D’autres bons petits jeux
Some more light new games

Donc, après-demain aux aurores – et même un peu avant – je m’envole pour Essen, et je n’ai pas encore écrit l’article promis sur les quelques très bons petits jeux – car je ne joue plus guère qu’à des petits jeux – que j’ai essayés récemment.  Il faut pourtant que je le fasse avant de partir, car à mon retour, j’aurai certainement encore d’autres bons petits jeux à présenter…

Voici donc :

30 Carats

Un jeu d’enchères et de bluff – 30 Carats, de Fabien Chevillon. Trop nombreux il y a quelques années, les jeux d’enchère avaient depuis presque disparu. Je me félicite d’en voir de nouveaux quelques uns, surtout lorsque, comme 30 Carats, ils font plus appel à la psychologie qu’au calcul. Durant une dizaine de tours, les joueurs s’échangent des pierres précieuses de différentes couleurs, chacun d’entre eux connaissant la valeur d’une seule de ces pierres. Il faut donc décrypter le jeu de ses rivaux, les induire en erreur à l’occasion, et faire les propositions les moins intéressantes mais les plus alléchantes lorsque de bonnes affaires se présentent.
Achetez le chez mes amis de Jocade

maximumthrowdown

Un jeu d’adresse – Maximum Throwdown, de Jason Tagmire. Chacun à son tour pioche une carte et la lance sur la table, le but étant d’avoir le plus d’icones de score et de pouvoir visibles, et donc de recouvrir les cartes adverses. Au début de votre tour, vous regardez si vos cartes partiellement ou entièrement visibles vous font marquer des points ou vous donnent droit à des actions supplémentaires, voler une carte adverse, lancer plusieurs cartes, etc…  C’est tout bête, il suffisait d’y penser, mais c’est très drôle.

Crazy Time

Un jeu de réflexes – Crazy Time, de Alex et sa guitare. Si vous trouvez que Jungle Speed, avec ses cartes qui se ressemblent mais ne sont pourtant pas les mêmes, c’est compliqué, alors n’essayez même pas Crazy Time, le jeu qui prouve que, comme l’espace, le temps n’est pas seulement courbe, mais complètement tordu. Chacun à son tour révèle une carte et, selon la situation, il faut dire l’heure indiquée, ou deux heures plus tard, ou on ne sait plus très bien, ou n’importe quoi puisque les joueurs peuvent dans certains cas improviser des règles supplémentaires.
Achetez le chez mes amis de Jocade

tete de linotte

Un jeu de mémoire, Tête de linotte, de Cyril Blondel. Il y a pas mal de jeux dans ce style qui sortent en ce moment, de jeux où il faut retenir un peu tout parce que l’on ne sait pas très bien à l’avance ce que l’on va nous demander. Dans le même genre, Visual Panic n’est pas mal non plus, mais Tête de linotte est plus mignon, et avec un système astucieux qui fait que les cartes à mémoriser étant de plus en plus nombreuses, ça devient de plus en plus compliqué. Après, bon, il faut aimer les jeux de mémoire.
Achetez le chez mes amis de Jocade

mysteres

Un « party game » – Mystères, de Daniel Quodbach – qui n’est en fait qu’une adaptation mais fort astucieusement réalisée, du bon vieux système du portrait chinois. Faites deviner un objet, une matière, un personnage célèbre à partir de « et si c’était un livre », « et si c’était un objet », « et si c’était un animal »…
Achetez le chez mes amis de Jocade

koryo

Un jeu de cartes « classique » – Koryo, de Gun-Hee Kim. Quelque part entre Grand Dalmuti et jeux de majorité, Koryo est un jeu de cartes rapide et diablement malin. Tour après tour, les joueurs posent quelques unes des cartes qu’ils ont reçu pour tenter d’acquérir ou de conserver des majorités qui, outre qu’elles rapportent des points, donnent chacune un petit pouvoir spécial. Si ce n’était pas écrit au dos de la boite, vous n’auriez aucun moyen de vous rendre compte que ce jeu est enraciné (sic) dans un univers steampunk-médiéval coréen, mais bon, de toute façon, cela n’empêche aucunement de prendre plaisir au jeu.
Achetez le chez mes amis de Jocade

robotroc

Un jeu de « tuiles » de facture assez classique, même s’il est joué avec des cartes, RoboTroc, de Cesare Mainardi. Plein de morceaux de robots sont disposés en rectangle sur la table, et chacun à son tour déplace son pion en essayant de ramasser les pièces permettant de reconstituer la plus belle machine. Il y a des têtes, des corps, des jambes, mais aussi des cartes de bonus si l’on remplit telle ou telle condition, et même quelques armes pour l’interaction. Pas très original, mais très amusant, bien thématisé, et illustré avec humour.

eight minute empire

Un petit jeu de conquête, tactique et rapide – Eight Minute Empire, de Ryan Laukat. On m’objecter peut-être qu’un jeu de conquête n’est généralement ni petit, ni rapide, mais celui-ci l’est sans nul doute. Eight Minute Empire, c’est un peu Small World en quinze minutes – quinze, pas huit, l’éditeur a un peu exagéré en baptisant le jeu. Ma petite variante à moi : le vainqueur de l’enchère de début de partie choisit s’il jouer premier ou dernier.

sewer pirats

Un jeu tactique mais pas prise de tête – Pirates des Égoûts, d’Andreas Pelikan. Bon, ce jeu ne devrait pas être ici, pour deux raisons. D’abord, parce que c’est un grosse boite, pleine de tuiles en carton épais et de jolies figurines, mais cela reste néanmoins un petit jeu qui se boucle en une demie heure. Ensuite parce je n’y ai pas joué, mais j’ai expliqué les règles et assisté à toute une partie, et cela m’a largement suffi pour décider que ce nouveau jeu de l’auteur de Malédiction était excellent et plein d’humour.

Agent Hunter 1

Un jeu à deux enfin – Agent Hunter, de Mike Elliott, est un jeu minimaliste, qui pour une fois ne nous vient pas du Japon. Chacun des deux joueurs dispose de 10 cartes numérotées de 1 à 10, dont aucune n’a de pouvoir particulier. Le mécanisme de déduction, dans lequel  chacun essaie de deviner les valeurs des cartes cachées par l’adversaire, est diablement astucieux, et servi par un thème parfaitement adapté – l’espionnage, KGB contre CIA.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui, plus de nouveautés après Essen – à moins que les quelques idées de jeu que j’ai remuées dans ma tête ces derniers jours ne commencent à prendre forme. Et désolé s’il y a quelques fautes de frappe ou d’accord dans ce billet, je l’ai écrit très rapidement et n’ai pas pris le temps de me relire.

v315- grand chaman

In two days, very early in the morning, I’m leaving for Essen and I’ve not written yet the article I recently promised about the many great light games I played these last weeks. As a matter of fact, since I’m back in Paris, I play almost only very light games. Anyway, I must now write this post, because in less than one week, I’ll have other light game to play and, may be, to write about.

So, here they are:

30 Carats

A bidding and bluffing game – 30 Carats, by Fabien Chevillon. Five or six years ago, there were far too many auction or bidding games, but then the genre almost disappeared. I’m glad to see a few ones again, especially when, like 30 Carats, they are more about bluffing and deception than reckoning and calculation. There are a dozen turns in 30 Carats and, at the beginning of the game, each player knows the exact value of only one kind of gem. One has tokeep one’s poker face and guess which of the other ones are the most valuable, or even carry negative values, from the offers made by the opponents.

maximumthrowdown

A dexeterity game – Maximum Throwdown, by Jason Tagmire. Each player on turn draws a card frtom his own deck and throws it on the table. The goal is to cover opponents’ cards and keep the most scoring and ability icons visible on the table. At the beginning of one’s turn, one scores all one’s visible scoring icons, and gets extra draws or throws for special ability icons. It’s simple, almost simplistic, as funny as it sounds, but also surprisingly tactical and challenging.
Buy it in the US at Funagain
Buy it in the UK at Infinite Games

Crazy Time

A fast reaction game – Crazy Time, by Alex and his guitar. If you’re already confused by the similar drawings in Jungle Speed, better not try Crazy time, the game that proves that, like space, time is not only curved, but even completely twisted and warped. Each player on turn draws a card and, depending on the situation, must call the exact time on it, or two hours later, or say in some foreign language, or anything since players can sometimes add their own rules and have other players find them out.

tete de linotte

A memory game, Tête de linotte, by Cyril Blondel – probably not available in English. There are dozens of games like this one, in which player must memorize mor or less everything on one or more cards because they don’t know exactly what they will be asked for. In a similar vein, Visual Panic is also quite good, but Tête de Linotte is more cute, and I like the fact that things become harder and harder when more cards are added. Of course, it’s only for the gamers who really memory games.

mysteres

A party game – Mysteries, by Daniel Quodbach. Mysteries is based on a popular public domain game – at least, popular in France where it’s called Chinese portrait. A player has to make the other players guess a word by saying “if it were an animal”, “if it were a book”, “if it were a color”, “if it were an object”, and so on. The adaptation is very well devised and changes a boring pastime into a great party game.

koryo

A “classical” card game – Koryo, by Gun-Hee Kim. Koryo is a fast paced and diabolically clever card game, and feels a bit like a cross between Great Dalmuti and a majority game. Every round, players play some of the cards they have been dealt, trying to get majority in some card values to score them and get their special ability.  It’s supposed to be rooted in a Korean mediaeval-steampunk universe, but you have no chance to guess it if you don’t read the blurb at the back of the box, so it’s not a problem with playing the game – and it’s a great game.
Buy it in the US at Funagain

robotroc

A light tile game, even when it is actually played with cards, RoboTroc, by Cesare Mainardi. Robot parts are arranged in a rectangular grid and each player on turn moves his character card, trying to get the pieces that will make the best robot. There are leg, body and head parts, but also various bonus and some weapons for interaction. Nothing really new, but light, tactical, well balanced, well themed and humorously illustrated.

eight minute empire

A light and fast paced conquest game, Eight Minute Empire, by Ryan Laukat. One can object that conquest games are usually not light and fast paced, but this one is, and feels like Smallworld in fifteen minutes – fifteen, not eight, the game’s title is a little bit exaggerated. My home rule : the winner of the starting auction choses if he plays first or last.
Buy it in the US at Funagain

sewer pirats

A tactical but not too brain burning game – Sewer Pirates, by Andreas Pelikan. This game should not be in this list, for two reasons. The first one is that it’s a big box with lost of nice miniatures and heavy cardboard, but it’s nevertheless a light family game played in half an hour. The second is that I’ve not played it, but I’ve explained the rules and watched the ensuing game, and it was largely enough to decide that this new game by the author of Witch’s Brew is, once again, a masterpiece.
Buy it in the US at Funagain
Buy it in the UK at Infinite Games

Agent Hunter 1

Last, a two player game of bluff and deduction, Agent Hunter, by Mike Elliott. Agent Hunter is a minimalistic game, with only twenty cards, but this one doesn’t come from Japan. Each player has 10 cards numbered 1 to 10, with no special abilities. A clever deduction system is used to try to guess which cards the opponent is playing, and attack a card with a card of the exact same value. The spy novel theme, CIA vs KGB, fits the game very well. Buy it in the US at Funagain
Buy it in the UK at Infinite Games

That’s all for the moment. More new games after Essen – unless I start working seriously on the two game ideas I had last days. And sorry if this post is full of mistyping and misspelling, it was written in a hurry and I didn’t proofread it.

Petits jeux et thèmes légers (2)
Light themes for light games (2)

Cet article “remplace” un texte précédent sur le même sujet, qui a été fort mal pris par l’éditeur de l’un des jeux cités – jeu dont je disais pourtant le plus grand bien avant de remarquer que son thème avait été mal choisi. J’ai donc préféré réécrire entièrement l’article en ne prenant, comme exemples positifs ou négatifs, que des jeux dont je suis l’auteur. Je le regrette un peu car, mes petits jeux récents étant plutôt bien thématisés, sans doute parce que j’ai appris à prendre bien soin de cet aspect de l’édition, cela m’a obligé à aller chercher comme exemples négatifs des jeux un peu plus anciens.
Je referai un de ces jours, quand j’aurai le temps, un autre texte sur les autres bons petits jeux d’autres auteurs auxquels j’ai joué récemment – Agent Hunter, 30 Carats, Koryo et sans doute quelques autres comme Mystères et Maximum Throwdown.

La nécessité d’un bon thème, c’est à dire cohérent, convaincant et adapté au style du jeu et des joueurs, ne fait guère de doute auprès des éditeurs pour un gros jeu dans une grosse boite, mais elle ne leur semble pas du tout évidente pour de petits jeux aux mécanismes abstraits. Pour un petit jeu de cartes, ou un petit jeu d’enchères, le thème est bien souvent considéré comme un vernis superficiel – soit il n’a guère d’importance et est simplement oublié, soit il est choisi en fonction des modes du moment – les zombies ou les pirates, par exemple, voire les zombies et les pirates – sans le moindre souci de cohérence avec les mécanismes. Pourtant, au moins pour les jeux de cartes, c’est bien souvent le thème et son adéquation au système qui font la différence entre un bon jeu aux mécanismes astucieux et un jeu dans lequel les joueurs auront envie de se replonger. Le thème, ce n’est pas seulement des illustrations – Sex Nimmt avec des dessins de zombies n’est pas devenu un jeu de zombies -, c’est aussi un moyen de relier les différents mécanismes du jeu, et de suggérer, souvent plus efficacement qu’avec des icônes ésotériques, les effets des différentes cartes.

Pour illustrer cela, je prendrai parmi mes créations ou co-créations deux exemples de jeux dont le thème me semble avoir été bien choisi et bien traité, et deux exemples de jeux qui me semblaient mécaniquement tout aussi bons mais dont le thème a été soit mal choisi, soit mal exploité, rendant l’approche du jeu moins naturelle et diminuant son attrait.

dwarf king 1 dwarf king 2

Le Roi des Nains est un jeu de plis, mais dans lequel un grand nombre de cartes ont des pouvoirs spéciaux. Rien de plus abstrait qu’un jeu de plis, même si le fait que certaines cartes s’appellent Valet, Dame, Roi et non 11, 12 et 13 est déjà une ébauche de thématisation. L’approche choisie pour le Roi des Nains a consisté à partir de ces termes et tout à la fois à approfondir le thème “royal” et à le pervertir un peu en le déplaçant dans un univers fantastique et humoristique suggérant le caractère chaotique du jeu. Rois et Dames sont donc toujours là, les As sont devenus Champions, mais toujours repérés par un A, et les Valets des Cavaliers plus guerriers et permettant à l’illustrateur de se faire plaisir. La suite est venue d’elle même – les cartes que l’on doit révéler au début de chaque donne sont les musiciens, dont on entend le vacarme avant la bataille. Les cartes spéciales ont toutes un nom – Ninja, Dragon, Shaman, Druide – que nous avons essayé de choisir de telle manière qu’il suggère l’effet de la carte, même si je reconnais que certaines associations sont moins évidentes que d’autres. La cohérence thématique est loin d’être parfaite, puisque chaque armée comprend des guerriers de tous les peuples, mais elle est suffisante pour donner au jeu une personnalité, un petit quelque chose qui le distingue des autres jeux de plis, très abstraits.

MASCARADE_PACKSHOT_BOXmascarade persos

Mascarade est aussi un jeu fondamentalement abstrait, même si les cartes n’y ont pas de valeurs numérotées. À deux ou trois exceptions près, les personnages ont été imaginés à partir de leur effet, et ce n’est qu’ensuite que nous leur avons trouvé des noms – sur lesquels les discussions avec l’éditeur ont parfois été difficiles. Chaque joueur n’ayant qu’une seule carte en main, il m’a semblé d’emblée évident que ces cartes devaient être des personnages avec lesquels les joueurs pourraient s’identifier. Les cartes de chacun étant assez largement inconnus des joueurs, il nous fallait un univers de manipulation, d’embrouilles, d’identités secrètes. L’espionnage aurait pu sembler évident, mais le but du jeu – amasser de l’argent – ne collait pas. Restaient la mafia, ambiance partage du butin autour de la table du parrain, et l’univers médiéval ou Renaissance fantastique. Ce dernier s’est imposé pour trois raisons. La référence à Venise et aux masques justifiait le fait que les identités réelles de chacun soient mal connues. Les personnages archétypaux – roi, sorcière, voleur, prêtre… – étaient plus nombreux et faciles à exploiter pour expliquer les effets des cartes. Enfin, cela promettait de jolis dessins. Le principe de base de Mascarade est simple, mais les nombreux effets des cartes rendent vite le jeu complexe. Son thème permet de fournir un prétexte – devrais-je dire un préjeu -, une histoire qui sert de fil conducteur à la partie, mais il permet surtout d’amener de nombreux personnages permettant de justifier plus ou moins logiquement tous les effets des cartes.  C’était l’objectif recherché.

Smiley Face boxgame-layout-smiley-face

L’expérience inverse de Mascarade est arrivée à Gwenaël Bouquin et moi avec un prototype qui s’appelait “Une vie de Roi”, et qui se voulait un mélange très léger, et très méchant, de jeu de plis et de jeu d’alliance et de négociation. Notre thème initial, inspiré de la petite histoire pascalienne du roi sans divertissement, permettait de justifier les alliances entre courtisans faisant au roi la même proposition – aller au bal, à la chasse, au tournoi, chacune de ces activités correspondant à l’une des « couleurs » de cartes… Si certaines cartes spéciales avaient été imaginées d’après des mécanismes, d’autres s’inspiraient d’ailleurs du thème. Nous avons été très surpris que l’éditeur qui avait choisi de publier ce jeu décide d’en changer le thème, et nous fasse des propositions purement liées à la mode du moment sans réel souci de cohérence avec le jeu. Nous fumes même d’autant plus surpris qu’il s’agissait d’un éditeur plutôt spécialisé dans les “gros” jeux aux thématiques très soignées et très approfondies. On est là très exactement devant le problème abordé en introduction – le thème est perçu comme important pour un gros jeu, pas pour un petit. Il fut d’abord question de dinosaures, puis d’émotions et de smileys, et j’avoue ne jamais avoir très bien compris la logique thématique du jeu publié. S’il m’est arrivé une ou deux fois de ressortir mon prototype d’une vie de roi, je n’ai d’ailleurs jamais joué avec ma boite de Smiley Face.

Chicago Poker boxChicago Poker eclate

Une expérience différente, plus désagréable pour moi car je me suis réellement accroché avec l’éditeur pour tenter de défendre mon point de vue, est celle de Chicago Poker, un jeu conçu avec Bruno Cathala. Cette fois, le thème originel n’a guère été modifié – notre prototype se situait dans le New York de la prohibition, le jeu publié dans le Chicago de la même époque. No big deal à priori, mais le diable est dans les détails – deux petites cartes dont le changement de nom, et d’illustration, a vraiment nui au jeu. La carte qui donne droit à une action supplémentaire durant son tour de jeu était une mitraillette. S’agissant d’une carte présente dans le jeu en un seul exemplaire, et permettant d’accélérer une fusillade, cela était parfaitement logique. Elle est devenue un simple colt, ce qui n’a guère de sens car cela n’a plus grand chose de spécial, tous les gangsters ayant à priori un colt sur eux, et ne suggère pas la même idée de rapidité. De même, la carte action permettant de regarder les cartes jouées faces cachées par un adversaire était, fort logiquement, l’informateur. Elle est devenue une descente de police – même si j’ai triché et laissé l’intitulé informateur dans la traduction française. Si l’on avait voulu mettre une carte Descente de Police, ce qui n’était pas nécessairement une mauvaise idée, nous lui aurions donné un effet adéquat, par exemple de virer toutes les cartes jouées par tous les joueurs devant un établissement.
Ce n’est plus le thème lui-même qui est jeu ici, c’est son exploitation. L’éditeur ne semble pas avoir compris qu’un thème de jeu, ce n’est pas seulement un titre et de jolis dessins, c’est aussi et surtout un ensemble de références dans les noms et les effets de tous les éléments du jeu, références qui permettent une explication métaphorique des règles, bien plus efficace qu’une explication abstraite et technique, et quelques clins d’œil amusants durant la partie. Chicago Poker n’a pas été un grand succès. Il y a sans doute bien des raisons, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait certainement mieux marché si, comme c’était le cas dans notre prototype, tous les éléments avaient été cohérents.

J’aurais pu trouver bien d’autres exemples et, dans une première version de cet article, j’avais mêlé des exemples provenant de mes jeux et des exemples provenant d’autres jeux, ce qui était sans doute maladroit. La nature des exemples n’a finalement que peu d’importance, le vrai problème celui de la nature du thème dans un petit jeu. Le thème est là, avant tout, pour rendre la partie aussi agréable et fluide que possible. Le thème n’est pas véritablement l’essence du jeu, et même lorsqu’un jeu a été tout entier construit autour d’un thème, on peut parfois – pas toujours –  trouver un autre thème qui fera aussi bien l’affaire. C’est ce qui est arrivé à La Fièvre de l’Or, que les polonais d’Egmont ont adapté avec soin pour en faire un jeu de pirates. Mais encore faut-il que le nouvel univers soit choisi pour son adéquation aux mécanismes, soit d’une approche facile pour les joueurs, et que le changement soit effectué avec soin, jusque dans les plus petits détails, comme le nom de chaque carte.


v315- grand chaman

 This blog post is a replacement for a former one on the same topic, which infuriated the publisher of one of the games I had chosen as an example – even when I had first said that I thought the game was really great before expressing the opinion that its theme had been badly chosen. Anyway, I’ve rewritten the whole article, using only, both as positive and negative examples, games of mine. My recent card games all have good and well implemented themes, may be because I’ve learned to be very careful with this, so I had to undig some older games as counter-examples. 
One of these days, when I’ll find time for it, I’ll write another example about good light games I’ve recently played – including Agent Hunter, 30 Cartas and Koryo, but also probably some other ones, like Mystères (no idJe referai un de ces jours, quand j’aurai le temps, un autre texte sur les autres bons petits jeux d’autres auteurs auxquels j’ai joué récemment – Agent Hunter, 30 Carats, Koryo et sans doute quelques autres comme Mystères and Maximum Throwdown.

Publishers have no problem admitting that a big box game needs a solid theme, a setting convincing, consistent and likely to excite gamers. They usually don’t think this is as important when it comes to light games with one or two abstract mechanisms. In a light card game, an auction game, a tile laying game, the theme is too often considered a superficial varnish  – either it is simply dismissed, or it is chosen according to the fashion trends – pirates or zombies these days, or even Pirates and Zombies – and the consistency with the game systems not even considered. Of course, it is much easier to change the theme of a small game than of big one, because there are fewer elements to adapt or rename, but this doesn’t mean that it must not be dealt with seriously. I’ve had several experiences of small games whose theme has been changed by the publisher, some good ones, like when Boomtown became Pirates – Caribbean Fleet, and some bad ones, like when a King’s Life became Smiley Face. With card games at least, the setting and its consistency with the game system is often whet makes the difference between a good game with clever mechanisms and a great and enthralling game. Of course, a theme is more than a setting and some pictures, it’s a way to bring together the different parts of the game, and to suggest in a fun and efficient way – much more fun and efficient than esoteric icons – the effects of the various cards.

I’ll illustrate this idea wit some of my designs, or co-designs, whose setting was well chosen and well implemented, and with some others which I think were mechanically as good, but whose theme has been either badly chosen, either badly implemented, making the game more confusing to play, and therefore less attractive.

dwarf king 1 dwarf king 2

The Dwarf King is a light and chaotic trick taking game in which many cards have special effects. Few games are as abstract as a trick taking game, even when the fact that the highest cards are named Jack, Queen, King and Ace instead of 11, 12, 13 and 14 might be a very superficial and generic them. The Dwarf King started with these, and I tried both to make this king’s deeper and more meaningful, and to move it a bit towards fantasy, in order to suggest the chaotic aspect of the game. Kings and Queens are still there, Jacks are now Knights and Ace Champions because a trick taking game looks like a succession of battles, and because it was more fun for the illustrator. On the other hand, Knights still sport a J because players are accustomed to it, and because there are already Kings. The rest came naturally. The 5, which must be revealed before the battle starts, are musicians because the band can be heard first when the army is coming. Special cards all have a name that we tried to choose both thematic and consistent with their effect – there is a Shaman, a Warrior, a Druid, a Standard Bearer and even a Ninja. I admit that some names are better than others at giving out the card’s effect, but since only one special card is in play every round, it’s not a big deal.

MASCARADE_PACKSHOT_BOXmascarade persos

Mascarade is also, at its heart, an abstract game, even when cards don’t have numbered values. Except for one or two, all cards were first an effect, and got a name afterwards. Discussions with the publisher on the respective names for the different abilities were sometimes difficult. Since every player had only one card in hand, it sounded obvious that these had to represent characters with whom the players could more or less identify. Since most cards were often unknown from the players, the setting had to suggest manipulations, confusions, intrigues, double identities. Spies and counter spies were an obvious possibility, but the goal of the game – money – didn’t fit. I ended with two settings, Mafia, the game being about sharing the loot on the godfather’s table, or fantasy Renaissance, with crooks, thieves and assassins. The latter was better mostly because of the Venice carnival masks and intrigues, and because there were more different archetypal characters – King, Witch, Thief, Priest… – which were easy to identify with game effects, and could make for nice graphics. Mascarade is no more a realistic game than the Dwarf King, but it’s technically a complex game, with a simple basic system but lots of added card effects. The storyline brought by the setting, and the fact that each character has an ability that sounds more or less “logical” given its name, makes it nevertheless very easy to teach and play – that was the goal.

 Smiley Face boxgame-layout-smiley-face

Gwenaël Bouquin and I had the exact opposite experience with a prototype called “A King’s Life”, which was a kind of trick-taking game with shifting alliances. The original setting was based on the familiar story of the bored king who owns everything but doesn’t know what to do, how to have fun. Players were courtiers making various suggestions to the king – tournament, hunting, ball, feast, each one of this activities being in fact a card suit. Some of the special cards had be devised from their effects, other because they fitted in the storyline. We were extremely surprised when the publisher with whom we had signed for this game told us he wanted to change the theme, and made proposals based only on fashion and trends, not considering the game consistency. Even more, this came from a US publisher mostly publishing heavy boardgames dripping with theme, as if the theme was important in a big game, but didn’t really matter in a small one. There were talks of dinosaurs, and finally it was… smileys – not really a theme in itself, just a graphic gimmick. I never really understood the logic behind the new setting. Since this time, I’ve played once or twice with my old prototype of A King’s Life, but I’ve never played Smiley Face.

  Chicago Poker boxChicago Poker eclate

Another experience, more disagreeable to me because I tried hard to convince the publisher and failed was with Chicago Poker, a card game designed with Bruno Cathala. The original setting did not really change – it just moved from Broadway during the prohibition to Chicago during the prohibition, no big deal, but the devil is in the details – namely in two cards whose name and illustration was changed. The card giving one an extra turn was the submachine-gun, the Chicago typewriter. For a card of which there’s only one in the deck, and which has the effect of accelerating a shoot-out, it was perfectly logical. For no other reason than the fact that the publisher had a nice colt picture ready, it was changed to a standard Colt gun, which has absolutely nothing rare or special, every gangster probably carrying one, and which doesn’t suggest the same idea of acceleration.
The action card that allowed you to look at an opponent’s face down card was, logically, the informer. It’s now, with no logical reason, called Police Raid. If we had wanted to put a Police Raid card, which may have a been a good idea, Bruno and I would have found a consistent effect for it, such as discarding all gangsters played on one business. So, the theme is not bad, since it’s still the one we used when designing the game, but its implementation into the game has been strongly weakened. The publisher didn’t realize that a theme is not only a name and nice pictures, but that is also, and probably more a set of references which make possible a metaphorical explanation of the rules, which is much more fast and efficient than an abstract one, and some nice puns during the game. Chicago poker didn’t sell well. There are certainly many reasons, and may be the game wasn’t that good, but I can’t help wondering if it could not have made better without these small changes.

I could have found many other examples and, in a first version of this article, I had mixed examples from my own games and from other ones, which was probably a bit heavy-handed. Anyway, the real issue is not with this or that specific game, it’s more global – it’s what a theme stands for in a light game. The theme is usually not the essence of the game, and even when a game has been entirely built with a theme, it can sometimes be successfully adapted to another one. That’s what happened with Boomtown, which became Pirates – Caribbean Fleet in Poland – and on Android. But this can work only if the new theme is chosen because it is consistent with the game systems, and if it is carefully implemented, with an attention to all detail, including the name of every card.

Comment et où sont fabriqués nos jeux ?
How and where boardgames are produced ?

v315- grand chaman

Me cantonnant au rôle d’auteur, je ne me suis jamais intéressé de très près au processus de fabrication de mes jeux. Le peu que j’en sais me vient de discussions et de remarques occasionnelles des éditeurs, mais je n’ai jamais mis les pieds dans une usine où sont produits des jeux. C’est donc avec curiosité que j’avais regardé, il y a un ou deux ans, le reportage que Stephen Conway, un passionné de jeux de société, avait réalisé pour son blog “The Spiel” dans l’usine allemande de Ludofact. Ludofact -je ne sais jamais si cela s’écrit avec un c ou un k – est le principal fabricant allemand de jeux de société, produisant les boites de la plupart des éditeurs allemands, et de bien d’autres
La video peut être vue ici.

ludofakt

Sam Brown de Thornhenge, un petit éditeur américain qui a publié à compte d’auteur le jeu Lyssan, a récemment fait le tour de plusieurs usines produisant des jeux de société en Chine, et en a reporté une série de reportages illustrés montrant, autant qu’il a pu les voir, l’organisation de la production, la qualité des produits et les conditions de travail dans cinq usines chinoises. Il a publié ces reportage sur son blog, après avoir demandé l’accord des industriels concernés. Seul l’un d’entre eux a refusé, ce qui devrait logiquement encourager à travailler plutôt avec les quatre autres.
Ses reportages peuvent être lus ici.

L’impression qui ressort de la mise en parallèle de ces observations est qu’il n’y a pas tellement de différences. Les techniques employées, et même les conditions de travail, ne semblent pas si différentes. Alors, certes, les travailleurs chinois sont certainement moins bien payés, mais si leurs salaires continuent à augmenter au rythme actuel, ils nous auront rattrapé dans dix à quinze ans. Ils ont certainement des horaires plus durs que que ceux des travailleurs allemands – qui à en croire la video de The Spiel sont surtout des ouvrières turques – mais je crois volontiers Sam Brown quand il rapporte que le rythme de travail ne lui semblait pas excessif et que les travailleurs n’avaient pas l’air épuisés.

pandagame

On peut souhaiter, pour diverses raisons, travailler avec des fabricants européens, en l’occurrence surtout allemands ou polonais. Ils sont plus proches ce qui diminue coûts et délais de transport, et contact et contrôle sont plus faciles. On peut aussi y trouver des raisons de morale politico-économico-écologique, qu’il s’agisse de relocalisation de l’emploi ou de diminution des transports inutiles et énergivores, car le discours sur la “démondialisation” cher à notre ministre du redressement productif, s’il n’est pas toujours réaliste, n’est pas non plus toujours stupide. Mais les discours culpabilisants sur le thème “vous bossez avec les vilains chinois qui font travailler les petits nenfants” sont, pour l’essentiel, obsolètes – d’autant plus que si leurs salaires ont augmenté et s’ils ne font plus travailler les petits nenfants, c’est justement parce que l’on fait tourner leurs usines depuis un certain temps déjà.

Tout cela pour dire, suite à quelques mails que m’a valu mon post précédent, que je ne suis absolument pas moralement gêné de travailler avec des éditeurs qui produisent leurs jeux en Chine – ce qu’ils font d’ailleurs presque tous, du moins en partie.


v314-shaman

I’m a game designer, and I’v always stayed carefully away from publishing and, even more, producing games. The few I know about the latter is from occasional remarks by my publishers, but I never even set foot into a game manufacturing factory. That’s why, one or two years ago, I watched with intense curiosity the long video report shooted by Stephen Conway, for his blog “The Spiel”, in the Ludofact plant. Ludofact – I never know if it’s writtent with c or k – is the major German game manufacturer, working for most German publishing companies, and several others.
You can watch the video there.

ludofakt

Sam Brown owns Thornhenge, a small american publisher whose first published game was Lyssan. Sam recently tourde several Chinese game manufacturing plants, and came back with some interesting comments and a series of reviews of what he saw in five factories. Only one of these refused that the review was published afterwards, which should logically encourage publishers to work with the four others.
The “factory tour” reviews can be read there.

After watching the video and reading the reviews, the striking impression is that it’s not that different. The technology, the labor organization, the working conditions even, sound similar. Of course, Chinese workers are certainly payed less than German ones, but if their wages keep growing like they did these last years, they’ll catch up with them in ten or fifteen years. They also certainly work longer hours than German ones, but I believe Sam Brown when he states that the pace of work didn’t seem exhausting and that the workers didn’t look exhausted.

pandagame

There are good and sound reasons to prefer to work with Eurpean manufacturers – meaning mostly German and Polish ones. They are nearer from us, which means cheaper and faster shipping, and easier contact and control. There can also be solid moral and political reasons, about “reverse outsourcing” of jobs and saving energy. But the finger pointing on “bad companies who work with Chinese and support child labor” is largely, if not entirely, obsolete. Furthermore, the main reason Chinese wages are rising and the working conditions steadily improving is that their factories are working for us for quite long already.

The main point of this blog post, of course, was to explain to the few people who emailed me after my last posting on Formula E that I have no moral problems with working with game publishers who print in China – and as a matter of fact, most do, if sometimes partially.

Speed Dating en Japonais
Speed Dating in Japanese

Speed Dating jap1

Je vais aller un peu à l’encontre de mes billets précédents en parlant d’un jeu pour lequel le langage est essentiel, et d’ailleurs l’un des rares sur lequel j’ai travaillé entièrement en français, que je ne me sens pas capable d’adapter en anglais, car c’est bien une adaptation qui est nécessaire et non une simple traduction. Ce jeu demanderait  d’ailleurs sans doute une édition anglaise et une édition américaine. Speed Dating sort en effet dces jours-ci en japonais – mais Stéphanie, de Letheia, cherche toujours des éditeurs intéressés par une publication de ce jeu dans d’autres langues.
En attendant, la version japonais donne aux hommes comme aux femmes quelques possibilités qui ne figuraient pas dans la version de base – “est un descendant direct du Sengoku Daimyo”, “a un robot-chat pour le consoler quand il a des soucis”, “envoie cinquante cartes postales par jour”, “n’attache pas d’importance à l’argent car elle paie tout avec la carte bleue de son papa” – et bien d’autres qui, après passage dans Google Translate, ne semblent avoir aucun sens.
Je me demande si le “R15” signifie “interdit aux moins de 15 ans”, peut-être un ami japonais pourra-t-il me répondre.

Speed Dating Jap 2

In a recent post, I argued, maye be with some exaggeration or anticipation,  that most games could nowadays be published only in English. This is not true of all games, and Speed Dating is one of the few games which I’ve designed entirely French. I don’t think I would be able to make even a rough English version of it, because it needs an adaptation, a full localization, rather than a simple translation. It even probably needs different versions for the US and for Great Britain. Anywyay, Speed Dating is still looking for a US or English publisher (and for publishers in any other languages), but the Japanese version will hit the shelves very soon.
It has some fun and specifically japanese cards, such as “is a direct descendant of Sengoku Daimyo”, “has a cat-robot to comfort him when he feels sad”, “sends fifty postcards every day”, “doesn’t care about money and always uses her dad’s credit card” – and many more whose meaning I couldn’t fathom from a Google translation.
I wonder if the “R15” is an age restriction – may be some Japanese gamer can confirm or infirm this wild guess.

Deux petites interviews
Two short interviews (in French)

Deux petites interviews que j’ai données récemment
sur le blog du festival de jeux de Saint Herblain
sur le site Jedisjeux

Je n’ai compris que ces derniers jours que quelques mots à la fin de la seconde interview, soigneusement montés en épingle, sont à l’origine des attaques délirantes dont j’ai été victime sur Facebook la semaine dernière, et qui étaient elles même à l’origine de mon post précédent (vous suivez ?)

v315- grand chaman

Two short interviews on the web – both in French
On the blog of the Saint Herblain game fair
On the Jedisjeux website

L’Horreur identitaire
The Identity Horror

v315- grand chaman

Chaque fois ou presque que je suis interviewé pour une revue ou un site web français, on me pose une question sur la spécificité des auteurs ou des éditeurs français – ou parfois francophones, adjectif plus politiquement correct car il sonne un peu moins nationaliste  et un peu plus culturel, et permet d’inclure quelques suisses, québécois et belges, qui sont de fait loin d’être négligeable dans le milieu ludique. À chaque fois, cela m’énerve. Cette spécificité existe sans doute un peu, du simple fait que des auteurs  et éditeurs qui vivent assez près l’un de l’autre et parlent la même langue ont plus de facilité à se rencontrer, à parler et à collaborer, mais je ne vois vraiment pas pourquoi nous devrions l’entretenir, nous en réjouir, voire en être fier. Je suis auteur de jeu par passion, par curiosité intellectuelle, par choix, et j’en suis fier ; je suis français par hasard, ai toujours refusé d’y attacher la moindre importance, et n’en tire aucune fierté particulière. Cela a quelques avantages pratiques, notamment le fait qu’un passeport français ouvre plus de barrières qu’un passeport congolais ou afghan;  j’en profite assez égoïstement, mais ça ne m’empêche pas de trouver cela injuste.

L’un des charmes du milieu des auteurs de jeux, et ce qui le différencie peut-être des milieux littéraires, est son caractère très international. Si je travaille en ce moment sur quelques idées de jeu avec des auteurs français, j’ai d’autres projets en cours avec des auteurs italiens, allemands et brésiliens, sans avoir eu heureusement à apprendre l’italien, l’allemand ou le portugais. Même les règles des jeux pour lesquels je travaille avec des auteurs français et à priori pour des éditeurs français (ooops ! francophones) sont le plus souvent rédigées en anglais. Les raisons pour cela sont essentiellement techniques – cela  simplifie le travail de rédaction initiale, la langue anglaise étant plus adaptée à l’écriture de règles brèves et claires, et permet de présenter les prototypes à des éditeurs du monde entier – mais ce n’est en rien un renoncement ou une concession. Je suis même convaincu que nous gagnerions tous à utiliser, dans le jeu et dans tous les domaines où la langue a peu d’importance, la même langue. Aujourd’hui, ce ne peut-être que l’anglais, tout comme ce ne pouvait être que le français au XVIIIème siècle ou le latin au XVIème.

Je suis toujours surpris de voir des gens de gauche se joindre au discours nationaliste et réactionnaire sur la « défense de la langue française » prétendument agressée par l’impérialisme culturel américain (qui a d’autres chats à fouetter). Il me semble  qu’aujourd’hui, les nationalismes européens, dont la langue est l’un des thèmes favoris, représentent pour nos libertés de penser et de s’exprimer, et même pour la paix, un danger bien plus immédiat et bien plus grave que l’utilisation de la langue anglaise. Je suis peut-être un incorrigible utopiste, mais je crois que la paix dans le monde aura fait de sacrés progrès le jour où nous pourrons tous communiquer dans la même langue, sans doute un anglais un peu rustique (oui, je sais, c’est un peu ce qui est en train de se passer et la paix ne se porte pas si bien, mais ce serait sans doute bien pire si nous ne pouvions pas nous comprendre). Nous conserverons sans doute nos langues pour l’amour et la littérature, et quelques chansonnettes, mais nous n’en avons pas besoin pour le reste. Qui sait, nous pourrions peut-être même jouer ensemble – et l’une des raisons pour lesquelles j’essaie d’acheter tous mes jeux en anglais est que cela me permet de jouer avec à peu près n’importe qui, quand les jeux en français ne peuvent être joués qu’avec des français, et quelques rares suisses, belges ou québécois.

Alors, que l’on cesse de me bassiner avec le monde ludique francophone, les auteurs de jeux francophones, le web ludique francophone – je n’en ai pas grand chose à faire. Je m’en préoccupe par amitié, car j’y connais beaucoup de gens bien, et par intérêt, car cela reste le marché principal de beaucoup de mes jeux, mais moralement et politiquement, je n’en ai rien à faire.

Suite : Ce texte m’a valu, sur Facebook, des insultes non seulement pour moi, mais également pour quelques amis qui avaient eu le malheur de me défendre. Si je suis volontiers provocateur, ce n’est pas parce que je cherche l’affrontement mais parce que la provocation intellectuelle déstabilise, fait réfléchir et suscite le débat. Je m’attendais à des désaccords, je ne m’attendais pas à des insultes.  Lorsque les discussions ont dégéré en attaques ad hominem, j’ai cependant préféré m’éclipser, traitant le village gaulois, ringard et teigneux, avec le mépris qu’il mérite. Je remercie ceux qui, n’osant plus s’exprimer sur Facebook, m’ont apporté leur soutien par email et je maintiens ma position.


v314-shaman

Nearly every time I’m interviewed for a French magazine or website, there is a question about the specificity of French game designers and game publishers – or rather francophone, a more politically correct adjective because it sounds less nationalistic and more cultural, and incorporates some Swiss, Belgian or Quebecois, who are indeed important, especially among publishers. Every time, it makes me nervous, or even angry. Of course, there are some trends or characteristics more or less specific to the French gaming world, if only because designers and publishers leaving near one from the other can easily meet, talk and work together, but I don’t think we have to maintain it at all price, to be glad or proud of it. I design game by passion, by intellectual interest, by choice – and I’m proud of it. I’m French by sheer luck, and I’ve always refused to place importance on it. Being proud of it would be simply stupid. It brings some nice benefits, mainly the fact that a French passport opens more barriers than a Congolese or Afghan one; I make the most of it, but this doesn’t prevent me from knowing it’s unfair.

One of the charms of the game designers world, especially when compared with the otherwise similar writers’ world, is that it’s really international. I’m working at the moment on some designs with other French designers, but also with Italian, German and Brazilian ones – all in English, of course, because I wouldn’t have found the time to learn Italian, German and Portuguese.  Even the games I design with other French authors have usually English rules, because the English language is more convenient for writing short and clear rules, and because it allows us to show the game to publishers from all around the world – including France. I’ve never felt it was a giving up or a compromise. I’m even convinced it would be all for the better if the whole world were using the same language in all domains where language doesn’t really matter – such as games. Nowadays, this language can only be English – like it could only be French in the XVIIIth century or latin in the XVIth.

I’m always deeply disturbed when I see people who call themselves leftists join in the nationalist and reactionary discourse about the “defense of the French language” supposedly attacked by US cultural imperialism (which has probably other fish to fry). At the moment, European nationalisms, for which national languages are a very important topic, seems to be a much more immediate and threatening danger for our freedom of thought and speech, and may be even for peace, than the use of the English language. I might be an incurable utopist, but I think world peace will make a great step forward when we will all speak and understand the same language, probably some rustic form of English (Well, I know that’s what’s more or less happening and peace is not going so well, but things would probably be worse if we could not understand one another). We will probably keep our good old languages for love and literature, and some children songs, but we don’t really need more of it. Well, may be we can even play games together – and the main reason why I try to buy most of my boardgames in English and not in French is that it allows me to play them with almost anyone, when I can play French versions only with French people, and a few Swiss, Belgians and Canadians.

So, please stop annoying me with the French gaming world, the French speaking game designers, the French gaming websites, and so on – I don’t really care about it. Well, I do care because personally because I have good friends in the French gaming world, and financially, because it’s still the main market for most of my games, but morally and politically I don’t.

Follow-up : there has been some very agressive comments – in French, of course – of this blog post on Facebook. Some of this comments were deliberately insulting for me, and for friends who were trying to defend me, or only to calm things down. I am often provocative, but it is never because I’m eager for fight – it is because I know that intellectual provocation destabilizes and arouses reflection. When talks degenerates into ad hominem attacks, I prefer to quit and disregard violent and stupid people . 

La licorne
The Unicorn

Depuis la parution du très beau livre de Michel Pastoureau et Elisabeth Delahaye, L.es Secrets de la licorne, dans lequel ma thèse d’histoire est citée comme l’une des principales sources sur l’animal merveilleux. je reçois d’assez nombreuses demandes d’internautes cherchant à accéder au texte de mes recherches, qui était jusque là caché dans les recoins poussiéreux de mon ancien site web.

J’ai cessé les recherches historiques depuis bien longtemps, mes connaissances sur la licorne sont loin d’être à jour, et j’ai découvert dans l’ouvrage de M. Pastoureau et E. Delahaye bien des choses que j’ignorai jusque là. Quoi qu’il en soit, si vous désirez lire quelques centaines de pages de plus sur la licorne, datant d’il y a bientôt vingt ans, elles sont ici :

Tome 1
Tome 2


51MqJ1d6NOL

In the nice art and history book about “The Secrets of the Unicorn”, written by Michel Pastoureau and Elisabeth Delahaye, my PhD dissertation is cited as one of the main sources on the topic. Since this book has been published, a few weeks ago, I have received several emails by people asking me where they can fin the text of my PhD, which was hidden in a dusty corner of my old website.

I’ve not done any serious history research for quite long. My knowledge of the unicorn lore and history is not up to date, and I’ve learned many things I didn’t know in M. Pastoureau and E. Delahaye’s book. However, if you want to read a few extra hundred pages about the unicorn, now almost twenty years old, here they are – in French only.

Part 1
Part 2

Création de jeu et poker
Poker and Game Design

poker-face-jason-marsh

Ces dernières semaines, j’ai fait dans des bars ou des boutiques plusieurs démonstrations de Mascarade, souvent suivies de discussions avec les joueurs. L’une des questions qui m’ont parfois été posées est celle de l’influence du poker sur les jeux que j’imagine.

Bien sûr, tous mes jeux, tous les jeux sans doute, ont été influencés par un ou plusieurs jeux plus anciens. Jamais Serge et moi n’aurions imaginé Mystère à l’Abbaye si nous n’avions pas joué au Cluedo, jamais je n’aurais conçu Novembre Rouge sans avoir joué aux Chevaliers de la Table Ronde. Mais il est aussi quelques jeux, ou familles de jeux, dont on peut sentir l’influence, parfois moins visible car plus profonde, dans la plupart de mes créations. Trois me viennent à l’idée, les jeux de rôles, Cosmic Encounter et le poker – et quelle que soit la simplicité de Mascarade, on peut y reconnaître ces trois origines : l’univers médiéval fantastique typique des premiers jeux de rôles, les pouvoirs spécifiques à chaque joueur venus de Rencontre Cosmique, et un bluff qui se rapproche assez du poker – plus sans doute que celui de Citadelles. J’ai déjà parlé ici de Cosmic Encounter, je parlerai des jeux de rôles une autre fois, et je voudrais parler aujourd’hui de mon expérience du poker, de ce qu’elle implique pour ma conception du jeu, et de son impact sur mes créations.

J’ai énormément joué au poker, mais c’était il y a bien longtemps dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, au temps où l’on utilisait en Europe des plaques et non des jetons. Il fut un temps où nos soirées jeux se terminaient systématiquement par une table de poker qui durait jusqu’au premier métro. Les enjeux étaient loin d’être ridicules, mais n’étaient jamais dramatiques. Au début, nous jouions surtout, comme cela se faisait à l’époque, au poker fermé (draw) et au stud 5. Après quelques années, les tables de mon entourage sont devenues “dealer’s choice”, et nombreux sont les auteurs de jeux qui ont alors fait leurs premières armes en inventant des variantes farfelues, aux noms toujours plus improbables, sans-dessous-dessus, 1,2,3 soleil ! ou ascenseur moldave. Certaines de ces variantes ont fini dans mes jeux, comme la taupe, une sorte d’anaconda inversé que je trouve bien plus amusante que l’anaconda classique et que l’on retrouve dans le passage des cartes de Mystère à l’Abbaye.

pokerludo1

Une image du temps où j’avais encore quelques cheveux.

J’ai cessé de jouer au poker au début des années 2000. Peut-être y a-t-il eu de ma part un peu de snobisme a abandonner le jeu auquel tout le monde se mettait alors à jouer, mais ce ne fut certainement pas la raison principale. Je n’ai pas non plus cessé de jouer au poker parce que j’ai changé ou vieilli, j’ai cessé de jouer au poker parce que le poker lui-même a profondément changé et, je pense, vieilli. En même temps qu’il est passé dans le grand public, le poker s’est assagi, standardisé. Tout le monde s’est mis à jouer au Texas Hold’Em, ou à un nombre assez limité de variantes très proches, style Omaha ou Ananas, et en quelques mois c’en fut fini de l’exubérance créative du Dealer’s Choice. Moins fou, moins varié, moins créatif, le jeu est aussi devenu plus technique, comme l’illustre le fait que les grands joueurs soient passés du statut d’aventurier à celui de champion, comme de vulgaires sportifs ou joueurs d’échecs. Pour couronner le tout sont arrivés coup sur coup les lunettes noires et le poker en ligne, enlevant au poker deux de ses plus grands charmes, le plaisir de regarder le visage des adversaires et celui de boire avec eux bière ou whisky.

Qu’est-ce qu’un jeu ? C’est l’une des questions rituelles, et assez futiles, que discutent régulièrement joueurs et auteurs de jeux. Je n’y donne pas toujours la même réponse, mais j’insiste souvent sur la séparation stricte entre le monde du jeu et le monde réel. Les jeux d’argent semblent à première vue infirmer cette définition, puisque contrairement à ce qu’il se passe dans les autres jeux de société, la victoire ou la défaite ont un effet dans le monde réel : le vainqueur est plus riche, le perdant plus pauvre. Dans un jeu classique, non intéressé, les joueurs cherchent de toutes leurs forces à gagner, mais la victoire ou la défaite leur sont ensuite indifférentes, le vrai plaisir étant dans le déroulement de la partie. On cherche à gagner, mais on ne joue pas pour gagner. Dans les jeux d’argent (je ne parle pas ici des jeux de hasard, qui sont plus des paris que des jeux), on cherche à gagner et on joue pour gagner – ou, plus souvent qu’on ne le croit, pour perdre, car c’est plus enivrant. Pourtant, il est bien évident que le poker, par ses mécanismes, par la manière dont on le pratique, est un jeu. En Chine, il est habituel de miser de l’argent dans de très nombreux jeux où personne ne le fait en occident, et si cela peut avoir un effet sur l’ambiance de la partie et la manière de jouer, cela ne change pas la nature, les règles, le déroulement du jeu. Ma définition du jeu doit donc être nuancée. La séparation entre le monde réel et le monde du jeu n’est pas nécessairement totale, elle peut concerner certains aspects seulement. Ainsi, dans un jeu d’argent comme le poker, si l’enjeu monétaire (terme significatif) appartient bien au monde réel, c’est la manière dont il est gagné ou perdu qui n’a rien à voir avec les mécanismes économiques, ce qui donne à toute partie de poker un caractère à la fois ironique et dramatique. À l’inverse, un simulateur de vol peut-être considéré comme un jeu parce que, si les mécanismes sont quasiment identiques à ceux d’un vol réel, l’enjeu n’est pas le même – s’écraser au sol y est moins grave.

MASCARADE_PACKSHOT_BOXbox-citadels-left

Je garde de mes années poker un excellent souvenir, et j’ai très souvent, en imaginant des jeux, cherché à recréer ce qui fait l’essence du poker, le fait que les joueurs se retrouvent réellement, psychologiquement, face à face, ou, pour le dire en termes plus techniques, que le jeu ne serve pas totalement d’interface entre les joueurs. Au poker, on joue avec des cartes, on joue avec de l’argent, mais on joue surtout avec des joueurs – ce qui en fait un vrai jeu “de société”. Citadelles, Aux Pierres du Dragon, Lettre de Marque, Lost Temple et, tout récemment, Mascarade, sont des jeux dans lesquels je pense être arrivé à créer entre les joueurs une tension psychologique qui s’apparente à celle du poker, et ce malgré l’absence d’enjeu “réel”, sonnant et trébuchant.
La tension du poker vient en effet de l’argent, qui autant que les cartes sert de support aux tactiques et au bluff des joueurs. On ne peut pas vraiment jouer au poker avec des haricots, ni même avec des mises trop faibles.
C’est pourquoi, sans être capable de comprendre moi-même précisément la recette que j’ai employée, je suis particulièrement fier de jeux comme Citadelles ou Mascarade dans lesquels, bien qu’il n’y ait aucun enjeu financier à la partie, on se retrouve souvent à regarder un adversaire dans les yeux, en silence, tentant de deviner, de sentir, s’il a pris l’évêque ou le marchand, ou s’il a échangé ou non sa carte, ou s’il pensait qu’on le croirait ou non. Ce n’est pas par hasard qu’il y a beaucoup de “ou” dans cette phrase, et que mes testeurs avaient baptisé le prototype de Mascarade  “ou pas?”. « Ou pas ? », c’est une question que l’on peut se poser en dévisageant un joueur, mais pas en regardant une carte ou un plateau de jeu – qui de toute façon n’ont aucune émotion à dissimuler ou à laisser paraître.


poker-face-jason-marsh

These last weeks, I’ve often demoed Mascarade in bars and game shops, and these sessions were often followed by casual discussions with players. One of the questions I was often asked was wether my game designs were influenced by poker.

Of course, all my boardgames, and probably all games, have been influenced by one or more older games. Serge and I would never have designed Mystery of the Abbey if we had not played Clue, and I would never have designed Red November if I had not played Shadows over Camelot. but there are also games, or game families, whose more vague but deeper influence can be felt in all my game designs. These are role playings games, Cosmic Encounter and Poker. Mascarade has deceptively simple rules, but it can be traced to these three roots. The medieval fantasy setting comes from the first role playing games, the character abilities come from Cosmic Encounter’s aliens, and the bluffing feels like poker – and probably more so than in Citadels. I’ve already written about Cosmic Encounter on this blog, I’ll tell some other time about RPGs and LARPs, let’s deal now with my experience with poker, how it challenges the usual definition of games, and how it consciously inspires my game design philosophy.

I played poker a lot. It was long ago, in the eighties and nineties, when European gamers still used pearly rectangular chips and not US style circular ones. Our boardgame sessions used to be followed by a long poker game, until the first metro. Stakes were far from ridiculous, but never dramatically high. In the first times, we played mostly draw poker and stud 5, which were the most popular then. After a few years, all my friends poker tables became dealer’s choice, and a few game designers made their first steps with inventing zany poker variants with unlikely names that I can’t translate in English. Some of these variants found their way into my games, like the mole, a kind of reverse anaconda, which I used for the card passing system in Mystery of the Abbey.

pokerludo1

A picture from the time when I still had some hair.

I stopped playing poker in the early 2000s. There may have been some snobbishness in giving up the game when it was becoming mainstream, but that was certainly not the main reason. I didn’t stop playing poker because I was changing or getting old, I stopped playing poker because the game itself was changing and, in a way, getting old. When it became mainstream, poker was standardized and lost its whackiness.  Everybody was suddenly playing only Texas Hold’em, or a very limited selection of very similar games, like Omaha or Ananas, and after a few months the exuberance and creativity of dealer’s choice table was over. Less zany, less varied, less creative,  poker also became more technical. Good players were no more fool or adventurists, they were boring champions, like chess players or sportsmen. Then came, one after the other, dark glasses and online games, depriving poker of two of its great charms, looking at opponents’  faces and drinking beer and whisky.

“What is a game ?” is one of the futile questions that gamers and game designers ritually discuss after a few games and a few beers. I don’t always give the same answer, but I usually emphasize the strict distinction between the gaming world and the real one. Gambling games seem to challenge this definition, since unlike in any other games, winning or losing has a lasting impact in the real life : some players get richer, others poorer. When nothing “real” is at stake, players make all they can to win or lose, because that’s what makes the game challenging, but ultimately don’t mind if they win or lose. In games with a monetary stake like poker (but not in gambling games purely based on luck, which are more about betting than playing), players try to win, and do mind if they win or lose. Some players like to win, some enjoy the rapture of losing money, but all of them try to win as hard as they can.
Despite this, poker has gamey mechanisms, a gamey feeling, and is obviously a game. In China, it is usual to add some monetary stake to any kind of game, including games which are never played for money in the west. It may change the mood of the game, the way some players make their decisions, but it doesn’t change its nature, its rules, its mechanisms and story arc. This means that my definition of what a game is must be refined. The distinction between game and reality doesn’t need to be strict, it may affect only some aspects of them. In a gambling game like poker, the stakes belong to reality, but the way they are lost or won has nothing to do with economic reality, and that’s what makes every game of poker both ironic and dramatic. Conversely, a flight simulator is a game because, while its mechanisms are almost identical to real ones, the stakes are not the same, and a crash much less serious.

MASCARADE_PACKSHOT_BOXbox-citadels-left

I have fond memories of my poker years. When designing games, I have often tried to recreate what makes the special essence of poker, the real and psychological face to face between players – or, to put it otherwise, the fact that the game is not always a complete interface between players. Poker is played with cards and with money, but mostly with players. It’s not a party game, but it’s definitely a social game.
In games like Citadels, Fist of Dragonstones, Letter of Marque, Lost Temple and, last of all, Mascarade, I think I managed to create a similar psychological tension between players, based mostly on the possibility of bluff, and I did it without the easy trick of money stakes.
The tension in poker comes indeed from the stakes, which are as important a game component as the cards. Poker for beans, or even for low stakes, doesn’t work. That’s why, even when I don’t know exactly the recipe I used, I’m quite proud of games like Citadels and Mascarade in which, even when there’s no real stake, players often look into each other’s eyes, trying to guess if the opponent chose the bishop or the merchant, or if he swapped his card or not, or if he thought you’ll call his bluff, or not. That’s a lot of “or” and “or not”, and my playtesters nicknames the prototype of Mascarade the “or not?” game. This is indeed a question one can ask oneself when looking the face – the poker face – of another player, but it’s not a question to consider when looking at a card or a board, which have little emotion to hide or show.

D’autres petits jeux
Other light games

Depuis que j’ai abandonné mon ancien site pour un blog plus souple et moins encyclopédique, je ne parle plus guère que de mes jeux. Je joue d’ailleurs beaucoup moins aux nombreux, trop nombreux, nouveaux jeux qui paraissent, et consacre plus de temps à mes prototypes et ceux de mes amis – eux aussi peut-être trop nombreux (les prototypes, pas les amis). J’ai pourtant décidé de faire une exception et de consacrer un petit billet à quelques petits jeux de cartes récemment parus, bien différents, que j’apprécie beaucoup. Ils sont tous un peu “dans mon style” et devraient donc plaire aux habitués de mes créations.

Romans Go Home

Je commencerai par Romans Go Home!, un petit jeu de cartes d’Eric Vogel dans lequel des clans calédoniens s’efforcent de s’emparer des forts du mur d’Hadrien – mais le thème n’a pas ici grande importance.
Romans go Home est tout à fait un jeu “à ma manière”, avec un peu d’enchères, un peu de psychologie, un peu de chance et une bonne dose de chaos. S’il y avait eu mon nom sur la boite, cela n’aurait surpris personne – et j’en aurais été assez fier.
Si je commence par ce jeu, c’est parce qu’il est publié à compte d’auteur, et ne bénéficie donc pas de la “visibilité” des productions des gros éditeurs et des auteurs connus – même si Eric Vogel a déjà quelques bons jeux à son actif, notamment Hibernia. Les illustrations enfantines, également faites par l’auteur, ne contribuent pas non plus vraiment à le faire remarquer.
Bref, si Romans Go Home! était sorti dans une belle édition, chez un gros éditeur, je serai assez confiant dans son succès. Là, le succès que ce jeu mérite ne me semble pas assuré, et j’essaie donc de lui donner un tout petit coup de pouce – en attendant peut-être que, comme cela est arrivé à Love Letter, dont je parlerai plus bas, il soit repris par un plus gros.
pic1642930
Romans Go Home! est donc un petit jeu de cartes pour 2 à 4 joueurs, très rapide et mouvementé, assez chaotique, aux mécanismes simples et astucieux. C’est un peu un jeu d’enchères, puisque chaque fort ira à la tribu qui aura joué les plus fortes cartes, mais c’est aussi un jeu de “double guessing”. Les cartes représentant les guerriers calédoniens sont jouées faces cachées par série de six, correspondant aux six forts à attaquer, mais les cartes n’ayant pas remporté un fort s’ajoutent pour remporter le suivant. Les effets spéciaux des cartes, peu nombreux, suffisent à créer bien des subtilités psychologiques et tactiques – et un peu de chaos. Bref,  c’est un de ces jeux où l’on gagne parce que l’on a bien joué, et où l’on perd parce que l’on n’a pas eu de chance.

petit prince

Le Petit Prince, de mes amis Bruno Cathala et Antoine Bauza, est un peu plus tactique et contrôlable. Dans ce jeu de pose de tuiles pour 2 à 5 joueurs, de facture assez classique, chaque joueur construit une planète avec, comme sur celles visitées par le Petit Prince, des roses, des baobabs, des serpents, des moutons, des réverbères, des astronomes, des banquiers… avec une régle de score différente pour chacun. Je suis en général assez méfiant vis à vis des jeux dans lesquels chacun construit son petit monde dans son coin, sur son petit plateau, et qui manquent souvent cruellement d’interaction, de possibilité d’embêter les autres joueurs. Je ne me suis donc pas pressé de jouer au Petit Prince, et j’avais tort car le système de draft des tuiles, et la facilité à voir ce qu’il se passe chez les adversaires, permet souvent d’obliger un joueur à prendre la tuile dont il ne voulait vraiment pas. Avec une certaine ironie, Antoine et Bruno ont donc réussi, tout en restant fidèle à un livre très gentillet (pour parler poliment) à concevoir un jeu particulièrement méchant (pour parler poliment).

loveletter

Je n’étais pas l’an dernier au salon d’Essen, mais lorsque mes amis en sont revenus, beaucoup m’ont parlé de deux jeux qui les faisaient un peu penser au prototype de mon Mascarade, Coup et Love Letter. Je me suis rapidement procuré ces jeux. Coup m’a effectivement pas mal penser à Mascarade mais, honnêtement, je préfère mon jeu. Quant à Love Letter, du prolifique Seiji Kanai, spécialiste des jeux minimalistes, j’ai adoré. Cependant, si le jeu est là encore tout à fait “dans mon style”, je ne l’en trouve pas moins très différent de Coup et Mascarade. Dans ce jeu de 16 cartes, pour 2 à 4 joueurs, chaque joueur en main une carte personnage. À son tour, on pioche une carte et en joue une, appliquant son effet spécial. Le vainqueur est celui ayant la plus forte carte en main lorsque la partie est terminée, ou le dernier joueur en lice – car certaines personnages permettent bien sûr de regarder la carte d’un adversaire, d’échanger sa carte avec la sienne, ou de l’éliminer si l’on devine sa carte. Rapide, mouvementé, très dépendant du hasard mais permettant parfois quelques coups tordus bien amusants, Love Letter est un petit chef d’œuvre – mais il faut absolument se procurer une édition avec les illustrations japonaises d’origine, et non avec les illustrations américaines, qui sont aussi celles de l’édition française, et qui ôtent au jeu tout son charme.

3 petits cochons

Dans un tout autre genre, j’apprécie beaucoup Les Trois Petits Cochons, de Laurent Pouchain. Certes, ce jeu n’a rien de vraiment novateur, n’étant qu’une variation de plus sur le principe des jeux de prise de risque avec des dés, et vient après Zombie Dice, Martian Dice et quelques autres. Qu’importe, puisque c’est sans doute l’une des meilleures variations, puisque c’est diablement amusant à jouer, puisque le thème est vraiment bien rendu, et puisque l’édition est absolument superbe. Et puis, les petits cochons, c’est quand même plus mignon que les zombies.

Targi

Sinon, j’aime aussi beaucoup Targui, mais j’ai dit que je ne parlerai ici que des jeux qui ressemblent un peu aux miens, et Targui, ça ressemble vraiment aux jeux de Bruno Cathala. Mais si vous préférez les jeux du Bruno des Montagnes à ceux du Bruno des Plaines, jetez-y un coup d’œil.


v315- grand chaman

Since i stopped updating my old encyclopedic website and started this more casual blog, I use it mostly to promote my own games, and rarely comment other designers’ work. Another reason is that I spend much less time playing the many – far too many – games published, and focus on playing my prototypes, and those of my friends. Anyway, I want for once to make an exception and write a short post about three recently published light card games that I really enjoy and which, each in his own way, feel a bit like my own designs and therefore are likely to be enjoyed as well by those who play my games.

Romans Go Home

Lets’s start with Romans Go Home!, a simple card game self-published by Eric Vogel, in which the caledonians clans are trying to seize the forts on Hadrian’s wall. the theme is clever, but not very relevant. Romans go Home has all the stuff some gamers like, and others dislike, in many of my games : bidding, double guessing, and a healthy dose of chaos. If my name were on the box, players would not have been surprised – and I would have been proud.
I start with this game because it is self-published, which means it doesn’t have the same visibility (and the same distribution network) as games from big companies or well known designers, even when Eric Vogel has already published some great games, like the minimalistic board game Hibernia. Also, the childish graphics, also home made by the designer, don’t really help.
If Romans Go Home ! had been published in a nice looking edition, by a big publisher, it would probably have been an instant hit. As it is, I’m not sure it will, and that’s why I want to help it a but – and I hope that, like Love Letter of which I’ll tell below, it will soon be taken over by a bigger publisher.
pic1642930
Romans Go Home! is a light 2 to 4 players card game, fast paced and rather chaotic, built from simple and  clever auction and double guessing mechanisms. It’s an auction game, because each fort is won by the player with the highest warrior cards, but it’s also a double guessing game because cards are  played face down in series of six, and cards that don’t win a fort stay in game for the next one. The cards special effects are few, but just enough to generate tactical and psychological conundrums – and some chaos. I like games that you win by clever play and lose by bad luck.

little prince

The Little Prince, by my friends Bruno Cathala and Antoine Bauza, has more tactics and control. It looks like the typical tile laying eurogame. 2 to 5 players build each one’s own planet, and the tiles have all the stuff from the book – roses, baobabs, snakes, sheep, streetlights, astronomers, geographers…, each one scored in a different way.
I’m usually wary of games in which each player has his own small board to build his own small world. They often lack interaction, opportunities to mingle in other players’ plans. That’s why I was in no hurry to play this game, and I was wrong because the tile drafting system, and the easiness to see what’s happening on other players’ planets, creates lots of opportunities for nasty play, mostly with forcing a player to take the tile he really doesn’t want. Kudos to Bruno and Antoine for this masterwork of irony – a very nasty game based on the epitome of cute and delicate children book – it deserved it.

loveletter

I was not in Essen last year, but when some gaming buddies came back from it, they told me of Coup and Love Letter, two games which felt a bit like the prototype of my Mascarade. I quickly ordered these two games. Coup feels indeed a bit like Mascarade but, honestly, I prefer my own game. As for Love Letter, designed by Seiji Kanai, a Japanese designer specialized in minimalistic games, I enjoyed it a lot. It’s definitely my style of games, but it’s not that similar with Coup and Mascarade. In this 16 cards game for 2 to 4 players, each player starts with a character card in hand. On one’s turn, one draws a card and then plays one of one’s two card, applying its effect. The winner is the player with the highest card in hand when the game ends, or the last player in the game. Some characters indeed allow one to look at another player’s card, to swap one’s card with another, or to eliminate a player if one guesses his card right. It’s light and fast paced, it’s sometimes very luck dependent but  leaves room for the occasional nasty trick. Love Letter is a masterwork, but you must manage to find a copy with the original Japanese graphics, which have much more charm than the bland american ones.

3 little pigs

Laurent Pouchain’s Three Little Pigs is nothing really new – just one more variation on the dice risk taking games, like Zombie Dice, Martian Dice and some others. However, it might be one of the best variation, it’s fun to play, the theme works very well, and the production is gorgeous. And pigs are cuter than zombies.

Targi

I also really enjoyed my few games of Andreas Steiger’s Targi, but I’m supposed to talk here only of games that feel a bit like my own designs, and Targi clearly feels like a design by Bruno Cathala. So, if you prefer his games to mine, have a look at this one.

Entre les mondes
Between worlds

v314-shaman

Mes deux activités professionnelles – la création de jeu et l’enseignement de l’économie et de la sociologie – ont une caractéristique commune, celle d’être plus ou moins au croisement de deux cultures, ou de deux formes d’esprit, littéraire et scientifique. L’économie et la sociologie ne sont certainement pas des sciences dures; ce sont des sciences sociales, des sciences molles ou plutôt floues, dans lesquelles aucune analyse ne peut prétendre à l’objectivité, mais elles font néanmoins des outils mathématiques ou statistiques un usage plus fréquent (trop fréquent peut-être) que la psychanalyse ou la critique littéraire. La conception d’un jeu de société est aussi une activité complexe, qui ressemble tantôt à l’écriture d’un roman, tantôt à un exercice de mathématiques. C’est également vrai des jeux videos, sans parler des jeux de rôles.

Dans une passionnante interview, Matthew Dunstan, l’auteur de Relic Runners, qui va bientôt sortir chez Days of Wonder, explique que, pour lui, la création d’un jeu est, pour l’essentiel, la résolution d’un problème mathématique. Relic Runners s’inspire d’une variation sur le célèbre problème du représentant de commerce – qui était déjà derrière quelques autres jeux, dont l’excellent Elfenland. Pour ma part, interrogé sur le métier d’auteur de jeu, je le compare habituellement plutôt à celui d’un scénariste de cinéma ou de BD.

Si l’on dresse un profil de l’auteur de jeu type, et notamment des études qu’il a suivi, on trouve un assez grand nombre de mathématiciens, certains de haut niveau comme Richard Garfield ou Reiner Knizia, ou de physiciens et ingénieurs comme Bruno Cathala ou Matthew Dunstan, mais je suis loin d’être le seul auteur à avoir une formation et une démarche plutôt littéraire ou artistique – je pense à Dominique Ehrhard ou Philippe Despallières. Quand je passe en revue les quelques auteurs de jeux que je connais plus ou moins, je me rends même compte que, pour la plupart d’entre eux, j’ignore totalement quel type d’étude ils ont fait, s’ils en ont fait, et s’ils ont été amenés au jeu par une curiosité scientifique ou littéraire. Il n’est même pas possible d’opposer un “style” scientifique et un style littéraire ou artistique dans la création ludiques. Il est de bon ton de moquer le côté très mathématique et calculatoire des jeux de Reiner Knizia, mais ceux de Dominique Ehrhard ne sont pas mal non plus. À l’inverse, les jeux de Richard Garfield sont aussi chaotiques que les miens, et me semblent assez difficiles à formaliser en termes mathématiques.

Alors, qui a raison ? Comme d’habitude, tout le monde et personne. Tout le monde parce qu’un jeu est un ensemble complexe, parce que l’auteur – et souvent le même auteur – peut partir d’un thème, d’un mécanisme ou d’un matériel qui l’intéresse, et que selon le cas, la démarche créative sera ensuite très différente. Personne, parce que la création ludique relève peut-être, comme d’ailleurs l’économie et la sociologie, d’une troisième culture, celle du bricolage, qui n’est ni tout à fait de l’art, ni vraiment de la science. Et maintenant il faut que je traduise ça en anglais et que je trouve comment exprimer cette idée de bricolage.


v315- grand chaman

I have two jobs – designing games and teaching economics and sociology. These domains have one thing in common. They require a mix between two cultures, or two ways of thinking, the scientific and the literary one. Economics and sociology are certainly not hard sciences; they are social sciences, soft or fuzzy sciences, but they nevertheless use more math – and may be more than they ought to –  than psychoanalysis or literary criticism. Designing a board or card game is also a multifaceted activity. , and feels sometimes like writing, sometimes like solving a math problem. This is also true of video games and role playing games. 

In a fascinating interview, Matthiew Dunstan, the author of Relic Runners, soon to be published by Days of Wonder, explains that, for him, designing a game is mostly a mathematical exercise. Relic Runners is indeed directly inspired by the salesman problem – which already gave us several games, including one of my all time favorites, Elfenland. When I’m asked about my activity as a game designer, I usually tell that it’s a bit like writing a movie screenplay or a comics storyline.

If you check the game authors, many indeed have a mathematical background – Richard Garfield and Reiner Knizia both have a PhD in it. Others, like Matthew Dunstan or Bruno Cathala, graduated in chemistry or physics. On the other hand, I’m far to be the only one with a more literary or artistic background – I’m thinking of Philippe DesPallières, or of Dominique Ehrhard, who is a professional painter. The strangest thing is probably that, when I check my game designer friends, I have no idea of their style of academic background, if they have any. It’s not even possible to distinguish between a “scientific” and a “literary” style in game design. Game designers use to mock the abstract and mathematical style of Reiner Knizia’s designs, but Dominique Ehrhard’s games have a similar feel. On the opposite, Richard Garfield’s games are as chaotic as mine, and I doubt he ever tried to formalize them in a mathematical way.

So, who’s right ? As usual, no one and everyone.. Everyone, because a game is a complex item, and because its designer – and often the same designer – can start from a theme, a mechanism or a component, and the creative process can therefore follow different paths. No one, because game design, like economics and sociology, mostly requires a third way of thinking, a third culture, the culture of makeshift* , which is neither art nor science.

* I can’t find an English world to express the idea that “bricolage” gives in French – it has the ideas of makeshift, improvisation, pragmatism, mix of elements from different origins…