Kickstarter

Pour une fois, ceci n’est pas vraiment un article que j’avais envie d’écrire, mais plutôt un article que l’on m’a demandé. Régulièrement, depuis un ou deux ans, je suis interrogé sur « ce que je pense » du crowdfunding de jeux de société sur kickstarter. Et, régulièrement, j’ai bien du mal à répondre parce que j’en pense des choses assez différentes, selon le point de vue où je me place, celui de l’auteur ou du joueur, et selon le type d’utilisation du crowdfunding dont on parle, car ils sont multiples.



Tous les graphiques viennent du site icopartners.

Les statistiques par secteur d’activité fournies par Kickstarter sont impressionnantes. L’ensemble « jeux » est l’un des trois plus importants, avec « design » et « technology », et présente un taux de succès supérieur. Il représente, avec environ sept cent millions de dollars de pledges sur 35.000 projets, un cinquième de l’activité de kickstarter depuis sa création en 2009. Les autres plateformes de crowdfunding, Ulule, Indiegogo ou Kiss Kiss Bang Bang, pèsent beaucoup moins lourd et je n’en parlerai guère.

Un intéressant article de Thomas Bidaux montre que les jeux de société pèsent aujourd’hui bien plus que les jeux videos dans cet ensemble, et continuent à se développer, que ce soit en nombre de projets ou en chiffre d’affaires, quand les jeux videos sont clairement en recul. Je pense que les chiffres de 2017 confirmeront, voire amplifieront cette tendance. L’auteur de l’article s’y livre à une estimation au doigt mouillé de la part de kickstarter dans le CA du secteur du jeu de société aux États-Unis, et l’estime à 3%, un peu moins que ce que j’aurais imaginé, mais déjà beaucoup.

En tant qu’auteur, kickstarter ne représente pas grand chose dans mes jeux édités – Formula E et Argo, qui ne sont pas mes plus grands succès en termes de vente, mais qui ont été modestement financés. Avec le recul, j’ai de ces deux expériences des souvenirs assez mitigés. J’ai toujours essayé de mettre en avant mes jeux sur internet, en particulier sur mon site web et un peu sur Facebook, mais j’apprécie de le faire avec nuance et sans pression. Quand une campagne kickstarter est en cours, c’est un peu l’urgence permanente, comme s’il fallait sans cesse faire la promotion à la fois du jeu et de la campagne, un travail qui me semble plus celui de l’éditeur et que, au fond, je n’apprécie pas vraiment. Bref, comme auteur, je suis bien plus à l’aise, plus naturel, pour présenter mes jeux lorsqu’ils sortent dans le circuit commercial traditionnel, et j’ai l’impression avec kickstarter de devoir faire un travail supplémentaire, assez désagréable et pour lequel je ne suis pas vraiment payé. Alors, oui, j’en fais sans doute finalement autant pour mes autres jeux, mais plus tranquillement, plus naturellement, sans pression.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles l’éditeur d’un jeu gagnait généralement plus d’argent que le petit auteur que je suis, l’une des justifications que je donne habituellement est que c’est l’éditeur qui fait le gros du boulot et qui prend les risques financiers. Avec le crowdfunding, il prend bien moins de risques et on a plus de boulot, et je me demande du coup, avec Bruno Cathala, si nous ne devrions pas demander plus de droits d’auteur lorsqu’un jeu est publié de cette manière.

Après la campagne, tout s’arrête, car kickstarter encourage aussi une autre tendance déjà active dans le monde ludique ces dernières années, et qui ne me plait ni comme auteur ni comme joueur, celle aux jeux qui ne font que passer, que l’on vend, dont on parle et auxquels on joue quelques mois avant qu’ils ne disparaissent.

En tant que joueur, Kickstarter me dit que j’ai pledgé à ce jour 270 jeux qui ont été financés – le premier, en 2010, était Alien Frontiers, le dernier Museum – et 30 qui ne l’ont pas été. Je pledge essentiellement des petits jeux, souvent des jeux de cartes, qui m’ont l’air amusant ou innovants, même s’il m’est arrivé aussi de participer à de plus grosses campagnes comme Cthulhu Wars, Conan ou Rising Sun. Je reçois très régulièrement de petits colis avec des jeux dont j’avais la plupart du temps complètement oublié que je les avais commandés – j’emploie ce verbe à dessein, j’y reviendrai. Si la qualité moyenne des jeux que j’ai achetés sur Kickstarter est sans doute un peu inférieure à celle des jeux achetés en boutique, c’est une moyenne derrière laquelle se cachent quelques perles, dont mon tout premier kickstarter, Alien Frontiers, que je n’aurais sans doute jamais découvertes autrement. Je constate cependant que je me suis parfois senti un peu « obligé » de soutenir les projets d’auteurs ou éditeurs amis, alors que je ne me serai jamais senti obligé d’acheter leurs jeux parus dans le circuit traditionnel – je me serais même parfois attendu à ce qu’on me les offre. Il y a là un mécanisme psychologique un peu pervers qui, je pense, contribue au succès du crowdfunding. Quoi qu’il en soit, sans être enthousiasmante, mon expérience de joueur est bien plus positive que mon expérience d’auteur, ce qui explique que je continue.

S’il m’est difficile de porter un jugement global sur l’impact, indiscutablement énorme et probablement durable, du crowdfunding sur le monde du jeu de société, c’est parce que les usages qui sont faits de kickstarter par les éditeurs de jeux peuvent être assez différents. En simplifiant un peu, on peut dire qu’il y a dans le monde du jeu de société trois types de campagne skickstarter.

Crowdfunding est officiellement traduit en français par « financement participatif ». On pourrait difficilement imaginer une plus mauvaise traduction, et c’est la raison pour laquelle je ne l’utilise pas. Le vrai financement participatif, c’est l’actionnariat, où l’investisseur participe au capital et parfois aux décisions. En comparaison, le pledgeur d’une campagne de crowdfunding ne participe le plus souvent pas à grand chose, même si l’illusion du contraire peut-être une des raisons du succès de ce mode financement. Le crowdfunding, du moins tel qu’il est pratiqué dans le jeu, n’est qu’une version modernisée, grâce à internet, de la précommande ou de la vente par souscription.

  
Je n’aime pas dénoncer nommément les mauvais jeux. Toutes les illustrations de cet article indiquent des jeux que j’ai pledgés et appréciés.

Les seuls jeux pour lesquels on puisse à la rigueur utiliser cette expression sont ceux publiés par des auteurs/éditeurs modestes et indépendants, de nouveaux arrivants qui n’ont pas leurs entrées dans le circuit des éditeurs et des boutiques classiques. Il y a vingt ou trente ans, la plupart de leurs jeux n’auraient jamais été publiés, et les quelques uns qui l’auraient été parce que l’auteur y croyait vraiment et avait un peu d’argent auraient sans doute fini dans son garage faute d’un réseau de distribution adéquat. Une large majorité des projets que je soutiens sur kickstarter sont de ce type. À l’arrivée, beaucoup sont médiocres, mais il y dans le lot quelques perles. En feuilletant ma liste de projets sur le site de Kickstarter, je tombe sur The Agents, Argent the Consortium, Romans Go Home, et j’en trouverais d’autres si je laissais encore défiler… J’ai adoré Romans Go Home, et ai un peu contribué à ce qu’il soit ensuite repris par un éditeur classique, malheureusement sans grand succès.

   

Les sites de crowdfunding aiment à se présenter comme étant avant tout des incubateurs financiers pour des projets conçus par des passionnés. C’était largement vrai dans les premiers temps des plateformes de « financement participatif », mais c’est de moins en moins le cas. Il y a en effet aujourd’hui d’autres usages de Kickstarter et de ses cousins, qui me semblent plus problématiques.

En terme de chiffres d’affaires, le marché du jeu est florissant. Comme souvent, cela attire du monde, et la concurrence s’attise. Moins nombreux que les éditeurs, les distributeurs (dont certains sont aussi éditeurs) se retrouvent souvent en position en force pour négocier. Du coup, les éditeurs cherchent divers moyens d’augmenter des marges qui ont tendance naturellement à se réduire.
Les éditeurs de jeux ont toujours aimé vendre directement sur les salons. Les ventes n’y sont certes pas énormes, mais l’éditeur se réserve la marge du distributeur et celle de la boutique – et en plus, il se fait engueuler s’il vend moins cher. Kickstarter permet de faire la même chose à une plus grand échelle encore, contournant allègrement le réseau de distribution classique. Pour les petits et moyens éditeurs, cela permet aussi de se faire une idée des ventes potentielles, et donc du tirage nécessaire, et d’éviter des problèmes de trésorerie. Bref, c’est tout bénéfice, mais un bénéfice qui se fait au détriment d’acteurs qui ont beaucoup contribué au développement du jeu de société, et lui sont sans doute encore nécessaires, les boutiques. Un peu comme l’ont fait les librairies face à Amazon et aux liseuses, les boutiques réagissent. Les sorties abondantes leur permettent de ne plus mettre en avant les jeux qui ont été massivement prévendus par kickstarter, certaines deviennent des cafés jeux, organisent des soirées de démonstratiin, des séances de dédicaces, mais je ne suis pas certain que cela suffise.

Reste un troisième type, celui qui est le plus discuté aujourd’hui, les jeux conçus spécifiquement pour kickstarter, aux prix généralement très élevé et aux campagnes de financement sophistiquées, qui parviennent à lever des sommes considérables, des centaines de milliers voire des millions de dollars, les Conan, Blood Rage, Scythe, Glomhaven, 7ème Continent, Kingdom Death Monster et consorts. Ces gros projets sont les plus discutés dans le microcosme ludique, en grande partie parce que leurs auteurs et éditeurs sont eux-mêmes des membres actifs de ce microcosme, et ne manquent pas une occasion de créer le buzz autour de leurs créations.

Les campagnes ayant levé plus de 500.000 dollars représentent un peu moins de la moitié du chiffre d’affaires du jeu de société sur Kickstarter. C’est beaucoup, peut-être trop, mais le jeu de société sur Kickstarter ne peut pas être réduit à cela. Il s’agit le plus souvent de très gros jeux, au matériel luxueux et parfois surdimensionné, avec des milliers de cartes ou des tonnes de figurines, et destinés à un public de passionnés, mais finissent parfois dans leurs bibliothèques sans avoir été vraiment joués. Certains de ces jeux se retrouvent ensuite en boutique, d’autres, de plus en plus nombreux, ne sont disponibles que sur Kickstarter, quitte à ce qu’il y ait, comme pour le 7ème Continent, une deuxième campagne. Cela devient même un argument commercial – si vous ne pledgez pas vous serez définitivement passé à côté. Bien d’autres choses me gênent aussi dans ces campagnes de financement soigneusement orchestrées, l’abus de stretch goals artificiels, les updates incessants visant à donner aux acheteurs l’illusion de participer à une sorte d’aventure, l’insistance sur le matériel et non sur le jeu, le mauvais goût tapageur de certaines illustrations… J’ai acheté quelques uns de ces jeux – car là aussi, il s’agit clairement d’achat et non de soutien – et, si je considère avoir largement rentabilisé les excellents Scythe et Blood Rage, les autres ne sont finalement pas ou peu sortis de leur boite.
J’ai sur ce dernier usage de kickstarter un point de vue mitigé. Les prix généralement très élevés, souvent une centaine de dollars, sont certes justifiés par des éditions splendides ou tape à l’œil, mais je ne suis pas certain que le jeu de société ait besoin d’un créneau « de luxe », qui grève fortement le budget des joueurs. À trop se focaliser sur les énormes miniatures, les splendides illustrations, les impressions tout en dorures, le jeu lui-même semble presque passer au second plan – une dérive qu’a connu le jeu video et dont il a du mal à se dépétrer. Les éditeurs passent consacrent plus de temps et d’énergie aux détails de la campagne qu’au développement du jeu, et on en arrive maintenant même à voir des publicités pour des campagnes kickstarter avant même qu’elles aient commencé. La « professionalisation » de kickstarter permet à certains de se faire plaisir en sortant des éditions magnifiques, à d’autres ou aux mêmes de gagner de petites fortunes, mais je ne suis pas convaincu qu’elle apporte à la création ludique autre chose qu’une immense perte de temps et des tonnes de figurines dont nous aurions fort bien pu nous passer.

Bien sûr, cette catégorisation est un peu caricaturale, et beaucoup ont une démarche qui se rattache un peu à deux de ces schémas, voire aux trois. Son principal intérêt est de montrer les limites des discours, assez fréquents, qui ne voient qu’un seul de ces aspects.

Alors même que les autres plateformes de crowdfunding ne comptent plus guère, le chiffre d’affaires global généré par Kickstater a baissé en 2016. Je ne serais pas surpris qu’il en aille de même en 2017. Le jeu de société, dont le nombre de projets et le volume des ventes continue de progresser, fait exception. Il est le secteur le plus profondément affecté par un mode de financement et de distribution qui n’avait pas du tout été imaginé pour lui.
Je suis d’une génération d’auteurs qui a vu exploser la création, l’édition et la distribution de jeux ces trente dernières années. Cet écosystème m’a permis de me maintenir dans le rôle, confortable et peut-être un peu paresseux, de l’auteur solitaire. J’ai toujours laissé aux éditeurs non seulement les risques financiers, mais aussi les calculs, les responsabilités, les décisions, les contraintes de toutes sortes, le vrai boulot. Je fais certes la tournée des salons et la promotion de mes jeux, mais je le fais comme cela m’amuse et quand cela m’amuse. Dans le nouveau modèle qui se dessine, sur kickstarter et parfois ailleurs, les rôles ne sont plus aussi clairement distincts. Certains, comme Fred Henry ou Jamey Stegmaier, y sont très à l’aise, mais je ne m’y sens pas vraiment à ma place. C’est sans doute cela, autant que les critiques de fond, qui explique mes petites réticences face au crowdfunding. Preuve que ça me travaille, j’ai même un prototype sur le thème de kickstarter.


For once, this blogpost is not really something I wanted to write, but rather something I’ve been asked for. These last two years, I’ve been regularly asked for my opinion about crowdfunding, and specifically about the many games published through kickstarter. The reason why I didn’t write this earlier is that I don’t have a very clear and fixed opinion. It depends on the point of view I chose, that of the gamer or of the game designer, and on the use of kickstarter I am dealing with, because there are several.


All charts come from the icopartners website.

According to kickstarter’s own statistics, the category « games » comes among the three big first in number of projects and in money raised, with « design » and « technology », and has a better success rate. There has been 700 million dollars raised for 35.000 game projects on kickstarter since the site started in 2009, one fifth of kickstarter activities. The other crowdfunding platforms, such as Ulule (in France), Indiegogo or Kiss Kiss Bang Bang, weigh much less and I will largely ignore them.

An interesting article by Thomas Bidaux shows that boardgames weigh more than video games in this total, and that they are still growing both in number and in money raised, when video games are clearly declining. The numbers for 2017 will very probably confirm these trends. The author of this article estimates the share of kickstarter in the boardgames business turnover in the US at 3%, a bit less than I would have guessed, but nevertheless a lot.

As a designer, I have very little experience with crowdfunding. Only two of my games, and not the best known ones, Formula E and Argo, were published via kickstarter. Both were barely funded, and in retrospect I didn’t really enjoy the crowdfunding campaign experience. I’ve always tried to promote my games, mostly on my website and occasionally on facebook, but I enjoy the fact that I can do it in a nuanced way, and without any feeling of urgency. When a kickstarter campaign is on track, pressure is permanent, as if it were always necessary to unceasingly promote both the game and the campaign, something which I think is more the job of the publisher, and which I don’t really enjoy doing. As a game designer, I feel much more at ease when presenting may games published and sold through the traditional channels. With kickstarter, I have extra work to do, work which I dislike and for which I’m not paid. In the end, I probably do as much, or even more, for my other games, but I can do it in a much more cool and casual way.
When I’m asked for the reason why a publisher makes more money out of my games than I do, I usually answer than the publisher works more hours than I do, and takes all the financial risks. With crowdfunding, we have more work and the publisher takes far less risk, so I agree with Bruno Cathala who suggests we ask for higher royalties when our games are published this way.

After the funding campaign, everything is over. Kickstarter accelerates a trend which was already active these last years, and which I dislike both as a game designer and as a gamer, towards games that don’t stay long, games which are sold, played and talked about for a few months before they completely disappear and are soon forgotten.

As a gamer, Kickstarter tells me I have pledged 270 successfully funded games, and 30 which were not funded. The very first one was Alien Frontiers, the last one Museum.  I pledge mostly small and sometimes unassuming stuff, often card games, though I also occasionally bought heavier stuff , like Cthulhu Wars, Conan or Rising Sun. Every other week, I receive one or two small parcels with games I have completely forgotten I had ordered – I deliberately use this word, I’ll go back to it. The average quality of the games I bought on Kickstarter is probably slightly lower than that of those I bought from shops, but this mediocre average hides a few gems, like Alien Frontiers, my very first Kickstarter, which I would never had discovered otherwise. A strange feature of kickstarter campaigns is that I often feel « morally bound » to support games by publisher or designer friends, while I would never have felt bound to buy the same games in shops – sometimes, I would even had expected to get them as gifts. There is some perverse psychological mechanism at work here. Anyway, my experience of crowdfunding as a gamer might not be exhilarating, but it is clearly positive, which is was I keep on buying games on kickstarter, though at a slower rhythm now.

Buying a game on kickstarter is supposed to be a “pledge”, not a payment and an order, and all the crowdfunding vocabulary has been chosen to make the buyer feel as if he were not buying stuff but supporting a project. This is largely misleading and, as far as boardgames are concerned, kickstarter is more like the modernised and internet version of preorders, or of sales by susbcription.

The main reason why I have no clear opinion on the impact of crowdfunding on the board gaming world is that it might be used by game publishers and designers in very various ways. Basically, there are three different types of kickstarter campaigns.

 
I don’t like to report on bad games. All the game covers accompanying this article come from games I have pledged and really enjoyed. Anyway, I forgot about most of the bad ones.

The first category is made of games self-published by independent boardgame designers, or small publishers, most of them newcomers with little way to enter the traditional network of publishers, distributors and shops. Twenty or thirty years ago, most of these games could not have been published. the few ones which could, because their designers had much hope and some money, would have ended in a suburb garage for lack of a distribution network. Most of the games I pledge are of this kind. A majority end up being mediocre, not really finalised, but there are occasional unexpected gems. While browsing my kickstarter pledge history, I find The Agents, Argent the Consortium, Romans Go Home, and I could probably find more with going down the list. I enjoyed Romans Go Home so much that I helped it finding a more traditional publisher, but it didn’t sell very well.
Crowdfunding websites use to present themselves as incubator for ventures designed by clever enthusiasts. It was originally mostly the case and, while this kind of projects still exist, there are now other uses of Kickstarter and its cousins, and these are more problematic.

Boardgames sales have never been that high. As always when a market thrives, new people come in and competition gets fiercer. The many new small publishers have a weak bargaining position when facing fewer distributors, who often are also publishers themselves. Therefore, publishers look for ways to increase narrowing margins. Skipping distributors is a good one.
Publishers have always liked to sell games directly at game fairs. Numbers are relatively small, but the publisher takes both the shop and distributor margins – and even gets criticised when selling too cheap ! Kickstarter is a way to do the same thing on a much larger scale, bypassing the distribution network. For small and medium publishers, it’s also a way to test the market and have a better idea of potential sales, and therefore to print the right amount of games, and without any cash problem. Of course, what the publisher wins is lost by the game shops, who were one of he main actors of the boardgames renaissance and are probably still necessary to it. Like bookshops and some other facing Amazon, gameshows try to adapt. Some refuse to promote the games which were sold on kickstarter before, other become game cafés, organise game nights or designer signings, but I’m not sure it will be enough.

There’s a third kind of kickstarter campaigns, the one most discussed now, expensive games with sophisticated funding campaigns, which can often raise several hundred thousands dollars, if not millions. These are games like Conan, Blood Rage, Scythe, Gloomhaven, The 7th Continent or Kingdom Death Monster. the games are the most discussed in the small gaming world, in part because their designers and publishers are active parts of this small world, and never miss an opportunity to feed the buzz.

Campaigns raising more than 500.000 dollars make a bit less than half of the kick-starter boardgames turnover. It’s much, may be too much, but it’s not everything. These lavish and overproduced monster games, with thousands of cards or tons of miniatures, are aimed at rich, avid and dedicated gamers… even when they often end up un played in their libraries. Some of them are sold in game shops afterwards, but more and more are not – though there might be a second crowdfunding campaign, as with the 7th Continent. It even becomes a commercial argument – if you don’t pledge, you might miss something great. There are many disturbing things in these campaigns, artificial stretch goals, invasive email updates aimed at making the buyer feel as if he is taking part in some sort of unfolding adventure, focus on the components and not on the game and its rules, conspicuous graphics… I bought some of them – it’s a purchase, not a support – and while I have clearly made good use of the outstandingng Scythe and Blood Rage, the other ones left their box once at most.
I have mixed feelings about this last use of kickstarter. The high prices are justified by gorgeous or lavish editions, but I’m not sure the boardgames market really needs a luxury subcategory. The campaigns focus so much on big and detailed miniatures, on dark and gold graphics, that the games are becoming negligible – the same happened with video games and getting out of it is not easy. Publishers spend as much time and energy on the details of the campaign than on the details of the game, and there are now even promotion and commercial for kickstarter campaigns before they have even started. This « professionalization » of Kickstarter might sound good for those who get gorgeous editions of their designs, and sometimes make a small fortune on the side, but I’m not sure it brings to game design and creativity much more than a huge waste of time and dispensable tons of plastic miniatures.

Of course, this categorization is a bit of a caricature, and many games are in between two categories, if not three. My main point, however, is to stress the limitations of the many analysis which deal only with one aspect of kickstarter.
Even when other crowdfunding platforms have almost disappeared, the sums raised on kickstarter have dwindled in 2016. I would not be surprised if the same happened also in 2017. Boardgames are the big exception, with both turnover and number of projects still growing. It is the economic sector most affected by a new funding and distribution process which had not been designed for it.
I’m an old designer, and I’ve seen the traditional game design, publishing and distribution grow steadily over the last 30 years. I had a comfortable, if not lazy, place in this ecosystem, as a solitary designer. I’ve always let publishers take financial risks, make decisions, take responsibilities and do the actual work. I promote my games on my website and at game fairs, but when I want and how I want, and largely for fun. In the new model pushed by kickstarter, and also by a few other trends, roles are not that separate anymore. People like Fred Henry or Jamey Stegmaier seem to enjoy it, but I don’t really fit in. This is probably, as much as the serious analysis I tried to develop, the true reason why I’m a bit wary of the kickstarter craze. I even have a card game prototype about Kickstarter, which proves it’s really on my mind..

Ludovox à Paris est Ludique

L’équipe du site lyonnais Ludovox était à Paris est Ludique et a tourné pas mal de petits reportages sur des jeux qui vont bientôt sortir. Voici donc les présentations de Warehouse 51, d’Argo, de Waka Tanka et de Raptor, ce dernier présenté par l’autre auteur, Bruno Cathala.

The Ludovox team came from Lyon to Paris est Ludique, and shot several short videos about upcoming games. Here are the presentations (in French, sorry) of  Warehouse 5, Argo, Waka Tanka and Raptor – the latter by Bruno Cathala.

 

 

 

 

Paris est Ludique – bilan et photos
Paris est Ludique Report

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Je reviens de Paris est Ludique, petit festival bien sympathique, mais qui, grisé par son succès, commence à être un peu à l’étroit dans le boulodrome Léo Lagrange (ça ne s’invente pas), en bordure du parc de Vincennes. Paris est Ludique se déroule entièrement à l’extérieur, ce qui suppose un peu de chance avec la météo, et ce fut le cas cette année. Mais, bon, c’est un boulodrome, c’est à dire un terrain sableux, et après 48 heures on en revient toujours blanchi et desséché. Qu’importe, tout le petit monde français du jeu était là, auteurs, éditeurs et journalistes, et on a joué, causé et bu pas mal de bière. Je ne sais d’ailleurs pas bien si c’est la fatigue, le soleil, le sable ou la bière qui est responsable de mon mal de crâne – sans doute un peu des trois.

Plusieurs de mes jeux qui doivent arriver dans les mois qui viennent étaient n avant-première à Paris Est Ludique. J’ai surtout présenté Waraehouse 51 et Waka Tanka, parce que je n’avais pas encore eu l’occasion de jouer avec les illustrations finales, et peut-être aussi parce que les éditeurs étaient l’un en face de l’autre, ce qui me facilitait les choses. Les deux ont été très appréciés. Je n’ai pas joué à Raptor, mais il n’y avait pas besoin de moi, les deux tables de démo étaient toujours pleines. Avec Éric Hanuise, nous avons réussi à extirper Serge de son jeu de Mare Nostrum géant pour une demi-heure, le temps d’une partie d’Argo, qui nous a permis de valider tous les changements apportés par Eric, qui dynamisent sacrément le jeu sans rien lui enlever de sa méchanceté ni de sa richesse.

J’étais tellement occupé à présenter et à discuter les jeux qui vont sortir que j’en avais presque oublié que j’avais aussi amené quelques prototypes. Ce n’est que dans la dernière heure que j’y ai repensé. J’ai donc juste eu le temps de montrer deux petits jeux aux frères Hascoet, de Bombyx – je les leur ai laissé, j’espère qu’ils seront convaincus.

Merci à toute l’équipe en orange, et à l’année prochaine !


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I’m just back from Paris Est Ludique, the small and cozy Paris summer game festival. Well, it’s still cozy, but it’s becoming a bit crowded, and a larger place will probably be needed next year. Je reviens de Paris est The fait takes place entirely outside, so the success depends much on the weather which, luckily, was really good this year. The place, nevertheless, is also a bocce field, and after two whole days there I am completely dry and covered in white sand. Anyway, the whole (and small) French boardgaming world was there, authors, publishers, critics and journalists. We played a few games, talked a lot and drank much beer. I don’t know if my headache was caused by sand, sun, tiredness or beer – probably a bit of everything.

Several games of mine are due to be published in the next few months and were shown at the fair. I played both Wanka Tanka and Warehouse 51 on near final prototypes, with the final graphics, for the first time. Both seemed to be really well-liked. I didn’t play Raptor, but the two tables where the game was demoed were always full. Eric Hanuise and I managed to lure Serge Laget out of his giant Mare Nostrum game to play a game of Argo together and validate the last changes made by the publisher. I’m impressed by the way Eric managed to speed-up the game without removing anything from it.

I was so busy discussing and demoing my upcoming games that I almost forgot I had also brought a few new prototypes. Actually, I remembered them only in the very last hour, and had just the time to show two of them to the Hascoet brothers, at Bombyx – they kept them, I hope they’ll like them.

Thanks to all the orange shirt team, see you next year !

Argo

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L’un des cinq croquis proposés par Miguel Coimbra pour la couverture

Lorsque j’explore mon disque dur, je constate que le dossier « Argo » a été créé le 8 février 2002, mais on peut remonter plus loin encore. Dès les années 90, Serge et moi avions en effet pensé à un jeu de tuiles sur un thème de science-fiction. J’ai le très vague souvenir de discussions sur le thème du « point central » qui apparaît dans quelques aventures de Valerian et Laureline – une vaste station spatiale constituée de modules très variés accrochés là par des espèces extra-terrestres toutes plus exotiques les unes que les autres. Je ne sais plus si cette idée nous est venue avant ou après Castel, mais il y avait de toute évidence un lien. Il y en a un aussi avec Kheops, notre jeu de tuiles triangulaire et labyrinthique, conçu plus tard, et qui lui aussi ressort bientôt.

Un jour, je ne sais plus quand, je ne sais plus pourquoi, plusieurs années après que le très vague projet de Point Central avait été abandonné, nous avons recommencé à parler d’une station spatiale. Les modules ayant chacun un pouvoir différent étaient toujours là, mais les occupants de la station en construction étaient désormais tous des humains, équipes rivales devant tout à la fois construire la station spatiale en accrochant les modules l’un à l’autre et lutter contre les aliens désireux de s’y installer. Je me souviens d’un premier prototype dans lequel les modules avaient plusieurs types de connecteurs – USB, VGA, parallèle, SCSI (c’était il y a longtemps) – ce qui rendait les assemblages problématiques….. Dès l’origine, il y avait donc des aliens, et l’objectif était que les équipes rivales se fassent bouffer pendant que nos gars s’échappaient à bord des navettes. Les salles n’étaient peut-être pas exactement les mêmes qu’aujourd’hui, mais l’idée des effets différents obtenus en activant les différents modules était déjà là. Les astronautes, en revanche, étaient tous identiques, et le sont longtemps resté. Pour le nom, nous avons pas mal hésité – je me suis fixé sur Argo, qui me semblait un nom assez indiqué pour un vaisseau spatial, tandis que Serge préférait le moins original Space Station, arguant avec raison que ce que l’on construisait était plus une station immobile qu’un vaisseau en voyage.

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Prototype, phase 1

Pendant un ou deux ans, les versions du jeu se succédèrent, avec une tendance très nette de Serge à en rajouter, dans les mécanismes comme dans le matériel. Je présentai le jeu à quelques éditeurs et, très rapidement, Fantasy Flight Games décida de le publier. Je viens de fouiller dans mes dossiers et ai même retrouvé le contrat, daté de mai 2005. Nous commencions déjà à imaginer une grosse boite, avec des modules en cartons épais et de jolies figurines d’astronautes et d’aliens. Il était évident que, si nous voulions coller au style baroque et violent des jeux de Fantasy Flight, et justifier l’utilisation de figurines différentes, il fallait imaginer, pour les différents astronautes, pilote, space marine ou scientifique, des pouvoirs spécifiques. Un an plus tard, lorsque FFG, qui s’était lancé dans trop de projets simultanément – une de leurs habitudes – renonçait au projet, Serge et moi nous retrouvâmes donc avec un jeu qui avait pris du poids, mais auquel cela réussissait assez bien.

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Prototype, phase 2

C’est donc cette nouvelle version que nous avons commencé, en 2007, à montrer à d’autres éditeurs, dont plusieurs se montrèrent intéressés, mais dont aucun ne donna finalement suite. Il était alors assez difficile de vendre des jeux de science-fiction, et j’ai d’ailleurs toujours dans mes cartons un bon petit jeu de bluff, les Pirates de l’Espace, conçu à la même époque. J’ai du imprimer une dizaine de stations spatiales envoyés à Edge, Matagot, Asmodée et quelques autres, en vain.

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Prototype, phase 3 – avec des astronautes aux capacités différentes.

De temps à autre lors des week-ends de jeu, je ressortais ce prototype que j’aimais bien et, en 2012 (je crois), aux rencontres ludopathiques (je crois) Flatlined Games, c’est à dire Eric Hanuise, petit éditeur Belge, nous annonça qu’il était prêt à publier notre jeu – mais ce n’était que le début d’une autre histoire. Flatlined n’est pas Fantasy Flight, et notre concept avait peut-être un peu vieilli. Bref, l’éditeur souhaitait un jeu plus accessible, plus rapide, moins touffu et, en un sens, plus moderne. Argo entama alors sous la ferme direction d’Eric une cure d’amaigrissement. La plupart des éléments sont toujours là – les aliens, les navettes, les salles et les astronautes aux capacités variées – mais tout a été allégé. Plus de cases sur les tuiles, plus de règles de déplacement compliquées, on va d’un module à un module voisin. Eric, auquel le jeu final doit sans doute autant qu’à Serge et à moi, imagina en outre de donner aux aliens la possibilité de l’emporter s’ils éliminent suffisamment d’astronautes, mais on reste très loin d’un jeu coopératif.

Un des derniers prototypes, avec Serge, au salon de Cannes 2015

Un des derniers prototypes, avec Serge, au salon de Cannes 2015

On continue à pousser ses copains dans les bras des aliens ou à les téléporter dans l’espace pour faire de la place, à faire lâchement décoller des navettes avant qu’elles ne soient pleines, et les robots, que les aliens ignorent, rigolent bêtement en voyant leurs courageux maîtres humains se faire dévorer. Il n’y a pas de place pour tous dans les navettes de sauvetage, mais nous sommes dans un futur où il n’y a plus d’enfants et où l’égalité entre les sexes s’est définitivement imposée – c’est chacun pour soi, les plus forts et les plus malins d’abord.

Argo
Un jeu de Bruno Faidutti et Serge Laget
Illustré par Miguel Coïmbra et Alexandre de la Serna
2 à 4  joueurs  –
40 minutes
Publié par Flatlined Games (2015)
Tric Trac      Ludovox      Boardgamegeek


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One of the five sketches submitted by Michael Coimbra for the box cover

Browsing through my hard disk, I’ve just noticed that the Argo folder was created on February 8th, 2002 – thirteen years ago. I can go even farther back, in the nineties, when Serge and I first considered designing a tile laying science-fiction game. I have vague memories of discussions of “Central Point”, a gigantic baroque space station made of modules haphazardly attached by exotic alien species which appears in many of the issues of Valerian and Laureline, a French sci-fi comics from the seventies. I don’t remember if we had this idea before or after designing Castle, but there’s obviously a link with this game, as well as with Kheops, our triangular and labyrinthine tile game which will soon get a new edition.

Some day, I don’t remember when or why, years after the Central Point project had been abandoned, we came back to the space station idea. There were still modules with various effects and powers, but the builders of the station were now all humans, rival teams vying both in building and taking control of the station…. while fighting the aliens who were also trying to settle in. I remember a first prototype in which modules had different kinds of connectors – USB, VGA, parallel, even SCSI (this was years ago…) – which made the assembly a bit tricky.

Aliens were there from the beginning, and the goal was to escape them and flee the station in emergency shuttles while other team were devoured. The rooms were not exactly the same as in the final versions, but they already had each a different effect which had to be triggered after taking control of them. Astronauts, on the other hand, were all the same, without any specific abilities, and it stayed so for quite long. I named my prototype Argo, a name that sounded fit for a spaceship, while Serge remarked that what we were building was more a motionless station than a travelling ship, and called his simply Space Station.

Prototype, phase 1

Prototype, phase 1

Two years long, we worked on this game. Serge had a natural tendency to add rules and stuff, and I let him go with it. I showed the game to a few publishers, and Fantasy Flight Games almost at once decided to do it. I just looked in my contract folders and even found our contract, signed in May 2005. Serge and I were already imagining a big box full of heavy cardboard modules and large alien and astronaut miniatures. Obviously, if we wanted to fit in FFG’s baroque game design style, and give some rationale to the different astronauts miniatures, the game needed different abilities for the different astronauts – pilot, space marine, scientist… One year later, when Fantasy Flight, who had started working on too many games at once, abandoned the project, our game had took some weight, but was carrying it easily.

Prototype, phase 2

Prototype, phase 2

So, in 2007, we started showing the new version of our space station building and escaping game to other publishers. Several showed some interest, but no one decided to make the game. Science Fiction games had a reputation of being bad sellers, and I still have on my shelves a nice science-fiction bluffing game designed at the same time, Space Pirates. I have printed about ten space stations, and sent them to Edge, Matagot, Asmodée and some other, all in vain. We gave up, but these became one of the old prototype that I still play from time to time.

Prototype, phase 3, with differentiated astronauts.

Prototype, phase 3, with differentiated astronauts.

In 2012 (if I remember well) at the ludopathic gathering (if I remember well) I played a game of Argo with Eric Hanuise, of Flatlined Games, a small Belgian publisher – and he decided to publish it. This was not the end of the story. Flatlined is not Fantasy Flight, and our game had aged a bit. Eric wanted something slightly faster, lighter, not just old style FFG stuff. Under his firm direction, Argo entered a slimming program. Most elements are still there – aliens, shuttles, astronauts and modules with different effects and abilities – but everything feels lighter. No more spaces on the module tiles, no more complex movement rules, movement is just from one room to an adjacent one. Eric, who has probably spent more time than Serge and me in developing this last version, added a possibility for the aliens to win the game if they devour enough astronauts, but it’s still very far from being a cooperative game.

Near final prototype, with Serge, at the 2015 Cannes game fair

Near final prototype, with Serge, at the 2015 Cannes game fair

We still push fellow astronauts into the aliens’ arms, or into sketchy teleporters that can send them directly into deep space, in order to make more room in the shuttles. Shuttles still often leave the station before being really full. Robots are completely ignored by aliens, and giggle when they see their masters devoured. Well, there’s no room from every astronaut in the emergency life shuttles, and since we’re in a bright future with no more kids and achieved sex equality, it’s every man for himself, the strongest and shrewdest ones first.

Argo
A game by Bruno Faidutti & Serge Laget
Art by Miguel Coïmbra & Alexandre de la Serna
2 to 4 players  –
60 minutes

Published by Flatlined Games (2015)
Boardgamegeek

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Space Station Argo

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Vous vous réveillez dans les pods d’une salle d’hibernation qui ne semble pas tout à fait celle dans laquelle, quelques semaines ou quelques années plus tôt, vous avez été endormis. Vos camarades des autres équipes devant participer à la construction de la nouvelle station spatiale internationale se réveillent à vos côtés. Vous ouvrez paresseusement vos yeux quand soudain des lumières rouges se mettent à clignoter et une voix métallique annonce «présence extra-terrestre détectée, préparez-vous à évacuer la station, autodestruction dans GRRRZZZZRRR minutes».

Space Station Argo – il s’appellera sans doute autrement – est un projet déjà ancien, dont Serge et moi avons réalisé la première version en…. je ne sais plus bien quand, vers 2003 ou 2004. Peu après, nous avions signé un contrat d’édition chez Fantasy Flight Games, qui nous avait demandé d’apporter au jeu quelques modifications, qui l’avaient un peu complexifié. Et puis, après deux ans d’attente, Fantasy Flight a finalement renoncé à publier le jeu, nous avons conservé notre modeste avance et repris nos droits. Depuis, nous l’avions un peu retravaillé, et finalement en 2013, ce jeu a suscité l’intérêt d’un autre éditeur, Flatlined Games, qui devrait le publier en 2014. Flatlined Games est un petit éditeur belge, une entreprise individuelle menée par Éric Hanuise, qui a publié l’excellent Rumble in the House, de Ken Rush, et, plus récemment, Twin Tin Bots, jeu de programmation de Philippe Keyaerts.

Cette fois, il nous a fallu simplifier le jeu, mais ce ne fut en rien un simple retour en arrière. La plupart des ajouts demandés par Fantasy Flight, et notamment l’individualisation des personnages, ont en effet été conservés, mais Eric Hanuise a souhaité accélérer le déroulement des parties et alléger les règles. Ce sont donc la structure des modules de la station spatiale, qui ne sont plus divisés en cases, et les règles de déplacement, qui ont été modifiées. Les modules sont aussi moins nombreux et leurs effets ont un peu changé. Les aliens, qui ne pouvaient apparaître que dans l’un de leurs quatre nids, sont désormais susceptibles de se matérialiser un peu n’importe ou dans la station. Ils peuvent même remporter la partie si les joueurs les y aident un peu en poussant les astronautes adverses dans leurs bras, ou dans un téléporteur en dérangement. Et nous continuons à bricoler un peu le prototype pour rendre les choses plus simples, plus méchantes et plus drôles encore.

Flatlined est un petit éditeur, aux moyens limités, et la publication d’Argo aura vraisemblablement recours, selon la mode actuelle, au «financement participatif» sur Kickstarter ou Ulule. Après l’expérience un peu désagréable de Formula E, je m’étais promis de ne plus avoir de jeu publié selon ce système, mais il semble trop se répandre pour qu’il soit possible d’y échapper. D’ailleurs, je continue moi-même à l’encourager en «pledgeant» régulièrement des jeux qui m’attirent (le dernier, il y a quelques jours, était l’excellent Two Rooms and a Boom), et je continue à penser que le principe est excellent. Il est juste psychologiquement beaucoup plus confortable pour le souscripteur que pour l’auteur, et sans doute que pour l’éditeur.


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You’re waking up from the hibernation pods. The hibernation room doesn’t look like the one in which you were being sent to sleep. In the nearby pods, your comrades from the other national teams that are to help you build build the new international space station are also slowly emerging from their pods. You’re eyes are not yet completely open when alarms start flashing red and a metallic voice shouts from the loudspeakers « alien presence detected, evacuation in progress, self destruction in GRRRRZZZRRRRR minutes».

Space Station Argo – it will probably have some other name – is an old game design by Serge Laget and I. We made the first version of it in 2003 or 2004. Soon after this, we signed a publishing contract with Fantasy Flight Games, which asked us to make some change to the game rules, mostly adding more variety and making it a bit more complex. Then, after two years, Fantasy Flight finally resigned, we got our rights back and kept our modest advance. Since then, we had regularly worked on it, trying to find a new publisher. It will finally be Flatlined games. Flatlined Games is a small Belgian publisher, the one person company of Eric Hanuise, who has published Ken Rush’s outstanding Rumble in the House, and more recently Philippe Keyaert’s programming board game Twin Tin Bots.

This time, we had to make the game simpler, but it wasn’t just moving back to our original version. Most of the changes initiated by Fantasy Flight, and first of all the different abilities of characters, are still there, but Philippe wanted to make the game faster and the rules simpler and more consistent. This was achieved through lots of changes, some minor, some more important. The station’s modules are no more divided in spaces, and the movement rules have been completely revamped. There are fewer modules, and their effects have sometimes changed. Aliens, which could appear only in one of their four nests, can now materialize almost anywhere in the station. They can even win the game if the players help them a bit, pushing opponents astronauts towards them or into dysfunctional teleporters. And we’re still working on the prototype to make the game even more fun, simple and nasty.

Flatlined is a small publisher, with limited means, and Argo will probably be published using crowdfunding, as is becoming more and more usual. I didn’t like my first experience of this, with Formula E, but it looks like it’s becoming impossible to always avoid it. Furthermore, if I didn’t like it as an author, I like it as a gamer and still regularly pledge for games that look interesting (the last being the outstanding Two Rooms and a Boom, a few days ago). It’s just psychologically much more comfortable for the pledger than it is for the designer or for the publisher.

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