Elephant Rally

Elephant Rally est une nouvelle version de Formula E, un jeu de course d’éléphants que j’avais conçu avec Sergio Halaban et André Zatz, les deux auteurs brésiliens de Sheriff of Nottingham et quelques autres jeux. C’est un jeu de parcours assez méchant, où il faut bien gérer sa main de cartes, un peu dans l’esprit d’Ave Cesar ou du Lièvre et la Tortue – un éléphant, c’est large et têtu et cela a vite fait de bloquer la route.

Voici ce que j’écrivais à propos du jeu lors de la sortie de la première version, en 2014 (l’article complet est ici) :


Paru il y a maintenant 10 ans, en 2014, sans doute au mauvais moment et peut-être chez le mauvais éditeur, Formula E n’a été qu’un succès d’estime. L’édition était belle, a reçu de bonnes critiques, mais ne s’est guère vendue au delà du tirage initial via Kickstarter.

Dix ans plus tard, le jeu revient sous le nom d’Elephant Rally chez l’un des principaux éditeurs brésilien, Conclave Editora. La version a été astucieusement mise au goût du jour par l’équipe brésilienne, les quatre plateaux du jeu d’origine étant remplacés par un système de circuit modulable, permettant plus de variété avec moins de matériel. Elephant Rally n’est pour l’instant disponible qu’au Brésil, mais si quelqu’un veut le publier dans une autre langue, il n’y a que les règles à traduire et cela peut certainement s’arranger.

Elephant Rally
Un jeu de Sergio Halaban, André Zatz et Bruno Faidutti
Illustré par Marcelo Bastos
2 à 6 joueurs – 60 minutes
Publié par Conclave Editora (2024)
Boardgamegeek


Elephant Rally is a new version of Formula E, an elephant racing game I designed with Brazilian designers Sergio Halaban and Andre Zatz, now mostly known for Sheriff of Nottingham. It’s a card driven racing game with lots of opportunities to meddle with rivals plans, in the style of good old Hare and Tortoise or Ave Caesar. Elephants are large and stubborn, which means they can easily block the road.

Here’s what I wrote when the first edition was published, in 2014. You can read the full article here. 


Formula E was published 10 years ago, in 2014, probably at the wrong time by the wrong publisher. It was a critical success but didn’t really sell after the initial Kickstarter print run.

Ten years later, the game comes back as Elephant Rally, published by one of the main Brazilian boardgames publishers, Conclave Editora. The game has been cleverly updated by the Brazilian team, the four tracks being replaced with a modular track, allowing for more variety with fewer components. Elephant Rally is only available so far in Brazil, but if someone is interested in localizing it elsewhere, it should not be a problem. There’s no text on the cards, the only part needing a translation is the rules.

Elephant Rally
A game by Sergio Halaban, André Zatz & Bruno Faidutti
Art by Marcelo Bastos
2 to 6 players – 60 minutes
Published by Conclave Editora (2024)
Boardgamegeek

I didn’t get my designer copies yet, so this pictures witha cute silver elephant are taken from a brazilian boardgame group, nerdkreativa.

Un peu plus qu’une pastèque
More than a Watermelon

Daybreak designers Matt Leacock and Matteo Menapace during the 2024 SdJ award ceremony.

Le 21 juillet dernier s’est tenue à Berlin la cérémonie du Spiel des Jahres, le jeu de l’année allemand qui fut longtemps le seul prix ludique ayant un réel impact sur les ventes, et reste encore aujourd’hui, de très loin, le plus important et le plus discuté. Chaque année, l’attribution du « Spiel » et de ses variations, le « KennerSpiel » pour les jeux un peu complexes et le « KinderSpiel » pour ceux destinés à un public plus jeune, donne lieu dans le microcosme ludique à bien des spéculations puis, une fois que les lauréats sont connus, à quelques petites râleries de ceux qui n’apprécient pas tel ou tel jeu, tel ou tel style. Cette année, une polémique plus politique a entâché l’attribution du KennerSpiel.

Je suis généralement très circonspect quant à l’exploitation de thèmes politiques et sociaux trop prégnants et sérieux dans le jeu de société. Je m’en méfie parce que cela donne le plus souvent des jeux ennuyeux, ce qui ne semble pas être le cas de Daybreak, mais surtout parce que cela rompt avec la fonction sociale du jeu qui est de nous permettre de sortir du réel, de faire un break tout en restant en société. Je ne suis donc à priori pas trop attiré par Daybreak, de Matt Leacock et Matteo Menapace, un jeu où l’on décarbone la planète qui a obtenu le KennerSpiel. N’ y ayant pas encore joué, je ne suis cependant pas en position de développer sur ces points des opinions très argumentées.

Quoi qu’il en soit, préférer que les jeux eux-mêmes se tiennent à l’écart des grands enjeux contemporains, ou ne s’en préoccupent que de manière légère et distanciée, n’enlève rien au fait que les auteurs, les éditeurs, les illustrateurs, les imprimeurs, les joueurs, appartiennent à monde réel, hors du jeu. Les enjeux écologiques et politiques de la fabrication des jeux, par exemple, sont un enjeu de plus en plus important, auquel, comme par hasard, on repense à chaque fois qu’une crise fait augmenter le coût des transports par container depuis la Chine. La guerre en Ukraine, intervenue au moment même où des jeux et des auteurs ukrainiens commençaient à gagner en popularité, en a été un autre exemple. La polémique de cette année en est une autre illustration.

Daybreak a donc quelques ambitions politiques, mais elles sont très consensuelles et ce ne sont pas d’elles qu’il est question ici. L’un des auteurs, Matteo Menapace, a arboré durant la cérémonie un badge extrêmement visible où le motif de la pastèque, utilisé par les Palestiniens car c’est une spécialité locale dont les couleurs sont aussi celle de leur drapeau, figurait sur une carte de la Palestine comprenant le territoire d’Israël. Considérant cela comme étant non pas une marque de soutien au peuple palestinien écrasé sous les bombes, mais bien un appel à la destruction d’Israël, donc à la violence, et une prise de position que l’on pouvait considérer comme antisémite, le jury du Spiel des Jahres a exclu Matteo Manapace de tous ses futurs événements. La réponse publique de Matteo Manapace, dans laquelle il fait mine de croire que le problème était le motif de la pastèque et non la forme de son badge, n’a guère fait avancer les choses. Il s’en est suivi, sur les réseaux sociaux, de longs dialogues de sourds.

Beaucoup ont fait remarquer, avec raison, que cette polémique révélait surtout la sensibilité extrême, et pour d’excellentes raisons, du public allemand dès qu’il est question des juifs et, par extension, d’Israël. Je ne sais pas très bien si Matteo Manapace est anglais, américain ou italien : son nom est italien, mais je suis bien placé pour savoir que cela ne veut rien dire, et il s’exprime sur les réseaux sociaux en excellent anglais. Quoi qu’il en soit, il aurait, par maladresse, négligé ce contexte particulier.

C’est bien sûr vrai, mais il me semble que cette différence de sensibilité est, en Europe au moins, autant générationnelle que géographique. Je ne suis pas allemand, mais ma réaction immédiate et spontanée en voyant les images de la cérémonie a été la même que celle du jury du Spiel des Jahres. Ma génération, qui a été élevée dans le souvenir de la guerre et a entendu des histoires de voisins disparus, voit avant tout dans Israël un état refuge pour les juifs rejetés d’un peu partout, ce qu’il est. Cela est vrai même pour quelqu’un qui, comme moi, a grandi dans un milieu familial très anticolonialiste où le héros politique numéro un était le colonel Nasser. Les plus jeunes, qui ont été élevés dans le souvenir des années soixante et de la décolonisation, voient avant tout dans Israël un état colonial, ce qu’il est tout autant. Personne n’a tort car tout le monde a raison.

Je digresse un peu, mais il me semble qu’une synthèse ne peut se faire qu’en acceptant que, historiquement, Israël est les deux, à la fois refuge et état colonial. Nous avons affaire, un peu comme dans le cas de l’Afrique du Sud avant 1994, à une colonie sans métropole, d’où les colons ne peuvent pas partir, et où le problème n’est donc pas de savoir qui doit rester mais comment organiser la cohabitation, si possible dans un état unique et commun pour éviter de recommencer à se taper dessus dans quelques années. Je n’ai pas l’impression que l’on soit bien parti pour cela, ni d’un côté, ni de l’autre.

Beaucoup, notamment dans la discussion sur ce sujet sur le forum du boardgamegeek, où la plupart des intervenants sont américains, semblent penser que le jury allemand du SdJ a surinterprêté le badge de Matteao Menapace, et que la décision de l’exclure de ses futurs événements a été excessive. Si c’est le cas, peut-être aurait-il été possible de s’entendre sur un communiqué commun, je ne sais pas du tout ce qui a été discuté. Néanmoins, je suis incapable de condamner une réaction qui, spontanément, aurait sans doute aussi été la mienne.

Une autre polémique plus discrète a entâché l’attribution des prix cette année, et je pensais originellement l’aborder également dans cet article. Après en avoir parlé avec les personnes concernées, qui souhaitent toutes calmer le jeu, j’ai décidé de n’en rien faire et ne m’exprimerait plus à ce sujet. Si vous savez de quoi il s’agit, je vous invite à faire de même.



Daybreak designers Matt Leacock and Matteo Menapace during the 2024 SdJ award ceremony.

The Spiel des Jahres award ceremony was held in Berlin on July 21st. The German game of the year award was for very long the only boardgame award with a measurable impact on sales and is still, by far, the most important and the most discussed. Every year, speculations rage first about who will get the Spiel and its variations, the “KennerSpiel” for complex games and the “KinderSpiel” for children ones. Once the result is known, there are also recriminations by those who dislike this or that game, or that style of game. This year, there was also a more serious polemic about the Kenner Spiel.

I am always very wary of games with a too serious and significant social or political setting. I am wary because most of them are boring games, which doesn’t seem to be the case with Daybreak, but also because it breaks with what I view as the main social function of games, giving us an opportunity to escape reality for a while, to take a break while still being in a social context. I am therefore not much attracted to daybreak but, having not played it yet, I cannot develop this argument in more details.

Anyway, even when I prefer games which stay away from actual global issues, or treat them in a light, distanced and humorous way, I know quite well, by experience, that game designers, publishers, graphic artists, printers and gamers belong to the real non-gaming world. As an example, the ecological stakes of the manufacturing games are becoming important, and are discussed again… every time the shipping costs from China increase due to some international crisis. The war in Ukraine, just when some Ukrainian games were starting to be really popular in Europe, has been another example. This year’s polemic is another example.

Daybreak has a political discourse, but these are very consensual and not polemical in any way. One of the designers, Matteo Menapace, wore during the award ceremony a flashy badge with a watermelon pattern, which is used as a symbol by Palestinians because this local treat has the same colors as their flag, on a map of Palestine including the state of Israel. The jury interpreted this not as a simple show of solidarity with Palestinians crushed with bombs, but as a statement in favor of the destruction of Israel, and therefore a call for violence which could be considered antisemitic. The Spiel Jury therefore decided to ban Matteo Menapace from all its future events. Matteo Menapace’s public answer, in which he failed to acknowledge that the issue was not the pattern but the shape of his badge, didn’t help. There has been since many arguments on social networks, most of them what we call in French “dialogue of the deaf”.

Many have rightly argued that this polemic was due to the extreme sensitivity of German public opinion to everything involving jews and, by extension, Israel. This is obviously true, and for very good reasons. I don’t know if Matteo Menapace is English, American or Italian. He has an Italian name, but I’m well placed to know this doesn’t mean anything, and talks in perfect English on social networks. Anyway, the idea is that ignoring this context was, if not plain wrong, at least extremely clumsy.

This is certainly true, but I think the difference in sensibility is, in Europe at least, as much a question of generation than of nationality. I am not a German, but my spontaneous first reaction when seeing Matteo Menapace’s badge on the images of the SdJ ceremony was the same as the jury’s one. My generation has been raised in the memory and recollection of WWII, with stories of disappearing neighbors, and see Israel first and foremost as a safe haven for Jews rejected from everywhere – which it is. This is true even for someone like me, raised in a fiercely anticolonial family where one of the top political heroes was colonel Nasser. Younger people, raised in the memory of the sixties and the decolonization wars, see Israel, first and foremost, as a colonial state, which it is. No one is wrong because everyone is right.

Let’s digress a bit. I think the only possible synthesis is to accept that Israel is both, safe haven and colonial state. A bit like in South Africa before 1994, it is a colony without a homeland, from where colonists cannot leave. The true issue is, like it was in South Africa, not to determine who will stay but to find a way to organize cohabitation, if possible in a single state to avoid fighting again in a few years. Unfortunately, we don’t seem to be moving in this direction.

Many in the online discussion of the event, especially on the BGG where most contributors are from the US, seem to think that the SdJ jury decision to exclude Matteo Menapace from its events was excessive. May be it could have been possible to agree on some common statement, I don’t know what has been discussed. Anyway, I cannot condemn a reaction which, spontaneously, would also have been mine.

There has been another polemic about this year awards, which I originally also wanted to discuss here. After some discussion with the people involved, who all now want to cool things down, I’ve finally decided not to talk about it. If you also know what it is about, I urge you to do the same.

Une interview de Jun Sasaski
Une interview de Jun Sasaki

L’un de mes derniers jeux publié, Whale to Look, est sorti en 2023 chez Oink Games. Il est cosigné avec Jun Sasaki, qui est aussi le patron de ce petit éditeur japonais dont les petites boites colorées sont aisées à repérer dans les boutiques.
J’ai toujours beaucoup aimé la gamme d’Oink Games, avec ses petits jeux souvent très originaux, aux règles et au graphisme minimaliste, et cela faisait des années que j’essayais de caser un jeu chez eux. J’en avais même imaginé un spécialement conçu pour leur format de boite, Maracas, qui a finalement terminé chez Blue Orange. Je suis donc particulièrement heureux de Whale to Look, qui semble en outre très bien se vendre.
J’en ai donc profité pour réaliser une petite interview de Jun Sasaki, que voici. J’avais déjà croisé Jun aux États-Unis, à la Gen Con, puis à deux reprises au Game Market d’Osaka. Je ne vais plus aussi souvent au Japon qu’il y a quelques années, et cette interview a donc été réalisée par mail.

À la Gen Con 2019
Les jeux Oink dans une petite boutique de jeu japonaise.
Le prototype de Constellations
Whale to Look
Le stand Oink at UKGE 2024


One of my last games, Whale to Look, has been published in 2023 by Oink Games. It is cosigned with Jun Sasaki, the boss of this small Japanese publisher whose small brightly colored boxes are easy to spot in game shops.
I’ve always liked the Oink Games line. The games are often really original, with simple rules and cute minimal art, and I’ve been trying to land a game there for years. I even designed one specifically for their box format,
Maracas, which was finally published by Blue Orange. Having a game published there is therefore an achievement, even more since the game seems to sell well.
I therefore seized the oportunity to ask Jun Sasaki a few questions. I have met him once at Gen Con, years ago, then twice at the Osaka Game Market. Unfortunately, I don’t travel to Japan as often as I used to, so this interview was made by email.

At 2019 Gen Con
Oink games on display in a small Japanese gameshop.
Constellations prototype
Whale to Look
Oink booth at UKGE 2024



Cosmic Encounter, Vale of Eternity et bricoler ses jeux
Cosmic Encounter, Vale of Eternity and tinkering with games

Dans les années quatre-vingt, avec mon compère d’alors Pierre Cléquin, j’ai découvert le plaisir de la création ludique en modifiant, en bricolant des variantes de poker, et de nouveaux pouvoirs et cartes pour Rencontre Cosmique. Le poker ne se prenait pas encore trop au sérieux, ce qui permettait à chacun de le mettre à sa sauce sans que quiconque ne crie à l’hérésie. Les auteurs et éditeurs de Cosmic Encounter eux-mêmes encourageaient les joueurs à s’approprier leur création en vendant des paquets de cartes vierges. Bien sûr, cela était rendu plus facile par le petit nombre de jeux de société que nous connaissions, des jeux que nous jouions donc régulièrement et maitrisions bien. Je ne sais si notre petit groupe de joueurs était l’un des seuls à fonctionner ainsi, et si c’est pour cela que nous sommes ensuite devenus des auteurs de jeu, ou si tous les joueurs traitaient alors les jeux avec autant de légèreté, n’hésitant pas comme à en modifier, parfois en cours de partie, les règles qui ne nous plaisaient pas. Dans les années quatre-vingt-dix, c’est avec Pierre Rosenthal que j’avais bricolé une extension maison de Magic the Gathering, et Wizards of the Coast nous avait payé pour pouvoir en réutiliser les idées dans leurs futures extensions. Le Magicien, l’un des aliens que Pierre et moi avions imaginés pour Cosmic Encounter, s’est aussi retrouvé dans la plus récente édition du jeu.

Depuis une trentaine d’années, j’avais cependant cessé de bricoler les jeux des autres, tout en encourageant les joueurs à bricoler les miens. Les personnages et quartiers de la “grosse boite” de Citadelles proviennent ainsi en grande partie des idées d’un fan du jeu, Robin Corrèze, qui a su y porter un regard neuf. Beaucoup des nouveaux personnages de Mascarade ont aussi été imaginés par des amis ou des fans du jeu. Lorsqu’un jeu s’y prète, j’encourage mes éditeurs, s’il reste quelques cartes sur les planches d’impression, à ajouter quelques cartes vierges, mais je n’ai jamais eu beaucoup de succès.

L’une des raisons pour lesquelles je m’amuse moins aujourd’hui à bidouiller les jeux des autres auteurs est que ma pratique du jeu, et me semble-t-il la pratique du jeu en général, est devenue plus dispersée. On joue certes autant, mais on joue à des jeux de plus en plus nombreux, trouvant plus de plaisir dans la découverte que dans l’approfondissement, ce qui peut être un peu frustrant. Une autre raison est peut-être que les joueurs prennent aujourd’hui les jeux un peu trop au sérieux – c’est vrai des thèmes, je l’ai souvent écrit ici, mais c’est aussi vrai des mécanismes que l’on n’ose pas trop toucher.

Pour qu’un jeu me donne l’envie de le bricoler, d’inventer des cartes et des effets, il faut donc qu’il soit riche, ouvert aux extensions et développement, tout en restant suffisamment simple pour que quelques parties permettent de saisir la logique qui le sous-tend, les leviers à manipuler et, ce faisant, les équilibres à respecter. Beaucoup de jeux, aussi excellents qu’ils soient, sont soit d’emblée complets et fermés, soit trop baroques.

Le jeu qui m’a redonné envie de concevoir quelques cartes, et je vous invite à en faire autant, est The Vale of Eternity, d’Eric Hong. Ce jeu de draft, dans lequel les joueurs construisent peu à peu des combinaisons de cartes afin de marquer le plus de points possibles, n’apporte rien de vraiment nouveau ni dans son thème, ni dans ses mécanismes, mais il crée une sensation de profondeur, de variété et d’imbrication entre ses éléments avec très peu de mécanismes, des règles simples et une impressionnante fluidité.

Il y a eu tellement d’innovation dans les mécanismes ludiques depuis trente ans que la meilleure des nouveautés ne consiste plus tant aujourd’hui à faire des choses différentes qu’à faire les mêmes choses mais de manière plus fluide, plus légère. De ce point de vue, le jeu de Eric Hong est un chef d’œuvre.

Une partie de The Vale of Eternity, chez moi, avec deux autres auteurs de jeux, Hervé et Camille.

Le thème de cette vallée de l’éternité est très superficiel, pas vraiment original, mais il est traité avec une sympathique légèreté – on prend des créatures d’un peu toutes les mythologies, et on mélange tout. Je suis de plus en plus convaincu que, face aux fantasmes identitaires et aux tentations du repli sur soi, la seule démarche culturelle positive qui ait aujourd’hui du sens est cet universalisme désinvolte, qui enchevêtre tout sans rien prendre au sérieux. Quatre illustrateurs se sont partagé les cartes du jeu, Jiahui Gao dessinant les créatures de l’eau, Gautier Maia celles de la terre, Stefano Martinuz celles du feu et Erica Tormen celles de l’air. Ils ont tous fait quelques dragons, parce que c’est quand même trop classe de dessiner un dragon. Tous ont bien compris l’esprit du jeu, pas vraiment humoristique, mais pas vraiment sérieux non plus, et les très belles cartes contribuent aussi beaucoup à l’ambiance d’un voyage dans cette vallée de l’éternité.

Et une partie à Etourvy avec quelques pontes du milieu ludique.

Bien que les jeux soient mécaniquement et thématiquement très différents, Vale of Eternity m’a rappelé Cosmic Encounter, non dans sa version surdéveloppée actuelle mais tel que je l’avais découvert, il y a une quarantaine d’années. Dans les deux jeux, la combinaison de principes extrêmement simples, de règles peu nombreuses et d’interactions presque illimitées crée un effet « boîte à outils », donnant envie de bricoler, d’imaginer ses pouvoirs, ses cartes. Pour Cosmic, on pouvait fantasmer sur les races extra-terrestres, pour The Vale of Eternity, on peut faire appel aux innombrables créatures de tous les folklores et mythologies.

Les effets de la plupart des cartes n’ont pas de lien évident avec la nature des créatures représentées, mais cela encore facilite les bidouillages. Il était possible d’acheter des cartes vierges de Cosmic Encounter, sur lesquelles les joueurs pouvaient laisser libre cours à leur imagination. Aujourd’hui, avec les sleeves à dos opaque, ce n’est même plus nécessaire, et je me suis déjà amusé à bricoler une première petite extension d’une quinzaine de cartes, qui n’a été qu’assez peu testée jusqu’ici mais que je posterai sans doute sur ce site après quelques parties.

Si le succès de The Vale of Eternity se confirme, j’imagine que le jeu aura, comme Rencontre Cosmique, bien des extensions. La première, Artefacts, est déjà annoncée. Certaines n’apporteront seulement de nouvelles cartes, d’autres introduiront un ou deux mécanismes originaux, les possibilités semblent infinies, il faut juste prendre garde à ne pas trop compliquer les choses.

Et donc, après quelques tests, voici mes 24 nouvelles cartes pour Vale of Eternity. J’ai essayé de faire quelques trucs un peu nouveaux sans ajouter de règles ou de mécanismes au jeu. Il me semblait que le jeu favorisait un peu trop les stratégies construites autour dun “moteur” à point de victoire montant progressivement en puissance, au détriment des tactiques “coups d’un soir” s’efforçant de scorer un maximum à chaque tour, j’ai donc un peu plus insisté sur ce dernier aspect du jeu, avec plus de scoring immédiat et une proportion de dragons un peu plus forte que dans le jeu initial. Cela explique que je n’ai pas respecté la proportion de Dragons du jeu initial.



In the eighties, with my friend Pierre Cléquin, I discovered the fun of game design while tinkering with existing games, mostly designing poker variants and new aliens for Cosmic Encounter. Poker was not taken that seriously yet, which made easier to play crazy variants without being accused of heresy. The designers and publishers of Cosmic Encounter were even encouraging players to fiddle with their game, and even sold deck of blank cards. This was also made easier by the fact that we knew only a limited number of games, and therefore played them regularly and knew them intimately. I don’t know if our group was the only one. I don’t know if our gaming group was one of the few working that way, or if everyone was taking game rules so lightly, having no problem with changing the rules or adding to them, even in the middle of a game. In the mid-nineties, I designed with Pierre Rosenthal an alchemy-themed Magic the Gathering expansion which was deemed good enough by Wizards of the Coast to pay us so that they could recycle its ideas in future ofiicial expansions. The Magician, one of the many aliens Pierre and I had designed for Cosmic Encounter, made its way into the latest edition of the game.

These last thirty years, though, I had stopped tinkering with other designers’s games, though I kept encouraging people to do so with mine. Many of the new characters and districts cards in the Citadels big box come from the ideas of a game fan, Robin Corrèze, who could look at the game systems from a slightly different angle. Many of the new characters in the new edition of Mascarade were also suggested by friends and fans. When the game can easily support it, I encourage my publishers, if there are a few remaining spots on the printing card-sheets, to add a few blank cards. Unfortunately, I’ve rarely been successful.

One of the reasons why I now rarely tinker with other designers’ games is that the way I play games, and probably the way most gamers play games, has changed and become more scattered. We play as much, if not more, as before, but we don’t play the same game to death, we play many different games. We have more fun in discovery than in looking for hidden depth, which I sometimes find frustrating. Another reason might be that we tend to take games too seriously – it’s true of their settings, I’ve written many times about it, but it’s also true of their mechanisms, with which we don’t dare tinkering.

A game needs to be rich, intricate, open to expansions and development but at the same time simple enough  so that a few games allow you to grasp the logic behind it, the levers you can manipulate and the balance you should take care of. Most games, even the best ones, are either self-contained or too baroque.

The game which made me try again to design extra cards, and I invite you to do the same, is Eric Hong’s The Vale of Eternity. This drafting game in which players build step by step, card by card, comboes in order to score as many points as possible has nothing really new, neither in its theme or its mechanisms, but it generates a strong feeling of depth, variety and intricacy with few mecanisms, straightforward rules and an impressive fluidity. 

There has been so much innovation in game mechanisms these thirty last years that the real novelty now is not in making it different but in making it smoother, lighter. From this point of view, Eric Hong’s design is a masterpiece.

A game of The Vale of Eternity at y place in Paris, with two other game designers, Hervé and Camille.

The setting of The Vale of Eternity is extremely superficial and unoriginal, but it is dealt with a nice casualness – just take creatures from all folklores and mythologies and mix everything. I am everyday more convinced that, in a world which is prey to fantasies of identity and collective withdrawal, the only positive and meaningful cultural approach is this kind of casual universalism, which tangles everything and refuses to take anything seriously 

Four artists took charge of the illustrations. Jiahui Gao drew the water creaturesn Gautier Maia the earth ones, Stefano Martinuz the Fire ones and Erica Tormen the air ones. All four drew a few dragons each, because it’s so cool to draw dragons. All four artists got the spirit of the game really well, neither too serious nor too cartoony, and the gorgeous cards really create the mood for a trip in the Vale of Eternity. 

And a game in Etourvy with some big names of the French boardgaming world.

Even though both games are very different in their setting and mecanisms, The Vale of Eternity reminded me of Cosmic Encounter, may be not in its present overdevelopped version but as it was when I discovered it, forty years ago. Both games have straightforward systems and simple rules generating nearly unlimited interactions. This makes them the perfect tinkering toolboxes for who wants to design their own powers and cards. With Cosmic Encounter, one could fantasize various crazy deep space aliens, with The Vale of Eternity, one can use the inexhaustible bestiary of folklores and mythologies.

Most card effects in The Vale of Eternity don’t have obvious relations to the creature’s name, but this makes adding new ones even easier. It was possible to buy blank cards for Cosmic Encounter, we don’t even need that for The Vale of Eternity now that we can easily find opaque card sleeves. I’ve already designed my small 15 cards expansion, which I will probably post here after playtesting it a bit.

If The Vale of Eternity gets the success it deserves, there will probably be, like for Cosmic Encounter, many expansions. The first one, Artifacts, has already been announced. Some will only bring new cards, other ones will add one or two simple game elements. There seem to be infinite possibilities… designers must just be careful not to make things too complex.

After a few more playtests, here are the 24 new cards of my small fan expansion for Vale of Eternity. I tried to use a few unusual effects without adding any new rule or mechanisms.
I have a feeling that the game slightly favors “slow victory point engine building” strategies over successions of one shot big moves. I therefore tried to tweak the game a little bit in this last direction, with more “one night stand” scoring and more opportunities to disrupt opponent’s engines. This is why I have a slightly higher proportion of dragons than in the original game.

Etourvy 2024

Les rencontres ludopathiques, qui se tiennent chaque année, au mois de mai, à Etourvy, un charmant petit village de l’Aube, entre Chaource et Tonnerre, sont un peu ma convention ludique à moi, que j’organise et où j’invite les gens que j’ai envie de voir. Le succès tient à une formule peu à peu affinée depuis une trentaine d’années.

Les gens

Le public est composé pour plus de la moitié de professionnels du jeu de société, essentiellement des auteurs et éditeurs mais aussi quelques illustrateurs, et pour plus de la moitié aussi d’amis plus ou moins anciens et plus ou moins joueurs – cela fait plus de deux moitiés parce que les deux groupes se chevauchent pas mal, quarante ans dans le monde ludique m’ayant amené à m’y faire des amis.

Certains éditeurs, mécontents de ne pas être invités, m’ont reproché de faire du « copinage ». Je peux d’ores et déjà leur confirmer qu’ils ne seront jamais invités. Ces rencontres sont ma petite semaine ludique à moi, et j’y invite des gens que j’aime bien, que j’ai envie de voir ou suis curieux de mieux connaître. Il n’y a déjà pas assez de place pour les nombreux éditeurs et auteurs sympathiques, je ne vois pas pourquoi j’y ajouterai des antipathiques. Je sais que je trouverai aisément plus de 200 professionnels du jeu désireux de participer, mais je tiens à ce que la moitié environ des participants n’en soient pas, juste des amis qui apprécient ce moment, et dont certains – peu nombreux, c’est vrai – ne sont d’ailleurs même pas de gros joueurs. Et si le copinage consiste à essayer de rester et même de bosser avec des gens qu’on aime bien, c’est une pratique à laquelle je suis tout à fait favorable.

Cette année, à mon grand regret, les rencontres d’Etourvy étaient moins internationales qu’à l’habitude, l’immense majorité des participants étant français ou francophones. Par goût, mais aussi par principe, j’essaie habituellement de mélanger un peu plus, j’espère que j’aurai plus de succès l’an prochain, et qu’il y aura plus de tables de jeux parlant anglais ou quelque autre langue plus ou moins exotique.

Le lieu bucolique, à l’écart des grandes villes, permet une certaine décontraction et une déconnection qui fait du bien à tous, du moins lorsque le beau temps est au rendez-vous, ce qui était encore le cas cette année. Pour se rendre à Etourvy, au milieu de nulle part, il faut faire quelques efforts. Nous sommes accueillis par la sympathique équipe du domaine Saint-Georges, qui prépare les repas et héberge la moitié environ des 180 participants, les autres dormant dans des gites alentour. Cette année, les deux jours fériés consécutifs du 8 mai et de l’Ascension font que beaucoup sont restés sur toute la durée, du mercredi au dimanche.

Le succès et la décontraction des rencontres tiennent aussi à ce que j’y accepte ce qui est parfois mal vu dans les rencontres professionnelles autour du jeu – les enfants, les chiens et chats, le vin et la bière. On avait cette année deux chiens portant le même nom, Rocket (j’ai d’abord cru à Roquette, qui est quand même plus sympa), ce qui a entraîné quelques confusions… L’excellente bière à la tireuse était, comme chaque année désormais, brassée par Clémence de la brasserie Thibord, et complétée par les bières maison apportées de Suisse par Fabien Conus. On est aussi sur la frontière stratégique entre Champagne et Bourgogne.

Tout était calme, et la douzaine d’enfants se sentaient suffisamment à l’aise pour partir d’eux même en excursion à une dizaine de bornes à une heure du matin…. Il y a une certaine ironie à ce que cela nous effraie un peu à l’âge des portables et des GPS, alors que nous avons tous fait ça avant les portables et les GPS.

Lorsque les rencontres ont débuté, en 1993, nous n’étions qu’une vingtaine, des amis de GN et des joueurs gravitant de la petite équipe de Ludodélire, parmi lesquels Gérard Mathieu et Droopy, que j’ai eu beaucoup de plaisir à voir revenir cette année. J’ai cru en revanche assez longtemps que, pour la première fois depuis une douzaine d’années, le rencontres ludopathiques allaient devoir se dérouler sans Camille, habituellement préposée aux bières, à l’intendance et à l’engueulade de ceux qui ne rangent pas les jeux et ne nettoient pas les tables, mais retenue à Paris par la santé de son chat. Ce fut une excellente surprise de la voir finalement débarquer vendredi soir, au milieu du repas, quand je n’y croyais plus vraiment. Je pense que cela nous a fait beaucoup de bien à tous les deux.

Les jeux

Un autre petit regret de ces rencontres 2024 est d’avoir oublié quelques-uns des jeux idiots que je pensais faire jouer en extérieur après les repas. Mais, bon, si je les ai oubliés, c’est sans doute parce que l’ambiance était bonne et qu’ils ne semblaient pas nécessaires. Nous avons seulement joué au Brouhaha olympique, un grand succès comme on peut le voir sur les videos, et à un quizz photo par équipe remporté par l’équipe Alain Delon, alors que la structure des questions aurait dû plutôt favoriser David Bowie et Mick Jagger.

Il y a eu pas mal d’autres jeux et activités cryptoludiques, que je n’ai pas tous suivis, tournois de Set & Match, de Poker (remporté par Marie Giordana), de Pétanque et de Casse-Noisette – un jeu de Laurent Escoffier qui se joue avec des cailloux et des noisettes -, dégustations d’eaux, de vins et de bières. On voit aussi sur les photos des trucs avec des dés géants, des ficelles et des balles de toutes les couleurs, je ne sais pas ce que c’était. Le Walk and Wine, organisé par Charles Chevallier, est devenu incontournable, tout comme la balade sportive de Maud et la Murder Party préparée par Isabelle, Sébastien et Ghislain, et qui se déroulait cette fois-ci dans l’Amérique des années cinquante.

Ayant pris il y a trois mois ma retraite de l’éducation nationale, j’essaie de pratiquer mon activité d’auteur de jeux de façon un peu plus professionnelle, sans trop en faire néanmoins. J’avais donc préparé un petit dossier de présentation de mes prototypes, et suis parvenu à bloquer quelques créneaux pour en discuter avec des éditeurs. Mathilde est partie avec quelques boites, j’ai envoyé en rentrant des pdfs de jeux de cartes à d’autres, on verra bien où cela mène.

Pour la promotion de mes nouveautés, en revanche, le moins que l’on puisse dire est je n’ai pas été très professionnel, puisque j’avais simplement oublié de prendre, parmi le millier de jeux que j’avais apporté, quelques boites de Whale to Look – en fait, j’avais toute la gamme Oink, sauf celui-ci. Flavien Loisier, qui distribue le jeu outre-Manche, n’en avait pas pris non plus, certain que j’en aurais. Fort heureusement, Eliette et Jeremy Fraile, prévenu au dernier moment, ont apporté leur exemplaire récupéré en avant-première l’an dernier, ce qui a permis de faire quelques parties et quelques photos.

J’avais aussi quelques exemplaires mes jeux qui sortent dans les semaines ou les mois qui viennent. 6 Suspects, chez Matagot, même s’il ne sort que cet automne, est en effet imprimé depuis longtemps, et souvent présenté dans les conventions. Les toutes premières boites de Migo, arrivées de Chine par avion, ont été apportées par l’éditeur, Antoine de Ghost Dog Games, qui avait aussi un prototype presque final de mon petit jeu de fruits, auquel ne manquait que le titre pour lequel nous hésitons encore entre Fruit of the Doom, Fruit Salad et Fruit Cocktail – lequel préférez vous. Cédric s’était débrouillé pour débusquer dans les labyrinthes asmodéens le prototype éditeur d’Animots, co-créé avec Anja Wrede, qui devrait arriver en août.

Beaucoup d’autres jeux tout juste ou bientôt arrivés en boutique ont tourné assez régulièrement. Souvent, l’auteur ou l’éditeur poussait un peu à la roue, mais cela ne fonctionnait que s’il y avait aussi un bon buzz. Cela est vrai pour deux des trois principaux hits du Week-End, The Gang et Harmonies, mais le troisième, Surfosaurus Max s’est débrouillé tout seul, sans personne qui ait cherché particulièrement à le pousser.

Commençons par les plus nombreux et les plus joués, les petits jeux de cartes. Surfosaurus Max, de Ikhwan Kwon, et The Gang, de John Cooper, John Cooper (!) et Kory Heath, sont tous deux des variations originales sur le poker, la première semi-coopérative, la seconde totalement coopérative. Prey Another Day, de Matthew Dunstan et Brett Gilbert est peut-être la meilleure variation sur le principe de pierre, feuille, ciseaux, et deviendra sans doute un classique, mais tous les joueurs français ont regretté d’apprendre que les étonnantes illustrations des éditions allemande et américaine allaient être remplacées dans la version française. Le succès de Courtisans, de Romaric Galonnier et Antony Pérone, s’est confirmé, même si l’équipe de Catch Up n’avait pu en apporter qu’une boite – ils ont tout vendu.

Oussama Khelifati ne semblait pas très convaincu par le titre, Duck and Cover, choisi par l’équipe de Captain Games pour son petit jeu de cartes, moi je trouve le titre excellent, même s’il est vrai qu’il parlera surtout aux américains. Dékal, de Claude Clément, me fait penser qu’il faut que j’écrive un de ces jours un article expliquant aux éditeurs qu’ils devraient cesser de vouloir réinventer la boite, surtout quand le résultat semble conçu tout exprès pour que l’on perde des cartes. Tout comme Dékal, Flowers, de Paul-Henti Argiot, et Diciasette, de Munetoshi Harigaya, sont des jeux avec juste des chiffres sur des cartes que les joueurs ont eu l’air de beaucoup apprécier. Odin, de Yohan Goh, Hope S. Hwang, Gary Kim est un jeu de défausse, un genre à la mode. Je me réjouis que l’orientalisme des jeux européens soit de plus en plus compensé par l’occidentalisme des jeux asiatiques, même si dans ce cas là, je ne sais pas bien si le thème est une idée des auteurs ou de l’éditeur.

Parmi les petits jeux Oink, Cinq hommes sur un bateau, de Mashiu et Jun Sasaki, ainsi que Order Overload Cafe, de Jun Sasaki tout seul, étaient les plus appréciés – avec bien sûr Whale to Look. Manu Rozoy et Guillaume Montiage procédaient aux derniers réglages d’un prototype dont il va falloir que je parle sur ce site un de ces jours. Bruno Cathala et Antoine Bauza faisaient tourner la version Seigneur des Anneaux de Seven Wonders Duel, dont j’ai oublié le titre, et j’ai vu tourner un ou deux autres protos plus ou moins secrets dans l’univers de Tolkien. Le monde de Star Wars n’était pas en reste avec Bounty Hunters, de Frédéric Henry, qui semble simple et dynamique. Mantis, de Ken Gruhl et Jeremy Posner, n’était pas vraiment une nouveauté mais il était pour beaucoup une découverte et a été bien plus joué que l’an dernier.


J’ai moins de choses à dire, et de titres à citer, pour les plus grosses boîtes, avec des pions, des plateaux, tout ça. L’équipe de Harmonies avait bien préparé son coup, puisqu’il y avait là l’auteur, Johan Benvenuto, l’illustratrice, Maeva da Silva, et l’éditeur, Libellud, qui avait apporté un jeu géant avec de jolies figurines d’animaux. Harmonies, qui est un peu le jeu que Cascadia aurait dû être (je n’aime pas Cascadia) fut sans doute le jeu un peu consistant le plus joué de la semaine. Laurent Escoffier et Charles Chevallier expliquaient Loot, mais j’ai maintenant l’impression qu’ils font ça tous les ans. Vale of Eternity, de Eric Hong, et Captain Flip, de Paolo Mori et Remo Conzadori, tournaient pas mal aussi, même s’ils attiraient moins les photos que Balconia, de Paul Schulz. Quoi qu’il en soit, ces cinq jeux ne sont guère plus complexes que les jeux de cartes cités plus haut. Ils durent trente à quarante minutes, leurs boites et leurs prix restent modestes, et ils sont destinés à un public de joueurs occasionnels – ce que l’on appelle parfois un public familial, comme si tous les joueurs occasionnels étaient des familles.

En passant à côté d’une table occupée par un jeu assez impressionant, j’ai entendu un joueur annoncer “je lance un feu d’artifice qui me rapporte un point par chevalier noir” – il semble qu’il se soit agi d’un prototype de Théo Rivière Ghislain Masson.

Clairement, cette année à Etourvy, la tendance n’était pas aux gros jeux pour joueurs avec des centaines de cartes et de figurines, même si en fin de nuit quelques courageux s’attaquaient aux différentes itérations de Dune Imperium, et si quelques monstruosités dont j’ignore le nom apparaissent sur les photos. Parmi les nouveautés, le jeu le plus consistant qui m’ait semblé être beaucoup joué et discuté était Le Château Blanc, de Israel Cendrero et Sheila Santos – là, on revient à l’orientalisme classique, ou plutôt à l’exotisme puisque c’est un peu la suite de la Cathédrale Rouge, le suivant pourrait être la Voûte verte. On m’a aussi dit du bien d’Apiary. Ceci dit, les énormes boites envoyées par Awaken Realms ont été parmi les premières à partir de la table de prix.

La mode n’était pas non plus aux Roll & Write, qui semblent avoir disparu aussi vite qu’ils étaient arrivés. Les jeux d’enquête collaboratifs, à la manière de Perspectives, Suspects, Backstories ou Mysterium, dont l’auteur, Olexandre Nevskiy, présentait une variation plus sombre, étaient en revanche très nombreux. Je n’ai pas noté leurs noms, qui se ressemblent souvent un peu, et ne sais pas très bien ce qui était édité ou en cours d’édition et ce qui n’était que prototype d’auteur

Quelques excellents jeux dont personne ne parle sont joués chaque année à Etourvy, notamment Krazy Wordz, de Dirk Baumann, Thomas Odenhoven et Mathias Schmitt, qui mériterait décidément une réédition avec des cartes thèmes mieux choisies et des jetons type Scrabble, Mot pour Mot, de Jack Degnan, dont je ne crois plus non plus qu’il soit disponible, et le subtil jeu de paris Cursed Court. Cette année, j’ai vu avec plaisir ressortir des trucs plus vieux encore, Cosmic Encounter et Full Metal Planet, ce dernier présenté par l’un de ses auteurs.

On a beaucoup parlé depuis deux ans du retour du jeu de rôles sur table, à l’ancienne, avec dés et écran. Les ludopathiques, d’où le jeu de rôles avait disparu après les tous premiers épisodes, semblent confirmer cette tendance. Il y avait presque toujours au moins une table de rôlistes encapuchonnés dans un coin sombre. Manu avait commencé, les choses se sont accélérées avec l’arrivée de Camille vendredi. On oppose souvent les joueurs de jeux de société aux amateurs de jeux de rôles ou de jeux video, on a tort. Toutes les études confirment ce que l’on peut voir à Etourvy – ce sont majoritairement les mêmes.

Discussions

Bien sûr, on ne fait pas que jouer, on prend aussi le temps de discuter. Parmi les sujets de conversation, on a pas mal parlé d’Asmodée, avec des interprétations divergentes de ce qui est train de se passer, et ce y compris chez les gens qui bossent chez ou avec Asmodée. On a aussi causé du ralentissement récent des ventes et des difficultés actuelles de pas mal de petits éditeurs spécialisés dans les kickstarters et les jeux vendus au poids. Si tout le monde se réoriente vers les petits jeux de cartes, c’est sans doute bon pour les auteurs comme moi dont c’est la spécialité, mais cela signifie que ce segment de marché va aussi vite être encombré. On a parlé de la place croissante de l’Asie dans les ventes, l’édition et la création ludique, et de l’absence de différence notable entre les jeux de là bas et d’ici – s’il y avait peu d’étrangers à Etourvy cette année, jamais les éditeurs coréens et japonais ne m’avaient envoyé autant de jeux. On s’est plaint du vieillissement des joueurs, même s’il semble moins net en Europe qu’aux États-Unis. On a apprécié ou regretté, selon les cas, l’extinction des trolls et des dragons et l’invasion du monde ludique par les arbres et les gentils animaux. J’ai certainement manqué plein d’autres discussions intéressantes sur les petits et grands sujets du microcosme ludique.

On remettra ça l’an prochain… (et les autres photos sont tout en bas du post).



The ludopathic gathering takes place every year in May in Etourvy, a small village in the French countryside, between Chaource and Tonnerre. It is my own little game convention, where I invite the people I want to see. In thirty years, the formula has been slowly refined.  

The people

A little more than half of the attendees are boardgame professionals, mostly designers and publishers but also a few illustrators. A little more than half are friends of mine, old and new, dedicated and casual gamers alike. Yes, this makes for more than two halves since there is some overlap between the categories, having made a few friends in forty years in the gaming world.

A few publishers, angry at not being invited, have accused me of « cronyism ». I can confirm they will never be invited. This gathering is my own little game week, a private event where I invite people I like, people I want to play games with or to know better. There are not enough beds for all the many game designers and publishers I like, I see no reason to invite the ones I dislike. I would easily find 200 boardgame professionals willing to go, but I want to keep more or less half of the places for other people, friends I like among which a few ones are not even dedicated gamers. And if trying to stay and even work with people one like is cronyism, well, I’m all for it.

My big regret this year is that the gathering was less international than it used to be, most of the attendees being French or, at least, French speaking. By taste, but also on principle, I always try to mix people from everywhere. I hope I’ll be more successful at it next year, and there will be more tables speaking English or any other more or less exotic language.  

The bucolic venue, far from the big cities, allows for casualness and disconnection, at least when the weather is nice enough, which was the case this year. Some effort is required to join Etourvy, right in the middle of nowhere. The friendly team of the Domaine Saint Georges takes care of all meals and accomodates more or less half of the 180 attendees, the other ones sleeping in nearby villages. This year, due to two consecutive french public holidays, most people stayed four days, from Wednesday to Sunday.

The success and casualness of the ludopathic gathering is also due to it being kids friendly, dogs and cats friendly, beer and wine friendly, things which are sadly becoming rare in the boardgaming world. This year, we had two dogs of the same name, Rocket – I first thought it was Roquette, the french name for a slightly bitter salad, which would have been more fun – which brought some nice confusion. The tap beer now always come from the same local brewery, that of Clémence Thibord, with bottles also brought from Switzerland by Fabien Conus. Of course, we also are on the strategic border between Champagne, to the north, and Bourgogne, to the south.

Everything was calm, and the dozen kids felt safe and cool enough to leave for a twelve miles walk in the countryside at 1 am… There is some irony in finding this a bit frightening now when we used to do it when we were kids and had no cellphones or GPS.

We were only two dozen people for the first ludopathic gathering, in 1993. Most of them where either LARP friends or friends of the small Ludodelire team. Among the latter were Gérard Mathieu and Droopy, whom I was really happy to see coming back this year. Conversely,  I first thought that, for the first time in ten or twelve years, the gathering would take place without my friend Camille, who usually takes care of beer kegs and of giving hell to players who don’t put games back in their box or don’t tidy up their table, but who was blocked in Paris due to an ill cat. It was really good to see here arrive during dinner on Friday, when I didn’t really believe in it anymore. I think it was good for both of us.  

The games

I also regret that I forgot some of the stupid outside  games I wanted to hold after lunch or dinner. Anyway, I probably forgot about them because the overall mood was nice and they didn’t feel necessary. We only played olympic Brouhaha, which was a hit as you can see on the video, and a photo quizz game. The Alain Delon team won, when I thought the structure of the game should favor David Bowie and, to a lesser extent, Mick Jagger.

There were many other games and gamey activities organized by friends. There were Poker, Set & Match, Petanque and Nutcracker tournament – Nutcracker being a game devised for the occasion by Laurent Escoffier and played with rocks and nuts -, as well as wine, beer and even water tasting. There are strange games with giant dice, ropes and colored balls on the pictures, I don’t even know what they are. Like they did these last years, Isabelle, Sébastien and Ghislain organized a murder party whose action took place in the US in the fifties.

Since retiring, three months ago, from my day job as a teacher, I’m trying to do my job as a boardgame designer in a more professional way, though without overdoing it. It is the first year I print a small catalog of my available designs, and also the first year I manage to block a few time spots in Etourvy for meeting with publishers. Mathilde left with a few prototypes, I have sent a few card games pdfs to publishers after coming back, we’ll see if something comes out of it.

On the other hand, I was not very professional in promoting my last published games, since I had brought with me all my Oink games collection…. Save the one I co-designed with Jun Sasaki, Whale to Look. Flavien Loisier, who distributes Oink games in the UK, didn’t bring it either since he thought I would have several copies. Luckily, I could ask Eliette and Jeremy Fraile, who were joining us on Friday and had left with one of the advanced copies last year, to bring it so that I could have it played and take a few pictures.

There were also advance copies of several of my upcoming games. 6 Suspects, to be published by Matagot in October, is in fact already printed and regularly demoed at conventions. The first boxes of Migo, just arrived from China by airplane, were brought by the publisher, Antoine of Ghost Dog Games, who also had a publisher prototype of another small card game to be published in the same collection, whose name has not been decided yet – Fruit of the Doom, Fruit Salad, Fruit Cocktail – what do you prefer ? Cedric had managed to find, in the Asmodean labyrinths, the one preprod copy of Animots, a fun children game designed with Anja Wrede, which should hit the shelves in August.

Many other games just arrived or soon to arrive in the shops were intensively played. Publisher or designer might have been pushing one or the other, but it would not have worked without some good buzz. This was the case for two of the three big hits, The Gang and Harmonies, but the third one, Surfosaurus Max, managed to succeed by itself, without being specifically pushed by anyone.

Let’s start with the most numerous and the most played, the small card games. Surfosaurus Max, by Ikhwan Kwon and The Gang, by John Cooper, John Cooper (!) and Kory Heath are both original variations on poker, the first one half and the second fully cooperative. Prey Another Day, by Matthew Dunstan and Brett Gilbert, might be the best variation ever on Rock, Paper Scissors and will become a classic – but the French players all regret that the crazy art of the German and English version will be replaced in the French one. Courtisans, by Romaric Galonnier and Antony Pérone, is selling so well that the Catch Uo team could bring only one copy, having sold all the other ones but it was played intensively.

Oussama Khelifati didn’t look convinced by « Duck and Cover », the name chosen by Captain Games for his fast and clever card game ; I really like the pun in the title, but it’s true that few people will get it out of the US. Dekal, by Claude Clément, reminded me that I should one day write an article explaining to publishers that there’s no point in always reinventing the box, especially when the result seems to be designed specifically to help players lose cards. Like Dekal, Flowers, by Paul-Henri Argiot et Diciasette, by Munetoshi Harigaya, are games with just numbers of the cards. I don’t know how they play, but people were obviously enjoying them. Odin, by Yohan Goh, Hope S. Hwang and Gary Kim, is a shedding  game, a trending genre. I enjoy seeing the orientalism of western games more and more balanced by the occidentalism of eastern ones – though to be honest, in this case, I don’t know if the setting comes from the designers or the publisher.

Among the small Oink games, the most liked were Rafter Five, by Mashiu and Jun Sasaki, and Order Overload Café, by Jun Sasaki, and of course Whale to Look. Manu Rozoy and Guillaume Montiage were making the last adjustments to a game I will have to discuss in more details here one of these days. Bruno Cathala and Antoine Bauza were demoing the Lord of the Ring  version of Seven Wonders Duel, which was much praised and whose name I have forgotten, and I saw one or two other Tolkien games. The Star Wars universe was also present, mostly with Frédéric Henry’s Bounty Hunters, which seem to be both simple and deep. Mantis, by Ken Gruhl and Jeremy Posner, was already here last year, but seems to have been really discovered by most players this year, and it was a hit.

I have far fewer things to say, and titles to list, about bigger boxes with pawns, tokens, board and all that stuff. A few brand new games were played a lot. The team behind Harmonies had seriously prepared the event. The designer, Johan Benvenuto, the artist, Maeva da Silva and the publisher, Libellud, were all there, and had brought a giant game with cute animal figures. Harmonies, the game Cascadia should have been – I don’t like Cascadia – was probably the most played relatively long and serious game. Laurent Escoffier and Charles Chevallier were explaining Loot, but it feels a bit like they are doing this every year. Eric Hong’s Vale of Eternity, as well as Paolo Mori and Remo Conzadori’s Captain Flip were hits, even when they don’t look as nice on the photos as Paul Schulz’s Balconia. Anyway, while these five games are a bit more than light card games, they are not hardcore gamer’s stuff either. All these games last thirty or forty minutes, their boxes are not that big, and they are aimed at casual gamers (what many call families, but all casual gamers are not families).

Walking by a table occupied by an impressive boardgame, I heard a player say “My fireworks score one point for each black knight” – it looks like it was Theo Rivière Ghislain Masson prototype.

Clearly, the trend in Etourvy this year was not hardcore gamers games with hundreds of cards and miniatures, even when dedicated players tried all the various iterations of Dune Imperium, and when a few monstrosities I cannot name appear here and there on the pictures. Among the new stuff, the heaviest game which seemed to be played and discussed a lot was The White Castle by Israel Cendrero and Sheila Santos – we’re back to classic orientalism, or rather exoticism since it’s more or less a follow-up on The Red Cathedral, may be the next one will be the Green Vault. I also heard good things of Apiary. Big and intricate games have not lost all of their appeal, and the incredibly heavy boxes sent by Awaken Realms were still the first to be taken on the prize table.

Roll & Write seemed to have largely disappeared, almost as fast as they came in a few years ago. On the other hand, I saw many collaborative social deduction games, like Perspectives, Suspects, Back Stories or Mysterium, whose designer Oleksandr Nevskiy was demoing a much darker version. I didn’t write down the names of all these games, and don’t know what was already published, being published or just designer prototypes.

A few hidden gems are played every year at Etourvy, and they still appear on the pictures. There’s Krazy Wordz, a party word game by Dirk Baumann, Thomas Odenhoven et Mathias Schmitt, which deserves a better edition with nice themes and Scrabble like tokens, Word on the Street by Jack Degnan, another clever word game, and my favorite betting game, Cursed Court by Andrew Hanson. This year, I was thrilled to see even older stuff being played, especially Cosmic Encounter and Full Metal Planet, the latter explained by one of its designers.

These last two years, there has been much talk of a comeback of tabletop role playing games. Tabletop RPG had disappeared from Etourvy after the very first years, but it is now back. There was always a table of hooded RPGers in some dark corner. Manu started, and it accelerated after Camille arrived on Friday night. It is tempting to oppose players of good old boardgames to nerds playing video games and RPGs, but all market studies have shown it’s wrong – these are mostly the same people. 

Boardgame topics

Of course, we don’t spend all our time playing games. There were also many discussion about the state of the gaming business. There were very different analysis of what recently happened to Asmodee, including among people working at or with Asmodee. We talked about the recent slackening of sales, and the difficulties of several small publishers, especially those specialized in heavy boxes and kickstarters. If everyone moves to micro card games, it’s certainly good for designers like me, but it means this market will also soon become overcrowded.  We discussed the growing place of East Asia in the design, the publishing and the sales of boardgames, and the absence of significant differences between Asian and Western games – there were few foreigners in Etourvy this year, but Korean and Japanese publishers had sent many games. We regretted the aging demographic of gamers, even when it seems to be more noticeable in the US than elsewhere. Some praised and other lamented the extinction of trolls and dragons and the invasion of trees and animals. There were certainly other interesting discussion I missed about small and big boardgame related topics.

We’ll do it again next year…

Portraits de joueurs par Antoine Bauza
Gamers portraits by Antoine Bauza

Mes photos
My pictures

Photos de Dylan
Dylan’s pictures

Photos d’Eliette
Eliette’s pictures

Photos de Fred & Nath
Fred & Nath’s pictures

Photos de Laurène
Laurène’s pictures

Photos de Lia-Sabine
Lia-Sabine’s pictures

Photos de Marie Giordana
Marie Giordana’s Pictures

Photos de Maud
Maud’s pictures

Photos de Pénélope
Pénélope’s photos

Photos de Sandra
Sandra’s pictures

Photos de tous les autres
Pictures by everyone else