Lorsque j’explore mon disque dur, je constate que le dossier « Argo » a été créé le 8 février 2002, mais on peut remonter plus loin encore. Dès les années 90, Serge et moi avions en effet pensé à un jeu de tuiles sur un thème de science-fiction. J’ai le très vague souvenir de discussions sur le thème du « point central » qui apparaît dans quelques aventures de Valerian et Laureline – une vaste station spatiale constituée de modules très variés accrochés là par des espèces extra-terrestres toutes plus exotiques les unes que les autres. Je ne sais plus si cette idée nous est venue avant ou après Castel, mais il y avait de toute évidence un lien. Il y en a un aussi avec Kheops, notre jeu de tuiles triangulaire et labyrinthique, conçu plus tard, et qui lui aussi ressort bientôt.
Un jour, je ne sais plus quand, je ne sais plus pourquoi, plusieurs années après que le très vague projet de Point Central avait été abandonné, nous avons recommencé à parler d’une station spatiale. Les modules ayant chacun un pouvoir différent étaient toujours là, mais les occupants de la station en construction étaient désormais tous des humains, équipes rivales devant tout à la fois construire la station spatiale en accrochant les modules l’un à l’autre et lutter contre les aliens désireux de s’y installer. Je me souviens d’un premier prototype dans lequel les modules avaient plusieurs types de connecteurs – USB, VGA, parallèle, SCSI (c’était il y a longtemps) – ce qui rendait les assemblages problématiques….. Dès l’origine, il y avait donc des aliens, et l’objectif était que les équipes rivales se fassent bouffer pendant que nos gars s’échappaient à bord des navettes. Les salles n’étaient peut-être pas exactement les mêmes qu’aujourd’hui, mais l’idée des effets différents obtenus en activant les différents modules était déjà là. Les astronautes, en revanche, étaient tous identiques, et le sont longtemps resté. Pour le nom, nous avons pas mal hésité – je me suis fixé sur Argo, qui me semblait un nom assez indiqué pour un vaisseau spatial, tandis que Serge préférait le moins original Space Station, arguant avec raison que ce que l’on construisait était plus une station immobile qu’un vaisseau en voyage.
Pendant un ou deux ans, les versions du jeu se succédèrent, avec une tendance très nette de Serge à en rajouter, dans les mécanismes comme dans le matériel. Je présentai le jeu à quelques éditeurs et, très rapidement, Fantasy Flight Games décida de le publier. Je viens de fouiller dans mes dossiers et ai même retrouvé le contrat, daté de mai 2005. Nous commencions déjà à imaginer une grosse boite, avec des modules en cartons épais et de jolies figurines d’astronautes et d’aliens. Il était évident que, si nous voulions coller au style baroque et violent des jeux de Fantasy Flight, et justifier l’utilisation de figurines différentes, il fallait imaginer, pour les différents astronautes, pilote, space marine ou scientifique, des pouvoirs spécifiques. Un an plus tard, lorsque FFG, qui s’était lancé dans trop de projets simultanément – une de leurs habitudes – renonçait au projet, Serge et moi nous retrouvâmes donc avec un jeu qui avait pris du poids, mais auquel cela réussissait assez bien.
C’est donc cette nouvelle version que nous avons commencé, en 2007, à montrer à d’autres éditeurs, dont plusieurs se montrèrent intéressés, mais dont aucun ne donna finalement suite. Il était alors assez difficile de vendre des jeux de science-fiction, et j’ai d’ailleurs toujours dans mes cartons un bon petit jeu de bluff, les Pirates de l’Espace, conçu à la même époque. J’ai du imprimer une dizaine de stations spatiales envoyés à Edge, Matagot, Asmodée et quelques autres, en vain.
De temps à autre lors des week-ends de jeu, je ressortais ce prototype que j’aimais bien et, en 2012 (je crois), aux rencontres ludopathiques (je crois) Flatlined Games, c’est à dire Eric Hanuise, petit éditeur Belge, nous annonça qu’il était prêt à publier notre jeu – mais ce n’était que le début d’une autre histoire. Flatlined n’est pas Fantasy Flight, et notre concept avait peut-être un peu vieilli. Bref, l’éditeur souhaitait un jeu plus accessible, plus rapide, moins touffu et, en un sens, plus moderne. Argo entama alors sous la ferme direction d’Eric une cure d’amaigrissement. La plupart des éléments sont toujours là – les aliens, les navettes, les salles et les astronautes aux capacités variées – mais tout a été allégé. Plus de cases sur les tuiles, plus de règles de déplacement compliquées, on va d’un module à un module voisin. Eric, auquel le jeu final doit sans doute autant qu’à Serge et à moi, imagina en outre de donner aux aliens la possibilité de l’emporter s’ils éliminent suffisamment d’astronautes, mais on reste très loin d’un jeu coopératif.
On continue à pousser ses copains dans les bras des aliens ou à les téléporter dans l’espace pour faire de la place, à faire lâchement décoller des navettes avant qu’elles ne soient pleines, et les robots, que les aliens ignorent, rigolent bêtement en voyant leurs courageux maîtres humains se faire dévorer. Il n’y a pas de place pour tous dans les navettes de sauvetage, mais nous sommes dans un futur où il n’y a plus d’enfants et où l’égalité entre les sexes s’est définitivement imposée – c’est chacun pour soi, les plus forts et les plus malins d’abord.
Argo
Un jeu de Bruno Faidutti et Serge Laget
Illustré par Miguel Coïmbra et Alexandre de la Serna
2 à 4 joueurs – 40 minutes
Publié par Flatlined Games (2015)
Tric Trac Ludovox Boardgamegeek
Browsing through my hard disk, I’ve just noticed that the Argo folder was created on February 8th, 2002 – thirteen years ago. I can go even farther back, in the nineties, when Serge and I first considered designing a tile laying science-fiction game. I have vague memories of discussions of “Central Point”, a gigantic baroque space station made of modules haphazardly attached by exotic alien species which appears in many of the issues of Valerian and Laureline, a French sci-fi comics from the seventies. I don’t remember if we had this idea before or after designing Castle, but there’s obviously a link with this game, as well as with Kheops, our triangular and labyrinthine tile game which will soon get a new edition.
Some day, I don’t remember when or why, years after the Central Point project had been abandoned, we came back to the space station idea. There were still modules with various effects and powers, but the builders of the station were now all humans, rival teams vying both in building and taking control of the station…. while fighting the aliens who were also trying to settle in. I remember a first prototype in which modules had different kinds of connectors – USB, VGA, parallel, even SCSI (this was years ago…) – which made the assembly a bit tricky.
Aliens were there from the beginning, and the goal was to escape them and flee the station in emergency shuttles while other team were devoured. The rooms were not exactly the same as in the final versions, but they already had each a different effect which had to be triggered after taking control of them. Astronauts, on the other hand, were all the same, without any specific abilities, and it stayed so for quite long. I named my prototype Argo, a name that sounded fit for a spaceship, while Serge remarked that what we were building was more a motionless station than a travelling ship, and called his simply Space Station.
Two years long, we worked on this game. Serge had a natural tendency to add rules and stuff, and I let him go with it. I showed the game to a few publishers, and Fantasy Flight Games almost at once decided to do it. I just looked in my contract folders and even found our contract, signed in May 2005. Serge and I were already imagining a big box full of heavy cardboard modules and large alien and astronaut miniatures. Obviously, if we wanted to fit in FFG’s baroque game design style, and give some rationale to the different astronauts miniatures, the game needed different abilities for the different astronauts – pilot, space marine, scientist… One year later, when Fantasy Flight, who had started working on too many games at once, abandoned the project, our game had took some weight, but was carrying it easily.
So, in 2007, we started showing the new version of our space station building and escaping game to other publishers. Several showed some interest, but no one decided to make the game. Science Fiction games had a reputation of being bad sellers, and I still have on my shelves a nice science-fiction bluffing game designed at the same time, Space Pirates. I have printed about ten space stations, and sent them to Edge, Matagot, Asmodée and some other, all in vain. We gave up, but these became one of the old prototype that I still play from time to time.
In 2012 (if I remember well) at the ludopathic gathering (if I remember well) I played a game of Argo with Eric Hanuise, of Flatlined Games, a small Belgian publisher – and he decided to publish it. This was not the end of the story. Flatlined is not Fantasy Flight, and our game had aged a bit. Eric wanted something slightly faster, lighter, not just old style FFG stuff. Under his firm direction, Argo entered a slimming program. Most elements are still there – aliens, shuttles, astronauts and modules with different effects and abilities – but everything feels lighter. No more spaces on the module tiles, no more complex movement rules, movement is just from one room to an adjacent one. Eric, who has probably spent more time than Serge and me in developing this last version, added a possibility for the aliens to win the game if they devour enough astronauts, but it’s still very far from being a cooperative game.
We still push fellow astronauts into the aliens’ arms, or into sketchy teleporters that can send them directly into deep space, in order to make more room in the shuttles. Shuttles still often leave the station before being really full. Robots are completely ignored by aliens, and giggle when they see their masters devoured. Well, there’s no room from every astronaut in the emergency life shuttles, and since we’re in a bright future with no more kids and achieved sex equality, it’s every man for himself, the strongest and shrewdest ones first.
Argo
A game by Bruno Faidutti & Serge Laget
Art by Miguel Coïmbra & Alexandre de la Serna
2 to 4 players – 60 minutes
Published by Flatlined Games (2015)
Boardgamegeek