Trollympics

Comme la majorité des parisiens, et la quasi-totalité des bobos intellos, j’étais plutôt hostile aux jeux olympiques, dans lesquels je voyais un spectacle coûteux et un peu vulgaire et, surtout, la cause de l’annulation de la quasi totalité des habituels événements culturels estivaux de la capitale – y compris, dans le domaine du jeu, Paris est Ludique. J’en voulais beaucoup à Anne Hidalgo, la compétente et courageuse maire de Paris, de s’être laissée entraîner dans cette galère.

Après coup, même si beaucoup des causes de mes réticences sont toujours là, j’ai un peu changé d’avis. Cela a commencé avec la cérémonie d’ouverture. M’attendant soit à un festival de mièvrerie bien-pensante, soit à des « reconstitutions » historiques lourdingues façon Puy du Fou, je ne l’ai regardée intégralement que quelques jours plus tard, après en avoir vu des extraits intéressants, pour découvrir un spectacle provocant et intelligent, même si, comme l’éternité, c’était un peu long, surtout sur la fin.

J’aurais bien aimé que ce type soit représenté dans notre jeu, mais les illustrations ont été faites avant la cérémonie.

La frontière entre le sport et le jeu de société est extrêmement ténue, et parfois arbitraire Curieusement pourtant, le sport ne m’a jamais vraiment intéressé, ni comme activité, ni comme spectacle. Si certains sports ne sont que de simples et ennuyeuses mesures de performance, où l’on cherche juste à savoir qui court le plus vite ou saute le plus haut, beaucoup, notamment ceux où s’affrontent deux joueurs ou deux équipes, sont structurellement des jeux. Ce qui différencie le sport du jeu de société est bien sûr l’importance de la force physique, mais la tactique, la stratégie, la chance et même le bluff sont loin d’être absents des compétitions sportives. Certaines activités, qui mettent souvent en jeu la dextérité, comme la Pétanque ou même le Mollky, ont un statut ambigu, classés tantôt parmi les sports, tantôt parmi les jeux. Il n’y a pas qu’en français que le même verbe, jouer, est utilisé pour les jeux et pour de nombreux sports, et on parle d’ailleurs des jeux olympiques. Si de nombreux sportifs professionnels sont aussi adeptes des jeux de société, c’est parce que les deux activités répondent à la même angoisse, au même besoin de sortir du réel en se fixant des objectifs totalement arbitraires et dénués de sens.

Une autre différence importante entre sport et jeux de société, et c’est elle qui me gêne un peu, est l’importance donnée à la victoire. Le champion sportif est fêté, peut même recevoir une médaille, devenir célèbre, ce qui rompt le « cercle magique », la séparation stricte d’avec le monde réel qui est au cœur du jeu. Cela peut arriver dans certains jeux, et c’est sans doute la principale raison qui m’a fait renoncer au jeu d’échecs, mais c’est quand même plus rare et moins prégnant. Il y a des tournois de jeux de société mais, dès le lendemain, on a oublié qui a été vainqueur. Il y a des joueurs, des auteurs, des éditeurs de toutes nationalités, mais personne n’y attache trop d’importance. C’est différent dans le sport et, pour les jeux olympiques, j’avais peur que la combinaison de la compétition exacerbée et du spectacle flamboyant amène à une mise en scène un peu obscène des nationalités des athlètes, voire à une sorte d’hystérie nationaliste. C’est viscéral, je n’aime pas les nations.

Ayant pris soin de quitter Paris pendant les jeux, je n’ai donc pas assisté aux épreuves, et ne suis pas allé jusqu’à en regarder à la télévision, mais il me semble que ce piège a été largement évité. Les athlètes vedettes, ceux dont les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux, ne sont pas toujours les vainqueurs mais aussi ceux dont l’attitude a semblé particulièrement sympathique, comme ce tireur turc avec la main dans sa poche. Si j’en crois les amis qui ont assisté à une ou deux épreuves, et quelques images vues ici et là, le nationalisme des supporters était aussi très ludique, personne ne prenant ça au sérieux. Les spectateurs maquillés aux couleurs de leurs drapeaux en deviennent même sympathiques, quand ils montrent, voire crient, que l’idée même de nation ne peut et ne doit pas être prise très au sérieux.

Bref, je ne vais pas me mettre à faire de la boxe ou regarder des matchs de foot, mais c’était finalement un beau spectacle. L’intelligence de la cérémonie d’ouverture a aussi finalement fait passer le fait que tant d’autres spectacles culturels ont été annulés l’été dernier.

Au fait, j’ai conçu, avec mon amie Camille Mathieu, un jeu de cartes et de dés sur les jeux olympiques, ou plutôt Trollympiques. L’action de Trollympics se déroule dans le même univers que celle de notre jeu Trollfest, avec des épreuves de rodeo licorne et de lancer de nain. Nous n’avons pensé que trop tard au crowdsurfing synchronisé. Rien de si extraordianire, en fait – saviez-vous que parmi les disciplines représentées aux vrais jeux olympiques ont figuré, à une date ou une autre, le tir aux pigeons vivants, le toilettage de caniches, le tir à la corde, le plan d’urbanisme et la peinture artistique ?

Trollympics avait été imaginé avant Trollfest, mais nous avions d’abord signé avec un éditeur hollandais qui a cessé son activité, nous rendant les droits sur le jeu. Étant très heureux de l’édition de Trollfest, et notamment des splendides dessins de David Hartman, nous avons  récupéré les droits, nous avons tout naturellement contacté Trick or Treat games, et tout est allé assez vite – pas assez cependant pour rattraper le retard dû à l’épisode hollandais et sortir au moment des jeux olympiques.

Comme Trollfest, Trollympics est un jeu « poids moyen », ce que l’on appelle parfois un jeu « familial », même si l’on y joue surtout entre amis. Tout comme Trollfest a parfois été décrit comme « les Aventuriers du rail avec de l’humour et de l’interaction », on pourrait décrire Trollympics comme « Seven Wonders avec de l’humour et une brouette de dés ». Une partie se déroule en deux manches, les jeux d’hiver puis ceux d’été. À chaque manche, les joueurs se constituent en « draftant » une écurie d’athlètes qu’ils vont ensuite assigner aux différentes épreuves, qui ne sont pas toujours exactement celles qui étaient prévues. Bien évidemment, un nain sera plus performant dans l’épreuve de coupe de bois, et un elfe dans celle de patinage artistique. Ajoutez à cela quelques cartes pour embêter ses adversaires, voire tricher un peu et corrompre les jurés, et un système de paris, et cela donne un jeu de cartes et de dés rapide et mouvementé.

C’est après avoir terminé cet article que j’ai réalisé que j’aurais peut-être mieux dû comparer les jeux de Trollympics à ceux de la Grèce antique qu’à ceux d’aujourd’hui. Les jeux des trolls, des nains et des elfes sont en effet sans doute plus proche de ceux des Athéniens et des Thébains – on arrête de se foutre sur la gueule une quinzaine de jours et pour pouvoir se saouler la gueule ensemble au soleil.

Trollympics
Un jeu de Camille Mathieu et Bruno Faidutti
Illustrations de David Hartman
3 à 6 joueurs – 45 minutes
Publié par Trick or Treat Studios (2025)
Boardgamegeek



Like most Parisians, and almost all Parisians intellectual hipsters, I was originally hostile to Olympic games. I considered them an expensive and rather vulgar event and, most of all, the reason why almost all Parisians summer cultural events had been cancelled, including boardgame events such as Paris est Ludique. I was a bit angry against our excellent and courageous mayor, Anne Hidalgo, wondering how she got lured into this mess.

After the event, while some of my reservations are still there, I have nevertheless changed my mind. It started with the opening ceremony. I was expecting either a soppy and cutesy ballet, or a succession of clumsy Disneyish pseudo-historical reconstructions, something at which French parks like the Puy du Fou are very good. As a result, I didn’t bother to watch it at once, and only saw it a few days later after having seen a few strange extracts. It was a clever and thought-provoking spectacle, even if, like eternity, it felt a bit long, especially near the end.

I would have liked to see this guy featured in our game, but the art was made before his appearance in the ceremony.

Surprisingly, while the distinction between sports and games is razor-thin and sometimes arbitrary, I have never been much interested in sport, neither as an activity nor as a spectacle. Indeed, while some sports are just plain and boring contests on who runs the fastest or jumps the highest, many, especially those in which two opponents or two teams are facing each other, have the same structure as boardgames. Of course, what makes them different is the main role of physical strength or ability, but tactics, strategy, luck and even bluff are also part of most matches. Some activities, often based on dexterity like Bocce or Mollky, even have an ambiguous status and depending on the social context are called sometimes games, sometimes sport. In many languages, the same verb – to play in English – can be used for both activities. And, of course, we’re now talking of the Olympic “games”. The reason why so many sportsmen are also avid boardgamers is indeed that both activities give more or less the same answer to the same existential anguish, being an opportunity to leave reality for a while with focusing on arbitrary and meaningless goals.

What has always bothered me with sports, and it’s a difference with boardgames, is the excessive importance of victory. The winner is celebrated, can even win a medal and become a star, which breaks the « magic circle », the strict separation with reality which is at the heart of any game. It can happen with boardgames, and is probably the main reason why I gave up chess, but it’s not as systematic and never as strong. There are boardgames tournaments, but no one ever remembers who won them. There are gamers, game designers, game publishers from different parts of the world, but no one tries to oppose them and find out who is better. I was really afraid that, with Olympic games, the mix between exacerbated competition and public performance could lead to an unhealthy staging of athletes’ nationalities, or even to a kind of nationalist hysteria. I viscerally dislike nations.

This is why I carefully left Paris during the games, didn’t attend any olympic event and didn’t even watch a single one on TV. I might have been wrong, since it seems that the nationalist competitive trap has mostly been avoided. The most celebrated athletes, those whose image I saw on social networks, are not always the winners but also those whose attitude looked nice, like this Turkish hand-in-pocket shooter. If I am to believe my friends who attended a few events, and the pictures I’ve seen here and there, the supporters’ nationalism was very lighthearted and playful. This even makes the spectators with make-up in their national flag colors look nice and clever, showing that the nation idea itself cannot and should not be taken seriously.  

I’m not going to start watching boxing or football matches, but I must admit that it was, by all accounts, a nice and healthy show. And the clever opening ceremony made me forget that so many other cultural events had been cancelled last summer.

And, by the way, I’ve designed with my friends Camille Mathieu a card and dice game about the Olympic, or rather the Trollympics, games. Trollympics is set in the same universe as our Trollfest, and has events such as Unicorn Rodeo, Dwarf Tossing, and Standing on the Shoulders of Giants. Unfortunately, it was too late when tought of adding synchronized crowdsurfing, which would have fitted well. Nothing so outstanding – did you know that, at one date or another, Live pigeon shooting, poodle clipping, tug of war, town planning and artistic painting have been olympic sports ?

Trollympics was designed before Troillfest, but we had first signed with Dutch publisher which went out of business before it could publish it. Since we were really happy with the edition of Trollfest, Camille and I then logically contacted Trick or Treat games. Everything went relatively fast, but not fast enough to make for the delay caused the Dutch episode and publish the game in time for the Paris Olympics.

Like Trollfest, Trollympics is a light and casual game, more suited to family and friends than to hardcore boardgamers. Trollfest has sometimes been described as “Fantasy Ticket to Ride with humor and interaction”, Trollympics could similarly be described as “Fantasy Seven Wonders with humor and tons of dice”. A game of Trollympics is made of two successive parts, Winter and Summer games. In both parts, players first draft a hand of athlete cards which are later sent to the various events, which are not always the ones originally scheduled. Of course, a Dwarf is likely to be better at Timber Cutting and an elf at Figure Skating. With a few action cards to meddle with opponents’ plans, or even cheat and corrupt the jury, and even a betting system, it makes for a fun and fast paced card and dice game.

It’s only after having finished this article that I realized I should may be rather have compared the Trollympics to the ancient Olympice games than to the modern ones. The games of trolls, dwarves and elves are indeed probably more similar with those of Anthenians and Thebans – people just stop fighting each other for real for one or two weeks to have fun getting drunk together in the sun.

Trollympics
A game by Camille Mathieu & Bruno Faidutti
Art by David Hartman
3 to 6 players – 45 minutes
Published par Trick or Treat Studios (2025)
Boardgamegeek

TrollFest

Camille Mathieu est une amie, une habituée de mes soirées jeux. Elle m’accompagne aussi souvent à des concerts, surtout mais pas seulement metal, ou du moins m’accompagnait du temps où il y avait un peu plus de concerts. Camille étant aussi correctrice littéraire, spécialisée dans l’imaginaire, il y avait une certaine logique à ce que nous finissions par travailler ensemble sur un jeu de société mettant en scène des groupes de rock composés de nains, d’orques et d’elfes. 

Dès le début, je pensais appeler le jeu TrollFest, Camille pensant plutôt à Elfest. Notre premier essai, un jeu de cartes, fonctionnait plutôt bien mais le thème rock and roll ne collait pas parfaitement avec les mécanismes. Très vite, les guitaristes, bassistes ou batteurs figurant sur les cartes sont devenus des sportifs participant à des compétitions de lancer de nain, de tricot ou de bataille de boules de neige, et TrollFest est devenu Trollympics. Ce jeu a en principe trouvé un éditeur il y a un petit moment déjà, mais tout est compliqué en ce moment, et comme on a déjà raté les jeux olympiques de 2021, je crains qu’il ne sorte que pour les prochains. Si TrollFest a du succès, cela accélèrera peut-être les choses !

Partie de test à Etourvy, avec Camille (à gauche).

Le cœur de l’activité d’un groupe de rock, ou en tout cas de l’image que l’on en a, n’est en effet pas le choix des musiciens mais la tournée. Pour notre deuxième essai, nous avons donc opté pour un vrai jeu de plateau, avec une carte où figurent des villes, les lieux de concerts, et les routes qui les relient, quelque chose que je fais de moins en moins souvent, essentiellement parce que je suis nul en dessin.

Partie de test chez moi, à Paris. Vincent réfléchit. Camille aussi, plus discrètement.

Une partie de TrollFest se déroule désormais en trois temps. Les joueurs choisissent d’abord des cartes action et musicien et constituent chacun un groupe amateur d’au moins quatre membres, un chanteur, un guitariste, un bassiste et batteur. Chacun quitte ensuite sa région d’origine pour une vaste tournée, allant de ville en ville, donnant des concerts, recrutant à l’occasion de meilleurs musiciens, embauchant même parfois des dragons pour le transport et les lumières. Les concerts les plus réussis, ceux qui rapportent le plus de points, sont dans les cités qui ont soif de culture, celles où l’on n’a pas vu passer grand monde depuis longtemps, et surtout dans celles dont le public est particulièrement réceptif à votre style musical – en gros, les nains aiment la musique de nains et les trolls la musique de trolls. S’il est peu utile d’essayer de jouer de la pop elfe chez les trolls, des big bands de fusion multiculturelle peuvent tirer leur épingle du jeu un peu partout, surtout s’ils recrutent quelques figures marginales, gnome ou kobold, ou exotiques, sirène ou minotaure. Des événements imprévus, désaccords entre musiciens, tempête de neige ou gilets jaunes, viennent parfois semer le trouble. Rien n’est plus classe, bien sûr, que de terminer sa tournée en retournant dans sa ville d’origine à dos de dragon. 

Vient ensuite le TrollFest, clin d’œil au Hellfest, le grand festival, où les groupes se succèdent sur scène, applaudissements et rappels allant aux plus techniques, aux plus charismatiques, aux plus énergiques et paradoxalement tout à la fois aux plus authentiques et aux plus multiculturels. Au fait, il y a un groupe de folk–metal norvégien très sympa qui s’appelle TrollFest, et qui chante en trollspråk, langue qui est – on aurait dû s’en douter – un mélange de norvégien et d’allemand. Du coup, on va leur faire un peu de pub et on espère qu’ils nous en feront aussi.

Trollfest a l’apparence d’un gros jeu, avec une grosse boîte carrée, un plateau de jeu, des cartes et des pions nombreux et de divers types, plusieurs manières de marquer des points. Les règles en sont pourtant très simples, puisque celles de nos prototypes tenaient sur une simple feuille de papier A4. Le jeu étant resté en développement assez longtemps, et mes amis demandant souvent à jouer sur le prototype, Camille et moi avons sans cesse été tentés d’y ajouter de petits éléments thématiques qui nous semblaient rigolos. Pendant quelques temps, nous avons même essayé de personnaliser encore plus les musiciens, quelques uns d’entre-eux étant de vraies stars avec des nombreux fans, mais ayant, comme toutes les stars, des caprices – un chanteur elfe raciste refuse de jouer avec des nains, un orque ne se produit pas dans les villes elfes, un nain a peur des dragons et ne se déplace pas par voie aérienne, un autre a le mal de mer et ne monte pas sur les navires. Très amusants sur le papier, ces effets qui étaient surtout des restrictions, ralentissaient le jeu et étaient souvent oubliés, nous avons donc dû les abandonner. Aujourd’hui, surtout avec l’effet kickstarter, beaucoup d’auteurs de jeux sont tentés de toujours ajouter des éléments à leur création. Il ne faut pas se l’interdire, et dans TrollFest le jour de la marmotte est par exemple un ajout de dernière minute qui ajoute un peu de tension, mais je voudrais profiter de cet article pour donner ce conseil aux jeunes auteurs: méfiez-vous des petites règles qui ont l’air marrantes mais qui, finalement, apportent surtout de la complexité. Quand les joueurs oublient souvent une règle, cela signifie généralement qu’elle est inutile.

Au printemps 2021, j’ai été contacté, en même temps que d’autres auteurs connus come Tom Lehmann, Richard Launus ou Richard Garfield, par l’équipe de Trick or Treat Studios, un important fabricant américain de masques inquiétants, de costumes de Halloween et de bidules à collectionner désireux de se lancer dans le jeu de société. Je leur ai donc proposé les deux jeux de mon catalogue qui me semblaient thématiquement les plus proches de leurs univers, et ils ont, à ma grande surprise, décidé de publier les deux. Je pensais que l’autre, un petit jeu de cartes, sortirait d’abord mais c’est visiblement TrollFest qui les a le plus amusés. Il est vrai que, lors d’une discussion en ligne avec toute l’équipe, nous avons constaté que leurs goûts musicaux n’étaient pas très différents des nôtres, et qu’ils étaient responsables des costumes de quelques groupes de metal, et notamment des masques de Ghost

Leur illustrateur, David Hartman travaille aussi avec Rob Zombie, musicien metal et réalisateur de films d’horreur, pour lequel il a réalisé les clips de American Witch et Lords of Salem, et les illustrations de ses albums. David a visiblement pris beaucoup de plaisir à dessiner les nombreux musiciens de TrollFest, ce qu’il a d’ailleurs fait avec une vitesse impressionnante. Son style est sombre et sanglant, mais aussi léger et plein d’humour, et assez différent de ce à quoi nous sommes habitués dans le monde du jeu – mais je crois qu’on va le retrouver dans d’autres production de Trick or Treat Studios

Leur programme initial comprend, outre notre TrollFest, Blood Orders, un jeu de vampire relativement ambitieux de Nick Badagliacca (mais je ne vais pas lui faire trop de pub, moi aussi j’ai un jeu de vampires qui vient de sortir, Vendetta) et World-Z League, de David Gregg, un jeu de baston avec des élastiques et des zombies qui me fait très envie.

Je les ai vus sur scène, et c’était un peu décevant.

Ceux qui me connaissent seront peut-être un peu surpris de voir, dans TrollFest, un artifice thématique que j’avais jusqu’ici plutôt évité, celui de la rivalité entre peuples fantastiques – les américains parlent de races -, elfes, nains, orques, trolls et vampires. J’ai toujours été un peu gêné par le lien évident entre ces univers de fantaisie ludique et littéraire et la tendance, en particulier dans le monde anglophone, à essentialiser race et culture, tout en prétendant bien sûr faire le contraire, et j’en ai déjà discuté un peu sur ce blog. Je me méfie des identités, des traditions, des authenticités toujours reconstruites et souvent réactionnaires, et pense que nous avons tort de fétichiser des différences culturelles finalement assez superficielles. Si je les ai pourtant mis en scène dans ce jeu avec une certaine jubilation, c’est pour toute une série de raisons.

Camille (à gauche) et Croc (au centre) jouant à Trollfest à Etourvy.

Les nains, les elfes et les autres peuples de TrollFest ne sont pas là pour se foutre sur la gueule. La musique adoucissant les mœurs, ils cohabitent très pacifiquement, du moins tant qu’ils n’ont pas forcé sur l’hydromel. On peut certes gagner à TrollFest avec un groupe de musique traditionnelle naine, authentique et sans doute réac, voire avec du metal orc ou elfe un peu facho, mais aussi, comme d’ailleurs dans la scène musicale d’aujourd’hui, en montant un joyeux orchestre bordélique et multiculturel. 

J’apprécie beaucoup ceux qui mélangent tout et n’importe quoi en refusant de prendre les identités au sérieux, comme Gogol Bordello, The Cherry Coke$, Dakhabrakha, the Amsterdam Kletzmer Band, La caravane passeou le bien-nommé Kultur Shock, et c’est ce genre de musique, autant que du metal, que j’écoutais en travaillant sur TrollFest. C’est pour cela que, sur ma playlist Trollfest, j’ai mis des musiques d’un peu partout et pas juste du metal germano-nordique, dont le style correspond pourtant le mieux à nos univers fantastiques, ne serait-ce que parce qu’il puise aux mêmes sources.
La musique est aujourd’hui, avec la cuisine, l’un des rares domaines culturels où le mélange des genres joyeux et décomplexé semble encore l’emporter sur les tristes replis identitaires. J’espère bien que cela va durer et même rebondir sur d’autres domaines quand on aura réalisé que la véritable diversité se vit tous ensemble et non chacun dans son coin, que c’est non seulement plus rigolo mais aussi, au fond, plus honnête et plus respectueux. C’est peut-être aussi pour cela que je ne suis pas fan des jeux de Roll & Write.

Quoi qu’il en soit, les univers fantastiques sont sans doute plus une illustration qu’une cause de la lecture essentialiste des catégories sociales, à l’américaine, qui gagne aujourd’hui l’Europe. Il n’y a donc pas de risque à en faire usage, surtout lorsque c’est, comme dans TrollFest ou dans les romans de Terry Pratchett qui en sont une des inspirations, pour s’en moquer gentiment. 

Et puis, merde, ce n’est qu’un jeu. Dire ceci n’est pas une boutade, c’est un argument important dans une société qui semble prendre de plus en plus les univers virtuels, ludiques ou littéraires, plus au sérieux que le monde réel – ce qui est surtout un moyen de prétendre faire de la politique en évitant de s’attaquer aux vrais problèmes.

TrollFest
Un jeu de Camille Mathieu et Bruno Faidutti
Illustrations de David Hartman
3 tà 6 joueurs – 45 minutes
Publié par Trick or Treat Studios (2022)
Boardgamegeek
Playlist


Camille Mathieu is a good friend, and a regular at my Parisian game nights. We often attend concerts together, mostly but not obly metal, or at least we did when there were still concerts. Camille also works as a proofreader, specialized in fantasy literature. It is only logical that we ended up designing a boardgame together featuring rock bands composed of dwarves, orcs and elves. 

From the very beginning, I wanted to call our game TrollFest, while Camille thought of Elfest, a reference to the French metal festival Hellfest. Our first prototype was a pure card game. It worked really well, but the rock’n’roll theme didn’t really fit with the game system. Soon, the singers, drums or guitar players became athletes competing in dwarf tossing, knitting or snowball battle, and the first TrollFest became Trollympics. The game has found a publisher, but everything is a bit complex nowadays, we already missed the 2021 olympics, and I’m afraid it will only be published for the next ones. If Trollfest is a hit, it might speed things a bit.

Palytesting Trollfest in Etourvy. Camille is the girl with the raven tattoo.

The core of a band activity, or at least of how we imagine it, is not the choice of musicians but the tour. For our second try, we decided to do a big box game with a real board, a map of the fantasy world with cities, concert venues and roads.

Et partie de test chez moi, à Paris.

A game of TrollFest is made of three phases. At the beginning of the game, players draft action and musician cards and build an amateur band of at least four musicians, a singer, a drummer, a guitar and a bass guitar player. Every group then leaves its starting city for a big tour around the country, moving from town to town, holding concerts, sometimes recruiting additional or better musicians, sometimes even hiring dragons for the final light show. The main way to score points during the tour is to give concerts. The most successful ones are in the cities where the local crowd is most receptive to your musical style – basically, dwarves like dwarven music played by dwarven musicians, trolls like troll music played by trolls, etc. While playing elf pop in orc city halls makes little sense, multicultural big bands can have some success everywhere, especially if they also recruit a few exotic characters, like a siren or minotaur. Unexpected events such as disagreement between musicians, snow storm or yellow vests blocking the roads sometimes interfere with the band’s well planned tours. Nothing is more classy, of course, than to arrive on a dragon’s back to end one’s tour in one’s home city.

Then comes the big rock festival, the TrollFest, named after HellFest. All the bands play on the main stage, and the best performances score extra points for charisma, technical skill, energy and, paradoxically, both authenticity and diversity. By the way, there’s a fun Norwegian folk-metal band names TrollFest. They sing in trollspråk which is, not surprisingly, a mix of German and Norwegian. If this game is good press for them, may be they’ll reciprocate!

David made this exra drawing just for fun, let’s hope we’ll find some place for it in the rules.

With its big square box, lots of cards and various tokens, and several ways of scoring points, Trollfest might look like a big and intimidating game. It isn’t, it’s almost as straightforward as Ticket to Ride, and the rules of my prototype were written on a single sheet a paper. However, since the game was in development for quite a long time, and some of my friends really liked it and often asked to play it, Camille and I were often tempted to add a thematic elements which sounded like they could add some fun to it. For a while, some musician cards had special abilities or, mostly, restrictions. A few of them were big names with, like every star, bizarre whims. A racist elf singer didn’t want dwarves in the band. An orc didn’t want to play in elf cities. A dwarf was afraid of dragons and coul not travel by air, another one suffered from seatsickness. This sounded fun when writing it, but it slowed the game and, too often, the players forgot these effects so we had to abandon them. These last years, in part due to publishers asking for Kickstarter stretch-goals, many designers have been tempted to add layers and layers of rules and elements to their game, and many games feel interesting but overdevelopped. The late addition of stuff is not always a bad idea, and in Trollfest, for example, the Groundhog Day has been added in the very last weeks of testing and really adds some fun tension to the game. I would like, however, to give a small piece of advice to young designers – be careful when adding small rules which sound fun and thematic but often add unnecessary complexity. If players tend to forget a rule, it usually means it’s not necessary.

In the fall of 2021, I was contacted, together with other well known game designers such as Tom Lehmann, Richard Launius and Richard Garfield, by the people at Trick or Treat Studios, a major US producer and seller of Halloween masks, scary costumes and collectibles, who wanted to move into boardgaming. I showed them the two games in my catalog which seemed to fit best with their universe and, to my surprise, they decided to do both. I thought the other one, a small card game, would be published first but they were very excited by TrollFest, and its development went very fast. We had a long zoom session with the whole team and found that we had similar musical tastes, and that they were designing the costumes of a few metal bands, including the scary masks for Ghost.

Their graphic artist, David Hartman, also works with Rob Zombie, a metal musician and horror movie producer. He made the video clips for the movies Lords of Salem and American Witch, and the art for his albums. His style is of course dark and gore, but also light and full of humor, and he visibly had great fun drawing the musicians for TrollFest, which he did incredibly fast. It’s different from what we are used to in the boardgaming world, but I think we will see it also in other games by Trick or Treat Studios.

Among the Trick or Treat launch line are also Blood Orders, an ambitious vampire card game by Nick Badagliacca (but I won’t promote it too much since I also have a new Vampire game, Vendetta) and World-Z league, by David Gregg, a battle game with zombies and rubber bands which looks really fun and which I’m eager to play.   

Trollfest, le groupe.

Those who know me might be surprised to find in TrollFest a thematic trick I’ve always been extremely wary of, the rivalry between irreductibly different fantasy races – here elves, dwarves, orcs, trolls and vampires. The obvious relation between these literary or gamey fantasy worlds and the habit, mostly in the United States, to essentialize race and culture (while pretending to do the opposite) has always made me feel uncomfortable, and I’ve already discussed it a bit on this website. I’m wary of identities, of reactionary traditions, of reconstructed authenticities, and I think we are wrong in emphasizing and fetishizing cultural differences which are, in the end, extremely superficial. I nevertheless jumped in head first in fantasy races with this game, for several reasons. 

Ignacy Trzewiczek and friends playing the newly released Trollfest in Etourvy.

Dwarves, elves, trolls and other races in TrollFest are not here to fight. Music soothes the mood and they coexist very peacefully, at least as long as they don’t drink too much mead. One can win in TrollFest with a traditional dwarven music group, very authentic and backward-looking, or even with a vaguely fascistic elven or orc metal band, but also, like in today’s musical scene, with a merry and messy multicultural big band. Cultural mess is not cultural appropriation, because it’s going in every direction and not taking anything seriously.

I personally like bands who borrow everywhere, mix everything and refuse to consider culture a frozen thing, bands like Gogol Bordello, The Cherry Coke$, Dakhabrakha, the Amsterdam Kletzmer Band, La caravane passe or the well named Kultur Shock. When working on TrollFest, I was more listening to that kind of music than to metal. It’s also why my Trollfest Youtube Playlist has lots of strange fusion music from all over the world and not just german-scandinavian metal, even when the latter fits better with how we imagine a fantasy world which comes from the same sources.
Music is now, together with another passion of mine, cooking, one of the few cultural domains where diversity produces a joyful and uninhibited mix and not a sad retreat into segregated and fantasized identities. I hope it will stay so. It might even bounce back into politics, when everyone will realize that diversity is better all together than each in his corner (can you say this in English?), that it’s not only more fun but also, in the end, more honest and respectful. May be that’s also why I’m not that fond of roll & write game
s – games, like music, are better when played together.

Bruno Cathala playing Trollfest in Etourvy.

Anyway, medieval fantasy worlds are an image, and not a cause, of the essentialist understanding of social structure, a kind of analysis which first got popular in the US but is now becoming commonplace in European politics. Using fantasy races should therefore not be a problem, especially in humorous and obviously ironic settings, like inTrollFest or in Terry Pratchett novels, which have been one of the inspirations for this game.

And, fuck, it’s just a game. Saying this is not just a wisecrack, it’s an important argument when politics seem sometimes to take fantasy universes, be they literary or gamey, more seriously than the real world.

TrollFest
A game by Camille Mathieu and Bruno Faidutti
Art by David Hartman
3 to 6 players – 45 minutes
Published by Trick or Treat Studios (2022)
Boardgamegeek
Playlist

We forgot to put Zombies (and kobolds, and others) in Trollfest, but of course, there are zombie bands !