellectuelles plus construites. Les joueurs qui considèrent comme supérieurs les jeux purement stratégiques, sans hasard, ont souvent du jeu une conception assez sinistre, résumée par la formule « que le meilleur gagne! ». Le jeu s’y résume à une compétition destinée à déterminer le plus intelligent, donc le meilleur, comme si l’intelligence empêchait d’être con. Rien de tel avec les jeux de mémoire, celui qui a la meilleure mémoire immédiate étant plutôt vu comme une curiosité que comme un être supérieur. Une partie de Memory n’a jamais la dimension dramatique d’une partie d’échecs.

Un peu de tout, et plus, c’est moins

Avec les toutes premières ébauches de Small Detectives, j’avais imprimé des fiches pour noter les armes et suspects que l’on avait vu. Les mémoriser s’est avéré si facile que nous y avons très vite renoncé. Là où la mémorisation entre réellement en jeu, c’est quand il faut se rappeler ce qui était ou, et suivre les mouvements des tuiles lorsque sont jouées des cartes déménagement. L’un des charmes de ce jeu est donc que, les tuiles bougeant fréquemment, la mémorisation demande une gymnastique intellectuelle un peu différente de celle du memory classique. En outre, les déplacements et le jeu simultané des cartes apportent au jeu une dimension de tactique et de psychologie permettant aux joueurs qui ont du mal à suivre, surtout s’ils ont un peu de chance au bar, de revenir dans la course. Il y a sans doute dans Small Détectives un peu de mémoire, un peu de chance, un peu de tactique et un peu de psychologie.

 

Il n’y a pas un peu plus de choses à mémoriser dans Dragons, il y en a beaucoup plus, ce qui est un peu comme s’il y en avait moins. Avec plusieurs piles de cartes, et plusieurs objets sur chaque carte, il est absolument impossible de tout mémoriser, et cela est délibéré. Du coup, la vraie question est combien de trucs va-t-on essayer de mémoriser, ce qui relève de la prise de risque, et lesquels, ce qui relève de la tactique. C’est pourquoi je suis un peu énervé de lire, dans certaines critiques, que Dragons est un jeu de mémoire, alors que c’est surtout un jeu de prise de risque basé sur des décisions simples et rapides, un peu de la famille de Diamant.
Lorsque j’ai présenté Dragons à des éditeurs, l’un d’eux m’a proposé que les cartes des différentes piles soient toutes laissées visibles, expliquant que cela allégerait le jeu en dispensant les joueurs de faire des efforts de mémoire. C’est très exactement l’inverse qui se produit, le jeu cartes visibles devant vite prise de tête, les joueurs ne cessant de calculer ce que leur rapporterait précisément telle ou telle pile de trésors.

En matière de mémoire, plus est donc parfois moins. Lorsque les informations pouvant être mémorisées deviennent trop nombreuses, on doit choisir, et on commence à se tromper, ce qui est toujours amusant. Du coup, le jeu est paradoxalement plus léger et plus facile que si toutes les informations étaient visibles ou s’il y avait moins de choses à mémoriser.
Il en va parfois un peu de même dans les jeux stratégiques à information parfaite. Lorsque les éléments à prendre en compte deviennent trop nombreux, il devient à peu près impossible de tout calculer, et les joueurs doivent faire des choix et prendre des risques. Malheureusement, certains joueurs un peu pénibles peuvent prendre le temps de calculer plus que les autres, ralentissant le jeu, allant même parfois jusqu’à la terrible analysis paralysis. Les jeux de mémoire n’ont heureusement pas ce problème, car on ne souvient pas mieux en cherchant plus longtemps.

Dans Chawai non plus, il ne saurait être question de retenir toutes les cartes jouées. Tout au plus peut-on essayer de se rappeler qui a utilisé son 1 ou son 12, et ce n’est même souvent pas nécessaire pour gagner. Là encore, si les cartes jouées par chacun étaient visibles, si toute l’information était disponible, le jeu deviendrait bien plus complexe et calculatoire.

Celui des cinq petits jeu de Junggle que je joue le plus souvent est « Perdu dans la Jungle », qui est en fait une combinaison de Memory et de prise de risque.

 

Et avant ?

Quand je jette un coup d’œil aux étagères qui encerclent mon bureau, je n’y vois pas beaucoup de jeux plus anciens faisant vraiment appel à la mémoire. Waka Tanka (l’un de mes préférés), Ostriches, Bugs & Co, Fearz!, De l’Orc pour les Braves, et dans une moindre mesure Mascarade et Secrets, et c’est à peu près tout. C’est donc récemment et inconsciemment que je me suis mis à utiliser plus souvent cet ingrédient dans mes recettes. C’est peut-être parce que je cherche de plus en plus à alléger mes créations, à les rendre moins stratégiques sans qu’elles ne deviennent trop aléatoires, et qu’une pincée de mémoire peut grandement aider à cela.


It’s only after they were released that I’ve realised that my four last published games, Small Détectives, Junggle, Miaui and Dragons, as well as some of tue projects I’m working on at the moment, all more or less relied on the players’ memory. Memory is essential in Small Detectives, has a secondary role in Dragons, a minor one in Chawai, and is the core element of my favorite in the five Jungle mini games, Lost in the Jungle. There must be a reason.

Family drama

Though I’m not really a supporter of « family values », I’m more and more enjoying, and trying to design, what is often called « family boardgames ». I don’t like this very restrictive expression. I’d rather use « casual games » to describe games that can be played by people of different ages and styles, which luckily happens not only in families. Memory can be very useful and enjoyable in these casual games, for two reasons.

Random games, based entirely on luck, can be boring because what makes a game exciting is the players’ control, the feeling that one’s good play is likely to be rewarded. Unfortunately, for both biological and cultural reasons, adults are usually much better than kids at games relying heavily on skills like tactics, strategy or even dexterity. On the other hand, the short term memory used in games is probably the only skill at which kids are as good, if not better, than adults. This makes for a level playing field, and therefore for really fun and challenging games for the whole, well, ok, family.


A few good memory games, including one which is not really for families

In the modern world, memory is also less valued, or at least taken less seriously, than other intellectual abilities. Those who always praise deep strategy games and consider them intrinsically superior often have a sad understanding of gaming – let the best man win, as if the goal of a game ought to be to determine who’s the best, and as if winning at games was a mark of intellectual superiority. Well, one can be both intelligent and stupid.
There’s nothing like this with memory games, because those who are good at short term memory are more considered funny and curious than really superior. There’s as much skill in game of memory as in a game of chess, but there’s much less drama.

A bit of everything, and more is less

The first prototypes of Small Detectives had pads to cross out the suspects and weapons that a player had viewed. It was soon obvious that memorising them was easy, even automatic, and that notepads were not required. The real memory element in Small Detective enters play when house tiles start to move around the board. The charm of this game probably comes in part from the fact that, site tiles are always moving, the memorisation required is not exactly the same as in classical static memory. Also, the simultaneous card play and the detectives’ moves around the board make for psychological and tactical elements which balance the memory aspect and give to the players who feel lost some opportunities to come back – especially if they’re lucky listening to the rumours at the pub. Small Detectives is part memory, part luck, part tactics and part double-guessing.

 

There is much, much more to memorise in Dragons, so much more that it’s a bit as if there were less. With several piles of cards, and different numbers and kinds of objects on every card, memorising everything is impossible, which is deliberate. The true question when playing Dragons is how much one tries to memorize, with the risk or mixing everything, and what one tries to memorize, which is a tactical choice. That’s why I’m a bit angry at some reviewers who write that Dragons is mostly a memory game, when it is mostly a risk taking and push your luck game based on simple decisions, a bit like Diamant / Incan Gold.
One of the publishers to which I had shown Dragons decided, after reading the rules but before he had even played the game once, to have all cards in piles stay visible. He thought that getting rid of the memory part will make the game feel lighter. The result was the exact reverse, the game with all cards in the iles face up becoming extremely technical and brain burning, with players always counting and recounting how much they would score with this or that pile will.

When it comes to memory, more often means less. when there are many things to memorize, players have to choose what to memorize, and start to make mistakes, which is always fun. The game becomes paradoxically lighter and easier than if every information was open, or if there were less stuff to memorize.
The same can happen with perfect information strategy games. When there are too many elements to reckon, it becomes impossible and players must chose on what to focus, and take risks. Unfortunately, there’s always one or two players who chose to take more time than the other, to reckon more elements, which slows the game and can lead to the terrible analysis paralysis. There’s nothing like this with memory game, one doesn’t remember best when focusing longer on it.

It’s not possible either to memorize every card played in Miaui, though one can try to remember who has played their 1 or 12. Anyway, it’s not even necessary to win the game. Chawai would also feel much heavier and more involved if all the information were public, if all he cards played by all players were kept visible.

Dans Chawai non plus, il ne saurait être question de tout mémoriser. tout au plus peut-on essayer de se rappeler qui a joué son 1 ou son 12, et ce n’est même souvent pas nécessaire pour gagner. Là encore, si les cartes jouées par chacun étaient visibles, si toute l’information était disponible, le jeu deviendrait bien plus complexe et calculatoire.

There are five ini games in the Junggle box, and only one is a memory game, but it’s the one I play most often and I always use to introduce the game. Lost in the Jungle isa very simple mix of Memory and risk taking, and it works really well.

 

Why now ?

When I look at all my published games on the shelves behind my desk, I don’t see that many older games using a strong memory element – Waka Tanka (a personal favorite), Ostriches, Bugs & Co, Fearz!, to a much lesser extent Mascarade and Secrets, and little more. It looks like I started to make a more systematic use of memory elements only in he recent years. This is probably because I try to make my designs lighter, more casual, without relying too much on luck. Memory is a one of the good ways to do this.

Osaka Game Market

Je reviens d’un week-end au Japon lors duquel j’ai participé au Game Market d’Osaka, qui m’a donné l’occasion d’observer de près, quoique rapidement, le minimalisme japonais en matière de jeu de société, dont j’ai décrit l’émergence dans un autre article de ce blog, il y a cinq ans de cela.

Osaka n’est pas vraiment une ville touristique, et le quartier de Cosmo Square, où se déroulait le salon, est un bel exemple d’architecture grandiloquente des années soixante-dix, tours froides et bulles creuses sur vastes dalles de béton.
Dans un hall parfaitement rectangulaire, de nombreux petits éditeurs, présentaient leurs dernières créations. Le public, nombreux, était encore plus masculin qu’en Europe et aux États-Unis. Le salon ne durait qu’une journée, les allées étaient bondées, beaucoup de jeux n’avaient de règles qu’en japonais, et je n’ai donc pu jeter qu’un coup d’œil rapide, incomplet et superficiel. La tendance au minimalisme se confirme clairement, la quasi-totalité des jeux en vente, souvent édités à compte d’auteur, étant des jeux de cartes dans de petites boites rectangulaires. Graphiquement, on peut clairement distinguer deux écoles, la tendance baroque manga/anime tout en couleurs vives, et la tendance abstraite/minimaliste aux couleurs tout aussi vives mais moins nombreuses et moins mélangées. Quel que soit le style graphique, un jeu sur trois environ semble avoir pour thème les chats.

N’étant au Japon que pour un week-end, j’avais une petite valise, et n’ai pas pu rapporter grand chose. J’ai donc acheté un peu au hasard une dizaine de jeux ayant des règles en anglais, ou dont on m’a promis que les règles en anglais seraient bientôt sur le BGG.

Aucun éditeur européen ou américain n’était présent, et le marché japonais reste visiblement un peu à part. Quelques éditeurs, comme Arclight ou Hobby Base, importent ou traduisent des jeux occidentaux, qui sont les seules grosses boites que j’ai pu voir sur le salon. D’autres éditeurs, comme Japon Brand, s’efforcent plutôt de trouver des éditeurs occidentaux pour adapter les meilleures créations locales. Oink semble le seul à chercher, avec un certain succès, à publier à l’identique des jeux au look minimaliste pour les marchés japonais et occidentaux – j’aimerais bien avoir un truc chez eux un jour, car j’aime beaucoup leur style. De plus en plus d’éditeurs européens ou américains font aussi leurs courses sur les petits salons japonais, mais ils préfèrent le Game Market de Tokyo, plus grand, qui se tient dans un mois – il faudra aussi que j’y aille un jour.

Même les jeux occidentaux, qui sont aujourd’hui largement les mêmes en Europe et aux États-Unis, ne sont pas les mêmes au Japon. Mon Vabanque vient de ressortir là bas alors qu’il n’est plus disponible en Europe depuis une quinzaine d’années. Parmi les jeux les plus joués sur le salon, j’ai remarqué Gangsi, une réédition chinoise de la Pyramide de Marcel-André Casasola-Merkle, et le bon vieux Fantômes d’Alex Randolph, un peu oublié chez nous, auquel j’ai eu grand plaisir à rejouer.


Avec Seiji Kanai et Hisashi Hayashi

L’après-midi, j’ai participé à une discussion avec deux des plus grands auteurs japonais, Seiji Kanai et Hisashi Hayashi, et celui qui a été l’initiateur du renouveau du jeu de société au Japon, Nobuaki Takerube. Nous avons beaucoup parlé de Citadelles, de Love Letter, de minimalisme, de l’histoire et des perspectives du marché du jeu au Japon.

Ce fut aussi l’occasion d’annoncer ma première vraie collaboration avec un auteur japonais, la nouvelle édition de Greedy Kingdoms, de Hayato Kisaragi, qui n’était malheureusement pas présent. Ce petit jeu de bluff pour deux joueurs, qui fait un tout petit peu penser à Citadelles, sortira cette année chez AEG. Plus d’infos là dessus bientôt….


I’m back from a week-end in Japan, where I attended the Osaka game market. Five years ago, I had described here the emergence of a « Japanese minimalist school » of game design. This was a good opportunity to have a closer (but too short) look at it.

Osaka is not really a tourist venue, and the Cosmo Square district, where the even was taking place, is a typical example of grandiloquent architecture from the seventies, with cold towers and hollow bubbles standing over overlarge concrete esplanades.
In a perfectly rectangular hall, scores of small publishers were demoing their latest offerings for an overwhelmingly male attendance. The fair lasted only one day, the alleys were overcrowded, most games had rules only in Japanese, so my impression is necessarily partial and superficial. The minimalist trend is still very strong. Most of the games on sale were self published card games in small one or two deck size boxes. Graphically, there are clearly two schools, a baroque one inspired by manga and anime, with lots of bright colors, and an abstract minimalist whose bright colors are less numerous and more clearly separated. No matter their graphic style, more or less one game in three was about cats.

Since I was in Japan only for a few days, I had a small suitcase and could not bring many games back home. I bought nine, more or less at random among the few ones with english rules or whose english rules I’ve been promised will soon be uploaded on BGG.

There was no western publisher there, and the Japanese boardgames market is still clearly apart from the western one. A few publishers, like Arclight or Hobby Base, import or localise western games, which were the only really big boxes to be seen. Other ones, like Japon Brand, try to find western publishers for the best Japanese designs. Oink seems to be only publisher trying, with some success, to publish the same minimalistic looking games on both western and Japanese markets – I’d love to have them publish one of my games, since I really like the look of their boxes. More and more European or American publishers are also trying to find original designs in Japan, but they mostly go to the bigger Tokyo game market, one month later. I should also go there some day.

Even western games, which are now mostly the same in the US and in Europe, are not the same in Japan. My Vabanque, which has not been available in Europe for fifteen years, has just been republished there. Among the most played games on the fair were a Gangsi, a Chinese version of Marcel-Andre Casasola-Merkle Pyramid game, and Alex Randolph’s good old Ghost, which is almost forgotten here and which I had great fun playing again.


With Seiji Kanai & Hisashi Hayashi

In the afternoon, I took part in a public discussion with two of the most influential Japanese designers, Seiji Kanai and Hisashi Hayashi, and the originator of the Japanese boardgames renaissance, Nobuaki Takerube. We talked about Citadels, Love Letter, minimalism, and of the history and perspectives of boardgames in Japan.

It was also a good opportunity to announce my first collaboration with a Japanese game designer, the development of a new version of Hayato Kisaragi’s Greedy Kingdoms. this small two player bluffing card game, which feels a bit like Citadels, will be published later this year by AEG. More about this soon…


日本語翻訳

Compté, Pesé, Divisé
Numbered, Weighed, Divided

En fouillant un peu les archives de mon site web ces dix dernières années, je pourrais sans doute tomber sur cinq ou six articles dans lesquels je mets en garde contre une inflation de jeux, des sorties trop nombreuses risquant de mettre en péril le « business model » de l’édition ludique, dont le chiffre d’affaires aurait été compté, pesé, divisé et trouvé un peu trop léger.

À se tromper longtemps, on peut finir par avoir raison, et nous y sommes peut-être. J’ai en effet du mal à imaginer comment la pléthore de nouveautés des salons d’Essen, puis de Nuremberg, et même plus modestement de Cannes pourront trouver une place sur les rayons des boutiques de jeux. C’est plus d’un millier de titres, même en ignorant les jeux qui ne sont destinés qu’aux plus petits.


Graphique emprunté au blog de Dinesh Vatvani

Le monde du jeu s’adapte, et il y aura peut-être moins de morts que ce que l’on pouvait craindre. Je voudrais donc dresser ici une petite liste des changements en cours dans la création, l’édition et la distribution de jeux de société qui me semblent illustrer des tentatives pour s’en sortir.

Le marché du jeu de société ressemble de moins en moins à celui d’un bien durable. C’est devenu un marché d’actualité, comme celui du livre. Cela peut semble paradoxal, car tandis qu’on ne lit le plus souvent un livre qu’une seule fois, on pourrait penser qu’un jeu est destiné à ressortir à de multiples reprises et n’est donc pas un produit de consommation immédiate. Certes, les jeux invendus ne sont pas encore envoyés au pilon après quelques semaines – cela viendra peut-être – mais la durée de vie d’un titre dans les vitrines des boutiques, voire même sur leurs étagères, est de plus en plus réduite.
S’il reste quelques valeurs sures aux ventes relativement régulières, des jeux installés depuis plus de dix ans et qui continuent à se vendre régulièrement, les Catan, Carcassonne, Jungle Speed, Loups Garous, Aventuriers du rail, ou même Citadelles, les nouveautés n’ont plus guère de chance de connaître une telle carrière. Le dernier auquel cela est arrivé est Codenames. Pour un nouveau jeu, un succès commercial est désormais une vente de 50.000 boites en six mois avant qu’il ne soit oublié, et un échec commercial une vente de 2000 boites en six mois avant qu’il ne soit oublié. C’est un peu dommage pour les jeunes auteurs, et pour les nouveaux jeux qui soutiennent généralement très bien la comparaison avec les vieux classiques, mais je ne serais guère étonné si même les quelques « valeurs sures » citées plus haut voyaient bientôt leurs ventes s’éroder face à cette tendance au renouvellement permanent.

Ayant eux aussi fait ce constat, les éditeurs réagissent de plusieurs manières.

La stratégie de croissance externe d’Asmodée – pardon, Asmodee – tient visiblement compte cette évolution. Le démon du jeu a en effet acquis, plus ou moins dans le monde entier, les droits de Catan, des Aventuriers du Rail, de Carcassonne, de Pandémie, de Dobble, de Citadelles… bref de jeux dont on peut penser que les ventes vont se maintenir. Je ne serai pas vraiment étonné de lire demain qu’Asmodée est entré en « discussion exclusive » avec Czech Games Editions…. Bien sûr, ce choix n’était financièrement pas à la portée de tous…

Les nouvelles cartes des Aventuriers du Rail, les nouvelles boites d’Unlock et d’Exit, les nouveaux scénarios de Time Stories, les nouvelles campagnes de Pandemic et des autres Legacy games, les extensions de Zombicide, sont une autre façon de maintenir des jeux dans l’actualité et sur les étagères de magasins, d’en faire parler sur les sites ludiques, et contribuent à prolonger la vie d’un titre. Paradoxalement, cela nuit presque, au bout du compte, aux jeux qui n’ont nul besoin d’extensions ou de scénarios pour se renouveler; c’est un peu comme si la qualité de leur conception devenait un défaut commercial.

Beaucoup d’éditeurs de taille moyenne choisissent plutôt la fuite en avant, entretenant un peu la dérive à laquelle ils tentent de s’adapter. Si chaque jeu se vend moins longtemps et a moins de chance d’être remarqué, il faut multiplier les sorties, voire les gammes. Dragons, qui sortait pour le salon de Cannes chez Matagot, est un jeu de prise de risque dont je suis très fier, mais je ne sais pas trop quelles sont ses chances d’être repéré, joué, critiqué, discuté, quand il n’est que l’une des huit nouveautés de Matagot, elles-mêmes quelques unes des centaines de nouveautés du salon. Et quand il n’est aussi, je sais, que l’une des trois nouveautés de Faidutti, car cette réaction est aussi celle de beaucoup d’auteurs.

D’autres éditeurs acceptent de vendre leurs jeux moins longtemps, et compensent cela en essayant de les vendre plus massivement encore à leur sortie, et en augmentant leurs marges. C’est l’une des explications à l’usage croissant de Kickstarter non seulement par de petits éditeurs, mais aussi par des relativement gros, et à l’apparition maintenant des jeux vendus uniquement de cette manière. Zombicide et Conan étaient surtout sur Kickstarter, Hate et Batman ne sont plus que sur Kickstarter. One shot. Une campagne kickstarter bien menée, jouant sur l’attrait de la nouveauté, peut générer des ventes considérables, toutes livrées d’un seul coup sans passer par un distributeur, et peu importe ensuite que le jeu meure rapidement.

Ces tendances différentes, qui peuvent se compléter ou s’opposer, sont toutes des tentatives de réponse au même problème, une offre pléthorique face à une demande qui s’accroit, mais pas au même rythme. Pour un auteur installé comme moi, dont certains jeux continueront très probablement à se vendre encore quelques années, cela n’est pas si grave. Pour les jeunes auteurs ou éditeurs, la concurrence va sans doute devenir plus difficile.


I could probably find, in the archives of my web site, half a dozen blogposts written these last ten years in which I warn that the growing number of games published might endanger the business model of boardgames publishing, whose turnover has been numbered, weighed, divided and found lacking.

After being wrong for long, I might finally be right. I can’t imagine how the plethora of new games shown in Essen, then in Nuernberg, then to a lesser extent in Cannes, can find a place on the boardgame shops’ shelves. There are more than a thousand new games in the pipe, even if we ignore those aimed mostly at kids.


Graph from Dinesh Vatvani’s blog

The board gaming world is adapting, and there might be fewer casualties than expected. That’s why I will try to list the changes in gaming design, publishing and distribution which might be attempts to get out of this mess.

The boardgame market is becoming more versatile. It looks less and less like a durable goods market, and is more and more actuality driven, like the books market, and this even though games are supposed to be played and replayed while books are rarely read more than once, at least by the same person.  Unsold games are not yet destroyed like unsold books are, though this might happen soon, but the life expectancy of games in the store fronts, or even on the store shelves, is becoming shorter and shorter.
A few classics, usually more than ten years old, still sell regularly – Catan, Carcassonne, Ticket to Ride, even my Citadels – but fewer and fewer games are added to this list. The last one that did it was Codenames. For publishers, a successful new game is a game that sells 50.000 copies in six months before being forgotten, and a failed one a game that sells 2.000 copies in six months before being forgotten. It’s a shame for young designers, and for new games which, most times, are as good if not better than old classics. Well, even classics are becoming fragile, and I would not be surprised if the sales of some of the staples cited above started declining.

Of course, publishers have noticed this, and are trying to adapt.

Asmodee’s external growth strategy clearly takes this into account. The game’s devil has recently acquired, more or less for the whole world, the rights on solid and regular sellers such as Catan, Ticket to Ride, even my Citadels. I would not be surprised if I read tomorrow that they are entering « exclusive discussions » with Czech games Edition. Of course, such a policy is not within everyone’s reach.

The many Ticket to Ride maps, the new Unlock and Exit boxes, the Time Stories scenarios, the Zombicide expansions, the Legacy games campaigns, all these are tricks aimed at keeping games on the store shelves, at keeping the buzz alive on gaming websites.They make the commercial life of games longer. Paradoxically, it might hurt the best games, those which don’t need expansions or scenarios to feel fresh. It’s as if their design strength were becoming a commercial flaw.

Many middle-sized publishers are fleeing forward, thus strengthening the trend they are trying to resist. Every game sells for a shorter time and has fewer opportunities to become a hit, so they publish more games, or even more lines of games. I’m really proud of my new card game Dragons, which was shown by Matagot at Cannes, but it was only one of their eight new games, which were themselves only some of the hundred new games on the fair. And, yes, it was only one of the three Faidutti new games, since this reaction is also that of most designers…The odds that Dragons will be seen, noticed, played, discussed… are quite low.

Other publishers try to make the best of the shortest lifespan of games with selling them massively at once, and increasing their margins. This is one of the reasons why Kickstarter is so frequently used not only by small, but also by relatively big publishers, and why we now have more and more kickstarter exclusive games. Zombicide and Conan were mostly Kickstarter, Hate and Batman are only kickstarter. One shot. A cleverly managed kickstarter campaign can generate massive sales, all delivered directly and at once, and the game can then be let to die.

These various trends might complement or contradict, but they all try to answer the same problem, a supply of new games growing faster than the demand – even when demand still grows steadily. For an established designer like me, it’s not that serious. For young or new designers and publishers, competition might become more tense in the coming years.

Compte rendu du festival des jeux de Cannes
Cannes game fair report


Un petit tour de mes nouveautés avec Isabelle Doll, du petit point Geek.

Je n’aime pas trop l’affiche du festival des jeux de Cannes cette année. Je tiens en effet beaucoup à l’idée que la vie n’est pas un jeu, et que les jeux ne sont pas du tout la vie. “Tout ce qui n’est pas du tout la vie” est même pour moi la meilleure définition du jeu. Mais bon, c’est un détail, et cela ne m’a pas empêché d’aller à Cannes, pour y croiser pas mal d’amis du petit monde du jeu, pour présenter mes nouveautés, pour faire le tour des éditeurs avec quelques prototypes, très peu nombreux car j’avais casé tout ce que j’avais dans mon sac à Essen.

Mon compte rendu va être très succinct, car je suis fatigué, un peu enrhumé, et j’ai plein de trucs à faire dans les jours qui viennent. Des copies à corriger, des prototypes à refaire après que j’ai laissé les miens à des éditeurs, des prototypes à refaire après y avoir joué et changé la moitié des règles, et tous les jeux que j’ai achetés ou que l’on m’a offerts à déballer.


J’explique les règles de Dragons

Les éditeurs de mes trois nouveautés, Dragons (Matagot), Chawai (Superlude) et Small Detectives (Pixie) semblaient s’être donné le mot et avaient installé leurs stands dans le même coin du salon, ce qui m’a évité pas mal de déplacements. J’ai pas mal fait tourner les trois jeux, qui m’ont tous semblé être bien reçus, et j’ai signé plein de boites. J’ai juste regretté un peu que Pixie n’ait pas apporté de boites du Kamasutra, jugeant le public de Cannes un peu trop familial.


Un joli chat explique celles de Chawai

Arrivé mercredi soir, juste à temps pour la sympathique soirée des amis de Sortilèges – il faudra un jour que j’aille les voir à La Réunion. Jeudi, journée pro, une nouveauté très appréciée qui nous a permis de déambuler dans les allées du salon et de faire des bises à droite et à gauche sans être perdus dans la foule. Jeudi soir, j’ai zappé la cérémonie des As dOr et ai fait un tour au off, où j’ai surtout fait tourner le prototype des petites boites, qui s’améliore après chaque partie.


Small Detectives

Vendredi, quelques rendez-vous avec des éditeurs mais, surtout, des démos et dédicaces de mes nouveautés. soir, j’ai Le soir commencé par la soirée Iello, poursuivi avec les10 ans de Libellud, et terminé sur la plage pour la soirée Asmodée; je suis quelqu’un de très diplomate. Samedi, après l’AG de la société des auteurs de jeux, j’ai laissé chez des éditeurs quelques petits prototypes malins mais sans grande ambition, et j’ai enfin pu voir la maquette du Petit Poucet, une nouveauté conçue avec Anja Wrede qui devrait sortir cet automne. Le soir, un tour au bar du Carlton, très agréable, puis soirée Repos Prod. Dimanche, encore des rendez-vous, le tout dernier étant avec Vincent Dutrait, Kevin Kichan Kim et toute l’équipe que j’avais croisé à Séoul il y a quelques mois – on a des projets en commun, j’en reparlerai un de ces jours.

Je n’ai pas eut le temps de jouer à grand chose en dehors de mes nouveautés et prototypes, mais j’ai laissé traîner un eu mes oreilles pour savoir quelles étaient les nouveautés dignes d’intérêt. Les jeux qui m’ont semblé faire le buzz, en tout cas dans mon entourage, étaient Decrypto, Who Dit It?, Kingdom Run, The Mind et Bahamas. J’ai acheté les trois premiers, je n’ai pas réussi à trouver le stand d’Oya pour acheter The Mind, et Bahamas n’était qu’un prototype, il parait cet automne..


I don’t like this year’s poster for the Cannes game fair – Life is a game. It has always been important to me that life is not a game, and that games are not life. The best definition for games is probably “everything which is absolutely not life”. Anyway, it’s a small detail, and it didn’t prevent me from attending the Cannes game fair. It’s a good oportunity to meet old friends from the small gaming world, to demo, sign and promote my new games, and to pitch my few prototypes to publishers. I had actually very few prototypes because I was quite successful last fall in Essen, where most of y recent designs found a publisher.

My  report will be very short. I’m tired, a bit snuffly, and I’ve tons of things to do in the coming days. I’ve student papers to mark, prototype to reprint after giving them to publishers, prototypes to update after playing them and changing half the rules, and new games I’ve bought or been offered to unbox.


Presenting Dragons

The publishers of my three new games, Dragons (Matagot), Chawai (Superlude) and Small Detectives (Pixie) had been kind enough to set there booths next one to the others o that I didn’t have to walk too much through the crowded alleys. I’ve demoed the three games a lot, I’ve signed scores of copies, and I think they were all well received. I regretted that Pixie, because the Cannes attendance was mostly families, didn’t bring copies of Kamasutra.


A game of Dolores

I arrived on Wednesday, just in time for the Sortilèges party. Some day, I have to visit them at La Réunion. Thursday was the pro day, a really good innovation, allowing us to walk through the alleys and meet everyone before the crowd gets in. On Thursday night, I skipped the As d’Or ceremony to attend the off, where designers old and young play their prototypes. I mostly played one, the one with many little boxes, which gets better at every iteration. On Friday, I had some appointments with publishers to pitch my prototypes, but I mostly demoed Dragons, Chawai and Small Detectives. Friday night, I attended successively the Iello party, the libelled ten years party and the Asmodee party – that’s called Diplomacy, I should make a game about it.


With Mathilde, from Gigamic, at the Iello party

Saturday, after the general assembly of the French game designers’ union, I let a few prototypes, only very small stuff, with publishers, and I finally saw the publisher’s mock-up of Little Thumb, codesigned with Anja Wrede, which ought to hit the shelves next fall. Saturday night, I spent a nice time at the Carlton bar before joining the Repos Prod party. My last appointment on Sunday was with the Koreans, Vincent Dutrait, Kevin Kichan Kim and their friends – we have some common projects, more about this one of these days.


Chawai

Too busy with my own stuff, I didn’t have much time to play other designers’ new games, but I tried to listen here and there. The games who were generating the most buzz, at least among my friends, were Decrypto, Who Did It?, Kingdom Run, The Mind and Bahamas. I bought the three first ones, I could not find the Oya booth to buy The Mind, and Bahamas was only playable as a prototype, and should be published next fall.


Little Thumb

La réforme du lycée et du bac

Ma brève analyse à chaud de la réforme du bac et du lycée – sans rentrer dans le détail des disciplines, et donc de celles que j’enseigne.

Je ne suis pas vent debout contre cette réforme, parce qu’elle s’attaque à de vrais problèmes. En même temps, comme dirait Macron, certains des remèdes proposés risquent d’être pire que le mal. Il faut être très prudent et tout dépendra de la manière concrète dont tout cela sera mis en place dans les lycées.

Je suis d’accord avec une partie du diagnostic de Blanquer. Le bac est devenu une usine à gaz, avec d’innombrables épreuves dont les plus importantes sont tellement balisées que l’on finit par noter les élèves plus sur le respect des consignes que sur leur travail, et plus sur leur travail que sur leurs capacités. Les lycées généraux sont aussi devenus des structures rigides, les filières subtilement différenciées s’étant peu à peu transformées en filières bêtement hiérarchisées.

Les solutions qui sont proposées à ces deux problèmes sont de rendre la structure plus souple et moins formelle, et le bac plus léger. En principe, je serais plutôt pour. Le problème est que plus le fonctionnement du lycée est souple, plus les choix sont nombreux, plus on est dans l’informel, plus on donne un avantage énorme à ceux qui maîtrisent (ou dont les parents maîtrisent) le système. On revient un peu à l’ancien lycée d’avant les filières, plus secret et plus inégalitaire. Je crains – sans en être tout à fait certain – que le fameux grand oral n’aille dans le même sens, valorisant uniquement ceux chez qui on parle comme à l’école.

J’ai aussi une deuxième raison de me méfier du grand oral, qui me semble aller avec la tendance actuelle au retour de l’éloquence, que je trouve très inquiétante. L’éloquence, ce n’est pas la force de conviction, c’est l’esbroufe et l’élégance, deux des composantes de base de tous les totalitarismes. Je préfère des élèves qui apprennent à réfléchir à des élèves qui apprennent à avoir l’air.

Le contrôle continu tel qu’il doit être organisé dans les établissements présente le risque de faire apparaître des “bacs de bons lycées” et des “bacs de mauvais lycées”. Là encore, cela dépendra de la manière dont tout cela est géré et encadré. J’ajoute qu’avoir des petits examens tout le temps risque d’encourager encore plus au bachotage, qui est déjà un problème.

Après, il y a le problème des équilibres disciplinaires. Je ne souhaite pas rentrer ici dans les détails de nos rivalités picrocholines, mais je crains que la disparition des filières ne renforce la concurrence entre disciplines, ce qui n’est pas nécessairement une bonne chose.

Bref, je veux bien prendre le risque, mais si les choix sont clairement expliqués à tous, si les classes ne sont pas construites comme autrefois autour d’options socialement discriminantes, etc… Cela dépendra un peu des consignes du ministère, et sans doute aussi de la politique de chaque lycée.