De retour du petit et très sympathique salon du jeu de Taipei, le Taiwan Original Boardgame Expo, je vais avoir un peu de temps pour rédiger dans l’avion un petit compte rendu. Les tensions internationales ont en effet un peu allongé les voyages vers et depuis l’Asie, et j’ai bêtement laissé mes pilules magiques pour dormir dans ma valise en soute.
Taipei sous la pluie, depuis la montagne de l’éléphant. Taipei in the rain, viewed from the elephant mountain.
Je n’étais jamais allé à Taiwan, mais n’ai été qu’à demi dépaysé. Je m’y suis en effet senti un peu dans le même univers qu’en Corée ou au Japon. Bien que la période, en pleine saison de pluies, se prête assez peu au tourisme, j’ai quand même pris un peu de temps pour me promener, sous des trombes d’eau et dans une chaleur étouffante, dans une ville pleine de vie, où se côtoient dans un certain désordre les styles et les époques.
Un soir où il ne pleuvait pas…. One night without rain.
J’ai aussi pu vérifier que l’on mangeait très bien à Taiwan, ce dont je me doutais un peu puisque c’est avec une prof taiwanaise que j’avais, il y a une dizaine d’années, pris quelques cours de cuisine chinoise. Je n’irai cependant pas aussi loin que mes amis japonais qui assurent que c’est le seul endroit où l’on mange mieux qu’au Japon.
Le salon, organisé par une petite équipe locale de passionnés, ressemble un peu à ce qu’étaient il y a encore quelques année les game markets japonais – je ne suis jamais allé à celui de Tokyo mais ai participé deux fois à celui d’Osaka – avant leur succès international. Différence importante cependant, alors que les participants aux salons japonais, ou au moins de celui d’Osaka, étaient pour la très grande majorité d’entre eux japonais, ou parfois coréens, ceux du salon de Taipei viennent de toute l’Asie orientale.
Au restaurant avec mes prototypes et l’équipe de Swan Panasia Restaurant with the Swan Panasia team, and my prototypes.
Il y avait là des éditeurs et des auteurs de Taiwan, mais, au moins aussi nombreux, d’autres venus de Singapour, de Hong Kong, du Vietnam, de Thaïlande, de Malaisie, et j’en oublie sans doute. Il y avait bien sûr aussi beaucoup d’exposants japonais que, pour nombre d’entre eux, je connaissais déjà un peu. Tout ce petit monde m’a semblé partager plus de complicité que ce n’est le cas en Europe, peut-être parce que les marchés asiatiques, à l’exception de la Corée et du Japon, restent modestes. Le TOBE m’a semblé un peu un salon panasiatique, impression encore renforcée par l’absence presque totale des éditeurs ou auteurs européens et américains.
Le stand du sympathique éditeur vietnamien Ngũ Hành Games. Je voulais acheter Hoi Pho, un jeu de cartes personnages très mouvementé que j’avais joué et apprécié à Cannes, mais il n’y en avait plus. Je suis donc raparti avec leurs deux autres jeux. The booth of a nice Vietnamese publisher, Ngũ Hành Games. I wanted a copy of Hoi Pho, a chaotic character cards game I had played and enjoyed in Cannes, but it’s out of print, so I bought their two other games.
Cela faisait un peu de moi la vedette, et les stands sur lesquels on m’a offert un jeu lorsque je passais ont été assez nombreux. Comme, chaque fois que cela se produisait, je me sentais alors obligé d’en acheter un autre, je rentre avec une grosse valise de petites boîtes, dont je ne suis pas tout à fait certain qu’elles contiennent toutes des règles en anglais. Des petites boites parce que n’ayant qu’une valise, j’ai évité de m’encombrer de grosses, mais aussi parce que les éditeurs asiatiques privilégient clairement les jeux relativement simples et rapides présentés dans un petit format – le minimalisme n’est pas seulement japonais.
Démo de Diamant sur le stand de Swan Panasia. Demoing Diamant on the Swan Panasia booth..
Les grosses boites de jeux encombrées de cubes en bois et de figurines ne sont visiblement ici qu’un marché de niche, et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Il m’a semblé aussi que les jeux des auteurs locaux étaient plus interactifs, avec une bonne dose de bluff et d’agressivité, qui se sont fait plutôt rares chez nous ces dernières années. Côté thème, pas trop d’arbres et d’animaux sauvages, c’est plutôt le commerce, la mythologie, et plus étonnament, la cuisine qui semblent à la mode. J’avais bien sûr apporté mes prototypes, et il n’est pas impossible que l’un ou l’autre d’entre eux se retrouve bientôt, comme cela a déjà été le cas pour Venture Angels après mon passage en Corée, et pour Whale to Look au Japon, publié d’abord en Asie.
Anthony Pérone, auteur français vivant à Taipei, me fait essayer son dernier jeu, l’excellent et oxymorique Lone Wolves, qui pour l’instant n’est sorti qu’ici, mais ça changera surtout après le Seal of Excellence de Dice Tower. Anthony Perone, a French game designer living in Taipei, made meply his next game, the excellent and oxymoric Lone Wolves. It’s only available in Taiwan at the moment, but this is likely to change after a Dice Tower seal of excellence.
Un grand merci à tous ceux qui m’ont aidé à organiser ce chouette séjour dans un pays dont on parle pas assez – Yoyo et Wen-Chi Lee de Swan Panasia, Smoox, le chef d’orchestre du salon, et Anthony Pérone, auteur et développeur de jeu talentueux. Et maintenant, il faut que je prépare Essen….
Sachant quelle part importante a le transport aérien dans les causes du réchauffement climatique, j’ai toujours assez mauvaise conscience en prenant l’avion. Bien sûr, je me rassure en me disant que le vol partira quoi qu’il en soit, que toutes les places soient occupées ou non, mais cet argument, n’étant pas généralisable, est un peu sophistique. Je me dis surtout que la solution n’est pas individuelle mais collective. Elle suppose sans doute l’interdiction des vols privés et la disparition des business et premières classes, pour caser le plus de monde possible dans chaque vol, l’interdiction des vols à petite distance pouvant être remplacés par le train, et une très forte taxation des autres vols. Je n’ai malheureusement pas l’impression que l’on aille dans cette direction.
Back from the small and nice Taipei boardgame fair, the Taiwan Original Boardgame Expo, I will have some time in the plane to write a short report. International tensions have indeed made travels to and from Asia a bit longer, and I stupidly left in my suitcase the magic pills I usually take to sleep a few extra hours.
Taipei la nuit Taipei by night.
I had never before been to Taiwan, but was not really disorientated. It felt to me a bit like Korea and Japan. The raining season is not the best time for tourism, but I nevertheless took some time to walk through this lively city, where styles and times seem to collide everywhere in a complete disorder, under torrents of rain and in a suffocating warmth.
Un labyrinthe de petites rues. A labyrinth of small street.
Having taken, ten years ago, a few Chinese cooking lectures with a Taiwanese teacher, I suspected that the local food was great, and it indeed was, though I won’t go as far as some of my Japanese friends who tell that it’s the only place where food tastes better than in Japan.
The game fair is organized by a small team of dedicated gamers and feels a bit like the Japanese game markets a few years ago, before they became a world boardgaming sensation – I’ve never been to the Tokyo game market, but I’ve twice attended the Osaka one. There is a big difference, though. While most of the attendees at the Japanese game markets, or at least at the Osaka one, were Japanese and sometimes Korean, there were in Taiwan publishers and designers from all East Asia.
L’excellent Hanamikoji, l’un de mes jeux à deux préférés, est, je crois, le seul jeu taiwanais à avoir rencontré un succès mondial. Playtesting with the Oink games team, who was only here for the beginning of the show.
There were exhibitors from Taiwan but there were more from Singapore, Hong Kong, Vietnam, Thailand, Malaysia or some other ones I forget or missed. There were of course also many Japanese, many of which I already more or less knew. All this little world seemed to be more casually friendly than their European counterparts, may be because the East-Asian markets are still, except for Japan and Korea, relatively marginal. The TOBE felt a bit like a Panasian game fair, where American and European designers and publishers were almost totally absent.
On m’a fait essayer un jeu de cartes sur le zodiaque chinois. I was asked to playtest a card game about the Chinese zodiac.
This made me a kind of local star, and many publishers gave me a game when I happened to pass by their booth. Since I usually felt bound to buy them another one afterwards, I’m coming back with a big luggage full of small game boxes, several of which might not even have English rules. Small boxes only because I have only one luggage and limited space, but also because East-Asian publishers seem to favor relatively fast and simple games in a small format – minimalism is not just a Japanese thing.
Discussions sur la création ludique animée par Anthony, avec des questions inattendues. Discussion about game design led by Anthony, with unexpected questions.
Big boxes filled to the rim with giant miniatures or wooden cubes seem to be only a very niche market here, and I won’t complain about it. As for settings, there were no games about planting trees and saving wild animals like we have here. The most popular settings seem to be trade, mythology and, more original, cooking. This is also very good. I had brought several prototypes, also small boxes, and it is therefore not impossible that, like it happened with Venture Angels after a Korean trip, and more recently with Whale to Look in Japan, one or the other will again be first published in Asia.
Les jeux que j’ai rapportés de Taipei. The games I brought back from Taipei.
Many thanks to all those who helped me organize this nice trip – Yoyo and Wen-Chi Lee from Swan Panasia, Smoox, the big organizer of the fair, and Anthony Perone, a talented game designer and developer. And now, let’s put things in order for Essen.
I know how important is the contribution of commercial aviation to global warming, and always feel a bit guilty when on a plane. Of course, I tell myself that the plane will depart anyway, even if some seats empty, but this argument cannot be generalized and is therefore a bit sophistic. Most of all, I think the solution, if there’s one, can only be a collective one. It probably means a global interdiction of private planes and the abolition of first and business class in order to cram as many people as possible in a single plane, the abolition of short distance flights which can be replaced by train, and a heavy taxation of all other flights. I’m not sure we’re moving in this direction.
Les « microgames », des jeux au matériel minimalistes, une vingtaine de cartes, parfois deux ou trois pions, vendus à un prix lui aussi très modeste, sont depuis assez longtemps à la mode au Japon, où le plus connu est sans doute Love Letter, de Seiji Kanai. S’ils existent depuis longtemps aussi en Europe en aux Etats-Unis, avec par exemple dans les années 1990 de petites perles comme Pico ou Flinke-Pinke, ils n’avaient pas jusqu’ici rencontré le même succès. Ils semblent depuis deux ou trois ans devenir à la mode, peut-être en réaction contre les kickstarters surproduits, surchargés de plastique et de règles. Le format initié par Button Shy, 18 cartes dans une pochette de carte bleue, s’avère particulièrement efficace. 18 cartes, c’est un tiers de 54, ce qui permet d’imprimer trois exemplaires du jeu sur une planche de jeu de cartes classique. Une pochette de carte bleue, c’est assez classe, on dirait vaguement du cuir. Cela donne des jeux à l’a présentation élégante qui peuvent pourtant être vendus pour un prix très modeste, moins de 10$ ou €.
Du coup, j’ai acheté toute la série des jeux Button Shy, avant de me rendre compte qu’un tiers d’entre eux étaient des jeux solo, auxquels je ne jouerai jamais parce que, seul, je préfère toujours prendre un livre. Heureusement, d’autres, notamment parmi les jeux à deux joueurs, sont excellents. J’ai notamment apprécié Avignon, Les Bons Contes ou Hiérarchie, mais il en reste de très nombreux auxquels je n’ai pas encore joué. D’autres éditeurs se lancent aussi dans ce format, à commencer par mes amis de Matagot, qui distribuent déjà en France les jeux de Button Shy. Ils ont débuté l’an dernier avec Western Legends Showdown, un jeu à deux dont Bruno Cathala dit beaucoup de bien, il va falloir que j’y joue. Ils publient aujourd’hui 6 Suspects.
je me suis donc lancé le défi de réaliser moi aussi quelques petits jeux dans ce format 18 cartes Sur les quatre que j’ai imaginé jusqu’ici, deux ont trouvé un éditeur mais ont vu leur nombre de cartes augmenter un peu pour être jouable à 3 ou 4 et non seulement à 2 comme mes premières versions. Ce sont Migo et Cocktails de fruits, tous les deux publiés par Ghost Dog. Un tel bricolage n’était pas nécessaire pour 6 Suspects, l’un des rares jeux de 18 cartes pouvant être joué sans changement de règle de 2 à 8 joueurs.
6 Suspects est un jeu d’observation, de déduction logique et de mémoire. Les cartes représentant les six suspects éponymes, Albert, Brigitte, Charles, Denise, Eric et Francine (l’action doit se passer en France dans les années 60 ou 70), sont alignées sur la table. Sous chacune d’entre elles sont placées deux cartes indice, faces cachées. Le suspect dont les deux cartes indice ont la valeur totale la plus élevée est le coupable, mais une bonne partie des cartes ont des effets spéciaux, se recopiant, s’annulant ou déplaçant d’autres cartes. Chacun à son tour regarde l’une des douze cartes indice, puis la remet en place. Lorsqu’un joueur pense connaître le coupable, les autres regardent encore une carte et, simultanément, tous les joueurs désignent l’un des suspects. On révèle alors tous les indices et, après quelques calculs, on voit qui avait raison.
Eric est coupable.
Si les règles sont simplissimes, le processus de déduction est parfois un peu tarabiscoté, et c’est là que réside l’intérêt d’un jeu qui encourage à la prise de risque. Pour devancer ses adversaires, il faut souvent déclencher la fin de partie avant d’être sûr de son fait, et du coup, il peut arriver que l’on se trompe.
Les illustrations décalées de Gjermund Bohne situent l’action dans le même univers qu’un gros jeu paru il y a deux ou trois ans chez Matagot, Bad Company, auquel il va aussi falloir que je joue un de ces jours.
6 Suspects Un jeu de Bruno Faidutti Illustré par Gjermund Bohne 2 à 8 joueurs – 10 minutes Publié par Matagot Boardgamegeek
Microgames, games with a minimalistic content, usually more or less twenty cards and sometimes two or three tokens, are relatively common in Japan, the best known being Seiji Kanai’s Love Letter. There has also been such cheap light games in Europe and in the US for a while, for example forgotten gems like Pico or Flinke Pinke in the nineties, but they didn’t have the same success so far. These last years, though, they are becoming more popular, may be as a reaction against overproduced kickstarters, overcharged with rules and plastic. The format introduced by Button Shy games, 18 cards in a credit card sleeve, seems to be especially efficient and successful. 18 cards is one third of 54, which means it’s possible to print three copies of a game on a standard 54 cards plate. Credit card sleeves also look vaguely like leather. This makes for elegant looking and cheap to produce games, usually sold for less than 10 $ or €.
As a result, I bought the whole Button Shy line, before noticing than a third of them are solo games which I will probably never play – when I’m alone, I find a book more challenging and entertaining than a game. Luckily, there are a few gems among the other ones, mostly two player games such as Wonder Tales, Avignon or Hierarchy, and there are still many I have not tried yet. Other publishers are starting to follow and publish games in this format, among them my friends at Matagot, who are already distributing Button Shy in France. They started with a two player game, Western Legends Showdown, which Bruno Cathala highly recommended to me but which I’ve not found an opportunity to play yet. They are now publishing my 6 Suspects.
Two years ago, I decided to give at designing games in this very specific format. I’ve designed four so far, but two have seen the number of cards increase so that they can accommodate more than two players. These are Migo and Fruit Cocktails, both published by a young French company, Ghost Dog. This was not necessary for 6 Suspects, which can be played from 2 to 8 players with the same 18 cards.
6 Suspects is an observation, deduction and memory whodunnit game. The six eponymous suspect cards, Albert, Brigitte, Charles, Denise and Francine (looks like it happened in France in the sixties) are placed in a row on the table. Under each suspect cards are dealt two face down clue cards. The suspect whose two clue cards have the highest total value is the culprit, but half of the cards have special effects, such as copying, cancelling or swapping other cards. Each player on turn secretly looks at a card and places it back face down. Once a player thinks they know the culprit, all other players can look at one more card and, simultaneously, every player designates the character they think did it. All clue cards are then revealed to determine the culprit.
This one is really tricky, but Brigitte and Denise did it together.
While the rules are extremely simple, the deduction process can be a bit convoluted due to the many special effect cards. This brings into the game some logical thinking, but also some risk taking. Even when you are not sure who did it, ending the game can be a good move if you think you have better odds than your rivals at finding the criminal. Of course, it doesn’t always work….
The six suspects were drawn by Gjermund Bohne, in the same style and universe as those of another Matagot game, Bad Company, which I also have to play one of these days.
6 Suspects A game by Bruno Faidutti Art by Gjermund Bohne 2 to 8 players – 10 minutes Published by Matagot Boardgamegeek
Jednorożce – les licornes en polonais- est une nouvelle édition de Attila, un petit jeu de stratégie pour deux joueurs, très simple et rapide, du genre que l’on penserait plutôt sorti du cerveau de l’autre Bruno, Bruno Cathala. Sur un plateau dont les cases disparaissent une à une, chacun à son tour fait bondir un pion à la manière d’un cavalier d’échecs, le but du jeu étant d’être le dernier à pouvoir se déplacer. J’avais écrit l’histoire de la conception de ce jeu en 2015, lors de la sortie de la première édition chez Blue Orange, je n’ai pas grand-chose à y ajouter.
Toutes les pièces se déplaçant comme le cavalier du jeu d’échecs, les thèmes possibles tournent tous autour de la même idée, cavalcade, tournoi. Curieusement, je n’avais pourtant pas pensé à faire des ces chevaux des licornes, c’est la petite équipe polonaise de Moduko qui me l’a proposé, et je pouvais difficilement refuser.
Moduko n’a en principe les droits sur ce jeu que pour la Pologne, mais si vous voulez publier ça ailleurs avec les jolis dessins de licornes dans les nuages de Tomasz Larek, contactez-moi, on peut certainement s’arranger.
Jednorożce Un jeu de Bruno Faidutti Illustré par Tomasz Larek 2 joueurs – 10 minutes Publié par Moduko (2024) Boardgamegeek
Jednorożce – Unicorns in Polish – is a new version of Attila, a light and fast paced two-player strategy game which probably feels a bit like it was designed by the other Bruno, Bruno Cathala. On a board whose spaces vanish one after the other, each player on turn moves a piece like a Chess knight, the goal being to be the last player able to make a move. You can read more details about the game’s idea in the design diary I wrote when the first edition was published, in 2015 – I have very little to add.
Since all pieces move like a Chess knight, all possible settings for his game have horses. Surprisingly, the idea of changing these horses into unicorns was not mine. It came from the small polish team at Moduko, but it’s the kind of offer I can’t refuse.
Theoretically, Moduko has only the Polish rights for this game, but if you want to publish it anywhere else with the cute unicorns in the clouds art by Tomasz Larek, just email me, I’m sure we can arrange something.
Jednorożce A game by Bruno Faidutti Art by Tomasz Larek 2 players – 10 minutes Published by Moduko (2024) Boardgamegeek
Le marché du jeu de société est un peu compliqué en ce moment. La demande continue certes à augmenter, mais l’offre a progressé plus vite encore. Les boutiques spécialisées sont de plus en plus, en particulier pour les grosses boîtes de jeu destiné à un public averti, concurrencées par les Kickstarter et autres Gamefound. Quelques grands groupes ont certes repris des maisons d’édition de taille moyenne pour en faire des « studios de création », mais des amateurs ont simultanément monté de nombreuses petites boites dont on ne sait parfois plus très bien à quel écosystème elles appartiennent. Face à une pléthore de nouveautés, les joueurs et même les boutiques qui ne peuvent tout caser sur leurs rayons doivent faire des choix. Devenus prudents, de plus en plus d’éditeurs hésitent à produire des jeux ambitieux qui risquent de ne pas trouver leur place sur un marché encombré. Lassés des lourds kickstarters aux figurines encombrantes et aux règles boursouflées, des joueurs reviennent vers des jeux moins prétentieux mais souvent plus efficaces, et dont le prix tout comme l’empreinte écologique sont plus modestes
Ce sont quelques raisons, il y en a d’autres, au grand retour des « microgames », des jeux aux règles simples, au matériel modeste, vendus dans de toutes petites boites. Le format « 18 cartes », facile à produire puisque l’on peut caser trois jeux sur une planche standard de 54 cartes, et que l’on peut vendre à bas prix présenté dans une pochette de cartes bancaires, semble particulièrement apprécié. Au début de l’année 2023, je me suis donc lancé le défi de réaliser quelques jeux dans ce format. Il en a résulté quatre projets, dont trois ont trouvé un éditeur. 6 Suspects, un jeu de déduction, sortira fin 2024 chez Matagot. J’ai signé chez Ghost Dog, jeune éditeur français, pour deux petits jeux de cartes ; Migo est le premier à paraître, le second, pour le titre duquel nous hésitions entre Fruit of the Doom, Fruit Salad et Fruit Cocktail est prévu pour la fin de l’année.
Soirée de test dans mon quartier, au bar à jeux Le Duchesse.
Deux éditeurs étaient intéressés par mon jeu de Yetis. J’ai préféré celui qui acceptait de conserver le thème d’origine, les abominables hommes des neiges attaquant des cordées d’alpinistes, à celui qui voulait les remplacer par des dragons. J’aime bien les dragons, mais j’ai déjà fait trop de jeux avec des reptiles et des pièces d’or, je n’en avais aucun avec des yetis et des bonnets de laine. Le format choisi autorisant une trentaine de cartes et quelques jetons, j’ai pu développer un peu le projet. Le prototype initial ne se jouait en effet qu’à deux joueurs, le jeu finalement publié fonctionne désormais aussi bien à trois, et presque aussi bien à quatre. Comme il y avait déjà pas mal de jeux s’appelant Yeti, le mien a été rebaptisé Migo, qui signifie Yeti en tibétain et est également le nom d’un personnage de jeune yeti dans le dessin animé Yeti et compagnie.
Les joueurs incarnent donc des abominables migos qui, pour embellir leurs grottes, collectionnent le matériel d’alpinisme – piolets, crampons, cordes et, surtout, bonnets de laine particulièrement décoratifs. Les yetis les plus respectés accrochent aussi à l’entrée de leurs grotte les drapeaux que les expéditions espéraient planter sur les sommets. Les bouteilles d’alcool, qui aident à supporter le froid hivernal, sont aussi une gâterie très appréciée.
Parfaitement insérés dans l’économie tibétaine, les migos entretiennent des relations amicales avec les communautés locales. Ils font même à l’occasion un peu de troc avec les sherpas, ceux-là même qui les avaient informés à l’avance du lieu et de l’heure d’arrivée des expéditions.
Première partie sur le jeu édité, aux rencontres ludopathiques d’Etourvy.
Comme il convient à ce genre de petit jeu de cartes, les règles sont très simples mais laissent pas mal de place à la tactique. Migo est un jeu de prise de cartes, ce que les américains appellent un jeu de draft, terme qui est généralement employé dans un sens plus restrictif par les joueurs francophones. Chaque yeti à son tour attaque (et sans doute dévore, mais il ne faut pas le dire si on joue avec des enfants) l’un des alpinistes en tête de cordée, et s’empare de son matériel. Cela rend les grimpeurs suivants, et leurs équipements, disponibles pour les joueurs suivants. Comme souvent, la contrainte initiale, ici le petit nombre de cartes, s’est avérée source d’inspiration pour les mécanismes du jeu. N’ayant qu’une vingtaine de cartes à ma disposition, j’ai en effet cherché à en utiliser à la fois le recto et le verso. Cela introduit beaucoup de variation dans les configurations initiales, certains équipements pouvant être plus rares que d’autres, et est à l’origine du mécanisme des sherpas, qui permettent de retourner une carte, souvent pour s’emparer d’une majorité.
J’ai eu récemment la chance d’avoir un jeu, le mignon Whale to Look, conçu avec Jun Sasaki, publié dans la très belle collection de petites boites au graphisme minimaliste de l’éditeur japonais Oink. Avec leur format très proche, les « feux follets » de Ghost Dog s’en inspirent clairement, et je leur souhaite le même succès – d’autant plus que j’ai un autre jeu à paraître cet automne dans la même série, dont on n’a pas encore décidé s’il s’appellerait Fruit of the Doom,Fruit Salad ou Fruit Cocktail.
Une partie de Fruit of the Doom – Fruit Sala – Fruit Cocktail avec Antoine, l’éditeur, à gauche.
Migo Un jeu de Bruno Faidutti Art by Maxime Morin 2 à 4 joueurs – 20 minutes Publié par Ghost Dog Games Boardgamegeek
Navigating the boardgame market has recently become a bit complex. Demand for new games is still growing, but supply, meaning the number of new games, is increasing even faster. Local game stores are facing a growing competition from Kickstarter and now Gamefound, especially for big, expensive (and therefore profitable) boxes. A few big publishers have taken over smaller one, often changing them into « creative studios », but even more newcomers have started new companies, about which we often know very little. Faced with a plethora of new games, gamers and even shops with limited shelf place must make choices.
Many publishers are becoming wary of producing ambitious games which might not find a place on an overcrowded market. Tired of heavy kickstarters with cumbersome miniatures and bloated rulesets, some players are back to less ambitious but often more efficient games, which also come at a much lower price and ecological footprint.
These are some of the reasons – there are a few other ones – for the comeback of « microgames », boardgames with simple rules and few components in a very small box. The trendy format is 18 cards which can be sold a very low price – one can fit three copies of the game on a standard poker game sheet, and it fits in a credit card wallet. In the first months of 2023, I decided to give it a trying challenged myself to design a few such games. I ended up with four prototypes, three of which have now found a publisher. 6 Suspects, a light deduction and memory game, will be published by Matagot in late 2024. I signed with Ghost Dog, a new small French publisher, for two games, and Migo is the first one to hit the shelves.The second one is due later this year, and we still hesitate on its title, Fruit of the Doom, Fruit Salad or Fruit Cocktail.
Soirée de test dans mon quartier, au bar à jeux Le Duchesse.
Two publishers sere interested my Yeti game. I chose the one who was ready to keep my yeti setting over the one who wanted to replace the snowmen with dragons. I love dragons, but I’ve already had too many published games featuring dragons and gold coins, I had none so far with yetis and woolen caps. The publisher’s format allowing for a few tokens and up to 25 cards, I developed the gameplay a bit. My initial prototype was only a two-player game, the final version is just as good with three, and almost as good with four. Since there are already a few games named Yeti, mine has been renamed Migo, which means Yeti in Tibetan and was the name of a young snowman in the Yeti & Co cartoon.
Players are yetis who decorate their caves with climbers equipment – ropes, crampons, pick axes, carabiniers and, most of all, cute colored woolen caps. They also hang flags at their front doors, which climbers intended to plant at the mountains summits. Vodka bottles are also a much appreciated treat, helping to deal with the cold climate of the Himalayas.
Migos are well integrated in the Tibetan economy, and have friendly relations with local communities. They even sometimes trade stolen equipment with the sherpas, the very same sherpas who had informed them on the coming expeditions in the first place.
First game with the printed game at the Etourvy Ludopathic Gathering.
The rules for Migo are very simple, but leave place for some tactical moves. Migo is a card drafting game. Each yeti on turn attacks (and probably devours, but you should not reveal it when playing with kids) one of the climbers in front of the arriving expeditions, stealing their equipment. This makes the climber just behind it available for the next players, and so on. As often happens, the initial constraint, in this case the small number of cards, ended up generating mechanical ideas. With a only about twenty cards available, I decided to use both sides. This makes for a great variety in the initial setups, some equipments being often much rarer than other ones. It also inspired the sherpa mechanism, flipping a card to the other side usually to steal a majority, which is probably my favorite feature in this game.
I recently had a game, Whale to Look, designed with Jun Sasaki, published in the cute small box series of the Japanese publisher Oink games. The Ghost Dog small box games are clearly inspired by the Oink line, and I hope they will achieve the same level of success – especially since I have another game coming next fall in the same series. We have not decided yet if it will be called Fruit of the Doom, Fruit Salad or Fruit Cocktail.
Playtesting Fruit Cocktail – Fruit Salad – Fruit of the Doom
Migo A game by Bruno Faidutti Illustré par Maxime Morin 2 to 4 players – 20 minutes Published by Ghost Dog Games Boardgamegeek
Anja Wrede est une sympathique autrice allemande avec laquelle, il y a une douzaine d’années, j’avais pas mal travaillé, sur des jeux le plus souvent peu ambitieux mais assez originaux.
Trois de nos collaborations, Fearz, Junggle! et Le Petit Poucet, ont déjà été publiées, mais Grabbit s’est fait attendre plus longtemps. Le jeu reprend un mécanisme que nous avions déjà utilisé dans le Petit Poucet, celui du sac dans lequel, à tâtons, les joueurs doivent reconnaitre des formes. Le sac est ici plus grand, puisque tous les joueurs le fouillent en même temps à la recherche des lettres permettant d’écrire leur nom – enfin, celui de l’animal figurant sur la carte qu’ils ont piochée. Le sac, bleu, représente le lac de Komantutapel, dont les eaux font perdre la mémoire. Les joueurs ne trouvent jamais toutes les lettres, il n’y en a pas suffisamment. Animots est donc un jeu coopératif, dans lequel il faut savoir s’arrêter au bon moment pour que, ensemble, les joueurs puissent parvenir, à partir de quelques lettres, à retrouver le nom de chacun.
Anja Wrede, right, playing the prototype in Etourvy.
Anja étant plutôt spécialisée dans les jeux pour enfants, domaine qui m’est assez étranger, nous avons voulu travailler ensemble sur des idées qui pourraient plaire aussi bien aux petits qu’aux grands. La reconnaissance tactile, comme la mémoire, est l’une de ces compétences que les plus jeunes maîtrisent aussi bien que les plus grands. Tous peuvent alors jouer ensemble avec intérêt sans que les grands n’aient à tricher pour laisser gagner les petits. Oui, je sais, les adultes sont meilleurs ensuite pour trouver les mots.
Notre premier prototype, Grabbit n’était pas un jeu coopératif. Les joueurs étaient des animaux, le sac contenait leur nourriture, et le but était d’être le premier à être parvenu à rassasier un certain nombre de bestioles. C’était très amusant, mais le prototype, qui avait beaucoup de succès auprès de mes testeurs adultes, était difficile à placer chez les éditeurs. C’était en effet un jeu pour adultes qui ressemblait à un jeu pour enfants. Ce sont les années de développement avec l’équipe de Space Cow qui ont apporté d’abord l’idée du passage aux lettres et aux nom d’animaux, puis la phase de devinette coopérative. Grabbit est alors devenu Animots, un jeu pour petits et grands.
Une carte du prototype
et une du jeu publié
Animots Un jeu de Anja Wrede et Bruno Faidutti Illustré par Emerson Santiago 2 à 6 joueurs – 20 minutes Publié par Space Cow Boardgamegeek
Anja Wrede is a nice German game designer with whom, a dozen years ago, I worked on a reins of lighter, unambitious but original games.
Three of our codesigns, Fearz, Junggle! and Lost in the Woods have already been published, but Grabbit took more time bot to find a publisher and to be fully developed. It is based on a mechanism we already used in Lost in the Woods, a bag in which players must feel around for pieces of different shapes. The bag in Animots is bigger, much bigger, since all players must be able to put their hands in it simultaneously, searching for the letters needed to write the name of the animal on the card they drew. The blue bag figures the lake of Whatsyourname, whose water make who drinks it to lose their memory. Since there is a limited number of every letter, players usually cannot find all the letters they need. Animots is a cooperative game in which one must sometimes decide to stop so that players can, all together, try reconstruct everyone’s name.
Anja (green sleeves on the right) playing the prototype in Etourvy.
Anja designs mostly children games, something I very rarely deal with, so we tried to design games which can be easily be played by adults and children together, while being interesting for everyone. Touch recognition, like memory, is one of these skills at which young kids are as good as adults. All can play together, without adults having to cheat to let children win. Well, yes, adults are then better at finding words.
The final game played in Etourvy.
Our first prototype, Grabbit, was not a cooperative game. Players already had animal cards, but in the bag was their food, and the goal was to be the first to feed a given number of animals. It was fun, but while the prototype was a hit with my adult playtesters, publishers were skeptical, claiming it was an adult game masquerading at a children one. It was during the years of development with the Space Cow team that the idea of replacing food with letters emerged, and then logically the cooperative guessing phase. That”s how Grabbit became Animiots, a game for everyone, old and young.
A card from the prototype
and a card from the final game
Animal Words A game by Anja Wrede & Bruno Faidutti Art by Emerson Santiago 2 -6 players – 20 minutes Published by Space Cow Boardgamegeek
Elephant Rally est une nouvelle version de Formula E, un jeu de course d’éléphants que j’avais conçu avec Sergio Halaban et André Zatz, les deux auteurs brésiliens de Sheriff of Nottingham et quelques autres jeux. C’est un jeu de parcours assez méchant, où il faut bien gérer sa main de cartes, un peu dans l’esprit d’Ave Cesar ou du Lièvre et la Tortue – un éléphant, c’est large et têtu et cela a vite fait de bloquer la route.
Voici ce que j’écrivais à propos du jeu lors de la sortie de la première version, en 2014 (l’article complet est ici) :
Assez régulièrement, je reçois des emails dans lesquels des auteurs de jeux connus ou inconnus me proposent de travailler avec eux sur un projet de jeu, souvent déjà assez avancé. Lorsqu’il y a des zombies ou quinze pages de règles, je réponds poliment que désolé, ce n’est pas mon style, mais bonne chance quand même. Dans les autres cas, je jette un coup d’œil avant, le plus souvent, de répondre poliment que, désolé, ça a l’air bien intéressant mais je n’ai vraiment pas le temps de me lancer dans un nouveau projet – mais bonne chance quand même. Et puis, une ou deux fois par an, quand aussi bien le sujet que les mécanismes m’amusent, quand j’ai le temps, et quand les auteurs ont l’air sympas, je réponds pourquoi pas. Début 2011, j’ai ainsi reçu une proposition d’André Zatz et Sergio Halaban, auteurs brésiliens de deux petits jeux de bluff que j’apprécie beaucoup, Hart an der Grenze et Sultan. Ils y présentaient Indian Derby, un jeu de course d’éléphant qu’ils avaient réalisé quelques années auparavant, qui avait manqué de peu être publié par plusieurs éditeurs, et auquel ils pensaient qu’un regard neuf pourrait apporter un plus. Le jeu m’a tout de suite plu. Le thème, une course d’éléphant, était original et amusant, et permettait d’introduire des mécanismes de poussée inhabituels dans les jeux de parcours. Le moteur du jeu, des cartes de déplacement et des cartes action, me convenait très bien. Bref, nous avons quelque peu discuté, et nous sommes penchés ensemble – via email, parce que le Brésil, c’est un peu loin – sur un jeu que je voulais rendre plus léger, plus rapide, plus méchant. Après avoir unifié le système de gestion des cartes action et mouvement, simplifié les bousculades, ajouté quelques actions thématiques et amusantes, nous nous retrouvâmes quelques mois plus tard avec un jeu de course tactique et très enlevé, un peu dans l’esprit d’Ave Cesar, des bousculades, mais aussi des vaches sacrées, des tapis volants, des tigres et des charmeurs de serpents.
Paru il y a maintenant 10 ans, en 2014, sans doute au mauvais moment et peut-être chez le mauvais éditeur, Formula E n’a été qu’un succès d’estime. L’édition était belle, a reçu de bonnes critiques, mais ne s’est guère vendue au delà du tirage initial via Kickstarter.
Dix ans plus tard, le jeu revient sous le nom d’Elephant Rally chez l’un des principaux éditeurs brésilien, Conclave Editora. La version a été astucieusement mise au goût du jour par l’équipe brésilienne, les quatre plateaux du jeu d’origine étant remplacés par un système de circuit modulable, permettant plus de variété avec moins de matériel. Elephant Rally n’est pour l’instant disponible qu’au Brésil, mais si quelqu’un veut le publier dans une autre langue, il n’y a que les règles à traduire et cela peut certainement s’arranger.
Elephant Rally Un jeu de Sergio Halaban, André Zatz et Bruno Faidutti Illustré par Marcelo Bastos 2 à 6 joueurs – 60 minutes Publié par Conclave Editora (2024) Boardgamegeek
Elephant Rally is a new version of Formula E, an elephant racing game I designed with Brazilian designers Sergio Halaban and Andre Zatz, now mostly known for Sheriff of Nottingham. It’s a card driven racing game with lots of opportunities to meddle with rivals plans, in the style of good old Hare and Tortoise or Ave Caesar. Elephants are large and stubborn, which means they can easily block the road.
Here’s what I wrote when the first edition was published, in 2014. You can read the full article here.
I regularly receive emails from both well known and completely unknown game designers asking me if I would like to work with them on some design, usually already well advanced. When it’s about zombies, or has fifteen or more pages of rules, I answer that I’m sorry, that’s not really my kind of game, but good luck anyway. In all other cases, I have a look and usually answer that I’m sorry, I’m already overbooked and wouldn’t find the time to start a new project, but good luck anyway. Once or twice every year, when both the setting and the game systems sound exciting, when I have time, and when the authors seem to be nice guys, I answer why not, let’s discuss the game. Early in 2011, I got an email from André Zatz and Sergio Halaban, the Brazilian authors of two light double-guessing games I really like, Hart and der Grenze and Sultan. The subject of their email, Indian Derby was an elephant racing game they had designed a few years ago, which had raised some interest from several publishers but ultimately hadn’t been selected for publication. They wanted to rework it, and were thinking that a fresh look by a designer who wasn’t involved in the original design, could help. I liked the game idea at once. The storyline, an Indian elephant race game, was new, and allowed for rules about pushing–something unusual in a racing game, and for fun thematic events. I had long wanted to design a card driven race game, so this was a good opportunity to jump in. We discussed the game and worked together via email–since Brazil is far from France–on new rules and events to make the game lighter, faster and nastier. We simplified the card management system and the jostling rules, we added some event cards, and we ended with a very dynamic and tactical racing game, in the style of Ave Caesar (one of my all-time favorites), but with lots of jostling and crushing, and also holy cows, flying carpets, snake charmers, monkeys and tigers.
Formula E was published 10 years ago, in 2014, probably at the wrong time by the wrong publisher. It was a critical success but didn’t really sell after the initial Kickstarter print run.
Ten years later, the game comes back as Elephant Rally, published by one of the main Brazilian boardgames publishers, Conclave Editora. The game has been cleverly updated by the Brazilian team, the four tracks being replaced with a modular track, allowing for more variety with fewer components. Elephant Rally is only available so far in Brazil, but if someone is interested in localizing it elsewhere, it should not be a problem. There’s no text on the cards, the only part needing a translation is the rules.
Elephant Rally A game by Sergio Halaban, André Zatz & Bruno Faidutti Art by Marcelo Bastos 2 to 6 players – 60 minutes Published by Conclave Editora (2024) Boardgamegeek
I didn’t get my designer copies yet, so this pictures witha cute silver elephant are taken from a brazilian boardgame group, nerdkreativa.
Daybreak designers Matt Leacock and Matteo Menapace during the 2024 SdJ award ceremony.
Le 21 juillet dernier s’est tenue à Berlin la cérémonie du Spiel des Jahres, le jeu de l’année allemand qui fut longtemps le seul prix ludique ayant un réel impact sur les ventes, et reste encore aujourd’hui, de très loin, le plus important et le plus discuté. Chaque année, l’attribution du « Spiel » et de ses variations, le « KennerSpiel » pour les jeux un peu complexes et le « KinderSpiel » pour ceux destinés à un public plus jeune, donne lieu dans le microcosme ludique à bien des spéculations puis, une fois que les lauréats sont connus, à quelques petites râleries de ceux qui n’apprécient pas tel ou tel jeu, tel ou tel style. Cette année, une polémique plus politique a entâché l’attribution du KennerSpiel.
Je suis généralement très circonspect quant à l’exploitation de thèmes politiques et sociaux trop prégnants et sérieux dans le jeu de société. Je m’en méfie parce que cela donne le plus souvent des jeux ennuyeux, ce qui ne semble pas être le cas de Daybreak, mais surtout parce que cela rompt avec la fonction sociale du jeu qui est de nous permettre de sortir du réel, de faire un break tout en restant en société. Je ne suis donc à priori pas trop attiré par Daybreak, de Matt Leacock et Matteo Menapace, un jeu où l’on décarbone la planète qui a obtenu le KennerSpiel. N’ y ayant pas encore joué, je ne suis cependant pas en position de développer sur ces points des opinions très argumentées.
Quoi qu’il en soit, préférer que les jeux eux-mêmes se tiennent à l’écart des grands enjeux contemporains, ou ne s’en préoccupent que de manière légère et distanciée, n’enlève rien au fait que les auteurs, les éditeurs, les illustrateurs, les imprimeurs, les joueurs, appartiennent à monde réel, hors du jeu. Les enjeux écologiques et politiques de la fabrication des jeux, par exemple, sont un sujet de plus en plus important, auquel, comme par hasard, on repense à chaque fois qu’une crise fait augmenter le coût des transports par container depuis la Chine. La guerre en Ukraine, intervenue au moment même où des jeux et des auteurs ukrainiens commençaient à gagner en popularité, en a été un autre exemple. La polémique de cette année en est une autre illustration.
Daybreak a donc quelques ambitions politiques, mais elles sont très consensuelles et ce ne sont pas d’elles qu’il est question ici. L’un des auteurs, Matteo Menapace, a arboré durant la cérémonie un badge extrêmement visible où le motif de la pastèque, utilisé par les Palestiniens car c’est une spécialité locale dont les couleurs sont aussi celle de leur drapeau, figurait sur une carte de la Palestine comprenant le territoire d’Israël. Considérant cela comme étant non pas une marque de soutien au peuple palestinien écrasé sous les bombes, mais bien un appel à la destruction d’Israël, donc à la violence, et une prise de position que l’on pouvait considérer comme antisémite, le jury du Spiel des Jahres a exclu Matteo Manapace de tous ses futurs événements. La réponse publique de Matteo Manapace, dans laquelle il fait mine de croire que le problème était le motif de la pastèque et non la forme de son badge, n’a guère fait avancer les choses. Il s’en est suivi, sur les réseaux sociaux, de longs dialogues de sourds.
Beaucoup ont fait remarquer, avec raison, que cette polémique révélait surtout la sensibilité extrême, et pour d’excellentes raisons, du public allemand dès qu’il est question des juifs et, par extension, d’Israël. Je ne sais pas très bien si Matteo Manapace est anglais, américain ou italien : son nom est italien, mais je suis bien placé pour savoir que cela ne veut rien dire, et il s’exprime sur les réseaux sociaux en excellent anglais. Quoi qu’il en soit, il aurait, par maladresse, négligé ce contexte particulier.
C’est bien sûr vrai, mais il me semble que cette différence de sensibilité est, en Europe au moins, autant générationnelle que géographique. Je ne suis pas allemand, mais ma réaction immédiate et spontanée en voyant les images de la cérémonie a été la même que celle du jury du Spiel des Jahres. Ma génération, qui a été élevée dans le souvenir de la guerre et a entendu des histoires de voisins disparus, voit avant tout dans Israël un état refuge pour les juifs rejetés d’un peu partout, ce qu’il est. Cela est vrai même pour quelqu’un qui, comme moi, a grandi dans un milieu familial très anticolonialiste où le héros politique numéro un était le colonel Nasser. Les plus jeunes, qui ont été élevés dans le souvenir des années soixante et de la décolonisation, voient avant tout dans Israël un état colonial, ce qu’il est tout autant. Personne n’a tort car tout le monde a raison.
Je digresse un peu, mais il me semble qu’une synthèse ne peut se faire qu’en acceptant que, historiquement, Israël est les deux, à la fois refuge et état colonial. Nous avons affaire, un peu comme dans le cas de l’Afrique du Sud avant 1994, à une colonie sans métropole, d’où les colons ne peuvent pas partir, et où le problème n’est donc pas de savoir qui doit rester mais comment organiser la cohabitation, si possible dans un état unique et commun pour éviter de recommencer à se taper dessus dans quelques années. Je n’ai pas l’impression que l’on soit bien parti pour cela, ni d’un côté, ni de l’autre.
Beaucoup, notamment dans la discussion sur ce sujet sur le forum du boardgamegeek, où la plupart des intervenants sont américains, semblent penser que le jury allemand du SdJ a surinterprêté le badge de Matteao Menapace, et que la décision de l’exclure de ses futurs événements a été excessive. Si c’est le cas, peut-être aurait-il été possible de s’entendre sur un communiqué commun, je ne sais pas du tout ce qui a été discuté. Néanmoins, je suis incapable de condamner une réaction qui, spontanément, aurait sans doute aussi été la mienne.
Une autre polémique plus discrète a entâché l’attribution des prix cette année, et je pensais originellement l’aborder également dans cet article. Après en avoir parlé avec les personnes concernées, qui souhaitent toutes calmer le jeu, j’ai décidé de n’en rien faire et ne m’exprimerait plus à ce sujet. Si vous savez de quoi il s’agit, je vous invite à faire de même.
Daybreak designers Matt Leacock and Matteo Menapace during the 2024 SdJ award ceremony.
The Spiel des Jahres award ceremony was held in Berlin on July 21st. The German game of the year award was for very long the only boardgame award with a measurable impact on sales and is still, by far, the most important and the most discussed. Every year, speculations rage first about who will get the Spiel and its variations, the “KennerSpiel” for complex games and the “KinderSpiel” for children ones. Once the result is known, there are also recriminations by those who dislike this or that game, or that style of game. This year, there was also a more serious polemic about the Kenner Spiel.
I am always very wary of games with a too serious and significant social or political setting. I am wary because most of them are boring games, which doesn’t seem to be the case with Daybreak, but also because it breaks with what I view as the main social function of games, giving us an opportunity to escape reality for a while, to take a break while still being in a friendly social context. I am therefore not much attracted to Daybreak but, having not played it yet, I cannot develop this argument in more details.
Anyway, even when I prefer games which stay away from actual global issues, or treat them in a light, distanced and humorous way, I know quite well, by experience, that game designers, publishers, graphic artists, printers and gamers belong to the real non-gaming world. As an example, the ecological stakes of the manufacturing games are becoming important, and are discussed again… every time the shipping costs from China increase due to some international crisis. The war in Ukraine, just when some Ukrainian games were starting to be really popular in Europe, is an other occasion to remind us that, even if games are part of our lives, we don’t live in the world of games. This year’s polemic is another striking example.
Daybreak has a political discourse, but a very consensual one, not polemical in any way, and it is not the issue. One of the designers, Matteo Menapace, wore during the award ceremony a flashy badge with a watermelon pattern, which is used as a symbol by Palestinians because this local treat has the same colors as their flag, on a map of Palestine including the state of Israel. The jury interpreted this not as a simple show of solidarity with Palestinians crushed with bombs, but as a statement in favor of the destruction of Israel, and therefore a call for violence which could be considered antisemitic. The Spiel Jury therefore decided to ban Matteo Menapace from all its future events. Matteo Menapace’s public answer, in which he failed to acknowledge that the issue was not the pattern but the shape of his badge, didn’t help. There has been since many arguments on social networks, most of them what we call in French “dialogue of the deaf”.
Many have rightly argued that this polemic was due to the extreme sensitivity of German public opinion to everything involving jews and, by extension, Israel. This is obviously true, and for very good reasons. I don’t know if Matteo Menapace is English, American or Italian. He has an Italian name, but I’m well placed to know this doesn’t mean anything, and talks in perfect English on social networks. Anyway, the idea is that ignoring this context was, if not plain wrong, at least extremely clumsy.
This is certainly true, but I think the difference in sensibility is, in Europe at least, as much a question of generation as of nationality. I am not a German, but my spontaneous first reaction when seeing Matteo Menapace’s badge on the images of the SdJ ceremony was the same as the jury’s one. My generation has been raised in the memory and recollection of WWII, with stories of disappearing neighbors. We therefore see Israel first and foremost as a safe haven for Jews rejected from everywhere – which it is. This is true even for someone like me, raised in a fiercely anticolonial family where one of the top political heroes was colonel Nasser. Younger people, raised in the memory of the sixties and the decolonization wars, see Israel, first and foremost, as a colonial state, which it is. No one is wrong because everyone is right.
Let’s digress a bit. I think the only possible synthesis is to accept that Israel is both, safe haven and colonial state. A bit like in South Africa before 1994, it is a colony without a homeland, from where colonists cannot leave. The true issue is, like it was in South Africa, not to determine who will stay but to find a way to organize cohabitation, if possible in a single state to avoid fighting again in a few years. Unfortunately, we don’t seem to be moving in this direction.
Many in the online discussion of the event, especially on the BGG where most contributors are from the US, seem to think that the SdJ jury decision to exclude Matteo Menapace from its events was excessive. May be it could have been possible to agree on some common statement, I don’t know what has been discussed. Anyway, I cannot condemn a reaction which, spontaneously, would also have been mine.
There has been another polemic about this year awards, which I originally also wanted to discuss here. After some discussion with the people involved, who all now want to cool things down, I’ve finally decided not to talk about it. If you also know what it is about, I urge you to do the same.
L’un de mes derniers jeux publié, Whale to Look, est sorti en 2023 chez Oink Games. Il est cosigné avec Jun Sasaki, qui est aussi le patron de ce petit éditeur japonais dont les petites boites colorées sont aisées à repérer dans les boutiques. J’ai toujours beaucoup aimé la gamme d’Oink Games, avec ses petits jeux souvent très originaux, aux règles et au graphisme minimaliste, et cela faisait des années que j’essayais de caser un jeu chez eux. J’en avais même imaginé un spécialement conçu pour leur format de boite, Maracas, qui a finalement terminé chez Blue Orange. Je suis donc particulièrement heureux de Whale to Look, qui semble en outre très bien se vendre. J’en ai donc profité pour réaliser une petite interview de Jun Sasaki, que voici. J’avais déjà croisé Jun aux États-Unis, à la Gen Con, puis à deux reprises au Game Market d’Osaka. Je ne vais plus aussi souvent au Japon qu’il y a quelques années, et cette interview a donc été réalisée par mail.
À la Gen Con 2019
Bruno :Parlez-nous des origines de Oink. Depuis quand jouez-vous aux jeux de société ? Quels jeux vous ont marqué et donné envie de créer les vôtres ?
Jun : Vers 2005, j’ai commencé à jouer à des jeux de société autres que les classiques Monopoly et Catan. J’étais à cette époque impliqué dans le développement de jeux vidéo. La simplicité de jeux comme Diamant ou Le poker des cafards m’a d’autant plus impressionné qu’elle allait à l’inverse de la tendance des jeux videos, qui devenaient de plus en plus lourds et longs. Dans les années qui ont suivi, j’ai joué à des centaines de jeux de société modernes et, vers 2009-2010, j’ai décidé d’essayer d’en créer un moi-même. C’est de cette envie qu’est né Oink Games.
B: Quand avez-vous créé Oink ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir créer vos propres jeux, et à vouloir les publier ? Avez-vous créé Oink d’emblée pour publier vos propres jeux, ou avez-vous d’abord décidé de vous lancer dans l’édition de jeux de société ?
J: J’ai choisi la marque Oink Games pour présenter mes premières créations au Tokyo Game Market en 2010. Je n’avais jamais publié de jeu de société auparavant, et ai été désagréablement surpris par les coûts d’impression des cartes à jouer. J’ai très vite compris que, même si mon jeu se vendait bien lors du Game Market, j’allais finir dans le rouge. Il faut en effet imprimer de plus grandes quantités pour obtenir coûts de production assez bas. Afin de continuer à vendre mes jeux après le Game Market, j’ai enregistré Oink Games en tant que société, ajouté un code-barres sur les boîtes, et me suis lancé dans la distribution. C’est ainsi qu’est née la société Oink games, qui existe encore aujourd’hui. Sans le Tokyo Game Market et mon envie de publier mes créations, notamment In a Grove, Oink Games n’existerait pas.
B: Beaucoup de petits éditeurs préfèrent passer par l’intermédiaire d’éditeurs occidentaux pour publier leurs jeux sur les marchés américain et européen. Vous avez fait le choix inverse, celui de publier et produire vous-même pour le monde entier. Quand et pourquoi avez-vous fait ce choix ? faites-vous encore la plupart de vos ventes au Japan ?
J: A l’automne 2010, mon jeu Yabu no naka (dans un bosquet), a été remarqué par un éditeur européen, Asmodée, qui l’a publié en Europe, sous le nom de Hattari (bluff en japonais), en changeant la taille de la boite et les illustrations. Je ne m’y suis bien sûr pas opposé, pensant qu’ils avaient leurs méthodes et connaissaient le marché européen, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander pourquoi ce jeu ne pouvait pas trouver sa place avec les illustrations d’origine. Les ventes en Europe ont été médiocres, ce qui n’a fait que renforcer mes doutes. Ce fut un peu la même chose lorsque, en 2013, Kobayakawa a été également publié en Europe. Dès lors, mon envie de publier les jeux Oink dans le monde entier a pris le dessus et, en 2015, Oink a pour la première fois pris un stand au salon d’Essen, pour vendre ses jeux directement.
B: Quel est votre best seller ? Est-ce Scout, Deep Sea Adventure ou mon préféré, A Fake Artist Goes to New York ? Ou un autre que je ne suspecte pas ?
J: Deep Sea Adventure est celui des jeux Oink qui s’est le mieux vendu, mais Scout est en passe de le rattraper. Ensuite vient A Fake Artist Goes to New York. Au Japon, Nine Tiles se vend également très bien.
B: Les jeux Oink ont un look très particulier, avec de petites boites et un graphisme extrêmement simple. Pourquoi ce choix ? Vos petites boites collent parfaitement avec l’un des clichés les plus répandus en Occident sur la culture japonaise, celui du minimalisme. Pour vous, le minimalisme japonais est-il une réalité culturelle, ou juste un fantasme occidental ?
J: J’apprécie, en effet, les choses simples, épurées, minimales. Je me sens proche de la manière traditionnelle japonaise de concevoir les temples, et de la philosophie zen. Je ne suis pas sûr, cependant, que cela soit du « minimalisme japonais » – c’est juste un style que j’apprécie.
Note de Bruno : J’ai posé cette question car j’ai entendu des Japonais expliquer que le minimalisme japonais n’existait pas vraiment et était une invention de designers californiens, et d’autres assurer que c’était le cœur de la culture nippone….
Les jeux Oink dans une petite boutique de jeu japonaise.
B: Quand je regarde le listing des jeux Oink sur le Boardgamegeek, j’ai l’impression que vos quelques tentatives pour publier des jeux dans de plus grandes boîtes n’ont guère rencontré de succès. Ai-je raison ? Pensez-vous désormais vous en tenir à votre petit format emblématique, ou avez-vous d’autres projets pour Oink ?
J: Je ne dirai pas que « nous avons essayé et cela n’a pas marché ». Aujourd’hui encore, si nous voulons publier un jeu qui nécessite une plus grande boite, nous le publierons dans une grande boite. Cependant, j’aime bien les petites boites Oink, uniformes et minimalistes. Si ce format permet à Oink games de se différencier, et de vendre, je ne vois pas pourquoi changer de méthode.
B: La moitié environ des jeux Oink ont des auteurs japonais, les autres des auteurs occidentaux. Pensez-vous qu’il y a des différences significatives dans la manière dont les uns et les autres conçoivent les jeux ? Ou dans la manière dont nous jouons ?
J: En présentant les choses de manière un peu abstraite, j’ai souvent l’impression que les jeux créés par des auteurs japonais sont plus centrés sur eux-mêmes, et les jeux des auteurs occidentaux plus tournés vers l’extérieur, les deux démarches ayant des avantages. Pour le dire autrement, les auteurs japonais créent des jeux en pensant à eux-mêmes et à leurs proches, tandis que les auteurs occidentaux considèrent un public plus large. Ce n’est cependant qu’une impression, je me trompe peut-être.
Note de Bruno : la dichotomie entre ce qui est tourné vers l’extérieur et vers l’intérieur est souvent mise en avant par les Japonais, et difficile à rendre en français. En ce qui me concerne, si je prends parfois en compte ce que je pense être les souhaits des éditeurs, j’ai toujours l’impression de créer des jeux pour moi et mes amis. Et mon impression personnelle est qu’il n’y a pas vraiment de différence dans la manière dont nous créons des jeux.
B: Le Japon et la Corée, et depuis peu d’autres pays d’Asie orientale, représentent une part de plus en plus importante du monde ludique, que ce soit parmi les joueurs, les éditeurs ou les auteurs. Comment expliquez-vous cela ? Pensez-vous que cela va continuer ?
J: La culture des jeux de société a en effet commencé à se répandre dans les pays d’Asie, et beaucoup commencent à créer et publier, d’abord dans leur propre pays, des jeux de société. Je pense cependant que le grand public n’est pas encore conscient du charme et de l’intérêt de ces jeux. Ce n’est donc qu’un début, et le nombre de créateurs et d’éditeurs asiatiques va, je pense, encore augmenter.
B: Beaucoup des jeux que vous publiez sont vos propres créations, parfois en collaboration avec d’autres auteurs. Comment décidez-vous si vos propres créations méritent d’être publiées ? Prenez-vous part à la décision, ou faites-vous confiance au reste de l’équipe ?
J: Je fais d’abord confiance à mon intuition. Si je pense « ce jeu mériterait d’être chez Oink », alors le publier est la bonne décision. Je fais bien sûr également confiance aux avis des autres membres de l’équipe et à mes amis joueurs.
Le prototype de Constellations
Whale to Look
B: Vous avez développé Whale to Look à partir d’un de mes prototypes qui avait un tout autre thème, les étoiles dans le ciel, et pas mal de différences de règles. Cela a été plus un relais qu’une collaboration, puisque j’ai fait la première moitié du travail avant que vous ne fassiez la dernière. Nous n’avons quasiment pas travaillé ensemble sur le jeu. Travaillez-vous souvent ainsi ? Ou collaborez-vous habituellement dès le début de la conception d’un jeu ?
J: J’ai travaillé avec d’autres auteurs de la même manière. Je n’ai jamais eu l’occasion de commencer à réfléchir ensemble avec un autre auteur dès le début de la conception du jeu.
Note de Bruno : c’est un peu la même chose pour moi.
B: Cela fait des années que je propose des jeux à Oink, sans succès. Qu’avez-vous aimé dans le prototype de Constellation, qu’est-ce qui vous a donné envie de le développer ?
J: Cela faisait un certain temps que je m’intéresse à la prise de décision rapide à partir d’informations incertaines, et ce jeu devait donc m’intéresser. Dès les premières parties sur le prototype, l’équipe a senti qu’il y avait dans ce jeu quelque chose de profond, qui donnait envie d’y jouer et d’y rejouer encore.
B: En regardant au dos de mes boîtes Oink, je remarque certaines sont imprimées au Japon, d’autres en Chine, sans différences visibles entre les unes et les autres. Faites-vous les petits tirages au Japon et les gros en Chine, ou fabriquez-vous certains jeux au Japon et d’autres en Chine en fonction du matériel ?
J: Le plus souvent, le premier tirage, pour laquelle la communication et les délais d’impression sont essentiels, est produit au Japon. Ensuite, lorsque des milliers ou des dizaines de milliers de boites doivent être fabriqué, cela est fait en Chine, où les coûts sont plus faibles. Pour nous assurer que la qualité est la même dans les deux cas, nous échangeons très régulièrement avec les imprimeurs.
B: Puisque vous imprimez à la fois au Japon et en Chine, la baisse du Yen est-elle pour vous une bonne ou une mauvaise chose ? Si elle se poursuit, pensez-vous qu’elle rendra la fabrication au Japon plus compétitive pour vous et peut-être pour d’autres éditeurs ?
J: Pour nous, les coûts d’impression en Chine ont augmenté, mais les profits sur les ventes à l’étranger augmentent également. Cela a donc des avantages et des inconvénients et, au bout du compte, je ne pense pas que cela ait beaucoup d’impact. Il y a d’excellents imprimeurs au Japon, et j’aimerais que les éditeurs étrangers se tournent aussi vers eux. Quoi qu’il en soit, nous souhaite continuer à produire au Japon, comme je l’ai toujours fait.
B: Vous avez, au moins parmi les joueurs occidentaux, une image de petit éditeur indépendant. Ayant maintenant un jeu dans votre gamme, j’ai été très agréablement surpris par les tirages et les ventes, qui ne sont pas si petits. Alors, quelle est vraiment la taille d’Oink ? Combien de personnes travaillent dans l’entreprise au Japon ? Et hors du Japon – je connais Laura, mais il y en a sans doute d’autres.
J: Moi compris, 15 personnes travaillent chez Oink Games au Japon et 3 en Allemagne. Cependant, 8 des membres de l’équipe japonaise, donc à peu près la moitié, travaillent sur des jeux videos, que ce soit à la programmation ou dans la réalisation graphique. Il n’y a donc à Oink, dans le monde entier, qu’une dizaine de personnes travaillant dans le jeu de société.
Le stand Oink at UKGE 2024
B: En quinze ans d’activité comme éditeur de jeux, quels changement notables avez-vous vécu ? Dans le travail d’édition, dans la création, dans vos goûts en matière de jeux.
J: J’ai vraiment commencé par créer des jeux tout seul pour les vendre au Game Market. Je faisais alors tout moi-même, production, communication et vente. Il y a maintenant toute une équipe, en particulier pour la communication, les ventes et la distribution, mais le processus de conception des jeux n’a pas beaucoup changé. Je suis cependant très heureux de pouvoir aujourd’hui m’appuyer sur les avis de toute l’équipe. Il en va de même dans le jeu video, qui a toujours été un travail d’équipe. Les ventes d’Oink Games ont été multipliées par 15 au cours des 10 dernières années. Je n’ai quasiment plus de travail en contact avec les clients, et peux désormais me concentrer sur le développement des jeux. Mes goûts en matière de jeux on peu changé, mais je suis cependant un peu déçu de passer moins de temps à jouer, en raison des changements dans ma famille et mon entourage.
B: Quelles sont vos relations avec les autres éditeurs japonais ? L’an dernier à Essen, vous avez partagé un stand avec d’autres éditeurs indépendants japonais – je crois qu’il s’agissait de itten et Saashi & Saashi, corrigez-moi si je me trompe. Pensez-vous continuer ainsi ?
J: Nous avons des relations amicales avec d’autres éditeurs, parmi lesquels itten et Saashi & Saashi. Cependant, Oink Games souhaite rester indépendant. Je crois qu’il vaut parfois mieux être seul pour pouvoir faire ce en quoi l’on croit.
B: Avez-vous déjà été approché par de plus grands éditeurs – pas nécessairement Asmodée – désireux de vous racheter ? Si cela n’est pas encore arrivé, quelle serait votre première réaction face à une telle proposition ?
J: Je n’ai jamais été approché par un éditeur de jeux de société. J’ai eu une proposition, que j’ai refusée, dans le domaine du jeu video. Si une telle offre nous était faite un jour, je ne nous vois pas vraiment devenir une filiale d’un grand groupe. Nous avons les moyens financiers pour continuer à développer et produire des jeux comme nous le faisons actuellement. Nous ne cherchons pas à maximiser nos profits, mais à continuer à créer des jeux avec plaisir, et il est préférable pour cela de rester financièrement indépendant.
One of my last games, Whale to Look, has been published in 2023 by Oink Games. It is cosigned with Jun Sasaki, the boss of this small Japanese publisher whose small brightly colored boxes are easy to spot in game shops. I’ve always liked the Oink Games line. The games are often really original, with simple rules and cute minimal art, and I’ve been trying to land a game there for years. I even designed one specifically for their box format, Maracas, which was finally published by Blue Orange. Having a game published there is therefore an achievement, even more since the game seems to sell well. I therefore seized the oportunity to ask Jun Sasaki a few questions. I have met him once at Gen Con, years ago, then twice at the Osaka Game Market. Unfortunately, I don’t travel to Japan as often as I used to, so this interview was made by email.
At 2019 Gen Con
Bruno: Tell us about the origins of Oink. Since when do you play boardgames? What games brought you into the hobby ?
Jun: Around 2005, I started playing boardgames other than the classic and popular Monopoly and Catan. At that time, I was already involved in video game development. I was very much impressed by the simplicity, the straightforwardness of games like Incan Gold and Cockroach Poker, all the more because it went completely opposite to the trend in videogames, which were becoming longer and more complex. Over the next few years, I played hundreds of modern board games, and around 2009-2010, I thought of designing one myself. This was the beginning of Oink Games.
B: When did you create Oink? What brought you into boardgame design and boardgame publishing? Did you start the company to publish your own designs, or did you first decide to start a publishing company?
J: I chose the Oink Games brand name for selling my first games at the 2010 Tokyo Game Market. I had never published a game before, and was appalled by the cost of printing cards. I realized that it meant that, even if my game sold dozens at the Game Market, I would probably end up in the red. To keep on selling after the Game Market, I registered Oink Games as a company and added barcodes for distribution. This became the Oink Games company which still exists today. The trigger for starting board game design, and for publishing my first games, was clearly the Game Market. Without it, Oink Games would not exist.
B: Many small companies like yours license games to Western publishers, but you’ve decided to publish by yourself in the whole world. When and why did you decide to start directly selling games out of Japan? Are most of your sales still done in Japan?
J: In late 2010, my game Yabu no naka (In a Grove) caught the attention of a European publisher. It was published in Europe by Asmodee, under the name Hattari (bluff in Japanese), with a different artwork and box size. I didn’t complain at that time, thinking that they had their ways and knew the European market better, but I already wondered if this game could not stand the competition with its original artwork. Sales in Europe were disappointing, which deepened the question. The same thought occurred to me when Kobayakawa was released in Europe in 2013. My desire to show my creations to the world market in their original form kept growing stronger and, in 2015, Oink set up a booth at Essen Spiel where we started to publish and sell the game by ourselves.
B: Just curious – I don’t need numbers, but what is your bestseller? Is it Scout, Deep Sea Adventure or my favorite, A Fake Artist Goes to New York? Or some other ones I don’t suspect?
J: While Oink’s best-seller is Deep Sea Adventure, Scout is rapidly catching up. Then comes A Fake Artist Goes to New York. In Japan, Nine Tiles also sells really well.
B: Your games have a very specific look, small boxes and very simple art. Why this choice? Your small boxes fit very well in one of the Western clichés about Japanese culture, that of minimalism. Do you think Japanese minimalism is really a thing, or is it just Western fantasy?
J: I like a simple, pared down, minimal style, and I empathize with things like the traditional Japanese temple building style and the zen philosophy. I’m not sure, however, that this can be labeled Japanese minimalism – I just happen to like such things.
Bruno’s note : I asked this question because I’ve heard both Japanese people stating that Japanese minimalism didn’t exist and was an invention of Californian architects and furniture designers, and other ones explaining that it was the very heart of Japanese culture.
Oink games on display in a small Japanese gameshop.
B: When looking at the listing of Oink Games at the Boardgamegeek, I have a feeling that the few times you tried to do bigger boxes, it didn’t go that well. Am I right? Does this mean you will now stay with your emblematic line of small boxes? Or do you have other projects for Oink?
J: It’s not that “we tried to make big boxes and it didn’t work out.” Even now, if we have a game suitable for a big box, we are willing to release it in a big box. However, I like the Oink Games small, minimal, uniform boxes. If that results in Oink Games’ uniqueness, and in sales, I see no reason to change our approach.
B: More or less half of the games published by Oink have Japanese designers, and the other half Western designers. Do you think there are differences in the way we design games? In the way we play them?
J: In abstract terms, it seems to me that Japanese game design is inward-facing. Conversely, Western game design seem outward-facing. I think both have good points. More specifically, Japanese designers seem to create works for themselves and those close to them, while Western designers aim at a wider audience. However, this is just the impression I get, and I might be wrong.
Brunos notes: The opposition between what’s inward and outward facing is very often used by Japanese people, and it has a very general meaning. Anyway, even when I often consider what I think publishers are looking for, I always feel like I am also designing games mostly for me and my friends. And my personal feeling is that there is no significant difference in the way we design games.
B: Japan and Korea, now followed by other East-Asian countries, are representing an ever-growing part of the board gaming world – meaning gamers, publishers and designers. How do you explain this? Do you think it will continue growing?
J: The culture of board games is now spreading to people in Asian countries as well, and many are therefore staring to design and publish games in their own countries. However, I think that the general public in Asia is still largely unaware of the charm and interest of boardgames. This means it’s only the beginning, and more creators will probably emerge in the coming years.
B: Many of the games you publish are your own designs or co-designs. How do you decide if your own designs are worthy of being published? Do you take part in the decision or trust your gaming friends?
J: I only trust my own senses! If I think “this is worth releasing by Oink Games,” then I believe that is the right decision. Of course, I also trust team members and game friends and ask for their opinion.
Constellations prototype
Whale to Look
B: Thinking of co-designs, you developed Whale to Look from a prototype of mine which had a completely different setting, looking at stars in the sky, and major rules differences. This was a case of “relay” co-design, since I did more or less the first half and you did the final one, but we never really worked together. Do you often work this way? Or do you usually co-design from the beginning?
J: I have worked this way with other designers. Starting from scratch together with another designer is something I have not done yet.
Bruno’s note : Same with me, and I think it’s the most usual for of boardgame co-design.
B: I’ve submitted games to Oink for years, with no success. What did you like in my original Constellation prototype that you found interesting enough to develop it?
J: I have thought for quite long about decision making within uncertain information, so I had to be interested in this game. From the beginning, we felt it had a depth that made us want to play it again and again.
B: Looking at the back of my collection of Oink games, I notice that some of them are printed in Japan and some in China, with no visible difference between them. Do you print smaller print runs in Japan and bigger ones in China, or do you print some games in Japan and other ones in China depending on the components?
J: The first print run, for which communication and short printing delays are critical, is usually made in Japan. Further print runs of thousands or tens of thousands of copies are usually made in China, where printing costs are lower. To maintain the same quality in either case, we communicate closely with the factory and repeatedly check the quality.
B: Since you print both in Japan and China, is the weak yen a good or a bad thing for Oink? If it goes on, do you think it will make manufacturing in Japan more interesting for Oink and maybe for other publishers?
J: Printing costs in China are getting higher, but the profit on overseas sales is also increasing. There are both good and bad points, and the overall impact is not significant. There are many excellent printing companies in Japan, and I would like overseas publishers to consider them. Anyway, I want to continue using Japanese factories at least as much as before.
B: You have, at least among Western gamers, an image of small publisher. Having now a game published by you, I’ve been happily surprised by your sale numbers, which are not that small. So, how big is really Oink? How many people work for the company in Japan? And outside Japan – I know Laura, but there are probably other ones ?
J: There are 15 people working at Oink games in Japan, including me, and 3 in Germany. However, half of the Japanese team members are working on video games, including programming and digital art creation. There are only about 10 people worldwide at Oink who are fully working in boardgames.
Oink booth at UKGE 2024
B: In your almost fifteen years as a game publisher, what major changes did you experience? In the business aspect, in your design process, in your tastes about games?
J: I really started with making games by myself and selling them at the Game Market. I was doing everything by myself, from production to advertising and sales. Now, I rely on the team a lot, especially for communication, sales, and distribution, but the game design process hasn’t changed much. I am however very grateful that there are more people around me who can help me with their opinions. As for video games, it has always been a team effort, both then and now. Annual sales have increased 15 times over the past 10 years. Personally, I have almost no client work now, and I am able to focus on game development at Oink Games. My tastes in games didn’t change much either. However, I regret having less time to play games, due to changes in my family and environment.
B: What are your relations with other Japanese game publishers? Last year in Essen, you shared a booth with Japanese indie game publishers – I think it was Itten and Saashi, correct me if I’m wrong, do you intend to go on with this?
J: We have friendly relations with a few other publishers, including Itten and Saashi & Saashi. However, Oink Games generally tends to keep some distance from other companies. I believe that it’s sometimes better to be solitary in order to quietly and steadily follow what you believe in.
B: Have you ever been approached by bigger companies wanting to buy you out – be it Asmodee or anyone else, you don’t have to give me names? If it didn’t happen yet, what would be your first reaction if this happens someday?
J: I have never been approached by boardgame companies. I was once approached for an acquisition of our videogame activity, but I declined the offer. If such an offer were made to us in the near future, I don’t think we would consider seriously becoming a subsidiary of a bigger group. As it is, the company is profitable enough to keep on developing and producing games as it has done so far. The goal is not to make tons of money, but to keep on making games in an enjoyable way. For this, it is more convenient to be financially independent.
Dans les années quatre-vingt, avec mon compère d’alors Pierre Cléquin, j’ai découvert le plaisir de la création ludique en modifiant, en bricolant des variantes de poker, et de nouveaux pouvoirs et cartes pour Rencontre Cosmique. Le poker ne se prenait pas encore trop au sérieux, ce qui permettait à chacun de le mettre à sa sauce sans que quiconque ne crie à l’hérésie. Les auteurs et éditeurs de Cosmic Encounter eux-mêmes encourageaient les joueurs à s’approprier leur création en vendant des paquets de cartes vierges. Bien sûr, cela était rendu plus facile par le petit nombre de jeux de société que nous connaissions, des jeux que nous jouions donc régulièrement et maitrisions bien. Je ne sais si notre petit groupe de joueurs était l’un des seuls à fonctionner ainsi, et si c’est pour cela que nous sommes ensuite devenus des auteurs de jeu, ou si tous les joueurs traitaient alors les jeux avec autant de légèreté, n’hésitant pas comme à en modifier, parfois en cours de partie, les règles qui ne nous plaisaient pas. Dans les années quatre-vingt-dix, c’est avec Pierre Rosenthal que j’avais bricolé une extension maison de Magic the Gathering, et Wizards of the Coast nous avait payé pour pouvoir en réutiliser les idées dans leurs futures extensions. Le Magicien, l’un des aliens que Pierre et moi avions imaginés pour Cosmic Encounter, s’est aussi retrouvé dans la plus récente édition du jeu.
Depuis une trentaine d’années, j’avais cependant cessé de bricoler les jeux des autres, tout en encourageant les joueurs à bricoler les miens. Les personnages et quartiers de la “grosse boite” de Citadelles proviennent ainsi en grande partie des idées d’un fan du jeu, Robin Corrèze, qui a su y porter un regard neuf. Beaucoup des nouveaux personnages de Mascarade ont aussi été imaginés par des amis ou des fans du jeu. Lorsqu’un jeu s’y prète, j’encourage mes éditeurs, s’il reste quelques cartes sur les planches d’impression, à ajouter quelques cartes vierges, mais je n’ai jamais eu beaucoup de succès.
L’une des raisons pour lesquelles je m’amuse moins aujourd’hui à bidouiller les jeux des autres auteurs est que ma pratique du jeu, et me semble-t-il la pratique du jeu en général, est devenue plus dispersée. On joue certes autant, mais on joue à des jeux de plus en plus nombreux, trouvant plus de plaisir dans la découverte que dans l’approfondissement, ce qui peut être un peu frustrant. Une autre raison est peut-être que les joueurs prennent aujourd’hui les jeux un peu trop au sérieux – c’est vrai des thèmes, je l’ai souvent écrit ici, mais c’est aussi vrai des mécanismes que l’on n’ose pas trop toucher.
Pour qu’un jeu me donne l’envie de le bricoler, d’inventer des cartes et des effets, il faut donc qu’il soit riche, ouvert aux extensions et développement, tout en restant suffisamment simple pour que quelques parties permettent de saisir la logique qui le sous-tend, les leviers à manipuler et, ce faisant, les équilibres à respecter. Beaucoup de jeux, aussi excellents qu’ils soient, sont soit d’emblée complets et fermés, soit trop baroques.
Le jeu qui m’a redonné envie de concevoir quelques cartes, et je vous invite à en faire autant, est The Vale of Eternity, d’Eric Hong. Ce jeu de draft, dans lequel les joueurs construisent peu à peu des combinaisons de cartes afin de marquer le plus de points possibles, n’apporte rien de vraiment nouveau ni dans son thème, ni dans ses mécanismes, mais il crée une sensation de profondeur, de variété et d’imbrication entre ses éléments avec très peu de mécanismes, des règles simples et une impressionnante fluidité.
Il y a eu tellement d’innovation dans les mécanismes ludiques depuis trente ans que la meilleure des nouveautés ne consiste plus tant aujourd’hui à faire des choses différentes qu’à faire les mêmes choses mais de manière plus fluide, plus légère. De ce point de vue, le jeu de Eric Hong est un chef d’œuvre.
Une partie de The Vale of Eternity, chez moi, avec deux autres auteurs de jeux, Hervé et Camille.
Le thème de cette vallée de l’éternité est très superficiel, pas vraiment original, mais il est traité avec une sympathique légèreté – on prend des créatures d’un peu toutes les mythologies, et on mélange tout. Je suis de plus en plus convaincu que, face aux fantasmes identitaires et aux tentations du repli sur soi, la seule démarche culturelle positive qui ait aujourd’hui du sens est cet universalisme désinvolte, qui enchevêtre tout sans rien prendre au sérieux. Quatre illustrateurs se sont partagé les cartes du jeu, Jiahui Gao dessinant les créatures de l’eau, Gautier Maia celles de la terre, Stefano Martinuz celles du feu et Erica Tormen celles de l’air. Ils ont tous fait quelques dragons, parce que c’est quand même trop classe de dessiner un dragon. Tous ont bien compris l’esprit du jeu, pas vraiment humoristique, mais pas vraiment sérieux non plus, et les très belles cartes contribuent aussi beaucoup à l’ambiance d’un voyage dans cette vallée de l’éternité.
Et une partie à Etourvy avec quelques pontes du milieu ludique.
Bien que les jeux soient mécaniquement et thématiquement très différents, Vale of Eternity m’a rappelé Cosmic Encounter, non dans sa version surdéveloppée actuelle mais tel que je l’avais découvert, il y a une quarantaine d’années. Dans les deux jeux, la combinaison de principes extrêmement simples, de règles peu nombreuses et d’interactions presque illimitées crée un effet « boîte à outils », donnant envie de bricoler, d’imaginer ses pouvoirs, ses cartes. Pour Cosmic, on pouvait fantasmer sur les races extra-terrestres, pour The Vale of Eternity, on peut faire appel aux innombrables créatures de tous les folklores et mythologies.
Les effets de la plupart des cartes n’ont pas de lien évident avec la nature des créatures représentées, mais cela encore facilite les bidouillages. Il était possible d’acheter des cartes vierges de Cosmic Encounter, sur lesquelles les joueurs pouvaient laisser libre cours à leur imagination. Aujourd’hui, avec les sleeves à dos opaque, ce n’est même plus nécessaire, et je me suis déjà amusé à bricoler une première petite extension d’une quinzaine de cartes, qui n’a été qu’assez peu testée jusqu’ici mais que je posterai sans doute sur ce site après quelques parties.
Si le succès de The Vale of Eternity se confirme, j’imagine que le jeu aura, comme Rencontre Cosmique, bien des extensions. La première, Artefacts, est déjà annoncée. Certaines n’apporteront seulement de nouvelles cartes, d’autres introduiront un ou deux mécanismes originaux, les possibilités semblent infinies, il faut juste prendre garde à ne pas trop compliquer les choses.
Et donc, après quelques tests, voici mes 24 nouvelles cartes pour Vale of Eternity. J’ai essayé de faire quelques trucs un peu nouveaux sans ajouter de règles ou de mécanismes au jeu. Il me semblait que le jeu favorisait un peu trop les stratégies construites autour dun “moteur” à point de victoire montant progressivement en puissance, au détriment des tactiques “coups d’un soir” s’efforçant de scorer un maximum à chaque tour, j’ai donc un peu plus insisté sur ce dernier aspect du jeu, avec plus de scoring immédiat et une proportion de dragons un peu plus forte que dans le jeu initial. Cela explique que je n’ai pas respecté la proportion de Dragons du jeu initial.
In the eighties, with my friend Pierre Cléquin, I discovered the fun of game design while tinkering with existing games, mostly designing poker variants and new aliens for Cosmic Encounter. Poker was not taken that seriously yet, which made easier to play crazy variants without being accused of heresy. The designers and publishers of Cosmic Encounter were even encouraging players to fiddle with their game, and even sold deck of blank cards. This was also made easier by the fact that we knew only a limited number of games, and therefore played them regularly and knew them intimately. I don’t know if our group was the only one. I don’t know if our gaming group was one of the few working that way, or if everyone was taking game rules so lightly, having no problem with changing the rules or adding to them, even in the middle of a game. In the mid-nineties, I designed with Pierre Rosenthal an alchemy-themed Magic the Gathering expansion which was deemed good enough by Wizards of the Coast to pay us so that they could recycle its ideas in future ofiicial expansions. The Magician, one of the many aliens Pierre and I had designed for Cosmic Encounter, made its way into the latest edition of the game.
These last thirty years, though, I had stopped tinkering with other designers’s games, though I kept encouraging people to do so with mine. Many of the new characters and districts cards in the Citadels big box come from the ideas of a game fan, Robin Corrèze, who could look at the game systems from a slightly different angle. Many of the new characters in the new edition of Mascarade were also suggested by friends and fans. When the game can easily support it, I encourage my publishers, if there are a few remaining spots on the printing card-sheets, to add a few blank cards. Unfortunately, I’ve rarely been successful.
One of the reasons why I now rarely tinker with other designers’ games is that the way I play games, and probably the way most gamers play games, has changed and become more scattered. We play as much, if not more, as before, but we don’t play the same game to death, we play many different games. We have more fun in discovery than in looking for hidden depth, which I sometimes find frustrating. Another reason might be that we tend to take games too seriously – it’s true of their settings, I’ve written many times about it, but it’s also true of their mechanisms, with which we don’t dare tinkering.
A game needs to be rich, intricate, open to expansions and development but at the same time simple enough so that a few games allow you to grasp the logic behind it, the levers you can manipulate and the balance you should take care of. Most games, even the best ones, are either self-contained or too baroque.
The game which made me try again to design extra cards, and I invite you to do the same, is Eric Hong’s The Vale of Eternity. This drafting game in which players build step by step, card by card, comboes in order to score as many points as possible has nothing really new, neither in its theme or its mechanisms, but it generates a strong feeling of depth, variety and intricacy with few mecanisms, straightforward rules and an impressive fluidity.
There has been so much innovation in game mechanisms these thirty last years that the real novelty now is not in making it different but in making it smoother, lighter. From this point of view, Eric Hong’s design is a masterpiece.
A game of The Vale of Eternity at y place in Paris, with two other game designers, Hervé and Camille.
The setting of The Vale of Eternity is extremely superficial and unoriginal, but it is dealt with a nice casualness – just take creatures from all folklores and mythologies and mix everything. I am everyday more convinced that, in a world which is prey to fantasies of identity and collective withdrawal, the only positive and meaningful cultural approach is this kind of casual universalism, which tangles everything and refuses to take anything seriously
Four artists took charge of the illustrations. Jiahui Gao drew the water creaturesn Gautier Maia the earth ones, Stefano Martinuz the Fire ones and Erica Tormen the air ones. All four drew a few dragons each, because it’s so cool to draw dragons. All four artists got the spirit of the game really well, neither too serious nor too cartoony, and the gorgeous cards really create the mood for a trip in the Vale of Eternity.
And a game in Etourvy with some big names of the French boardgaming world.
Even though both games are very different in their setting and mecanisms, The Vale of Eternity reminded me of Cosmic Encounter, may be not in its present overdevelopped version but as it was when I discovered it, forty years ago. Both games have straightforward systems and simple rules generating nearly unlimited interactions. This makes them the perfect tinkering toolboxes for who wants to design their own powers and cards. With Cosmic Encounter, one could fantasize various crazy deep space aliens, with The Vale of Eternity, one can use the inexhaustible bestiary of folklores and mythologies.
Most card effects in The Vale of Eternity don’t have obvious relations to the creature’s name, but this makes adding new ones even easier. It was possible to buy blank cards for Cosmic Encounter, we don’t even need that for The Vale of Eternity now that we can easily find opaque card sleeves. I’ve already designed my small 15 cards expansion, which I will probably post here after playtesting it a bit.
If The Vale of Eternity gets the success it deserves, there will probably be, like for Cosmic Encounter, many expansions. The first one, Artifacts, has already been announced. Some will only bring new cards, other ones will add one or two simple game elements. There seem to be infinite possibilities… designers must just be careful not to make things too complex.
After a few more playtests, here are the 24 new cards of my small fan expansion for Vale of Eternity. I tried to use a few unusual effects without adding any new rule or mechanisms. I have a feeling that the game slightly favors “slow victory point engine building” strategies over successions of one shot big moves. I therefore tried to tweak the game a little bit in this last direction, with more “one night stand” scoring and more opportunities to disrupt opponent’s engines. This is why I have a slightly higher proportion of dragons than in the original game.