Les jeux de société et la langue anglaise.
Boardgames and the English language

(Oui, je sais, j’ai déjà écrit à ce sujet sur ce blog, il y a une dizaine d’années, j’avais oublié et ne m’en suis aperçu qu’après avoir rédigé ce nouvel article)

Lorsque, dans les années quatre-vingt, j’ai commencé à m’intéresser aux jeux de société, ceux-ci appartenaient à deux écoles bien distinctes, que nous avions baptisées simplement américaine et allemande. Les jeux américains, comme Dune, Britannia, Junta ou Cosmic Encounter, avaient de longues règles rédigées en anglais, et imprimées en tout petits caractères. Les jeux allemands, comme Scotland Yard ou Le Lièvre et la Tortue, et plus tard Les Colons de Catan, nous parvenaient avec des règles plus courtes et aérées mais rédigées en allemand, et ce même lorsque leurs auteurs, comme David Parlett ou Alex Randolph, étaient anglo-saxons. Comme nombre de mes amis joueurs, j’avais d’abord étudié l’allemand au lycée, choix apparemment absurde qui était en fait une espèce de code secret de la bourgeoise française permettant de regrouper ses enfants dans les mêmes classes des lycées publics. Nous nous sentions pourtant déjà bien plus à l’aise avec les règles plus complexes et plus longues des jeux américains.

Lire des règles en anglais

Aujourd’hui, alors que le marché a explosé et que la quasi-totalité des jeux sont disponibles en français, je préfère encore, lorsque cela ne me coûte pas beaucoup plus cher, me procurer des éditions anglaise ou américaine. Je regrette beaucoup que cela soit devenu plus difficile, Philibert ayant, entre autres, largement cessé de vendre les versions en anglais des jeux disponibles en français.

Le texte anglais est généralement le texte d’origine, celui sur lequel auteur et éditeur ont travaillé – et pas seulement lorsque auteur et éditeur sont anglais ou américains. Ce livret de règles est donc plus soigné, plus précis, relu et testé avec soin, ce qui est rarement le cas des traductions. La version française, le plus souvent traduite de l’anglais, peut contenir des imprécisions, des ambiguïtés, des lourdeurs, voire des erreurs de traduction. Il y a encore une dizaine d’années, les règles françaises étaient souvent truffées d’erreurs et, même dans le cas où elles n’étaient pas traduites, de fautes de grammaire rendant la lecture difficile et souvent le sens ambigu. Il y a eu de nets progrès ces dernières années, les éditeurs font de plus en plus appel à des traducteurs, rédacteurs et même relecteurs compétents, mais je n’en continue pas moins à préférer lire les règles dans ce qui me semble être leur langue naturelle, l’anglais.

Écrire des règles en anglais

Parmi les conseils aux jeunes auteurs que je donne assez régulièrement, celui qui surprend parfois le plus mais pour lequel on m’a ensuite souvent remercié est de rédiger, dès la toute première version du jeu, cartes et règles, en anglais. C’est ce que je fais depuis une trentaine d’années, et cela n’empêche absolument pas d’utiliser le français lorsque l’on explique ces mêmes règles à ses amis joueurs.

Une langue plus adaptée

Je ne crois pas à la théorie bizarre qui voudrait que chacun pense dans sa langue, et que ceux qui pratiquent une langue différente pensent différemment. Cela me semble être au mieux de la pensée magique, au pire un dernier avatar du « racisme scientifique » (ces gens-là ne pensent pas comme nous, ils ne sont donc pas comme nous). Il n’en reste pas moins que si le langage n’influe guère sur la pensée qui le précède, il permet et contraint à la fois la communication qui la suit. On peut tout dire dans toutes les langues, mais certaines sont mieux adaptées à certains usages. C’est ce que Voltaire appelait « le génie de la langue », et c’est pour cette raison que son pote Frédéric II parlait « en espagnol à Dieu, en français aux hommes, en italien aux femmes et en allemand à son cheval ».

L’anglais est plus adapté, mieux équipé que le français pour la rédaction de textes techniques et directifs comme une règle de jeu. Tous ceux qui ont essayé de lire en français le mode d’emploi d’un appareil électro-ménager ou d’un logiciel savent que c’est une tâche difficile, là où le texte anglais est généralement limpide. À en croire les auteurs de jeux italiens avec qui j’ai abordé cette question, leur langue serait encore pire que le français. Mes rudiments de latin, polonais, japonais et allemand ne me permettent pas de me prononcer avec certitude, mais j’ai le sentiment que, à l’exception peut-être de la dernière, ces langues ne sont pas très adaptées non plus.

Pour rester simple

Une autre raison, qui ne contredit pas la précédente, est que rédiger en anglais, langue que je maîtrise à peu près mais bien moins que le français, m’aide à écrire des règles simples, directes, sans fioritures inutiles. C’était déjà utile il y a une vingtaine d’années, cela l’est plus encore aujourd’hui, sur un marché passablement encombré, et alors que la qualité de conception et de rédaction des règles a progressé. Un jeu trop complexe, ou dont les règles sont présentées de manière trop alambiquée, a bien peu de chances de trouver un éditeur, et moins encore de rencontrer le succès. En travaillant en anglais, les auteurs non anglophones comme moi se forcent à aller droit au but, avec des règles claires, directes, complètes mais aussi brèves que possible.

Pour tout le monde

Ils se donnent aussi plus de chances de rencontrer des éditeurs. La principale raison pour écrire les règles en anglais est en effet de pouvoir ensuite présenter facilement son jeu aux éditeurs du monde entier, français compris. Le petit monde de l’édition ludique est en effet très international, bien plus que celui de l’édition littéraire. Il y a certes encore quelques petites différences régionales, plus d’ailleurs dans le graphisme et la présentation des jeux que dans leur nature, mais l’éditeur princeps d’un jeu imaginé par un auteur français, brésilien ou japonais peut très bien être américain, coréen ou polonais, et inversement. Tous ces gens-là discutent, et le plus souvent travaillent, en anglais. Même un éditeur français préfèrera le plus souvent un prototype en anglais, parce que, comme je l’ai expliqué plus haut, les règles en seront plus claires, mais aussi parce que cela lui permettra de présenter facilement le jeu à des étrangers intéressés par une licence ou un contrat de distribution.

Contre-argument

Paradoxalement, la seule raison pour écrire des règles de jeu en français, ou dans votre langue maternelle, quelle qu’elle soit, est que vous devrez finalement, au moment de présenter le jeu à des éditeurs, le traduire en anglais. La traduction est en effet très souvent l’occasion de repérer les petits oublis dans les règles, les passages inutiles ou redondants, voire même, cela m’arrive encore un peu trop souvent, les résidus d’anciennes versions.

(Je reprends à peu près la conclusion d’un autre article de ce site, écrit il y a une dizaine d’années, car je n’ai pas grand-chose à y ajouter ou à en retirer)

Il existe en France un lobby (devrais-je dire groupe de pression ?) autoproclamé, paranoïaque et influent de « défenseurs de la langue française » qui voient dans tout usage de la langue anglaise par un français un acte de trahison. Leur conception de la culture comme un jeu à somme nulle où ce qui est gagné par les uns serait perdu par les autres est, au regard de l’histoire, d’une grande naïveté. L’anglais est aujourd’hui devenu un vecteur culturel, un outil qui, en facilitant les contacts entre les hommes, les textes, les cultures, ne peut que les enrichir tous. Il remplit en ce sens la même fonction que le latin à la Renaissance, et la remplit sans doute mieux encore puisque son usage ne se limite plus aujourd’hui aux milieux lettrés. On peut trouver ironique que l’anglais soit aujourd’hui la seule lingua franca, mais il vaut mieux se réjouir qu’il y en ait une, et en faire le meilleur usage, que perdre son temps en vains regrets et son énergie en excommunications et combats d’arrière-garde.



(Yes, I know, I have already written a blogpost on this topic, a dozen years ago. I had forgotten about it and only found out after having nearly finished this new one. I’m fascinated by languages and language theory, which explained why I often come back to it.)

When, in the eighties, I started getting interested in modern boardgames, the ones I had access to belonged to two different design schools, which me and my friends called American and German. American school games such as Dune, Britannia, Junta or Cosmic Encounter had relatively long rules written in English, and in a very small font. German games such as Scotland Yard or Hare and Tortoise, and soon Settlers of Catan, had shorter rules with a more airy layout, but the editions we had access to were written in German, even when their designers, like David Parlett or Alex Randolph, were English speaking. Like many of my friends, I had first studied German in school, a seemingly absurd choice which was in fact a kind of secret code used by the French upper class to put all their kids in the same classes of state schools. Despite this, we were all much more at ease with the longer and more complex rules of American games.

Reading rules in English

Even now, when the marker has skyrocketed and most games are available in French, I prefer, when it’s not much more expensive, to get English language versions of new games. It is unfortunately becoming more and more difficult, especially since Philibert has nearly stopped selling English language versions of games they also have in French.

The English text of the rules is usually the one on which designer and publisher have worked, and not only when they are both American or English. The English language rulebook is therefore more carefully written, more precise, proofread and playtested many times, which is rarely the case with translations. The French version, usually translated from the English one, can have ambiguities, heavy wordings, even mistranslations. Ten years ago, French rules, even when they were not translated, used to be full of grammar errors, making them painful to read and often ambiguous. There has been much progress these last ten years, French publishers having gotten used to rely on professional translators, redactors and even proofreaders, but I nevertheless still prefer to read rules in what feels to me like their natural language, English.  

Writing rules in English

One of the advice I regularly give to wannabe (non English speaking) game designers is to write every element of their prototype, be it rules or cards, in English, and to do this from the start, from the first iteration of the prototype. It is also the advice for which I have been thanked the most often. That’s what I do for thirty years now, and it doesn’t prevent anyone to use their native language when explaining the game to their playtester friends. 

A better fitting language

I don’t believe in the strange trendy theory according to which everyone thinks in their native language and people using different languages therefore think differently. It seems to me to be at best magical thinking, at worst the last avatar of “scientific racism” – these people don’t think like us, so they cannot be like us. Nevertheless, while language barely affects thought, because thought largely precedes it, it both allows and constrains the communication of thought. We can say more or less everything in every language, but some languages are better fitted to certain uses. Voltaire used to call this the “genius of language”, and it is why his buddy the King of Prussia Friedrich II said that “I speak in Spanish to God, in French to men, in Italian to women and in German to my horse”.

English is better fitted to the writing of technical and prescriptive texts, such as game rules. Anyone who has tried to decipher the French version of some household appliance or computer software instructions knows that it is nearly impossible, when the English version is usually crystal clear. I’ve discussed this with Italian game designers who maintain that their language is even worse than French. My very basic knowledge of Latin, Polish, Japanese and German doesn’t allow me to say it with certainty, but I have the feeling that, with the possible exception of the last one, these languages ​​are not very suitable either.

Keeping it simple

Another reason, which does not contradict the former one, is that using English, a language I don’t master as well as French, helps me to write simple, direct, straight to the point rules. This was already useful twenty years ago, it is even more now. The market is becoming overcrowded, the average quality both of the games themselves and of their rules has vastly increased. A game whose rules feel too convoluted, no matter whether they are indeed complex or just badly written, is unlikely to find a publisher, and even more unlikely to be a hit. For non-native speakers like me, English can help to write clear, direct, simple and short rules.

A language for everyone

Most of all, English rules helps when contacting publishers. The main reason for using English is that it makes possible to show one’s game to publishers from any country, France and other exotic markets included. The small game publishing world is largely, if not globalized, at least internationalized, far more than the book publishing one. There are still minor local differences, more in the art and packaging than in the games themselves, but the princeps publisher of a game designed by a French, Brazilian or Japanese designer can be American, Korean or Polish, and vice versa. All these people talk with each other, and often work, in English. Even a French publisher is more likely to consider an English language prototype, because its rules will be clearer, as I explained above, but also because it makes easier to show the game to foreigners who might be interested in localizing or distributing it.

Counter-argument

Paradoxically, the only good reason to start with rules in French, or un your own language, is that, in the end, you will have to translate everything in English in order to show it to publishers. Translating a text is a very efficient way to check small omissions and redundancies in the rules, or even, it stil occasionally happens to me, small residues from older versions which should have been deleted.

(This conclusion is almost copy-pasted from the one I wrote ten years ago, because unfortunately I have little to add or remove to it. )

We have in France a self-proclaimed, paranoid and influential lobby of “champions of the French language” who regard every use of the English language by a French as an act of treason. They naively consider culture to be always a zero-sum game, where what is won by some is necessarily lost by others. English is now a cultural tool that helps contacts between people, between texts, between cultures, and it’s an all-win game. English works a bit like Latin during the Renaissance, and works even better because its use is not limited to well-read scholars. Of course, there’s something ironic in English being the only lingua franca, but we ought to rejoice that there’s one, and make the best use of it, rather than waste time in vain regrets and energy in excommunications and rearguard actions.

Des formations en création de jeux de société ?
Boardgame design training ?

Depuis bien longtemps, il m’arrive, lors de rencontres d’auteurs de jeux, d’intervenir pour partager mon expérience et donner quelques conseils aux débutants. J’ai aussi, à l’occasion, été invité dans des écoles de jeu video, qui considèrent généralement, et à raison, le jeu de société comme un proche voisin qu’il est bon de connaître. Je réponds toujours avec d’autant plus de plaisir à ces invitations que j’aime parler en public et pense être assez pédagogue.

Comme dans bien des domaines, des “stages de découverte” sur quelques jours, à destination de tous ceux, généralement des adultes, tentés par la création ludique existent depuis longtemps. Si quelques-uns peuvent-être des arnaques, la plupart sont utiles. Ils détruisent parfois quelques illusions mais permettent surtout d’apprendre quelques astuces, quelques méthodes, et de découvrir les contraintes de l’édition et du marché du jeu. Ils sont donc une excellente chose.

L’un des premiers conseils que je donne aux aspirants auteur de jeu est de trouver d’abord un autre boulot, et de le conserver. J’ai donc été assez surpris, et d’abord un peu sceptique, en découvrant qu’il existait désormais des formations spécifiques, parfois sur plusieurs années, à l’université et dans des écoles privées, pour devenir auteur de jeux de société.

Mon scepticisme venait d’abord, bien sûr, de mon expérience personnelle. De telles formations n’existaient pas dans ma jeunesse, et si elles avaient existé, il ne me serait sans doute pas venu à l’idée de les suivre. Comme tous les auteurs de jeux que je connais, et pas seulement ceux de ma génération, j’ai appris le métier sur le tas, en commençant par bricoler à partir de mes jeux préférés. Lorsque l’on me demande comment on devient auteur de jeu, je répons d’ailleurs le plus souvent “en jouant”.

On m’objectera bien sûr que ce qui ne m’aurait pas tenté et ne m’a pas été nécessaire pourrait être aujourd’hui utile à d’autres. Les choses ont changé. Le marché du jeu de société a explosé, la qualité des jeux publiés a également augmenté. L’édition, la distribution, la fabrication, l’illustration, la critique et bien sûr la création, toute la filière s’est professionnalisée. Cette évolution, que j’ai vécue avec une certaine réticence puisque j’ai attendu ma retraite de l’éducation nationale pour faire de la création ludique mon activité principale, peut justifier que l’on ne devienne plus toujours auteur de jeux comme c’était le cas il y a quarante, ou même il y a seulement vingt ans. Cette professionnalisation de notre activité rendrait plus difficile l’apprentissage sur le tas et justifierait donc l’apparition d’une sorte de “formation professionnelle”.

L’autre raison de mon scepticisme initial est la nature relativement peu technique de la création ludique. S’il existe des conservatoires de musique et de danse, des structures comme les Beaux-Arts pour les arts plastiques, des écoles de cinéma, d’animation, ou de jeux videos, c’est parce que ces activités complexes ont un contenu technique très important. On peut heureusement encore devenir musicien ou cinéaste sans être passé par des formations dédiées, mais c’est rare parce que difficile dans des domaines où la technicité continue à augmenter.

Le jeu de société, par comparaison, me semble assez peu technique, plus proche de l’écriture littéraire, de la cuisine ou du bricolage, mais c’est peut-être une illusion due au fait que j’ai moi-même assimilé très progressivement, et sans en être bien conscient, ces aspects techniques. J’imagine assez facilement le contenu, en termes d’entrainement et de connaissances, d’une formation de quelques années dans la musique ou le jeu video, cela me semble moins pertinent pour le jeu de société, et peut même faire craindre une sorte de “formatage” nuisant à la créativité et à l’originalité.

En littérature, et c’est sans doute la comparaison la plus pertinente, des universités, surtout américaines, proposent depuis longtemps des cursus presque entièrement consacrés à la ”creative writing”. C’est plus rare en Europe, où cela se limite à quelques cours dans des filières littéraires plus générales.
J’ai donc mené une petite enquête sur Internet, et ai , et ai découvert que les cours d’écriture créative n’étaient pas le caca de taureau que j’imaginais. De nombreux auteurs américains, et parmi eux l’un de mes préférés, Raymond Carver, ont suivi ce type d’enseignement. Un ami américain m’a par ailleurs fait remarquer qu’ils étaient sans doute plus nombreux encore, beaucoup évitant de mettre en avant une formation qui, dans le petit monde littéraire anglo-saxon, pouvait être un peu stigmatisante. J’imagine ce qu’il en est en Europe !

Bref, forcé de reconnaître, même si je la regrette un peu, la professionnalisation du milieu ludique, et surpris d’apprendre que ce type d’enseignement était assez efficace en littérature, je pense maintenant qu’une formation à la création de jeux de société, mise en place par des gens informés et compétents, peut être une bonne idée. Je n’en continuerai pas moins à donner aux aspirants auteurs de jeux le conseil que l’on donne aux aspirants écrivains – trouvez d’abord un vrai métier !



For years, at game fairs or game designers meetings, I hold public talks to share my experience as a game designer and give some advice to newcomers. I have also, on occasion, given lectures in video-game schools, which usually and rightly consider that boardgame design is a neighboring activity worth knowing. I always have fun doing it, because I like speaking in public and I think I’m a good teacher.

Like in many other domains, there are short discovery training courses, usually over one or two days, for adults interested in boardgames design. A few of them might be scams, but most offer an opportunity to get rid of some illusions, learn a few tricks and technics, and discover the realities of the boardgame market. I’ve always thought this was a good idea.

One of the first advice I give to young game designers is to first find another job, a true job, and to keep it. I was therefore a bit surprised, and at first a bit skeptical, when I found out that there are now specific training cursus, sometimes over a few years, both in public universities and in private-owned schools, aimed at aspiring boardgames designers.

The first reason for my initial wariness was my personal history and experience. There were no such schools when I was young, and even if there were, I would certainly not have been tempted to attend them. Like all the boardgames designers I know, even younger ones, I learned the job as I went along, starting with toying with my favorite games. When asked how one can become a boardgames designer, I usually answer “with playing games”.

Of course, what didn’t exist and would not have tempted me can today be useful to others. Times have changed. The boardgames market has exploded, has become a real industry, and the quality of the games published has vastly increased. Publishing, distribution, printing, illustration, reviewing and, of course, boardgames design have been professionalized. I was a bit wary of this evolution, which explains why I have waited until I retire from my day job as a teacher, last year, to become a full time boardgames designer, but I cannot deny it. It explains why there are now more ways for becoming a boardgames designer than there were forty or even twenty years ago. And if our activity has been professionalized, technicised, learning on the go becomes more difficult and there is now room for professional training.

Another reason for my initial skepticism is the low level of technicality of boardgames design. There are music, drama, movies, graphic arts, animation and even video-games schools because these activities have a high level of specific technicality. One can still become a professional musician or movie director without having been through a specific training, but it has become are in domains whose technical nature has regularly increased.

In comparison, boardgame design feels to me more freeform, more akin to literary writing or cooking, but this feeling might be due to the fact that I learned the technicalities on the go, without being really conscious of it. Anyway, while I can imagine, both in terms of training and theory, the content of a two or three years training in music or video games, it feels to me less relevant for boardgames. One can even fear a kind of formatting, dangerous in a domain where originality is critical.

The most relevant comparison is probably with literature. For vert long, US universities offer cursus focused on “creative writing”. This is not that usual in Europe, where such courses are usually a small part of a more general literary cursus.
I made a small internet enquiry and, to my astonishment, found out that creative writing courses were not the bullshit I was imagining, and that several great American writers, including one of my favorite short stories writer, Raymond Carver, went through a creative writing training. An American friend also pointed out to me that there were probably even more, many writers avoiding highlighting a training which, in the small Anglo-Saxon literary world, could be a little stigmatizing.. You can imagine what it could be in Europe!

Anyway, even when I regret it a bit, I must acknowledge the professionnalisation of the little boardgaming world. Having learned, to my surprise, that such a training could be efficient in literature, I now see no reason to dismiss it for boardgames, providing it is done by informed and competent people. I will nevertheless keep on advising wannabe game designer, like wannabe novelists, to first find and keep a day job.

Retour sur la planète rouge
Back to the Red Planet

Mission Planète Rouge revient en 2025, dans une nouvelle édition illustrée par Derek Stenning. L’esthétique Steampunk des deux premières versions chez Asmodée laisse place, chez Matagot, à un univers de science-fiction plus classique mais plain d’humour, le robot pieuvre extracteur représenté sur la couverture semblant sortir des ateliers d’Apple ou de Tesla. Cela m’a fait un peu bizarre de voir le fond mauve et le titre bleu, et mais le sol martien est bien rouge, donc ça va.

Les mécanismes, mêlant choix de personnages à la Citadelles, objectifs plus ou moins secrets et jeu de majorité un peu méchant, ont peu changé. Bruno voulait rendre le jeu un peu plus calculable, je le préférais plus interactif, et nous avons donc imaginé un plateau modulaire permettant plusieurs configurations, certaines plus sages, d’autres moins prévisibles. Pour le reste, à part deux ou trois idées de nouvelles cartes, nous n’avons touché à rien, ça marchait très bien comme ça.

À bientôt sur la planète rouge.

Mission: Red Planet
Un jeu de Bruno Cathala & Bruno Faidutti
Illustré par Derek Stenning
2 à 6 joueurs – 60 minutes
Publié par Matagot
Boardgamegeek



Mission Red Planet will be bnack in 2025, in a new edition with art by veteran video game artist Derek Stenning. The Steampunk universe of the earlier Asmodee versions has been replaced by a humorous and more classical science-fiction style. The octopus extractor robot on the cover looks straight out of the Apple or Tesla design studios. I was a bit surprised by the purple background and the blue title, but Mars rocks are red, so it’s OK.

The game systems, involving a Citadels-like character selection, more or less secret goal cards, and a relatively mean majority system, didn’t change much. Bruno wanted the game to become slightly more tactical and predictable, I wanted it wilder and interactive, so the only major addition is a modular board which allows for different configurations, some safer, other ones more dangerous. We also incorporated two or three new card ideas, but that’s all. The game already worked very well, no need to tinker with it.

See you soon on the Red Planet.

Mission: Red Planet
A game by Bruno Cathala & Bruno Faidutti
Art by Derek Stenning
2 to 6 players – 60 minutes
Published by Matagot
Boardgamegeek

Un week-end ludique à Taipei
A gaming week-end in Taipei

De retour du petit et très sympathique salon du jeu de Taipei, le Taiwan Original Boardgame Expo, je vais avoir un peu de temps pour rédiger dans l’avion un petit compte rendu. Les tensions internationales ont en effet un peu allongé les voyages vers et depuis l’Asie, et j’ai bêtement laissé mes pilules magiques pour dormir dans ma valise en soute.

Je n’étais jamais allé à Taiwan, mais n’ai été qu’à demi dépaysé. Je m’y suis en effet senti un peu dans le même univers qu’en Corée ou au Japon. Bien que la période, en pleine saison de pluies, se prête assez peu au tourisme, j’ai quand même pris un peu de temps pour me promener, sous des trombes d’eau et dans une chaleur étouffante, dans une ville pleine de vie, où se côtoient dans un certain désordre les styles et les époques.

J’ai aussi pu vérifier que l’on mangeait très bien à Taiwan, ce dont je me doutais un peu puisque c’est avec une prof taiwanaise que j’avais, il y a une dizaine d’années, pris quelques cours de cuisine chinoise. Je n’irai cependant pas aussi loin que mes amis japonais qui assurent que c’est le seul endroit où l’on mange mieux qu’au Japon.

Le salon, organisé par une petite équipe locale de passionnés, ressemble un peu à ce qu’étaient il y a encore quelques année les game markets japonais – je ne suis jamais allé à celui de Tokyo mais ai participé deux fois à celui d’Osaka – avant leur succès international. Différence importante cependant, alors que les participants aux salons japonais, ou au moins de celui d’Osaka, étaient pour la très grande majorité d’entre eux japonais, ou parfois coréens, ceux du salon de Taipei viennent de toute l’Asie orientale.

Il y avait là des éditeurs et des auteurs de Taiwan, mais, au moins aussi nombreux, d’autres venus de Singapour, de Hong Kong, du Vietnam, de Thaïlande, de Malaisie, et j’en oublie sans doute. Il y avait bien sûr aussi beaucoup d’exposants japonais que, pour nombre d’entre eux, je connaissais déjà un peu. Tout ce petit monde m’a semblé partager plus de complicité que ce n’est le cas en Europe, peut-être parce que les marchés asiatiques, à l’exception de la Corée et du Japon, restent modestes. Le TOBE m’a semblé un peu un salon panasiatique, impression encore renforcée par l’absence presque totale des éditeurs ou auteurs européens et américains.

Cela faisait un peu de moi la vedette, et les stands sur lesquels on m’a offert un jeu lorsque je passais ont été assez nombreux. Comme, chaque fois que cela se produisait, je me sentais alors obligé d’en acheter un autre, je rentre avec une grosse valise de petites boîtes, dont je ne suis pas tout à fait certain qu’elles contiennent toutes des règles en anglais. Des petites boites parce que n’ayant qu’une valise, j’ai évité de m’encombrer de grosses, mais aussi parce que les éditeurs asiatiques privilégient clairement les jeux relativement simples et rapides présentés dans un petit format – le minimalisme n’est pas seulement japonais.

Les grosses boites de jeux encombrées de cubes en bois et de figurines ne sont visiblement ici qu’un marché de niche, et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Il m’a semblé aussi que les jeux des auteurs locaux étaient plus interactifs, avec une bonne dose de bluff et d’agressivité, qui se sont fait plutôt rares chez nous ces dernières années. Côté thème, pas trop d’arbres et d’animaux sauvages, c’est plutôt le commerce, la mythologie, et plus étonnament, la cuisine qui semblent à la mode.
J’avais bien sûr apporté mes prototypes, et il n’est pas impossible que l’un ou l’autre d’entre eux se retrouve bientôt, comme cela a déjà été le cas pour Venture Angels après mon passage en Corée, et pour Whale to Look au Japon, publié d’abord en Asie.

Un grand merci à tous ceux qui m’ont aidé à organiser ce chouette séjour dans un pays dont on parle pas assez – Yoyo et Wen-Chi Lee de Swan Panasia, Smoox, le chef d’orchestre du salon, et Anthony Pérone, auteur et développeur de jeu talentueux. Et maintenant, il faut que je prépare Essen….



Back from the small and nice Taipei boardgame fair, the Taiwan Original Boardgame Expo, I will have some time in the plane to write a short report. International tensions have indeed made travels to and from Asia a bit longer, and I stupidly left in my suitcase the magic pills I usually take to sleep a few extra hours.   

I had never before been to Taiwan, but was not really disorientated. It felt to me a bit like Korea and Japan. The raining season is not the best time for tourism, but I nevertheless took some time to walk through this lively city, where styles and times seem to collide everywhere in a complete disorder, under torrents of rain and in a suffocating warmth.

Having taken, ten years ago, a few Chinese cooking lectures with a Taiwanese teacher, I suspected that the local food was great, and it indeed was, though I won’t go as far as some of my Japanese friends who tell that it’s the only place where food tastes better than in Japan.

The game fair is organized by a small team of dedicated gamers and feels a bit like the Japanese game markets a few years ago, before they became a world boardgaming sensation – I’ve never been to the Tokyo game market, but I’ve twice attended the Osaka one. There is a big difference, though. While most of the attendees at the Japanese game markets, or at least at the Osaka one, were Japanese and sometimes Korean, there were in Taiwan publishers and designers from all East Asia.

There were exhibitors from Taiwan but there were more from Singapore, Hong Kong, Vietnam, Thailand, Malaysia or some other ones I forget or missed. There were of course also many Japanese, many of which I already more or less knew. All this little world seemed to be more casually friendly than their European counterparts, may be because the East-Asian markets are still, except for Japan and Korea, relatively marginal. The TOBE felt a bit like a Panasian game fair, where American and European designers and publishers were almost totally absent.

This made me a kind of local star, and many publishers gave me a game when I happened to pass by their booth. Since I usually felt bound to buy them another one afterwards, I’m coming back with a big luggage full of small game boxes, several of which might not even have English rules. Small boxes only because I have only one luggage and limited space, but also because East-Asian publishers seem to favor relatively fast and simple games in a small format – minimalism is not just a Japanese thing.

Big boxes filled to the rim with giant miniatures or wooden cubes seem to be only a very niche market here, and I won’t complain about it. As for settings, there were no games about planting trees and saving wild animals like we have here. The most popular settings seem to be trade, mythology and, more original, cooking. This is also very good.
I had brought several prototypes, also small boxes, and it is therefore not impossible that, like it happened with Venture Angels after a Korean trip, and more recently with Whale to Look in Japan, one or the other will again be first published in Asia.

Many thanks to all those who helped me organize this nice trip – Yoyo and Wen-Chi Lee from Swan Panasia, Smoox, the big organizer of the fair, and Anthony Perone, a talented game designer and developer. And now, let’s put things in order for Essen.

6 Suspects

Les « microgames », des jeux au matériel minimalistes, une vingtaine de cartes, parfois deux ou trois pions, vendus à un prix lui aussi très modeste, sont depuis assez longtemps à la mode au Japon, où le plus connu est sans doute Love Letter, de Seiji Kanai. S’ils existent depuis longtemps aussi en Europe en aux Etats-Unis, avec par exemple dans les années 1990 de petites perles comme Pico ou Flinke-Pinke, ils n’avaient pas jusqu’ici rencontré le même succès. Ils semblent depuis deux ou trois ans devenir à la mode, peut-être en réaction contre les kickstarters surproduits, surchargés de plastique et de règles. Le format initié par Button Shy, 18 cartes dans une pochette de carte bleue, s’avère particulièrement efficace. 18 cartes, c’est un tiers de 54, ce qui permet d’imprimer trois exemplaires du jeu sur une planche de jeu de cartes classique. Une pochette de carte bleue, c’est assez classe, on dirait vaguement du cuir. Cela donne des jeux à l’a présentation élégante qui peuvent pourtant être vendus pour un prix très modeste, moins de 10$ ou €.

Du coup, j’ai acheté toute la série des jeux Button Shy, avant de me rendre compte qu’un tiers d’entre eux étaient des jeux solo, auxquels je ne jouerai jamais parce que, seul, je préfère toujours prendre un livre. Heureusement, d’autres, notamment parmi les jeux à deux joueurs, sont excellents. J’ai notamment apprécié Avignon, Les Bons Contes ou Hiérarchie, mais il en reste de très nombreux auxquels je n’ai pas encore joué. D’autres éditeurs se lancent aussi dans ce format, à commencer par mes amis de Matagot, qui distribuent déjà en France les jeux de Button Shy. Ils ont débuté l’an dernier avec Western Legends Showdown, un jeu à deux dont Bruno Cathala dit beaucoup de bien, il va falloir que j’y joue. Ils publient aujourd’hui 6 Suspects.

je me suis donc lancé le défi de réaliser moi aussi quelques petits jeux dans ce format 18 cartes Sur les quatre que j’ai imaginé jusqu’ici, deux ont trouvé un éditeur mais ont vu leur nombre de cartes augmenter un peu pour être jouable à 3 ou 4 et non seulement à 2 comme mes premières versions. Ce sont Migo et Cocktails de fruits, tous les deux publiés par Ghost Dog. Un tel bricolage n’était pas nécessaire pour 6 Suspects, l’un des rares jeux de 18 cartes pouvant être joué sans changement de règle de 2 à 8 joueurs.

6 Suspects est un jeu d’observation, de déduction logique et de mémoire. Les cartes représentant les six suspects éponymes, Albert, Brigitte, Charles, Denise, Eric et Francine (l’action doit se passer en France dans les années 60 ou 70), sont alignées sur la table. Sous chacune d’entre elles sont placées deux cartes indice, faces cachées. Le suspect dont les deux cartes indice ont la valeur totale la plus élevée est le coupable, mais une bonne partie des cartes ont des effets spéciaux, se recopiant, s’annulant ou déplaçant d’autres cartes. Chacun à son tour regarde l’une des douze cartes indice, puis la remet en place. Lorsqu’un joueur pense connaître le coupable, les autres regardent encore une carte et, simultanément, tous les joueurs désignent l’un des suspects. On révèle alors tous les indices et, après quelques calculs, on voit qui avait raison.

Eric est coupable.

Si les règles sont simplissimes, le processus de déduction est parfois un peu tarabiscoté, et c’est là que réside l’intérêt d’un jeu qui encourage à la prise de risque. Pour devancer ses adversaires, il faut souvent déclencher la fin de partie avant d’être sûr de son fait, et du coup, il peut arriver que l’on se trompe.

Les illustrations décalées de Gjermund Bohne situent l’action dans le même univers qu’un gros jeu paru il y a deux ou trois ans chez Matagot, Bad Company, auquel il va aussi falloir que je joue un de ces jours.

6 Suspects
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Gjermund Bohne
2 à 8 joueurs – 10 minutes
Publié par Matagot
Boardgamegeek



Microgames, games with a minimalistic content, usually more or less twenty cards and sometimes two or three tokens, are relatively common in Japan, the best known being Seiji Kanai’s Love Letter. There has also been such cheap light games in Europe and in the US for a while, for example forgotten gems like Pico or Flinke Pinke in the nineties, but they didn’t have the same success so far. These last years, though, they are becoming more popular, may be as a reaction against overproduced kickstarters, overcharged with rules and plastic. The format introduced by Button Shy games, 18 cards in a credit card sleeve, seems to be especially efficient and successful. 18 cards is one third of 54, which means it’s possible to print three copies of a game on a standard 54 cards plate. Credit card sleeves also look vaguely like leather. This makes for elegant looking and cheap to produce games, usually sold for less than 10 $ or €.

As a result, I bought the whole Button Shy line, before noticing than a third of them are solo games which I will probably never play – when I’m alone, I find a book more challenging and entertaining than a game. Luckily, there are a few gems among the other ones, mostly two player games such as Wonder Tales, Avignon or Hierarchy, and there are still many I have not tried yet. Other publishers are starting to follow and publish games in this format, among them my friends at Matagot, who are already distributing Button Shy in France. They started with a two player game, Western Legends Showdown, which Bruno Cathala highly recommended to me but which I’ve not found an opportunity to play yet. They are now publishing my 6 Suspects.

Two years ago, I decided to give at designing games in this very specific format. I’ve designed four so far, but two have seen the number of cards increase so that they can accommodate more than two players. These are Migo and Fruit Cocktails, both published by a young French company, Ghost Dog. This was not necessary for 6 Suspects, which can be played from 2 to 8 players with the same 18 cards.

6 Suspects is an observation, deduction and memory whodunnit game. The six eponymous suspect cards, Albert, Brigitte, Charles, Denise and Francine (looks like it happened in France in the sixties) are placed in a row on the table. Under each suspect cards are dealt two face down clue cards. The suspect whose two clue cards have the highest total value is the culprit, but half of the cards have special effects, such as copying, cancelling or swapping other cards. Each player on turn secretly looks at a card and places it back face down. Once a player thinks they know the culprit, all other players can look at one more card and, simultaneously, every player designates the character they think did it. All clue cards are then revealed to determine the culprit.

This one is really tricky, but Brigitte and Denise did it together.

While the rules are extremely simple, the deduction process can be a bit convoluted due to the many special effect cards. This brings into the game some logical thinking, but also some risk taking. Even when you are not sure who did it, ending the game can be a good move if you think you have better odds than your rivals at finding the criminal. Of course, it doesn’t always work….

The six suspects were drawn by Gjermund Bohne, in the same style and universe as those of another Matagot game, Bad Company, which I also have to play one of these days.

6 Suspects
A game by Bruno Faidutti
Art by Gjermund Bohne
2 to 8 players – 10 minutes
Published by Matagot
Boardgamegeek

Jednorożcze
Les licornes
Unicorns

Jednorożce – les licornes en polonais- est une nouvelle édition de Attila, un petit jeu de stratégie pour deux joueurs, très simple et rapide, du genre que l’on penserait plutôt sorti du cerveau de l’autre Bruno, Bruno Cathala. Sur un plateau dont les cases disparaissent une à une, chacun à son tour fait bondir un pion à la manière d’un cavalier d’échecs, le but du jeu étant d’être le dernier à pouvoir se déplacer. J’avais écrit l’histoire de la conception de ce jeu en 2015, lors de la sortie de la première édition chez Blue Orange, je n’ai pas grand-chose à y ajouter.

Toutes les pièces se déplaçant comme le cavalier du jeu d’échecs, les thèmes possibles tournent tous autour de la même idée, cavalcade, tournoi. Curieusement, je n’avais pourtant pas pensé à faire des ces chevaux des licornes, c’est la petite équipe polonaise de Moduko qui me l’a proposé, et je pouvais difficilement refuser.

Moduko n’a en principe les droits sur ce jeu que pour la Pologne, mais si vous voulez publier ça ailleurs avec les jolis dessins de licornes dans les nuages de Tomasz Larek, contactez-moi, on peut certainement s’arranger.

Jednorożce
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Tomasz Larek
2 joueurs – 10 minutes
Publié par Moduko (2024)
Boardgamegeek



Jednorożce – Unicorns in Polish – is a new version of Attila, a light and fast paced two-player strategy game which probably feels a bit like it was designed by the other Bruno, Bruno Cathala. On a board whose spaces vanish one after the other, each player on turn moves a piece like a Chess knight, the goal being to be the last player able to make a move. You can read more details about the game’s idea in the design diary I wrote when the first edition was published, in 2015 – I have very little to add.   

Since all pieces move like a Chess knight, all possible settings for his game have horses. Surprisingly, the idea of changing these horses into unicorns was not mine. It came from the small polish team at Moduko, but it’s the kind of offer I can’t refuse.  

Theoretically, Moduko has only the Polish rights for this game, but if you want to publish it anywhere else with the cute unicorns in the clouds art by Tomasz Larek, just email me, I’m sure we can arrange something.

Jednorożce
A game by Bruno Faidutti
Art by Tomasz Larek
2 players – 10 minutes
Published by Moduko (2024)
Boardgamegeek

Migo

Le marché du jeu de société est un peu compliqué en ce moment. La demande continue certes à augmenter, mais l’offre a progressé plus vite encore. Les boutiques spécialisées sont de plus en plus, en particulier pour les grosses boîtes de jeu destiné à un public averti, concurrencées par les Kickstarter et autres Gamefound. Quelques grands groupes ont certes repris des maisons d’édition de taille moyenne pour en faire des « studios de création », mais des amateurs ont simultanément monté de nombreuses petites boites dont on ne sait parfois plus très bien à quel écosystème elles appartiennent. Face à une pléthore de nouveautés, les joueurs et même les boutiques qui ne peuvent tout caser sur leurs rayons doivent faire des choix.
Devenus prudents, de plus en plus d’éditeurs hésitent à produire des jeux ambitieux qui risquent de ne pas trouver leur place sur un marché encombré. Lassés des lourds kickstarters aux figurines encombrantes et aux règles boursouflées, des joueurs reviennent vers des jeux moins prétentieux mais souvent plus efficaces, et dont le prix tout comme l’empreinte écologique sont plus modestes

Ce sont quelques raisons, il y en a d’autres, au grand retour des « microgames », des jeux aux règles simples, au matériel modeste, vendus dans de toutes petites boites. Le format « 18 cartes », facile à produire puisque l’on peut caser trois jeux sur une planche standard de 54 cartes, et que l’on peut vendre à bas prix présenté dans une pochette de cartes bancaires, semble particulièrement apprécié. Au début de l’année 2023, je me suis donc lancé le défi de réaliser quelques jeux dans ce format. Il en a résulté quatre projets, dont trois ont trouvé un éditeur. 6 Suspects, un jeu de déduction, sortira fin 2024 chez Matagot. J’ai signé chez Ghost Dog, jeune éditeur français, pour deux petits jeux de cartes ; Migo est le premier à paraître, le second, pour le titre duquel nous hésitions entre Fruit of the Doom, Fruit Salad et Fruit Cocktail est prévu pour la fin de l’année.

Soirée de test dans mon quartier, au bar à jeux Le Duchesse.

Deux éditeurs étaient intéressés par mon jeu de Yetis. J’ai préféré celui qui acceptait de conserver le thème d’origine, les abominables hommes des neiges attaquant des cordées d’alpinistes, à celui qui voulait les remplacer par des dragons. J’aime bien les dragons, mais j’ai déjà fait trop de jeux avec des reptiles et des pièces d’or, je n’en avais aucun avec des yetis et des bonnets de laine. Le format choisi autorisant une trentaine de cartes et quelques jetons, j’ai pu développer un peu le projet. Le prototype initial ne se jouait en effet qu’à deux joueurs, le jeu finalement publié fonctionne désormais aussi bien à trois, et presque aussi bien à quatre. Comme il y avait déjà pas mal de jeux s’appelant Yeti, le mien a été rebaptisé Migo, qui signifie Yeti en tibétain et est également le nom d’un personnage de jeune yeti dans le dessin animé Yeti et compagnie.

Les joueurs incarnent donc des abominables migos qui, pour embellir leurs grottes, collectionnent le matériel d’alpinisme – piolets, crampons, cordes et, surtout, bonnets de laine particulièrement décoratifs. Les yetis les plus respectés accrochent aussi à l’entrée de leurs grotte les drapeaux que les expéditions espéraient planter sur les sommets. Les bouteilles d’alcool, qui aident à supporter le froid hivernal, sont aussi une gâterie très appréciée.

Parfaitement insérés dans l’économie tibétaine, les migos entretiennent des relations amicales avec les communautés locales. Ils font même à l’occasion un peu de troc avec les sherpas, ceux-là même qui les avaient informés à l’avance du lieu et de l’heure d’arrivée des expéditions.

Première partie sur le jeu édité, aux rencontres ludopathiques d’Etourvy.

Comme il convient à ce genre de petit jeu de cartes, les règles sont très simples mais laissent pas mal de place à la tactique. Migo est un jeu de prise de cartes, ce que les américains appellent un jeu de draft, terme qui est généralement employé dans un sens plus restrictif par les joueurs francophones. Chaque yeti à son tour attaque (et sans doute dévore, mais il ne faut pas le dire si on joue avec des enfants) l’un des alpinistes en tête de cordée, et s’empare de son matériel. Cela rend les grimpeurs suivants, et leurs équipements, disponibles pour les joueurs suivants. Comme souvent, la contrainte initiale, ici le petit nombre de cartes, s’est avérée source d’inspiration pour les mécanismes du jeu. N’ayant qu’une vingtaine de cartes à ma disposition, j’ai en effet cherché à en utiliser à la fois le recto et le verso. Cela introduit beaucoup de variation dans les configurations initiales, certains équipements pouvant être plus rares que d’autres, et est à l’origine du mécanisme des sherpas, qui permettent de retourner une carte, souvent pour s’emparer d’une majorité.

J’ai eu récemment la chance d’avoir un jeu, le mignon Whale to Look, conçu avec Jun Sasaki, publié dans la très belle collection de petites boites au graphisme minimaliste de l’éditeur japonais Oink. Avec leur format très proche, les « feux follets » de Ghost Dog s’en inspirent clairement, et je leur souhaite le même succès – d’autant plus que j’ai un autre jeu à paraître cet automne dans la même série, dont on n’a pas encore décidé s’il s’appellerait Fruit of the Doom, Fruit Salad ou Fruit Cocktail.

Une partie de Fruit of the Doom – Fruit Sala – Fruit Cocktail avec Antoine, l’éditeur, à gauche.

Migo
Un jeu de Bruno Faidutti
Art by Maxime Morin
2 à 4 joueurs – 20 minutes
Publié par Ghost Dog Games
Boardgamegeek



Navigating the boardgame market has recently become a bit complex. Demand for new games is still growing, but supply, meaning the number of new games, is increasing even faster. Local game stores are facing a growing competition from Kickstarter and now Gamefound, especially for big, expensive (and therefore profitable) boxes. A few big publishers have taken over smaller one, often changing them into « creative studios », but even more newcomers have started new companies, about which we often know very little. Faced with a plethora of new games, gamers and even shops with limited shelf place must make choices.

Many publishers are becoming wary of producing ambitious games which might not find a place on an overcrowded market. Tired of heavy kickstarters with cumbersome miniatures and bloated rulesets, some players are back to less ambitious but often more efficient games, which also come at a much lower price and ecological footprint.

These are some of the reasons – there are a few other ones – for the comeback of « microgames », boardgames with simple rules and few components in a very small box. The trendy format is 18 cards which can be sold a very low price – one can fit three copies of the game on a standard poker game sheet, and it fits in a credit card wallet. In the first months of 2023, I decided to give it a trying challenged myself to design a few such games.
I ended up with four prototypes, three of which have now found a publisher.
6 Suspects, a light deduction and memory game, will be published by Matagot in late 2024. I signed with Ghost Dog, a new small French publisher, for two games, and Migo is the first one to hit the shelves.The second one is due later this year, and we still hesitate on its title, Fruit of the Doom, Fruit Salad or Fruit Cocktail.

Soirée de test dans mon quartier, au bar à jeux Le Duchesse.

Two publishers sere interested my Yeti game. I chose the one who was ready to keep my yeti setting over the one who wanted to replace the snowmen with dragons. I love dragons, but I’ve already had too many published games featuring dragons and gold coins, I had none so far with yetis and woolen caps. The publisher’s format allowing for a few tokens and up to 25 cards, I developed the gameplay a bit. My initial prototype was only a two-player game, the final version is just as good with three, and almost as good with four. Since there are already a few games named Yeti, mine has been renamed Migo, which means Yeti in Tibetan and was the name of a young snowman in the Yeti & Co cartoon.

Players are yetis who decorate their caves with climbers equipment – ropes, crampons, pick axes, carabiniers and, most of all, cute colored woolen caps. They also hang flags at their front doors, which climbers intended to plant at the mountains summits. Vodka bottles are also a much appreciated treat, helping to deal with the cold climate of the Himalayas.

Migos are well integrated in the Tibetan economy, and have friendly relations with local communities. They even sometimes trade stolen equipment with the sherpas, the very same sherpas who had informed them on the coming expeditions in the first place.

First game with the printed game at the Etourvy Ludopathic Gathering.

The rules for Migo are very simple, but leave place for some tactical moves. Migo is a card drafting game. Each yeti on turn attacks (and probably devours, but you should not reveal it when playing with kids) one of the climbers in front of the arriving expeditions, stealing their equipment. This makes the climber just behind it available for the next players, and so on.
As often happens, the initial constraint, in this case the small number of cards, ended up generating mechanical ideas. With a only about twenty cards available, I decided to use both sides. This makes for a great variety in the initial setups, some equipments being often much rarer than other ones. It also inspired the sherpa mechanism, flipping a card to the other side usually to steal a majority, which is probably my favorite feature in this game.

I recently had a game, Whale to Look, designed with Jun Sasaki, published in the cute small box series of the Japanese publisher Oink games. The Ghost Dog small box games are clearly inspired by the Oink line, and I hope they will achieve the same level of success – especially since I have another game coming next fall in the same series. We have not decided yet if it will be called Fruit of the Doom, Fruit Salad or Fruit Cocktail.

Playtesting Fruit Cocktail – Fruit Salad – Fruit of the Doom

Migo
A game by Bruno Faidutti
Illustré par Maxime Morin
2 to 4 players – 20 minutes
Published by Ghost Dog Games
Boardgamegeek

Animots
Animal Words

Anja Wrede est une sympathique autrice allemande avec laquelle, il y a une douzaine d’années, j’avais pas mal travaillé, sur des jeux le plus souvent peu ambitieux mais assez originaux.

Trois de nos collaborations, Fearz, Junggle! et Le Petit Poucet, ont déjà été publiées, mais Grabbit s’est fait attendre plus longtemps. Le jeu reprend un mécanisme que nous avions déjà utilisé dans le Petit Poucet, celui du sac dans lequel, à tâtons, les joueurs doivent reconnaitre des formes. Le sac est ici plus grand, puisque tous les joueurs le fouillent en même temps à la recherche des lettres permettant d’écrire leur nom – enfin, celui de l’animal figurant sur la carte qu’ils ont piochée. Le sac, bleu, représente le lac de Komantutapel, dont les eaux font perdre la mémoire. Les joueurs ne trouvent jamais toutes les lettres, il n’y en a pas suffisamment. Animots est donc un jeu coopératif, dans lequel il faut savoir s’arrêter au bon moment pour que, ensemble, les joueurs puissent parvenir, à partir de quelques lettres, à retrouver le nom de chacun.

Anja Wrede, right, playing the prototype in Etourvy.

Anja étant plutôt spécialisée dans les jeux pour enfants, domaine qui m’est assez étranger, nous avons voulu travailler ensemble sur des idées qui pourraient plaire aussi bien aux petits qu’aux grands. La reconnaissance tactile, comme la mémoire, est l’une de ces compétences que les plus jeunes maîtrisent aussi bien que les plus grands. Tous peuvent alors jouer ensemble avec intérêt sans que les grands n’aient à tricher pour laisser gagner les petits. Oui, je sais, les adultes sont meilleurs ensuite pour trouver les mots.

Notre premier prototype, Grabbit n’était pas un jeu coopératif. Les joueurs étaient des animaux, le sac contenait leur nourriture, et le but était d’être le premier à être parvenu à rassasier un certain nombre de bestioles. C’était très amusant, mais le prototype, qui avait beaucoup de succès auprès de mes testeurs adultes, était difficile à placer chez les éditeurs. C’était en effet un jeu pour adultes qui ressemblait à un jeu pour enfants. Ce sont les années de développement avec l’équipe de Space Cow qui ont apporté d’abord l’idée du passage aux lettres et aux nom d’animaux, puis la phase de devinette coopérative. Grabbit est alors devenu Animots, un jeu pour petits et grands.

Une carte du prototype
et une du jeu publié

Animots
Un jeu de Anja Wrede et Bruno Faidutti
Illustré par Emerson Santiago
2 à 6 joueurs – 20 minutes
Publié par Space Cow

Boardgamegeek



Anja Wrede is a nice German game designer with whom, a dozen years ago, I worked on a reins of lighter, unambitious but original games.

Three of our codesigns, Fearz, Junggle! and Lost in the Woods have already been published, but Grabbit took more time bot to find a publisher and to be fully developed. It is based on a mechanism we already used in Lost in the Woods, a bag in which players must feel around for pieces of different shapes. The bag in Animots is bigger, much bigger, since all players must be able to put their hands in it simultaneously, searching for the letters needed to write the name of the animal on the card they drew. The blue bag figures the lake of Whatsyourname, whose water make who drinks it to lose their memory. Since there is a limited number of every letter, players usually cannot find all the letters they need. Animots is a cooperative game in which one must sometimes decide to stop so that players can, all together, try reconstruct everyone’s name.

Anja (green sleeves on the right) playing the prototype in Etourvy.

Anja designs mostly children games, something I very rarely deal with, so we tried to design games which can be easily be played by adults and children together, while being interesting for everyone. Touch recognition, like memory, is one of these skills at which young kids are as good as adults. All can play together, without adults having to cheat to let children win. Well, yes, adults are then better at finding words.

The final game played in Etourvy.

Our first prototype, Grabbit, was not a cooperative game. Players already had animal cards, but in the bag was their food, and the goal was to be the first to feed a given number of animals. It was fun, but while the prototype was a hit with my adult playtesters, publishers were skeptical, claiming it was an adult game masquerading at a children one. It was during the years of development with the Space Cow team that the idea of replacing food with letters emerged, and then logically the cooperative guessing phase. That”s how Grabbit became Animiots, a game for everyone, old and young.

A card from the prototype
and a card from the final game

Animal Words
A game by Anja Wrede & Bruno Faidutti
Art by Emerson Santiago
2 -6 players – 20 minutes
Published by Space Cow

Boardgamegeek