Novembre Rouge
Red November

Le Thème :
Les temps sont durs à bord du Red November, sous-marin d’attaque de la marine russe gnome. Tous les voyants semblent soudain passer au rouge, et les sirènes d’alarme retentissent.
Vous avez appelé à l’aide par radio, mais les secours ne seront pas là avant une heure. Vous devez donc tenir soixante longues minutes à bord, avec la pression d’eau sur les structures qui augmente dangereusement, le réacteur nucléaire qui surchauffe, les missiles nucléaires qui font de l’auto-allumage, les incendies et voies d’eau qui se multiplient. Sans compter que l’oxygène et la vodka commencent à manquer.

La mécanique :
Red November est un jeu de coopération. C’est tous ensemble que les joueurs devront sauver le sous-marin. Dans un scénario qui ressemble de plus en plus à un film catastrophe, ils doivent sorganiser au mieux pour affronter les dangers, se répartir les tâches de manières à minimiser les risques, et parfois accepter de se sacrifier pour la cause.

L’histoire :
L’idée est née dans la voiture, en route pour Essen avec Serge Laget et Bruno Cathala. La discussion tournait sur les Chevaliers de la Table Ronde, et les différents thèmes qu’il serait possible de traiter avec des mécanismes similaires. On pensa bien sûr d’abord aux corpus les plus proches de la Table Ronde. Nous causâmes de Star Wars, pour lequel l’adaptation serait très simple, d’une histoire de Super Héros à laquelle je ne compris goutte car je ne connais rien à cet univers, puis des Apôtres, parmi lesquels il serait assez amusant de ne pas savoir qui va trahir. Le naufrage du Koursk étant encore frais dans les mémoires, je lançais l’idée du sous-marin en perdition dans lequel il fallait survivre jusqu’à l’arrivée des secours. On passa ensuite à autre chose, mais je gardais l’idée dans un coin de ma tête.

Quelques années plus tard, elle resurgit lors d’une discussion avec l’un de mes amis joueurs, Jef Gontier, qui dans la vraie vie travaille sur la mise au point des moteurs des sous-marins nucléaires français. Nous décidâmes presque immédiatement de nous atteler ensemble à la mise au point d’un jeu dont le titre semblait évident – « Sauvez le Koursk ! ». Ce devait être un jeu de coopération sur le même principe que les Chevaliers, c’est à dire avec un grand nombre de « quêtes » – ici les problèmes qui se posent au sous-marin, moteur en panne, voies d’eau dans la coque, réacteur nucléaire en surchauffe, missiles prêts à partir… – devant être résolues simultanément. En même temps, le jeu devait être plus simple, plus rapide et, surtout, traité avec beaucoup d’humour.

Le prototype
Prototype board

Le plan du sous marin, avec ses dix ou douze salles permettant aisément de tirer un lieu au hasard en lançant un dé, fut rapidement dessiné, et laissait la place pour les différents éléments du tableau de bord – profondeur et pression extérieure, niveau d’oxygène, température du réacteur et, dans un premier temps, compte à rebours des missiles. Il y avait aussi dès l’origine deux pioches de cartes, l’une d’événements désagréables, correspondant un peu aux cartes noires des Chevaliers de la Table Ronde, et l’autre d’objets plus ou moins utiles traînant dans le sous marin, correspondant aux cartes blanches. Tout cela a peu changé entre les premières versions et le jeu publié. Les premiers ajouts à cette structure de base furent les cartes vodka, servant de joker, et la gestion du niveau d’alcoolémie, reprenant les dés aux couleurs des joueurs des Chevaliers de la Table Ronde.

Nous avons beaucoup plus discuté, et testé pas mal de variantes, sur la gestion du temps, pour laquelle nous avons finalement emprunté l’astucieux système de Jenseits von Theben, et celle des voies d’eau et incendie dans le sous marin. Ces choix étant faits, les très nombreux tests ont surtout servi à équilibrer, par tâtonnements, le jeu, afin que la victoire ne soit ni trop facile, ni trop improbable. Le Seigneur des Anneaux et les Chevaliers de la Table Ronde, les deux jeux de coopération qui ont un peu été nos modèles pendant le développement de « Save the Kursk ! », ont un même défaut. Lorsque les joueurs les connaissent bien, ils savent comment jouer pour parvenir sans coup férir à la victoire, et la seule solution est alors d’augmenter artificiellement la difficulté du jeu, en changeant la position de départ de Sauron ou en débutant la partie comme écuyer. Cherchant à faire un jeu moins sérieux, et moins technique, nous avons fait le choix de contourner le problème en augmentant sensiblement le rôle du hasard tout à la fois dans le déroulement chronologique du jeu et dans l’échec ou la réussite des actions. Ainsi, les parties se ressemblent moins, et aucune stratégie ne peut s’appliquer à l’identique dans toutes les parties. Certes, on peut tout perdre sur un coup de dés, mais c’est sans doute aussi une forme de réalisme

Il y a vingt-cinq ans de cela, j’avais pas mal joué aux horribles choses vertes de l’hyper-espace. Le jeu de Tom Wham, assez délirant, oppose deux joueurs, l’un jouant l’équipage du vaisseau spatial Znutar et l’autre les horribles choses vertes qui tentent d’en prendre le contrôle. Ce n’est qu’après que Jef et moi avions terminé Novembre Rouge que l’on nous a fait remarquer les similitudes entre les deux jeux – dans le thème du vaisseau en huis clos, la structure du plateau de jeu, et l’humour général des règles. Peut-être ai-je été un peu influencé par mes souvenirs des choses vertes en travaillant sur Novembre Rouge, mais cela n’a pas été, comme avec Les Chevaliers et jenseits von Theben, une inspiration consciente et délibérée.

Quand au naufrage du B.S.M. Pandora, un gros jeu en solitaire des années quatre-vingt, je viens d’apprendre son existence et cherche à m’en procurer un exemplaire. Sur la boite, l’espèce d’alien rougeâtre menaçant d’avaler le vaisseau spatial n’est pas sans faire passer au Kraken tournant autour du Red November. Jef et moi avons d’ailleurs effectivement, un temps, envisagé de déplacer l’action de notre jeu dans un vaisseau spatial.

Le meilleur signe de l’intérêt d’un jeu est sans aucun doute le plaisir qu’y prennent les joueurs, et leur désir de rejouer. Au week-end de jeu d’Anse, organisé par Serge Laget, ou j’amenais une version presque définitive du prototype, puis au salon d’Essen, où j’avais une boite sous le bras, « Save the Kursk ! » fut clairement, de tous mes prototypes, celui qui m’était le plus fréquemment demandé, et celui qui suscitait le plus de commentaires. Après la partie, les joueurs se remémoraient l’histoire, se la racontaient un peu comme on le fait d’un jeu de rôles. Le thème un peu provocateur y était certes pour beaucoup, mais il n’aurait pas suffi à maintenir l’intérêt si les mécanismes du jeu n’avaient pas tenu la distance. Autre bon signe, l’intérêt que plusieurs éditeurs portèrent rapidement au jeu, même si beaucoup reculaient rapidement effrayés par le thème d’assez mauvais goût et pas très politiquement correct.

Un des premiers tests.
One of the first test sessions.

Bien sûr, le naufrage du Kursk n’était pas un thème anodin mais, un peu comme avec le sexisme de la Vallée des Mammouths, j’espérais neutraliser le mauvais goût par un recours appuyé à l’humour. Le rôle de la vodka, les vieux numéros de Playboy (finalement disparus de la version publiée), tout cela devait aider à faire prendre au second degré un jeu que, d’ailleurs, j’imaginais volontiers illustré par mon ami Gérard Mathieu. Malgré tout, le thème coinçait un peu, et je finissais par promettre à Croc que, si au bout d’un an personne ne voulait du sous-marin russe, on lui bricolerait une station spatiale écossaise carburant au whisky. Deux éditeurs américains, Z-Man et Fantasy Flight Games, se déclarèrent finalement intéressés pour prêts à publier le jeu en conservant le thème du sous-marin, et nous choisîmes Fantasy Flight Games, qui semblait très motivé et prêt à aller vite.

Novembre Rouge est paru en même temps qu’un autre jeu coopératif, Ghost Stories, de mon ami Antoine Bauza. Novembre Rouge penche plus du côté fun, immersif (en quelque sorte) et aléatoire et Ghost Stories plus du côté stratégique et calculatoire (Ameritrash et Eurogames en jargon de joueurs). Il est d’ailleurs curieux qu’à partir d’un thème assez loufoque – la série de films Histoire de Fantômes Chinois – Antoine ait créé un jeu très sérieux et stratégique, et qu’à partir d’un scénario plus dramatique, Jef et moi ayions imaginé un jeu plus léger et humoristique. Bref, nous ne nous faisons pas trop concurrence. On aurait même pu organiser quelque chose ensemble pour la sortie de nos jeux, avec de la vodka et de l’alcool de riz, mais Antoine ne boit pas d’alcool. Ludovic Maublanc, maintenant Antoine Bauza, bientôt peut-être Gwenaël Bouquin, cette tendance des jeunes auteurs de jeux à ne pas boire d’alcool ne laisse d’ailleurs pas d’inquiéter quant à l’avenir du métier.

La première édition de Novembre Rouge s’est fort bien vendue, mais beaucoup de joueurs se sont plaints de la petite taille des pions et du plateau, même si elle contribuait à l’ambiance claustrophobe. Le premier tirage étant épuisé, Fantasy Flight a finalement réédité le dans une boite plus grande, avec des cartes à la place des petits jetons, et un plateau de jeu sur les quels les gnomes se marchent un peu moins sur les pieds. C’est cette version, en boîte carrée, que vous pouvez aujourd’hui trouver en boutique.

Novembre Rouge
Un jeu de Bruno Faidutti & Jef Gontier
Illustrations de Christophe Madura
1 à 8 joueurs – 60 minutes
Publié par Fantasy Flight Games (2008)
Tric Trac    Boardgamegeek


The setting :
Hard times onboard the Red November, the brand new attack submarine, flagship of the russian gnome marine, where everythings seems to get wrong at once.

You’ve called for help on the radio, but it won’t be here before one full hour. This means you must try to survive one hour in the submarine, while the water pressure is increasing, the nuclear reactor is overheating, the nuclear missile launchers are pre-igniting, fires and water leaks are everywhere, and there’s very little oxygen and vodka left.

The systems :
Red November is a cooperative game. All together, players are trying to save the submarine. While the story feels more and more like a disaster movie, they must get organized to solve the problems, divide the tasks among themselves to minimize the risks, and sometimes accept to sacrifice themselves for the common cause.

The Story :
It all started in Bruno Cathala’s car, on the way to Essen. We were discussing Shadows over Camelot with Serge and Bruno, and we looked for other topics which could use similar game systems. Of course, we started with the settings most similar with the Knights of the Round Table world. We discussed Star Wars, which started as an obvious Round Table rip-off before it became a more complex universe, and some Super Hero stories, but I’m totally illiterate about this and didn’t really take part. We thought it would be fun to go back to the roots of the story and make a gospel cooperation game in which you wouldn’t know which apostle will betray. The sinking of the Kursk was still fresh and dramatic news, so I suggested a wrecked Russian submarine in which you had to survive until the rescue team came in. Then we moved to other topics, but I never completely forgot this idea.

It came back a few years later, when discussing with one of my usual playtesters, Jef Gontier, who, in real life, works as an engineer on the motors of the French nuclear attack submarines. We instantly decided to start to work on a game, which was to be called “Save the Kursk!”. We wanted to design something similar with Shadows over Camelot, with several “quests” that players had to fulfill simultaneously – the “quests” being the various issues faced by the submarine, stalled motor, water leaks, overheating reactor, self-igniting missiles. We also wanted the game to be simpler, faster and, most of all, more humorous than the round table one.

We started with the map of the submarine, with ten or twelve rooms so that it will be easy to randomly determine one with just rolling a die. The general shape of the sub left enough room on the board for the various dashboard elements – water depth and water pressure, oxygen level, reactor heat and, in the first versions, missile countdown. Then we made the first versions of the two card decks, a deck of more or less bad events and a deck of more or less useful items, like the black cards and white cards deck in Shadows over Camelot. This didn’t really change between the first drafts and the final published version of the game. Among the first additions to this basic structure were the joker vodka cards, and the alcohol level indicator, using the life points dice in the players’ colors from Shadows over Camelot.

Quelques cartes du prototype
Cards from the prototype

We had more problems with the time management, turn structure and turn order, and playtested a few different systems before settling on a direct rip-off of the extremely clever time system from Jenseits von Theben. We also had much troubles with the management of water leaks and water flows in the different rooms of the sub. The real tests started when all this was settled, and were mostly used to fine tune the game difficulty, so that it was neither too easy, neither too hard to save the sub. The two other cooperative games we had in mind when design “Save the Kursk!” were Reiner Knizia’s Lord of the Rings and Bruno Cathala & Serge Laget’s Shadows over Camelot, which both have the same flaw: once players are familiar with the game, they know the one best way, the winning strategy, and can apply it systematically, so that the only way to keep the game challenging is to increase its difficulty with Sauron starting farther or with beginning the game as squire. Since we wanted to make a less serious and less technical game, we opted for a different solution. We decided to bring more luck in the game, both in the event chronologic order and in the success or failure of the players’ actions. This means that we wanted no two games to feel the same, and no strategy to be the best one for every game. This also means players can lose everything on one or two bad rolls, but it’s also what makes the game feel realistic.

Twenty-five years ago, I played several games of The Awful Green Things from Outer Space. In Tom Wham’s zany two players boardgame, one plays the crew of the Znutar spaceship, the other plays the awful green things trying to take over the ship. After Jef and I had finalized the Red November, some friends reminded us of the similarities between these games – the closed doors ship setting, the board shape, and the humor in the rules. May be I was more or less inspired by my decades old games of the Awful Green Things while working on Red November, but it was not, as with Shadows over Camelot and Jenseits von Theben, a deliberate and conscious inspiration.

As for the Wreck of the B.S.M. Pandora, a big solitaire game from the eighties, I’ve just learned about this game and I’m trying to find a copy. Obviously, the reddish alien about to swallow the spaceship looks a bit like the kraken looming nearby the Red November. Furthermore, Jef and I seriously considered, at one time, to change the setting of our game and move it into deep space.

There’s no better token of a game’s quality than the players’ fun and investment, and the fact they want to play again. I brought a near final prototype the Anse game week-end, organized by Serge Laget and his friends, and then at the Essen game fair. It was the most played, the most asked for, the most commented of all my prototypes. After the game, players were telling the story over and over, like it sometimes happens with role playing games. Of course, the provocative theme helped, but it wouldn’t have been enough if the game systems were not really good. Another good omen was the immediate interest of many publishers when I showed them the game, even when most of them soon backed down because of the controversial and bad taste theme.

Of course, the sinking of the Kursk was not a light theme but, like with the sexist rules in Valley of the Mammoths, I hoped we could neutralize the bad taste with light graphics and humor. The Vodka rules, the Playboy and Penthouse copies (an item that has disappeared from the published version) were here to indicate clearly, in case anyone still had doubts, that this was second degree. I was even imagining that the game could be illustrated by Gérard Mathieu, who did the mammoths. The theme was nevertheless a problem, and I promised to Croc, of Asmodée, that if after one year we could not fin a publisher for the submarine game, we will make a sci-fi version with a Scottish space-station running on whisky. This was not necessary, since two US publishers, Z-Man Games and Fantasy Flight Games, wanted to publish the submarine game. We opted for Fantasy Flight, which sounded highly motivated and wanted to move fast.

The main point in the Fantasy Flight editorial policy is to add orcs and trolls everywhere, so Chris Petersen wanted to change the Russian sub into a gnome sub. This was both a clever hint at Warcraft II gnomish submarines, and a way to attenuate the gloomy Kursk wreck reference, which was not very politically correct but on the other hand made for some of the game’s appeal. After some email discussion, we found an arrangement. There would be gnomes, but Russian gnomes drinking vodka. The graphics style, a mix between Steampunk and socialist realism, proves that they got our point well. We also found a clever title, less controversial than Save the Kursk! – Red November. It’s a double allusion, to the movie Red October, which featured a Russian Submarine, and to the strange and little known fact that the October revolution took place in November.

Un sous-marin gnome de Warcraft II
A warcraft II gnomish submarine

Red November was published at the same time as another cooperative game, Ghost Stories, by my friend Antoine Bauza. Red November is more Ameritrash, meaning fun, thematic and sometimes random, while Ghost Stories is more Eurogames, meaning strategic and slightly abstract. It’s strange that from a zany setting – the Chinese Ghost Stories movies – Antoine made a very serious and strategic game, when from a dramatic story, Jef and I made a lighter and humorous game. Anyway, our games don’t really compete one against the other. We could have  held a common party for the launching of the two games, with vodka and rice liquor, but Antoine doesn’t drink alcohol

First Ludovic Maublanc, now Antoine Bauza, soon, may be, Gwenaēl Bouquin, there seems to be an unsettling trend towards dryness among young game authors. this doesn’t bode well for the future of boardgaming.

Jef and I thought this game, which is more than beer and pretzels and has many components, will be published if not in a big square box, at least in a middle sized box. We were a little disappointed  when FFG decided to publish this game in a very small box, Citadels-size, with a very small board and even smaller tokens – even when this helped the claustrophobic mood of the storyline. Anyway, many players called for a greater board, and when Red November was reprinted, it was in a greater box, with a larger board, and with item cards instead of small cardboard tokens. That’s this new version, in a square box, that you can now buy in stores.

Red November
A game by Bruno Faidutti and Jef Gontier
Art by Christophe Madura
1 to 8 players  – 60 minutes
Published by Fantasy Flight Games (2008)
Boardgamegeek

Mission : Planète Rouge
Mission : Red Planet

Le Thème :

1889, tandis que, à Paris, l’exposition universelle bat son plein et les foules s’enthousiasment pour les derniers progrès de la technique, les grandes compagnies minières, soutenues par les grandes puissances européennes, préparent la conquête de Mars et l’exploitation des fantastiques richesses de son sous sol.

Chaque joueur, à la tête de l’un de ces grands groupes, s’efforce de recruter les scientifiques et les astronautes les plus compétents, et de remplir les fusées en partance, afin de prendre de vitesses ses concurrents et de s’assurer le contrôle des régions les plus prometteuses de la planète. Espions et militaires sont également au rendez-vous car ce monde encore vierge recèle bien des dangers et des secrets et, à des milliers et des milliers de kilomètres des plus proches journalistes, socialistes, écologistes et autres empêcheurs de prospecter en rond, tous les coups sont permis.

La mécanique :

Tout à la fois jeu de de majorité, jeu de personnages et jeu d’exploration, Mission Planète Rouge fait appel aussi bien au bluff qu’à la stratégie. Pour affréter des navettes pour Mars, et y prendre le contrôle des zones où seront découverts les minerais les plus intéressants, vous devrez faire le meilleur usage des pouvoirs de vos neuf personnages, tels le scientifique, qui fait de bien mystérieuses découvertes, le saboteur, qui peut faire exploser une fusée sur sa rampe de lancement, ou le pilote, qui peut modifier sa destination.

Histoire du jeu :

En 2004, on a beaucoup parlé des deux petits robots que la Nasa avait envoyés sur Mars. On les a un peu oubliés depuis mais ils y sont encore, et continuent à nous envoyer des images, comme on peut le voir sur le site de la Nasa. Après des années durant lesquelles la science n’était qu’un objet de peur, et l’exploration spatiale semblait un luxe coupable, Mars semblait être redevenu à la mode. Il n’en a pas fallu plus à Bruno Cathala et moi-même pour avoir envie de faire un jeu sur l’exploration de Mars, voire sa future colonisation. Serge Laget et Thierry Gislette ont fait de même. L’idée était dans l’air, elle y revient peut être aujourd’hui, en 2012,  avec les premières images d’un nouveau robot à l’allure de couteau suisse géant et déployé,,la sonde Discovery.

Nous envisageâmes un temps l’idée d’un jeu de collaboration sur le thème de la terraformation de Mars, avant de nous replier sur l’idée plus classique d’une rivalité entre compagnies désireuses de s’approprier les précieuses ressources de la planète. Aucun d’entre nous n’ayant encore commis de jeu de majorité, pourtant un classique presque obligé du jeu allemand, cela nous semblait en effet une bonne occasion. Nous décidâmes rapidement que le jeu comprendrait deux systèmes distincts, et que la rivalité entre les joueurs s’exercerait donc à la fois dans la constitution des expéditions en partance pour Mars, et sur la planète elle même.

Il a fallu des mois, et d’innombrables remises à plat de l’ensemble des systèmes, avant de parvenir à la version 7.7, celle qu’à publiée Asmodée. Si le tout premier plateau était déjà rond et rouge, il était couvert de petits hexagones, et la colonisation s’y faisait sous la forme de rangées de pions encerclant peu à peu des zones, un peu comme au Go. Il y eut ensuite plusieurs versions à deux plateaux, un grand rouge pour Mars et un petit pour la Lune, moins riche en ressources minières mais plus rapide à atteindre et pouvant servir de base intermédiaire. À bord des navettes, on a longtemps placé des cartes personnages faces cachées, mais le résultat était totalement chaotique. La version 6, celle que nous présentâmes à Essen 2004 ou elle suscita un certain intérêt, était déjà très proche du jeu publié, mais il n’y avait qu’un set de cartes personnages, qui étaient choisies tour à tour par les joueurs comme à Citadelles. C’est cette version qui convainquit l’équipe d’Asmodée, mais nous optâmes ensuite pour un autre système de sélection de personnage qui nous semblait mieux coller au jeu et ne donnait pas le sentiment de jouer à Citadelles.

Puisque nous partions du thème, et voulions être réalistes, je décidais de me documenter un peu. Je commençais par quelques visites sur les sites web, fort nombreux, consacrés à la planète rouge et à divers projets de colonisation plus ou moins farfelus. Alors que je n’avais plus guère lu de science fiction depuis bien longtemps, je me procurais aussi deux séries qui étaient souvent citées comme des classiques de la “littérature martienne” – Red Mars, Blue Mars et Green Mars de Kim Stanley Robinson, et Mars et Return to Mars de Ben Bova.

La volumineuse saga de Kim Stanley Robinson est généralement louée pour son réalisme, pour le sérieux de son arrière plan scientifique. Étant assez ignare en ce domaine, je ne suis pas vrament capable d’en juger, mais la lecture donne en effet l’impression que l’auteur s’est bien documenté sur les aspects techniques de son sujet. C’est malheureusement tout ce que l’on peut trouver au crédit de ces pavés lourds, ennuyeux et d’une incroyable prétention. S’il n’y avait que les aspects techniques, cela passerait encore, mais ils sont mis au service d’une espèce de socio-politique de bazar, un salmigondis de théories mal digérées, une sorte d’écolo-marxisme qui finit dans un délire messianique, et est asséné tout au long des trois tomes avec un imperturbable sérieux.

Les deux tomes de Ben Bova sont moins prétentieux, ce qui les rend déjà plus sympathiques, mais cet espèce de Loft Story martien n’apporte pas grand chose non plus à la littérature. C’est en effet l’archétype du roman politiquement correct, formaté avec soin pour les familles américaines. Comme dans une émission de télé-réalité, le casting est minutieusement étudié pour représenter favorablement toutes les minorités, et la psychologie des participants suffisamment primaire pour qu’aucun lecteur ne risque de se trouver intimidé. Au crédit de l’auteur, on notera quand même un style agréable, un tiers-mondisme sympathique mais qui aurait pu être plus subtil, et une intrigue habilement menée.

Je me suis forcé à finir ces deux sagas, mais la littérature de science-fiction “sérieuse” sur l’exploration ou la colonisation de Mars m’a semblé bien lourde et didactique. On est très loin aussi bien de l’humour de Frederic Brown que de la poésie de Ray Bradbury, mais les ouvrages de ces derniers ne nous auraient sans doute été d’aucune utilité pour réaliser ce jeu.

Le jeu que Bruno et moi avions imaginé était donc clairement futuriste, et nous pensions plutôt aux années 2050 qu’aux années 1880. C’est l’équipe d’Asmodée qui a imaginé de le situer dans le cadre uchronique du Steampunk. Le Steampunk est un univers décalé, une sorte de science fiction se déroulant vers la fin du XIXème siècle, comme si la révolution industrielle avait permis la conquête spatiale. À la fin des années quatre-vingt, le Steampunk martien connut son heure de gloire ludique avec le jeu de rôles Space 1889, qui rencontra un certain succès. L’univers de ce jeu était cependant plus fantastique et décalé que celui du notre, puisque Mars y était décrite comme on aurait pu l’imaginer à l’époque victorienne. l’atmosphère y était respirable, les canaux y étaient de vrais canaux creusés par de vrais martiens, et les puissances européennes s’y livraient à de bonnes vieilles guerres coloniales à l’aide de navires volants, que ce soit entre elles ou contre des martiens aux allures de guerriers zulu.

L’univers tout en gris et roux, avec de gigantesques machines crachant des nuages de vapeur, des hauts de forme et des zeppelins, n’est dénué ni d’humour, ni d’intelligence, comme on le voit par exemple dans le foisonnant Against the Day de Thomas Pynchon. Il est en outre une fantastique source d’inspiration pour les illustrateurs, par exemple dans le très beau dessin animé de Hiyao Miyazaki, Le Château Ambulant – et bien sûr aussi dans les illustrations superbes de Mission Planète Rouge ou d’autres jeux plus récents situés dans cet univers, comme Wiraqocha, Planet Steam ou même, dans une certaine mesure, Isla Dorada.

Malgré les superbes illustrations de Christophe Madura, un matériel médiocre, un prix trop élevé, un thème qui n’était pas encore vraiment à la mode tout cela a sans doute empêché que les très bonnes critiques de Mission: Planète Rouge se traduisent dans les chiffres de vente, et que le succès d’estime devienne un succès commercial. Dommage, car cela était, et reste, un très bon jeu de majorité dynamique, amusant et original.

Mission: Planète Rouge
Un jeu de Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Illustré par Christophe Madura
3 à 5 joueurs –
60 minutes
Publié par Asmodée (2005)
Tric Trac    Boardgamegeek


The setting :

1889. The Paris world fair is the last place to be, and the masses marvel at the last technical achievements which are exhibited there. Meanwhile, the big industrial trusts, supported by their governements, are planning the next step – the conquest of Mars and the mining of the fantastic ores ain its subsoil.

In Red Planet Mission, you control one of these big companies. You try to recruit the best scientists and astronauts, and to launch rockets in order to explore the planet and take control of the most promising places before anyone else comes here. Spies and armed forces are also required since this unexplored world is full of secrets and dangers and, many thousand kilometers away from the nearest journalists, socialists, ecologists and all such troublemakers, competition is played no holds barred.

The systems :

Red Planet Mission is a majority game, a character selection game, and an exploration game, with a balanced mix between bluffing and strategy. In order to charter shuttles to Mars, and to take control of the regions where the most interesting minerals will be found, you’ll have to make the best use of your nine characters’ powers. The scientist make mysterious discoveries, the saboteur can blow a rocket up before i leaves the launchpad, the pilot can change a shuttle’s destination, and so on.

History of the game :

In 2004, there was much talk of the two small robot rovers sent on Mars by the Nasa. They have been forgotten since, but last news was that they are still wandering over there, as you can see on the Nasa website. After years during which science was mostly a cause for anguish, and space exploration seemed to be a shameful luxury, Mars was back in fashion. That was enough for Bruno Cathala and I to start working on a game about Mars exploration, and why kot Mars colonization. Serge Laget and Thierry Gislette started another Mars game. Mars was in the air – it’s back now,min 2012, with the first pictures from another Martian explorer robot, Discovery, which looks like a giant open Swiss knife.

We first considered a collaboration game about the terraformation of Mars, but soon opted for a more classical game about mining companies vying for the precious minerals to be found on the red planet. None of us had ever designed a majority game, which is a classic of german style game design, and it seemed a good oportunity. We opted for two different game systems, one for recruiting astronauts and sending rockets to Mars, and one, the majority game, involving the astronauts already on the planet.

After monthes and monthes of testing different versions of the game, after starting it all over again a few times, we ended with version 7.7 – the one that was published by Asmodée.

The first board was already red and circular, but it had a small hex grid on it, and colonization was made by circling zones with one’s pawns, Go like. Then there had been a few versions with two boards, a large red one for Mars and a small white one for the moon, which has less mineral ressources but is easier to reach and can be used as a step on the way to Mars. There has been a few versions in which character cards were placed face down on the shuttles, but the result was far too chaotic. At the 2004 Essen fair, many publishers showed some interest in our version 6, which was already very similar with the actual game, but had only one character deck, in which cards were chosen like in Citadels. Asmodée was convinced by this version of the game, and we later changed the character drafting system for something that fitted better and felt less like Citadels.

Since we started with the theme, and wanted to make something realistic, I decided to look for some serious documentation. I first browsed some of the many websites devoted to Mars exploration and to some more or less zany colonization projects. I had not read any science fiction book for quite long and ordered the two series that were most often quoted as classics of “martian litterature”, Red Mars, Blue Mars and Green Mars by Kim Stanley Robinson, and Mars and Return to Mars by Ben Bova.

Kim Robinson’s heavy saga is often praised for its realism, for its serious scientific background. I’m not competent in this matter, and therefore cannot really judge it on this, but at least it feels as if the author seriously studied the technical aspects of the question. That’s the only positive thing in these long, heavy and pretentious books. Unfortunately, Kim Robinson’s technical competence is used as a support for a social and political hodgepodge, a mish mash of ill-digested theories, a kind of ecolo-marxism that ends in a delirious messianism, and is regularly and systematically forced upon the reader with boring and unruffled seriousness.

Being far less pretentious, the two tomes of ben Bova make for a more pleasant reading, but this martian big brother adds little to litterature. It is a well written politically correct novel, carefully formatted for US families. Like in a reality show, the casting is designed to give a positive picture of all minorities, and the psychology of the characters simple enough to prevent any reader to be intimidated. The author can however be given credit for his clear style, for his nice, if not always subtle, third-world support, and for a well designed plot.

I forced myself to read these sagas till the end, and my overall impression is that the litterature about exploring and colonizing Mars is heavy and didactic. All this was far from the humorous wit of Frederic Brown od the poetic subtleness of Ray Bradbury, whose books could unfortunately not be of any help in designing this game.

In the game Bruno and I designed, the action was taking place in the near future, around 2050 and not 1880. The Asmodée team moved it in the uchronic world of Steampunk. Steampunk is an alternative universe, a kind of science fiction in a victorian world, as if the industrial revolution directly led to space exploration, in world of steam power and zeppelins. In the late eighties, Martian Steampunk was popular among gamers, mostly due to the role playing game Space 1889, which was a minor hit. The Space 1889 Mars was even more fantastic than our, since it was Mars like victorian times scientists could have imagined it. The atmosphear was breathable, martian canals were real canals digged by real martians, and european powers were fighting there good old colonial wars between themselves and against zulu-like martian warriors.

À un moment ou à un autre lors de la réalisation du jeu, Vastitas Borealis est devenu Vasistas Borealis – des plaines du Nord à la petite fenêtre du Nord.
At some moment during the prepress, Vastitas Borealis became Vasistas Borealis. In French, a vasistas is a small window, so the Great Northern Plains became the Small Northern Window.

The grey and russet steampunk world, with gigantic rusty machines spitting dark smoke clouds, with businessmen in top hats and british explorers with pith helmets aboard giant zeppelins doesnt seem to be lacking in wit and humor, as for example in Thomas Pynchon’s Against the Day. It has also been a source of inspiration for graphic artists, as you can see in the nice anime movie by Hiyao Miyazaki, Howl’s Moving Castle – and of course in the great illustrations of Mission : Red Planet and more recent steampunk games, such as Wiraqocha, Planet Steam or even Isla Dorada.

Christophe Madura’s graphics were gorgeous, but the components were sub-par, the price too high, and the Steampunk setting was not as popular as it has become since. As a result, even when it got critics praise on all the boardgames websites, it didn’t sell well in the US and it didn’t sell at all in France. It’s a real shame because it was, and still is, really good, dynamic, fun and original majority game.

Mission: Red Planet
A game by Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Art by Christophe Madura
3 to 5 players –
60 minutes

Published by Asmodée (2005)
Boardgamegeek