Cet article “remplace” un texte précédent sur le même sujet, qui a été fort mal pris par l’éditeur de l’un des jeux cités – jeu dont je disais pourtant le plus grand bien avant de remarquer que son thème avait été mal choisi. J’ai donc préféré réécrire entièrement l’article en ne prenant, comme exemples positifs ou négatifs, que des jeux dont je suis l’auteur. Je le regrette un peu car, mes petits jeux récents étant plutôt bien thématisés, sans doute parce que j’ai appris à prendre bien soin de cet aspect de l’édition, cela m’a obligé à aller chercher comme exemples négatifs des jeux un peu plus anciens.
Je referai un de ces jours, quand j’aurai le temps, un autre texte sur les autres bons petits jeux d’autres auteurs auxquels j’ai joué récemment – Agent Hunter, 30 Carats, Koryo et sans doute quelques autres comme Mystères et Maximum Throwdown.
La nécessité d’un bon thème, c’est à dire cohérent, convaincant et adapté au style du jeu et des joueurs, ne fait guère de doute auprès des éditeurs pour un gros jeu dans une grosse boite, mais elle ne leur semble pas du tout évidente pour de petits jeux aux mécanismes abstraits. Pour un petit jeu de cartes, ou un petit jeu d’enchères, le thème est bien souvent considéré comme un vernis superficiel – soit il n’a guère d’importance et est simplement oublié, soit il est choisi en fonction des modes du moment – les zombies ou les pirates, par exemple, voire les zombies et les pirates – sans le moindre souci de cohérence avec les mécanismes. Pourtant, au moins pour les jeux de cartes, c’est bien souvent le thème et son adéquation au système qui font la différence entre un bon jeu aux mécanismes astucieux et un jeu dans lequel les joueurs auront envie de se replonger. Le thème, ce n’est pas seulement des illustrations – Sex Nimmt avec des dessins de zombies n’est pas devenu un jeu de zombies -, c’est aussi un moyen de relier les différents mécanismes du jeu, et de suggérer, souvent plus efficacement qu’avec des icônes ésotériques, les effets des différentes cartes.
Pour illustrer cela, je prendrai parmi mes créations ou co-créations deux exemples de jeux dont le thème me semble avoir été bien choisi et bien traité, et deux exemples de jeux qui me semblaient mécaniquement tout aussi bons mais dont le thème a été soit mal choisi, soit mal exploité, rendant l’approche du jeu moins naturelle et diminuant son attrait.
Le Roi des Nains est un jeu de plis, mais dans lequel un grand nombre de cartes ont des pouvoirs spéciaux. Rien de plus abstrait qu’un jeu de plis, même si le fait que certaines cartes s’appellent Valet, Dame, Roi et non 11, 12 et 13 est déjà une ébauche de thématisation. L’approche choisie pour le Roi des Nains a consisté à partir de ces termes et tout à la fois à approfondir le thème “royal” et à le pervertir un peu en le déplaçant dans un univers fantastique et humoristique suggérant le caractère chaotique du jeu. Rois et Dames sont donc toujours là, les As sont devenus Champions, mais toujours repérés par un A, et les Valets des Cavaliers plus guerriers et permettant à l’illustrateur de se faire plaisir. La suite est venue d’elle même – les cartes que l’on doit révéler au début de chaque donne sont les musiciens, dont on entend le vacarme avant la bataille. Les cartes spéciales ont toutes un nom – Ninja, Dragon, Shaman, Druide – que nous avons essayé de choisir de telle manière qu’il suggère l’effet de la carte, même si je reconnais que certaines associations sont moins évidentes que d’autres. La cohérence thématique est loin d’être parfaite, puisque chaque armée comprend des guerriers de tous les peuples, mais elle est suffisante pour donner au jeu une personnalité, un petit quelque chose qui le distingue des autres jeux de plis, très abstraits.
Mascarade est aussi un jeu fondamentalement abstrait, même si les cartes n’y ont pas de valeurs numérotées. À deux ou trois exceptions près, les personnages ont été imaginés à partir de leur effet, et ce n’est qu’ensuite que nous leur avons trouvé des noms – sur lesquels les discussions avec l’éditeur ont parfois été difficiles. Chaque joueur n’ayant qu’une seule carte en main, il m’a semblé d’emblée évident que ces cartes devaient être des personnages avec lesquels les joueurs pourraient s’identifier. Les cartes de chacun étant assez largement inconnus des joueurs, il nous fallait un univers de manipulation, d’embrouilles, d’identités secrètes. L’espionnage aurait pu sembler évident, mais le but du jeu – amasser de l’argent – ne collait pas. Restaient la mafia, ambiance partage du butin autour de la table du parrain, et l’univers médiéval ou Renaissance fantastique. Ce dernier s’est imposé pour trois raisons. La référence à Venise et aux masques justifiait le fait que les identités réelles de chacun soient mal connues. Les personnages archétypaux – roi, sorcière, voleur, prêtre… – étaient plus nombreux et faciles à exploiter pour expliquer les effets des cartes. Enfin, cela promettait de jolis dessins. Le principe de base de Mascarade est simple, mais les nombreux effets des cartes rendent vite le jeu complexe. Son thème permet de fournir un prétexte – devrais-je dire un préjeu -, une histoire qui sert de fil conducteur à la partie, mais il permet surtout d’amener de nombreux personnages permettant de justifier plus ou moins logiquement tous les effets des cartes. C’était l’objectif recherché.
L’expérience inverse de Mascarade est arrivée à Gwenaël Bouquin et moi avec un prototype qui s’appelait “Une vie de Roi”, et qui se voulait un mélange très léger, et très méchant, de jeu de plis et de jeu d’alliance et de négociation. Notre thème initial, inspiré de la petite histoire pascalienne du roi sans divertissement, permettait de justifier les alliances entre courtisans faisant au roi la même proposition – aller au bal, à la chasse, au tournoi, chacune de ces activités correspondant à l’une des « couleurs » de cartes… Si certaines cartes spéciales avaient été imaginées d’après des mécanismes, d’autres s’inspiraient d’ailleurs du thème. Nous avons été très surpris que l’éditeur qui avait choisi de publier ce jeu décide d’en changer le thème, et nous fasse des propositions purement liées à la mode du moment sans réel souci de cohérence avec le jeu. Nous fumes même d’autant plus surpris qu’il s’agissait d’un éditeur plutôt spécialisé dans les “gros” jeux aux thématiques très soignées et très approfondies. On est là très exactement devant le problème abordé en introduction – le thème est perçu comme important pour un gros jeu, pas pour un petit. Il fut d’abord question de dinosaures, puis d’émotions et de smileys, et j’avoue ne jamais avoir très bien compris la logique thématique du jeu publié. S’il m’est arrivé une ou deux fois de ressortir mon prototype d’une vie de roi, je n’ai d’ailleurs jamais joué avec ma boite de Smiley Face.
Une expérience différente, plus désagréable pour moi car je me suis réellement accroché avec l’éditeur pour tenter de défendre mon point de vue, est celle de Chicago Poker, un jeu conçu avec Bruno Cathala. Cette fois, le thème originel n’a guère été modifié – notre prototype se situait dans le New York de la prohibition, le jeu publié dans le Chicago de la même époque. No big deal à priori, mais le diable est dans les détails – deux petites cartes dont le changement de nom, et d’illustration, a vraiment nui au jeu. La carte qui donne droit à une action supplémentaire durant son tour de jeu était une mitraillette. S’agissant d’une carte présente dans le jeu en un seul exemplaire, et permettant d’accélérer une fusillade, cela était parfaitement logique. Elle est devenue un simple colt, ce qui n’a guère de sens car cela n’a plus grand chose de spécial, tous les gangsters ayant à priori un colt sur eux, et ne suggère pas la même idée de rapidité. De même, la carte action permettant de regarder les cartes jouées faces cachées par un adversaire était, fort logiquement, l’informateur. Elle est devenue une descente de police – même si j’ai triché et laissé l’intitulé informateur dans la traduction française. Si l’on avait voulu mettre une carte Descente de Police, ce qui n’était pas nécessairement une mauvaise idée, nous lui aurions donné un effet adéquat, par exemple de virer toutes les cartes jouées par tous les joueurs devant un établissement.
Ce n’est plus le thème lui-même qui est jeu ici, c’est son exploitation. L’éditeur ne semble pas avoir compris qu’un thème de jeu, ce n’est pas seulement un titre et de jolis dessins, c’est aussi et surtout un ensemble de références dans les noms et les effets de tous les éléments du jeu, références qui permettent une explication métaphorique des règles, bien plus efficace qu’une explication abstraite et technique, et quelques clins d’œil amusants durant la partie. Chicago Poker n’a pas été un grand succès. Il y a sans doute bien des raisons, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait certainement mieux marché si, comme c’était le cas dans notre prototype, tous les éléments avaient été cohérents.
J’aurais pu trouver bien d’autres exemples et, dans une première version de cet article, j’avais mêlé des exemples provenant de mes jeux et des exemples provenant d’autres jeux, ce qui était sans doute maladroit. La nature des exemples n’a finalement que peu d’importance, le vrai problème celui de la nature du thème dans un petit jeu. Le thème est là, avant tout, pour rendre la partie aussi agréable et fluide que possible. Le thème n’est pas véritablement l’essence du jeu, et même lorsqu’un jeu a été tout entier construit autour d’un thème, on peut parfois – pas toujours – trouver un autre thème qui fera aussi bien l’affaire. C’est ce qui est arrivé à La Fièvre de l’Or, que les polonais d’Egmont ont adapté avec soin pour en faire un jeu de pirates. Mais encore faut-il que le nouvel univers soit choisi pour son adéquation aux mécanismes, soit d’une approche facile pour les joueurs, et que le changement soit effectué avec soin, jusque dans les plus petits détails, comme le nom de chaque carte.
This blog post is a replacement for a former one on the same topic, which infuriated the publisher of one of the games I had chosen as an example – even when I had first said that I thought the game was really great before expressing the opinion that its theme had been badly chosen. Anyway, I’ve rewritten the whole article, using only, both as positive and negative examples, games of mine. My recent card games all have good and well implemented themes, may be because I’ve learned to be very careful with this, so I had to undig some older games as counter-examples.
One of these days, when I’ll find time for it, I’ll write another example about good light games I’ve recently played – including Agent Hunter, 30 Cartas and Koryo, but also probably some other ones, like Mystères (no idJe referai un de ces jours, quand j’aurai le temps, un autre texte sur les autres bons petits jeux d’autres auteurs auxquels j’ai joué récemment – Agent Hunter, 30 Carats, Koryo et sans doute quelques autres comme Mystères and Maximum Throwdown.
Publishers have no problem admitting that a big box game needs a solid theme, a setting convincing, consistent and likely to excite gamers. They usually don’t think this is as important when it comes to light games with one or two abstract mechanisms. In a light card game, an auction game, a tile laying game, the theme is too often considered a superficial varnish – either it is simply dismissed, or it is chosen according to the fashion trends – pirates or zombies these days, or even Pirates and Zombies – and the consistency with the game systems not even considered. Of course, it is much easier to change the theme of a small game than of big one, because there are fewer elements to adapt or rename, but this doesn’t mean that it must not be dealt with seriously. I’ve had several experiences of small games whose theme has been changed by the publisher, some good ones, like when Boomtown became Pirates – Caribbean Fleet, and some bad ones, like when a King’s Life became Smiley Face. With card games at least, the setting and its consistency with the game system is often whet makes the difference between a good game with clever mechanisms and a great and enthralling game. Of course, a theme is more than a setting and some pictures, it’s a way to bring together the different parts of the game, and to suggest in a fun and efficient way – much more fun and efficient than esoteric icons – the effects of the various cards.
I’ll illustrate this idea wit some of my designs, or co-designs, whose setting was well chosen and well implemented, and with some others which I think were mechanically as good, but whose theme has been either badly chosen, either badly implemented, making the game more confusing to play, and therefore less attractive.
The Dwarf King is a light and chaotic trick taking game in which many cards have special effects. Few games are as abstract as a trick taking game, even when the fact that the highest cards are named Jack, Queen, King and Ace instead of 11, 12, 13 and 14 might be a very superficial and generic them. The Dwarf King started with these, and I tried both to make this king’s deeper and more meaningful, and to move it a bit towards fantasy, in order to suggest the chaotic aspect of the game. Kings and Queens are still there, Jacks are now Knights and Ace Champions because a trick taking game looks like a succession of battles, and because it was more fun for the illustrator. On the other hand, Knights still sport a J because players are accustomed to it, and because there are already Kings. The rest came naturally. The 5, which must be revealed before the battle starts, are musicians because the band can be heard first when the army is coming. Special cards all have a name that we tried to choose both thematic and consistent with their effect – there is a Shaman, a Warrior, a Druid, a Standard Bearer and even a Ninja. I admit that some names are better than others at giving out the card’s effect, but since only one special card is in play every round, it’s not a big deal.
Mascarade is also, at its heart, an abstract game, even when cards don’t have numbered values. Except for one or two, all cards were first an effect, and got a name afterwards. Discussions with the publisher on the respective names for the different abilities were sometimes difficult. Since every player had only one card in hand, it sounded obvious that these had to represent characters with whom the players could more or less identify. Since most cards were often unknown from the players, the setting had to suggest manipulations, confusions, intrigues, double identities. Spies and counter spies were an obvious possibility, but the goal of the game – money – didn’t fit. I ended with two settings, Mafia, the game being about sharing the loot on the godfather’s table, or fantasy Renaissance, with crooks, thieves and assassins. The latter was better mostly because of the Venice carnival masks and intrigues, and because there were more different archetypal characters – King, Witch, Thief, Priest… – which were easy to identify with game effects, and could make for nice graphics. Mascarade is no more a realistic game than the Dwarf King, but it’s technically a complex game, with a simple basic system but lots of added card effects. The storyline brought by the setting, and the fact that each character has an ability that sounds more or less “logical” given its name, makes it nevertheless very easy to teach and play – that was the goal.
Gwenaël Bouquin and I had the exact opposite experience with a prototype called “A King’s Life”, which was a kind of trick-taking game with shifting alliances. The original setting was based on the familiar story of the bored king who owns everything but doesn’t know what to do, how to have fun. Players were courtiers making various suggestions to the king – tournament, hunting, ball, feast, each one of this activities being in fact a card suit. Some of the special cards had be devised from their effects, other because they fitted in the storyline. We were extremely surprised when the publisher with whom we had signed for this game told us he wanted to change the theme, and made proposals based only on fashion and trends, not considering the game consistency. Even more, this came from a US publisher mostly publishing heavy boardgames dripping with theme, as if the theme was important in a big game, but didn’t really matter in a small one. There were talks of dinosaurs, and finally it was… smileys – not really a theme in itself, just a graphic gimmick. I never really understood the logic behind the new setting. Since this time, I’ve played once or twice with my old prototype of A King’s Life, but I’ve never played Smiley Face.
Another experience, more disagreeable to me because I tried hard to convince the publisher and failed was with Chicago Poker, a card game designed with Bruno Cathala. The original setting did not really change – it just moved from Broadway during the prohibition to Chicago during the prohibition, no big deal, but the devil is in the details – namely in two cards whose name and illustration was changed. The card giving one an extra turn was the submachine-gun, the Chicago typewriter. For a card of which there’s only one in the deck, and which has the effect of accelerating a shoot-out, it was perfectly logical. For no other reason than the fact that the publisher had a nice colt picture ready, it was changed to a standard Colt gun, which has absolutely nothing rare or special, every gangster probably carrying one, and which doesn’t suggest the same idea of acceleration.
The action card that allowed you to look at an opponent’s face down card was, logically, the informer. It’s now, with no logical reason, called Police Raid. If we had wanted to put a Police Raid card, which may have a been a good idea, Bruno and I would have found a consistent effect for it, such as discarding all gangsters played on one business. So, the theme is not bad, since it’s still the one we used when designing the game, but its implementation into the game has been strongly weakened. The publisher didn’t realize that a theme is not only a name and nice pictures, but that is also, and probably more a set of references which make possible a metaphorical explanation of the rules, which is much more fast and efficient than an abstract one, and some nice puns during the game. Chicago poker didn’t sell well. There are certainly many reasons, and may be the game wasn’t that good, but I can’t help wondering if it could not have made better without these small changes.
I could have found many other examples and, in a first version of this article, I had mixed examples from my own games and from other ones, which was probably a bit heavy-handed. Anyway, the real issue is not with this or that specific game, it’s more global – it’s what a theme stands for in a light game. The theme is usually not the essence of the game, and even when a game has been entirely built with a theme, it can sometimes be successfully adapted to another one. That’s what happened with Boomtown, which became Pirates – Caribbean Fleet in Poland – and on Android. But this can work only if the new theme is chosen because it is consistent with the game systems, and if it is carefully implemented, with an attention to all detail, including the name of every card.
Monsieur Faidutti,
Le fait est que j’ai reçu récemment le roi des nains et après l’avoir expliqué et y avoir joué, il m’a semblé être aux antipodes de la thèse que vous défendez sur les petits jeux et les thématiques faciles.
Alors, je suis d’accord avec vous un bon thème aide à accrocher à un jeu, elle met les règles dans un contexte, les rends plus facile à assimiler. Il est évident pour tout le monde qu’un voleur vole.
Mais le roi des nains me semble être un très bon exemple de ce qui ne faut pas faire pour rendre un jeu plus facile à appréhender. Vous êtes parti d’une base solide, que tout le monde connait : les jeu de 52 cartes. Un jeu ancrer, au moins un minimum, dans la tête de tous. Tout le monde connait l’ordre des cartes 2 à 10, V, D, R, A et les 4 couleurs. Chaque changements (transformer les valets en cavaliers, les couleurs en race, ajouter des 11… ) apporter à cette base rend le jeu plus complexe à appréhender. Il faut ici oublier quelque chose de connu pour faire place à d’autres mot-clés, d’autres habitudes.
Pour moi ce jeu marque trop ou ne marque pas assez ça différence avec un jeu de cartes traditionnelle. La façon de mettre en place le thème n’aide pas à trouver des repères pour nous plonger dans le jeu mais nous fait perdre nos repères.
complots, un petit jeu rapide, illustre bien, par ses illustrations, le thème et la mécanique du jeu, du coup, on le prend facilement en main.