Quelques interviews

À quelques joueurs d’intervalle, deux interviews que j’ai récemment donné à des podcasts dludiques francophones ont été publiées sur le web. Les deux sont assez longues, et sont plus consacrées aux généralités sur le jeu qu’à la promotion de mes sorties récentes, d’ailleurs peu nombreuses.

Il y a quelques mois de cela, lors d’un passage à Nancy, dans les locaux de Iello, Laurène m’a interviewé pour son podcast “À quoi tu triches?”. J’y parle du jeu en général, de son histoire, de mon histoire et des jeux que j’aime bien.

La seconde interview a été enregistrée le dernier jour du festival des jeux de Cannes, et j’y discute avec Polgara et le Pionfesseur. On y est moins dans l’histoire, et plus de philosophie ou de sociologie du jeu. Ceci dit, c’était la fin du salon, j’étais fatigué, et je ne trouve pas toujours mes mots.

(Sorry, French only)

Retour à la nature
Back to nature

Il y a encore vingt ans, les thèmes les plus systématiquement exploités dans les jeux de société, les univers par défaut de la plupart des auteurs, moi le premier, provenaient de la littérature ou de l’histoire. La première apportait notamment les le fantastique, la science-fiction et l’enquête policière, la seconde les guerres, le développement économique et la colonisation. Aucun de ces thèmes n’a vraiment disparu, mais ils semblent de plus en plus, surtout sur les boites de jeux publiées en Europe et aux Etats-Unis, remplacés par des mondes moins marqués par l’homme, plus vierges, plus naturels – les fleurs, les arbres, les animaux et toutes ces sortes de choses. Entamée depuis une petite dizaine d’années, cette tendance s’est clairement accélérée depuis la fin de la crise sanitaire. Sans y être aucunement hostile, j’ai avec cette évolution quelques difficultés, tant ces thèmes ne me viennent pas… naturellement.

Les fleurs, les arbres et les oiseaux

Les jeux dans lesquels on plante des arbres, on cultive un modeste jardin, on protège les rongeurs ou les oiseaux, on gère une horde de loups ou un troupeau de bisons, sont à la mode. Il y a une trentaine d’années, de tels thèmes n’étaient guère abordés que dans des jeux très simples, destinés aux enfants. Ils sont aujourd’hui fréquents et appréciés dans des jeux pour adultes relativement complexes, comme les créations d’Elizabeth Hargrave, surtout connue comme l’auteur de Wingspan, qui s’en est fait une spécialité. De jeunes éditeurs, comme le français Palladis, semblent aussi vouloir se spécialiser sur ce « créneau porteur »

Si l’on peut encore considérer Wingspan comme un jeu familial, poids moyen, Woodcraft, de Ross Arnold et Vladimir Suchy, est d’un niveau de complexité qui le destine clairement à des joueurs expérimentés, les mêmes qui passent des heures sur de grands jeux de conquête ou de gestion.
Il ya bien eu quelques précureurs, et je pense par exemple à Agricola, de Uwe Rosenberg, paru en 2007 et devenu depuis un classique, mais ils étaient des exceptions. D’ailleurs, lorsqu’est paru Agricola, certains d’abord cru, ou fait mine de croire, à un jeu de stratégie sur la conquête romaine de la Bretagne. Si Uwe Rosenberg a continué à faire des jeux sur le thème de l’agriculture, qui semble particulièrement l’intéresser, il a fallu du temps avant que d’autres auteurs ne suivent son exemple.

La couleur verte, dont on disait dans les années quatre-vingt qu’elle ne faisait jamais vendre, est aujourd’hui omniprésente sur les boites de jeu.
J’ai cherché un peu sur le web francophone et anglophone des analyses un peu critiques sur cette tendance au “naturalisme ludique”, et n’ai pas trouvé grand-chose.

L’explication la plus souvent avancée, qui ne me semble pas suffisante, est que cette mode serait à l’initiative d’éditeurs recherchant des thèmes originaux, moins controversés, plus consensuels et plus intergénérationnels. Si les arbres et les animaux étaient en effet originaux, du moins pour des jeux qui ne sont pas destinés exclusivement aux enfants, il y a une dizaine d’années, ils ne le sont plus du tout aujourd’hui. Si la guerre, la conquête coloniale ou les enquêtes policières ne sont effectivement pas des thèmes très consensuels, l’argument ne vaut pas nécessairement pour le fantastique et la science-fiction. Ces derniers n’étaient peut-être pas intergénérationnels il y a quarante ans,  mais ils le sont sans aucun doute aujourd’hui.

Les joueurs passionnés sont statistiquement plutôt des hommes, et certains éditeurs pensent peut-être que des univers naturels attireront un public féminin. Je suis personnellement assez dubitatif sur l’idée que les femmes seraient, plus que les hommes, intéressées par les plantes et les animaux – par les chats, les fleurs et les petits oiseaux peut-être, et encore, même de cela je ne suis pas certain.

Plus qu’une recherche de consensus, c’est sans doute le besoin de réconfort face à l’angoisse contemporaine qui explique ce repli de l’imaginaire ludique sur une nature plus ou moins fantasmée. Entre la pandémie de Covid, le grand retour de la guerre en Europe, les dérives irrationnelles de la politique américaine, la misère et la pollution dans les rues, le réchauffement climatique auquel on ne peut plus faire semblant de ne pas croire, les principaux marchés du jeu de société sont, comme d’autres, touchés par une anxiété devant un avenir devenu plus inquiétant qu’excitant. En littérature, en musique, dans le monde du jeu aussi, les produits qui continuent à se vendre correctement sont les classiques, ceux que l’on a connu dans notre jeunesse, ceux qui nous donnent l’illusion que le monde ne change pas tant que cela. Mes jeux les plus anciens, Citadelles ou Diamant, se maintiennent mais mes nouvelles créations passent plus ou moins inaperçues, et il en va de même pour presque tous les auteurs. La nature, un thème éminemment rassurant, universel et intemporel, est alors pour les joueurs une autre manière de tenter de se rassurer, et les éditeurs ne font que répondre à la demande. Pour les auteurs, il y a sans doute un peu des deux.

On peut voir cela de façon plus positive et politique, se réjouir comme si jouer à planter des arbres, c’était déjà planter des arbres, voire sauver la planète. On peut sourire de la naïveté de cette confusion entre le jeu et le réel, on peut aussi s’en inquiéter. D’une part parce que, en prenant le jeu trop au sérieux, on lui ôte sa vanité, son inutilité, c’est à dire l’essence même du jeu, d’autre part parce qu’il est toujours dangereux de se bercer d’illusions. Jouer à des jeux gentils, généreux et écolos ne nous rendra pas plus gentils, généreux et écolos que jouer à des jeux méchants, généralement ceux que je préfère, ne nous a rendu méchants ou que jouer à des jeux idiots, ce qui détend quand même pas mal, ne nous a rendu idiots. On ne sauve pas plus la planète en jouant à sauver la planète que l’on ne fait la guerre en jouant à faire la guerre.

Il y a une dizaine d’années, je me moquais dans l’article qui reste le plus lu sur ce blog, Postcolonial Catan, de l’imagerie coloniale qui sous-tend les Colons de Catane et d’autres jeux de développement. Les jeux où l’on accumule des ressources pour construire des trucs qui produiront des ressources permettant de fabriquer des machins sont toujours là, mais ils prennent un tour écolo, un peu volontariste. On n’y cherche de moins en moins à bâtir des abbayes ou exploiter un continent vierge, et de plus en plus à cultiver son jardin, même si ce jardin peut rester assez exotique, comme le montrent les images ci-dessus.

L’ambition, ou la prétention, peut même aller jusqu’à reconstruire, à réparer une planète abimée. Je viens de lire les règles des Tribus du vent de Joachim Thôme, et je suis à peu près certain que le thème original du jeu était bien différent, que l’on y bâtissait des villages d’elfes ou de nains ou des châteaux médiévaux, et que c’est l’éditeur qui, pour être au goût du jour, a déplacé l’action dans un monde post-apocalyptique ou l’on construit des villages écolos.

Les esprits de la forêt

Le médiéval fantastique et la science-fiction avaient quand même un grand avantage pour les auteurs, celui de permettre à peu près n’importe quoi en termes de mécanismes. Tout effet bizarre pouvant se justifier par la magie ou la technologie du futur, le concepteur du jeu peut librement se concentrer sur l’intérêt tactique, sur les interactions entre joueurs, sans se soucier du réalisme. Avec les arbres, qui ont plus de racines que nous, et les animaux, dont les prouesses technologiques sont moindres que les nôtres, rien de tel n’est possible…. sauf à introduire là aussi une bonne dose de magie.

Du coup, on a vu fleurir dans les boites de jeu les esprits des animaux, des arbres et des sources, dotés de pouvoirs magiques. Parfois, ce sont les elfes de l’heroic fantasy, amis des arbres, qui deviennent les agents de la nature, ou les nains et gnomes qui sortent de leurs cavernes et se découvrent la main verte. Parfois ces esprits sont plus exotiques, souvent japonisants – le discours naturaliste est parfaitement compatible avec l’orientalisme.
On reste dans le fantastique, mais un fantastique à la sauce verte qui permet d’avoir un thème écolo tout en évitant les risques de confusion entre le jeu et le réel – sauf à croire vraiment aux esprits de la forêt. L’un de mes jeux préférés en ce moment, Parade of a Hundred Yokais, appartient à cette catégorie – même si l’on s’y tape un peu dessus quand même pour être le premier à bâtir un joli tori.

Histoire et nature

On peut mettre en scène la nature, les arbres et les animaux, sans nécessairement renoncer à l’histoire. Si les pandas sont sans doute les animaux sauvages les plus représentés sur les boites de jeux, les dinosaures et les mammouths suivent d’assez près. Dans des jeux récents comme Paleo de Peter Rustemeyer, ou Endless Winter de Stan Kordonskiy, les joueurs contrôlent des tribus préhistoriques face à une nature sauvage certes hostile, mais qui n’a pas perdu d’avance et dont elles font encore un peu partie. Les illustrateurs ne s’y trompent pas, qui dessinent volontiers sur les boites et les cartes des hommes coiffés de cornes ou de bois, sortes de druides ou de shamans prêts à invoquer les esprits des forêts et des montagnes.

La nature végétale et surtout animale est aussi de plus en plus présente, en arrière plan, dans les jeux mettent en scène découverte et exploration. Les explorateurs portent toujours leur casque colonial, mais ils font de moins en moins face à des indigènes armés de sarbacanes, et de plus en plus aux bêtes sauvages armées de crocs et de griffes, quand ce n’est pas aux esprits sylvestres locaux armés de leurs pouvoirs magiques. Dans une réalité où la nature semble une chose du passé, il peut être paradoxalement rassurant de jouer à des jeux où elle semble encore plus forte que nous.

Le zoo de Noé

Les jeux sur les animaux ne sont pas nouveaux. Quand on veut mettre le plus grand nombre possible d’animaux dans le même jeu, on se retrouve inévitablement soit à gérer un zoo, soit à bâtir l’arche de Noé.

L’Arche de Noé est le récit biblique qui a servi de prétexte au plus grand nombre de jeux de société. C’est sans doute un peu parce que l’épisode est perçu au moins autant comme un conte pour enfants que comme un dogme religieux, un peu aussi parce que l’idée de constituer des couples, puis de ranger des figurines d’animaux ou des cartes dans un espace limité, se prête assez bien à la création ludique. Beaucoup de ces jeux, mais pas tous, sont destinés aux plus jeunes. Mécaniquement, rassembler des animaux pour les enfermer dans un zoo n’est pas bien différent, et les jeux sur ce thème sont aussi depuis longtemps assez nombreux. Zooloretto, de Michael Schacht, a bien mérité son Spiel des Jahres.

Le problème bien sûr est qu’enfermer des animaux, c’est mal, tandis que les sauver de la noyade, c’est bien. Du coup, il est assez amusant de voir aujourd’hui un jeu de gestion de zoo, clairement destiné à un public de passionnés adultes, se cacher discrètement sous le titre Ark Nova, sans doute le résultat d’un intense brainstorming chez l’éditeur. Cela suggère une sorte de nouvelle arche permettant, peut-être, de sauver tout ce beau monde du réchauffement climatique, quand il ne s’agit, comme d’habitude, que de gérer un zoo, activité dans laquelle l’argent reste le nerf de la guerre. De même, il y a toujours des jeux dans lesquels on se déplace sur une carte d’Afrique pour trouver des animaux, mais cela fait déjà une vingtaine d’années qu’on ne les y chasse plus. Aujourd’hui, on ne les capture même pas, on se contente de les observer, osant à peine les prendre en photo.

Tant que nous parlons d’Arche de Noé, je viens de voir passer l’annonce d’un nouveau jeu, The Flood, dans lequel…. chacun bâtit son arche ! L’éditeur très chrétien semble ne pas vouloir trop insister sur ce qu’il pense être un bug vaguement hérétique ; il aurait à l’inverse dû construire toute la promotion du jeu sur ce point plutôt amusant. Je regrette de ne pas y avoir pensé plus tôt, mais je peux encore faire un jeu où chaque joueur contrôle un groupe de hobbits et cherche à être le premier à plonger son anneau unique dans le gouffre de la montage du destin.

Végétarianisme et mignonnitude

Mes compétences en botanique étant assez limitées, je suis bien incapable de vous dire quelles espèces d’arbre apparaissent le plus souvent sur les boites de jeu, et je doute que l’exercice soit très révélateur. Pour les animaux sauvages, en revanche, je me débrouille à peu près, et le résultat est plus intéressant. Le lion, le roi des animaux, est bien sûr fortement représenté, mais le cerf, tout ausi noble et fier mais herbivore – j’ai failli écrire végétarien – est sans doute plus fréquent, illustrant la volonté de montrer une nature pacifique, voire aseptisée. La grande vedette des boites de jeu est d’ailleurs le panda, véritable animal bobo, mignon comme tout et mangeant du bambou.

Anthropomorphisme

Le panda est aussi assez présent dans une toute autre famille de jeux, ceux mettant en scène des animaux anthropomorphes. Les vraies vedettes sont cependant là plutôt les chats et les renards, réputés malins et individualistes, ou à l’inverse les rongeurs, plus grégaires.

Les animaux anthropomorphes, auxquels sont attribuées des caractéristiques sociales, psychologiques et même parfois physiques de l’homme sont présents depuis bien longtemps dans les contes et donc dans les jeux pour enfants. On les rencontre aussi dans des textes qui ne sont pas exclusivement destinés aux plus jeunes, comme les fables, et dans les récits mythologiques. La littérature sur ce sujet est abondante, ce n’est pas le cœur de ma réflexion ici, je n’entrerai donc pas dans les détails. Leur présence insistante dans des jeux destinés aux adultes est plus récente, et peut être analysée un peu différemment.

Lorsqu’ils sont seuls de leur espèce, avec souvent une bonne bouille de peluche, ces animaux sont là pour transporter les joueurs dans l’univers des fables et des contes, ou simplement les ramener à leur enfance, deux moyens encore de se rassurer dans un monde un peu angoissant – même s’il faut se méfier des discours selon lesquels les joueurs seraient de « grands enfants ».

Lorsque le jeu met en scène des espèces animales entières, souvent en guerre, les choses deviennent plus complexes et parfois – pas toujours – ambiguës. Les peuples de la fantasy médiévalisante, nains, elfes, orques et autres gobelins, tout comme les étranges races extra-terrestres, ont souvent été utilisés comme un moyen de neutraliser, dans des jeux de combat ou de conquête, ce que pouvait avoir de problématique la mise en scène de conflits entre peuples, ethnies ou nations, dans une démarche qui relève paradoxalement à la fois de l’essentialisation et de l’euphémisation. Une prise de conscience très partielle de cela nous vaut aujourd’hui des débats un peu ridicules sur les clichés dans Donjons et Dragons. Le racisme envers les orques et les elfes noirs n’est pas un problème sérieux ; le fait que, dans nos univers imaginaires, les groupes sociaux, nationaux ou ethniques soient systématiquement essentialisés est en revanche sinon un problème, du moins un sujet qui mériterait une étude historique un peu fouillée.

L’essentialisme est plus net encore lorsque l’on remplace les peuples par des espèces animales. Des personnages à tête de lion, d’aigle, de castor ou de chat sont en effet aussi un moyen, en apparence plus léger, d’éviter de représenter tantôt des européens, des asiatiques et des africains, tantôt des russes, des américains et des chinois. Mon Chawaii, très joliment illustré par Paul Mafayon, en est un bon exemple, même si un seul groupe est représenté et si les chats mangent vraiment du poisson.

Bruno Cathala et moi réfléchissions il y a quelques jours à une nouvelle version de Mission Planète Rouge. Nous étions d’accord pour abandonner l’univers Steampunk des deux premières éditions, qui n’était d’ailleurs pas celui de notre prototype initial. Nous avons d’abord pensé à un univers de type Guerre Froide contemporaine, mettant en scène une rivalité entre les grandes puissances d’aujourd’hui, Russie, USA, Europe, Chine. Nous n’avions cependant pas envie de traiter ce thème sérieusement, et il semblait difficile de le faire avec humour. On va sans doute plutôt s’orienter vers Jeff Bezos contre Elon Musk, mais chats et chiens auraient aussi pu faire l’affaire en apportant un peu plus de légèreté.

Les animaux anthropomorphes ne sont pas toujours un succédané mignon ou paresseux d’humains. Ils peuvent être introduits de manière positive, avec humour, intelligence et recul critique, comme dans Root, de Cole Wehrle, un jeu complexe et ambitieux dont le contexte s’inspire des réalités géopolitiques actuelles. L’usage des animaux permet là un discours politique discret, qui aurait sans doute eu plus de mal à passer dans un contexte géopolitique et réaliste. Chacun aurait eu, selon ses allégeances, tel ou tel détail à reprocher aux auteurs. Et puis, et c’est sans doute l’essentiel, c’est quand même plus amusant.

Bien sûr, on peut aussi tout avoir, la science-fiction ou la fantasy et l’anthropomorphisme, pour mettre deux couches d’objectivation, ou juste pour s’amuser, ou juste parce que l’illustrateur avait envie de dessiner un chat ou un lion. Je viens même de recevoir un jeu avec des dragons anthropomorphes et très mignons, Flamecraft, de Manny Vega.

Remakes

Pour m’amuser, j’ai cherché des jeux dont, à l’occasion d’une réédition, les personnages ou groupes humains sont devenus des animaux. J’en ai trouvé quelques-uns, assez intéressants – dont un à moi, je l’avais presque oublié, Democrazy devenu Animocrazy. Si vous en connaissez d’autres, signalez-le moi, cela m’amuse. Air, Land and Sea, un jeu de cartes aux illustrations très réalistes dans l’univers de la seconde guerre mondiale, est ainsi devenu, sans aucun changement de règles, Critters at War, un jeu tout aussi martial mais auquel couleurs et bestioles apportent une certaine légèreté. Dans Hibachi, remake de Safranito, les cuisiniers japonais sont des chats, des renards et des singes. Dans le nouveau Libertalia, les pirates sont devenus des signes, des lions, des renards, des chevaux, sans que l’on sache trop pourquoi. Plus subtilement, My Little Scythe est une version légèrement simplifiée de Scythe, où l’univers du cartoon se substitue au monde post-apocalyptique de ce gros jeu de stratégie, Des pommes remplacent les habituelles étoiles comme symbole de points de victoire. Le jeu est cependant à peine plus simple que l’original, et son look enfantin doit être pris au second degré. La transformation de Quo Vadis en Zoo Vadis, sans que la référence à la Rome antique ne soit complètement expurgée, est expliquée et justifiée par l’éditeur dans un très intéressant article sur le Boardgamegeek.

Cela arrive même à des jeux abstraits, comme Splits devenu Battle Sheep, mais il est vrai que les jeux abstraits au thème animalier ne sont pas une nouveauté. Hive a une vingtaine d’années, le jeu de la jungle quelques centaines, le Bagh Chal et le jeu du Renard et des Poules quelques milliers.

L’inverse est beaucoup plus rare, puisque je n’en ai trouvé qu’un seul exemple, le mignon petit jeu de cartes japonais Kittys, que j’apprécie beaucoup. Dans l’édition française, les chats deviennent des gangsters, et le jeu perd soudain tout son charme.

Les représentations des fables sont intéressantes. Dans les premières éditions du classique de David Parlett, Le Lièvre et la Tortue, les deux protagonistes étaient représentés de manière réaliste. dans les versions plus récentes, tout comme dans un autre jeu inspiré de la même fable, ils deviennent anthropomorphes.

Alors, que penser de tous ces jeux verts, spirituels et animaux ? Même si, personnellement, je fais encore très bien avec, sans doute un effet de génération, je comprends que nombre d’auteurs, de joueurs et d’éditeurs plus jeunes en aient assez de la fantasy, de l’histoire et de la science-fiction et cherchent autre chose, plus au goût du jour. J’aime bien les chiens et les chats, je n’ai rien contre les esprits de la forêt, mais je regrette un peu qu’ils aient plutôt moins d’humour que les nains et les dragons, et fassent bien plus rarement preuve d’autodérision.

J’ai quand même trouvé un jeu où on tuait des arbres, et c’est un très bon jeu.

Twenty years ago, the most popular settings for boardgames, the default theme of most designers, myself included, and of most publishers, were borrowed from literature and history. From the former, we were using medieval fantasy, science-fiction and whodunit, from the latter wars, economic development and colonization. These settings didn’t disappear but, on the square game boxes recently published in Europe and in the USA, they are more and more often replaced by themes inspired not by men but by nature – flowers, trees, animals and all that stuff. The trend is at least ten years old, but it has grown stronger lastly, may be due to the end of the Covid crisis. I’ve nothing against these new settings but, unfortunately, they don’t come to me very… naturally.

Flowers, trees, birds

Games about planting trees, about arranging a small garden, about protecting bears, rodents or birds, about managing a tribe of wolves or a herd of bisons, are more and more frequent. Thirty years ago, such settings were almost only used for simple games aimed at young children and families. They are now common in relatively complex adult games, such as those by Elizabeth Hargrave, the designer, among others, of the recent hit Wingspan, who specializes in animals settings. New publishers such as the French Palladis are also trying to settle in that promising niche market.

Wingspan can stuill be considered a midweight game, but Ross Arnold and Vladimir Suchy’s Woodcraft, is an extremely complex game targeted at dedicated gamers, the same who play long conquest or management games.

There has been a few precursors, like Uwe Rosenberg’s Agricola, published, in 2007, but they were exceptions. When first hearing about it then, a few gamers even thought it must be a war game about the Roman conquest of Britain. Uwe Rosenberg kept on designing games about ariculture, but he was nearly the only for a some time before it became fashionable.

I remember hearing in the eighties that green covers didn’t sell, they are today everywhere. I browsed the French and English language web looking for analysis of this naturalist trend in boardgames, and was surprised to find very little, as if it were uninteresting or obvious.

The most common explanation is that this green fashion started with publishers looking for original, less controversial, more consensual and more intergenerational settings. I’m not entirely convinced. If trees and animals as an adult game setting were original ten years ago, they are not anymore and the trend still goes on. If war, colonial conquest or whodunits can be controversial themes, it’s not necessarily the case with fantasy or science-fiction. Furthermore, while these two last settings might not have been intergenerational in the nineties, they certainly are today. A majority of boardgameplayers are men, and some publishers might think that nature-themed boardgames will lure more women into the hobby, even I am personally skeptical about the theory that women are more interested in plants and animals than men. By cats, birds and animals, may be, but even of that I am not sure.

More than the search for consensus, this retreat of gaming into a more or less fantasized natural world is probably due to a crave for reassurance in a harrowing modern world. Between the covid pandemic, the comeback of trench warfare in Europe, the irrationality of US politics, the global warming which it is more and more difficult to ignore, people have reasons to worry. The boardgame market is certainly not the only one affected. In literature, in music, in games, good old classics, which give the illusion that the world doesn’t change, keep selling while most novelties flop. My Citadels and Incan Gold also keep selling while most of my recent games went unnoticed. Nature, the most reassuring, universal and timeless setting, or so we hope, is another way to look for reassurance. Gamers feel it, publishers follow, designers do one or the other.  

Of course, there’s a more positive way to see this. One can feel proud and enthusiastic playing at planting trees, as if it were almost planting real trees, and could help saving the planet. This confusion between game and reality can look cute, naïve and harmless, but it is problematic, for two reasons. It is worrying because taking games too seriously deprives them of their vanity, their pointlessness, which is the very essence of gaming. It is also dangerous because the idea that games have effects on reality is a delusion, at a time when real action is needed. Playing cute, generous and green games won’t make us more cute, generous and green, no more than playing mean games, my favorite ones, makes us mean or playing stupid games, which can be fun, makes us stupid. We didn’t wage war when playing war games, we won’t save the earth with playing at saving it.  

Ten years ago, on what is still my most visited blogpost, Postcolonial Catan, I was mocking the colonial imagery underlying Settlers of Catan and other development games. Games in which players gather and accumulate resources to build structures that will produce more resources to build further structures, and so on, are still there but they now have a more green and more voluntarist feel. It’s no more about building churches or settling a new continent, it is about cultivating one’s garden, even when this garden can still be quite exotic as you can see from the box covers above.

It can be much more ambitious, or pretentious, when players engage in replanting and repairing a spoiled planet. I just read the rules of Joachim Thôme’s Tribes of the Wind, and I am quite confident that the original prototype setting was different. It was probably about dwarves or elven villages, or may be medieval castles, before the publisher moved the action onto a post-apocalyptic world where players build strange green settlements.

Forest spirits

Trees have even more roots than we do, animals have even less technology than we do, so nothing like this is possible in nature settings… unless we unleash again the power of magic. That’s why there are so many games with forest, animal or spring spirits. Sometimes the good old fantasy elves become these nature agents, sometimes dwarves and gnomes leave their caverns and find out they have a green thumb, most times it’s just fairies. In other cases, these spirits are more exotic, often Japanese – naturalism is entirely compatible with orientalism. We’re back into fantasy, but it’s now a green nature fantasy, with no risk of confusion between game an reality – unless, of course, you really believe in fairies. One of my favorite recent games, Parade of a Hundred Yokais, belongs to this new genre, even when there is some fighting to be the first spirit to build a nice Tori.

Medieval fantasy and science-fiction have a great advantage for game designers : we can do more or less what we want with game systems and mechanisms. Since any effect can be justified by powerful magic or strange alien technology, the game designer can freely focus on tactics and player interaction, without any care for realism.

History and nature

Of course, a clever designert can fit nature and history together. Pandas are probably the most frequent wild animals on game boxes, but dinosaur and mammoths are not far behind. In recent games like Peter Rustemeyer’s Paleo, or Stan Kordonskiy’s Endless Winter, players control tribes of men facing nature, meaning cold winter and fierce beasts. This nature is wild and hostile, but it has not lost the fight yet, and men are still somewhat part of it. Illustrators got it and often draw tribesmen wearing horns or antlers, making them look like druids or shamans ready to invoke nature spirits.

The same is true, to a lesser extent, of many games about discovery and exploration. Explorators still wear their colonial helmet, but they are less and less facing savages armed with blowpipes and more and more wild animals armed wit claws and fangs, if not forest spirits and their magic. Living in a world where nature feels like a thing of the past, it can feel paradoxically reassuring to play a game where it seems it can still overcome us.

Noah’s zoo

Games with a variety of animals are nothing new. When a designer tries to pack as many and as diverse animals as possible in a single game box, it always ends in managing a zoo or filling an ark.

Noah’s Ark is the one and only biblical episode frequently used as a boardgame setting. It is in part because it has become a children story more than a religious dogma, in part because making pairs of animals already sounds like a card game and cramming them in a limited space already sounds like a boardgame. Not all of these games are aimed at children. Mechanically, gathering animals in a zoo is not very different, and zoo themed games have also been popular for quite long. Michael Schacht’s Zooloretto deserved its Spiel des Jahres.

Of course, there’s a difference. Locking up animals in cages is bad, saving them from drowning is good. This is why a  heavy zoo management game, clearly aimed at adult gamers, has been called Ark Nova and very superficially disguised as a Noah’s Ark game, probably after an intense brainstorming at the publisher. The name suggests something like saving animals from global warming and rising waters when it is just about managing a zoo, and, of course, about money. Similarly, there are still games whose board is a map of Africa, but for about twenty years now, players are no more hunting animals. Now they are not even capturing them anymore, they just want to look at them, not always even daring to take pictures.

While we are at Noah’s Ark, I just saw an announcement for a new big box boardgame, called The Flood, in which… every player builds their own ark ! The very christian publisher tries to downplay what it probably thinks is bordering on heresy, it should have done the opposite and insisted on this funny and almost surrealistic point. I regret I didn’t think of it before – may be I’ll try to do a game in which every player controls a company of hobbits and tries to be the first one to throw their one ring into the cracks of Doom.

Vegetarianism and cuteness

My knowledge of botanics being extremely limited, I am unable to tell what varities of trees are the most often represented on game boxes, but I doubt it would reveal anything worth commenting. I’m a little better with wild animals, and the result is interesting. The lion, king of animals, is often there, but there seem to be even more stags and deers – an animal as proud as the lion but herbivorous – I nearly wrote vegetarian. The nature represented is indeed usually peaceful, almost bowdlerized. The true star of boardgame cover art is, unsurprisingly, the panda, the ultimate hipster animal, cute and eating bamboo.

Anthropomorphism

There are also a few pandas in games featuring anthropomorphic animals, but the real stars here are rather cats and foxes, the archetypal individualistic and competitive animals, or conversely gregarious rodents.

Anthropomorphic animals have social, psychological and sometimes even physical human characteristics. For centuries, they appear in bedtime stories and therefore in children games. They have also long been a staple of fables, which don’t target only kids, and star in numerous myths. The literature on this topic, which is not the core of my subject here, is abundant. The fact that these humanised animals are more and more present in adult hobby games nevertheless deserves some analysis.

When there’s only one animal of every specie, usually with a cute plushy face, these animals are here to lure the players into the world of fable and stories, or even to remind them of their childhood – even though there’s much to say against the naïve idea that gamers are just grown-up kids.

Things can get more complex, and sometimes ambiguous, when the game features whole species, often at war with each other. Fantasy races such as dwarves, elves, orcs and goblins, as well as strange aliens from outer-space, have often been used to bowdlerize, in war or conquest games, the staging of competition between nations, countries or races, leading paradoxically both to an euphemization and an essentialization of these conflicts. There has been recently some understanding of this, but it has so far led mostly to vain and surrealistic debates about racial prejudices in AD&D. The real and serious issue is not racism against orcs and dark elves, it is that, in our fantasy worlds, social, national or ethnic groups are systematically essentialized. We’re still waiting for some serious historical analysis of this bizarre trend.

Of course, the essentialization is even clearer when these groups become animal species. Humanoid characters with lion, eagle, beaver or cat features are often just a lighter way to represent Europeans, Asians and Africans (in ancient settings), or Americans, Russians and Chinese (in modern settings). Even when there’s only one ethnic group represented, and when cats really enjoy eating fish, my Miaui, gorgeously illustrated by Paul Mafayon, is a good example of this.

A few days ago, Bruno Cathala and I were discussing a possible new edition Mission Red Planet. We agree on getting rid of the Steampunk setting, which was absent from our prototype. We first thought of cold war style universe, a rivalry between world powers, Russia, USA? Europe, China, but we didn’t want to deal with this seriously, and it was difficult to make it really lightly. We’re now thinking of a big corporation setting, Jeff Bezos vs Elon Musk. Cats and dogs could also do the trick, in a much lighter way.

Anthropomorphic animals are not always a cute or lazy substitute for individual humans or for social groups. They can be used in a positive, conscious, humorous and self-distant context. The best example is Cole Wehrle’s Root, a complex and ambitious game inspired by contemporary geopolitical issues. The use of animal species allows for a lighter, even discreet, political discourse, which would have been harder to sustain in a realistic geopolitical setting. It also makes more difficult to criticize this or that point, depending on one’s political allegiances. And, most of all, it’s cute and fun.

Of course, it’s possible to get the best of both worlds, science-fiction or fantasy and anthropomorphism, to superpose two layers of objectivation, or just because it’s even more fun, or just because the artist wants to draw a big cat. I even recently bought a game with anthropomorphic dragons, Manny Vega’s Flamecraft.

Remakes

I fooled around on the Boardgamegeek looking for games in which, for a new edition, humans were replaced by anthropomorphic animals. I found a few interesting ones, including one of mine, Democrazy, changed in Animocrazy in the new Chinese version. I’m curious of others, so please email me if you know more. Air, Land and Sea, a card game with very realistic art about the 2nd world war, has become the much lighter looking Critters at War, without a single change in the rules. Hibachi is a remake of Safranito;  the cooks moved from India to Japan and have become cats, foxes and monkeys. In the new Libertalia, pirates are lions, horses, foxes, monkeys, but no one really knows why. Things are more subtle and conscious in My Little Scythe, a new version of Scythe, in a which the action moves from a post-apocalyptic Europe to a cartoony world. Apples replace starts as victory points, but the game is only slightly simpler than the original one, and it’s childish look must not be taken at face value. How Quo Vadis became Zoo Vadis, without completely removing the Roman Senate reference is explained and justified by the publisher in a very interesting diary on the boardgamegeek.

This even happens to abstract games, like Splits which became Battle Sheep, but to be fair, abstract hames with an animal setting are nothing new. Hive is more than twenty years old, The Jungle game is more than a hundred years old, Bagh Chal and Fox and Geese more than a thousand.

The opposite is exceptional, and I’ve found only one occurence. The cute cats from Kittys, a clever japanese card game, have become standard gangsters in the French, and probably in the US edition. It’s a shame since it deprives the game of most of its charm.

Games inpired by fables are also interesting. In the first editions of David Parlett’s Hare and Tortoise, the two protagonists were drawn realistically. In the most recent versions of the game, as well as in Gary Kim’s game based on the same story, they are anthopomorphised and the race looks like human sport..

So, what should we think about all these green, spiritual, natural and animal games. I’m not yet bored of the good old fantasy, history or science-fiction settings, but I understand publishers and designers looking for something more actual. I personally like both cats and dogs, I’ve nothing against forest spirits, but I regret that they tend to have less humor than dwarves and dragons, and to be largely immune from self-mockery.

It was hard to find a game about killing trees, but it’s a good one.

Serge Laget

J’ai connu Serge Laget dans les années quatre-vingt, à Lyon. Son premier jeu, Le Gang des Traction, conçu avec Alain Munoz, venait de sortir, tout comme mon premier jeu, Baston, conçu avec Pierre Cléquin. Pendant près de quarante ans, nous nous sommes assez régulièrement retrouvés pour travailler ensemble, d’abord pour Castel, puis pour Mystère à l’Abbaye, puis pour Ad Astra, Kheops et Argo. J’étais monté à Paris peu après qu’il était decendu dans le Sud, et nous voyions moins depuis quelques années. Nous continuions à nous voir lors de rencontres ludiques en tous genres, et à discuter par mail des projets de réédition en route pour Mystère à l’Abbaye, Ad Astra et Castel, mais je ne savais même pas qu’il était sérieusement malade. J’ignorais qu’il était sérieusement malade, et sa mort a été une surprise.
Serge était gentil, attentif et discret. Ne sachant pas trop quoi dire de plus, je poste juste quelques photos où on le voit jouer à pas mal de jeux. Il y a ses prototypes, ceux des amis et quelques jeux publiés – surtout des trucs assez costauds, on ne se refait pas.



I first met Serge Laget in the eighties, in Lyon. His first game, Le Gang des raction, designed with Alain Munos, was just out. So was also my first published design, Baston, designed with the late Pierre Cléquin. For almost forty years, we occasionally worked together, first on Castle, then on Mystery of the Abbey, then on Ad Astra, Kheops and Argo. I moved to Paris soon after he moved near Avignon, and we didn’t meet that often these last years. We were still meeting at gatherings and game fairs, and discussing via email about the new editions in the pipe for Mystery of the Abbey, Ad Astra and Castle. I did not know he was that seriously ill, and his death was a surprise.

Serge was a nice guy, mindful, attentive and discreet. I’ve little more to sau, so I will just ost a few pictures where he plays boardgames. He plays his prototypes, friends’ prototypes and some published games – mostly heavy stuff, each to his own.

Mes jeux épuisés éventuellement disponibles pour une réédition
My out of print games available for a possible new edition

Un éditeur que je ne nommerai pas m’a récemment raconté une histoire amusante au sujet d’un auteur que je ne nommerai pas non plus, au catalogue de jeux bien plus fourni que le mien. Lorsque cet auteur présente ses prototypes aux éditeurs, il refuse de préciser lesquels sont des créations nouvelles et lesquels des jeux anciens, déjà publiés, dont les les droits lui sont revenus. On peut juger cela un peu mesquin, mais on peut aussi y voir une certaine logique, un souci de s’assurer que chaque jeu est bien jugé pour lui-même, indépendamment des circonstances. 

Mon catalogue plus modeste ne me permet pas de jouer à ce petit jeu. Je ne cherche pas nécessairement à faire rééditer toutes mes créations de ces quarante dernières années. Certaines ont mal vieilli et décevraient même ceux qui en ont un bon souvenir, mais d’autres, me semble-t-il, mériteraient une nouvelle vie, parfois avec un nouveau thème, parfois avec des règles mises au goût du jour, souvent avec de nouvelles illustrations.

D’excellents jeux ont pu manquer une première occasion et en saisir une deuxième. La première édition de Diamant, chez Schmidt, ne fut pas un grand succès, mais le jeu ressorti ensuite chez deux éditeurs différents, Iello en Europe et Gryphon games dans le reste du monde, est depuis devenu un classique dont les ventes ne baissent pas. Les deuxièmes éditions de Mystère à l’Abbaye et Mission: Planète Rouge se sont, elles aussi, mieux vendues que les premières. 

Voici donc, à l’attention des éditeurs qui passent sur ce blog, quelques-unes de mes plus ou moins anciennes créations qu’il ne me semblerait pas idiot de rééditer. Si vous voulez en discuter plus avant, envoyez-moi un mail à faidutti@gmail.com – avec le nom du jeu dans le sujet, cela simplifie la gestion de mon courrier, merci !

Tonari est une adaptation d’un vieux jeu abstrait d’Alex Randolph, Veleno. Ma version n’est pas bien vieille, puisqu’elle a été publiée en 2019. L’édition en était très réussie, et le jeu a été bien reçu, mais il est mort-né lorsque son éditeur, IDW Games, a peu après décidé d’arrêter complètement les jeux de société. 

C’est un peu la même histoire qui est arrivée à Kamasutra, un jeu d’ambiance un peu loufoque qui avait pas mal fait parler de lui à sa sortie, mais n’a jamais été très bien distribué et ne s’est vraiment bien vendu qu’au Japon. Vice Games n’existe plus, et j’aimerais bien que ce jeu revienne, toujours avec les mignonnes illustrations de David Cochard.

Junggle est un ensemble de petits jeux de cartes conçus avec mon amie Anja Wrede, tous basés sur le principe de l’éléphant qui fait peur au lion qui fait peur au tigre, etc, jusqu’à la petite souris qui fait peur à l’éléphant. Si ce jeu retrouve un éditeur, Anja est volontaire pour faire elle-même les illustrations.

De tous les petits jeux de cartes que j’ai créés, Waka Tanka reste sans doute mon préféré. Je suis convaincu que, avec un autre thème – peut-être les sorcières – cette variation amusante sur le bon vieux principe du jeu du menteur pourrait connaître un grand succès, et je regrette vraiment qu’elle soit passée inaperçue. Une nouvelle édition est prévue en Amérique du Sud, mais les droits pour le reste du monde sont disponibles.

La première édition d’ Attila a peut-être pâti d’un look un peu trop enfantin pour ce qui est, au fond, un petit jeu de stratégie abstrait, rapide et pas trop prise de tête. Je verrais bien une édition plus sobre, avec des cavaliers d’échecs comme pions.

Le Collier de la Reine et Mission: Planète Rouge, conçus avec Bruno Cathala, ont tous deux rencontré un certain succès. Ils ont connu chacun deux éditions différentes, mais ne sont plus disponibles aujourd’hui. De temps à autre, des éditeurs nous ont parlé vaguement de nouvelles versions, mais rien n’a encore été fait. 

Isla Dorada était sans doute l’un de mes projets les plus ambitieux. Il a eu bon accueil critique mais est passé relativement inaperçu à sa sortie. Ce n’est que quelques années plus tard qu’il a commencé à être remarqué. Il se revend aujourd’hui très cher sur les sites de vente en ligne, ce qui est plutôt bon signe.

Double Agent conçu avec Ludovic Maublanc. C’est un petit jeu de double guessing pour deux joueurs, de la même famille que les excellents Schotten Totten ou Hanamikoji. Si ces jeux se vendent bien, le nôtre doit pouvoir se vendre aussi !

Pony Express, conçu avec Antoine Bauza, est un curieux mais très rigolo mélange de jeu de parcours, jeu de bluff et jeu d’adresse. Les dés de Poker Dice y servent en effet à avancer, à jouer au poker, et à tirer sur les indiens et les cow boys adverses.

Bongo est un petit jeu de dés sans le moindre hasard, puisqu’il ne s’agit que d’observation et de rapidité pour déduire des dés qui viennent d’être lancés quel animal a été vu dans la savane. Il a connu plusieurs éditions en Allemagne, et en Pologne, jamais en France ou aux Etats-Unis. 

Silk Road, conçu avec Ted Cheatham est paru en 2006. Je reste assez fier de ce petit jeu de commerce, d’enchères et de programmation, assez méchant, publié dans une boite trop grande et sans doute un peu tristounette. Il faudrait remettre un peu les mécanismes au goût du jour, mais la base est bonne et, si quelqu’un est intéressé, je suis prêt à me pencher à nouveau dessus.

China Moon est le plus ancien des jeux cités ici, puisqu’il est paru en 1996, mais je trouve qu’il n’a pas mal vieilli. C’est un petit jeu de course familial mais taquin, dont je suis sûr qu’il surprendrait encore aujourd’hui.  

Si le jeu auquel vous pensiez n’est pas dans cette liste, c’est sans doute parce qu’une nouvelle édition est déjà dans les tuyaux, peut-être chez un éditeur étranger qui serait intéressé pour travailler avec vous sur une localisation. Il y a des projets en cours, plus ou moins certains, plus ou moins avancés, pour Castel, l’Or des Dragons, Toc Toc Toc, Formula E, Lost Temple et Mystère à l’Abbaye, certains avec des éditeurs exotiques – c’est à dire ni francophones, ni anglophones – qui peuvent être intéressés par des propositions de localisations. Parlez m’en, et je vous mettrai en contact avec eux.


A publisher whom I shall not name recently told me a fun story about a famous game designer, whom I shall not name either, with a much larger catalog than mine. When this designer presents prototypes to publishers, he declines to say which ones are brand new designs and which ones are older games whose publishing rights reverted to him. It might sound a bit petty, but there’s a sound logic there, a will to have every game judged in itself, no matter the circumstances.

My catalog is too limited to play such a little game, but I sometimes wish I could. I don’t want all my older and out of print designs to be republished. Some didn’t age well and would disappoint even the players who remember them fondly. Others, though, might deserve a second chance, or a second life, for some with a new setting, or with updated rules, or just with new art.

Contrary to the general opinion, boardgames can sometimes be more successful in their second incarnation than in the first one. The first edition of Diamant, by Schmidt, didn’t sell that well and was soon discontinued; when the game was republished later, by Iello in Europe and by Gryphon games in the rest of the world, it became a hit whose sales are still very strong. To a lesser extent, the second editions of Mystery of the Abbey and Mission: Red Planet also sold much better than the first ones. 

Here comes, for any interested publisher who happens to read this blog, a list of out of print games, some only a few years old, some much older, which I think would deserve a new edition. If you want to discuss one of them, just email me at faidutti@gmail.com – with the name of the game in the subject field, it really helps me with managing my emails !

Tonari is a reworking of an older abstract design by Alex Randolph, Veleno. My version is not that old, since it was published only in 2019. The edition looked really nice, and was well received, but the game was dead in the water since its publisher, IDW, decided very soon afterwards to quit the boardgame market.  

A similar story happened to Kamasutra, a zany and provocative party game which was much discussed when it came out, but was never really well distributed and whose only solid sales have been in Japan. The publisher, Vice Games, doesn’t exist any more, and I really would like to see it back in shops, with the cute original art by David Cochard. 

Junggle is a set of several light card games designed with my friend Anja Wrede, using the same deck and based on the same idea, the elephant frightens the lion, the lion frightens the tiger, etc, but of course the small mouse frightens the elephant. If we find a new publisher, Anja can make the art. 

Waka Tanka is still my favorite of all the light card games I have designed. I am convinced that with a different theme, this clever variation on the old Nosey Neighbor principle can be a hit. A new edition is scheduled in South America, but the rights for the rest of the world are available. 

Attila ’s first edition might have suffered from its childish look, which didn’t fit this fast, light abstract strategy game. A new edition should probably have a more sober look, with chess knights as pawns. 

Queen’s Necklace and Mission: Red Planet, both designed with Bruno Cathala, have been relatively successful. Both have already had two different versions, but are now out of print. From time to time, publishers suggest they could be interested in redoing them, but nothing has happened yet. 

Isla Dorada was probably my most ambitious game design. It got good reviews and ratings, but went nevertheless under radar when it was published. I am regularly asked if I still have extra copies for sale – I don’t – and it sells at very expensive prices on online shops. A good sign.

Double Agent, designed with Ludovic Maublanc, is a simple but tricky two player double guessing game, in the same style as Schotten Totten or Hanamikoji. These games sell, so this one can.

Pony Express, designed with avec Antoine Bauza, is a tongue in cheek mix of racing game, bluffing game and dexterity game. Poker dice are indeed used to move, to play poker, and to shoot Indians and opponent cowboys. Believe me, it’s fun.

Bongo is a light and simple dice game, but a dice game with no luck. It’s all about observation, deduction and fast reaction to guess what animal has been spotted in the savannah. It has had several editions in Germany and Poland, but none in France or the US. 

Silk Road, designed with Ted Cheatham, was published in 2006. I’m still proud of this simple and relatively aggressive game of trade, bidding and programming. It was published in a large empty box, with bland graphics, and went totally unnoticed. The mechanisms certainly need some updating, but if someone is interested, I’m ready to work on it.

China Moon, originally published in 1996, is the oldest game in this list, but I think it aged well. It’s light and fast paced racing game, with lots of opportunities to block and hinder opponents. I’m sure it would still feel original today.

If the game you were thinking of is not in this list, it might be because a new edition is already in the pipe, may be by a foreign publisher who would be interested in a localization offer. There are such projects, in various states of advancement and certainty, for Castle, Dragons’ Gold, Knock Knock!, Formula E, Lost Temple and Mystery of the Abbey, some of them with exotic publishers who might be interested in localization proposals. Just email me, and I’ll put you in contact.

IAs, illustration et création de jeux de société
AIs, boardgame illustration and boardgame design

Ces dernières semaines, l’un des sujets les plus discutés dans le cadre de mes deux métiers, l’enseignement et le jeu, a été l’émergence, certes attendue mais plus précoce et plus rapide que prévue, des intelligences artificielles. S’ils peuvent encore plus ou moins repérer les devoirs rédigés par ChatGPT, les profs devinent que cela ne va pas durer et qu’il va falloir adapter d’abord nos procédés d’évaluation pour contrer les tricheurs, et assez rapidement le contenu des enseignements pour le rendre plus utile dans un monde ou les capacités de synthèse et de réflexion des machines sont en passe de dépasser les nôtres – en gros, moins de maths, de langues, de littérature et d’économie, et plus de bricolage, de mécanique, de cuisine et de couture. Côté jeu, ce sont surtout les illustrateurs qui s’inquiètent de perdre leur boulot, remplacés par Midjourney et ses potes, mais je pense que les auteurs de jeux comme moi devraient aussi commencer à se poser des questions. Ce blog étant plus destiné aux joueurs qu’à mes élèves et collègues enseignants, c’est de l’impact des IAs sur le monde du jeu, et des réactions possibles, que je vais surtout discuter ici.

L’arrivée brutale sur le web – enfin, sur Discord – de Midjourney, il y a un peu plus d’un mois, a suscité, dans l’ordre, la curiosité, la surprise, l’émerveillement puis l’inquiétude et, parfois, la révolte. Pour analyser correctement les impacts possibles d’une telle technologie, il faut certes certes être un peu sociologue et historien, ce que je suis, mais surtout spécialiste du cerveau de l’homme et de celui des ordinateurs, domaines où je suis totalement incompétent. Malgré ou à cause de cette double incompétence, il me semble pourtant que les commentaires lus ici et là proviennent soit d’artistes qui ne réalisent pas vraiment ce que font les ordinateurs, voire le disqualifient par principe, soit de geeks qui ne voient que la performance technique de ces logiciels, effectivement impressionante, en ignorant plus ou moins délibérément les dimensions sociales et humaines.

Sci Fi boardgame cover, by Midjourney

Tout le monde, donc tous les auteurs de jeu, tous les illustrateurs, tous les éditeurs, a fait joujou avec Midjourney, parfois aussi avec Stable Diffusion. Ces outils sont d’une puissance effrayante, du moins pour qui parvient à les apprivoiser car je semble être assez mauvais à ce petit jeu, qui demande peut-être un apprentissage pour lequel je ne suis guère motivé. Les éditeurs se sont pris à rêver de jeux aux illustrations vite faites et quasi-gratuites, les auteurs à de jolis prototypes et les dessinateurs ont commencé à cauchemarder. L’inquiétude est particulièrement forte chez les illustrateurs de jeux car l’un des principaux arguments imaginés par les artistes qui veulent se rassurer est que les images artificielles seraient destinées à rester sans âme, sans émotion, sans intention. Ces caractéristiques essentielles dans bien des domaines n’ont en effet jamais été exigées dans le jeu de société, où l’art ne cherche qu’à être illustratif.

Je crains malheureusement que même cet argument soit un peu vain, et que tous les artistes graphiques soient à relativement court terme menacés, pour beaucoup dans leur métier, pour tous dans la manière dont ils l’exercent. La question est en effet moins de savoir jusqu’où l’ordinateur peut imiter l’humain, que de savoir dans quelle mesure nous fonctionnons différemment des intelligences artificielles, nous sommes capables de faire des choses qui leur resteront étrangères. Comme je l’ai dit, je ne suis spécialiste ni du cerveau humain, ni du raisonnement des machines, mais je ne suis pas sûr que la différence soit si grande et que les émotions les plus subtiles restent longtemps hors de portée des logiciels de dessin – quiconque a regardé un coucher de soleil sur une plage sait qu’il n’est nul besoin de ressentir une émotion pour la transmettre. Côté texte, ChatGTP commence à faire de l’humour, même s’il manque encore de subtilité dans ce domaine.

Quoi qu’il en soit, même si les illustrateurs de jeux ne sont sans doute pas les seuls menacés, ils sont parmi les premiers sur la liste. La réaction néo-luddiste à laquelle on assiste sur les réseaux sociaux, les artistes demandant aux éditeurs de les rejoindre dans un refus d’avoir recours à des IAs « malhonnêtes » parce qu’elles travailleraient à partir d’une base de données d’œuvres existantes et pour beaucoup juridiquement protégées, me semble mal fondée, vaine, et sans doute contreproductive. Mal fondée parce que, du moins pour la plupart d’entre eux, les artistes humains ne fonctionnent pas différemment, s’inspirant de tout ce qu’ils ont vu, voire étudié, et ne font pas toujours plus original que les IAs. Vaine parce que si, à qualité équivalente, l’art artificiel est moins cher que l’art humain, il finira nécessairement par emporter la plus grande part du marché, les créateurs humains ne jouant plus qu’un rôle marginal, comme cela a été le cas dans le textile. Les artistes, j’en connais aussi, qui s’interrogent sur leur future complémentarité avec l’ordinateur, ou sur les marchés de niche qui resteront protégés, auront plus de chances de s’en sortir. Si les tisserands ont quasiment disparu, les traducteurs sont toujours là, certes moins nombreux qu’il y a quinze ans, et travaillent avec les machines car personne ne paie plus cher pour avoir une traduction authentique intégralement faite à la main. Et ne me dites pas que la traduction est une tâche purement technique, elle est bien souvent aussi littéraire que la simple écriture.

L’arrivée de Midjourney et ChatGPT m’a pris, comme tout le monde ou presque, par surprise. Bien peu semblent avoir anticipé le pourtant inévitable progrès des IA, et leur capacité à faire des tâches créatives de plus en plus complexes. À ce rythme, je ne serais pas étonné que, d’ici quelques années, voire seulement quelques mois, Midjourney nous peigne des Picasso et des Rembrandt de bonne tenue, et ChatGPT écrive des inédits de Shakespeare et de Dostoievski parfaitement crédibles. Ces IA sont pour l’instant spécialisées, mais les prochaines générations seront polyvalentes, et donc capables de s’attaquer aux domaines des touche-à-tout créatifs que sont, par exemple, les auteurs de jeu. J’espère avoir tort, mais si je devais parier sur quand les IAs seront capables de concevoir entièrement un jeu de société qui soutienne la comparaison avec ceux des auteurs professionnels comme moi, je dirais, au doigt mouillé, d’ici 1 ou 2 ans. Les machines seront aussi bientôt capables d’écrire un article comme celui-ci, plus fouillé, avec plus de références et moins de fautes de frappe.

Nous avons longtemps cru le travail artistique et intellectuel protégé d’un progrès technique qui n’aurait affecté que les tâches manuelles et répétitives. Dans le futur rêvé de mon enfance, celui des trente glorieuses, les robots construisaient les bâtiments, travaillaient en usine à la chaîne, s’occupaient parfois du nettoyage, mais il ne serait venu à l’idée de personne qu’ils peindraient bientôt des tableaux et écriraient des poèmes. C’est  l’inverse qui se produit, et comme ce que l’on ne sait pas ou mal automatiser est aussi ce qui reste le plus cher, nous pourrions aller vers un monde où les plombiers, les livreurs et les femmes de ménage seront mieux payés que les artistes et les ingénieurs – ou à tout le moins aussi bien, ce qui ne serait pas nécessairement un mal. Malheureusement, la logique du capitalisme fait que l’alignement a plus de chances de se faire vers le bas. Il va falloir s’adapter – avec mes deux mains gauches, je suis mal barré.

En contrepoint à ces inquiétudes, on croise parfois aussi sur les réseaux sociaux, en particulier dans les milieux geeks, une vision plus optimiste de l’avenir que nous préparent les machines. Les intelligences artificielles seront peut-être capables de résoudre les problèmes écologiques et sociaux générés par l’intelligence, et surtout la connerie, humaine, mais ces problèmes ont peu à voir avec l’art. Si les robots s’occupent du travail manuel, et les ordinateurs du travail intellectuel, cela nous laisserait aussi plus de temps pour le sexe, la drogue, le rock’n roll et les jeux de société. Depuis Aristote impressionné par les progrès de l’agriculture antique, cette prédiction a déjà été faite quelques dizaines de fois, ce qui la rend peu crédible. Surtout, c’est négliger que les activités intellectuelles créatives, qu’il s’agisse de musique, de peinture, d’écriture ou de création de jeux, sont rarement vécues comme des travaux pénibles. La véritable peur des artistes n’est pas de perdre leurs droits d’auteur, c’est de perdre leur plaisir d’auteur. Si recourir aux machines pour échapper à des tâches pénibles est une bonne chose que nous semblons avoir plus de mal que prévu à faire, les voir prendre en charge les activités créatives en est une autre, plus problématique. Je n’irai pas plus loin ici sur les conséquences sociales de ces évolutions, qui dépendront grandement du contexte politique, lequel ne me semble pas nécessairement des plus favorables aux travailleurs.

J’espère un peu me tromper en estimant que les intelligences artificielles vont bientôt, au moins dans les domaines artistiques, produire des résultats aussi créatifs que ceux des artistes de chair et d’os, et indifférenciables de ces derniers. Quand bien même je me tromperais, je suis néanmoins convaincu que vouloir arrêter les IAs, ou se réfugier dans un petit monde où l’on ferait comme si elles n’existaient pas, est totalement vain – sans doute l’adjectif que j’ai le plus utilisé dans cet article – et ne bénéficiera donc à personne.

Comme tous les journalistes ayant récemment écrit sur les IAs, j’ai demandé son opinion à ChatGPT, mais contrairement à la plupart, j’ai choisi d’attendre d’avoir terminé de rédiger la mienne. Sa première réponse lorsque je lui demandé « quels seront les effets des IAs sur la création et l’illustration de jeux de société? » était centrée sur le contenu des jeux, point intéressant mais que je n’ai pas vraiment abordé dans mon article. Je je lui ai donc ensuite demandé « quels seront les effets des IAs sur le travail et l’emploi des auteurs et des illustrateurs de jeux de société ? ».  Ses prévisions, que voici, sont plus mesurées que les miennes, ce qui est logique puisqu’elles sont fondées sur une sorte de moyenne des opinions exprimées jusqu’à la fin 2021 sur le sujet – mais l’ordinateur nous conseille quand même d’être formés et préparés !

Il est difficile de prédire exactement comment l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pourrait affecter le travail et l’emploi des auteurs et illustrateurs de jeux de société. Cependant, il est possible que l’IA puisse être utilisée pour automatiser certaines tâches de création de jeux de société, comme la génération de concepts de jeu ou la création d’illustrations de base. Cela pourrait entraîner une réduction de la demande de travailleurs humains pour ces tâches précises, mais il est important de noter que l’IA ne peut pas remplacer complètement l’ingéniosité et la créativité humaines.
Il est possible que l’IA puisse également être utilisée pour améliorer le travail des auteurs et illustrateurs en leur fournissant des outils et des ressources pour faciliter leur travail. Par exemple, l’IA pourrait être utilisée pour générer des idées de jeux ou pour aider à la création de illustrations de haute qualité.
Il est important de noter que, comme pour tous les domaines professionnels, l’utilisation de l’IA dans la création de jeux de société pourrait entraîner des changements dans les emplois et les carrières des auteurs et illustrateurs. Il est important de continuer à surveiller de près l’évolution de l’utilisation de l’IA dans ce domaine et de s’assurer que les travailleurs concernés sont formés et préparés à ces changements potentiels


These last weeks, one of the hottest discussion topics at my two jobs, teaching and game designing, has been the much faster than expected emergence of artificial intelligence. Teachers still can more or less spot the student assignments made with ChatGPT, but we know it won’t last. We will have first, and very fast, to adapt the way we evaluate the students performances to prevent cheating. Then we must think of a new curriculum which will be more useful in a world where machines’ synthesis and reflexion abilities outsmart ours – probably less maths, languages, literature and economics and more handiwork, mechanics, cooking and sewing. In the boardgaming business, illustrators are already afraid of losing their jobs to Midjourney and its pals, but I think boardgame designers like me should also start to consider the future differently. Since this blog is more often read by boardgamers than by my students and fellow teachers, I will mostly discuss below the possible effects of the new AIs on the boardgaming world, and our possible reactions. 

The sudden arrival of Midjourney on the web – well, on Discord – , more or less a month ago, has generated first curiosity, then surprise, wonder, concern and, sometimes, revolt. To correctly analyze the possible effects of such a technology, one should of course be a bit of a historian and sociologist, which I am, but also a specialist in neuroscience and computer science, two domains in which I am largely incompetent.  Despite, or because of, this double ineptitude, it seems to me that most of the comments I’ve read these last weeks  come from artists who don’t really understand what computers are doing, or disqualify it on principle, or from geeks who see only the impressive technical performance and ignore, more or less deliberately, its human and social implications.

Fantasy family boardgame cover, by Midjourney

Everyone, including every boardgame designer, every boardgame illustrator, every boardgame publisher, has started toying with Midjourney, sometimes with Stable Diffusion. These tools are indeed impressively powerful, at least for those who easily learn how to use them, because I seem to be very bad at prompting and didn’t get anything really convincing. Anyway, publishers started to dream of nearly free and always delivered in time illustrations, designers of nice-looking prototypes, and illustrators got nightmares.

Game illustrators are among the most concerned because the main wishful thinking argument imagined by artists trying to reassure themselves is that artificial images are and will stay soulless, unable to convey intention or emotion. All this has never been required in boardgame art, which is usually purely illustrative. 
I’m afraid that even this argument is vain, and most graphic artists are threatened in a relatively short term, if not in their very job, at least in the way they do it. The question is not how far computers can imitate men, it is whether our brains work really differently from theirs, whether we will keep being able to do things that will stay alien to them. As I have said, I’m not a specialist of human or computer brains and reasoning, but I’m not sure differences are that deep, and I’m not sure conveying subtle emotions will long stay out of graphic AI’s range. Anyone who ever looked at a sunset on the beach knows that one doesn’t need to feel an emotion to convey it. ChatGPT, the text generating AI, is starting to show some humor, even if it’s not very subtle yet.  

Anyway, even if boardgame illustrators are not the only one whose jobs are at stake, they are on the frontline. The reaction of most of my artist friends on social networks has been to ask publishers to restrain from using « dishonnest » AIs who use existing and often legally protected works in their database. This neo-luddism is ill-founded, vain and may be even counter-productive. It is ill founded because, for most of them, human artists don’t work very differently; they get their inspiration from existing art that they have seen and even sometimes studied, and never create in a cultural limbo. It is vain because, if artificial art is as good and cheaper than human one, it will inevitably get the biggest market share, as it happened despite Ludd in the textile industry. Other artists who are wondering about their future complementarity with AIs, or trying to find niche markets that will remain protected, have better odds of getting by. Weavers have almost disappeared, translators are still there, though fewer than fifteen years ago, and work with computers because no one is going to pay a higher price for an authentic hand made translation.  

The emergence of Midjourney and ChatGPT took nearly everyone by surprise. We didn’t foresee the inevitable progress of AIs and, most of all, their ability to do ever more complex creative works. At this pace, I won’t be surprise if in a few years, if not a few months, Midjourney paints rather good Picassos and Rembrandts while ChatGPT writes perfectly credible Shakespeare plays and Dostoievsky novels. Online AIs are so far specialized, but the next generation will be more versatile and able to deal with the work of creative dabblers such as, for example, game designers. I hope I’m wrong, but my bet is that in one or two years such AIs will be able to design a complete boardgame as good as those created by a professional designer like me. Soon they will also be able to write an article like this one, with more references and examples, better spelling and better grammar. 

We have long believed that artistic and intellectual jobs would never be threatened by technical progress and automatization, which could only replacing mundane manual tasks. In my youth, in the sixties, we were dreaming of a world in which robots would construct buildings, work at assembly lines, sometimes clean houses, but no one imagined they would someday draw paintings and write poetry. The reverse is happening, and since what we cannot have machines do for you is usually what’s well paid, we might be entering a world in which plumbers, delivery drivers and housemaids will be better paid than artists and engineers – or at least paid the same, not necessarily a bad thing. Unfortunately, due to the capitalist inner logic, downward changes are more likely than upward ones. Intellectuals will have to adapt; with two left hands, I’ve a feeling I’m not gonna make it.

Contrasting with these worries, one can also read here and there on social networks, especially from hardcore geeks, a more optimistic take on our future life with the machines. Artificial intelligences might be able to solve social and ecological problems created by human intelligences, and even more by human stupidity, but these have little to do with art and creation. If robots take care of manual labor and computers of intellectual tasks, this should leave us more time for sex, drugs, rock’n roll and boardgames. Since Aristotle, who was impressed by the technical progress in ancient agriculture, this prediction has been made several dozens of time, and there’s no reason to believe it will be more accurate this time. This also neglects a very important point : unlike most of the physical tasks executed by machines and robots, creative and intellectual activities are mostly pleasurable. The real issue for most artists is not author’s rights, it’s author’s fun. Having machines taking over mundane and painful tasks can be a good thing, but seems to be more difficult than we expected. Having them take over creative activities is another one, more problematic. I won’t go further about the social impact of these changes. It will strongly depend on the political context, which doesn’t seem to be very favorable to workers, even intellectual ones.

As I said above, I don’t know much about neuroscience or computer science. I might be wrong, and I hope I’m wrong, in thinking that artificial intelligence will soon do creative works as good as that of flesh and blood humans, and impossible to differentiate from it. Even if I’m wrong, however, I’m sure that trying to stop AIs, or to take refuge in a small world from which they are banned, won’t profit anyone. « Vain » is probably the adjective I’ve used the most frequently in this blogpost.

Like all the journalists who recently wrote about AIs, I have asked ChatGPT for its opinion. When asked « what will be the effects of AIs on the design and illustration of boardgames », its answer was mostly dealing with the content of games, an interesting point but not the one I have discussed here. I rewrote my question as « what will be the effects of AIs on the work and jobs of boardgame designers and illustrators? ». His predictions are less violent than mine, which didn’t surprise me since they are based on the average opinion on the issue expressed until the end of 2021. It nevertheless advises us to be « trained and prepared ».  

It is difficult to predict exactly how the use of artificial intelligence (AI) will impact the work and jobs of board game designers and illustrators. However, it is possible that AI could be used to automate certain tasks related to board game creation, such as generating game concepts or creating basic illustrations. This could lead to a reduced demand for human workers for these specific tasks, but it is important to note that AI cannot completely replace human ingenuity and creativity.
It is possible that AI could also be used to enhance the work of board game designers and illustrators by providing them with tools and resources to facilitate their work. For example, AI could be used to generate game ideas or help create high-quality illustrations.
It is important to note that, as with all professions, the use of AI in board game creation may lead to changes in the jobs and careers of designers and illustrators. It is important to continue to closely monitor the evolution of AI in this field and ensure that affected workers are trained and prepared for these potential changes.

Luis Bruêh, Night Parade of a Hundred Yokais

Je pense avoir acheté tous les jeux de Luis Brueh, ou du moins toutes les grosses boîtes, car il a peut-être fait des petits jeux de cartes dont je ne sais rien. Il y a à cela une raison très simple, je suis jaloux. Je ne rêve même pas de pouvoir un jour illustrer moi même l’une de mes créations. Même après quelques heures de discussion avec Midjourney, je suis bien incapable de me représenter, et plus encore de dessiner, les images que je voudrais voir accompagner l’un de mes jeux. Parfois, comme avec les illustrations d’Andrew Bosley pour Mission : Planète Rouge, de David Cochard pour Kamasutra, ou plus récemment d’Andrew Hartman pour Trollfest, j’ai la chance de trouver un artiste qui donne très précisément sinon vie, du moins forme et couleur à ce que j’imaginais. Ce n’est pas si fréquent, et j’aimerais tant pouvoir le faire moi-même.
Certes, Luis Brueh n’est pas le seul auteur à souvent illustrer lui-même ses créations – il y a aussi Ryan Laukat, Dominique Ehrhard, ou mon amie Anja Wrede, mais les jeux de Luis sont un peu dans le style des miens, et ont juste les illustrations que j’aimerais souvent voir aussi dans les miens. Mais bon, jusqu’ici, ces jeux n’avaient pas eu beaucoup de succès dans mon entourage. J’avais bien aimé Dwar7s Winter et Dwar7s Spring, mais les amis avec qui j’y ai joué, amateurs de jeux de deckbuilding plus costauds et sans doute plus variés, étaient moins enthousiastes. Après une première sortie, les jolies boîtes colorées sont restées sur mes étagères.

J’ai insisté et tendu à mes amis joueurs un guet-apens. Je viens de les faire jouer à Night Parade of a Hundred Yokais, et cette fois, je crois que tout le monde a adoré. D’ailleurs, après une première partie, on en a fait une seconde pour essayer d’autres factions, ce qui n’est guère dans nos habitudes. Et ce jeu là ne va certainement pas moisir sur mes étagères.
Bref, si vous pouvez vous procurer, si possible avec au moins l’extension Moonlight Whispers, ce jeu malin, original, rythmé et diablement bien illustré et édité, ne laissez pas passer l’occasion. C’est un plaisir à regarder et à jouer.
Night Parade est un jeu d’Engine Building, dans lequel chaque joueur se construit trois petites séries de cartes démons, les yokais, dont il peut enchaîner les effets pour prendre le contrôle des îles. Les différents clans sont très thématiques, les ratons laveurs embrouillent, les chats se déplacent vite, les ours bastonnent, les tortues se planquent sous leur carapace, les grenouilles sont assez fortes en invocation de créatures diaboliques. Il se passe plein de trucs, mais les rangées de cartes bien visibles et l’iconographie limpide font que l’on sait toujours où l’on en est, ce qui n’est pas toujours le cas dans les gros jeux publiés ces dernières années. Bref, je recommande vivement.
Je suis passé il y a quelques semaines dans les locaux de Iello, à Nancy, et j’ai vu quelques autres jeux de Luis Bruêh qui trainaient sur une table, peut-être le signe qu’ils vont sortir en français – je dis ça comme ça, je n’ai pas d’info particulière, ce serait chouette si ce post emportait la décision ?


I’ve probably bought all the games designed by Luis Bruêh, or at least all the big boxes, since he might have published a few small card games I’m not aware of. There is a simple reason to this – I am jealous. I don’t even dream of being able one day to draw the art for one of my designs. Even after hours of talk with Midjourney, I’m totally unable to draw, let alone to imagine, the art I would like to see on my games. Sometimes, like it happened with Andrew Bosley’s art for Mission: Red Planet, with David Cochard’s art for Kamasutra, or more recently with Andrew Hartman’s art for Trollfest, I have been lucky enough to see an artist give shape and color, if not life, to what I was imagining. It’s not always the case, and I deeply regret that I can’t do it myself.
Luis Bruêh is not the only boardgame designer who draws his own art. I can think of Ryan Laukat, of Dominique Ehrhard, or of my good friend Anja Wrede, but Luis’s games are more or less in my style, and have just the art I would love to see in mine. Unfortunately, so far, these games had not been that successful with my gaming friends. I enjoyed
Dwar7s Winter and Dwar7s Spring, but my fellow gamers more acquainted with heavier and more varied deckbuilding games were less enthusiastic. We had fun playing them once, but the boxes then stayed on my shelves.

I insisted, and lured my friends in a trap. We just played Night Parade of a Hundred Yokais, and this time everyone loved the game. After a first game, we played a second one to try the other clans, something we don’t do that often now. An this game won’t stay gathering dust on my shelves.
So, if you have an opportunity to get this game, if possible with the Moonlight Whispers expansion, just buy it. It’s clever, original, fast paced and gorgeously illustrated. It’s a pleasure to look at, and a pleasure to play.
Night parade is an Engine Building game, in which every player builds three lines, or parades, or Japanese demon cards, the yokais. Every round, each player uses the abilities of one line of yokais, in order, to take control of the islands. The different clans in the game are really different and thematic : the raccoons intrigue, the cats move fast, the bears fight, the turtles hide under their shell and the frogs are really good at magical invocations. There’s lots of things going on, but thanks to the nice art and clear iconography, it’s easy to keep track, something relatively unusual in recent games. I highly recommend Night Parade of a Hundred Yokais.

Tric Trac, c’est fini
Tric Trac, the end

Je suis sans doute l’un des rares « acteurs du monde ludique » encore en activité à avoir connu l’internet ludique d’avant Tric Trac, celui d’Ankou, et d’avant le Boardgamegeek, celui du Gaming Dumpster. Ça nous fait pas jeunes, comme on dit.
Tric Trac est appru il y a une vingtaine d’années. C’est peu dire que je n’appréciais guère le fondateur et webmaster “historique” de Tric Trac, qui me le rendait bien. Du coup, on n’y parlait guère de moi et je n’y mettais pas les pieds, mais ce fut pendant longtemps le centre du petit monde webo-ludique francophone. Disons que le site sur fond vert et son webmaster avaient du caractère. Et puis Tric Trac s’est fait dépasser par d’autres sites, plus jeunes et peut-être aussi plus lisses et consensuels.

Depuis trois ou quatre ans, je ne sais plus bien, Tric Trac avait déménagé d’Orléans à Paris et me semblait pourtant renaître d’une manière très sympathique, moins provocatrice et plus réfléchie. Alors même que je regarde très peu de videos, leur préférant systématiquement les textes, je me reconnaissais assez dans la nouvelle formule du Tric-Trac show, des émissions un peu « magazine », où un sympathique mix de nouvelles têtes et de vieux mandarins discutaient calmement, prenant du recul sur l’actualité ludique, et portant sur le jeu un regard intelligent, voire un peu intello. Ce n’était sans doute pas la tendance, ils ont peut-être pris le monde du jeu pour ce qu’ils voulaient qu’il soit, et que j’aurais aimé qu’il soit.

Et donc, c’est fini. Je devine que l’audience n’était pas au rendez-vous d’un show un peu trop ambitieux, un peu trop réfléchi, et que Tric Trac perdait trop d’argent, ou plus exactement perdait de l’argent depuis trop longtemps, pour qu’Asmodée continue à le soutenir. Je mentirais en disant que je suis vraiment surpris, mais je pensais que cela durerait encore quelques années. J’espère juste que François, Guillaume, Julien, Pénélope, Tarsa, trouveront tous un bon boulot dans un milieu ludique francophone auquel leur culture et leur subtilité risquent de manquer.

L’annonce par l’équipe sur le site de Tric-Trac

Mon dernier passage au Tric Trac Show

I’m one of the few people in the game business who still remembers what the boardgaming internet looked like before Tric-Trac, mostly with Ankou, and before the Boardgamegeek, mostly with the Gaming Dumpster. yes, I’m and old gamer and game designer.

Tric Trac appeared more or less twenty years ago, and my relations with it have long been very tense. The long time webmaster of Tric Trac and I strongly disliked each other, so I was rarely mentionned on a site which I carefully avoided. This green background website was nevertheless, for quite long, the center of the small French gaming world. Well, at least the site and its boss had some personality. And then Tric Trac was overtaken by the competition, by younger, and may be also blander and more consensual websites.

For three or four years now, Tric Trac had moved from Orléans to Paris. I really enjoyed its new formula, less provocative and more thought out. While I rarely watch videos, and prefer written articles, I enjoyed the Tric Trac show, where a nice mix of old gaming pundits and newer figures were discussing calmly, taking a step back from the crazy gaming news, and looking at the galing world in an intelligent, sometimes even a bit intellectual, way. It probably didn’t fit that well with recent trends…. They have probably mistaken the gaming world for what they wanted it to be, and what I would also like it were.

Anyway, it’s over. I guess this too ambitious show didn’t reach a large enough audience and it was losing too much money, or rather was losing money for too long, for Asmodee to keep paying the bills. It would be a lie to say I am completely surprised, but I honestly thought it could stay a few years more. I only hope that François, Guillaume, Julien, Pénélope and Tarsa will all find a new and lasting in a French speaking gaming world which won’t be the same without their culture and subtlety.

French Touch

Je viens d’avoir une conversation avec un journaliste qui souhaitait écrire un article sur une French Touch dans la création actuelle de jeux de société. Je l’ai sans doute un peu déçu en affirmant que s’il existait aujourd’hui une spécificité française en matière de jeu de société, c’était peut-être dans l’édition, mais certainement pas dans la création.

Si quarante ans d’enseignement dans des endroits bien différents m’ont appris une chose, c’est que les « différences culturelles » n’existent pas vraiment, ou du moins sont absolument négligeables en comparaison des différences individuelles. On a toujours tendance à exagérer des spécificités culturelles qui, lorsqu’elles existent, ne sont guère que des différences assez superficielles de langage, de codes sociaux et de références littéraires, culinaires et musicales. Un peu de la même manière, mon travail d’historien m’a surtout montré que les hommes de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance ne pensaient pas bien différemment de nous.

Cette tendance à exagérer les différences est particulièrement absurde dans un domaine comme le jeu de société. Les jeux de société modernes sont en effet apparus assez récemment. C’est pourquoi, contrairement à ce qu’il se passe en littérature, en musique ou en peinture, les auteurs de jeux français, américains, japonais ou autres ont très exactement les mêmes références, Catan, Magic, Les Aventuriers du rail, tout ça. Parler de spécificités nationales en littérature ou en peinture a encore un certain sens, même si je pense que l’on en rajoute, mais cela n’en a plus aucun en matière de jeu de société.
Mon style n’a, me semble-t-il, pas grand chose de commun avec celui de Bruno Cathala ou de Roberto Fraga, et serait sans doute plus proche de celui d’Alan Moon, de Seiji Kanai ou de Hisashi Hayashi. Et je ne vois absolument rien de commun entre les créations de Bruno et de Roberto, qui m’ont été cités comme deux éminents représentants de cette French Touch. Le monde de la création ludique est d’ailleurs très internationalisé, tout s’y fait en anglais, et j’ai côtoyé avec plaisir des auteurs allemands, italiens, grecs, américains, canadiens, brésiliens, coréens, iraniens, japonais, scandinaves, russes, polonais et autres, sans jamais avoir l’impression de me trouver face à une culture ludique différente de la mienne – ou en tout cas pas plus souvent qu’avec des auteurs français.
En matière de création, la French Touch n’est donc qu’un argument commercial, que je trouve personnellement peu convaincant.

La spécificité, s’il y en a une, n’est pas du côté de la création, mais de celui du business et de l’édition, et l’explication relève plus du coup de bol que de la culture. Il se trouve que Asmodée est la grande success story de l’édition du jeu de société moderne, et que ce qui était une petite boite de passionnés de jeux de rôles, comme il y en avait à la même époque dans bien des pays, est devenu une grande multinationale du jeu de société, avec des centaines de filiales dans le monde entier. Par facilité, son expansion s’est faite plus rapidement en France que dans les autres pays, et surtout s’y est plus porté sur le côté créatif, éditorial, et moins sur l’aspect commercial. Toute une série d’éditeurs plus modestes se sont lancés dans la foulée d’Asmodée, rêvant de et souvent parvenant à être rachetés par le démon du jeu, ou plus récemment par Hachette qui semble vouloir l’imiter. Du coup, il est en effet devenu plus facile pour les auteurs français de rencontrer des éditeurs et de faire publier leurs créations. Cela a créé quelques vocations, mais ne fait en rien des auteurs de jeux français une catégorie culturellement à part.



Je sais que l’expression de French Touch est beaucoup utilisé dans le jeu video, mais elle y désigne une réalité qui relève à la fois de la création et de l’édition, les deux y étant beaucoup plus fortement imbriqués que dans le jeu de société. Il faudrait pour avoir l’équivalent dans le jeu de société que se crée un véritable bouillon de culture entre auteurs voisins à la fois géographiquement et intellectuellement. Ce n’est pas encore arrivé et dans le jeu comme dans bien d’autres domaines culturels, je pense que l’on gagne plutôt à tout mélanger. Je suis français, je suis un auteur de jeu, je ne suis pas un « auteur de jeu français » parce que cette catégorie ne signifie rien.


I just had a phone conversation with a journalist who is writing about a French Touch in boardgame design. He felt a bit disappointed when I answered that if there was something specifically French today in boardgames, it had more to do with publishing than with design.

Forty years of teaching in various places have taught me one thing, that “cultural differences” don’t really exist, or are extremely marginal when compared with individual differences. We always tend to exaggerate cultural specificities which are little more than differences in language, social codes and literary, culinary or musical references. Similarly, my research as a historian convinced me that people form the late Middle Ages and the Renaissance didn’t think very differently from us.

This exaggeration of differences is particularly absurd when discussing boardgames. Modern boardgames are a very recent thing. Therefore, unlike what happens with literature, music or graphic art, French, American Japanese and other boardgame designers have the exact same references – Catan, Magic the Gathering, Ticket to Ride and all that stuff. Talking of national styles in literature or painting still makes sense, even when I think we usually overdo them, but it doesn’t make any sense when discussing boardgames.
My own design style has little in common with that of Bruno Cathala or Roberto Fraga, and is probably more similar with that of Alan Moon, Seiji Kanai or Hisashi Hayashi – and I don’t see the slightest thing in common between Roberto’s and Bruno’s designs. The boardgame design little world is very international, everything happens in English, and I’ve met publishers from dozens of countries such as Italy, USA, Canada, Brasil, Korea, Iran, Japan, Russia, Poland, Greece, Baltic and Scandinavian countries, without ever having the feeling that these people had a different gaming culture than mine – or not more often than with French designers.
The
French Touch in boardgame design seems to me to be only a marketing argument, and not a very convincing one.

If there is a French specificity with boardgames, it has to do with business, not design, and more with sheer luck than with culture. Asmodee happens to be the big success story of the boardgaming business. What was originally a small role playing publishing company founded by a few friends has become a big multinational company with hundreds of subsidiaries in the whole world. Its development started in France where, for practical reasons, it focused more on creation and development and less on distribution. Smaller companies followed suit, often with the more or less secret goal of being bought by Asmodee, or more recently by Hachette who is trying to follow suit. All this has made easier for French boardgame designer to meet publishers and have their creations published. It might have generated a few vocations, but it doesn’t make French designers a culturally specific category.

The expression French Touch comes from the video game industry, where it refers both to design and publishing, which are much more interwoven than in the boardgaming world. To have the same thing with boardgames, we would need a real cluster effect between designers both intellectually and geographically similar. It has not happened yet and, with boardgames like with many other cultural domains, I think it’s more rewarding to mix everything. I’m French, I’m a game designer, but I don’t like being called a “French game designer”, a category which doesn’t mean anything.

Diplôme de Citadelles
Citadels graduation diploma

Célia Guin est une jeune illustratrice qui, pour son diplôme de fin d’études, a revisité Citadelles dans un style crayonné plein de charme. Cela ne sortira jamais, mais ça donnera peut-être à certains l’envie de l’embaucher pour illustrer un autre jeu. En tout cas, j’ai trouvé lidée très sympathique.


Celia Guin is a young artist. As a graduation diploma job, she revisited my Citadels. This will never get in print, but may be you can hire her o make the art for some other upcoming game… Anyway, I like it !

Etourvy 1995

Un grand merci à Hervé qui a retrouvé dans un coin de son disque dur cette video du troisième épisode des rencontres ludopathiques, en 1995 où l’on voit quelques personnes que j’ai un peu perdues de vue – Nadine, Scarlett, Laure, Pierre, Anne (charmante avec son chapeau), Arno, Isabelle, Jean-Yves, Mireille, Sabine, Tristan, Nadine et quelques autres, et surtout Pierre qui nous manque beaucoup. Côté jeux, on voit Cambio, Ave Cesar, Il était une fois, Condottiere, Meurtre à l’Abbaye, Credo, Tribalance, Taboo, dictionnaire, Pusher, Intrigues à Venise, et quelques trucs que je ne reconnais même plus. Cela n’a pas tellement changé, mais j’avais plus de cheveuex. Et on fumait plus.

Many thanks to Hervé for this video of the third ludopathic gathering in Etourvy, in 1995, with a few friends I have not seen for years – Nadine, Scarlett, Laure, Pierre, Anne (really pretty with her hat), Arno, Jean-Yves, Isabelle, Mireille, Sabine, Tristan, Nadine and, most of all, Pierre whom I really miss. As for games, I’ve spotted The Pit, Ave Caesar, One upon a Time, Condottiere, Murder at the Abbey, Credo, Tribalance, Taboo, Dictionary, Pusher, Incognito and a few things I don’t really remember. It didn’t change that much – but I had more hair. And we were all smoking.