L’uchronie Steampunk
L’Empire Britannique à la conquête de Mars.
The British Empire flies to Mars.
Deux de mes jeux, Mission : Planète Rouge et Novembre Rouge sont situés dans l’univers fantastique et uchronique qu’il est convenu d’appeler Steampunk. Le Steampunk est, du moins dans sa variante la plus répandue, que l’on pourrait appeler victorienne, un monde dans lequel la science de la révolution industrielle, celle des machines à vapeur, des dirigeables, des calculateurs mécaniques, a connu des développements fabuleux, allant parfois jusqu’à la conquête et la colonisation de Mars par les empires britanniques et allemands, grâce à de gigantesques navires spatiaux. Autant qu’une thématique, c’est, comme le montrent les boîtes de jeu qui illustrent cte article, une esthétique, mécanique, cuivrée et enfumée.
Un bon gros jeu de figurines, avec des cuirassés volants. En général, la thématique steampunk met en avant l’empire britannique, mais ici c’est un navire français qui est au premier plan.
A miniature game with flying dreadnoughts. Note that the forefront ship is French and bot British, the only unusual feature of this typical steampunk picture.
Le prototype de Mission : Planète Rouge s’appelait simplement Mars, et relevait de la science fiction réaliste; celui de Novembre Rouge s’appelait Sauvez le Kursk, et relevait de l’humour noir. Ce sont les éditeurs, Asmodée et Fantasy Flight Games, qui ont choisi pour Mission: Planète Rouge et pour Novembre Rouge cette thématique et l’univers graphique très particulier, tout en engrenages, en machineries, en fumées grises et rousses, qui lui est conventionnellement associé. Ils ne sont pas les seuls à avoir fait ce choix, et les jeux de société Steampunk sont de plus en plus nombreux. Ils comptent quelques chefs d’œuvre comme Planet Steam, Wiraqocha ou Sky Traders. Même dans des jeux qui n’ont thématiquement rien de Steampunk, comme Thèbes ou la dernière version d’Evo, le style graphique pointe le bout de son nez cuivré avec des roues du temps qui semblent les engrenages de gigantesques machines. Il est vrai que, autant qu’un thème, le Steampunk est une esthétique aux codes assez précis – les textes y parlent d’acier, mais sur les illustrations, cet acier a toujours la couleur du bronze ou du cuivre. Si Full Metal Planet était un peu moins bleu, si Funkenschlag était un peu moins vert, et s’ils étaient plus rouges, plus bruns, plus gris, ce seraient des jeux Steampunk.
Aucune idée de ce qu’était ce jeu, mais l’illustration n’est pas sans faire penser à Mission Planète Rouge.
I have no idea what this game was, but this picture reminds a bit of the box of Red November.
Cet univers est également de plus en plus populaire dans le jeu de rôles, et devient même une inspiration pour de nombreux couturiers, alors même que, contrairement à ce qu’il en est de la science fiction ou de l’Heroic Fantasy, la littérature Steampunk, qui pourrait lui servir de support, reste peu fournie. Cela ne veut pas dire qu’elle ne soit pas parfois de grande qualité, et souvent d’une impressionnante érudition, comme dans les délires de David Calvo ou dans le foisonnant Against the Day, de Thomas Pynchon, récent chef d’œuvre du genre.
Pourquoi donc l’univers Steampunk convient-il si bien aux jeux ?
Parce qu’il a une forte cohérence graphique, ce à quoi les éditeurs désireux de mettre en avant leurs produits sont de plus en plus attentifs. Parce que, comme tous les mondes un peu fantastiques, il permet de justifier aisément bien des effets ou mécanismes de jeu, ce qui est bien pratique pour les auteurs. Parce qu’il est suffisamment exotique et décalé pour faire rêver les joueurs, mais reste proche de nos angoisses techniciennes et écologiques – et sur ce dernier point, un parallèle avec la mode des vampires, qui vivent aussi souvent à la fin du XIXème siècle et nous renvoient à d’autres angoisses, serait sans doute intéressant. Et surtout, sans doute, parce qu’auteurs, joueurs et éditeurs se sont un peu lassés d’univers imaginaires plus classiques.
De toutes les boites de jeux que j’ai utilisées pour illustrer cet article, c’est la seule que je trouve moche, mais le jeu est peut-être très bon.
I don’t know if the game is good, but this is the only picture I really don’t like among the many ones I used in this post.
Cinq jeux Steampunk
Donc, pour ceux que cet univers intéresse, voici cinq bons jeux Steampunk – dont deux auxquels j’ai participé, je sais.
À la fin des années quatre-vingt, le jeu de rôles Steampunk Space 1889 connut un certain succès. Les puissances coloniales européennes, au premier rang desquelles l’empire britannique, s’y affrontaient dans un “scramble for Mars”, avec les martiens dans le rôle des zoulous. Excepté un jeu de combat de miniatures, Sky Galleons of Mars, dont j’ai depuis plus de vingt ans une boite avec laquelle je n’ai jamais joué, aucun jeu de société n’est, je crois, situé dans cet univers. Mission : Planète Rouge, comme je l’ai expliqué plus haut, à d’abord été conçu dans un univers de science fiction futuriste plus classique, avec des états ou des grandes multinationales rivalisant pour le contrôle des principales zones de la planète Mars. Un jeu de majorité, donc, de la famille d’El Grande ou de San Marco, sur lequel Bruno Cathala et moi avons greffé un système de personnages plus ou moins inspiré de Citadelles. La thématique Steampunk, décidée par l’éditeur, convient pourtant fort bien au jeu, et l’on imagine bien les grandes puissances coloniales, France, Grande Bretagne, Allemagne et quelques autres, partant à la conquête de Mars dans des fusées à vapeur. Les dessins sont l’œuvre du talentueux Christophe Madura, qui semble bien aimer le genre. Si vous aimez Citadelles, ou si vous appréciez le tout nouvea Libertalia, essayez-donc de vous procurer une boite de Mission : Planète Rouge, il en reste quelques unes dans quelques boutiques.
Les personnages typiquement steampunk de Mission : Planète Rouge
The typically steampunk characters in Mission : Red Planet
On imagine mal des machines à vapeur dans les profondeurs océaniques. Les sous-marins sont pourtant partie intégrante de l’univers Steampunk, qui doit un peu à Jules Verne et, en particulier à Vingt-mille lieues sous les mers. Sauvez le Kursk, le jeu de coopération que j’avais imaginé avec mon ami Jef Gontier, à fait rire bien des éditeurs mais était difficilement publiable en l’état. On a pensé à déplacer l’action dans une station spatiale, mais cela impliquait beaucoup de changements dans la structure du jeu. Les gens de Fantasy Flight Games ont donc imaginé de neutraliser un peu l’humour noir du jeu en faisant du Novembre Rouge un sous-marin à aubes et à vapeur piloté par des gnomes, et en chargeant Christophe Madura, déjà cité plus haut, de lui donner une esthétique Steampunk. Mission accomplie, et ce jeu de coopération plein de rebondissements, aussi drôle que tendu, est un succès qui ne se dément pas.
Novembre Rouge, un sous-marin gnome russe et à vapeur.
Red November, a russian gnome steam-propelled submarine
Planet Steam, de Heinz Georg Thiemann, est un bon gros jeu de gestion à l’allemande, un de ces jeux où l’on investit pour produire des cubes en bois – pardon, pour extraire des matières premières – que l’on cherche ensuite à revendre avec profit. Superbement édité dans une énorme boite, ce jeu exploite remarquablement le thème de la planète fumante sur laquelle les corporations multinationales s’affrontent pour prospecter, pour installer des plateformes de forage au dessus des lacs de lave en fusion, pour extraire les précieux minerais, et pour affréter de gigantesques vaisseaux capables de les emporter. C’est un jeu de commerce, de gestion, un bon gros jeu qui prend la tête et qui,soutient aisément la comparaison avec Funkenschlag ou d’Age of Steam.
Planet Steam – il y fait trop chaud pour que ce soit Mars.
Planet Steam – too hot to be Mars
Dans Wiraqocha, de Henri Kermarrec, nous ne sommes pas sur Mars, mais plus près de chez nous, dans la jungle mexicaine où des explorateurs cherchent à mettre la main sur les secrets perdus de la technologie inca et sur les riches gisements de somnium, un minerai source d’une énergie quasi-inépuisable. Le steampunk inca, qui donnerait sans doute un très mauvais film et un médiocre thriller, a produit un excellent jeu de placement et d’affrontement, plus tactique que stratégique, très agressif et plein de rebondissements, dans lequel il faut savoir s’adapter et saisir la moindre opportunité. Au premier coup d’œil, ça ressemble un peu aux Colons de Catan, mais ça se joue plus comme un croisement entre Neuroshima Hex et Alien Frontiers.
Les artefacts incas de la vallée de Wiraqocha
Incan artifacts from the Wiraqocha valley
L’univers de Sky Traders, de Gioacchino Prestigiacomo, n’est pas à proprement parler Steampunk, puisque la divergence technologique s’y est produite avant la révolution industrielle, au tournant des XVIIème et XVIIIème siècle. Dans ce monde ou Descartes aurait eu raison contre Newton, des navires de bois, propulsés au gaz phlogistique, voguent dans l’espace sur des tourbillons d’éther. Un peu long mais très fluide et plein de rebondissements, Sky Traders est un gros jeu à l’américaine, avec des la baston, des cartes action, de la négociation et des lancers de dés, dans lequel le thème, omniprésent, est traité avec humour et intelligence. Dans le genre “pick-up and deliver” ameritrash, je trouve ça plus sympa et plus moderne que Merchant of Venus.
Sky Traders, un look vénitien qui change du steampunk victorien.
Sky Traders, more venitiana than victoriana.
Et ce n’est pas fini… dix minutes sur le boardgamegeek m’a fait trouver trois jeux Steampunk à paraître dans les mois qui viennent – Mars needs Mechanics, City of Iron et Kings of Air and Steam. À priori, c’est City of Iron qui a l’air le plus prometteur.
City of Iron, sur Kickstarter – mais un peu cher quand on n’est pas aux États-Unis.
City of Iron, on Kickstarter, but too expensive if you’re not in the US.
Quelques figurines du jeu Dystopian Legions.
Miniatures for Dystopain Legions.
The Steampunk uchrony
The action of two of the games I designed, Mission : Red Planet and Red November, is supposed take place in the fantasy and uchrony setting known as Steampunk. Steampunk is, in its most popular victorian version, a world in which the science of the industrial revolution, steam engines, Zeppelins and mechanical computers, have been developed to a fabulous level, allowing for example to the conquest and colonization of Mars by the British and German Empire using gigantic ether or steam propelled spaceships. Steampunk is a fantasy setting, but it’s also, and may be even more, a mechanical, rusty and smelly esthetic, as can be seen on the various game boxes and cards inserted in this blogpost.
Sky Galleons of Mars, sans doute le premier jeu de société Steampunl.
Sky Galleons of Mars, probably the first Steampunk boardgame.
The prototype of Mission: Red Planet was simply called Mars, and was more realistic hard science-fiction. Red November’s one was called Save the Kursk and was dark and somewhat tasteless humor. The steampunk setting, and the associated graphic style heavy on red, brown and grey and dull of gears and pipes, was in both cases decided by the publisher, first Asmodée then Fantasy Flight. Steampunk games have become quite common these last years, and some of them, like Planet Steam, Wiraqocha and Sky Traders, are masterpieces. Even games which have little or nothing to do with the Steampunk universe sometimes borrow elements from its graphic style, for example with the bronze mechanical time wheels in Evo and Thebes, which look like piece from giant mechanical watches. In the end, steampunk is probably more a graphic style than a fantasy setting – steampunk texts talk of iron, but on the pictures, this iron always looks more like bronze or copper. If Full Metal Planet were less blue, if Funkenschlag were less green, and if both were more rusty brown, they would be steampunk games.
Un clone steampunk de Citadelles.
A Steampunk Citadels clone.
This universe is also quite popular in role playing games, and even in fashion, when steampunk literature, which should be the basis for all this, is still scarce. On the other hand, it’s often – not always – clever and erudite, like Thomas Pynchon’s Against the Day, the best steampunk novel I ever read.
So, why so many Steampunk games ?
Because the steampunk world is graphically consistent, and this helps publisher highlight their games. Because, like all fantasy settings, it allows for easy explanation of any strange rule or card effect. Because it’s enough exotic and out of line to make players dream of a fantasy world, and still very near from our technical and ecological concerns. A comparison with vampire settings, which are also quite popular in gaming, are also mostly late XIXth century, and bring forth other contemporary concerns, could be interesting. But may be, more simply, gamers, authors and publishers are just looking for imaginary settings other than the frequently used heroic fantasy and science fiction.
Un steampunk au look plus germanique que britannique.
A steampunk game with a name that sounds more German than British.
Five steampunk games
Anyway, if you’re looking for Steampunk games, here are five good ones – including two of mine, I know.
The Steampunk Space 1889 tabletop role-playing game achieved some success in the late eighties. If features the British Empire and the other European colonial powers in a “scramble for Mars”, with wild martians as Zulu warriors. There was a miniature game based on it, Sky Galleons of Mars, and I happen to own a box of it, still unplayed after twenty years. As I explained earlier, Mission : Red Planet wasn’t originally designed in a steampunk universe. It was more typical science fiction, with major companies from all over the world vying to settle on Mars and exploit its precious ore. It was a classical wooden-cubes majority game, like El Grande or San Marco, on which Bruno Cathala and I had grafted a character card system more or less inspired by Citadels. The steampunk style and setting was decided by the publisher, but fits the game very well, and it’s easy to imagine the XIXth century colonial powers launching steam rockets to Mars. The gorgeous and sometimes unsettling graphics were made by Christophe Madura, who seems to like the steampunk genre. Mission : Red Planet is out of print, but if you like Citadels, or the brand new Libertalia, it might be worth trying to find a copy.
Mission Planète Rouge – le cosmonaute en haut de forme est un peu inquiétant.
Mission : Red Planet – the top hat astronaut looks a bit scary.
Though it’s hard to imagine steam engines in the deep seas, submarines are a not uncommon in steampunk settings, partly because Jules Verne, and most of all among his books Twenty Thousand Leagues under the Sea, is often considered a precursor of the steampunk genre. Save the Kursk!, the cooperation game I had designed with my friend Jef Gontier, was probably impossible to publish with its original setting. We thought of moving the action into a space station, but this meant too many changes in the game’s structure. The Fantasy Flight Games team had the idea of making the storyline harmless with having the submarine driven by gnomes – Jef and I insisted on Russian gnomes – and asking the same Christophe Madura, who has already illustrated Mission : Red Planet, to give it a steampunk style. The result is gorgeous, and Red November is a best-seller translated in many languages – though not Russian.
Une vue en coupe d’un sous-marin steampunk.
A cross section of a steampunk submarine.
Heinz-Georg Thiemann’s Planet Steam is a heavy German style management game, a game about investing in in producing wooden cubes of different colors – or rather in extracting various ores – and then selling them at the best price. The graphics, by Czarné, and the gorgeous production, help feel the heat and smell of the fuming planet. That’s probably why this game feels more thematic than most management eurogames. Players are space tycoons prospecting the hot red planet, building drills over the magma lakes, extracting the precious ore and sending them to earth in giant spaceships. Planet Steam is a trading and management game, a typical “woodenkubs” game, but it’s a really good one and it stands the comparison with better known ones such as Funkenschlag or Age of Steam. There were talks of a US edition, but it seems to have been cancelled.
Les personnages très steampunk de Steam Planet.
The steampunk characters in Steam Planet.
In Henri Kermarrec’s Wiraqocha, the action doesn’t take place on a faraway planet but in the Mexican jungle, where fierce explorers try to uncover the lost and powerful artifacts of inca technology, and the rich deposits of somnium requested to activate them. Inca Steampunk could have made a terrible movie, and a mediocre thriller, but it makes a great tactical game placement and war, aggressive and dynamic, in which, like in Alien Frontiers, one must make the best use of one’s dice rolls. It looks like Settlers of Catan, but it plays like a mix between Alien Frontiers and Neuroshima Hex.
Masque inca ou machine steampunk ?
Inca mask or steampunk engine ?
Gioacchino Prestigiacomo’s Sky Traders is not, strictly speaking, a steampunk game, but it has a very similar look and feel. The technological divergence has happened before the industrial revolution, in the late XVIIth or XVIIIth century. Descartes was right, Newton was wrong, and wooden spaceships propelled by phlogiston travel on the ether whirlwinds. Sky Traders might a bit too long, but it’s fluid, nasty, and full of twists and turns. It’s a good “ameritrash” game, with dice, random event cards, negociations, and of course boarding parties. The theme is strong, clever and humorous – it’s probably a better pick-up and deliver game than the old Merchant of Venus, and certainly a more modern one.
Marchands de l’espace, mais aussi pirates de l’espace.
Sky Traders are also Space Pirates.
Of course, there will be more. In ten minutes on the boardgamegeek, I’ve already found three Steampunk games to be published in the coming months – City of Iron, Mars needs Mechanics and Kings of Air and Steam. City of Iron looks the most promising.
City of Iron, un jeu à voile et à vapeur.
Sorry, untranslatable pun.