Il est rare que des choix de politique économique soient autant commentés dans le petit monde du jeu de société que, ces dernières semaines, les incessants allers et retours sur la politique douanière américaine et, en particulier, les droits de douane extrêmement élevés – on en est à 145% – sur les importations en provenance de Chine. Cette décision, qui remet en cause la tendance des soixante dernières années à la mondialisation et au désarmement tarifaire, a bien sûr des implications beaucoup plus graves, largement discutées dans les médias, mais je voudrais ici me concentrer sur ce qu’il se passe dans le secteur particulièrement affecté du jeu de société.
J’ai sur la globalisation de la production et des échanges, particulièrement prononcée dans le domaine du jeu, une position assez nuancée, que j’avais développée dans un article il y a quelques années. Pour résumer, la globalisation, c’est bien parce que cela mélange les hommes et les idées, et enrichit culturellement tout le monde. C’est bien parce que l’on a moins tendance à imaginer différents les gens avec qui l’on discute quotidiennement et fait des affaires, et que l’on a du coup moins envie de leur faire la guerre. C’est bien parce que cela a permis et permet encore le développement de nombre de pays du Sud et de l’est, leur donnant une chance d’échapper à la pauvreté. La globalisation, c’est mal parce que le transport des marchandises et des hommes pollue énormément et contribue au réchauffement climatique. C’est mal parce que cela a contribué à la désindustrialisation dans les pays du Nord, sans offrir toujours d’autres perspectives à ceux, souvent âgés et peu qualifiés, dont les emplois ont disparu. J’espère donc que, dans les années qui viennent, nous trouverons un moyen de relocaliser les productions tout en continuant à échanger les hommes et les idées. Le retour à l’isolationnisme et au mercantilisme qui semble au cœur de la nouvelle stratégie économique américaine n’a rien à voir avec cette perspective.
Les dernières annonces de Donald Trump mettent en difficulté toute l’industrie du jeu de société, surtout mais pas seulement aux Etats-Unis. Nos jeux sont aujourd’hui produits dans leur très grande majorité en Chine, et dans une moindre mesure en Europe, notamment en Pologne. Il n’existe pas aux Etats-Unis de capacités de production suffisantes pour prendre le relais des importations chinoises. Il y a bien quelques usines, comme celles de l’allemand Ludofact qui produit surtout des jeux de cartes et celle, qui semble ouvrir juste à propos, du chinois Hero Time, mais elles sont très loin de pouvoir remplacer les Longpack, Whatz et autres Panda. On peut bien sûr arguer que l’objectif des droits de douane est de pousser les investisseurs à installer des capacités de production aux Etats-Unis, mais la mise en place d’une unité de production demande environ cinq ans, et si quelques machines peuvent être importées d’Allemagne, d’autres ne peuvent être trouvées… qu’en Chine. Et puis cinq ans, c’est de toute façon bien assez long pour que pas mal d’éditeurs mettent la clef sous la porte. De toute façon personne ne va investir quand nul ne croit que la politique protectionniste actuelle puisse durer longtemps – quatre ans au plus, sans doute moins tant elle semble vouée à l’échec.
Si l’Europe, l’Inde, le Vietnam restent moins touchés par les droits de douane, ce qui n’est pas certain, il est plus réaliste d’imaginer que certains éditeurs y fassent produire leurs jeux destinés au marché américain. Les capacités de production par chez nous, essentiellement en Pologne, étant limitées, on peut même envisager le schéma un peu ironique d’une production en Chine pour le marché européen, et en Europe pour le marché américain.
Quoi qu’il en soit, la politique économique américaine semblant marquée par l’imprévisibilité, nul ne se risque pour l’instant à faire des projets à long terme. Eric Martin a, sur le site du Boardgamegeek, publié plusieurs articles reprenant et synthétisant les opinions exprimées par de nombreux éditeurs, dominées par la stupéfaction et l’attentisme( 1,2,3,4,5). Le site Cardboard Edison a lui aussi interrogé nombre d’éditeurs. Je ne vais pas tout répéter ici, et vous invite à aller les lire. Certains, comme Stonemaier games et Steve Jackson games, deux éditeurs on ne peut plus différents, ont même publié de longs communiques argumentés à ce sujet.
À court terme, les éditeurs vont sensiblement augmenter leurs prix et rogner un peu sur leurs marges. Leurs ventes et leurs capacités financières vont diminuer. Prudents, ils vont diminuer le nombre de nouveautés, et se concentrer sur les classiques et, surtout, les jeux de cartes, seul type de produit qu’il est envisageable de produire assez rapidement aux Etats-Unis. Mais, bon, le marché du petit jeu de cartes n’est pas extensible à l’infini.
Je vois à l’instant sur Facebook la première annonce en ce sens, celle de Pandasaurus, qui va abandonner les gammes qu’il n’est pas possible de fabriquer hors de Chine, faire produire tous ses autres jeux en Europe, et augmenter ses prix de 20 ou 30%. D’autres suivront certainement.
Quelques éditeurs ont déjà reçu des containers partis de Chine avant l’imposition des droits de douane, et les plus petits éprouvent déjà de grandes difficultés à payer les sommes demandées pour le dédouanement. D’autres ont demandé à ce que leurs jeux déjà produits soient stockés en Chine quelques mois, dans l’espoir que la guerre douanière se calme. Certains petits éditeurs, les plus affectés, envisagent s’orienter vers le print and play, ou la vente directe. Pour un petit éditeur déjà en difficulté, Final Frontier Games, les droits de douane ont signifié la fin de l’aventure ; je ne doute pas qu’il y en aura d’autres. Du côté des gros éditeurs, je ne crois pas qu’il y ait eu de réaction officielle d’Asmodée, dont tout le modèle économique est basé sur l’internationalisation du marché, mais les quelques employés du diable avec qui j’ai discuté, ou qui se sont exprimées personnellement sur les réseaux sociaux, ne font pas preuve d’enthousiasme.
Une interview de Price Johnson, de Cephalofair, éditeur de Gloomhaven.
Parmi les éditeurs les plus touchés figurent aussi tous ceux qui publient de gros jeux de figurines, souvent vendus par crowdfunding, et s’étaient engagés à envoyer aux souscripteurs des jeux parfois déjà produits, pour un prix qui ne tenait pas compte de droits de douane que personne n’imaginait. Beaucoup de ces éditeurs, à commencer par ceux qui, à la limite de la cavalerie, utilisaient les fonds de chaque campagne pour finaliser la précédente, vont sans doute fermer boutique. Kickstarter et Gamefound ne sont peut-être pas morts pour autant, des éditeurs plus classiques envisageant d’y avoir recours pour reconstituer leurs marges sur des jeux plus modestes, en contournant distributeurs et boutiques qui deviendraient alors les premières victimes.
Les éditeurs américains ne sont bien sûr pas les seuls concernés. Déjà, un éditeur asiatique qui habituellement vendait ses jeux aux Etats-Unis ont annoncé que ce ne serait pas le cas pour ses nouveautés de cette année, d’autres suivront certainement. Des éditeurs européens pour qui les ventes outre-Atlantique représentent jusqu’à un tiers de leur chiffre d’affaires doivent envisager de baisser considérablement leurs tirages, et donc d’augmenter aussi les prix sur les marchés d’Europe et d’Asie. Mes amis polonais de Portal games viennent ainsi d’annoncer avoir réduit de plus de moitié le nombre d’exemplaires de leur nouveau jeu, Bohemians, destinés au marché américain.
Et, bien sûr, quid des auteurs de jeux comme moi ?
Il faut bien sûr s’attendre à une baisse des ventes, et donc de nos revenus, qui en sont un pourcentage. Les éditeurs, notamment américains, rognant sur leurs marges, ils vont logiquement vouloir rogner sur les droits d’auteur, et les discussions vont devenir plus ardues.
L’inquiétude et l’attentisme généralisés font surtout qu’il va devenir bien plus difficile, au moins à court terme, de faire publier de nouveaux jeux. Ayant été assez créatif ces derniers temps, j’étais ces dernières semaines en discussion avancées avec trois éditeurs, dont deux seulement sont américains, pour des petits jeux que j’espérais voir paraître l’an prochain. Tous trois m’ont annoncé qu’ils mettaient tout en stand-by, et que nous reprendrions éventuellement les discussions dans quelques mois, si la situation tarifaire et économique est clarifiée. Encore s’agit-il dans ces trois cas de petits jeux de cartes, le genre sans doute le moins affecté par ce brusque retournement du marché. J’imagine que les choses sont plus difficiles encore pour ceux qui créent des jeux plus ambitieux, avec plus de matériel, et donc plus difficile à produire ailleurs qu’en Chine.
Si j’ai un conseil à donner aujourd’hui aux auteurs de jeux de société, c’est d’une part de trouver un autre boulot moins risqué, et d’autre part d’essayer d’imaginer des jeux faciles et peu chers à produire, donc essentiellement des petits jeux de cartes. Ma chance dans la situation actuelle est que c’était déjà, depuis quelques années, ce vers quoi je m’orientais. Mais, bon, les auteurs de jeux sont comme les cuisiniers ou les romanciers; chacun ne peut imaginer que les jeux auxquels il a envie de jouer, les plats qu’il aimerait manger, les romans qu’il souhaiterait découvrir.
Bref, on n’est pas sortis de l’auberge – en anglais, on dit « on n’est pas sorti du bois », ce dont on peut déduire que, au Moyen Âge, les bois étaient plus dangereux en Angleterre, et les tavernes en France.
Economic policy decisions are rarely commented as largely in the small boardgaming world as, these last weeks, the US governement’s inconsistent back and forth decisions on tariffs, and, most of all, the extremely high tariffs – they are now at 145% – on imports from China. This goes against the global trend of these sixty last years towards globalization and tariff disarmament, and has global implication largely discussed in the medias. I will just try here to explain how it affects the boardgame industry, which is, to say the least, strongly concerned.
I have a nuanced take on the globalization of production and trade in the boardgaming world, which I expressed in another blogpost a few years ago. Let’s summarize. Globalization is good because it mixes people and ideas, and culturally enriches everyone. It’s good because discussing and making business with other people help realize that they are only very superficially different, and makes much less likely that we will go to war. It’s good because it fostered the development of many southern and eastern countries and gave them an opportunity to escape poverty. Globalization is bad because freight and people is a major factor in pollution and global warming. It’s bad because it caused deindustrialization of some northern countries, without offering any alternatives to the people, usually old and unqualified, whose jobs disappeared. I still hope for a way to relocalize some manufacturing while keeping on trading people and ideas. The new isolationist and mercantilist American trade policy certainly doesn’t go this way.
Donald Trump’s last tariffs are extremely bad for the boardgame industry, and not only in the US. Our boardgames are massively produced in China, and to a lesser extent in Europe, mostly in Poland. There are no manufacturing capacities in the US which could realistically replace the Chinese imports. There are a few facilities, like the one belonging to the German printer Ludofact, or the one the Chinese manufacturer Hero Time just opened, but they are very far from being able to replace Longpack, Panda, Whatz & alii. Of course, one could argue that the goal of these tariffs is to convince investors to build new production facilities in the US, but this would take more or less five years, long enough for many publishers to close shop. Furthermore, while some printing machines are likely to be bought in Germany, others are only available from… China. Anyway, no one will commit himself in a long term investment when we have no idea how long the protectionist policy is going to last – four years at most, probably fewer given how fast it seems likely to fail.
If Europe, India or Vietnam are less affected by tariffs – which is not even certain -, it sounds more likely that some publishers will have their US bound games produced there. Since the European capacities, mostly in Poland, are limited, one can even imagine producing in China for the European market, and in Europe for the US market !
Anyway, given how unpredictable US economic policy has become, no one is making any long-term projects. Eric Martin has published, on the boardgaming website, several articles in which he lists and comments the reactions from many publishers, ranging from anger and stupefaction to wait-and-see ( (1,2,3,4,5). The Cardboard Edison website also asked several publishers about their perspectives. A few publishers, like the very different Stonemaier and Steve Jackson Games, have even published long and well-argued communiqués.
In the short term, most publishers will considerably increase their prices and slightly reduce their margins. Their sales will decrease and their cash flow shrink. They will therefore publish fewer new games and focus on old classics and, mostly, cards games, the only type of games which can realistically be produced in the US. But, well, the market for small card games is not that big…
I just read on Facebook the first such annoucement. Pandasaurus will discontinue the games which can only be made in China, move the production of all other games to Europe, and raise prices by 20 or 30%. Others will certainly follow.
A few publishers have already received containers which left China before the tariff was announced, and the smaller ones are barely able to pay the tariffs. Others have asked for their already printed games to be stocked in China for a while, hoping the tariffs war will calm down in the while. Several small publishers are considering moving towards print and play or direct sales. Finbal Frontier games, a small US publisher, was already in a difficult situation, but the new tariffs were the last nail in the coffin. They are closing shop, and I am confident others will follow. As for big publishers, I don’t think there has been an official reaction from Asmodee, whose whole business model is based on market globalization, but the few devil’s men I talked with, and the few ones who expressed personal opinions on social networks, seem to be very downbeat.
An interview by Price Johnson, of Cephalofair, publisher of Gloomhaven.
Among the most affected are those who publish big miniature games, usually sold via crowdfunding, and who should send to backers games, which sometimes have already been produced, at a price which was reckoned when n one anticipated such high tariffs. Many of these publishers, especially those which used every new campaign funds to finance the next ones, a practice bordering on cavalry, are likely to close shop. Kickstarter and Gamefound might not be dead, though, since publishers of more modest games are now considering using them to regain some margin, now doubly affected
US publishers are not the only ones affected. At least one Asian publisher who used to sell its games in the US has already announced that it won’t do so for this year’s new stuff; other ones will certainly follow suit. European publishers who sometimes make one third of their sales in the US will now go for lower print runs, and therefore probably also rise their prices in Europe and Asia. My polish friends at Portal games just announced that they had reduced by more than half the number of copies of their new game, Bohemians, printed for the US market.
And what about game designers like me ?
Of course, since sales of games will decrease, our income, mostly in royalties, will as well. Since US publishers are reducing their margins, they will logically try to reduce our rates as well, and discussing contracts will become harder.
Market anxiety and wait-and-see will both make much more difficult, at least in the short term, to get new games published. Having been rather creative last year, I was these last weeks in discussion with three different publishers, two of which are based in the US, for games I expected to be published next year. All three have announced that they were putting everything in stand-by, and that we might start discussing again in a few months, if the tariffs and market situation becomes more predictable. This even when these three games are pure card games, the type of games which is least affected by the current market turn. I imagine that things are more difficult for those who design more ambitious games, with more components, of the kind it is difficult to produce out of China.
My advice to game designers is to first find another less risky job, and then to try to imagine simple and easy to produce games, which means mostlt small card games. Luckily, that’s already what I was focusing on these last two years. I know, though, that game designers are like chefs or novelists – one can only design the games they want to play, cook the meals they want to eat, write the novels they would like to read.
Anyway, we’re not out of the woods yet – In French, we say “we’re not out of the tavern yet”, which says a lot about the hazardous nature of old English woods and French taverns.
J’ai toujours eu une certaine fascination pour les jeux minimalistes, ceux qui parviennent à créer une forte tension avec peu de règles et peu de matériel. C’est de cet intérêt que sont nés des jeux comme Attila, devenu Licornes, mais aussi Babylone / Soluna, Maracas, et plus récemment de petits jeux de cartes comme 6 Suspects. Et, bien sûr, puisque c’est leur spécialité, j’ai régulièrement essayé de placer plusieurs de ces jeux chez Oink Games, l’éditeur japonais des excellents Deep Sea Adventure ou A Fake Artist Goes to New York. Si le premier jeu que j’ai placé chez Oink, Whale to Look, n’était pas tellement minimaliste, le second, Wriggle Roulette, l’est clairement.
Curieusement, alors que j’ai fait des études plutôt littéraires, les enseignements scolaires dont je me souviens le mieux, et dont je garde le meilleur souvenir, sont ceux de mathématiques. Dans les années soixante-dix, les programmes de maths de première et de terminale faisaient une très large place aux problèmes de probabilité et de dénombrement. Très souvent, ces problèmes très abstraits supposaient que l’on pioche dans un sac contenant des billes blanches et noires. Et, donc, me suis-je dit, pourquoi ne pas faire un jeu entièrement construit sur cette idée, un sac duquel les joueurs, à tour de rôle, piochent des billes qui ont une certaine probabilité d’être blanches ou noires, probabilité modifiée à la marge par chaque bille déjà tirée.
Playing the prototype with the Oink team at the Taiwan Boardgame expo.
Mon premier prototype, dont le titre hésitait entre Back to Black et Into the Black, était donc constitué d’un sac contenant des pions blancs et noirs – des pions, parce que les billes, ça a tendance à rouler sur la table. À chaque tour, le sac faisait un tour de la table et chacun des joueurs à son tour piochait, sans les regarder, un certain nombre de billes, ou décidait de ne rien piocher et de s’arrêter là. Bien sûr, c’était un jeu de prise de risque, le but du jeu étant de s’arrêter juste avant qu’un certain nombre de billes noires n’aient été piochées. Des probabilités, donc, mais aussi un peu de pari sur ce que font les autres joueurs.
J’ai apporté ce premier prototype à la Taiwan Boardgame Expo, à l’automne 2024, et y ai fait jouer une partie de l’équipe d’Oink. Ils ont suffisamment apprécié pour que nous y rejouions un mois plus tard en Allemagne, à Essen, avec le reste de l’équipe. Il y avait cependant encore un petit problème avec le décompte des points, un peu trop tarabiscoté pour ce type de jeu. C’est Jun Sasaki qui a eu l’idée de simplifier encore le système de score, fen faisant un vrai jeu minimaliste. On a signé le contrat et, comme toujours avec Oink, tout est allé très vite, puisqu’il se sera écoulé huit mois entre la présentation du prototype à Taipei et la sortie du jeu pour le Tokyo Games Market.
Je pensais que ce jeu allait rester abstrait, noir et blanc, et ai été assez surpris lorsque j’ai découvert le thème choisi par l’équipe japonaise, la pêche aux anguilles, et les couleurs noir et rouge, mais pourquoi pas. Il s’agit maintenant de pêcher le plus possible d’anguilles, noires, en évitant de rapporte des vipères, rouges. Baleine, anguilles, il semble décidément qu’il y ait une thématique à mes jeux japonais !
Wriggle Roulette – ウナギかエビか Un jeu de Bruno faidutti et Jun Sasaki 2 à 8 joueurs – 20 minutes Publié par Oink Games Boardgamegeek
I’ve always had a fascination for minimalistic games, games which manage to generate a real tension with few rules and few components. This is why and how I designed games such as Attila, now republished in Poland as Unicorns, but also Baylon / Soluna, Maracas and, more recently, card games like 6 Suspects. Of course, since it is what they do best, I regularly try to pitch these games to Oink, the Japanese publisher of the outstanding Deep Sea Adventure and A Fake Artist Goes to New York. In the end, the first game of mine published by Oink, Whale to Look, was not that minimalist, but the second one, Wriggle Roulette, clearly is.
Playing the prototype with the Oink team at the Taiwan Boardgame expo.
Surprisingly for someone who ended making mostly literary and social science studies, the school lectures I most enjoyed and best remember were those of mathematics. In France in the seventies, the high school math curricula were heavy on probability and combinatorics. Many of the examples and problems we had at school involved drawing from a bag containing white and black marbles. So, I thought, why not a game entirely based on this, with just a bag from which players, on turn, draw white or black marbles, the probability of drawing one or the other being slightly modified with every new marble drawn.
My first prototype, called sometimes Back to Black, sometimes Into the Black, was just that, a bag and black and white tokens – tokens because marbles tend to roll on the table and disappear under furniture. Every round, every player would either draw some tokens from the bag or just stop and leave the game. Since the goal was to stop just before a certain number of black tokens were drawn, this was a game of probability, of risk taking, but also of double guessing.
I brought this new prototype in Fall 2024 at the Taiwan Boardgame Expo, and played it with some of the Oink team. They liked enough to ask me to play it again one month later, in Essen, with the rest of the team. There was still, however, an issue with the scoring system, slightly too convoluted for that type of game. The final scoring system, which makes this game truly minimalistic, was Jun Sasaki’s idea. Then we signed the contract and, like always with Oink, things went very fast, since there has been only eight months between my first demo of the game in Taipei and its publication at the Tokyo Game Market.
I thought the game would stay in black and white, and was a bit surprised when I discovered the setting – fishing eels in the mud – and the colors – red and black – chosen by the Japanese team. It is now about fishing the most black eels, the best ones, without drawing nasty red vipers. Whale, eels, there seems to be something fishy with my Japanese games !
Wriggle Roulette – ウナギかエビか A game by Bruno Faidutti & Jun Sasaki 2 to 8 players – 20 minutes Published by Oink Games Boardgamegeek
Je ne suis, en principe, pas trop fan des jeux de Roll and Write, ni d’aucun type de jeu où les joueurs jouent chacun dans son coin, cherchant juste à obtenir un meilleur score que les adversaires. Je préfère qu’ils interagissent, que ce soit pour s’affronter ou pour coopérer. J’aime beaucoup, en revanche, les jeux de lettres, même s’ils ont un peu moins à la mode ces dernières années.
Il y a quand même un jeu de Roll & Write que je sors assez régulièrement, le plus simple et peut-être le plus ancien, High Score / Wurfel Bingo de Heinz Wuppen, dont j’ai même acheté plusieurs boites pour pouvoir jouer nombreux. Un jour, je me suis dit que ce jeu pourrait très bien fonctionner avec, à la place des lancers de dés et des combinaisons de poker, des cartes lettres et des mots de cinq lettres. Voilà, À la lettre, que j’avais alors baptisé Scrumble, était né.
J’ai présenté le jeu à pas mal d’éditeurs, et tous m’ont répondu, à raison d’ailleurs, que les jeux de lettres ne se vendaient plus. Depuis, il y a eu le succès mondial de Wordle, auquel je continue à jouer quasiment tous les jours, donc ça va peut-être revenir. Quoi qu’il en soit, mes voisins de Don’t Panic Games, le seul éditeur auquel je peux rendre visite à pied, ont finalement décidé de publier mon jeu. Ça a trainé un peu, six ans entre le contrat et la sortie du jeu, mais ils ont fait un superbe travail graphique et ont ajouté quelques petits mécanismes amusants.
Le jeu arrive. Les règles sont des plus simples, les joueurs doivent placer une à une sur leur grille de 5 x 5 les lettres piochées, cherchant à faire le plus de mots de 5 lettres possible. Quelques cases à cocher permettent de refuser une carte, d’inverser des lettres, de noircir une case, mais tout cela reste très simple. Bien sûr, la répartition des lettres est adaptée à la langue française, et le jeu n’est pour l’instant pas jouable dans une autre langue. Si des éditions dans d’autres langues sortent un jour, il faudra peut-être aussi redessiner la boîte, une belle boîte à lettres jaune des PTT, façon années soixante-dix, avec dans un coin un joli facteur avec sa casquette bleue. Dans les coins où les boîtes sont rouges et les facteurs verts, ou l’inverse, ça risque de faire bizarre, ou très frenchy.
À la lettre! Un jeu de Bruno Faidutti Illustré par Frank Ferrandis 2 à 99 joueurs – 30 minutes Publié par Don’t Panic Games
I’m not a fan of Roll and Write games, nor of any type of multiplayer solitaire games in which every player tries to maximize their score on their own small sheet of paper. I prefer games in which players interact, either to fight or cooperate. On the other hand, I really enjoy letter and word games, even when they have been less popular for two or three decades.
There is still a roll and write game I regularly play and enjoy, probably the oldest and simplest one, Heinz Wuppen’s High Score / Wurfel Bingo. I even got several copies to play with many players. And one day, I thought that this game could well work with letter cards and five letter words instead of dice and poker combos. This is how À la Lettre, which was then called Scrumble, came to be.
I showed the game to many publishers, who usually answered, rightfully, that letter and word games did not sell. Then came the world Wordle craze, so things might change – and I still play Wordle almost every day. Anyway, my neighbors at Don’t Panic, the only publisher I can visit by foot, finally decided to make it. It took some time, six years between the contracts and the publication, but they did a great graphic work and added a few fun small mechanisms.
The game is here. The rules are extremely simple, players must place the drawn letters in their 5 x 5 grid, trying to make as many 5 letter words as possible. A few check boxes allow you decline a letter, to swap letters, to blacken a space, but it stays extremely simple. Of course, the letter distribution is designed for French, and the game cannot so far be played in any other language. I hope there will be editions in other languages, but they might require a different box art. The original has a typical seventies yellow French letter box, with a postman in a blue uniform. In countries where letter boxes are red and postmen green, or the reverse, this might look strange, or very French. Anyway, if you are interested in making this game in any other language, just contact my friends at Don’t Panic Games.
À la lettre! A game by Bruno Faidutti Art by Frank Ferrandis 2 to 99 players – 30 minutes Published by Don’t Panic Games
(Since this blogpost is an answer to a text which was published only in French, I decided not to translate it in English)
Je n’ai jamais fait mystère de mes opinions politiques, même lorsqu’elles changeaient un peu, et je me suis souvent livré sur mon blog à des analyses politiques de certains aspects du jeu de société, et notamment des thèmes les plus souvent abordés, du colonialisme à la nature. Un seul de mes jeux, Terra, a un thème directement lié aux enjeux politiques actuels, mais je ne me suis jamais privé de glisser dans d’autres quelques clins d’œil. Pour autant, je n’ai jamais considéré qu’utiliser le jeu comme média politique puisse être un objectif, j’y ai même toujours plutôt vu un piège.
C’est le piège politique dans lequel la gauche adore depuis trente ans se fourvoyer, quand elle veut réformer les mots et les images, qui importent peu et ne sont que le reflet des réalités sociales, et ne s’occupe guère desdites réalités où sont les seuls vrais problèmes. C’est aussi un piège car le jeu de société, qui n’est qu’un ensemble de règles cohérent mais dénué de sens, n’a pas la richesse dialectique de la littérature ou même simplement du jeu de rôle ou du jeu video, et peut donc difficilement susciter une vraie réflexion. Ça peut marcher dans des cas très particuliers – j’ai cité mon Terra, je pense aussi aux Poilus de Juan Rodriguez et Fabien Riffaud – mais la plupart du temps, les jeux qui se veulent didactiques ne sont que ridicules tant ils caricaturent leur propre discours. C’est surtout un piège car le jeu est, par essence, divertissement. Le jeu est l’un des rares moyens dont nous disposons pour sortir collectivement du réel. Vouloir en faire un outil de discours sur le réel, ce n’est donc pas l’enrichir, c’est l’appauvrir.
Le discours utilitariste dans le jeu n’est pas nouveau. Je me suis battu contre pendant quarante ans dans l’éducation, et en ai déjà parlé assez longuement sur ce blog. Plus récemment, j’ai aussi eu quelques accrochages avec des éditeurs. Beaucoup voient en effet dans l’utilité sociale ou pédagogique de leurs jeux un argument de vente, d’autres pensent en toute bonne foi pouvoir avoir un impact social positif. Il suffit de regarder les projets de recherche de Game in Lab, une officine entièrement financée par Asmodée. Tous ou presque portent sur l’impact du jeu sur l’apprentissage, la cognition et toutes ces sortes de choses. Quasiment aucun ne porte sur la seule et unique raison pour laquelle on joue, le plaisir de jouer.
J’ai toujours considéré que le discours utilitariste était celui de gens, comme les inspecteurs de l’éducation nationale ou les commerciaux des gros éditeurs, qui ne connaissaient ou n’appréciaient pas vraiment le jeu. J’ai donc été surpris, attristé et même un peu effrayé à la lecture du « manifeste métaludique”, un court texte en trois points publié récemment par un collectif d’auteurs parmi lesquels se trouvent des gens talentueux, des gens que j’apprécie, des gens avec qui j’ai travaillé…. et dont les créations ne me semblent globalement pas plus politiques que les miennes !
Je voudrais reprendre ici les trois points de ce manifeste, et expliquer mon profond désaccord avec deux d’entre eux.
Le jeu de société n’est pas défini par le divertissement et ne se limite pas à l’objet commercial. Le jeu de société peut avoir d’autres buts que l’amusement, l’évasion ou la réflexion stratégique. Les impératifs financiers poussent les différents acteurs commerciaux à le restreindre à ces fonctions, entraînant dans cette logique des auteurs et autrices incité.es à répondre aux attentes supposées d’un public qui ne dispose que de peu d’alternatives.
Ce point pose déjà le problème de la définition du jeu. Pour le Larousse, un jeu est une « activité d’ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin utilitaire, et à laquelle on s’adonne pour se divertir, en tirer un plaisir ». Le Robert, plus succinct, définit le jeu comme « une activité physique ou mentale dont le but essentiel est le plaisir qu’elle procure ». Si c’est un but essentiel, c’est qu’il peut en effet y en avoir d’autres, mais ces derniers sont seconds, le divertissement reste, comme le savent tous les joueurs, ce qui définit le jeu.
La seconde phrase de ce paragraphe est encore plus curieuse car elle ne me semble pas décrire la réalité du milieu du jeu de société aujourd’hui. S’il est vrai que certains éditeurs mettent en avant le divertissement, ce en quoi je pense qu’ils ont raison, beaucoup d’autres, comme je l’ai expliqué plus haut, insistent au contraire sur l’aspect éducatif ou socialisateur des jeux. C’est, par exemple, l’argument principal utilisé pour entretenir depuis une dizaine d’années la mode des jeux coopératifs. Je n’ai rien contre les jeux coopératifs, mais j’aimerais qu’on les présente comme des jeux intéressants à jouer et non comme une sensibilisation aux besoins de la société du futur, etc..
J’ajoute que, quand on voit la richesse et la diversité de la scène ludique actuelle, il est difficile d’affirmer que le public ne dispose que de “peu d’alternatives”.
Le jeu de société peut être expérimental : émouvant, philosophique, suréaliste… Le jeu de société contemporain permet de vivre une multitude d’expériences fictives partagées. Après avoir prouvé qu’il n’était pas seulement dédié à l’enfance, il est maintenant en mesure d’acquérir sa maturité culturelle en proposant des œuvres plus diverses. Un jeu peut être réaliste, surréaliste, absurde, philosophique, engagé, sérieux, documentaire, émouvant, pervasif, non gratifiant, déstructuré, triste, critique, émancipateur, et bien d’autres choses encore
Là, pas de problèmes, je suis d’accord, chacun fait bien ce qu’il veut. Attention quand même à ne pas trop se prendre la tête. Le discours sur le jeu comme « objet culturel », avec lequel je suis plutôt d’accord, ne doit quand même pas nous amener à confondre jeu et littérature !
Le jeu de société est politique – le jeu nous joue autant que l’inverse. Le jeu de société agit sur le joueur autant que le joueur agit sur le jeu : par les représentations qu’il contient ainsi que par les mécaniques et les objectifs qu’il impose, le jeu impacte culturellement les joueurs et joueuses qui le jouent. Nous devons être conscients de sa portée politique, des normes sociales néfastes qu’il peut renforcer, ou des futurs souhaitables qu’il peut aider à construire. Nous, auteurs et autrices, joueurs et joueuses, ne pouvons pas ignorer cette responsabilité sous prétexte que « ce n’est qu’un jeu ».
Là, je suis de nouveau en désaccord avec le manifeste. Les jeux, notamment par leurs thématiques, sont bien sûr le reflet du monde dans lequel ils sont conçus, et il y a de fascinantes analyses politiques à faire, sur la guerre et le colonialisme, sur la nature, sur l’essentialisme de la fantasy, sur le rôle de la monnaie…
Il me semble en revanche naïf et prétentieux de penser que le jeu a un tel impact sur les valeurs et les comportements des joueurs, et que l’on va aider à sauver le monde en faisant des jeux coopératifs, où l’on protège les baleines et bâtit des éoliennes. On ne sauve pas plus la planète en jouant à un jeu de coopération sur l’agriculture biologique qu’en jouent à un wargame parce que, justement, « ce n’est qu’un jeu ». Ce n’est qu’un jeu et les joueurs, qui, même les plus jeunes, ne sont pas idiots, le savent et en jouent.
Je n’accepte donc pas que l’on reproche à ceux qui font des jeux où on s’envoie des bombes atomiques, où on dénonce son voisin comme loup-garou, où on assassine les évêques, d’ « ignorer leurs responsabilités ». Mes responsabilités, mes engagements politiques, ils sont réels, et ils sont ailleurs – dans la vraie vie, qui comprend les discussions sur le jeu.
Finalement, le problème de ce manifeste est autant son ton que son fond. Les auteurs de jeux sont bien les derniers dont j’attendais une défense de l’utilitarisme, mais je peux faire avec. Si les signataires veulent se limiter à faire des jeux gentils et coopératifs, ce qu’ils n’ont pas toujours fait, je ne pense pas que cela fasse d’eux des héros révolutionnaires mais, bon, grand bien leur fasse. Quand ils présentent cela comme une prise de conscience qui les distinguerait des autres auteurs naïfs et/ou présumés de droite, quand ils expliquent doctement ce que chacun devrait faire, je trouve quand même cela un peu ridicule.
Ceux qui me connaissent un peu, ou suivent mon actualité sur ce site web, savent que j’ai été déçu par la sortie de Dreadful Circus. L’éditeur avait en effet non seulement changé le thème du projet que je lui avais confié, ce qui pouvait se comprendre, mais aussi et surtout profondément modifié le système de score et la plupart des équilibres du jeu. Je ne me reconnaissais plus dans le jeu publié. L’équipe de Portal étant composée de gens sympathiques, que je connais depuis fort longtemps et avec lesquels je n’avais pas envie de me fâcher, nous avons discuté calmement pour trouver une solution. Ils avaient des torts, puisque ce sont eux qui ont fait tous ces changements sans les discuter préalablement avec moi, mais aussi des excuses, notamment la période du Covid qui avait rendu les tests difficiles. J’avais des torts, n’ayant pas été aussi vigilant que j’aurais dû et n’étant pas intervenu à temps pour reprendre en main le développement du jeu. Bref, nous nous sommes mis d’accord pour que je récupère les droits au 1er janvier 2023, et j’ai rapidement commencé à chercher un nouvel éditeur pour mon « jeu des coffres ». Un peu échaudé par l’expérience de Dreadful Circus, je ne cherchais plus un gros éditeur, mais plutôt quelqu’un qui accepte de publier le jeu tel que je l’avais imaginé et développé – et aucun de mes jeux n’a été autant testé, modifié, bricolé avec soin que celui-ci, que je considère comme mon chef d’œuvre – au sens propre du terme, pas nécessairement le meilleur, mais celui dans lequelon retrouve tout mon style et ma technique.
Une partie du prototype dans mon ancien appartement de la rue de Belleville. Au centre, côté mur, Camille, avec qui j’ai fait Trollfest, et plus récemment Trollympics, qui sort également chez Trick or Treat.
Trollfest, conçu avec Camille Mathieu, venait de sortir. Le travail avec la petite équipe de l’éditeur américain avait été très agréable, et j’étais particulièrement content du résultat final. Trick or Treat a donc été l’un des premiers auxquels j’ai de nouveau proposé de publier mon jeu des coffres, et je suis extrêmement heureux qu’ils aient accepté, même si je sais fort bien qu’ils en vendront moins que de gros éditeurs mieux installés. Tout s’est passé comme pour Trollfest, avec un forum en ligne auquel participaient toutes les personnes impliquées dans l’édition, auteur compris, et je pense vraiment que c’est la formule, simple, souple et efficace, que devraient utiliser tous les éditeurs.
Mécanisme, matériel, thème
On demande souvent aux auteurs de jeu s’ils partent habituellement d’un thème ou d’un mécanisme. Je réponds généralement que cela dépend, et qu’il arrive aussi que le déclic initial soit un élément ou une contrainte matérielle. Pour le trésor des nains, le points de départ est le mécanisme des enchères. En 2017, j’avais commencé à travailler, avec Eric Lang, sur un gros jeu de plateau dans lequel des magiciens répondaient aux appels d’offre des autres joueurs en faisant des propositions sous forme de cartes insérées dans une petite enveloppe. Le jeu était intéressant, mais beaucoup trop long et lent. Nous l’avons abandonné, mais j’avais gardé en tête l’idée des offres secrètes présentées dans des enveloppes.
Un des premiers prototypes de Wizardopolis
Un peu plus tard, en 2018 ou 2019, j’avais acheté au BHV un lot de boîtes en papier mâché, de diverses tailles et formats. Elles sont longtemps restées sur mon bureau, et m’ont inspiré quelques idées de jeux – dont Maracas, publié chez Blue Orange.. Repensant au système d’enveloppes de Wizardopolis, je me suis alors dit que des boites pourraient être plus pratiques à manipuler, à condition d’y mettre des jetons et non des cartes.
Des jetons, c’est à dire des pièces d’or, peut-être des gemmes ou divers objets. Qui imagine-t-on conserver son trésor dans des coffres? Des dragons, à la rigueur, mais surtout des nains. Ce n’est pas le thème le plus original qui soit, je l’ai déjà exploité dans Le Roi des Nains, mais il colle parfaitement aux mécanismes du jeu. J’ai vaguement essayé de trouver autre chose, mais toutes mes idées, et celles de mes amis joueurs, étaient finalement moins amusantes et moins cohérentes. Mieux vaut être efficace qu’original. L’ordre d’apparition des trois éléments constitutifs du jeu est donc ici le mécanisme, le matériel, et finalement le thème. Tout n’a ensuite été que réglages, même si ces réglages ont pris des années.
Comme vous pouvez le voir sur les photos, il n’y avait pas d’écran dans mon prototype; chaque joueur y avait deux boîtes, une plus grosse, le coffre, et une plus petite, la boîte. C’est plus pratique et thématiquement plus cohérent, mais les boîtes, comme tous les éléments de jeu un peu originaux, coûtent cher, et elles ont donc été remplacées par des écrans dans le jeu édité. Je ne serais pas étonné d’apprendre que les auteurs de Time Capsule, que j’ai vu tourner l’an dernier aux rencontres ludopathiques et que je compte bien me procurer un de ces jours, sont aussi partis des mêmes petites boites.
Une partie à Etourvy.
Bluff, enchères et combos
Je suis, me suis-je laissé dire, l’un des auteurs de jeux dont le style particulier se reconnaît le plus aisément. Alors que les ordinateurs de plus en plus puissants et malins ouvrent au jeu des voies nouvelles et inattendues, je m’efforce de concevoir des jeux permettant encore de rassembler des joueurs nombreux autour d’une table avec quelques bières. Ces jeux auxquels il ne serait pas vraiment possible de jouer en ligne sont parfois des jeux où l’on rit de bon cœur, parfois des jeux où l’on regarde ses adversaires en silence, les yeux dans les yeux. Les meilleurs, ou en tout cas ceux que je préfère, sont les deux à la fois, drôles et tendus. Ceux qui apprécient mon style ne seront donc pas déroutés par ce Trésor des Nains, un jeu d’enchères, de bluff et de combinaisons simple et fourbe, qui fonctionne avec la même efficacité de 3 à 8 joueurs – bon, disons de 4 à 8, c’est peut-être un peu moins bien à 3.
En résumé, les nains ne sont pas des héros, mais des gens calculateurs qui savent fort bien la valeur de l’argent ; certains, plein de roublardise et de rouerie, sont peu recommandables, alors que d’autres sont tout à fait dignes d’estime, pourvu qu’on ne leur en demande pas trop.
J.R.R. Tolkien, Le Hobbit
Treasure of the Dwarves est un jeu d’enchères, avec un mécanisme original. À chaque tour de jeu, un ou deux joueurs mettent chacun une carte en vente. Chacun doit faire une offre pour l’une des cartes proposées, en mettant un certain nombre de pièces ou de gemmes dans un petit coffre. Treasure of the Dwarves est un jeu de bluff. Le vendeur regarde le contenu des coffres dans l’ordre de son choix, mais ne peut revenir sur une offre qu’il a déjà refusée. Ce serait en effert contraire aux très rigides règles de politesse naine, qui sont à peu près aussi strictes que les japonaises – et nul n’a envie de se faire hara-kiri avec une hache de bataille. Un nain plus malin que les autres, et tous les nains sont assez malins, peut parfois s’en sortir en faisant une offre médiocre et en espérant qu’elle sera consultée en dernier, quand le vendeur n’aura plus le choix qu’entre cela et rien. Treasure of the Dwarves est un jeu de combinaison, dans lequel chacun accumule des ressources, en gemmes, en métal et en cartes et construit ses propres conditions de victoire au fil de la partie, un peu comme dans un jeu que j’aime beaucoup, Fantasy Realms. Treasure of the Dwarves est très interactif, voire carrément méchant, les opportunités de manipuler les adversaires, voire de saboter leurs trésors adverses ne manquant pas. Treasure of the Dwarves est donc un jeu tout à la fois tactique, quand on essaie de miser juste ce qu’il faut pour avoir les bonnes cartes et coincer ses adversaires, et stratégique quand on prépare son scoring final.
Il n’y a, je crois, aucune création dans laquelle je me sois personnellement autant investi que dans Treasure of the Dwarves, et aucune qui soit aussi représentative de mon style, de mon idée du jeu de société. En cinq ans de développement, j’ai fait des centaines de parties avec des dizaines de testeurs, équilibrant soigneusement les effets des cartes et les points rapportés par les gemmes, les pièces et les cartes. Plusieurs testeurs y ont apporté leur grain de sel, notamment Vincent Pessel, très fort pour repérer les petits déséquilibres, et Croc, qui a eu l’idée des deux enchères simultanées, permettant d’accélérer les parties avec des joueurs nombreux. Si l’on exclut les jeux d’ambiance, il y a peu de jeux de société qui, comme le trésor des nains, tournent vraiment bien jusqu’à 8 joueurs, sans temps mort pour aucun des joueurs..
“Je pensais que les nains aimaient l’or,” dit Angua. “Ils disent ça pour l’attirer dans leur lit.”
Terry Pratchett, Pieds d’argile.
Les illustrations
Deux artistes, Roland MacDonald et Donald Crank, ont contribué aux illustrations de Treasure of the Dwarves. L’illustration de couverture, qui aurait pu illustrer un roman de Tolkien, donne de la société naine une image très classique. Les objets magiques, sans doute très anciens, laissent en revanche deviner une lointaine et inattendue influence culturelle des hommes lézards vivant près des fleuves et lacs souterrains. L’un des nains sur les boites a même un peu l’air d’un étranger qui n’est pas de chez nous. Après tout, que savons nous réellement des origines du monde nain ? Dans les traditions germaniques, les nains vivent sous des montagnes creuses, mais sont aussi des créatures associées aux lacs et rivières.
Nains et objets magiques
Treasure of the Dwarves n’a pas pour thème la mythologie. Pendant quelques temps, pourtant, j’ai joué avec l’idée de donner à quelques artefacts des noms tirée des mythologies nordique et germanique, dans lesquelles les nains sont des créatures souterraines petites mais puissantes, spécialisées dans la fabrication et la garde de trésors magiques. Sur l’histoire de ces traditions, je recommande le livre de Claude Lecouteux, Les nains et les elfes au Moyen Âge, même s’il est parfois un peu daté, ainsi que, dans un contexte très britannique, celui de Francis Young, Twilight of the Godlings.
Si j’ai assez vite abandonné l’idée de références mythologiques ou littéraires précises, c’est d’une part parce que cela aurait donné à ce jeu une apparence de sérieux qui ne me semble pas conforme à son esprit, et d’autre part parce qu’il m’a semblé plus important que tous les noms des objets suggèrent, d’une manière ou d’une autre, leur effet.
L’Edda en prose, écrit au début du XIIIe siècle, conte comment le dieu Loki coupa et vola la magnifique chevelure dorée de Sif, l’épouse de Thor. Thor, en colère, exigea de Loki qu’il les lui rende, ce qui n’était possible qu’en faisant appel aux forgerons nains, dans leur antre souterrain de Svartheim. Loki s’adressa d’abord aux trois frères, fils du grand forgeron nain Ivaldi. Ils firent une chevelure d’or fin pour Sif, mais ne s’arrêtèrent pas là. Ils forgèrent ensuite Gungnir, une lance que rien ne peut bloquer, puis Skíðblaðnir, un navire pliable que son propriétaire peut ranger dans sa poche, ce qui est bien pratique en voyage. Loki s’en vont ensuite voir deux autres artisans nains, Brokkr et Eitri, qu’il mit au défi de réaliser pour les dieux de plus beaux objets encore. Ils relevèrent le défi et fabriquèrent trois autres objets, Gullin-börsti, un sanglier de métal qui brille dans l’obscurité, Draupnir, un anneau ou bracelet qui se copie lui-même tous les neuf jours, et enfin Mjöllnir, un marteau au manche malheureusement trop court (encore la faute à Loki, mais ce serait long à expliquer) qui brise tout ce qu’il touche. Les dieux jugèrent que Loki avait perdu son pari, Frey conserva le sanglier et le bateau, Odin prit l’épée et l’anneau, et Thor, comme chacun sait, le marteau. Bien sûr, Loki trouva un moyen de s’en sortir et de continuer à jouer aux dieux des tours pendables.
Illustration d’Arthur Rackham pour Le chant des Nibelungen, 1910
D’autres passages de l’Edda content comment les nains créèrent Gleipnir, la laisse souple comme la soie et solide comme l’acier qui retient le féroce loup Fenrir. Gleipnir est faite du bruit de pas d’un chat, de la barbe d’une femme, des racines d’une montagne, des tendons d’un ours, du souffle d’un poisson et du crachat d’un oiseau. Ce sont aussi les artisans nains qui forgèrent Huliðshjálmr, le heaume d’invisibilité, Thrymgyöll, la grille fermant les enfers, Brisingamen, le torque d’or de Freya, ainsi que Járngreipr, les gants d’acier que doit utiliser Thor pour brandir son marteau au manche trop court. L’Edda poétique conte comment les nains Dvalinn et Durinn forgèrent l’épée à la garde d’or Tyrfing, qui ne ne rouille pas, ne manque jamais son but et tranche la pierre et le métal aussi aisément que la toile mais qui, une fois sortie de son fourreau, ne peut y être rangée avant qu’elle n’ait tué un homme et causé trois grands malheurs. Il en va de même d’une autre épée naine, Dáinsleif, l’épée du roi Högni, qui fut dégainée au moins une fois, après l’enlèvement de sa fille.
Alberich vole l’or du Rhin. Carte à collectionner allemande, 1905.
Le chant germanique des Nibelungen, écrit quelques décennies plus tard, est un peu la continuation de cette histoire, avec un peu moins de dieux et d’objets magiques, mais avec un dragon, Fafnir, qui sera tué par Sigfried d’un coup de l’épée magique Gram, ou Nothung, ou Balmung, forgée ou au moins reforgée par les nains. Les Nibelung, premiers propriétaires du trésor du Rhin, sont souvent décrits comme des nains, et le trésor est ensuite gardé par le nain Alberich. Parmi les objets du trésor se trouvent aussi une cape d’invisibilité que Sigfried utilise pour remplacer le mari Günther lors de la nuit de noces de Bünnhild, et une baguette magique qui donne rien de moins que le pouvoir absolu sur toutes choses mais ne semble curieusement intéresser personne. Dans les versions postérieures, jusqu’au Ring der Nibelungen de Richard Wagner, ces objets deviennent Tarnhelm, le heaume de métamorphose, et bien sûr l’anneau éponyme, porteur de grand pouvoir et d’une terrible malédiction.
C’est bien sûr ce qui inspira J.R.R. Tolkien. Dans le Hobbit et Le seigneur des anneaux, les nains n’ont pas créé les anneaux, mais ils ont forgé bien d’autres puissants artefacts comme Narsil, l’épée d’Elendil, le Heaume du dragon de Dor-lòmin, etmême la tunique de Mithril offerte à Bilbo. Ils ne sont pas seulement forgerons, puisqu’ils sont aussi les créateurs de l’Arkenstone qui brille dans l’obscurité, ou des instruments de musique joués par Thorin et ses compagnons après la prise d’Erebor. Dans le Silmarillion, l’un des trois silmarils est enchassé dans Nauglàmir, le bracelet des nains.
L’idée que les nains n’ont pas recours à la magie, voire en ignorent tout, est devenue assez populaire dans les univers des jeux de rôles de Fantasy. Elle provient d’un contresens littéraire et historique. Dans la mythologie, et même dans l’œuvre de Tolkien, si les nains sont assez imperméables à la magie, c’est parce qu’ils sont eux-mêmes des créatures magiques. L’opposition entre une magie elfique proche de la nature et faite de sortilèges et une magie naine « incarnée » dans des objets est aussi une idée très récente – les textes les plus anciens ne distinguent même pas très clairement les nains des elfes.
Les nains forgeaient au soir pour le héros futur. L’enclume sous leurs coups sonnait dans la clairière, Et l’étincelle chue au choc du marteau dur Posait son escarboucle aux tentures de lierre.
Les nains forgeaient, avec l’épée aux quillons d’or, La targe d’airain noir où s’acharnait la guivre, Le casque où le griffon tentait un vain essor Et le cor triomphal ouvert en fleur de cuivre.
Les Kobolds martelaient et les licornes blanches Éblouissant la nuit de soudaines clartés, De leur corne trouaient le rideau vert des branches Et frissonnaient au bruit des marteaux enchantés.
Mais quand les nains sentant se clore leur attente Haussèrent vers le ciel le fer qui resplendit Les licornes vers eux hennirent d’épouvante. Et lointain, dans la brume, un cheval répondit.
— Léon Vérane, Les licornes, 1911
Si les nains des traditions nordiques et germaniques sont, au send étymologique du terme, autochtones, ceux de Tolkien, les 12 nains à la recherche de leur royaume perdu, sont aussi un peu juifs. Du coup, j’aurais pu ajouter l’Arche d’Alliance et quelques autres trucs, mais là, ça aurait commencé à devenir n’importe quoi….
Introduire tout ou partie de ces allusions mythologiques et littéraires dans ce jeu, avec bien sûr une certaine légèreté, aurait pu être une occasion d’affirmer que si les références culturelles ne peuvent certes pas être ignorées, elles ne doivent pas pour autant être toujours prises au sérieux. Malheureusement, les merveilleuses propriétés de ces « authentiques » objets magiques ne collaient généralement pas avec les mécanismes du jeu. Les références seraient en outre passé à côté des joueurs qui, dans leur quasi totalité, ne connaissent pas plus ces objets que je ne les connaissais avant de commencer à travailler sur ce jeu. J’ai jugé plus important de donner aux cartes des noms qui rappellent leurs effets que de faire quelques références érudites. En outre, dans la plupart de ces histoires, si les artefacts magiques sont forgés ou frappés par les nains, ils passent rapidement dans le monde des dieux ou des hommes. Il n’empêche qu’un jeu avec des nains et des trésors magiques, c’est toujours un peu un jeu sur les Eddas, sur les Nibelung, sur Tolkien, sur le bon vieux D&D, et il vaut toujours mieux mélanger un peu tout ça, comme l’a excellemment fait, en littérature, Terry Pratchett.
La langue naine a plus de mille mots pour “or”, mais en cas d’urgence, comme lorsqu’ils voient de l’or qui ne lui appartient pas, un nain peut utiliser n’importe lequel d’entre eux.
Terry Pratchett, Soul Music.
Il y a quand même un Graal, parce que si personne ne sait ce qu’est le Graal, tout le monde en a entendu parler, et une référence un peu plus obscure, l’œil de Zoltar. Cet artefact a été ajouté au jeu lors des derniers tests. Son effet étant similaire a celui de l’œil multicolore (Colored Eye), je voulais en faire aussi un œil. Cela aurait bien sûr pu être l’œil d’Odin, mais c’était un peu prétentieux. J’ai donc opté pour l’œil de Zoltar, titre d’un délicieux petit roman fantastique de Jasper Fforde. Je venais de lire le livre suivant, la grande guerre des trolls, et n’ai pas pu résister à faire un peu de pub à l’excellente série de la dernière tueuse de dragons. Ce qui peut sembler au premier abord n’être qu’une autre série de fantasy pour adolescentes est bien plus que cela, une suite de bouquins terriblement drôles et intelligents.
Des nains et des dragons
Si les dragons sont présents dans nombre de mes jeux, à commencer par L’or des Dragons, Les pierres des dragons, et plus récemment Dragons, c’est bien sûr parce que je m’inspire de l’univers médiéval fantastique générique dans lequel j’ai pas mal baigné et que je continue à apprécier. Je ne pouvais pas vraiment mettre de dragons dans Le trésor des nains, où il n’y a jamais vraiment de combat, mais il est bien évident que nombre des gemmes, des pièces et des objets brillants ou magiques que s‘échangent les nains ont appartenu à un moment ou à un autre à un dragon. Il y a donc des écailles de dragon, et même une dent de dragon, reliques auxquelles les nains attachent d’autant plus d’importance que la tradition dit que le premier dragon, Fafnir, était originellement un nain, que la peur et l’avarice ont peu à peu transformé en monstre .
Un magnifique rubis gros comme l’œuf d’une oie. Il appartenait à un magicien pour qui j’ai une grande admiration. Vous pouvez retrouver…. l’œil de Zoltar.
Jasper Fforde, L’Œil de Zoltar.
Les joyaux de la couronne
Bien loin des forêts germaines ou nordiques, les nains ont bien failli partir au Japon pour les regalia. Ayant décidé, pour des raisons d’équilibre du jeu, que trois ou quatre cartes représenteraient les joyaux de la couronne du roi sous la montagne, il fallait choisir quels seraient ces joyaux. Pour un français, et je pense pour tous les occidentaux, les joyaux auxquels on pense d’abord sont ceux de la couronne britannique, de loin la plus médiatisée. Leur liste est assez fluctuante, et ils sont de toute façon trop nombreux. Restaient deux sets officiels de trois joyaux. Ceux de l’empereur du Japon, qui n’ont jamais été montrés au public, sont un miroir, une épée et une courbe et mystérieuse pièce de jade. Ceux de l’empereur d’Autriche, visibles au Schatzkammer Museum de Vienne, sont une couronne, une orbe et un sceptre.
J’ai d’abord pensé mettre un miroir, une épée et un morceau de jade, parce que je suis toujours partisan, pour des raisons autant esthétiques que politiques, de mélanger les cultures de la manière la plus ironique et désordonnée possible. Le problème était le miroir, sans doute le plus connu de ces joyaux, car ill était évident que seule une carte copiant les effets d’une autre pouvait être appelée ainsi. J’ai donc choisi de m’inspirer plutôt des joyaux austro-hongrois, peut-être moins connus, que j’avais découverts en écrivant ma thèse sur les licornes – le manche du sceptre impérial, en effet, est en corne de licorne. Et puis l’Autriche est dans le monde germanique, les Nibelungen, tout ça, donc ça passe mieux, tant pis pour les mélanges et l’ironie.
Toujours plus loin
Il y a une trentaine d’années, j’essayais systématiquement, le plus souvent sans succès, de convaincre les éditeurs d’inclure dans mes jeux quelques cartes vierges sur lesquelles les joueurs pourraient laisser dériver leur imagination. Après tout, c’est comme cela, en imaginant cartes et pouvoirs pour Rencontre Cosmique, que j’ai pris goût à la création ludique. Je n’insiste plus aujourd’hui, car si l’on apprécie et pratique un jeu suffisamment pour vouloir y ajouter des éléments, on l’apprécie et pratique aussi assez pour utiliser des sleeves, ces pochettes protectrices pour cartes à jouer, dont il existe des versions à dos opaque permettant de personnaliser n’importe quel jeu. C’est ainsi que j’ai récemment ajouté une quinzaine de cartes de mon cru à ma boite de Vale of Eternity. Quoi qu’il en soit, le Trésor des Nains se prête assez facilement à ce petit jeu, et vous pouvez m’envoyer vos meilleures idées. Prenez garde cependant à ne pas trop déséquilibrer le jeu. Certaines cartes peuvent bien sûr être meilleures que d’autres, c’est ce qui fait le sel des enchères, mais pas trop, ou pas tout le temps, ou pas pour tout le monde. Surtout, prenez soin de préserver l’équilibre global entre les trois manières de marquer des points, les pièces, les gemmes et les cartes.
Avec l’équipe de Trick or Treat Games à la GAMA 2025, pour la sortie de Treasure of the Dwarves et Trollympics.
Treasure of the Dwarves Un jeu de Bruno Faidutti Illustré par Roland MacDonald & Donald Crank 3 à 8 joueurs – 45 minutes Publié par Trick or Treat Studios Parution début 2025
From one publisher to another
Those who know me a bit, and follow this blog, know that I’ve been disappointed with a recent game of mine Dreadful Circus. The publisher changed the setting of the game, something I can understand, but also and more critically modified most of the scoring systems and the game balance. I didn’t like the result. I really like Portal, I know Merry and Ignacy for quite long, and I didn’t want to fall out with them. We discussed calmly and friendly to find a solution. They had wrongs, since they did all these groundless changes, but they also had excuses, especially the Covid period which made playtesting difficult. I had wrongs, since I was not careful enough and didn’t jump in in time to take the development back in hand. Anyway, we agreed that I would get the rights on the game back at the end of 2022, and I started to look for another publisher for my “dwarven chest game”. Having been frustrated by the Dreadful Circus experience, I didn’t look for a big publisher but rather for someone who would agree at once to publish my game as I had designed it. None of my games has been tested, fine-tuned, tinkered with more than this one, and I hold it to be my masterwork – in the original sense, not necessarily the best one but certainly the one in which I have invested all my style and experience.
Playing the prototype in my new apartment, rue de la Villette.
Trollfest, designed with Camille Mathieu, was just out. I had really enjoyed working with the small team at Trick or Treat Games and was really pleased with the result. Trick or Treat was one of the first companies I submitted this game to, and I am extremely pleased they liked it and wanted to do it, even when I know quite well they will probably sell less than big and installed publishers. Like with Trollfest, we worked through an online forum where most of the people involved in the publication took part, including the designer, and I know think this is the simple, flexible and efficient process most publishers should use.
Mechanism, components, setting
Game designers are regularly asked if their designs usually start from a setting or from a mechanism idea. I usually answer that it depends, and that the initial spark can also be a component. The Treasure of the Dwarves started from a mechanism idea, the “no coming back” auction system. In 2017, I had started working, with Eric Lang, on a relatively heavy boardgame in which magicians were answering to other players’ adjudications with sets of cards placed in a small envelope. The game was challenging, but far too long and too slow. We gave up, but I had kept in mind the idea of secret offers presented in envelopes.
Wizardopolis prototype
Later, in 2018 or 2019, I bought a set of papier mâché boxes of various shapes and sizes in a Parisian department store, thinking I might use them in future prototypes. They stayed on my desk for quite long, and inspired a few games, including Maracas, later published by Blue Orange. Remembering the Wizardopolis envelope auction system, I thought that small boxes might be easier to manipulate, but could only contain tokens, no cards.
Tokens, of course, meant coins, may be gems and various items. Who is known to keep coins, gems and other treasures in chests ? Dragons, may be, but most of all dwarves. It’s nothing new but it fits the systems. I tried to find something more original, but all of my and my playtester friends’ ideas were either less fun or less consistent, and often both. Better efficiency than originality at all cost In this case, the order of appearance was mechanism, component, and finally setting. Then it was only design and fine tuning, but it lasted for years.
As you can see on the pictures, there were no screens in my prototypes. Each player has two boxes, a big one, the chest, and a smaller one, the box. It is more convenient, and thematically more consistent. Unfortunately boxes, like any unusual component, are relatively expensive. That’s why the bigger chests have been replaced by screens in the published game. I’ve seen a copy of Time Capsule played last year at my ludopathic gathering, and I would not be surprised to learn that its designers also started from the same kind of tiny boxes. Anyway, I plan to buy and play this game one of these days.
A late prototype in a nice Parisian game café, Le Duchesse.
Bluffing, auctions and combos
I’ve been told that I am one of the boardgame designers whose style is the easiest to spot when playing a new game. While computers create new and sometimes unexpected ways of gaming, I try to design social games, games which still allow to get several people around a wooden table, if possible with a few beers. These games which cannot satisfactorily be played online are either games in which players are laughing at each other, or games in which players are silently looking in each other’s eyes. The best ones, or at least the ones I prefer, are both – fun and tense. If you like my style, you won’t be disappointed with Treasure of the Dwarves, a game of auction, bluffing, combos and deceit which works as well with 3 to 8 players – OK, may be with 4 to 8, it’s less fun but still very tense at 3.
Dwarves are not heroes, but a calculating folk with a great idea of the value of money. Some are tricky and treacherous and pretty bad lots; some are not but are decent enough people , if you don’t expect too much.
J.R.R. Tolkien, The Hobbit
A computer rendering of the final components.
Treasure of the Dwarves is an auction game with an original bidding system. Every round, one or two players auction a magical item card. Each player must make an offer for one of the available cards with putting one or more coin or gem in a small chest. Treasure of the Dwarves is a bluffing game. The seller looks at the content of the chests in any order, but cannot go back to a box they have already seen. It would indeed go against the dwarven etiquette rules, which are even stricter than the Japanese ones, and no one wants to do hara-kiri with a battleaxe. A clever dwarf, and dwarves are usually clever, can sometimes get an item at a good price with a mediocre offer, hoping it will be looked at last. Treasure of the Dwarves is a combo game, in which players accumulate resources in gems, coins and cards, and use cards to build their own scoring systems during the game. This “scoring rules building” feels a bit like in a game I really like, Fantasy Realms. Treasure of the dwarves is a mean and highly interactive, with many opportunities for deceit and take-that. One can both manipulate opponents and sometimes sabotage their treasures. Treasure of the Dwarves is therefore both a tactical and a strategy game. It is tactical when trying to make the right bid for the right card. It is strategic when planning one’s final scoring.
“I thought dwarfs loved gold,” said Angua. “They just say that to get it into bed.”
Terry Pratchett, Feet of Clay.
I don’t think there’s a single boardgame which I have more playtested, developed, fine-tuned than this one. It is certainly the most representative of my design style, my idea of what a boardgame should be. Over five years, I have played it hundreds of times, carefully balancing and rebalancing the scorings for coins, gems and cards. Several playtesters added their grain of salt to it, especially Vincent Pessel, who is very good at spotting small imbalances and rules issues, and Croc, who had the idea of two simultaneous auctions. This is what makes possible to play a fast and fun 8 player game, something relatively rare with non-party games.
The art
Two artists, Roland MacDonald and Donald Crank, have contributed to the art in Treasure of the Dwarves. The cover art, which could have featured in an illustrated edition of Tolkien, gives the traditional image of the dwarven society. The many magic items are more surprising. One can imagine that they are very old, and show traces of the distant cultural influence of some other underground people, may be the lizard men living near the underground lakes and rivers. At least one of the dwarves on the boxes above looks definitely suspicious. After all, what do we really know of the origins of dwarven culture ? In German traditions, dwarves live in hollow mountains, but are also linked with rivers and springs.
Should it rather be Treasure of the Dwarfs ?
No reviewer (that I have seen), although all have carefully used the correct dwarfs themselves, has commented on the fact (which I only became conscious of through reviews) that I use throughout the ‘incorrect’ plural dwarves. I am afraid it is just a piece of private bad grammar, rather shocking in a philologist; but I shall have to go on with it. Perhaps my dwarf – since he and the gnome are only translations into approximate equivalents of creatures with different names and rather different functions in their own world – may be allowed a peculiar plural. The real ‘historical’ plural of dwarf (like teeth of tooth) is dwarrows, anyway: rather a nice word, but a bit too archaic. Still I rather wish I had used the word dwarrow.
Letter from J.R.R. Tolkien, 1938
Dwarves and magical items
Treasure of the Dwarves is not really, or not seriously, about mythology, and the magical items in it have been given names that suggest their in-game abilities. For some time, however, I toyed with the idea of using items from the Norse and German mythologies, in which dwarves are described as small but powerful underground creatures specialized in crafting and guarding magic stuff. The English word dwarf comes from the old Norse dverg. To learn more about the cultural history of these creatures, I recommend Claude Lecouteux’s Hidden History of Elves and Dwarfs, even when its approach is old fashioned, as well as, in a more specifically British context, Francis Young’s recent book, Twilight of the Godlings, in which I’ve found this marvelous explanation, by Sir Walter Scott, of the origins of dwarfs and of their affinities for caves and metals – dwarves are basically Baltic pygmy refugees.
There seems reason to conclude that these duergar [dwarves] were originally nothing else than the diminutive natives of the Lappish, Lettish, and Finnish nations, who, flying before the conquering weapons of the Asae [Asians] , sought the most retired regions of the north, and there endeavoured to hide themselves from their eastern invaders. They were a little diminutive race, but possessed of some skill probably in mining or smelting minerals, with which the country abounds; perhaps also they might, from their acquaintance with the changes of the clouds, or meteorological phenomena, be judges of weather, and so enjoy another title to supernatural skill. At any rate, it has been plausibly supposed, that these poor people, who sought caverns and hiding-places from the persecution of the Asae, were in some respects compensated for inferiority in strength and stature, by the art and power with which the superstition of the enemy invested them. These oppressed, yet dreaded fugitives, obtained, naturally enough, the character of the German spirits called Kobold, from which the English Goblin and the Scottish Bogle, by some inversion and alteration of pronunciation, are evidently derived.
— Sir Walter Scott, Letters on Demonology and Witchcraft,1830
There’s defijnitelty a book waiting to be written about euhemerism gone mad.
I soon abandoned the idea of precise mythological references, of magical artifacts drawn from myths or literature. It would have given to the game a serious feel which didn’t fit with its spirit. Also, and this is probably the most important, I wanted to give to most items names that would refer to their in-game effects, not names which refered vaguely to vaguely known stories.
The prose Edda, written at the beginning of the XIIIth century, tells how Loki cut and stole the wonderful hair of Sif, Thor’s wife. Thor got angry and requested Loki to get them back, which he could only do with the help of the dwarven goldsmith in their underground lair of Svartheim. Loki first went to three dwarf brothers, the sons of the great dwarven smith Ivaldi. They made shining golden hair for Sif, but didn’t stop there. They kept on working and forged Gungnir, a spear that could not be blocked in any, and Skíðblaðnir a ship that could be folded and kept in its owner’s pocket. Loki then went to see two other dwarves craftsmen, Brokkr and Eitri, and bet them his head that they could not make three nicer magical items than those. They took the bet and forged three other items, Gullin-Börsti, a magic golden pig which glows in the dark, Draupnir, a golden ring or armband that copies itself every nine days, and Mjöllnir, a short handle hammer that breaks everything it touches. The gods judged that Loki had lost his bets, and Frey kept the pig and the ship, Odin kept the sword and the ring, and Thor, as everyone knows, took the hammer. Of course, Loki found a way out of this so that he could keep playing nasty tricks to fellow gods.
Art by Arthur Rackham for The Ring of the Nibelung, 1910.
Other stories in the Edda tell that the dwarves created Gleipnir, the leash, soft as silk and solid as iron, who was used to hold the mighty wolf Fenris. Gleipnir is made from the sound of a cat’s footfall, the beard of a woman, the roots of a mountain, the sinews of a bear, the breath of a fish and the spittle of a bird. The dwarves also forged Huliðshjálmr, the helmet of invisibility, Thrymgyöll, the iron gate of the underworlld, Brisingamen, Freya’s amber torque, as well as Járngreipr, the iron gloves that Thor needs to wield Mjölnir, due to its too short handle – one more of Loki’s nasty tricks.The poetic Edda tells how the two dwarves Dvalinn and Durinn forged the golden hilt sword Tyrfing. It never misses, never rust and cuts through stone and iron as easily as through cloth, but once taken out of its sheath, it cannot be put back until it has killed a man and caused three great evils. The same is true of another dwarven sword, Dáinsleif, which has been offered to King Hörni and drawn at least once, when his daughter had been kidnapped.
The German song of the Nibelung, written a few decades later, is, in some ways, the continuation of this story, with fewer magic stuff but with a dragon, Fafnir. The dragon is killed by Sigfried with a single blow of the magic sword Gram, or Nothung, or Balmung which as been forged, or at least reforged, by dwarves. The Niebelung, the original owners of the Rhine treasure, are often described as dwarves, and the treasure is now guarded by a dwarf, Alberich. Among the items in the treasure are an invisibility cloak, which Siegfried uses to replace her husband Gunther during Brünnhild’s wedding night, and a magic rod which gives absolute power over everything but in which no one seems to be really interested. In later versions, such as Wagners Ring der Nibelungen, these become Tarnhelm, the helmet of shapeshifting, and the eponymous Ring, carrying both great power and a terrible curse.
The Rhine maidens after Alberich and the dwarves have stolen the rhinegold. German collectible card, 1905.
These, of course, inspired J.R.R. Tolkien. In the Hobbit and the Lord of the Rings, dwarves didn’t create the Ring, but they forged other powerful artefacts such as Narsil, the sword of Elendil, the dragon-helm of Dor-lòmin, and the Mithril Shirt which which was offered to Bilbo. They didn’t do only metal, since they also created the Arkenstone which glows in the dark, the magical music instruments played by Thorin and his companions after seizing Erebor. In the Silmarillion, one of the three silmarils is set on the Nauglàmir, the necklace of the dwarves.
The dwarves of yore made mighty spells, While hammers fell like ringing bells In places deep, where dark things sleep, In hollow halls beneath the fells.
On silver necklaces they strung The light of stars, on crowns they hung The dragon-fire, from twisted wire The melody of harps they wrung.
J.R.R Tolkien, The Hobbit
While dwarves from the nordic and germanic legends were, even in the etymological sense, autochtonous, Tolkiens’s ones, the twelve dawrves looking for their lost kingdom, are also somewhat jewish. So I could even have added the Ark of the Covenantand some more, but it would have started to get messy.
The idea that dwarves don’t use magic, or even avoid it, which has become popular in fantasy role-playing games, comes from a literary and historical misinterpretation. In mythology, and even in Tolkien’s books, when dwarves are impervious to magic, it’s because they are very good at it, not because they are inherently non-magical. Opposing an elven magic made of spells and a dwarven magic embodied in objects is also a very recent idea.Ancient texts don‘t even make a clear difference between dwarves and elves.
Adding these mythical and literary references in the game, in a tongue in cheek way, could have been an opportunity to state once more that cultural references are not to be ignored, but also not to be taken too seriously. Unfortunately, the magical properties of these « authentic » items didn’t always fit well with my game mechanisms and, anyway, the references wouldn’t have meant anything for players who didn’t know the items beforehand. I thought more important to give every card a name that could suggest its effect on the game than to add a few erudite winks. Also, in most of these stories, while dwarves forge, cast or mould magical artifacts, they don’t keep or trade them; swords and jewels usually end in the hands of gods, or sometimes of petty humans. Nevertheless, a game about dwarves and treasures is necessarily a bit about the Edda, a bit about the Niebelung, a bit about Tolkien, a bit about good old D&D – and better mix them all, like Terry Pratchett did in literature.
Dwarfs have thousands of words for ‘gold’ but will use any of them in an emergency, such as when they see some gold that doesn’t belong to them. Terry Pratchett, Soul Music.
The two only direct references I made on the cards are the Grail, because while noone knows what the grail is, everyone knows about it, and the Eye of Zoltar. The latter was added during the latest revision of the game, and I wanted to call it an eye because its effect was similar with that of the Colored Eye, and another eye which I finally removed. Of course, I could have named it the Eye of Odin, but it would have felt a bit serious and pretentious. I finally went for the Eye of Zoltar, from Jasper Fforde’s eponymous novel. I had just read The Great Troll War, the next book in the Last Dragonslayer series, and could not resist quoting it. I urge you all to read the whole funny and clever series. Yes, it’s fantasy for teenage girls, a crowded genre, but it’s also much more than that.
A magnificent pink ruby the size of a gooses’e egg. It belonged to a wizard I admire greatly. You may find me… the eye of Zoltar.
Jasper Fforde, The Eye of Zoltar
Dwarves and dragons
There are dragons in several of my games, including of course Dragons Gold, Fist of Dragonstones and, more recently, Dragons. The reason is, of course, that I am often inspired by the generic medieval fantasy setting in which I wallowed as a teenager, and which I still enjoy. I could not bring living dragons in Treasure of the Dwarves, where there is no violent fight, but most if not all of the coins, gems and shining or magical items traded must have belonged to a dragon at some time. They certainly have great value for dwarves, especially since old tales say that the first dragon, Fafnir, was originally a dwarf, gradually changed into an ugly monster by his fear and avarice.
The crown jewels
Far from the Germanic or Nordic forests, the dwarves seriously considered sailing to Japan to get regalia. Having decided, for game balance reasons, that there would be three or four different crown jewels of the King under the mountain, I had to decide what exactly they were. In France, and I think in most western countries, the first regalia we think of are those of the British crown. Unfortunately, the list is vague and there are, anyway, way more than three. This let me with two official sets of three items. Those from the Japanese emperor, which have never been shown to the public, are a sword, a mirror and a curved and mysterious jade stone. Those from the Austrian emperor, which can be seen in Wien in the Schatzkammer Museum, are a crown, an orb and a scepter.
I was first tempted to call my cards mirror, sword and jewel, because I believe, for more political than aesthetic reasons, that we should always try to mix cultural references in the most ironic and messy way possible (or should I write the most ironic and messy possible way?). My Japanese friends would have enjoyed the wink. The problem was the mirror, since it was obvious to me that only a card copying another card’s effect could be called mirror. So I went for the less known austro-hungarian jewels, crown, orb and scepter, which I had discovered when writing my PhD about unicorns – believe it or not, the scepter is made of unicorn horn. And since Austrian is in the Germanic world, it fits better with the Nibelungen and all that stuff, never mind mixing and irony.
Going farther
Thirty years ago, I often, usually in vain, suggested that publishers add a few blank cards in my games, so that players could try and add their own stuff. After all, that’s how I started enjoying game design, with adding alien powers and card effects in Cosmic Encounter. I don’t insist now, because if one likes and plays a game enough to want to add their own card effects, one also likes and plays it enough to buy card sleeves, and there are opaque back ones which allow one to personalize any game.That’s how I recently added a homemade cards to my copy ofVale of Eternity. Anyway, it’s relatively easy to do this with Treasure of the Dwarves, and you can email me your best ideas. Be wary, however, not to break the game’s balance. Some cards can be better than other ones, that’s what makes auctions meaningful, but not too much, or not always, or not for everyone. Be careful also with the global balance between the three main ways to score, coins, gems and cards.
First demos of the final game at Gama 2025.
Treasure of the Dwarves A game by Bruno Faidutti Art Roland MacDonald & Donald Crank 3 to 8 players – 45 minutes Published by Trick or Treat Studios Due in early 2025
Comme la majorité des parisiens, et la quasi-totalité des bobos intellos, j’étais plutôt hostile aux jeux olympiques, dans lesquels je voyais un spectacle coûteux et un peu vulgaire et, surtout, la cause de l’annulation de la quasi totalité des habituels événements culturels estivaux de la capitale – y compris, dans le domaine du jeu, Paris est Ludique. J’en voulais beaucoup à Anne Hidalgo, la compétente et courageuse maire de Paris, de s’être laissée entraîner dans cette galère.
Après coup, même si beaucoup des causes de mes réticences sont toujours là, j’ai un peu changé d’avis. Cela a commencé avec la cérémonie d’ouverture. M’attendant soit à un festival de mièvrerie bien-pensante, soit à des « reconstitutions » historiques lourdingues façon Puy du Fou, je ne l’ai regardée intégralement que quelques jours plus tard, après en avoir vu des extraits intéressants, pour découvrir un spectacle provocant et intelligent, même si, comme l’éternité, c’était un peu long, surtout sur la fin.
J’aurais bien aimé que ce type soit représenté dans notre jeu, mais les illustrations ont été faites avant la cérémonie.
La frontière entre le sport et le jeu de société est extrêmement ténue, et parfois arbitraire Curieusement pourtant, le sport ne m’a jamais vraiment intéressé, ni comme activité, ni comme spectacle. Si certains sports ne sont que de simples et ennuyeuses mesures de performance, où l’on cherche juste à savoir qui court le plus vite ou saute le plus haut, beaucoup, notamment ceux où s’affrontent deux joueurs ou deux équipes, sont structurellement des jeux. Ce qui différencie le sport du jeu de société est bien sûr l’importance de la force physique, mais la tactique, la stratégie, la chance et même le bluff sont loin d’être absents des compétitions sportives. Certaines activités, qui mettent souvent en jeu la dextérité, comme la Pétanque ou même le Mollky, ont un statut ambigu, classés tantôt parmi les sports, tantôt parmi les jeux. Il n’y a pas qu’en français que le même verbe, jouer, est utilisé pour les jeux et pour de nombreux sports, et on parle d’ailleurs des jeux olympiques. Si de nombreux sportifs professionnels sont aussi adeptes des jeux de société, c’est parce que les deux activités répondent à la même angoisse, au même besoin de sortir du réel en se fixant des objectifs totalement arbitraires et dénués de sens.
Une autre différence importante entre sport et jeux de société, et c’est elle qui me gêne un peu, est l’importance donnée à la victoire. Le champion sportif est fêté, peut même recevoir une médaille, devenir célèbre, ce qui rompt le « cercle magique », la séparation stricte d’avec le monde réel qui est au cœur du jeu. Cela peut arriver dans certains jeux, et c’est sans doute la principale raison qui m’a fait renoncer au jeu d’échecs, mais c’est quand même plus rare et moins prégnant. Il y a des tournois de jeux de société mais, dès le lendemain, on a oublié qui a été vainqueur. Il y a des joueurs, des auteurs, des éditeurs de toutes nationalités, mais personne n’y attache trop d’importance. C’est différent dans le sport et, pour les jeux olympiques, j’avais peur que la combinaison de la compétition exacerbée et du spectacle flamboyant amène à une mise en scène un peu obscène des nationalités des athlètes, voire à une sorte d’hystérie nationaliste. C’est viscéral, je n’aime pas les nations.
Ayant pris soin de quitter Paris pendant les jeux, je n’ai donc pas assisté aux épreuves, et ne suis pas allé jusqu’à en regarder à la télévision, mais il me semble que ce piège a été largement évité. Les athlètes vedettes, ceux dont les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux, ne sont pas toujours les vainqueurs mais aussi ceux dont l’attitude a semblé particulièrement sympathique, comme ce tireur turc avec la main dans sa poche. Si j’en crois les amis qui ont assisté à une ou deux épreuves, et quelques images vues ici et là, le nationalisme des supporters était aussi très ludique, personne ne prenant ça au sérieux. Les spectateurs maquillés aux couleurs de leurs drapeaux en deviennent même sympathiques, quand ils montrent, voire crient, que l’idée même de nation ne peut et ne doit pas être prise très au sérieux.
Bref, je ne vais pas me mettre à faire de la boxe ou regarder des matchs de foot, mais c’était finalement un beau spectacle. L’intelligence de la cérémonie d’ouverture a aussi finalement fait passer le fait que tant d’autres spectacles culturels ont été annulés l’été dernier.
Au fait, j’ai conçu, avec mon amie Camille Mathieu, un jeu de cartes et de dés sur les jeux olympiques, ou plutôt Trollympiques. L’action de Trollympics se déroule dans le même univers que celle de notre jeu Trollfest, avec des épreuves de rodeo licorne et de lancer de nain. Nous n’avons pensé que trop tard au crowdsurfing synchronisé. Rien de si extraordianire, en fait – saviez-vous que parmi les disciplines représentées aux vrais jeux olympiques ont figuré, à une date ou une autre, le tir aux pigeons vivants, le toilettage de caniches, le tir à la corde, le plan d’urbanisme et la peinture artistique ?
Trollympics avait été imaginé avant Trollfest, mais nous avions d’abord signé avec un éditeur hollandais qui a cessé son activité, nous rendant les droits sur le jeu. Étant très heureux de l’édition de Trollfest, et notamment des splendides dessins de David Hartman, nous avons récupéré les droits, nous avons tout naturellement contacté Trick or Treat games, et tout est allé assez vite – pas assez cependant pour rattraper le retard dû à l’épisode hollandais et sortir au moment des jeux olympiques.
Comme Trollfest, Trollympics est un jeu « poids moyen », ce que l’on appelle parfois un jeu « familial », même si l’on y joue surtout entre amis. Tout comme Trollfest a parfois été décrit comme « les Aventuriers du rail avec de l’humour et de l’interaction », on pourrait décrire Trollympics comme « Seven Wonders avec de l’humour et une brouette de dés ». Une partie se déroule en deux manches, les jeux d’hiver puis ceux d’été. À chaque manche, les joueurs se constituent en « draftant » une écurie d’athlètes qu’ils vont ensuite assigner aux différentes épreuves, qui ne sont pas toujours exactement celles qui étaient prévues. Bien évidemment, un nain sera plus performant dans l’épreuve de coupe de bois, et un elfe dans celle de patinage artistique. Ajoutez à cela quelques cartes pour embêter ses adversaires, voire tricher un peu et corrompre les jurés, et un système de paris, et cela donne un jeu de cartes et de dés rapide et mouvementé.
C’est après avoir terminé cet article que j’ai réalisé que j’aurais peut-être mieux dû comparer les jeux de Trollympics à ceux de la Grèce antique qu’à ceux d’aujourd’hui. Les jeux des trolls, des nains et des elfes sont en effet sans doute plus proche de ceux des Athéniens et des Thébains – on arrête de se foutre sur la gueule une quinzaine de jours et pour pouvoir se saouler la gueule ensemble au soleil.
Like most Parisians, and almost all Parisians intellectual hipsters, I was originally hostile to Olympic games. I considered them an expensive and rather vulgar event and, most of all, the reason why almost all Parisians summer cultural events had been cancelled, including boardgame events such as Paris est Ludique. I was a bit angry against our excellent and courageous mayor, Anne Hidalgo, wondering how she got lured into this mess.
After the event, while some of my reservations are still there, I have nevertheless changed my mind. It started with the opening ceremony. I was expecting either a soppy and cutesy ballet, or a succession of clumsy Disneyish pseudo-historical reconstructions, something at which French parks like the Puy du Fou are very good. As a result, I didn’t bother to watch it at once, and only saw it a few days later after having seen a few strange extracts. It was a clever and thought-provoking spectacle, even if, like eternity, it felt a bit long, especially near the end.
I would have liked to see this guy featured in our game, but the art was made before his appearance in the ceremony.
Surprisingly, while the distinction between sports and games is razor-thin and sometimes arbitrary, I have never been much interested in sport, neither as an activity nor as a spectacle. Indeed, while some sports are just plain and boring contests on who runs the fastest or jumps the highest, many, especially those in which two opponents or two teams are facing each other, have the same structure as boardgames. Of course, what makes them different is the main role of physical strength or ability, but tactics, strategy, luck and even bluff are also part of most matches. Some activities, often based on dexterity like Bocce or Mollky, even have an ambiguous status and depending on the social context are called sometimes games, sometimes sport. In many languages, the same verb – to play in English – can be used for both activities. And, of course, we’re now talking of the Olympic “games”. The reason why so many sportsmen are also avid boardgamers is indeed that both activities give more or less the same answer to the same existential anguish, being an opportunity to leave reality for a while with focusing on arbitrary and meaningless goals.
What has always bothered me with sports, and it’s a difference with boardgames, is the excessive importance of victory. The winner is celebrated, can even win a medal and become a star, which breaks the « magic circle », the strict separation with reality which is at the heart of any game. It can happen with boardgames, and is probably the main reason why I gave up chess, but it’s not as systematic and never as strong. There are boardgames tournaments, but no one ever remembers who won them. There are gamers, game designers, game publishers from different parts of the world, but no one tries to oppose them and find out who is better. I was really afraid that, with Olympic games, the mix between exacerbated competition and public performance could lead to an unhealthy staging of athletes’ nationalities, or even to a kind of nationalist hysteria. I viscerally dislike nations.
This is why I carefully left Paris during the games, didn’t attend any olympic event and didn’t even watch a single one on TV. I might have been wrong, since it seems that the nationalist competitive trap has mostly been avoided. The most celebrated athletes, those whose image I saw on social networks, are not always the winners but also those whose attitude looked nice, like this Turkish hand-in-pocket shooter. If I am to believe my friends who attended a few events, and the pictures I’ve seen here and there, the supporters’ nationalism was very lighthearted and playful. This even makes the spectators with make-up in their national flag colors look nice and clever, showing that the nation idea itself cannot and should not be taken seriously.
I’m not going to start watching boxing or football matches, but I must admit that it was, by all accounts, a nice and healthy show. And the clever opening ceremony made me forget that so many other cultural events had been cancelled last summer.
And, by the way, I’ve designed with my friends Camille Mathieu a card and dice game about the Olympic, or rather the Trollympics, games. Trollympics is set in the same universe as our Trollfest, and has events such as Unicorn Rodeo, Dwarf Tossing, and Standing on the Shoulders of Giants. Unfortunately, it was too late when tought of adding synchronized crowdsurfing, which would have fitted well.Nothing so outstanding – did you know that, at one date or another, Live pigeon shooting, poodle clipping, tug of war, town planning and artistic painting have been olympic sports ?
Trollympics was designed before Troillfest, but we had first signed with Dutch publisher which went out of business before it could publish it. Since we were really happy with the edition of Trollfest, Camille and I then logically contacted Trick or Treat games. Everything went relatively fast, but not fast enough to make for the delay caused the Dutch episode and publish the game in time for the Paris Olympics.
Like Trollfest, Trollympics is a light and casual game, more suited to family and friends than to hardcore boardgamers. Trollfest has sometimes been described as “Fantasy Ticket to Ride with humor and interaction”, Trollympics could similarly be described as “Fantasy Seven Wonders with humor and tons of dice”. A game of Trollympics is made of two successive parts, Winter and Summer games. In both parts, players first draft a hand of athlete cards which are later sent to the various events, which are not always the ones originally scheduled. Of course, a Dwarf is likely to be better at Timber Cutting and an elf at Figure Skating. With a few action cards to meddle with opponents’ plans, or even cheat and corrupt the jury, and even a betting system, it makes for a fun and fast paced card and dice game.
It’s only after having finished this article that I realized I should may be rather have compared the Trollympics to the ancient Olympice games than to the modern ones. The games of trolls, dwarves and elves are indeed probably more similar with those of Anthenians and Thebans – people just stop fighting each other for real for one or two weeks to have fun getting drunk together in the sun.
This year, I’ve decided to skip a fair I was regularly attending, the Cannes FIJ, and to instead go to a much farther one, GAMA, in Louisville, Kentucky. I’ve made this choice for several reasons.
• Since I have retired from my day job as a teacher, I am no more constrained by school holidays and can change a bit my old schedule. I used to meet more or less the same people in the same place every year, attending more exotic fairs or smaller game fairs, like I did last year in Birmingham and Taipei, is an opportunity to meet publishers I’ve never seen so far. I’ve already many appointments in Louisville but I’ve still a few free spots in my schedule, mostly on Monday afternoon and Thursday. If interested, message me.
• GAMA is also this year, more than Cannes, where new games of mine will be presented. A new US publisher, Gamehead, will show it’s starting line-up, with US versions of two games of mine which had not yet been distributed there. The first one will be Venture Angels, a light and fun auction game. I’m not sure I can already speak of the next one. I will be showing them at the Gamehead booth, 725, Wednesday at 11:30 am and Thursday at 2 pm.
• More importantly, two really new games of mine will be shown by my friends at Trick or Treat Studios Games. Trollympics is a dice and card drafting designed with Camille Mathieu and set in the same zany fantasy universe as Trollfest. Draft your best team of orcs, trolls and elves to win medals in Unicorn Rodeo, Dwarf Tossing and Synchronized Crowdsurfing. The game I’m really excited about, and the true reason I’m making the trip, is Treasure of the Dwarves. It is a big box game, something I’ve not done for long, and, in my opinion, my best game ever. It handles 3 to 8 people and has auctions, bluffing, interaction, pesky dwarves and tons of magic items. I will be demoing with the Trick or Treat team at Game Night Tables on Tuesday and Wednesday, starting at 8 pm. During the day, the Trick or Treat Booth, 904, will be my operational basecamp, so you can always walk there with a good chance to meet me.
• I will also take part in a discussion panel about “Building a Long-term Creative Career in Tabletop“, Tuesday at 5pm in Ballroom E.
(Oui, je sais, j’ai déjà écrit à ce sujet sur ce blog, il y a une dizaine d’années, j’avais oublié et ne m’en suis aperçu qu’après avoir rédigé ce nouvel article)
Lorsque, dans les années quatre-vingt, j’ai commencé à m’intéresser aux jeux de société, ceux-ci appartenaient à deux écoles bien distinctes, que nous avions baptisées simplement américaine et allemande. Les jeux américains, comme Dune, Britannia, Junta ou Cosmic Encounter, avaient de longues règles rédigées en anglais, et imprimées en tout petits caractères. Les jeux allemands, comme Scotland Yard ou Le Lièvre et la Tortue, et plus tard Les Colons de Catan, nous parvenaient avec des règles plus courtes et aérées mais rédigées en allemand, et ce même lorsque leurs auteurs, comme David Parlett ou Alex Randolph, étaient anglo-saxons. Comme nombre de mes amis joueurs, j’avais d’abord étudié l’allemand au lycée, choix apparemment absurde qui était en fait une espèce de code secret de la bourgeoise française permettant de regrouper ses enfants dans les mêmes classes des lycées publics. Nous nous sentions pourtant déjà bien plus à l’aise avec les règles plus complexes et plus longues des jeux américains.
Lire des règles en anglais
Aujourd’hui, alors que le marché a explosé et que la quasi-totalité des jeux sont disponibles en français, je préfère encore, lorsque cela ne me coûte pas beaucoup plus cher, me procurer des éditions anglaise ou américaine. Je regrette beaucoup que cela soit devenu plus difficile, Philibert ayant, entre autres, largement cessé de vendre les versions en anglais des jeux disponibles en français.
Le texte anglais est généralement le texte d’origine, celui sur lequel auteur et éditeur ont travaillé – et pas seulement lorsque auteur et éditeur sont anglais ou américains. Ce livret de règles est donc plus soigné, plus précis, relu et testé avec soin, ce qui est rarement le cas des traductions. La version française, le plus souvent traduite de l’anglais, peut contenir des imprécisions, des ambiguïtés, des lourdeurs, voire des erreurs de traduction. Il y a encore une dizaine d’années, les règles françaises étaient souvent truffées d’erreurs et, même dans le cas où elles n’étaient pas traduites, de fautes de grammaire rendant la lecture difficile et souvent le sens ambigu. Il y a eu de nets progrès ces dernières années, les éditeurs font de plus en plus appel à des traducteurs, rédacteurs et même relecteurs compétents, mais je n’en continue pas moins à préférer lire les règles dans ce qui me semble être leur langue naturelle, l’anglais.
Écrire des règles en anglais
Parmi les conseils aux jeunes auteurs que je donne assez régulièrement, celui qui surprend parfois le plus mais pour lequel on m’a ensuite souvent remercié est de rédiger, dès la toute première version du jeu, cartes et règles, en anglais. C’est ce que je fais depuis une trentaine d’années, et cela n’empêche absolument pas d’utiliser le français lorsque l’on explique ces mêmes règles à ses amis joueurs.
Bon, d’accord, il y a des bons jeux dont traduire la règle ne présente guère d’intérêt.
Une langue plus adaptée
Je ne crois pas à la théorie bizarre qui voudrait que chacun pense dans sa langue, et que ceux qui pratiquent une langue différente pensent différemment. Cela me semble être au mieux de la pensée magique, au pire un dernier avatar du « racisme scientifique » (ces gens-là ne pensent pas comme nous, ils ne sont donc pas comme nous). Il n’en reste pas moins que si le langage n’influe guère sur la pensée qui le précède, il permet et contraint à la fois la communication qui la suit. On peut tout dire dans toutes les langues, mais certaines sont mieux adaptées à certains usages. C’est ce que Voltaire appelait « le génie de la langue », et c’est pour cette raison que son pote Frédéric II parlait « en espagnol à Dieu, en français aux hommes, en italien aux femmes et en allemand à son cheval ».
L’anglais est plus adapté, mieux équipé que le français pour la rédaction de textes techniques et directifs comme une règle de jeu. Tous ceux qui ont essayé de lire en français le mode d’emploi d’un appareil électro-ménager ou d’un logiciel savent que c’est une tâche difficile, là où le texte anglais est généralement limpide. À en croire les auteurs de jeux italiens avec qui j’ai abordé cette question, leur langue serait encore pire que le français. Mes rudiments de latin, polonais, japonais et allemand ne me permettent pas de me prononcer avec certitude, mais j’ai le sentiment que, à l’exception peut-être de la dernière, ces langues ne sont pas très adaptées non plus.
Pour rester simple
Une autre raison, qui ne contredit pas la précédente, est que rédiger en anglais, langue que je maîtrise à peu près mais bien moins que le français, m’aide à écrire des règles simples, directes, sans fioritures inutiles. C’était déjà utile il y a une vingtaine d’années, cela l’est plus encore aujourd’hui, sur un marché passablement encombré, et alors que la qualité de conception et de rédaction des règles a progressé. Un jeu trop complexe, ou dont les règles sont présentées de manière trop alambiquée, a bien peu de chances de trouver un éditeur, et moins encore de rencontrer le succès. En travaillant en anglais, les auteurs non anglophones comme moi se forcent à aller droit au but, avec des règles claires, directes, complètes mais aussi brèves que possible.
Pour tout le monde
Ils se donnent aussi plus de chances de rencontrer des éditeurs. La principale raison pour écrire les règles en anglais est en effet de pouvoir ensuite présenter facilement son jeu aux éditeurs du monde entier, français compris. Le petit monde de l’édition ludique est en effet très international, bien plus que celui de l’édition littéraire. Il y a certes encore quelques petites différences régionales, plus d’ailleurs dans le graphisme et la présentation des jeux que dans leur nature, mais l’éditeur princeps d’un jeu imaginé par un auteur français, brésilien ou japonais peut très bien être américain, coréen ou polonais, et inversement. Tous ces gens-là discutent, et le plus souvent travaillent, en anglais. Même un éditeur français préfèrera le plus souvent un prototype en anglais, parce que, comme je l’ai expliqué plus haut, les règles en seront plus claires, mais aussi parce que cela lui permettra de présenter facilement le jeu à des étrangers intéressés par une licence ou un contrat de distribution.
Contre-argument
Paradoxalement, la seule raison pour écrire des règles de jeu en français, ou dans votre langue maternelle, quelle qu’elle soit, est que vous devrez finalement, au moment de présenter le jeu à des éditeurs, le traduire en anglais. La traduction est en effet très souvent l’occasion de repérer les petits oublis dans les règles, les passages inutiles ou redondants, voire même, cela m’arrive encore un peu trop souvent, les résidus d’anciennes versions.
Deux jeux qui traitent de traduction. Il faudrait que j’en fasse un aussi.
(Je reprends à peu près la conclusion d’un autre article de ce site, écrit il y a une dizaine d’années, car je n’ai pas grand-chose à y ajouter ou à en retirer)
Il existe en France un lobby (devrais-je dire groupe de pression ?) autoproclamé, paranoïaque et influent de « défenseurs de la langue française » qui voient dans tout usage de la langue anglaise par un français un acte de trahison. Leur conception de la culture comme un jeu à somme nulle où ce qui est gagné par les uns serait perdu par les autres est, au regard de l’histoire, d’une grande naïveté. L’anglais est aujourd’hui devenu un vecteur culturel, un outil qui, en facilitant les contacts entre les hommes, les textes, les cultures, ne peut que les enrichir tous. Il remplit en ce sens la même fonction que le latin à la Renaissance, et la remplit sans doute mieux encore puisque son usage ne se limite plus aujourd’hui aux milieux lettrés. On peut trouver ironique que l’anglais soit aujourd’hui la seule lingua franca, mais il vaut mieux se réjouir qu’il y en ait une, et en faire le meilleur usage, que perdre son temps en vains regrets et son énergie en excommunications et combats d’arrière-garde.
(Yes, I know, I have already written a blogpost on this topic, a dozen years ago. I had forgotten about it and only found out after having nearly finished this new one. I’m fascinated by languages and language theory, which explained why I often come back to it.)
When, in the eighties, I started getting interested in modern boardgames, the ones I had access to belonged to two different design schools, which me and my friends called American and German. American school games such as Dune, Britannia, Junta or Cosmic Encounter had relatively long rules written in English, and in a very small font. German games such as Scotland Yard or Hare and Tortoise, and soon Settlers of Catan, had shorter rules with a more airy layout, but the editions we had access to were written in German, even when their designers, like David Parlett or Alex Randolph, were English speaking. Like many of my friends, I had first studied German in school, a seemingly absurd choice which was in fact a kind of secret code used by the French upper class to put all their kids in the same classes of state schools. Despite this, we were all much more at ease with the longer and more complex rules of American games.
Reading rules in English
Even now, when the marker has skyrocketed and most games are available in French, I prefer, when it’s not much more expensive, to get English language versions of new games. It is unfortunately becoming more and more difficult, especially since Philibert has nearly stopped selling English language versions of games they also have in French.
The English text of the rules is usually the one on which designer and publisher have worked, and not only when they are both American or English. The English language rulebook is therefore more carefully written, more precise, proofread and playtested many times, which is rarely the case with translations. The French version, usually translated from the English one, can have ambiguities, heavy wordings, even mistranslations. Ten years ago, French rules, even when they were not translated, used to be full of grammar errors, making them painful to read and often ambiguous. There has been much progress these last ten years, French publishers having gotten used to rely on professional translators, redactors and even proofreaders, but I nevertheless still prefer to read rules in what feels to me like their natural language, English.
Writing rules in English
One of the advice I regularly give to wannabe (non English speaking) game designers is to write every element of their prototype, be it rules or cards, in English, and to do this from the start, from the first iteration of the prototype. It is also the advice for which I have been thanked the most often. That’s what I do for thirty years now, and it doesn’t prevent anyone to use their native language when explaining the game to their playtester friends.
OK, there are a few really good games it would be pointless to translate.
A better fitting language
I don’t believe in the strange trendy theory according to which everyone thinks in their native language and people using different languages therefore think differently. It seems to me to be at best magical thinking, at worst the last avatar of “scientific racism” – these people don’t think like us, so they cannot be like us. Nevertheless, while language barely affects thought, because thought largely precedes it, it both allows and constrains the communication of thought. We can say more or less everything in every language, but some languages are better fitted to certain uses. Voltaire used to call this the “genius of language”, and it is why his buddy the King of Prussia Friedrich II said that “I speak in Spanish to God, in French to men, in Italian to women and in German to my horse”.
English is better fitted to the writing of technical and prescriptive texts, such as game rules. Anyone who has tried to decipher the French version of some household appliance or computer software instructions knows that it is nearly impossible, when the English version is usually crystal clear. I’ve discussed this with Italian game designers who maintain that their language is even worse than French. My very basic knowledge of Latin, Polish, Japanese and German doesn’t allow me to say it with certainty, but I have the feeling that, with the possible exception of the last one, these languages are not very suitable either.
Keeping it simple
Another reason, which does not contradict the former one, is that using English, a language I don’t master as well as French, helps me to write simple, direct, straight to the point rules. This was already useful twenty years ago, it is even more now. The market is becoming overcrowded, the average quality both of the games themselves and of their rules has vastly increased. A game whose rules feel too convoluted, no matter whether they are indeed complex or just badly written, is unlikely to find a publisher, and even more unlikely to be a hit. For non-native speakers like me, English can help to write clear, direct, simple and short rules.
A language for everyone
Most of all, English rules helps when contacting publishers. The main reason for using English is that it makes possible to show one’s game to publishers from any country, France and other exotic markets included. The small game publishing world is largely, if not globalized, at least internationalized, far more than the book publishing one. There are still minor local differences, more in the art and packaging than in the games themselves, but the princeps publisher of a game designed by a French, Brazilian or Japanese designer can be American, Korean or Polish, and vice versa. All these people talk with each other, and often work, in English. Even a French publisher is more likely to consider an English language prototype, because its rules will be clearer, as I explained above, but also because it makes easier to show the game to foreigners who might be interested in localizing or distributing it.
Counter-argument
Paradoxically, the only good reason to start with rules in French, or un your own language, is that, in the end, you will have to translate everything in English in order to show it to publishers. Translating a text is a very efficient way to check small omissions and redundancies in the rules, or even, it stil occasionally happens to me, small residues from older versions which should have been deleted.
Two games about language and translation. I should design one someday.
(This conclusion is almost copy-pasted from the one I wrote ten years ago, because unfortunately I have little to add or remove to it. )
We have in France a self-proclaimed, paranoid and influential lobby of “champions of the French language” who regard every use of the English language by a French as an act of treason. They naively consider culture to be always a zero-sum game, where what is won by some is necessarily lost by others. English is now a cultural tool that helps contacts between people, between texts, between cultures, and it’s an all-win game. English works a bit like Latin during the Renaissance, and works even better because its use is not limited to well-read scholars. Of course, there’s something ironic in English being the only lingua franca, but we ought to rejoice that there’s one, and make the best use of it, rather than waste time in vain regrets and energy in excommunications and rearguard actions.
Depuis bien longtemps, il m’arrive, lors de rencontres d’auteurs de jeux, d’intervenir pour partager mon expérience et donner quelques conseils aux débutants. J’ai aussi, à l’occasion, été invité dans des écoles de jeu video, qui considèrent généralement, et à raison, le jeu de société comme un proche voisin qu’il est bon de connaître. Je réponds toujours avec d’autant plus de plaisir à ces invitations que j’aime parler en public et pense être assez pédagogue.
Comme dans bien des domaines, des “stages de découverte” sur quelques jours, à destination de tous ceux, généralement des adultes, tentés par la création ludique existent depuis longtemps. Si quelques-uns peuvent-être des arnaques, la plupart sont utiles. Ils détruisent parfois quelques illusions mais permettent surtout d’apprendre quelques astuces, quelques méthodes, et de découvrir les contraintes de l’édition et du marché du jeu. Ils sont donc une excellente chose.
L’un des premiers conseils que je donne aux aspirants auteur de jeu est de trouver d’abord un autre boulot, et de le conserver. J’ai donc été assez surpris, et d’abord un peu sceptique, en découvrant qu’il existait désormais des formations spécifiques, parfois sur plusieurs années, à l’université et dans des écoles privées, pour devenir auteur de jeux de société.
Mon scepticisme venait d’abord, bien sûr, de mon expérience personnelle. De telles formations n’existaient pas dans ma jeunesse, et si elles avaient existé, il ne me serait sans doute pas venu à l’idée de les suivre. Comme tous les auteurs de jeux que je connais, et pas seulement ceux de ma génération, j’ai appris le métier sur le tas, en commençant par bricoler à partir de mes jeux préférés. Lorsque l’on me demande comment on devient auteur de jeu, je répons d’ailleurs le plus souvent “en jouant”.
On m’objectera bien sûr que ce qui ne m’aurait pas tenté et ne m’a pas été nécessaire pourrait être aujourd’hui utile à d’autres. Les choses ont changé. Le marché du jeu de société a explosé, la qualité des jeux publiés a également augmenté. L’édition, la distribution, la fabrication, l’illustration, la critique et bien sûr la création, toute la filière s’est professionnalisée. Cette évolution, que j’ai vécue avec une certaine réticence puisque j’ai attendu ma retraite de l’éducation nationale pour faire de la création ludique mon activité principale, peut justifier que l’on ne devienne plus toujours auteur de jeux comme c’était le cas il y a quarante, ou même il y a seulement vingt ans. Cette professionnalisation de notre activité rendrait plus difficile l’apprentissage sur le tas et justifierait donc l’apparition d’une sorte de “formation professionnelle”.
L’autre raison de mon scepticisme initial est la nature relativement peu technique de la création ludique. S’il existe des conservatoires de musique et de danse, des structures comme les Beaux-Arts pour les arts plastiques, des écoles de cinéma, d’animation, ou de jeux videos, c’est parce que ces activités complexes ont un contenu technique très important. On peut heureusement encore devenir musicien ou cinéaste sans être passé par des formations dédiées, mais c’est rare parce que difficile dans des domaines où la technicité continue à augmenter.
Le jeu de société, par comparaison, me semble assez peu technique, plus proche de l’écriture littéraire, de la cuisine ou du bricolage, mais c’est peut-être une illusion due au fait que j’ai moi-même assimilé très progressivement, et sans en être bien conscient, ces aspects techniques. J’imagine assez facilement le contenu, en termes d’entrainement et de connaissances, d’une formation de quelques années dans la musique ou le jeu video, cela me semble moins pertinent pour le jeu de société, et peut même faire craindre une sorte de “formatage” nuisant à la créativité et à l’originalité.
En littérature, et c’est sans doute la comparaison la plus pertinente, des universités, surtout américaines, proposent depuis longtemps des cursus presque entièrement consacrés à la ”creative writing”. C’est plus rare en Europe, où cela se limite à quelques cours dans des filières littéraires plus générales. J’ai donc mené une petite enquête sur Internet, et ai , et ai découvert que les cours d’écriture créative n’étaient pas le caca de taureau que j’imaginais. De nombreux auteurs américains, et parmi eux l’un de mes préférés, Raymond Carver, ont suivi ce type d’enseignement. Un ami américain m’a par ailleurs fait remarquer qu’ils étaient sans doute plus nombreux encore, beaucoup évitant de mettre en avant une formation qui, dans le petit monde littéraire anglo-saxon, pouvait être un peu stigmatisante. J’imagine ce qu’il en est en Europe !
Bref, forcé de reconnaître, même si je la regrette un peu, la professionnalisation du milieu ludique, et surpris d’apprendre que ce type d’enseignement était assez efficace en littérature, je pense maintenant qu’une formation à la création de jeux de société, mise en place par des gens informés et compétents, peut être une bonne idée. Je n’en continuerai pas moins à donner aux aspirants auteurs de jeux le conseil que l’on donne aux aspirants écrivains – trouvez d’abord un vrai métier !
For years, at game fairs or game designers meetings, I hold public talks to share my experience as a game designer and give some advice to newcomers. I have also, on occasion, given lectures in video-game schools, which usually and rightly consider that boardgame design is a neighboring activity worth knowing. I always have fun doing it, because I like speaking in public and I think I’m a good teacher.
Like in many other domains, there are short discovery training courses, usually over one or two days, for adults interested in boardgames design. A few of them might be scams, but most offer an opportunity to get rid of some illusions, learn a few tricks and technics, and discover the realities of the boardgame market. I’ve always thought this was a good idea.
One of the first advice I give to young game designers is to first find another job, a true job, and to keep it. I was therefore a bit surprised, and at first a bit skeptical, when I found out that there are now specific training cursus, sometimes over a few years, both in public universities and in private-owned schools, aimed at aspiring boardgames designers.
The first reason for my initial wariness was my personal history and experience. There were no such schools when I was young, and even if there were, I would certainly not have been tempted to attend them. Like all the boardgames designers I know, even younger ones, I learned the job as I went along, starting with toying with my favorite games. When asked how one can become a boardgames designer, I usually answer “with playing games”.
Of course, what didn’t exist and would not have tempted me can today be useful to others. Times have changed. The boardgames market has exploded, has become a real industry, and the quality of the games published has vastly increased. Publishing, distribution, printing, illustration, reviewing and, of course, boardgames design have been professionalized. I was a bit wary of this evolution, which explains why I have waited until I retire from my day job as a teacher, last year, to become a full time boardgames designer, but I cannot deny it. It explains why there are now more ways for becoming a boardgames designer than there were forty or even twenty years ago. And if our activity has been professionalized, technicised, learning on the go becomes more difficult and there is now room for professional training.
Another reason for my initial skepticism is the low level of technicality of boardgames design. There are music, drama, movies, graphic arts, animation and even video-games schools because these activities have a high level of specific technicality. One can still become a professional musician or movie director without having been through a specific training, but it has become are in domains whose technical nature has regularly increased.
In comparison, boardgame design feels to me more freeform, more akin to literary writing or cooking, but this feeling might be due to the fact that I learned the technicalities on the go, without being really conscious of it. Anyway, while I can imagine, both in terms of training and theory, the content of a two or three years training in music or video games, it feels to me less relevant for boardgames. One can even fear a kind of formatting, dangerous in a domain where originality is critical.
The most relevant comparison is probably with literature. For vert long, US universities offer cursus focused on “creative writing”. This is not that usual in Europe, where such courses are usually a small part of a more general literary cursus. I made a small internet enquiry and, to my astonishment, found out that creative writing courses were not the bullshit I was imagining, and that several great American writers, including one of my favorite short stories writer, Raymond Carver, went through a creative writing training. An American friend also pointed out to me that there were probably even more, many writers avoiding highlighting a training which, in the small Anglo-Saxon literary world, could be a little stigmatizing.. You can imagine what it could be in Europe!
Anyway, even when I regret it a bit, I must acknowledge the professionnalisation of the little boardgaming world. Having learned, to my surprise, that such a training could be efficient in literature, I now see no reason to dismiss it for boardgames, providing it is done by informed and competent people. I will nevertheless keep on advising wannabe game designer, like wannabe novelists, to first find and keep a day job.
Mission Planète Rouge revient en 2025, dans une nouvelle édition illustrée par Derek Stenning. L’esthétique Steampunk des deux premières versions chez Asmodée laisse place, chez Matagot, à un univers de science-fiction plus classique mais plain d’humour, le robot pieuvre extracteur représenté sur la couverture semblant sortir des ateliers d’Apple ou de Tesla. Cela m’a fait un peu bizarre de voir le fond mauve et le titre bleu, et mais le sol martien est bien rouge, donc ça va.
Les mécanismes, mêlant choix de personnages à la Citadelles, objectifs plus ou moins secrets et jeu de majorité un peu méchant, ont peu changé. Bruno voulait rendre le jeu un peu plus calculable, je le préférais plus interactif, et nous avons donc imaginé un plateau modulaire permettant plusieurs configurations, certaines plus sages, d’autres moins prévisibles. Pour le reste, à part deux ou trois idées de nouvelles cartes, nous n’avons touché à rien, ça marchait très bien comme ça.
À bientôt sur la planète rouge.
Mission: Red Planet Un jeu de Bruno Cathala & Bruno Faidutti Illustré par Derek Stenning 2 à 6 joueurs – 60 minutes Publié par Matagot Boardgamegeek
Mission Red Planet will be bnack in 2025, in a new edition with art by veteran video game artist Derek Stenning. The Steampunk universe of the earlier Asmodee versions has been replaced by a humorous and more classical science-fiction style. The octopus extractor robot on the cover looks straight out of the Apple or Tesla design studios. I was a bit surprised by the purple background and the blue title, but Mars rocks are red, so it’s OK.
The game systems, involving a Citadels-like character selection, more or less secret goal cards, and a relatively mean majority system, didn’t change much. Bruno wanted the game to become slightly more tactical and predictable, I wanted it wilder and interactive, so the only major addition is a modular board which allows for different configurations, some safer, other ones more dangerous. We also incorporated two or three new card ideas, but that’s all. The game already worked very well, no need to tinker with it.
See you soon on the Red Planet.
Mission: Red Planet A game by Bruno Cathala & Bruno Faidutti Art by Derek Stenning 2 to 6 players – 60 minutes Published by Matagot Boardgamegeek