Stonehenge

Un plateau de jeu représentant le cercle de pierres levées de Stonehenge, des pions figurant les grands dolmens centraux, et quelques druides ou aliens de diverses couleurs, un jeu de cartes. À partir de ce matériel, choisi d’un commun accord après bien des discussions, nous sommes cinq à avoir conçu des jeux sur le thème de Stonehenge. Présentez-vous donc à l’élection du grand druide lors de la cérémonie du solstice, lancez des sorts plein d’éclairs multicolores abrités derrière les menhirs, slalomez entre les pierres dans une violente course de machines volantes, affrontez les fantômes des chevaliers du roi Arthur, ou achetez simplement ces belles pierres au bourgmestre pour bâtir votre ferme – à vous de choisir entre ces cinq jeux imaginés par cinq auteurs différents, et d’en imaginer d’autres ensuite.

Stonehenge était un projet très ambitieux, réunir des auteurs aux styles très différents pour concevoir ensemble un matériel très versatile permettant de construire d’innombrable jeux de société différents. Chacun, bien sûr, devait aussi imaginer un premier jeu utilisant ces éléments. Le thème de Stonehenge nous semblait bien choisi, les innombrables théories plus ou moins farfelues quant à la nature de ce lieu pouvant permettre d’imaginer bien des jeux. Nous ne voulions pas seulement que les gens jouent à nos jeux, nous voulions qu’ils s’approprient le matériel de Stonehenge, cartes, pions et plateau de jeu, pour en imaginer d’autres.

Cela n’a pas vraiment marché. Certes, une cinquantaine de règles de jeux ont été postées sur le site de l’éditeur dans les mois qui ont suivi la sortie du jeu, mais cela s’est ensuite arrêté là, malgré une extension avec des jeux de Bruno Cathala, Serge Laget, Andrew Looney et Klaus- Jürgen Wrede . Un autre projet similaire, celui d’Andrew Looney avec ses Icehouse pyramids, sans doute plus versatiles, a eu plus de succès et est en passe de devenir un nouveau classique.

Stonehenge
Richard Borg, James Ernest, Bruno Faidutti, Richard Garfield, Mike Selinker
Publié par Titanic Games (2007)
Tric Trac    Boardgamegeek


A board figuring the standing stones circle of Stonehenge, pawns figuring the five central dolmens and some druids or aliens in different colors, and a card game. With these generic components, decided after long email discussions, five designers have imagined five different games about Stonehenge. Will you take part in the summer solstice druidic election? Will you cast fireballs and lightning balls spells, hidden behind the great stones? Will you take part in the alien chariot race and slalom around the menhirs? Will you fight the ghost of the arthurian knights? or will you, more prosaically, buy the big stones from the town council and use them in building your farm? Or may be design your own game using our versatile set of components.

Stonehenge was a very ambitious project. Five game authors of very different styles gathered to design a versatile set of components that could used to design hundreds of different boardgames. Of course, each one of us also designed a game in order to start the pump. The Stonehenge setting was chosen because of the many different zany theories about this place, which could give the them for many games. We didn’t only want players to play our games, we wanted them to get hold of all the elements, cards, tokens, board and design their own.

It didn’t work. A few dozen game rules were published on the publisher’s website immediately after the game was published, but it then stalled, even when a small expansion with games by Bruno Cathala, Serge Laget, Andrew Looney et Klaus- Jürgen Wrede  was published.

Another similar project, Andrew Looney’s icehouse pyramids, was far more successful and is becoming a true classic.

Stonehenge
Richard Borg, James Ernest, Bruno Faidutti, Richard Garfield, Mike Selinker
Published by Titanic Games (2007)
Boardgamegeek

Les pyramides Icehouse d’Andrew Looney, qui ont réussi là où nous avons échoués.
Icehouse Pyramids, by Andrew Looney, a much better take on the same idea.

Aux Pierres du Dragon
Fist of Dragonstones

La légende

Il était une fois, dans un pays lointain, une vaste forêt enchantée au creux d’une profonde vallée enserrée entre deux hautes chaînes de montagne. Cette vallée était divisée en plusieurs royaumes dont les princes combattaient depuis toujours, chacun voulant faire sous son autorité l’unité du pays. Symboles de puissance, les pierres magiques que les dragons conservaient dans leurs grottes, sur les contreforts des montagnes, étaient recherchées par tous, car la tradition voulait que celui qui les réunirait régnerait sur toute la vallée.

Comme beaucoup d’autres pourtant, les princes de ce pays finirent par préférer le confort de leurs châteaux à l’aventure et à la guerre. Plutôt que de risquer leur vie dans les montagnes à la recherche des gemmes enchantées, ils promirent de couvrir d’or et d’argent ceux qui leur apporteraient les pierres des dragons. La rumeur aidant, la forêt grouilla bientôt d’elfes, de magiciens, de lutins et autres créatures féeriques – tous à la recherche des pierres si convoitées.

Ce monde n’existe plus guère aujourd’hui que dans les légendes, et les pierres des dragons seraient sans doute oubliées de tous s’il n’y avait, dans un petit village au pied des montagnes, une taverne tenue par un vieil aventurier. Le soir au coin du feu, il conte parfois les vieilles histoires du pays enchanté. À ceux qui savent se faire apprécier d’eux, il leur montre même parfois sa collection de pierres magiques, avant de les défier au jeu, leur donnant ainsi une chance de repartir, eux aussi, avec une pierre du dragon.

Le jeu

Aux Pierres du Dragon est un jeu d’enchères à poing fermé unique en son genre pour 3 à 6 joueurs. Les joueurs s’affrontent en utilisant de l’or et des pièces magiques afin de s’approprier les pouvoirs magiques de chaque carte de personnage. Chaque personnage peut posséder les inestimables pierres du dragon, mais aussi certains pouvoirs magiques, des sorts que vous pourrez jeter à vos adversaires. Ils peuvent enfin vous permettre de convertir vos pierres du dragon en victoire.

Pour chaque carte de personnage, les joueurs choisissent le nombre de pièces avec lesquelles ils souhaitent renchérir et les placent dans leur poing fermé. Tous les joueurs révèlent alors simultanément leurs enchères, et le vainqueur prend le contrôle des pouvoirs de la carte. Le vainqueur utilise alors les pouvoirs des cartes de manière à accumuler les pierres des dragons, mais aussi à jeter des sorts sur les autres joueurs et enfin à gagner des points.

Après Citadelles

L’idée qui nous a guidé, Michael Schacht et moi, dans la conception des Pierres du Dragon, était loin d’être désintéressée. Il s’agissait en effet de reproduire le succès de Citadelles en concevant un jeu de cartes situé dans le même univers médiéval fantastique, procurant des sensations très proches mais construit sur des mécanismes complètement différents. Des magiciens et des dragons, donc, et même un voleur, et du bluff et de la psychologie, mais pas de draft pour le choix des personnages.

L’aspect le plus original du jeu est le système d’enchères, qui fait appel à différentes sortes de monnaie – or vulgaire, or des fées et argent – et permet quelques coups de bluff assez vicieux. Plus qu’un jeu d’enchères, Aux Pierres du Dragon est un jeu de psychologie, de double-guessing. Les ressources sont en effet très limitées, et il importe souvent moins de savoir de combien l’on dispose que de deviner ce que misent vos rivaux.

Le jeu s’inspire donc des vieilles légendes sur l’or des fées, cet or enchanté avec lequel les fées achètent parfois les services des humains, mais qui, le soir venu, quitte les bourses des hommes pour revenir magiquement au pays des fées. Les joueurs cherchent à bénéficier des pouvoirs des habitants de la forêt – dragons, trolls, fées et sorciers de tous poils – chacun de ces personnages vendant ses pouvoirs au plus offrant. Le but est d’acquérir les pierres magiques nécessaires à la fabrication de l’amulette encore plus magique, et caetera…Rien de bien nouveau côté thème, mais ça marche toujours, et on y croit. La maquette fut d’ailleurs aisée à faire, en reprenant des images de Citadelles, de l’Or des Dragons, de Castel et de Draco and Co.

Aux Pierres du Dragon à peut-être pâti d’une édition trop luxueuse. Le jeu s’est vendu très honorablement, mais l’éditeur, Days of Wonder, ne gagnait presque rien sur chaque boite vendue, et à donc préféré se reconvertir vers les plus grosses boîtes, sur lesquelles il est plus facile de concilier une présentation luxueuse et une marge correcte. Aux Pierres du Dragon n’a donc pas été réimprimé, et le jeu n’est plus disponible. Quoi qu’il en soit, Michael et moi en rediscutons de temps à autre et avons une nouvelle version plus variée, avec de nombreux nouveaux personnages, toute prête si un éditeur intéressé se manifeste.

Aux Pierres du Dragon
Un jeu de Bruno Faidutti & Michael Schacht
Illustrations de Julien Delval
3 à 6 joueurs – 45 minutes
Publié par Days of Wonder (2002)
Tric Trac    Boardgamegeek


The legend

Many, many years ago, an enchanted forest lay hidden between two great mountain ranges. The forest valley was home to several kingdoms whose rival princes battled with each other to unite the entire realm under one flag. To gain advantage, princes vied with each other to collect powerful magic amulets called Dragonstones.

Like many royals, over time the princes began to prefer the comfort and safety of their fortified castles. Rather than risk their own lives by venturing out to search for these amulets, they paid handsome rewards to those who could bring them stones. The allure of the princes’ wealth soon filled the enchanted forest with all manner of wizards, witches, dwarves, goblins, and many other enchanted creatures – all in pursuit of the magic Dragonstones.

This enchanted land is now almost entirely lost to legend. Yet, at a cozy inn, in a small forgotten village, the memory of Dragonstones is kept alive by the inn’s ancient proprietor. Even today, a nod from a knowing traveler may persuade him to recount some of the ancient tales. And if he takes a particular liking to you, he may bring out his own collection of magic stones, and challenge you to a simple game of luck and skill and a chance to grab your own Dragonstones!


The game

Fist of Dragonstones is an exciting, closed-fist, bidding game for 3 to 6 players. Players try to outwit their opponents by using gold and magic coins to buy control of an ever-changing cast of enchanted character cards. Those characters’ powers collect valuable Dragonstones; lend their magical powers; help foil other players, and convert Dragonstones into victory.

For each character card, players choose the number of coins they want to bid by placing them in a closed fist. All players reveal their bets at the same time with the winner of the auction then gaining control of the card’s powers. Depending on the card they may: win additional coins or Dragonstones; place spells on other players; or win scoring points.

After Citadels

Michael Schacht and I had a very precise idea in mind when we started working on this game. We aimed at a Citadels follow-up, a game in the same kind of medieval fantasy setting, provideing the same kind of experience but using completely different game systems. Wizards and Dragons, even a Thief, bluffing and double-guessing, but no drafting for character cards.

The most original and interesting aspect of the game is probably the bidding system, which uses three different currencies – common gold, fairy gold and silver – and allows for some nasty tricks. Fist of Dragonstones looks like a bidding game, and is technically one, but feels in fact much more like a pure double-guessing game, since it’s more important to feel what your opponents are bidding than to know exactly how much you can bid.

The storyline comes from the old legends about the enchanted “fairy gold” with which the fairies usually pay the humans who make some work for them. Humans take the gold, place it in their purse, but in the night the gold magically vanishes and comes back to the magic land. In Fist of Dragonstones there are cards figuring the various inhabitants of the deep magic forest – wizards, trolls, goblins, witches and even dragons. These creatures are as grasping as they are powerful, and players bid to have them use their magic abilities for them. The goal of the game is to get the magic stones that will help you to make the even-more-magic amulets, and so on… Nothing new, I know, but it works very well here. The prototypes were easy to make, using pictures from Castle, Citadels, Dragons Gold and Draco and Co.

This game paradoxically suffered from a too good, too luxuous, too gorgeous edition. It sold well, but the publisher didn’t really make money on it. After their exeriment with Queen’s Necklace and Fist of Dragonstines, Days of Wonder decided to publish bigger games in bigger boxes, and at a higher price, thus making easier to reconcile gorgeous production and sufficient profit margin. Fist of Dragonstones was not reprinted. It is now out of print for years, but Michael and I eventually discuss new ideas and new characters for it, and have a ready new and much improved version ready to show to any interested publisher.

Fist of Dragonstones
by Bruno Faidutti & Michael Schacht
Art by Julien Delval
3 to 6 players – 45 minutes
Published par Days of Wonder (2002)
Boardgamegeek

Lettres de Marque
Letter of Marque

Lettre de Marque est un jeu de cartes, basé entièrement sur le bluff, dans lequel chacun doit faire traverser l’océan à ses galions chargés d’or en évitant qu’ils soient attaqués par les corsaires au service de l’adversaire.

Histoire du jeu

Même si je suis devenu le spécialiste des collaborations tous azimuts, il m’arrive encore de temps à autre de faire un jeu tout seul. Beaucoup de ces créations solitaires sont cependant de petits jeux sans grande prétention, comme Corsaires.
Les petits jeux de bluff très simples, comme Toc Toc Toc! mais aussi Kakerlaken Poker, Alarm, Le Menteur, Stupide Vautour ou Vive le Roi, sont un genre souvent dénigré par les stratèges et méprisé par les auteurs. Le succès de Toc Toc Toc! qui, même s’il n’a pas des notes fantastiques sur Tric Trac, est sans doute aujourd’hui, après Citadelles, celui de mes jeux qui se vend le mieux, m’a encouragé à m’essayer de nouveau à un genre que, personnellement, j’ai toujours beaucoup apprécié.

Il y a une vingtaine d’années de cela, à l’époque de Ludodélire, je m’étais attaqué à un gros jeu de plateau, avec carte géographique pleine de petits hexagones et couverte de petits pions, dans lequel les joueurs étaient des à la fois commerçants et pirates en mer de Chine, cherchant à faire transporter de port en port leurs marchandises, et à s’emparer des cargaisons adverses. Bien évidemment, les cargaisons étaient cachées, et chacun cherchait à attirer l’attention sur ses navires les moins chargés et les mieux protégés. J’ai retrouvé récemment une boite avec un plateau de jeu et quelques pions, mais je ne me souviens plus des règles, de toute façon non abouties.
Le même principe se retrouvait, mêlé à un amusant système de météo, dans La Compagnie des Amériques, un prototype conçu il y a quelques années et aujourd’hui abandonné.

Le prototype de Corsaires aux Rencontres Ludopathiques
The Corsairs prototype at the Ludopathic gathering

C’est finalement dans sa forme la plus épurée, la plus simple, la plus évidente sans doute, que cette idée a trouvé sa pleine réalisation. Dès les premières parties, en effet, Corsaires a accroché les joueurs. Entre la toute première version et le jeu publié, les seuls changements de règles furent la valeur des trésors (de 3 à 7 et non plus de 1 à 5) et la désignation du premier joueur. L’éditeur a en revanche repensé le matériel – les jetons boulets de canon sont devenus des cartes, tandis que les cartes navires sont devenues de mignons petits bateaux en plastique. À l’usage, je ne suis pas sûr que cela soit mieux, Mais qu’importe – le jeu est fun et intéressant à jouer.

Lettres de Marque
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustrations de David Ardila, Tim Arney-O’Neil, Brian Schomburg
3 à 6 joueurs – 20 minutes
Publié par Fantasy Flight Games (2009)
Tric Trac    Boardgamegeek


Letter of Marque is a light card game based strictly on bluff, in which each player tries to have his gold loaded galleons cross the ocean while avoiding the corsairs hired by his opponents.

History of the Game

Even when I’m now a specialist in collaborative game design, I still sometimes design one all by myself. Most of this games, however, are small, light and unassuming games, such as Corsairs.

Light and simple bluffing games, such as Knock Knock!, but also Kakerlaken Poker, Alarm, Fool!, Raj or King Me! are often bashed by hardcore gamers and despised by games designers. Knock Knock! is probably – at least in France, because the US version doesn’t sell well – my best seller after Citadels. This egged me on giving a new try to this genre, which I personally always liked and never despised.

Twenty years ago, in the times of Ludodelire, I had started working on a heavy boardgame, with a large hex map and lots of counters, in which players controlled both merchant and pirate ships in the Chinese seas, trying to carry precious goods from port to port, and to seize opponents’ cargoes. Of course, cargoes were hidden and one always tried to lure opponents in attacking the ships with the fewest cargo and the most cannons. I recently found a box with a board and some tokens, but I don’t remember the rules, which anyway never were finalized.

The same idea was also, together with a fun weather control system, in West India Company, a prototype I worked on a few years ago and have now set aside.

In the end, this idea was used again, in its most simple and obvious way, and with no other systems to disturb it, in Letter of Marque. This game which was fast designed, and there has been very few changes between the very first prototype and the published game. The treasures value were ranging from 1 to 5, now it’s 3 to 7, and a first player rule, which is critical here, has been added.

On the other hand, the publisher revamped the components. Cannons were tokens and are now cards, ships were cards and are now nice plastic miniatures. I’m not sure it was a good idea but, anyway, the game is fun and challenging to play.

Letter of Marque
A game by Bruno Faidutti
Art by David Ardila, Tim Arney-O’Neil, Brian Schomburg
3 to 6 players – 20 minutes
Published by Fantasy Flight Games (2009)
Boardgamegeek

Emoticon
Smiley Face

Après Toc Toc Toc! et Captain Pirate, Smiley Face – qui porte en France le nom un peu ridicule d’Émoticon – est le troisième jeu de cartes léger et familial que j’ai conçu en collaboration avec Gwenaël Bouquin. Smiley Face est cependant un tout petit peu plus complexe que les précédents.

Dans ce jeu pour quatre à huit joueurs, les cartes représentent quatre émotions principales, la joie, la tristesse, la colère et la surprise. Les joueurs jouent leurs cartes pour tenter de suivre l’émotion dominante, ou d’en imposer une autre. Parfois, plutôt que de chercher en vain à s’imposer, il vaut mieux se retirer et apporter son soutien à un autre joueur.

Il est rare que les petits jeux de cartes soient annoncés pour quatre à huit joueurs. C’est d’ailleurs entre cinq et sept joueurs que Émoticon est le plus intéressant à jouer, et cela peut-être beaucoup pour un jeu présenté comme “familial” – ou alors il faut deux familles. Smiley Face exploite en effet une idée que Gwenaël et moi avons déjà explorée, quoique de manière totalement différente, dans Captain Pirate : les alliances fragiles, changeantes et pas toujours volontaires.

Le but des joueurs dans Émoticon est, à chaque manche, de poser sur la table la série de cartes d’une même émotion de plus forte valeur. Chacun à son tour peut soit poser sur la table une carte émotion, soit jouer une carte pour son effet spécial, comme prendre une carte à un adversaire ou changer l’émotion dominante, soit passer. Et toute l’originalité du jeu est dans cette dernière possibilité.
Un joueur qui se rend compte qu’il n’est pas en mesure de remporter une manche n’a aucun intérêt à continuer à gaspiller des cartes. En quittant la course, il n’y perd pourtant pas tout intérêt puisqu’il a la possibilité de soutenir, en lui donnant une carte, un autre joueur de son choix. Un soutien bien choisi peut même rapporter plus de points qu’une victoire… C’est ce mécanisme un peu pervers qui fait tout le charme, et tout l’intérêt, de Smiley Face, un jeu où il faut parfois savoir rester en retrait.

Émoticon
Un jeu de Gwenaël Bouquin & Bruno Faidutti
Illustrations de Antonio Dessi & Ben Prenevost
4 à 8 joueurs – 30 minutes
Publié par Fantasy Flight Games (2010)
Tric Trac    Boardgamegeek


Smiley Face is, after Captain Pirate and Knock Knock!, the third light family card game I design together with Gwenaël Bouquin. Smiley Face is, however, a little bit more complex than our previous games.

In this light game for four to eight players, cards belong to four emotional suits, happiness, sadness, surprise and anger. Players play their cards either to follow the boss suit, either to try to impose another one. Eventually, one must decide when to resign and support another player rather than stay in the race with no chance to win.

Such small, light card games are rarely designed for as many as four to eight players. Smiley Face is even at its best with five to seven, which is quite a few for a “family” game – let’s says it’s a game for a large family, or two smaller ones. The reason is that Smiley Face is based on shifting alliances and partnerships. It’s an idea Gwenaël and I like a lot, and we have already used, though in a completely different way, in a former card game, Captain Pirate.

In Smiley Face, each player tries to play the highest value series of cards of any one emotions. On one’s turn, one can either play an emotion card and add it to one’s display, play a mischief card for its special effect, like swapping a card with an opponent or changing the boss suit… or pass. The whole originality of the game is in this last choice – pass.
There’s no point in keeping playing cards if you are unlikely to win the trick. Passing, however, is not just resigning. When passing, you can support an other player with you”helping hand” token, and even give him a card. The supporting player can even sometimes win more points than the winner of the trick. Making the best use of one’s helping hand token is the heart of the game. That’s what makes Smiley Face different. It’s a game about modesty, a game in which one must decide when to go for the trick, and when to help and stay behind.

Smiley Face
A game by Gwenaël Bouquin & Bruno Faidutti
Art by Antonio Dessi & Ben Prenevost
4 to 8 players  – 30 minutes
Published by Fantasy Flight Games (2010)
Boardgamegeek

La Vallée des Mammouths
Valley of the Mammoths

Bienvenue dans la vallée des mammouths, et bonne chance ! Vous en aurez besoin.

La Vallée des mammouths est un bon gros jeu de société à la fois tactique et imprévisible, quelque part entre Risk et Civilisation, saupoudré d’un peu de chaos. A l’aube de l’humanité, chaque joueur contrôle une tribu d’hommes préhistoriques qui se livrent une lutte sans pitié et pleine d’humour pour la nourriture, le feu et les femmes.
Votre tribu parviendra-t-elle à vaincre ses rivales, à prospérer et se multiplier, à s’emparer d’un vaste territoire? Pour cela elle devra combattre les tribus adverses, mais aussi affronter les féroces animaux sauvages et se procurer, par la chasse, la cueillette et l’agriculture, la nourriture nécessaire à sa survie.

D’abord paru au tout début des années quatre-vingt-dix, chez mes amis de Ludodélire, La Vallée des Mammouths fut l’un des jeux emblématiques de cette époque. Après la disparition de Ludodélire, il fut repris par Jeux Descartes, mais est aujourd’hui épuisé. En 20 ans, le jeu de société à changé, colons et magiciens sont passés par là. On ne pourrait plus, aujourd’hui, publier un jeu de 3 ou 4 heures, hasardeux et chaotique, où les combats se règlent à coups de dés et où l’on vole les femmes des adversaires.
Bref, c’est un jeu dont, comme beaucoup de joueurs, je me souviens avec émotion mais dont on se rendrait peut-être compte, s’il ressortait aujourd’hui, qu’il a pas mal vieilli. C’est various de beau coup des jeux de la fin des annèes quatre-vingt.

La Vallée des Mammouths ne s’inspire pas de la préhistoire telle que la connaissent aujourd’hui les savants, mais d’une préhistoire fantasmée, celle de Rahan, celle aussi des nombreux romans préhistoriques, très en vogue dans les années vingt. Le plus connu est sans doute La Guerre du Feu de J.H. Rosny-Aîné, qui en écrivit aussi bien d’autres, du lyrique Félin Géant à l’un peu leste Nomaï, Amours lacustres. Ceux que la genèse de cet imaginaire intéresse pourront lire avec profit les ouvrages de mon amie Claudine Cohen, Le Destin du Mammouth et La Femme des Origines, des ouvrages plein de charme et d’érudition, à l’image de leur auteur. Je leur conseille également la délicieuse, la succulente nouvelle de Roy Lewis, Pourquoi j’ai mangé mon père.

From left ro right, a prototype, the Ludodelire edition and the Descartes edition

Pour la première édition de La Vallée des Mammouths, Ludodélire avait fait appel à plusieurs illustrateurs. L’un avait fait la boite, très années 60, un autre le plateau, très réaliste, un troisième les pions, résolument BD. Ce troisième, bien sûr, était mon ami Gérard Mathieu, l’un des piliers de Ludodélire, auteur de Super Gang et Full Metal Planet, très bon joueur d’Axes et Alliés et très mauvais joueur de poker. Pour la deuxième version, il a réalisé toutes les illustrations, qu’il s’agisse des pions, des cartes, du plateau de jeu ou de la boite – et croyez moi, il s’est lâché! Sans compter que, depuis l’époque de Ludodélire, il a délaissé le noir et blanc et pris goût aux couleurs vives…

La Vallée des Mammouths
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Gérard Mathieu, Copik Buntz et Bernard Bitler
3 à 6 joueurs – 180 minutes
Publié par Ludodélire (1991), Jeux Descartes (2001)
Tric Trac    Boardgamegeek


Welcome to the Valley of the Mammoth… and good luck! You’ll need it.

The Valley of the Mammoths is a slightly tactical old-style boardgame, somewhere between Risk and Civilization, with a little (well, a big little) fun and chaos added. Your prehistoric tribe takes part in the big struggle for land, food, fire and women.
Will your tribe be the first to vanquish its enemies? Can it prosper, multiply and seize vast territory? Are you ready to battle rival tribes and confront ferocious beasts? To hunt, fish, forage and farm in order to provide the necessary food for the survival of your tribe?

Valley of the Mammoths was first published in the early nineties by my friends of Ludodélire, then by Jeux Descartes when Ludodélire went out of business, and is now out of print. In 20 years, boardgames have changed a lot, mostly thanks to Settlers and Magic. I don’t think such a 3 or 4 hours long and chaotic luckfest could be published today – at least not in Europe, since this kind of game still seems to sell a bit in the US.
In the end, it’s a game I remember fondly, like many older gamers, but I’m afraid that, if it were reprinted now, we would find out that it didn’t age that well. That’s true of several emblematic games from the late eighties.

The Valley of the Mammoth is inspired not by the pre-history which is known by modern scholars, but by a pre-historic fantasy world, like the one in the famous French comic series “Rahan”, or the worlds of the numerous pre-historic pulp novels that were extremely in vogue in the 1920’s. The most well known is without doubt “La Guerre du feu” by J.H. Rosney-Aîné, but he wrote many, many others, from the lyrical “Félin géant” to the slightly risqué “Nomaï, amours lacustres”.
Those who are interested in the genesis of this imaginary world would do well to read “La femme des Origines” and “The Fate of the Mammoth” by my friend Claudine Cohen. Like their authors, these two books are erudite, charming and entertaining. I equally recommend the delicious and succulent novel “The Evolution Man, or, How I Ate My Father” by Roy Lewis.

From left ro right, a prototype, the Ludodelire edition and the Descartes edition

The very first edition of The Valley of the Mammoths, made by Ludodélire, was illustrated by three different graphists. One made the box, in a sixties cinema-poster style, another one the board, in a highly realistic style, a third one the pawns, in a fun cartoony style. This third one, of course, was my friend Gérard Mathieu, one of the three founder members of Ludodélire, author of Super Gang and Full Metal Planet, very good Axies and Allies player, and very bad poker player. Gérard has made all the graphics for the second edition, pawns, cards, board and box cover, and he took great pleasure in it. Furthermore, since the old times of Ludodélire, he has given up black and white, and discovered vivid colours.

Valley of the Mammoths
A game by Bruno Faidutti
Art by Gérard Mathieu, Copik Buntz & Bernard Bitler
3 to 6 players – 180 minutes
Published by Ludodélire (1991), Jeux Descartes (2001)
Boardgamegeek

Pony Express

Dans Pony Express, votre but est d’être le courrier le plus rapide de l’ouest, sur le parcours historique de St Joseph à Sacramento. Une course avec des dés, mais des dés très spéciaux avec lesquels on peut bluffer, et même parfois descendre les pions adverses…

Histoire du jeu

En 2007, lors des préparatifs du salon d’Essen, Bruno , Ludo et moi furent quelque peu gênés par une étonnante coïncidence. Parmi la dizaine de prototypes que notre petite équipe francophone apportait dans ses cartons, et comptait présenter aux éditeurs, se trouvaient deux jeux de plateaux, de format équivalent, tous deux sur le thème du far-west et, surtout, basés sur l’utilisation de dés de poker. La ressemblance s’arrêtait là, puisque le Dice Town de Bruno et Ludo était essentiellement un jeu de paris, lointain cousin du yams, et mon Pony-Express un jeu de parcours. Nous décidâmes donc de présenter comme si de rien n’était les deux jeux, et il n’est guère étonnant que ce soit Dice Town, qui était le plus abouti, qui trouva le plus facilement un éditeur.

J’ai toujours beaucoup aimé les dés de poker, et cela faisait de longues années que je cherchais à faire un jeu les utilisant, jeu qui ne pouvait bien sûr que mettre en scène des cow-boys. Le déclic a du jeu fut l’idée d’exploiter ces mêmes dés tout à la fois comme dés, c’est à dire comme générateurs de mains de poker, et comme projectiles lors des duels. Réfléchissant depuis longtemps aux jeux de parcours, je pensais alors au thème du Pony Express, et la structure de base du jeu me vint très vite. La combinaison obtenue aux dés permet d’avancer son pion sur le parcours menant de Saint Joseph à Sacramento, avec bien sûr la possibilité de bluffer sur le résultat obtenu, et les rencontres entre pions se règlent par des duels lors desquels les joueurs lancent les dés d’une pichenette pour abattre les pions adverse. Le résultat devait donc être un mélange original de chance, de bluff et d’adresse, mais mon jeu, trop basé sur le bluff, était sans doute un peu long et un peu répétitif.

Le prototype de Pony Express, et une maquette de la boite, aux rencontres ludopathiques.
The prototype of Pony Express, and the mock-up of the box, at the Ludopathic Gathering.

Fort heureusement, ce fut aussi le moment où notre petite équipe fit la connaissance d’un jeune auteur dynamique et prometteur, Antoine Bauza, qui comme moi s’intéressait beaucoup aux jeux de parcours. Quelques semaines après le salon, je proposai donc à Antoine de jeter un œil nouveau sur ce vieux projet et de le reprendre avec moi. Après quelques échanges de mails, Pony Express avait beaucoup gagné en dynamisme, en rapidité et en variété. Nous commençâmes par montrer cette nouvelle mouture à quelques éditeurs qui n’en avaient pas vu les versions précédentes, et Philippe, de Fun Forge, se décida très rapidement. Lui-même auteur de jeu, puisqu’il avait créé le jeu de cartes Illusio, Philippe a également apporté une touche finale aux mécanismes de Pony Express.

Illustrations

Mon ami Pierô aurait dû être le choix logique pour illustrer Pony Express. Ayant pris part à tous les tests, il connaissait bien le jeu. Son trait coloré et plein d’humour convenait parfaitement aux mécanismes de Pony Express. Malheureusement, Pierô venait juste d’illustrer Dice Town, et il lui aurait été difficile de faire quelque chose de très différent pour Pony Express.

L’éditeur décida donc de faire appel à un jeune illustrateur québécois, qui n’avait pas encore sévi dans le monde du jeu de société, Mathieu Beaulieu. Le résultat est splendide et plein d’humour. Les personnages, les animaux, les objets, tout donne envie de sourire. Quant au plateau de jeu, je n’en ai jamais vu d’aussi réussi. Il est riche en détails, plein d’humour, et malgré tout d’une lisibilité exemplaire. Rien d’étonnant à ce que Mathieu ait depuis illustré d’autres jeux, parmi lesquels l’excellent Sobek, de mon ami Bruno Cathala.

Pony Express
Un jeu d’Antoine Bauza et Bruno Faidutti
Illustrations de Mathieu Beaulieu
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par FunForge (2009)
Tric Trac    Boardgamegeek


In Pony Express, you must prove that you are the fastest rider of the Pony Express, from St Joseph to Sacramento. It’s a race, with dice, but special dice with which you can bluff and even shoot at opponents’ pawns.        

In 2007, in the very last days before the Essen fair, Bruno, Ludo and I noticed a problematic coincidence. Among the dozen prototypes which our small team was bringing to show to publishers, there were two board games of very similar weight, look, theme and components – family boardgames using poker dice in a wild west setting. Of course, a game with poker dice has to be about saloons and cowboys, but this was nevertheless a striking coincidence.

The games worked very differently, but they looked very similar, and that was the problem. Ludo and Bruno’s Dice Town was a dice game loosely based on Yahtzee, while my Pony Express was a luck based race game with some bluffing and dexterity thrown in. So we decided to show both and Dice Town, which was better finalized, was first to find a publisher.

I’ve always liked poker dice, and for years I was trying to design a game using such dice – of course, it had to be a western themed game. This game started with the idea that the same dice could be used both classically, to generate poker hands, and as bullets in duels. I like race games, and thought of the Pony Express theme. The poker hand rolled with the dice gives the number of spaces one could move on the track from St Joseph to Sacramento – of course with some opportunities for bluffing. When two or more players land on the same space, there is a duel in which dice are used to shoot at one another’s pawn. This made for a nice mix – luck, bluffing and dexterity. Unfortunately, with just these elements, my game was a bit too heavily based on bluff, and felt a bit repetitive.

A new author was joining our team this year, Antoine Bauza. Antoine was, like me, much interested in race games. A few weeks after the fair, I asked him to have a new and fresh look at this old project, and suggested we worked on it together. After a few mails and some testing, the game became more dynamic, more varied, faster paced. We showed this game to some publishers who had not seen the earlier one, and Philippe, from Fun Forge, a new small French game company, decided to do it as his second game, and first big box. Philippe is also a game author, since he designed the first game published by Fun Forge, Illusio, and got involved in the last development of the game. Pony Express was published by FunForge in 2009.

Art

My friend Pierô should have been the obvious choice to illustrate Pony Express. He took part in most game tests, and knew the game really well. His colored, humorous and cartoony style would have fitted the game perfectly. Unfortunately, Pierô had just illustrated Dice Town, and it would have been difficult for him to make something different enough for Pony Express.

That’s why the publisher asked a young canadian illustrator, Mathieu Beaulieu, who had not so far illustrated games, to work on Pony Express. The result is gorgeous. The characters, the animals, the items, everything looks fun and makes you want to play. The best part is probably the board, the nicest one I’ve ever seen. It’s full of small details, and nevertheless perfectly clear. I think we’ll have one of the nicest looking boxes in Essen, and I’m sure we’ll have the nicest looking board. No wonder Mathieu has since been hired to work on some other games, including Bruno Cathala’s Sobek.

Pony Express
A game by Antoine Bauza & Bruno Faidutti
Art by Mathieu Beaulieu
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by FunForge (2009)
Boardgamegeek

Cette image un peu triste avait été dessinée pour figurer au dos de la boite, mais l’éditeur a finalement préféré y mettre une descripion du jeu et une photo du matériel. Commercialement, il a certainement eu raison, mais c’est un peu dommage.
This sad picture was intended to be at the back of the game box. The publisher later changed his mind and opted for a more classical description of the game, with a picture of its elements. This was commercially sound, but I regret that this nice picture is not in the game.

Ad Astra – Strategies

Si les mécanismes fondamentaux d’As Astra ont été assez rapidement conçus, les réglages ont demandé de très nombreux tests. Pour que le jeu reste intéressant au delà des parties de découverte, il ne fallait pas qu’une stratégie, qu’un mode de développement s’avère systématiquement plus profitable qu’un autre. Alors que les mécanismes du jeu ne changeaient plus guère, nous avons à plusieurs reprises modifié le coût des déplacements ou le score des terraformations afin de rendre tel ou tel « chemin vers la victoire » plus ou moins praticable.

Bien sûr, le choix de votre stratégie dans une partie d’Ad Astra doit tenir compte des circonstances, et notamment de la production de votre planète de départ ainsi que, dans une moindre mesure, des paires de ressources figurant sur vos cartes de production. Surtout, s’il est bon de songer à une stratégie en début de partie, il faut aussi savoir s’adapter aux circonstances et à ce que font les autres joueurs. Il peut être bon, par exemple, de se spécialiser dans une ressource également produite par un autre joueur, afin de la voir produite plus fréquemment. D’un autre côté, il peut être intéressant de privilégier un mode de développement (terraformation, vaisseaux, colonies…) où nul ne vous concurrence, afin de bénéficier plus facilement des bonus de score. Bref, Ad Astra est un jeu plus stratégique que tactique, mais qui demande néanmoins une certaine souplesse. C’est d’ailleurs pour handicaper les stratégies trop spécialisées que nous avons introduit le mécanisme des cartes scores ne pouvant être récupérées que lorsqu’elles ont toutes été jouées.

Voici quelques unes des stratégies que nous avons vu émerger lors des parties tests et qui, dans les bonnes circonstances et menées sans dogmatisme excessif, peuvent conduire à la victoire.

Terraformation
Si vous débutez la partie sur une planète produisant de l’eau ou de la nourriture, vous pouvez tenter de terraformer rapidement plusieurs planètes, marquant des points d’abord lors de la terraformation, puis ensuite avec votre cartes scores. Si vous trouvez rapidement d’autres planètes terraformables et ne rencontrez pas de concurrence, cette stratégie est facile à mettre en œuvre. Elle peut cependant s’épuiser, et peut facilement être contrée si d’autres joueurs plus mobiles s’emparent des bonnes planètes avant vous.

Hyperspécialisation
Produire une même ressource en grande quantité, et notamment l’énergie, peut permettre en cas de besoin de faire des échanges intéressants, notamment avec la banque. Surtout, cela crée des opportunités de score très impressionnantes avec la carte “ressources identiques”. La limite de 10 cartes ressources en main n’étant effective qu’à la fin du tour, rien ne vous empêche d’accumuler les cartes d’énergie, ou de toute autre ressource, et d’en dépenser une douzaine, voire plus, sur une carte score astucieusement placée parmi les dernières du tour.

Vaisseaux et systèmes
Si vous disposez de minerai en début de partie, vous pouvez construire un second vaisseau dès le premier tour et vous répandre rapidement dans des systèmes nombreux, laissant éventuellement une colonie derrière vous sur les planètes les plus intéressantes. Les vaisseaux coûtent certes assez cher, mais les score ” vaisseaux” et ” systèmes” figurant sur des cartes actions différentes, vous pouvez espérer bénéficier ainsi d’un plus grand nombre de bonus de score, qui sont souvent déterminants pour la victoire finale.

Autostop
La stratégie de l’autostoppeur est l’une des plus difficiles à mener, mais elle est aussi très satisfaisante lorsqu’elle fonctionne. Elle consiste à se reposer essentiellement sur les cartes action des autres joueurs et à jouer rapidement ses cartes de score, quitte à ne pas toujours être premier, afin de profiter au mieux du choix qui est à chaque fois donné entre les deux types de score. Le principal risque est, ne pouvant vraiment se spécialiser dans aucun domaine, de scorer souvent et correctement mais sans jamais bénéficier des utiles bonus de trois points.

Aliens
Les planètes aliens sont rares, et les effets des artefacts trop différents pour permettre de construire à l’avance une “stratégie alien”. Il ne faut cependant pas négliger les planètes aliens, d’une part dans l’espoir de piocher une carte intéressante, mais aussi pour bénéficier des points accordés lors de la construction d’une colonie, et plus encore d’une usine, sur ces planètes.

Ad Astra est un jeu de Serge Laget. Il y a donc plusieurs stratégies possibles pour parvenir à la victoire, et il vaut mieux qu’un joueur en ait une en tête pour guider ses choix. C’est aussi un jeu de Bruno Faidutti. Flexibilité et adaptabilité sont donc également essentielles, et il est parfois bon de reconsidérer en cours de partie ses choix stratégiques.

Ad Astra
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Justin Albers & Kieran Yanner
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Nexus (2009)
Ludovox          Vind’jeu         
Tric Trac         Boardgamegeek


While the core systems of Ad Astra were quite easy to design, the fine-tuning required many tests of many different versions. We wanted the excitement and challenge of the first games to last for many, many games. This meant we had to balance the different strategies and to prevent one or another from becoming the obvious path to victory once a player knows the game well. Without changing anything in the core game systems, we made many late test games with minor changes in the cost of movement, or in the terraforming scorings, to make this or that path to victory harder or easier to follow.

You can’t decide of a strategy before knowing what your starting planet produces and, though it’s less critical, what are the resource pairings on your production cards. Also, while it’s good to have a clear strategy in the first turn, you must sometimes adapt to the circumstances, and to what other players are doing. It could interesting in the first turns, for example, to have the same production as another player so as to make use of his production action cards. On the other hand, it could be interesting in the long term to specialize in something other players are neglecting, like terraforming or spaceships, which will make easier to get the three points score bonuses. Ad Astra is more strategy than tactics, but it nevertheless rewards some flexibility. We devised the rule stating than one cannot get his scoring cards back until all three have been played specifically to discourage rigid, one way strategies.

During our test games, a few strategies have emerged. All of them, if played at the right time and with enough flexibility, can lead to victory.

Terraforming.
If you start the game on a water or food planet, you can try to terraform quickly two or more planets. This can make for huge scoring, first when terraforming, then with the terraforming scoring cards. This works only if you find other terraformable planets quite soon, and if no one else is terraforming. This strategy is very easy to implement, but it doesn’t always do well in the long run, especially if other players land on the water and food planet before you do.

Hyperspecialization
If you can produce the same resource, usually energy, in great quantities, it can put you in a good position for trade, either with the bank or with other players. Also, this creates an opportunity for impressive scoring with the “same resource”-scoring scoring card. The 10 resource cards hand limit is only at the end of the turn, so you can accumulate resource cards during the turn and spend a dozen or more on a same resource scoring card played in the very last spaces on the track.

Spaceship and Systems
If you start the game with an ore planet, it can be clever to build a second spaceship in the first turn and start exploring new systems, leaving a colony behind you in each system. Spaceships are expensive, but the “spaceships” and “systems” scores are triggered with different cards, which means you can hope for many scoring bonuses if you manage to hold both majorities. Bonuses are often decisive in this game.

Piggyback
The piggyback strategy requires psychology and adaptability, but it can be very satisfying. The idea is to count on action cards from other players, and play many scoring cards. This way, you choose more often than other players what element is scored, which can be a strong advantage. The drawback from this strategy is that you can’t really specialize in one item or another. You often get good scores, but you rarely get the 3 points bonuses

Alien artifacts
Alien planets are scarce, and the artifact effects are too varied to be predicted and used in an “alien strategy”. Going for alien planets can be good nevertheless, not only for the artifacts, but also for the scoring points awarded when you build a colony, and even more when you build a factory.

Ad Astra is a game by Serge Laget. This means there are many different strategies that can lead to victory, and one must always have a strategy in mind. It’s also a game by Bruno Faidutti. This means it nevertheless rewards adaptability, and one must be ready to switch strategy on a good opportunity

Ad Astra
by Bruno Faidutti and Serge Laget
Art by Justin Albers & Kieran Yanner
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by Nexus (2009)
Boardgamegeek

Sic itur ad astra

Explorez la galaxie, découvrez les mystérieux artefacts laissés par des civilisations depuis longtemps disaprues, débarquez sur des mondes inhabités pour en exploiter les ressources naturelles, construisez des bases, des usines et de gigantesques vaisseaux spatiaux, terraformez et colonisez les planètes lointaines.

Le thème et le look de ce jeu pourraient faire croire à un grand jeu de conquête à l’américaine. Ne vous y trompez pourtant pas, Ad Astra est un “eurogame”, un jeu “à l’allemande”.

Histoire du jeu

Depuis longtemps, Serge Laget et moi voulions faire ensemble un “gros” jeu, expérience que nous n’avions pas renouvelée depuis Mystère à l’Abbaye, malgré quelques ébauches vite abandonnées. Serge est très branché science-fiction ; je suis resté un fan des colons de Catan. Un soir, au téléphone, tout cela se mélangea pour donner un cahier des charges relativement simple : un gros jeu d’exploration et de développement d’un empire spatial, bâti sur un système de ressources façon Catan.

Quelques jours plus tard, un vendredi soir, Serge débarquait à Avignon, et nous nous mîmes aussitôt au travail. Serge, en connaisseur des poncifs de la SF, insista sur la possibilité de terraformer les planètes. Je parvins à recycler un système de programmation à l’aide de cartes cachées que j’avais un temps envisagé pour Warrior Knights. Toutes les pièces du puzzle s’imbriquant parfaitement, chacun rebondit sur les idées de l’autre, et après une dizaine d’heures, nous avions un premier prototype, fait des cartes action imprimées à la va-vite sur du bristol, de pièces récupérées dans divers jeux, et de planètes griffonnées sur des disques de carton. Autant vous rassurer tout de suite, cela se passe rarement ainsi. La gestation d’un jeu est habituellement bien plus longue et difficile, et il faut généralement des semaines, voire des mois de réflexion avant la réalisation du premier prototype. Si cet historique est plus bref que celui de la plupart des mes autres jeux, c’est donc tout simplement parce que l’histoire de Ad Astra est assez simple et courte.

La toute première partie d’Ad Astra
The very first game of Ad Astra

Le samedi soir, j’invitai donc quelques amis pour une première partie, qui permit de valider l’ensemble des mécanismes – exploration, découverte, production, programmation, construction, mouvement, terraformation, tout fonctionnait parfaitement, à l’exception du système de score, qui allait encore demander un peu de réflexions. Il ne nous restait donc qu’à faire les réglages – déterminer la répartition des planètes produisant les différentes ressources, les ressources précises nécessaires pour chaque développement, le nombre de points de victoire rapportés par chaque élément de jeu. De simples ajustements, certes, mais qui pour un jeu ambitieux nécessitant un équilibre parfait entre les différentes stratégies possibles, demandèrent une centaine de parties, et autant de coups de téléphone entre Lyon et Avignon.

Notre prototype, baptisé Andromeda, puis Cassiopeia, suscita beaucoup d’intérêt chez les éditeurs. Il faillit être publié par nos amis de Days of Wonder, Cyrille réalisant même une très jolie maquette. Après quelques détours par l’Allemagne, le jeu se retrouva finalement chez les italiens de Nexus, qui firent un bon boulot d’édition… mais disparurent quelques mois plus tard. Ad Astra ne sera donc pas réimprimé, du moins pour l’instant, et l’extension que nous avions prévue ne sortira jamais. C’est un peu dommage, c’est un bon jeu dont Serge et moi restons très fier. Il doit encore en rester dans quelques boutiques.

Ad Astra
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Justin Albers & Kieran Yanner
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Nexus (2009)
Ludovox          Vind’jeu          Tric Trac         Boardgamegeek


Explore the galaxy, find the mysterious artifacts of long lost alien civilizations, land on uninhabited worlds and mine their precious ores, build living bases, factories and huge spaceships, terraform and colonize faraway planets…

The theme and graphic style of this game could make you think it’s an american style conquest and exploration game. It is not. Ad Astra is definitely a “Eurogame”.

History of the Game

For a few years, Serge Laget and I wanted to work together on a “heavy” game, something we had done only once, with Mystery of the Abbey. We had tried several times since, but none of our projects had gone very far. Serge is a science-fiction fan, I’m a Settlers of Catan fan. One evening, on the phone, these two facts merged into one simple idea – a big science fiction game about space exploration and empire development using a “Catan-like” resource and building system.

A few days later, on Friday night,  Serge was here in Avignon and we immediately started to work on this common design – and things went incredibly fast. Serge knows all Sci-fi clichés, and insisted on terraforming. I managed to recycle a face down card programming system I had once thought of using in Warrior Knights. All the pieces of our puzzle went together well, each one of us bounced on the other one’s ideas, and after ten hours of uninterrumpted work, we had a first prototype, with rough action cards, cardboard planet disks with drawn symbols, and pieces from various other games. Of course, it usually doesn’t happen that way. Most games usually need weeks, or even months, of thought and debate before realizing a first prototype. If this “history of the game” page is much shorter than for most of my other games, it’s simply because the story of the game design was short, simple, and straightforward.

On Saturday night, I called a few friends to play a first game. As a result, all global rules system were validated – exploration, discovery, production, programmation, building, movement, terraforming, everything worked well – the only exception being the scoring system, which needed a few more games before being satisfactory. So the game only needed tuning, but it needed a lot of fine tuning to decide of the planet distribution, the resources needed for every development, the number of victory points for ever game element, and so on. The game was nearly finalized after a first game session, but it needed a hundred more, and as many phone calls between Avignon and Lyon, before we were completely satisfied with it.

Bruno Cathala commente le prototype d’Ad Astra
Bruno Cathala comments on the Ad Astra prototype

The prototype was first called Andromeda, then Cassiopeia, and many publishers showed some interest in it. Our friends from Days of Wonder hesitated for a few months, and Cyrille even designed a wonderful prototype. After a few months in Germany, the prototype ended in Italy. Nexus made a great edition and production work… But went out of business a few months later. This means Ad Astra won’t be reprinted, at least for the moment, and the planned expansion won’t be published. It’s a shame, since Serge and I are very proud of this design. There ought to be still a few copies left in some shops.

Ad Astra
by Bruno Faidutti and Serge Laget
Art by Justin Albers & Kieran Yanner
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by Nexus (2009)
Boardgamegeek

Le jeu, les femmes et la grammaire
Games, women and grammar

Mon dernier article, sur les femmes et le jeu, m’a valu de nombreuses réactions, et quelques discussions intéressantes sur le point, assez amusant, de la rédaction des règles. De nombreux éditeurs américains se sont mis à utiliser le féminin « she » dans leurs règles de jeu en lieu et place du masculin « he » pour désigner le joueur (ou la joueuse). Cette tendance est d’autant plus étonnante que l’anglais permet, bien plus facilement que le français, le recours à des formules neutres, notamment en utilisant « one » ou « they » , qui n’ont pas de genre défini. Surtout, les règles rédigées en utilisant « she » donnent à la lecture une impression un peu forcée, peu naturelle – ce qui n’a rien d’étonnant, puisque l’écriture en a aussi été forcée et peu naturelle.
En français, la tendance est moins nette, mais il m’est arrivé de lire des règles précisant systématiquement « il ou elle » là où, il y a quelques années, il ne serait venu à personne l’idée d’utiliser autre chose que « il ».

Cette tendance me semble regrettable, et même contre-productive. Bien sûr, le fait que la plupart des langues occidentales – j’ignore ce qu’il en est des autres – utilise le plus souvent le genre masculin lorsqu’un choix serait logiquement possible, est l’expression historique de la domination masculine. La grammaire et le vocabulaire français sont, de ce point de vue, particulièrement édifiants, avec le masculin qui l’emporte sur le féminin dans les pluriels et les généralisations, et les intitulés des professions qui sont très souvent uniquement masculins, et de plus en plus quand on monte dans la hiérarchie. Cela signifie-t-il qu’il faille écrire systématiquement « le joueur ou la joueuse » au lieu de « le joueur », « l’auteure » au lieu de « l’auteur » quand on parle d’une femme ? Surtout pas, et pour quatre raisons.

D’une part, si malgré les nombreux progrès récents, les femmes peuvent légitimement se sentir opprimées par le machisme ambiant, par la division sexuelle des tâches, par le fonctionnement du système éducatif ou celui du marché du travail, je ne peux m’empêcher de penser qu’il faut une certaine dose de paranoïa pour se sentir opprimée au quotidien par la grammaire française (ou anglaise).
D’autre part, si ces vieilles règles de grammaire ont de toute évidence un caractère sexiste, c’est un sexisme fossilisé, un souvenir de l’histoire de la société plus qu’un mécanisme efficace de son fonctionnement présent. Ce fossile, ce souvenir du passé, il vaut mieux le conserver pour savoir d’où l’on vient, pour s’en moquer à l’occasion, que chercher à l’effacer.
Ensuite et surtout, si sur le long terme les réalités sociales et culturelles informent plus ou moins subtilement la langue, je ne pense pas qu’à court terme une modification volontariste et artificielle de cette langue ait le moindre effet sur les réalités sociales. Cela risque même de détourner des vrais problèmes de notre société, qui ne sont pas vraiment grammaticaux, et le côté un peu forcé de ces changements peut paradoxalement avoir l’effet inverse de celui recherché.
Enfin, écrire “auteure” ou “autrice” au lieu de “auteur”, ou même simplement “joueuse” au lieu de “joueur” revient, en bonne logique différentialiste, à prétendre que le genre de l’auteur ou du joueur a une importance si fondamentale que cela doit être toujours précisé, et donc que le jeu en est inévitablement différent. Je ne pense pas que ce soit le cas, pas plus en tout cas que pour l’âge, le background social ou culturel, voire la pathologie psychiatrique des joueurs et des auteurs, pour lesquels la grammaire ne prévoit rien.

Bref, je veux bien faire un effort pour écrire en anglais des règles aussi neutres que possible, en utilisant chaque fois que cela est possible one ou they au lieu de he et one’s ou their au lieu de his, car cela reste à peu près naturel – et est même parfois plus élégant. En revanche, je n’allongerai pas mes règles françaises en parlant de joueurs et de joueuses, et je préfère causer et travailler avec des auteurs, hommes ou femmes, qu’avec des auteurs et des auteures.


My last article about women in gaming was the occasion for a few interesting discussions, the most amusing ones being about writing rules, both in French and in English. Several US publishers have started using the feminine “she” instead of the masculine “he” in their rules to designate the standard player, who can be either male or female and is still most times male. What makes this even more surprising for me is that it’s easier in English than in French to use genderless expressions, such as “one” or “they”. Rules which refer to the player as “she” always feel a bit strained and artificial, which is not surprising since their writing was strained and artificial.
It’s not yet as usual with French games, but there’s a starting trend and I’ve already read several rulesets using “il ou elle” (he or she) where, a few years ago, no one would have even thought of writing anything else than “il”.

I think it’s wrong and probably counter-productive. Obviously, most western languages – I don’t know how it is with non western ones – have some sexist features which are the historical result of male domination. The plural of gender-mixed groups is always masculine, and most job names, especially the most prestigious ones, have only masculine forms. Does this mean that I ought to write systematically “le joueur et la joueuse” instead of “le joueur” (the player), or “l’auteure” (recently invented feminine form) instead of “l’auteur” (the author) when writing about a female game designer ? I don’t think so, for four different reasons.

First. Even when there has been some obvious progress in the recent years, women can still legitimately feel oppressed by the male chauvinist mood, by the division of daily task, or by subtle discrimination in the job market or the education system. I can’t help feeling, however, that there is something paranoid in feeling daily oppressed by French (or English) grammar.
Second. These very old grammar rules are sexist, but they are the fossilized form of past sexism, an image of old times society and not necessarily of the way it works now. Better keep this fossil, as a reminder of where we come from, and mock it from time to time, than try to discard and ignore it.
Third. If, in the long run, social and cultural realities certainly shape the language, I don’t think that, in the short run, any voluntarist and artificial change in the language can have any effect on social realities. It can even divert attention from our real problems, which have little to do with grammar. When these changes feel too strained and prescribed, they can even have a paradoxical effect.
Last, writing “auteure” instead of “auteur”, ‘joueuse” instead of “joueur” means, according to the differentialist theory, that a game is fundamentally different depending on the gender of its author, or of the players. I don’t think it is, or at least no more than it is with age, race, cultural or social background or even pyschiatric pathology, all characteristics which are not systematically distinguished by grammar.

So, I’ll try to write my English rules using the gender-neutral “one” or “they” instead of “he” and “one’s” or “their” instead of his, because it feels natural, but I won’t use “she”. I also won’t make my French rules longer with unnecessarily complex formulas such as “joueur et joueuses”, and I’ll keep using “auteur” no matter the sex of this “auteur”.

Le jeu et les femmes
Boardgame Design and Women

Lors du dernier salon des jeux de Cannes, j’ai fait la connaissance des deux auteurs de Et Toque, Barbara Turquier et Emmanuelle Piard. L’une des caractéristiques notables de Et Toque!, outre que c’est un jeu diablement amusant, est que ses deux auteurs sont des femmes.

J’ai toujours regretté que le monde du jeu de société soit aussi largement masculin. L’un des bons souvenirs que je garde des temps lointains où je jouais au jeu de rôles grandeur nature est que les femmes y étaient presque aussi nombreuses que les hommes, tandis que les soirées jeux de société, les salons, les réunions d’auteurs rassemblaient un public très largement masculin. Longtemps, en préparant les rencontres ludopathiques, je me suis livré à une sorte de discrimination positive, invitant le plus possible de joueuses, et engageant tous les auteurs de jeux à amener leur copine, avec dans l’idée qu’un public plus « équilibré » contribuerait à une ambiance plus naturelle – ce qui a sans doute été le cas.

De toute évidence, les choses sont en train de s’arranger. Le public des soirées jeux auxquelles je participe est de plus en plus féminin, et je n’ai plus besoin de tricher pour avoir mon quota de femmes aux ludopathiques. Il reste que je connais peu de femmes auteurs de jeux – Sylvie Barc, Anja Wrede, Andrea Meyer, (qui a dit Maureen Hiron ?) maintenant Barbara et Emmanuelle, alors que les hommes se comptent par dizaines.

Pourquoi ? Une société qui accorde traditionnellement plus de liberté aux hommes leur autorise-t-elle plus de plaisirs gratuits ? Il faudrait alors expliquer pourquoi les femmes sont aussi nombreuses que les hommes, voire plus, parmi les spectateurs de théâtre ou de cinéma, et parmi les joueurs de GN. Dans une société où ce sont les femmes qui s’occupent le plus des enfants, et jouent donc avec eux, les hommes sont-ils plus frustrés d’activités ludiques et se retrouvent donc plus à jouer entre adultes ? Notre monde met-il trop la pression sur les hommes, ce qui les pousse à jouer pour s’évader un peu ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait moins de pression sur les femmes. Quant aux auteurs, j’ai bien du mal à m’expliquer que la création ludique, dont j’ai toujours eu le sentiment qu’elle s’apparentait à l’écriture de romans, soit si masculine quand la majorité des auteurs de romans sont maintenant des femmes.

Quoi qu’il en soit, les choses changent, et il faut s’en réjouir. Mais pourquoi exactement faut-il s’en réjouir ? Parce qu’il y aura bientôt autant de femmes que d’hommes auteurs de jeux, parce que l’on se rencontre sur les salons et boit des bières ensemble, et parce que je suis moi-même, pour la première fois, en train de concevoir un jeu en collaboration avec une femme, ce qui n’est pas désagréable ? Ou parce que les femmes vont apporter à la création ludique un autre regard, un autre point de vue, un style plus léger ou moins agressif, et renouveler une création trop masculine ? C’est le vieux débat entre le féminisme universaliste et le féminisme différentialiste, entre celles et ceux qui pensent que les femmes doivent devenir des hommes comme les autres et ceux et celles qui veulent qu’elles soient enfin la moitié, et même la meilleure moitié, de l’humanité. Je penche habituellement vers l’universalisme, et c’est pourquoi je peux tout à la fois me réjouir qu’on abandonne Mademoiselle et pester contre les auteures et autres autrices. Mais j’hésite un peu ces temps-ci, quand je vois certaines et certains…. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que Et Toque ! n’est pas un jeu comme les autres, quant à savoir pourquoi…


Anja Wrede et Barbara Turquier aux rencontres ludopathiques
Anja Wrede & Barbara Turquier at the ludopathic gathering

At the last Cannes game fair, I got to know the two authors of Et Toque!, Barbara Turquier and Emmanuelle Piard. One of the noticeable characteristics of Et Toque! Is that its two authors are women – it’s also a really fun game, though I doubt it can easily be translated in English.

I’ve always regretted that there were so few women in the board and card gaming. One of my best memories of my L.A.R.P. days, twenty years ago, is that there were as many female gamers as male. In the same years, there were almost only men at the boardgame nights, boardgame fairs and game authors meeting. I remember cheating in a way, making my own little affirmative action when preparing the ludopathic gathering, trying to invite all the few female gamers I know, and to lure all the male gamers into bringing their girlfriend. I thought that a more “balanced” attendance would make for a better and lighter mood, and I still think it helped.

Obviously, things are changing. There are more and more girls at gaming nights, and I don’t have to cheat any more to get a fair proportion of girls – though still far from half – at the ludopathic gathering. On the other hand, I still know very few female game authors – Sylvie Barc, Anja Wrede, Andrea Meyer, now Barbara and Emmanuelle (who said Maureen Hiron?), while I know dozens of male authors.

Why ? A few wild thoughts, which might not be worth much. A society in which men are traditionally more free might not accept that women have pointless activities such as games  ? But, why, then, are women going to the movies, to the theater, and buying books more than men ? Or may be women are used to play games with children, while men are frustrated of this need and as a result play together, between adults?  Or there is such a pressure on men that they need gaming as an exit safety valve – but I’m not sure there’s less pressure on women. As for game design, I have always thought it was an acitivity really similar with novel writing, and most novel writers are now women…

Anyway, things are changing, and in a good way – but why is this a good way ? Because there will soon be as many men and women designing games, because we meet at game fairs, discuss games and drink beer together, and because I’m now, for the first time, designing a game in collaboration with a woman? Or because women will bring to game design a different point of view, a different sensibility, may be lighter and less aggressive ?

That’s a very old discussion, between the two main variants of feminism, universalist and differencialist. Everybody agrees that women did not so far have a fair place in the Western society – not to talk about other ones-  but what would be a fair place ?  Do we want individual women to be just like other men, or do we want women to become collectively half of humanity – and may be the best half. I’ve long been more on the universalist side, but I’m less sure now, when I see some women – and men.

Anyway, Et Toque! Is not a game like other games, no matter why.