Mascarade

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Il y a six ou sept ans de cela, je me procurai, je ne sais plus bien dans quelles circonstances, un jeu de société japonais, Warumono, un jeu de gangsters, ou plutôt de yakuzas. Le partage du butin ne s’est pas tout à fait passé comme prévu, quelques petits malins ayant voulu tout garder pour eux et refiler des faux billets à leurs collègues. Dans la confusion générale, nul ne sait plus très bien qui est parti avec le magot et qui n’a a que de la fausse monnaie dans sa valise. Chacun des gangsters veut donc récupérer les vrais billets avant de s’enfuir à l’étranger, en bateau ou en avion. Les pions circulent donc en ville, l’un se fait faire un passeport, l’autre achète un billet d’avion, et quand deux se croisent, ils s’échangent, ou pas, leurs mallettes, ce qui rend le butin assez difficile à suivre. Warumono est un excellent jeu familial, même si son thème ne l’est qu’à demi, aux systèmes très originaux. Parmi ceux-ci, la règle d’échange de la mallette sous la table – un joueur prend sa propre mallette et celle d’un autre joueur et, sous la table, les échange, ou pas.

Dès ma première partie, je savais qu’un jour je réutiliserai ce mécanisme dans un autre jeu, même si je ne savais encore ni lequel, ni quand. La première occasion se présenta lorsque, avec Hervé Marly, nous tentâmes de faire un jeu de cartes sur les crop circles, dont tout ce dont je me souviens est qu’il ne tourna jamais vraiment bien. Quelques années plus tard, il y eut un prototype avec une carte chat qu’il fallait retrouver, et qui s’appelait tantôt le chat du Cheshire, tantôt le chat de Schrödinger.

Lorsque j’abandonnai, dans un état très imprécis, le chat de Schrodinger, il me vint donc l’idée de mêler des personnages à la Citadelles avec le mécanisme d’échange de cartes de Warumono, pour obtenir un jeu minimaliste ne demandant qu’autant de cartes qu’il y a de joueurs. Après tout, s’il y a bien des cartes quartiers dans Citadelles, c’est presque uniquement avec les personnages que l’on joue. Il y avait devait donc bien y avoir moyen de faire un jeu qui se joue avec juste une carte par joueur, et qui ne soit pas un autre remake des Loups Garous. Si les rôles, cachés, passaient d’un joueur à l’autre au point que l’on ne savait parfois plus bien qui l’on était, le thème ne pouvait en être que la mascarade, le carnaval de Venise. Cette troisième occasion fut donc la bonne.

À partir de là, tout est allé très vite. La première version de Mascarade n’avait que six personnages, roi, reine, évêque, juge, voleur et espion, et les parties à 5 ou 6 joueurs s’avérèrent tout de suite très tendues. Pour des groupes de joueurs plus nombreux, j’ajoutais d’abord des paysans sans pouvoir particuliers, sortes de mistigris dont les joueurs essayaient de se débarrasser puis, au fur et à mesure des tests, il me vint quelques autres idées, et d’autres personnages furent aussi suggérés par des joueurs – la Sorcière par Bruno Cathala, beaucoup par l’équipe de Repos Prod après qu’ils eurent décidés de publier ce jeu. Les personnages devenant nombreux, il fallait des fiches d’aide de jeu, une carte tribunal pour y poser les amendes, et des pièces d’or de plus en plus nombreuses quand le jeu devenait praticable à dix, puis douze. Ce que Mascarade perdait en élégance minimaliste, il le gagnait cependant en richesse et en variété.

L’idée était dans l’air. Quelques mois après que j’avais signé le contrat de Mascarade, et alors que nous étions en train d’apporter au jeu ses derniers réglages, des amis revinrent d’Essen avec, dans leurs cartons, deux jolis petits jeux de cartes, Coup et Love Letter, dans lesquels chaque joueur joue avec une main d’une ou deux cartes personnages et cherche souvent à se faire passer pour qui il n’est pas. Je réalisai même que tous ces jeux avaient une sorte d’ancêtre commun, auquel j’ai joué dans les années quatre-vingt-dix, ou peut-être même quatre-vingt, mais auquel je n’avais absolument pas pensé en concevant Mascarade, Hoax – l’imposteur. Hoax, le précurseur, a un peu vieilli. J’ai joué à Love Letter, et ai adoré, mais c’est finalement très différent de Mascarade. Coup en est bien plus proche, mais je ne l’ai pas vraiment apprécié. Alors, lequel, de Love Letter, Coup et Mascarade deviendra un classique ? Ce sera à vous d’en décider, et j’espère que ce sera Le mien. Mascarade a au moins deux avantages sur ses concurrents. Il se joue de 2 à 13 joueurs, même si la règle pour 2 ou 3 joueurs, un peu bricolée, ne s’adresse qu’à ceux qui connaissent déjà bien les mécanismes du jeu. C’est aussi le seul des trois dans lequel non seulement on ne sait pas toujours qui sont les autres joueurs, mais on ne sait souvent même pas qui l’on est – comme dans la vraie vie.

Mascarade
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Jeremy Masson
2 à 13 joueurs –
30 minutes
Publié par Repos Production (2014)
Ludovox          Vind’jeu          Tric Trac         Boardgamegeek


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Illustrations de Jeremy Masson
Graphics by Jeremy Masson

I don’t remember how, six or seven years ago, i got a copy of Warumono, a Japanese gangster – or rather yakuza – game. A bank has been robbed, but the divying up of the loot ended in confusion when one of the robbers tried to leave with all the money. In the ensuing confusion, noone knows who left with the right case, the one with the banknotes, and who got an empty one. Each thief tries to get hold of the loot and to leave the country, by plane or boat. Players move their pawns in the city, occasionally bying a plane ticket or a fake passport, and when two thives meet, they swap – or not – their briefcases. It’s all mix-up and poker faces. Warumono is a very good and very original light game, even when the theme is not really family fare.

After the first game, i already knew that, some day, I’ll use in some other game the system of the secret swapping of briefcases under the table. The first try, together with Hervé Marly, was a card game about UFOs drawing crop circles – all I remember of it is that it didn’t work. A few years later, I had another prototype, with a cat card that had to be traced and found. It was called the Cheshire cat one day, the Schrödinger cat the other, depending on its ambiguous status.

I abandonned Schrödinger’s cat in some undetermined state and soon had another idea – mix the Citadels characters and the Warumono swapping rule, in order to design a minimalistic but convoluted game played with just one card for each player. There are district cards in Citadels, but the game is really played mostly with the character cards. I wanted to go farther and design a game played with just one card for each player – and not one more werewolf variant. With roles being secretly swapped between players, the setting was obvious – masquerade, the Venice carnival.

Things went really fast from here. The first Mascarade prototype had only 6 cards, King, Queen, Bishop, Judge, Thief and Spy, and the first five or six players games were very tense and challenging. For more players, I first added peon cards, with no specific powers, of which players had to get rid. During the first game sessions, many players suggested ideas for more characters. The first one was the witch, devised by Bruno Cathala. Later, the Repos Prod guys, after they decided to publish the game, added several other. With a dozen characters, players aids were becoming really necessary, as well as a tribunal card, and lots of money tokens. Mascarade was becoming less elegant and minimalistic, but it was also more fun and varied.

The idea was in the air. A few months after I had signed the contract for Mascarade, and while I was busy selecting and fine tuning the characters, friends came back from Essen with two light card games, Coup and Love Letter, in which every player has a hand of one or two character cards and sometimes pretends to be who he is not. I also realized that all these games had a common ancestor, or at least precursor – Hoax. I have played it in the nineties, or may be even the late eighties, but I never thought of it when designing Mascarade. Hoax didn’t age that well. I’ve now played Love Letter, and love it, but it’s not that similar with Mascarade. I’ve played Coup, and didn’t really care for it, though I admit it’s more similar with my own design. So, which one, Love Letter, Coup or Mascarade, will become a classic ? Your choice, of course – but I bet on mine ! Mascarade has at least two things for it. It plays with 2 to 13 players, even when the two and three players rules are second thought ones, and should not be tried if you haven’t already mastered the standard many players game. Also, it’s the only game in which players not only don’t know who the other players are, but often don’t know for sure who they are – like in real life.

Mascarade
A game by Bruno Faidutti
Art by Jeremy Masson
2 to 13 players – 30 minutes
Published by Repos Production (2013)
Boardgamegeek

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15 thoughts on “Mascarade

  1. Testé hier matin au festival du jeu avec M. Faidutti. Je prédis un grand avenir à ce très grand jeu. J’atten la sortie officielle avec impatience !

  2. je n’ai joué ni à Coup ni à Love letter, mais je préfère Mascarade.
    Sans plaisanter, je ne me lasse pas d’y jouer. C’est un grand Faidutti. J’aurai adoré en avoir l’idée.
    On le compare souvent à Citadelle en référence aux pouvoirs associés personnages et aux déductions à faire, indispensables pour gagner (réflexions sur le choix de tel ou tel personnage potentiellement fait par les autres joueurs).
    Mascarade est beaucoup plus retors. Il est très rare de se retrouver à jouer d’une façon plus ou moins “automatique”.
    J’apprécie beaucoup cette vision du jeu qui en dépouillant Citadelle de la couche de gestion des bâtiments (qui n’est pas la plus intéressante, à mon humble avis) l’a rendu plus percutant et avec de super barres de rires.
    Bruno est allé directement au noyau vivant du jeu, à savoir : deviner qui est qui, plutôt que déduire qui va faire quoi. Me semble-t-il.

  3. Pingback: Meople News: Masked Zombie Machine « Meople's Magazine

  4. Bonjour M. Faidutti, je suis désolé ce n’est peut-être pas l’endroit le plus adapté pour poser cette question mais je vais tenter ma chance tout de même.

    Lors d’une partie à 4 ou 5, lorsqu’il y a une ou deux cartes au milieu de la table, que quelqu’un prétend à son tour être un personnage A, et que l’on sait que cette carte est au milieu, qu’est il prévu? Peut on contester en utilisant la carte du milieu? Quelles sont les pénalités à appliquer dans ce cas là? Que devient la règle de l’échange obligatoire après révélation de cartes?

    Bravo pour ce jeu qui est pour nous une réussite, mis à part le petit détail soulevé ci dessus…

    Cordialement

    • On peut toujours contester, même si l’on sait que l’on a tort – on accepte de payer une pièce d’or pour empêcher un autre joueur d’utiliser un pouvoir que l’on pense qu’il n’a pas non plus. Et la règle obligeant le joueur à gauche du joueur actif à échanger (ou pas) sa carte s’il la révèle reste toujours valable.

  5. Ce jeu est vraiment formidable et le graphisme des cartes…tout simplement sublime ! ! ! C’est en grande partie ce qui m’a décidé à l’acheter.Je n’ai pour le moment pu le tester qu’à 2,3 et 4 joueurs mais espère bien le faire découvrire à d’autres passionés de mon entourage très prochainement.
    J’ai entendu dire qu’une nouvelle carte “assassin” serait bientôt disponible mais ne sait pas trop comment me la procurer ??? Si quelqu’un a une idée,je suis prenneur.
    Quand à la mendiante,je n’ai pour le moment pas décider quel pouvoir lui attribuer ayant le jeu que depuis quelques jours seulement mais il serait logique que de l’argent soit le moteur de cette carte.Reste à savoir s’il proviendrait de la banque…ou d’un autre joueur…ou des 2.

  6. Petite rectification concernant mon précedent mail d’aujourd’hui: il ne s’agit de la carte assassin mais de la carte maudit que je cherche à me procurer.
    D’avance merci

  7. Un grand merci pour cette nouvelle perle ludique. J’ai pris un grand plaisir dès la première partie.
    2 questions subsidiraires :
    – quid du concours lancé par repos prod concernant le personnage de la mendiante ? un pouvoir a-t-il été “choisi” ?
    – avec les cartes promo + la mendiante on peut arriver à 16 joueurs ? Pensez-vous qu’il soit possible de jouer à 16 sans déséquilibrer le jeu ou le rendre trop “long” ou conseillez-vous de faire des choix mais de ne pas dépasser 13 joueurs par partie ?
    D’avance merci pour les réponses.

    • Pour la mendiante, on a fait notre choix parmi les quelques centaines de réponses.

      Pour le nombre de joueurs, je pense que 13 est un maximum – au dela, on attend vraiment trop longtemps son tour et le juge devient hyperpuissant.

  8. Merci pour ces réponses très (trop) précises, je complète ma question pour la mendiante : Quelle pouvoir a été retenu pour la mendiante ?
    Je ne l’ai pas trouvé sur le net, je n’ai vu que diverses propositions,… mais je cherche certainement très mal

  9. Quel jeu ! Nous avons plusieurs parties de jouer et toujours autant de plaisir. Hier soir, nous étions 12 avec le jeu de base + l’extension. Nous avons choisi les cartes au hasard, sauf pour le juge, mis 3 cartes au centre de la table et mis le reste sous le cimetière. Que de plaisir. J’aurais néanmoins une interrogation. Lorsqu’un joueur dévoile son personnage, la règle dit que celui-ci doit échanger (ou pas) son personnage si celui-ci a été dévoilé lors du tour du joueur immédiatement précédent. Mais si un personnage a été dévoilé au cours d’un tour de table, et non immédiatement précédemment, un joueur peut-il l’annoncer tout de même?
    Après quelques parties, nous jugeons qu’il est préférable qu’un joueur échange toujours son personnage lorsque celui-ci est révélé. Qu’en dites-vous?

    • La règle qui oblige à échanger – ou pas – est uniquement dans le cas où le personnage a été révélé au tour du joueur immédiatement précédent. Si c’était avant, il y a eu des joueurs entre temps qui avaient la possibilité ‘échanger – ou pas – avec vous, et s’ils ne l’ont pas fait, c’est leur choix !

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