Traductions françaises, quand l’éléphant se prend les pieds dans le plat
French translations, when the elephant puts its feet in the dish

J’écoute peu de podcasts et regarde peu de videos consacrées aux jeux de société, qu’il s’agisse de critiques ou de discussions plus générales, leur préférant les textes écrits. C’est cependant avec beaucoup de curiosité que, il y a quelques semaines, j’ai écouté mes amis de Tric Trac et leurs invités débattre de la traduction des jeux de société dans leur émission hebdomadaire, le Tric Trac show. J’espérais un peu que quelqu’un allait mettre les pieds dans le plat – ou en anglais, même si ce n’est pas exactement la même chose, parler de l’éléphant qui est dans la pièce – en dénonçant la médiocrité de beaucoup de traductions françaises. Il n’en a malheureusement rien été, mais pour de très bonnes raisons puisqu’ils n’avaient invité que quelques-unes des rares personnes qui font ça bien. Je vais donc parler de l’éléphant.

Je ne suis pas très doué pour les langues étrangères. L’anglais est la seule que je maîtrise à peu près – et à l’écrit seulement, car j’ai beaucoup plus de mal à l’oral. Mes rudiments d’allemand, de latin et de polonais sont aussi modestes que lointains, et mes efforts plus récents pour apprendre le japonais semblent rester assez vains. J’ai toujours cependant été passionné par les problématiques de langue et de traduction, comme on peut le voir aussi dans mon livre sur les licornes.

Des traductions consternantes

C’est avec étonnement que, il y a une trentaine d’années, j’ai constaté que les règles présentes dans les traductions françaises de jeux de société étaient d’une qualité bien inférieure aux originaux anglais ou allemands, et même aux traductions anglaises de jeux allemands. C’est avec consternation que je constate que, excepté chez quelques éditeurs, surtout des gros, cela n’a pas beaucoup changé. 
Ce matin encore, Antoine Prono partageait fièrement sur Twitter un message d’un joueur le remerciant pour une traduction irréprochable. Cela montre surtout que les joueurs français sont tellement habitués aux traductions médiocres qu’une bonne, qui devrait être la norme, leur semble une exception.

Cette médiocrité a deux aspects. 
D’une part, comme également un certain nombre de règles rédigées directement en français, ces traductions sont le plus souvent écrites dans une langue lourde et désagréable, confondant emphase et élégance. C’est assez ironique lorsque cela vient de gens qui prétendent vouloir faire reconnaître le caractère culturel du jeu de société – à moins bien sûr que dans « caractère culturel » ils n’entendent que « TVA du livre ». 
D’autre part, et cela est plus spécifique aux traductions, les erreurs sont fréquentes, et les ambiguïtés récurrentes.

Deux exemples d’erreurs trop fréquentes :
•  Il n’existe pas d’équivalent français au pronom anglais « any ». Dans de très nombreuses règles de jeu de société françaises, l’expression anglaise « any player » est traduite systématiquement par « n’importe quel joueur », toujours au singulier. Selon le contexte et la structure de la phrase, elle signifie pourtant « un joueur quelconque » (c’est quand même plus élégant que « n’importe quel joueur »), « un ou plusieurs joueurs » ou « tous les joueurs ». Lorsque l’on ne comprend pas bien une carte en français parlant de « n’importe quel joueur », il faut donc essayer d’imaginer l’original anglais avec « any player ». Souvent, cela prend alors sens.
• Les jeux d’influence et de majorité sont à la mode. Quand une règle en français dit qu’un joueur doit être majoritaire dans une zone du plateau de jeu, il n’est souvent pas précisé s’il s’agit de majorité absolue ou relative. La raison en est que l’éditeur a trop rapidement traduit Majority, qui signifie majorité absolue, par majorité. Majorité relative se dit en anglais Plurality (et, pour les curieux, pluralité se dit Diversity).
C’est parce qu’il n’y a pas toujours de correspondance parfaite entre les mots d’une langue et ceux d’une autre qu’il faut éviter la facilité de la traduction trop proche du texte, voire mot à mot.

On peut certes trouver des explications. Il est plus facile de rédiger des règles en anglais qu’en français, et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je fais tous mes prototypes directement en anglais. La traduction est parfois faite en urgence, pour pouvoir ajouter quelques milliers de boîtes à un tirage multilingue et obtenir un meilleur prix de l’imprimeur.Si la règle dans la langue d’origine a été testée et relue des centaines de fois tout au long du développement, la règle traduite n’est pas toujours relue et rarement testée auprès de joueurs. La raison principale est cependant que trop d’éditeurs font encore la traduction vite fait chez eux, ou la font faire à des joueurs payés en boîtes de jeux, quand ce n’est pas par le stagiaire de quatrième. Cela dénote un certain mépris des jeux, des joueurs, des auteurs, de la langue d’origine et de la langue française.

Ces explications, surtout la dernière, ne sont pas des excuses, et auraient dû depuis longtemps pousser les éditeurs à prendre le travail de traduction plus au sérieux. 

Il y a quand même un problème dont la responsabilité est plus souvent du côté de l’auteur, les changements de dernière minute. Je reconnais en avoir fait quelques-uns. Lorsqu’un point de détail est modifié au dernier moment, alors que la règle est déjà partie en traduction, et que l’on fait passer le mot à tous les traducteurs, cela peut encore provoquer quelques erreurs. En tout cas, les traducteurs n’aiment pas !

Des solutions simples

Une règle de jeu est à la fois un texte littéraire et un texte technique, cela fait deux raisons de la faire traduire par une personne compétente, c’est à dire le plus souvent un traducteur professionnel qui soit aussi joueur. Ce peut-être Antoine Prono qui intervenait sur la vidéo du Tric Trac Show, mais je connais aussi un peu Mathieu Rivero ou Birgit Irgang, et il y en a d’autres. Oui, c’est un coût supplémentaire, mais si de plus en plus d’éditeurs le font, c’est qu’ils ont compris ce qu’ils avaient à y gagner en termes de « jouabilité », de réputation et donc de ventes. 
Une règle de jeu est à la fois un texte technique et un texte littéraire, ce qui fait aussi deux bonnes raisons de la faire relire par un correcteur ; lorsque c’est en outre une traduction, cela fait trois bonnes raisons. Je vous conseille les services de mon amie Camille Mathieu, avec qui j’ai conçu Trollfest, l’une des rares correctrices professionnelles qui soit aussi une joueuse de jeux de société.

Les éditions multilingues, mais elles sont rares, permettent aux joueurs, en cas de doute, d’aller chercher le texte princeps à partir duquel ont été faites les traductions, généralement la version anglaise. Cela signifie malheureusement plus de papier, et n’est pas vraiment possible pour les jeux, souvent les plus amusants, où du texte figure non seulement sur les règles, mais aussi sur les cartes.

Les petits jeux japonais sont à la mode. Une particularité de leurs règles est que la distinction traditionnelle entre le texte qui explique et les graphiques qui illustrent n’y est pas aussi nette qu’en Occident. Du coup, même lorsque les traductions sont fidèles, il peut arriver que le joueur occidental manque un point de règle qui était expliqué dans un schéma que l’on a sauté à la lecture. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il faudrait entièrement les réécrire, mais il vaut mieux connaître cette particularité avant de lire les règles, par exemple, des petites boîtes de chez Oink.

Que peuvent faire les joueurs

Les éditeurs anglo-saxons font généralement le boulot de traduction assez sérieusement. Les traductions en anglais de jeux français sont généralement de bien meilleure qualité que les traductions en français de jeux américains. Même les jeux allemands sont presque toujours mieux traduits en anglais qu’en français.

Cela fait donc maintenant une dizaine d’années que, lorsque je veux me procurer un nouveau jeu venu d’Amérique, d’Allemagne ou d’ailleurs, je cherche systématiquement une édition en anglais, quitte à payer un peu plus cher. Il m’est même arrivé de racheter en anglais des jeux que l’éditeur m’avait offert en français. Malheureusement, Philibert qui était ma source principale de nouveautés en anglais, semble de plus en plus ne vendre que des éditions françaises ; cela m’a obligé récemment à commander en Angleterre, ce qui revient encore plus cher. 

Malgré cela, j’encourage tous ceux qui, comme moi, ont été découragés par des règles françaises difficilement compréhensibles, au point d’aller  chercher les règles en anglais sur le Boardgamegeek, à faire de même, et à le faire savoir. Peut-être cela décidera-t-il les éditeurs francophones à faire un petit effort pour fournir de meilleures traductions.

Le paradoxe de l’auteur français

Je me suis placé jusqu’ici du point de vue du joueur. Pour l’auteur, la situation peut devenir carrément absurde. Pour plusieurs de mes jeux, j’ai écrit les règles en anglais mais pas celles en français. 

Lorsqu’un éditeur allemand ou américain publie l’un de mes jeux avec des règles multilingues, ce qui n’arrive que pour des petits jeux aux règles claires et simples, il me demande le plus souvent de rédiger les règles en français, quitte à les faire ensuite relire par un correcteur. Et c’est logique.
Il m’est en revanche arrivé plusieurs fois qu’un éditeur français ayant acquis auprès d’un éditeur original américain les droits pour la version française d’un de mes jeux, fasse lui-même ou fasse faire par quelqu’un d’autre une traduction, sans me prévenir ni, à fortiori, demander mon accord. Souvent, je l’ai appris trop tard pour pouvoir relire et corriger efficacement. 

Un point de droit : Contrairement au droit américain, le droit français distingue le droit moral de l’auteur du droit patrimonial. Le droit patrimonial est cédé à l’éditeur, en échange généralement du versement de droits d’auteur, mais le droit moral est inaliénable. Cela signifie qu’aucun éditeur ou distributeur ne peut modifier substantiellement l’œuvre sans l’accord de l’auteur. C’est pour cette raison que des réalisateurs de cinéma ont parfois pu obtenir que leur film montré en France respecte leur montage original, quand celui distribué dans le reste du monde était le montage du studio de production, et que des écrivains peuvent interdire à l’éditeur de couper dans leur texte. Il y a sans doute là une base légale pour qu’un auteur de jeu français puisse interdire à un éditeur de ne pas utiliser sa propre version française des règles, ou de traduire n’importe comment.

Même s’il est trop tard, je proteste systématiquement auprès des éditeurs lorsque cela se produit. Leurs réactions sont parfois étonnantes. La plupart s’excusent, et expliquent tout simplement que, n’ayant pas l’habitude de traduire en français des auteurs français, ils n’avaient tout simplement pas penser à me contacter. J’ai un peu de mal à y croire car je suis loin d’être le seul auteur francophone à avoir de temps à autre des jeux qui reviennent d’Outre Atlantique. Quelques-uns ne comprennent pas le problème. L’un d’entre eux m’a même récemment répondu qu’il n’avait pas de contrat avec moi mais seulement avec mon éditeur américain et qu’il se moquait donc totalement de mon point de vue. Je lui souhaite le succès qu’il mérite.

Je me suis déjà retrouvé deux ou trois fois dans la situation absurde où j’avais écrit les règles anglaises d’un jeu, même si elles avaient été un peu corrigées par l’éditeur, mais pas ses règles françaises.  Je ne dis pas que l’auteur original devrait toujours être en charge de la traduction dans sa langue, mais il me semble évident que, ne serait-ce que par politesse, on devrait toujours commencer par lui demander son avis. Il m’est arrivé souvent, surtout lorsque le jeu avait connu beaucoup de modifications chez l’éditeur et que les règles à traduire n’étaient plus vraiment les miennes, de préférer qu’un traducteur professionnel s’en charge, mais à condition d’être en contact avec lui et d’avoir tout le temps nécessaire pour relecture et correction. C’est comme cela que nous avons procédé l’an dernier avec Iello pour la version française de Vampire – The Vendetta. Le résultat me semble à la hauteur, et je garde de l’expérience un très bon souvenir. 

Un problème plus vaste

Le problème que j’ai mis en avant dans cet article n’est qu’en partie spécifique aux traductions. Les règles de jeux francophones sont, de manière générale, rédigées dans une langue moins soutenue et moins claire que les versions anglaises et, me suis-je laissé dire car je suis bien incapable d’en juger, allemandes. La syntaxe est approximative, les phrases longues et encombrées d’adverbes inutiles. Un texte mal écrit, ampoulé ou fautif est toujours désagréable à lire et souvent difficile à comprendre ; on ne peut pas dans une règle de jeu, comme dans un livre, sauter les passages que l’on ne comprend pas vraiment. Lorsqu’à cela s’ajoutent des erreurs ou maladresses de traduction, le résultat peut devenir incompréhensible et éloigner de potentiels joueurs du jeu de société. J’aimerais que les éditeurs consacrent aux règles, à leur rédaction et à leur traduction, autant de soin et de sérieux qu’aux illustrations et à la maquette. On en est encore très loin alors que, pour le jeu et pour les joueurs, c’est quand même beaucoup plus important. 

Et maintenant, je vais traduire ce texte en anglais. Ma traduction sera loin d’être parfaite, et je ne la fais pas relire. Mais, bon, je ne vous fais pas payer pour lire cet article, et une imprécision n’empêchera pas de le lire et de le comprendre comme elle peut empêcher de jouer correctement à un jeu.


I rarely listen to podcasts or watch videos about boardgames. I prefer written articles or reviews. I nevertheless listened with great curiosity, a few weeks ago, when my friends at Tric-Trac and their guests discussed the translation of boardgames into French in their weekly video, the Tric Trac Show. I was hoping that someone will address the elephant in the room – in French we say « put their feet in the dish » – and tell about the disheartening mediocrity of most French rules translations. This was unfortunately not the case, tough for good reasons, since the people they had invited are among the few who do this job well. So, I’ll put my feet in the dish.

I’m not very good at languages. I can more or less write in English, but speaking is another matter. At various moments in my life, I learned some Latin, German and Polish, but forgot most of It. I’m vainly trying to get the basics of Japanese. I was nevertheless always much interested in the everything that deals with language and translation, and this also shows in my work on unicorns.

Bad translations

I was surprised when, thirty years ago, I realized that the French game rules translations put by publishers in their boxes were vastly inferior not only to the French or English original rules, but also to the English translation of German games. I am horrified to see that, except for a few publishers, mostly big ones, it didn’t change much.
This morning, Antoine Prono was sharing on Twitter a message he got from a French gamer, thanking him for a flawless translation. A flawless translation should be the norm, but it has become so exceptional that gamers notice it and thank the translator !

The mediocrity of French translated rules has two facets.
First, but this also true of many rules directly written in French, these translations are written in a faulty, heavy and pompous French, mistaking grandiloquence for elegance. This is very ironic coming from publishers who claim that games should be recognized here as a « cultural item » – unless of course what they mean by « cultural » is only « lower VAT rate ». 
Furthermore, and this is specific to translations, errors are common, and ambiguities are everywhere.

Two examples of recurrent English to French rules translation errors :
•  There is no exact equivalent in French to the English pronoun « any ». In many French game rules, « any player » is systematically translated as « n’importe quel joueur », always in the singular. Depending on the context and the sentence structure, it should be translated as « un joueur quelconque », « un ou plusieurs joueurs » ou « tous les joueurs ». As a result, when one reads « n’importe quel joueur » on a French language card, the best way to understand it is usually to try to imagine the English sentence with « any player ». 
• Many modern game are about vote, influence and majority. The English word « Majority » translates as « majorité absolue », while Plurality translates as « Majorité relative » (and Diversity sometimes translates as Plurality). Unfortunately, in most translations, Majority simply becomes majorité, and the reader has no way to guess if this « majorité » is « absolue » or « relative ».  

Of course, one can find explanations. The English language is more precise and better fitted to rules writing, which is the main reason why I do all of my prototypes directly in English. Often, the translation is done in a hurry, to add a few thousand copies to a multilingual print run and get a lower unit price from the printer. While the original rule had been tested and proof read a few hundred times during development, the translation is not always proof-read and rarely tested with actual players. The true reason, however, is that many publishers do the translation by themselves, or ask players to do it for a few copies of the game, which shows some contempt for games, players and,  game designers and of course languages.

These explanations, however, are not excuses. It is great time publishers, and especially French ones, start taking rules translations seriously.

Last minute changes by the publisher or, more often, the designer can also be a problem. I admit having made a few ones. When a small rule is modified after the ruleset has been sent for translation, all translators must be informed and apply this small change. It can cause errors and inconsistencies. Translators hate it.

Simple fixes

A game rule is both a literary and a technical text. These are two reasons to have it translated by a skillful person, usually a professional translator who is also a gamer. For French translations, I suggest Antoine Prono, who is talking on the Tric Trac Show video, but I also know Mathieu Rivero and Birgit Irgang, and there are more. Yes, it’s an added cost, but if more and more publishers are starting to pay for it, it’s because they understand what they have to win in terms of playability, reputation and, of course, sales.
A game rule is both a literary and technical text. These are also two good reasons to have a professional proof-reader correct it; when it’s also a translation, that’s one more reason to do it. For French rules, I suggest my friend Camille Mathieu, co-designer of Trollfest, one of the few French professional proofreaders who really knows boardgames well.

There are very few multilingual editions. They allow players, in case of doubt, to check the original rule, usually the English ones. Unfortunately, this means more paper in every box, and is not really possible for the many games, often the most fun ones, which have text not only in the rules but also on the cards.

Small Japanese games are trendy. A specificity of Japanese rules is that the distinction between text and diagrams is not as strict as in the West. Even when the translation is faithful and well made, the western gamer can miss a point which is explained only in a diagram. This doesn’t necessarily mean that these games must be fully reorganized to translate them in French or English, but better know about this before reading, for example, the rules of the small Oink games.

What can gamers do ?

American publishers usually take translating rules seriously. English language translations of French games are usually much better than French translations of US games. Even german games have much better translations in English than in French. 

For about ten years now, when I want to buy a new game coming from the US, from Germany, from Poland, Japan or anywhere else, I systematically look for an English language edition, even when it’s more expensive. I’ve even bought English language copies of games the publisher had sent me in French. Unfortunately, Philibert, which was my main source for English language new games, is more and more selling only French editions, and I recently had to order games from Britain, at a higher price.

Despite this, I urge all those who, like me, have been put off by unreadable French translations and have looked for the English rules on the Boardgamegeek, to do the same. May be this will encourage French publishers to put some effort in making correct translations.   

The paradox of the translating a French game in French

This article has been written so far mostly from the gamer’s point of view. From the game designer’s one, it can become totally absurd. There are several games for which I wrote the English rules but not the French ones.

When a german or US publisher publishes a multilingual version of one of my games, which happens mostly for lighter games with short and simple rules, I am usually asked to writhe the French version, which is then corrected by a proofreader. It’s sound and logical.
Often, when a french publisher gets from a foreign publisher, usually US, the rights for the french translation of one of my games, they make the translation by themselves, or ask someone to do it, without asking for my agreement, without even telling me. Several times, I learned about it too late to proofread and correct the rules accurately.

Legal point : Unlike US law, French law divides the author’s right into two parts, patrimonial and moral. The patrimonial right is sold by the author to a publisher, in return for royalties, but the moral right cannot be sold. This means that no publisher or distributor can substantially modify a creation without the author’s agreement. This law has been used a few times by directors to have a movie shown in French venues with their original cut, despite the studio showing its own cut in most of the world, and by writers to prevent publishers to shorten their text. This might be a legal way to prevent a publisher from refusing to use the designer’s own French rule set.

Even when it’s too late, I systematically protest to the publisher when this happens. The publishers reactions can sometimes be surprising. Most of them apologize, then argue that they didn’t think about contacting me because they were not used to translate french designers into French. I don’t really believe it, since I’m far from being the only french game designer whose games sometimes cross the Ocean backwards. Other Publishers don’t see the problem. One recently answered me that he didn’t have a contract with me but with my US publisher, and that he didn’t care about my qualms. I hope he’ll get all the success he deserves. 

A few times, I even ended in the absurd situation of having written the English rules of a game, but not the French ones. I’m not saying the original designer should always be in charge of the translation in their original language, but asking them first about their opinion should be the least of courtesies. Often, especially when the game has been modified a lot with the publisher and the rules to be translated are not really mine any more, I prefer to have a professional translator deal with it, providing I have enough time for proofreading and correction. That’s how we deal last year with Iello for Vampire – The Vendetta, and the process was smooth, efficient and highly enjoyable.

A larger issue

The problem is not only with translations. French language game rules are often terribly written, with long and faulty sentences full of unnecessary adverbs. English language rules, on comparison, are short, clear and elegant. I can’t really judge, but I’ve been told most German ones are also good.  A convoluted or badly written text is unpleasant to read and hard to understand. One cannot, in a game rule, skip the unpleasant or unclear parts like in a novel, an essay or a blogpost. When there are translation errors and ambiguities on top of that, it can easily discourage people to start playing boardgames. I wish game publishers, especially French ones, were as careful with rules, their writing and their translation, as they are with art and layout. We’re very far from it when, for games and gamers, it’s much more important. 

I’ve translated the text in English by myself, and it has not been proofread by anyone. I know the result is far from perfect. I dare to do this because you don’t pay to read it, and because it’s not a game rule, it’s a blogpost. Even when a sentence is not perfectly clear, it will not prevent you from going forward and seeing the general point, like it could have done in game rules.

Un week-end au chalet rouge
A week-end at the red cabin

Je reviens d’un bref week-end dans le chalet rouge de Martin et Aline Vidberg, à Amathay Vesigneux, en Franche Comté, c’est à dire au milieu de nulle part, dans un coin où il doit faire froid l’hiver. Aline était institutrice, Martin est dessinateur de presse, mais ils sont surtout tous deux passionnés de jeux de société et ont décidé, il y a quelques années de cela, de lancer Un monde de jeux, blog puis surtout chaîne YouTube consacrés aux jeux de société. Depuis un an, ils ont ouvert le Chalet rouge où ils hébergent quelques auteurs de passage comme moi et surtout les éditeurs qui passent présenter leurs nouveautés et les faire un peu tourner dans un petit public de spécialistes.

Je les aime bien et cela fait longtemps que j’avais envie d’y aller. Cela fait aussi longtemps qu’ils avaient envie de me recevoir, mais, peut-être parce que je me fais vieux et suis de moins en moins dans l’actualité ludique, ou parce qu’ils avaient peur que je dise des bêtises, aucun de mes éditeurs n’avait encore décidé de financer un passage avec moi au Chalet Rouge. On en a discuté à Etourvy au mois de mai et décidé que, bon, tant pis pour leur business model, je passerais quand même un jour ou l’autre durant l’été, quand il n’y a personne.
C’est donc fait, et je me suis tout à la fois reposé, mis au vert, et bien amusé à jouer et discuter.

Bien qu’elle ne soit pas disponible en français, on a tourné une petite video de présentation de ma dernière grosse nouveauté, Trollfest, conçue avec Camille Mathieu. Si elle pouvait donner à un éditeur français l’envie de faire venir ici non seulement ce jeu, mais aussi tout ou partie de la gamme de Trick or Treat games, ce serait très chouette. Si vous êtes intéressé, vous pouvez me demander leurs coordonnées.

Même s’il publie régulièrement des videos sur les sorties du moment, Martin aimerait échapper un peu au culte du neuf. Il m’avait donc aussi demandé de présenter un ou deux jeux plus anciens dont je pense qu’ils mériteraient une deuxième chance. J’ai choisi Waka Tanka, un jeu de bluff moins enfantin qu’il n’en a l’air, qui n’a pas connu de grand succès mais reste l’une de mes créations préférées, et dont j’espère qu’un éditeur voudra bien un jour lui donner une nouvelle chance – une nouvelle édition est prévue en Amérique du Sud, mais pas dans le reste du monde.

J’ai aussi présenté Venture Angels, petit jeu de bluff et d’enchères qui n’est disponible que dans une version bilingue coréen-anglais et dans une édition en persan, et dont j’aimerai bien aussi qu’il attire l’œil d’un éditeur de chez nous. Bref, j’avais plus les éditeurs que les joueurs en tête en faisant mon choix, mais j’espère que ces jeux seront bientôt disponibles en France.

Nous avons surtout tourné une plus longue vidéo, partant de mes souvenirs de dinosaure du jeu de société, puisque je dois être l’un des auteurs les plus vieux encore en activité. Elle s’est terminée en discussion à bâtons rompus sur un sujet auquel je m’intéresse beaucoup en ce moment, les soucis d’écriture et surtout de traduction des règles de jeu, un problème récurrent de l’édition française auquel je pense consacrer un prochain post sur ce blog.

Je ne sais pas trop quand toutes ces videos seront en ligne, j’espère que ça ne sera pas trop long. C’était en tout cas très agréable à enregistrer, avec des hôtes adorables. Même s’ils tournent des videos, et essaient avec difficulté d’en vivre, Martin et Aline m’ont confié que, comme moi, ils regrettaient un peu que l’écrit disparaisse du monde de la critique ludique. La video a bien sûr d’énormes avantages, la spontanéité, la possibilité de mettre en scène débats et discussions, l’image qui permet de montrer le matériel et le déroulement d’un jeu. L’écrit en a d’autres, l’argumentation construite, l’approfondissement, la précision du vocabulaire, la quantité d’informations que l’on peut faire passer en un temps limité, et surtout la possibilité de se relire et se corriger. On devrait pouvoir trouver de la place pour les deux.

Le chalet, car c’en est bien un, est plein de charme et surtout de jeux. La collection de Martin et Aline est certainement bien mieux rangée que la mienne.  Elle est sans doute aussi plus importante, du moins en ce qui concerne les jeux récents. Nous pouvions jouer à tout ou presque. J’ai donc fait jouer Trollfest, Venture Angels et Waka Tanka, ainsi qu’un prototype dont je ne peux pas vraiment parler.

Ils m’ont fait découvrir quelques jeux que je ne connaissais pas. J’ai beaucoup apprécié Blitzkrieg, de Paolo Mori, un petit jeu de guerre à deux joueurs, sans plateau géographique, aux mécanismes très originaux.  Ma découverte du Week End est incontestablement Le club des aventuriers, de Henrik Havighorst et Mathias Spaan, un jeu mignon et malin, à la Dixit, et pas seulement pour les enfants. La boîte ne paie pas de mine et dont personne n’a parlé, et je l’aurais certainement laissé passer si mes hôtes n’avaient pas insisté pour me le faire découvrir. J’en ai déjà commandé une boîte et je suis certain qu’il va devenir un grand classique de mes soirées jeux parisiennes.

Je me trouve rarement à la même table que d’autres amateurs de jeux de lettres, ils m’ont donc montré un petit jeu de cartes un peu déconcertant, Dictopia, de Yoann Brogol, avant que nous ne fassions une partie d’Enigma / Decipher, des auteurs de Cosmic Encounter, que j’apprécie toujours autant.

Les résultats du Spiel des Jahres, sans doute le prix ludique le plus renommé, sont tombés pendant le week-end. Nous avons donc joué à Cascadia, de Randy Flinn, avant de refaire un Akropolis pour s’assurer que, dans le même style, le jeu de Jules Messaud est quand même infiniment plus intéressant, plus cohérent, plus lisible et plus joli. Je regrette un peu que le très mignon Scout n’ai pas eu le prix – il manquait certes d’originalité, mais on ne peut pas dire que ses concurrents Top Ten et Cascadia en aient eu beaucoup non plus. Si j’étais resté un jour de plus, on m’aurait sans doute fait jouer à Living Forest.

Après ce bref week-end au vert et au frais, je suis de retour pour quelques jours à Paris sous la canicule. Avis à tous mes éditeurs : j’espère avoir bientôt d’autres occasions de passer chez Martin et Aline. Je suis certain que vous y serez, comme moi, agréablement dépaysés.

Et voici les videos enregistrées lors de mon passage :



I’m back from a short week-end in Amathay-Vesigneux, a small French village right in the middle of nowhere, in Franche Comté, near the Swiss border. It must be very cold in winter. Aline was a teacher, Martin is a press cartoonist, but they are also both boardgame enthusiasts. A few years ago, they started  Un monde de jeux, a French language boardgame blog, which soon became mostly a You Tube channel. A year ago, they opened Le chalet rouge – The red cabin – , a place where they host game designers like me and, most of all, publishers willing to show their new stuff and play it with a small group of dedicated reviewers.

I really like Martin and Aline, and I was willing to go there for some time. They also hoped for it but, may be because I’m getting old and less productive, or because they were afraid I might say some bad stuff, none of my publishers so far has been willing to pay for a trip there with me. So, we discussed it in Etourvy in May and decided that, never mind their business model, I will go there one or two days in summer, when there are fewer visitors.
It’s now done. I enjoyed my calm days in the countryside, and we had fun playing and discussing games.

Even though it’s not available in French yet, we shot a video presentation of my last big box game, Trollfest, designed with Camille Mathieu. Let’s hope it will convince some French publisher to carry it there, may be with other stuff from the line of its really nice new publisher, Trick or Treat games.

Martin regularly publishes video about the new games hitting the shelves, but he also would like to escape from the cult of the new. He asked me to present one or two older games which, in my opinion, deserved a second chance. I first chose Waka Tanka, a bluffing game which didn’t sell that well but is still one of my favorite designs. I hope a new publisher would be willing to give it another chance, probably with a different setting. A new edition is in the pipe, but only for South America.

I also showed Venture Angels, a bluffing and auction games of which they are only two versions, a Korean-English bilingual one and a Persian one. May be someone will want to bring it to the rest of the world. In short, I made my choice with publishers in mind, more than gamers. Let’s hope some of them will get interested by one or the other of these games.

We also shot a longer video which started about my history as one of the last dinosaurs of boardgaming – I’m probably one of the oldest still active boardgame designers. It ended with a casual on a subject I’m very interested at the moment, the issues with writing and translating rules, something French publishers have lasting problems with. I plan to write a long blogpost about it one of these days.

I’ve no idea when all these videos will be online, I hope it won’t be long. Recording them with nice and subtle hosts was a great fun. Even when they now mostly shoot videos, and try to make a living out of it, Martin and Aline told me that, like me, they are bit worried with the wane in written reviews and articles in the boardgaming world. Videos have obvious advantages. They are spontaneous, they can have real debates and discussions, they can use pictures of game elements and short reels of games in progress. Written text has advantages too. Written text too has advantages too. Reasoning is deeper and more consistent, vocabulary is more precise, it’s always possible to go back and correct a text, more information can be made accessible in a much shorter time. There should be room for both.

The chalet rouge is an authentic alpine cabin, full of charm and, of course, of games. Martin and Aline’s collection is much better organized than mine. It is also bigger, at least with recent games, and we could play almost anything.

I taught them Trollfest, Venture Angels, Waka Tanka, and a prototype I cannot tell about yet. They also showed a few games I didn’t know. I really enjoyed my play of Blitzkrieg, a two player mapless wargame by Paolo Mori. My discovery of the week-end was The club of adventurers, by Henrik Havighorst and Mathias Spaan, a cute and clever dixit-like party game, not only for kids. I had never heard of it before, and would certainly still ignore it if my hosts had not insisted in playing it with me. I’ve already ordered a copy and I’m confident it will become a staple of my Parisian game nights.

I rarely meet other word and letter games fans, so we had to play a few ones. They showed me a strange vocabulary game, Yoann Brogol’s Dictopia, and we then played Decipher, by the Cosmic Encounter team, which I always enjoy.

The german Spiel des Jahres is still the most important boardgame prize. It was announced while I was there, so we had to play a game of Randy Flinn’s Cascadia. It was followed by a game of Jules Messaud’s Akropolis to make sure that the latter is similar but much more interesting, consistent, nice looking and easy to play. I regret a bit that Kei Kajino’s Scout didn’t get the award. Yes, I know, it’s not very original, but Cascadia and Top Ten are not either. If I had stayed another day, we would certainly have played Living Forest.

After this refreshing week-end, I’m back in Paris, under the heat wave. Like my videos, this will be mostly aimed at publishers : I hope I’ll soon have other opportunities to visit Martin and Aline. It will be a pleasure for me, and for you.

Trick or Treat

Il y a tout juste vingt ans, en 2002, après avoir sympathisé avec Éric Hautemont, je signais coup sur coup pour quatre jeux, Mystère à l’Abbaye (avec Serge Laget), Aux Pierres du Dragon (avec Michael Schacht), Le Collier de la Reine (avec Bruno Cathala) et Terra chez un éditeur qui n’existait pas encore, Days of Wonder. C’était un pari, au feeling, que je n’ai jamais regretté, même si les jeux ne sont aujourd’hui plus édités, ou plus par Days of Wonder. Vingt ans plus tard, j’ai fait le même pari, au feeling, en signant pour quatre jeux avec un nouvel éditeur américain, Trick or Treat Games. Le premier, Trollfest (avec Camille Mathieu) vient de sortir, et je ne peux pas encore en dire plus sur les autres, deux remakes de petits jeux de cartes déjà anciens et un gros jeu plus ambitieux et original.

Trick or Treat Studios est une compagnie déjà ancienne, créée il y a une douzaine d’années en Californie par Chris Zephro. C’est devenu l’un des leaders américains du marché des déguisements horrifiques, des gadgets inquiétants, des masques et costumes de Halloween et des trucs à collectionner – et aux Etats-Unis, ce n’est pas un petit marché. Les professionnels du jeu qui se sont aventurés dans le hall des monstres et des costumes ont donc peut-être croisé l’équipe de Trick or Treat à Nuremberg.

Un peu surpris de voir une boite déjà bien installée, sur un créneau qui a l’air de bien tourner, s’intéresser au marché déjà un peu encombré du jeu de société, j’ai donc interviewé Chris Zephro, via Skype, pour en savoir plus sur ses projets et ses motivations. Et comme je déteste les videos et podcasts qui durent des heures et que l’on ne peut pas vraiment lire en diagonale en cherchant ce qui nous intéresse, je vous en fais un résumé par écrit.

Chris, qui était au lycée avec l’un des fils de Gary Gygax, est tombé très jeune dans le jeu de rôles, puis dans le jeu de société, et a chez lui une collection de près de 2000 jeux. Les thèmes fantastiques et horrifiques de ses productions se prêtent bien à des adaptations ludiques qui pourraient aisément être vendues sur les mêmes sites webs et dans les mêmes boutiques. Cela fait donc bien longtemps que l’idée d’une gamme de jeux de société titillait Chris et son équipe, David, Jody, Justin et quelques autres. Comme beaucoup de gens dans beaucoup de domaines, ils ont « profité » des années de crise sanitaire pour se lancer. Ils ont contacté des auteurs connus – Eric Lang, Richard Garfield, Tom Lehmann, Emerson Matsuuchi, et bien sûr Bruno Faidutti, sans quoi je ne serais pas en train d’écrire cet article – mais ont aussi fait le tour des quelques bonnes idées qui traînaient dans leur entourage. Ils ont en outre repris les droits d’un certain nombre d’excellents jeux d’un éditeur sympathique malheureusement récemment obligé de mettre la clef sous la porte – je ne pense pas avoir encore le droit de dire qui et quels jeux. Pariant sur des auteurs de jeux connus, des thèmes fantastiques et horrifiques, des illustrateurs expérimentés venus du monde des comics et de l’horreur et peu connus des joueurs, et un réseau de distribution original qui ne les empêche bien sûr pas de vendre aussi par des réseaux plus classiques, Chris pense que Trick or Treat peut se faire une place dans le monde en forte croissance mais néanmoins assez encombré du jeu de société.

Les trois premiers jeux de Trick or Treat Games, trois grosses boites carrées au look aussi effrayant que rafraichissant, arrivent ces jours-ci en boutique. Dans World Z League, de David Gregg, illustré par Dug Nation, les joueurs tentent de résister à des hordes de zombies affamés avec pour seul moyen de défense le tir à l’élastique. Dans Blood Orders, conçu par l’un des employés de Trick or Treat, Nick Badagliacca, les joueurs sont des vampires tentant de prendre le contrôle de la cité et de ses habitants. Dans Trollfest, que j’ai conçu avec Camille Mathieu et dont je parle plus longuement ici, chaque joueur est l’impresario d’un groupe de rock dans un univers médiéval fantastique. Blood Orders et Trollfest sont tous deux illustrés par un vieux complice de l’équipe de Trick or Treat Games, David Hartman, surtout connu dans le monde de l’animation mais qui s’est bien amusé à dessiner quelques cartes. Une dizaine d’autres jeux sont prévus dans l’année qui vient, la plupart mais pas tous dans les univers fétiches de Trick or Treat.

Pour l’instant, tous ces jeux ne sortent qu’en anglais, et aux Etats-Unis, mais j’espère bien que des éditeurs et distributeurs petits et grands seront intéressés par des versions en français, en allemand et dans d’autres langues. Chris m’a dit dans son interview qu’il était prêt à discuter aussi bien de distribution que de licences. Si cela vous intéresse, contactez-moi (faidutti@gmail.com) et je vous mettrai en contact.

Ce qui m’a donné envie d’écrire cet article est surtout le plaisir que j’ai eu à travailler avec Chris, David, Jody et les autres. Je connais des éditeurs qui, une fois un jeu signé, travaillent dessus dans leur coin, changeant parfois un peu tout et se contentant de tenir vaguement l’auteur au courant tous les deux ou trois mois. C’est une méthode qui peut me convenir pour des jeux déjà publiés, déjà anciens, sur lesquels je n’ai pas de réelle excitation à retravailler et dont je suis curieux de voir ce que d’autres peuvent tirer. Pour des jeux nouveaux, sur lesquels j’ai toujours de nouvelles idées et peux rebondir sur les suggestions de l’éditeur, de l’illustrateur ou du graphiste, c’est frustrant, et donne souvent des résultats médiocres. Je voudrais donc donner en exemple à tous les éditeurs la méthode qui a été utilisée pour Trollfest : un forum en ligne et une gestion de projet, sous basecamp mais plein d’autres systèmes doivent permettre de faire la même chose, permettant à tous, éditeur, graphiste, illustrateur et auteurs, de rester en contact permanent, de savoir ce que chacun fait, de lancer des idées en l’air. C’est efficace, c’est rapide, cela respecte le travail de tous, et cela évite à l’éditeur de faire sans cesse l’intermédiaire en envoyant des emails en tous sens. C’est ainsi, je pense, que tous les éditeurs devraient travailler pour le développement de leurs jeux, et c’est ce qui m’a donné envie de continuer à travailler avec Trick or Treat – et aussi, quand même, le fait qu’ils ont l’air sympathiques.


Twenty years ago, in 2002, after I had sympathized with the founder Eric Hautemont, I signed four publishing contracts with a publisher which didn’t exist yet, Days of Wonder. The four games were Mystery of the Abbey (with Serge Laget), Fist of Dragonstones (with Michael Schacht), Queen’s necklace (with Bruno Cathala) and Terra. It was a gamble, and I never regretted it, even when these games are now out of print, or no more at Days of Wonder. Twenty years later, I just made the same kind of gamble and signed for four games with a new US publisher, Trick or Treat Studios games. The first one, Trollfest, designed with Camille Mathieu, is already out, and I can’t tell much about the other ones, two reprints of older light card games and a more ambitious and original big box game.

Trick or Treat Studios is new to the boardgame market, but it’s not a new company. It was founded thirteen years ago, in California, by Chris Zephro. Trick or Treat Studios, as you can guess from its name, specializes in Halloween stuff, masks, costumes, collectables which in the US is much more of a big business than anywhere else in the world. Boardgame professionals might have met the Trick or Treat team in Nuremberg when venturing into the masks and costumes hall.

I was a bit surprised to see a well established company, in what looks like a profitable market, venturing into the crowed boardgame business. So I interviewed Chris Zephro, via Skype, on his projects and motives. And since I hate long audio or video interviews and podcasts which I cannot read diagonally looking for what is of interest for me, I don’t post it but used it to write this short blogpost.

Chris was with Gary Gygax’s son in Jr High School, and has been playing role playing games, and later boardgames, for very long. He owns a collection of about 2000 boardgames. The fantasy and horror themes of Trick or Treat products fit very well with modern boardgames, which can easily be sold via the same networks of shops and websites. Chris and his team, David, Justin, Jody and a few others, were considering venturing into boardgames for some time. Like many people, they “took advantage” of the covid crisis to contact people and start developing new ideas. They contacted several well know designers, such as Eric Lang, Richard Garfield, Tom Lehmann, Emerson Matssuchi and even Bruno Faidutti (if not, I would not be writing this blogpost now) but also developed some fun ideas by their friends and coworkers. They also managed to acquire the rights on a few games by a really nice company who recently had to go out of business – I probably should not name it yet. Betting on well know game designers, great horror artists little known so far in the gaming world, and a new commercial network which doesn’t prevent them to also use the more traditional ones, Chris thinks there is a place for Trick or Treat games in the fast growing but also overcrowded boardgame publishing world.

The three first Trick or Treat games, three large square boxes which look both horrifying and refreshing, are landing in the US shops these days. In David Gregg’s World Z League, with art by Dug Nation, players have only rubber bands to shoot at the incoming crowd of hungry zombies. In Blood Orders, and in house design by Nick Badagliacca, they are vampires vying to take control of the city and its inhabitants. Both Blood Orders and Trollfest have art by David Hartman, better known as an animation artist, but who had real fun drawing a few game cards. A dozen or so new games are scheduled in the coming year, most but not all of them in Trick or Treats’ usual fantasy and horror settings.

These games are scheduled only in English so far, mostly for the US market, but I really hope other publishers or distributors will be interested in doing or selling French, German or other languages versions. Chris told me he is ready to discuss both distribution and license deals. If interested, email me (faidutti@gmail.com) and I’ll put you in contact with him.

The main reason which made write this blogpost is the real fun I have working on Trollfest with Chris, David, Jody and all the others. I know publishers who, once a publishing contract is signed, work on the game in house, sometimes changing tons of elements, and only vaguely emailing the designer once every two or three months that “development is going smoothly”. I have no real issue with this for new versions of older games; I’m not always excited in coming back to an older design, and I can be curious of what other people can make out of it. I can’t work this way for new designs, because I want the published game to be mine, even when I can always bounce back and build on the publisher or the illustrator’s remarks. It’s frustrating and the results are often mediocre.
This is why I want to stress as an example the method used on the development of Trollfest. There was an online forum on a project management system, namely Basecamp but it can probably work as well with other ones. All the people involved, publisher, designers, artist, graphic designer had access to it, could see everything and throw wild ideas in the air. It was efficient, dynamic, respectful of everyone’s work, and probably meant less work for the publisher than sending and forwarding emails in all directions. That’s how all publishers should work on game development, and that’s one of the main reasons I’m willing to work again with them – the other reason being that they seem to be nice guys.

Some of the Trick or treat team playing Trollfest with family.

Etourvy 2022

Simon, tu es repéré.

Ce retour à Étourvy après deux ans d’interruption a, je crois, fait beaucoup de bien à tous les participants. En tout cas, il m’a fait beaucoup de bien.

Derniers restes de la crise sanitaire ou tendance lourde et durable, sans doute un peu des deux, le public était bien plus franco-français que les années précédentes. Beaucoup d’habitués des quatre coins du monde ne sont pas venus cette année, ce que je regrette un peu – les polonais sont les seuls à s’être déplacés en force. Certains absents ont certes envoyé des jeux pour la table de prix, mais ce n’est pas la même chose ! Prendre l’avion, ce n’est pas bien et il va très vite falloir sérieusement se rationner, mais mélanger les gens, les langues, les cultures et les jeux, c’est bien et il est politiquement urgent de s’y remettre. Je ne sais pas bien comment on va concilier tout cela.

Et puis, il y avait ceux qui n’étaient pas là parce qu’ils ne sont plus là, Kristine et Jean-Marc, et cela fait un drôle d’effet.

On joue en bas

A quelque chose malheur est bon, j’ai pu inviter quelques nouveaux bien de chez nous, de vieux et de nouveaux amis, de jeunes auteurs qui montent comme Anthony Perone ou Oussama Khelifati, des éditeurs qui n’étaient jamais venus, comme Origames, et quelques critiques ou journalistes ludiques de chapelles plus ou moins rivales – j’avoue que je ne suis pas très bien. L’audience était donc moins cosmopolite que d’habitude, mais elle était plus jeune que lors des épisodes précédents, et du coup plus féminine car la nouvelle génération d’ “acteurs ludiques” est un peu moins masculine que la précédente.

L’apéro du vendredi

L’équipe du foyer rural d’Étourvy était aussi bien contente de nous revoir, au point de nous offrir à tous champagne et kir vendredi soir. Un immense merci à eux pour leur accueil et leur travail, et aussi à tous ceux qui m’ont aidé à organiser ce week-end. Camille d’abord, qui a géré la bière, les softs et les trucs à grignoter, mais aussi tous ceux qui sont arrivés sur place avec moi dès lundi et ont participé à la mise en place, Cyril, Vincent, Didier et Sébastien.

et en haut

Au fait, Camille est l’une des rares correctrices littéraires, peut-être la seule, à s’y connaître en jeux de société et jeux de rôles. Si vous êtes éditeur et avez besoin de faire relire des règles originales ou des traductions en français, n’hésitez pas à lui faire signe (vous pouvez me demander son mail).

Explication des règles avancées du téléphone arabe.

Merci aux organisateurs de tous les jeux et tournois, la Murder Party d’Isabelle et Sébastien, mais aussi le Two Room and a Boom, le tournoi de poker, le tournoi de Unmatched, le karaoké, les aventures de René, et tout ce que j’oublie. On a un peu regretté l’absence de Laurent Escoffier, personne n’étant aussi abon pour organiser des trucs en extérieur, mais on a quand même fait quelques jeux idiots, plus ou moins improvisés, dans la cour. Le grand nombre de boomers parmi le public d’Etourvy a permis de jouer à un quizz un peu original,  « mort, pas mort ». Les deux seuls personnages sur lesquels la majorité des joueurs s’est trompé sont Mikhail Gorbatchev et Henry Kissinger, tous deux encore vivants. Le traditionnel Brouhaha s’est joué cette année avec handicap, des écarteurs de lèvres, gadgets qui pourraient sans doute enrichir de très nombreux jeux de communication. Quant au turtle wushu, ses règles n’ont pas changé mais il est devenu un frog wushu, ce qui me semble plus logique – les grenouilles sautent mieux que les tortues.

Brouhaha

Si Scout, de Kei Kaijino, était le petit jeu de rien du tout le plus joué au début de ce long week-end de cinq jours, il a fini supplanté par Paquet de Chips, de Mathieu Aubert et Théo Rivière, qui est également ma découverte d’Étourvy. J’ai d’ailleurs appris que c’est lors d’un épisode précédent des rencontres ludopathiques que ce subtil jeu de paris avait été présenté à l’éditeur.

Paquet de chips

En poids moyens, Living Forest de Aske Christiansen et le très mignon Creature Comforts de Roberta Taylor ont semblé les plus appréciés.

Dune

Les gros jeux les plus pratiqués étaient clairement Dune Imperium, de Paul Dennen, que j’adore mais qui n’est plus vraiment une nouveauté, et le tout nouveau Ark Nova, de Matthias Wigge, dont je ne pense pas que ce soit ma came mais qui a eu un certain succès.

Chaque année, un jeu un peu ancien et un peu oublié est joué par tout le monde sans que l’on sache trop pourquoi. Cette année, c’était le génial Krazy Wordz de (plein d’auteurs avec des noms allemands) dont j’aimerais bien qu’il ressorte avec un matériel un peu plus convaincant.

Un autre jeu oublié…

Côté prototypes, Run, un jeu de zombies de Philippe Keyaerts auquel je n’ai pas eu l’occasion de jouer, semble avoir fait l’unanimité. Les gens d’Asmodee avaient aussi apporté Challengers, qui s’est avéré un très subtil jeu de deck building… mais qui a vraiment l’air sans grand intérêt quand on se contente d’expliquer les règles. J’espère donc qu’ils trouveront un truc pour le vendre !

J’ai été frappé, parmi les nouveautés comme parmi les prototypes, par le nombre de jeux utilisant le son. Sound Maker, Sound Box, le prototype de Tracks par Juan Rodriguez et Christian Rubiella… C’est peut-être la prochaine tendance du jeu de société.

Trollfest

Camille et moi venions de recevoir nos exemplaires de Trollfest, où l’on ne fait pas de son mais qui parle de musique. Je l’ai donc fait un peu tourner et il m’a semblé très apprécié. L’éditeur, le tout jeune Trick or Treat Games, m’avait aussi envoyé d’autres de ses nouveautés pour que je les présente aussi aux quelques éditeurs européens présents qui pourraient vouloir les « localiser », mais il semble que le colis se soit perdu en route… Je les ai au moins fait jouer à Trollfest.

J’ai réalisé un peu tard que les quatre boites de mon autre nouveauté, Vabanque, que j’avais apportées étaient toutes quatre sous cello, et que personne n’avait osé les prendre sur la table des prix pour les ouvrir. Du coup, cette autre nouveauté dont je suis assez fier et qui est superbement éditée n’a pas été jouée du week-end…. C’est un peu dommage. Mais, bon, Fabien Riffaud a pris l’une des boites sur la table des prix, y a joué avec ses enfants en rentrant, ils ont beaucoup aimé, et il m’a quand même envoyé une photo

La table de prix

À propos de la table des prix, certains des nouveaux n’avaient pas entendu les consignes demandant à ceux qui partaient avant samedi de ne pas prendre de grosse boite qui pourrait faire des jaloux. Les deux grosses boites de l’édition anniversaire des Aventuriers du Rail, ainsi que l’une des deux boites de Carnegie, n’étaient donc déjà plus là samedi matin. Ce n’est pas bien grave, mais je l’écris ici pour que tout le monde retienne la leçon pour l’an prochain.
Pour ma part, je suis parti avec Gutenberg, par curiosité, et Paquet de Chips, que j’adore.

Un grand merci à tous les éditeurs qui avaient apporté ou envoyé des jeux, d’Atlas Games à Z Man Games. Je ne vais pas me risquer à faire une liste complète, j’en oublierais !

De retour à Paris, en déballant mes cartons, je n’ai pas trouvé ma boite de Loco Momo, que d’autres doivent avoir emporté. En revanche, j’ai un Age of Civilization et des Gardiens de Havresac qui ne sont pas à moi.

Young fox listening to gamers.

Très pris par mon bouquin sur les licornes, et peut-être aussi un peu fatigué, je n’avais pas eu depuis longtemps d’idées vraiment originales pour de nouveaux jeux. Étourvy a dû débloquer un truc, car quelques-unes me sont venues sur le chemin du retour. Je vais essayer de ne pas les oublier et de me mettre au boulot….

(D’autres photos en bas de cette page)

Karaoke


Being back in Étourvy after a two years break was, I think, great for everyone. At least it was great for me.

Whether it was the remnants of the health crisis or a heavy and lasting trend, there were very few foreign attendees. Many of the regulars from all over the world did not join this year, and I regret it – at the Polish team from Portal came in force. Of course, a few ones still sent games for the prize table, but it’s not the same thing. Flying is bad and we will certainly very soon have to ration it, but it is also politically urgent to start again mixing people, languages, cultures and games. I’m not sure how we can reconcile these two urgent necessities.
Other regulars, Kristine and Jean-Marc, were not here because they are not here any more. Sad.

Long Shot

Every cloud has a silver lining, and I seized the opportunity to invite a few more French people, old and new friends, young promising game designers like Anthony Perone or Oussama Khelifati, pubishers who hade never been here before and I didn’t know that well, like Origames, as well as game reviewers or journalists from various more or less rival denominations. As a result, the public was more French than before, but also more feminine since the generation of gamers and game designers is less overly male than the former ones.

L’apéro du vendredi

The team at Etourvy was also happy to see us back, and even treated all of us with Champagne and Kir on Friday night. Many thanks to them for their hospitality and their hard work. Many thanks also to the small team which helped me organize this week-end, first of all Camille who took care of beer, soft drinks and snacks but also everyone who was here with me on Monday to prepare everything – Cyril, Vincent, Didier and Sebastien.

By the way, Camille, also codesigner of Trollfest, is one of the very few, may be even the only one, French literary proofreaders who knows everything about boardgames and role playing games. If you have French translations which need proof reading, just ask me and I’ll forward you to her.

Frog Wushu

Many thanks also to all those who organized various events, Isabelle and Sebastien’s Murder Party, The big Two Rooms and a Boom game, the Poker tournament, the Unmatched tournament, the Karaoke, the Adventures of René, and probably other stuff I forgot. We missed Laurent Escoffier, who’s the best at organizing strange massive outdoor games, but we still managed to play a few big games in the turf. The many boomers in the attendance played a  “Dead or not dead” quizz Hose results were impressive. The two only characters from the last century on which a majority of players were wrong were Henry Kissinger and Mikhail Gorbachev, both alive and well.

The traditional Brouhaha was played this year with a handicap, mouth openers – which, by the way, could improve many communication games. Turtle Wushu became Frog Wushu, which sounds more logical – Frogs are better jumpers than Turtles.

Scout

Kei Kaijino’s Scout was the most played light game at the beginning of this five days long week-end, but it was slowly outdone by Theo Rivière and Mathieu Aubert’s Bag of Chips, which is also my discovery of this years’s ludopathic gathering. I incidentally learned that this subtle betting game was first shown to the publisher a few years ago in Etourvy.

Ark Nova

The most played big games were clearly Paul Dennen’s Dune Imperium, which is not really new anymore, and Matthias Wigge’s Ark Nova. It doesn’t look like my kind of games, but it was a hit with hardcore gamers.

Among the many midweight new games, Aske Christiansen’s Living Forest, Roberta Taylor’s supercute Creature Comforts were probably the most played.

Pit !

Every year, an older and more or less forgotten game becomes a surprise hit, no one knows why. This year, it was Krazy Wordz (by a bunch of designers with German names), which I would love to see back with more convincing components. The people at Asmodee had brought Challengers, a light, simple and subtle deckbuilding game… which sounds very bland from just reading the rules. I hope they’ll find a way to convey how fun it can be.

I was surprised by the several recent games and prototypes making use of sounds – Sound Maker, Sound Box, the prototype of Tracks. May be it’s the next gaming craze.

A young fox came to visit us at night

Camille and I had just received our author copies of Trollfest, which doesn’t make use of sound but is about music, and it was also a hit. The publisher, Trick or Treat games, had also sent other of his new games to be played in Etourvy, so that I could show them to French or other European publishers interested in localizing them, but it looks like the parcel got lost somewhere. Well, I tried to have them, at least, play Trollfest.

Trollfest

I realized a bit too late that the four copies of my other new big box game, Vabanque, were all still wrapped and that no one had dared take one from the prize table and open it to play. My fault. As a result, this new and gorgeously published game, of which I am realy proud, was not played at all. Anyway, Fabien Riffaud took one of the copies from the prize table, played it with his kids when  back, they loved it and he sent me a picture…

Vabanque, a bit later….

Speaking of the prize table, some of the newbies didn’t hear me asking that leaving before saturday not to take any big box which could make late comers jealous. As a result, the two big Ticket to Ride anniversary editions and one of the two copies of Carnegie were gone by Saturday morning. Never mind, but I write it here so that everyone will remember of it next year.
I took Gutenber, by curiosity since I have not played it, and Bag of Chips, which I realy like.

Thanks to all th publishers, from Atalas Games to Z Man games, who had brought or sent games. I won’t risk making a full list, I’m sure I would forget some.

When opening my crates back in Paris, I didn’t find my copy of Loco Momo, someone must have left with it. On the other hand, I have a copy of Age of Civilization and another one of Les Gardiens de Havresac which don’t belong to me….

Photos by everyone, 2

Being very busy with my unicorns book, and may be also a bit tired of games, I had not had fresh gaming ideas for a while. Etourvy unblocked something, and I thought of a few things on the way back. Now, I’ll try not to forget them and to get back to work.

Indirect interaction

Depuis trois ou quatre ans est apparu dans les descriptions de jeux de société un concept nouveau, assez fumeux et un peu hypocrite, celui d’ interaction indirecte – indirect interaction en anglais – qui me semble fumeux, triste et un peu hypocrite.

En gros, les jeux se diviseraient entre
• les jeux sans interaction, les courses que l’on fait chacun pour soi,
• les jeux « directement interactifs », ceux où l’on peut taper sur son voisin, au besoin par derrière,
• les jeux « indirectement interactifs », ceux où l’on embête parfois ses voisins mais on ne l’a pas vraiment fait exprès – du coup, c’est un peu moins drôle mais c’est moralement plus acceptable.

Un très bon exemple en est donné par les jeux de type roll and write. Si un même jet de dé peut être utilisé simultanément par tous les joueurs, il n’y a bien sûr aucune interaction. Si on lance autant de dés que de joueurs, et que chacun à son tour peut en prendre un, privant les joueurs suivants de cette possibilité, il y aurait interaction indirecte. On ne peut juger des causes que par leurs effets. Comme, dans un roll and write, nul ne regarde jamais vraiment ce qu’il se passe sur les grilles des autres joueurs, cette interaction indirecte n’est donc, de fait, qu’une forme de hasard. Certes, le choix dont vous disposez dépend des actions des autres joueurs, mais comme ces actions n’ont pas été faites en prenant en cause votre situation, vous ne pouvez les percevoir que comme aléatoires. Mais voilà, le hasard, même rebaptisé aléa, ça fait puéril et ringard, l’interaction indirecte, ça fait moderne et subtil. Personnellement, même si je ne suis pas trop fan des roll and write, je tend à préférer ceux où le même jet de dé peut servir à tous, et où l’on joue donc sans interaction au même jeu, comme High Score / Würfel Bingo, à ceux où un dé ne peut servir qu’à un joueur, et où l’on joue donc sans réelle interaction à des jeux différents.

L’interaction est parfois plus réelle, par exemple dans les jeux de placement d’ouvrier où les places sont chères et ne peuvent être occupées que par un joueur. Si on joue sur un même plateau, si on voit ce que font nos adversaires et on essaie de les bloquer, je ne pense cependant plus que l’interaction soit vraiment indirecte. Du coup, cette fois, je préfère les jeux de placement d’ouvrier où l’on peut bien embêter ses rivaux, comme Architects of the West Kingdom, à ceux où l’on ne fait guère attention à eux, comme Stone Age.

L’expression interaction indirecte réussit donc à être un euphémisme bifide, signifiant tantôt hasard sans interaction, tantôt interaction directe. Son succès illustre malheureusement une tendance inquiétante à vouloir que les jeux répondent, quitte à tricher un peu avec les mots, aux mêmes critères moraux que nous voudrions voir toujours respectés dans la réalité. Le hasard est injuste dans la réalité, il serait donc mal dans un jeu. Taper sur ses amis est mal vu dans le monde réel, ce ne devrait donc pas être possible dans un jeu.

C’est très exactement le contraire et cette théorie, qui est trop souvent un prétexte pour ne pas s’occuper des problèmes réels, découle d’une incompréhension totale de ce qu’est un jeu. Si l’on joue, c’est parfois pour le plaisir de se laisser entraîner par un hasard dont on se protège dans le monde réel. Si l’on joue, c’est souvent pour le plaisir de trahir ses amis, ce que l’on ne ferait jamais dans le monde réel. Si vous enlevez au monde du jeu le hasard, la baston et les embrouilles, il n’en restera pas grand chose – il restera juste quelque chose comme de l’interaction indirecte.


For two or three years now, a new, sad, nebulous and sometimes hypocritical concept has appeared in boardgame reviews, indirect interaction.

If I understand well the people who use this expression – I usually don’t – they divide games into thre categories
• Games without interaction, mostly race games or multiplayer solitaire.
• Games with direct interaction, in which you can hit at other players, sometimes even from behind.
• Games with
indirect interaction in which you sometimes incidentally bother your opponents.

A good example of the latter can be found in roll and write games. When all players must use the same die roll, there is obviously no interaction at all. When several dice are rolled at once and each player on turn can take one, thus making it unavailable for the next players, it is indirect interaction. Causes can only be defined by their effects ; since in a roll and write game no one ever looks at other players’ grids, this so called interaction is, in effect, added randomness. Sure, your possible actions depend on what other players are doing, but since they didn’t consider your situation when making their choices, you can only perceive them as random. The problem is that randomness, even when renamed alea, sounds violent and unfair, when indirect interaction sounds modern and subtil. I’m not a big fan of roll and write games, but I vastly prefer those in which all players make use of the same dice (or card), like the good old High Score / Würfel Bingo, over those in which every die can be used only by one player. I prefer playing all the same game without interaction to playing all different games without interaction.


There is some real interaction in many worker placement games, when a spot can only be occupied by a single meeple. I vastly prefer worker placement games in which players can actively play to hinder their rivals, like
Architects of the West Kingdom, to those in which they mostly ignore them, like Stone Age. But when all players play on the same board, can see what other players are doing, and actively play to block them, I’m not sure this interaction is really indirect.

Indirect interaction is therefore a versatile double-sided euphemism, meaning sometimes effective randomness with fake interaction and sometimes direct interaction but, shh, we should not say it.The strange success of this expression is a consequence of a very worrying trend, the idea that we should respect in games the same moral rules we should – and often don’t – respect in real life. Or if we don’t, we should at least make some effort and use a few long and empty words to fake it. Randomness is unfair in the real world, so there should be no randomness in games. Hitting one’s neighbour is bad in the real world, so we should not do it in games.

This strange idea is mostly a way not to deal with the issues of the real world, and derives from a total misunderstanding of what a game is. We play games for the fun of being carried away by the crazy randomness we are carefully avoiding in the real world. We play games for the fun of backstabbing our best friends, something we usually don’t do in the real world. It is the exact opposite. If you remove randomness, violence and intrigue from games, there will be very little left – may be just indirect interaction.

TrollFest

Camille Mathieu est une amie, une habituée de mes soirées jeux. Elle m’accompagne aussi souvent à des concerts, surtout mais pas seulement metal, ou du moins m’accompagnait du temps où il y avait un peu plus de concerts. Camille étant aussi correctrice littéraire, spécialisée dans l’imaginaire, il y avait une certaine logique à ce que nous finissions par travailler ensemble sur un jeu de société mettant en scène des groupes de rock composés de nains, d’orques et d’elfes. 

Dès le début, je pensais appeler le jeu TrollFest, Camille pensant plutôt à Elfest. Notre premier essai, un jeu de cartes, fonctionnait plutôt bien mais le thème rock and roll ne collait pas parfaitement avec les mécanismes. Très vite, les guitaristes, bassistes ou batteurs figurant sur les cartes sont devenus des sportifs participant à des compétitions de lancer de nain, de tricot ou de bataille de boules de neige, et TrollFest est devenu Trollympics. Ce jeu a en principe trouvé un éditeur il y a un petit moment déjà, mais tout est compliqué en ce moment, et comme on a déjà raté les jeux olympiques de 2021, je crains qu’il ne sorte que pour les prochains. Si TrollFest a du succès, cela accélèrera peut-être les choses !

Partie de test à Etourvy, avec Camille (à gauche).

Le cœur de l’activité d’un groupe de rock, ou en tout cas de l’image que l’on en a, n’est en effet pas le choix des musiciens mais la tournée. Pour notre deuxième essai, nous avons donc opté pour un vrai jeu de plateau, avec une carte où figurent des villes, les lieux de concerts, et les routes qui les relient, quelque chose que je fais de moins en moins souvent, essentiellement parce que je suis nul en dessin.

Partie de test chez moi, à Paris. Vincent réfléchit. Camille aussi, plus discrètement.

Une partie de TrollFest se déroule désormais en trois temps. Les joueurs choisissent d’abord des cartes action et musicien et constituent chacun un groupe amateur d’au moins quatre membres, un chanteur, un guitariste, un bassiste et batteur. Chacun quitte ensuite sa région d’origine pour une vaste tournée, allant de ville en ville, donnant des concerts, recrutant à l’occasion de meilleurs musiciens, embauchant même parfois des dragons pour le transport et les lumières. Les concerts les plus réussis, ceux qui rapportent le plus de points, sont dans les cités qui ont soif de culture, celles où l’on n’a pas vu passer grand monde depuis longtemps, et surtout dans celles dont le public est particulièrement réceptif à votre style musical – en gros, les nains aiment la musique de nains et les trolls la musique de trolls. S’il est peu utile d’essayer de jouer de la pop elfe chez les trolls, des big bands de fusion multiculturelle peuvent tirer leur épingle du jeu un peu partout, surtout s’ils recrutent quelques figures marginales, gnome ou kobold, ou exotiques, sirène ou minotaure. Des événements imprévus, désaccords entre musiciens, tempête de neige ou gilets jaunes, viennent parfois semer le trouble. Rien n’est plus classe, bien sûr, que de terminer sa tournée en retournant dans sa ville d’origine à dos de dragon. 

Vient ensuite le TrollFest, clin d’œil au Hellfest, le grand festival, où les groupes se succèdent sur scène, applaudissements et rappels allant aux plus techniques, aux plus charismatiques, aux plus énergiques et paradoxalement tout à la fois aux plus authentiques et aux plus multiculturels. Au fait, il y a un groupe de folk–metal norvégien très sympa qui s’appelle TrollFest, et qui chante en trollspråk, langue qui est – on aurait dû s’en douter – un mélange de norvégien et d’allemand. Du coup, on va leur faire un peu de pub et on espère qu’ils nous en feront aussi.

Trollfest a l’apparence d’un gros jeu, avec une grosse boîte carrée, un plateau de jeu, des cartes et des pions nombreux et de divers types, plusieurs manières de marquer des points. Les règles en sont pourtant très simples, puisque celles de nos prototypes tenaient sur une simple feuille de papier A4. Le jeu étant resté en développement assez longtemps, et mes amis demandant souvent à jouer sur le prototype, Camille et moi avons sans cesse été tentés d’y ajouter de petits éléments thématiques qui nous semblaient rigolos. Pendant quelques temps, nous avons même essayé de personnaliser encore plus les musiciens, quelques uns d’entre-eux étant de vraies stars avec des nombreux fans, mais ayant, comme toutes les stars, des caprices – un chanteur elfe raciste refuse de jouer avec des nains, un orque ne se produit pas dans les villes elfes, un nain a peur des dragons et ne se déplace pas par voie aérienne, un autre a le mal de mer et ne monte pas sur les navires. Très amusants sur le papier, ces effets qui étaient surtout des restrictions, ralentissaient le jeu et étaient souvent oubliés, nous avons donc dû les abandonner. Aujourd’hui, surtout avec l’effet kickstarter, beaucoup d’auteurs de jeux sont tentés de toujours ajouter des éléments à leur création. Il ne faut pas se l’interdire, et dans TrollFest le jour de la marmotte est par exemple un ajout de dernière minute qui ajoute un peu de tension, mais je voudrais profiter de cet article pour donner ce conseil aux jeunes auteurs: méfiez-vous des petites règles qui ont l’air marrantes mais qui, finalement, apportent surtout de la complexité. Quand les joueurs oublient souvent une règle, cela signifie généralement qu’elle est inutile.

Au printemps 2021, j’ai été contacté, en même temps que d’autres auteurs connus come Tom Lehmann, Richard Launus ou Richard Garfield, par l’équipe de Trick or Treat Studios, un important fabricant américain de masques inquiétants, de costumes de Halloween et de bidules à collectionner désireux de se lancer dans le jeu de société. Je leur ai donc proposé les deux jeux de mon catalogue qui me semblaient thématiquement les plus proches de leurs univers, et ils ont, à ma grande surprise, décidé de publier les deux. Je pensais que l’autre, un petit jeu de cartes, sortirait d’abord mais c’est visiblement TrollFest qui les a le plus amusés. Il est vrai que, lors d’une discussion en ligne avec toute l’équipe, nous avons constaté que leurs goûts musicaux n’étaient pas très différents des nôtres, et qu’ils étaient responsables des costumes de quelques groupes de metal, et notamment des masques de Ghost

Leur illustrateur, David Hartman travaille aussi avec Rob Zombie, musicien metal et réalisateur de films d’horreur, pour lequel il a réalisé les clips de American Witch et Lords of Salem, et les illustrations de ses albums. David a visiblement pris beaucoup de plaisir à dessiner les nombreux musiciens de TrollFest, ce qu’il a d’ailleurs fait avec une vitesse impressionnante. Son style est sombre et sanglant, mais aussi léger et plein d’humour, et assez différent de ce à quoi nous sommes habitués dans le monde du jeu – mais je crois qu’on va le retrouver dans d’autres production de Trick or Treat Studios

Leur programme initial comprend, outre notre TrollFest, Blood Orders, un jeu de vampire relativement ambitieux de Nick Badagliacca (mais je ne vais pas lui faire trop de pub, moi aussi j’ai un jeu de vampires qui vient de sortir, Vendetta) et World-Z League, de David Gregg, un jeu de baston avec des élastiques et des zombies qui me fait très envie.

Je les ai vus sur scène, et c’était un peu décevant.

Ceux qui me connaissent seront peut-être un peu surpris de voir, dans TrollFest, un artifice thématique que j’avais jusqu’ici plutôt évité, celui de la rivalité entre peuples fantastiques – les américains parlent de races -, elfes, nains, orques, trolls et vampires. J’ai toujours été un peu gêné par le lien évident entre ces univers de fantaisie ludique et littéraire et la tendance, en particulier dans le monde anglophone, à essentialiser race et culture, tout en prétendant bien sûr faire le contraire, et j’en ai déjà discuté un peu sur ce blog. Je me méfie des identités, des traditions, des authenticités toujours reconstruites et souvent réactionnaires, et pense que nous avons tort de fétichiser des différences culturelles finalement assez superficielles. Si je les ai pourtant mis en scène dans ce jeu avec une certaine jubilation, c’est pour toute une série de raisons.

Camille (à gauche) et Croc (au centre) jouant à Trollfest à Etourvy.

Les nains, les elfes et les autres peuples de TrollFest ne sont pas là pour se foutre sur la gueule. La musique adoucissant les mœurs, ils cohabitent très pacifiquement, du moins tant qu’ils n’ont pas forcé sur l’hydromel. On peut certes gagner à TrollFest avec un groupe de musique traditionnelle naine, authentique et sans doute réac, voire avec du metal orc ou elfe un peu facho, mais aussi, comme d’ailleurs dans la scène musicale d’aujourd’hui, en montant un joyeux orchestre bordélique et multiculturel. 

J’apprécie beaucoup ceux qui mélangent tout et n’importe quoi en refusant de prendre les identités au sérieux, comme Gogol Bordello, The Cherry Coke$, Dakhabrakha, the Amsterdam Kletzmer Band, La caravane passeou le bien-nommé Kultur Shock, et c’est ce genre de musique, autant que du metal, que j’écoutais en travaillant sur TrollFest. C’est pour cela que, sur ma playlist Trollfest, j’ai mis des musiques d’un peu partout et pas juste du metal germano-nordique, dont le style correspond pourtant le mieux à nos univers fantastiques, ne serait-ce que parce qu’il puise aux mêmes sources.
La musique est aujourd’hui, avec la cuisine, l’un des rares domaines culturels où le mélange des genres joyeux et décomplexé semble encore l’emporter sur les tristes replis identitaires. J’espère bien que cela va durer et même rebondir sur d’autres domaines quand on aura réalisé que la véritable diversité se vit tous ensemble et non chacun dans son coin, que c’est non seulement plus rigolo mais aussi, au fond, plus honnête et plus respectueux. C’est peut-être aussi pour cela que je ne suis pas fan des jeux de Roll & Write.

Quoi qu’il en soit, les univers fantastiques sont sans doute plus une illustration qu’une cause de la lecture essentialiste des catégories sociales, à l’américaine, qui gagne aujourd’hui l’Europe. Il n’y a donc pas de risque à en faire usage, surtout lorsque c’est, comme dans TrollFest ou dans les romans de Terry Pratchett qui en sont une des inspirations, pour s’en moquer gentiment. 

Et puis, merde, ce n’est qu’un jeu. Dire ceci n’est pas une boutade, c’est un argument important dans une société qui semble prendre de plus en plus les univers virtuels, ludiques ou littéraires, plus au sérieux que le monde réel – ce qui est surtout un moyen de prétendre faire de la politique en évitant de s’attaquer aux vrais problèmes.

TrollFest
Un jeu de Camille Mathieu et Bruno Faidutti
Illustrations de David Hartman
3 tà 6 joueurs – 45 minutes
Publié par Trick or Treat Studios (2022)
Boardgamegeek
Playlist


Camille Mathieu is a good friend, and a regular at my Parisian game nights. We often attend concerts together, mostly but not obly metal, or at least we did when there were still concerts. Camille also works as a proofreader, specialized in fantasy literature. It is only logical that we ended up designing a boardgame together featuring rock bands composed of dwarves, orcs and elves. 

From the very beginning, I wanted to call our game TrollFest, while Camille thought of Elfest, a reference to the French metal festival Hellfest. Our first prototype was a pure card game. It worked really well, but the rock’n’roll theme didn’t really fit with the game system. Soon, the singers, drums or guitar players became athletes competing in dwarf tossing, knitting or snowball battle, and the first TrollFest became Trollympics. The game has found a publisher, but everything is a bit complex nowadays, we already missed the 2021 olympics, and I’m afraid it will only be published for the next ones. If Trollfest is a hit, it might speed things a bit.

Palytesting Trollfest in Etourvy. Camille is the girl with the raven tattoo.

The core of a band activity, or at least of how we imagine it, is not the choice of musicians but the tour. For our second try, we decided to do a big box game with a real board, a map of the fantasy world with cities, concert venues and roads.

Et partie de test chez moi, à Paris.

A game of TrollFest is made of three phases. At the beginning of the game, players draft action and musician cards and build an amateur band of at least four musicians, a singer, a drummer, a guitar and a bass guitar player. Every group then leaves its starting city for a big tour around the country, moving from town to town, holding concerts, sometimes recruiting additional or better musicians, sometimes even hiring dragons for the final light show. The main way to score points during the tour is to give concerts. The most successful ones are in the cities where the local crowd is most receptive to your musical style – basically, dwarves like dwarven music played by dwarven musicians, trolls like troll music played by trolls, etc. While playing elf pop in orc city halls makes little sense, multicultural big bands can have some success everywhere, especially if they also recruit a few exotic characters, like a siren or minotaur. Unexpected events such as disagreement between musicians, snow storm or yellow vests blocking the roads sometimes interfere with the band’s well planned tours. Nothing is more classy, of course, than to arrive on a dragon’s back to end one’s tour in one’s home city.

Then comes the big rock festival, the TrollFest, named after HellFest. All the bands play on the main stage, and the best performances score extra points for charisma, technical skill, energy and, paradoxically, both authenticity and diversity. By the way, there’s a fun Norwegian folk-metal band names TrollFest. They sing in trollspråk which is, not surprisingly, a mix of German and Norwegian. If this game is good press for them, may be they’ll reciprocate!

David made this exra drawing just for fun, let’s hope we’ll find some place for it in the rules.

With its big square box, lots of cards and various tokens, and several ways of scoring points, Trollfest might look like a big and intimidating game. It isn’t, it’s almost as straightforward as Ticket to Ride, and the rules of my prototype were written on a single sheet a paper. However, since the game was in development for quite a long time, and some of my friends really liked it and often asked to play it, Camille and I were often tempted to add a thematic elements which sounded like they could add some fun to it. For a while, some musician cards had special abilities or, mostly, restrictions. A few of them were big names with, like every star, bizarre whims. A racist elf singer didn’t want dwarves in the band. An orc didn’t want to play in elf cities. A dwarf was afraid of dragons and coul not travel by air, another one suffered from seatsickness. This sounded fun when writing it, but it slowed the game and, too often, the players forgot these effects so we had to abandon them. These last years, in part due to publishers asking for Kickstarter stretch-goals, many designers have been tempted to add layers and layers of rules and elements to their game, and many games feel interesting but overdevelopped. The late addition of stuff is not always a bad idea, and in Trollfest, for example, the Groundhog Day has been added in the very last weeks of testing and really adds some fun tension to the game. I would like, however, to give a small piece of advice to young designers – be careful when adding small rules which sound fun and thematic but often add unnecessary complexity. If players tend to forget a rule, it usually means it’s not necessary.

In the fall of 2021, I was contacted, together with other well known game designers such as Tom Lehmann, Richard Launius and Richard Garfield, by the people at Trick or Treat Studios, a major US producer and seller of Halloween masks, scary costumes and collectibles, who wanted to move into boardgaming. I showed them the two games in my catalog which seemed to fit best with their universe and, to my surprise, they decided to do both. I thought the other one, a small card game, would be published first but they were very excited by TrollFest, and its development went very fast. We had a long zoom session with the whole team and found that we had similar musical tastes, and that they were designing the costumes of a few metal bands, including the scary masks for Ghost.

Their graphic artist, David Hartman, also works with Rob Zombie, a metal musician and horror movie producer. He made the video clips for the movies Lords of Salem and American Witch, and the art for his albums. His style is of course dark and gore, but also light and full of humor, and he visibly had great fun drawing the musicians for TrollFest, which he did incredibly fast. It’s different from what we are used to in the boardgaming world, but I think we will see it also in other games by Trick or Treat Studios.

Among the Trick or Treat launch line are also Blood Orders, an ambitious vampire card game by Nick Badagliacca (but I won’t promote it too much since I also have a new Vampire game, Vendetta) and World-Z league, by David Gregg, a battle game with zombies and rubber bands which looks really fun and which I’m eager to play.   

Trollfest, le groupe.

Those who know me might be surprised to find in TrollFest a thematic trick I’ve always been extremely wary of, the rivalry between irreductibly different fantasy races – here elves, dwarves, orcs, trolls and vampires. The obvious relation between these literary or gamey fantasy worlds and the habit, mostly in the United States, to essentialize race and culture (while pretending to do the opposite) has always made me feel uncomfortable, and I’ve already discussed it a bit on this website. I’m wary of identities, of reactionary traditions, of reconstructed authenticities, and I think we are wrong in emphasizing and fetishizing cultural differences which are, in the end, extremely superficial. I nevertheless jumped in head first in fantasy races with this game, for several reasons. 

Ignacy Trzewiczek and friends playing the newly released Trollfest in Etourvy.

Dwarves, elves, trolls and other races in TrollFest are not here to fight. Music soothes the mood and they coexist very peacefully, at least as long as they don’t drink too much mead. One can win in TrollFest with a traditional dwarven music group, very authentic and backward-looking, or even with a vaguely fascistic elven or orc metal band, but also, like in today’s musical scene, with a merry and messy multicultural big band. Cultural mess is not cultural appropriation, because it’s going in every direction and not taking anything seriously.

I personally like bands who borrow everywhere, mix everything and refuse to consider culture a frozen thing, bands like Gogol Bordello, The Cherry Coke$, Dakhabrakha, the Amsterdam Kletzmer Band, La caravane passe or the well named Kultur Shock. When working on TrollFest, I was more listening to that kind of music than to metal. It’s also why my Trollfest Youtube Playlist has lots of strange fusion music from all over the world and not just german-scandinavian metal, even when the latter fits better with how we imagine a fantasy world which comes from the same sources.
Music is now, together with another passion of mine, cooking, one of the few cultural domains where diversity produces a joyful and uninhibited mix and not a sad retreat into segregated and fantasized identities. I hope it will stay so. It might even bounce back into politics, when everyone will realize that diversity is better all together than each in his corner (can you say this in English?), that it’s not only more fun but also, in the end, more honest and respectful. May be that’s also why I’m not that fond of roll & write game
s – games, like music, are better when played together.

Bruno Cathala playing Trollfest in Etourvy.

Anyway, medieval fantasy worlds are an image, and not a cause, of the essentialist understanding of social structure, a kind of analysis which first got popular in the US but is now becoming commonplace in European politics. Using fantasy races should therefore not be a problem, especially in humorous and obviously ironic settings, like inTrollFest or in Terry Pratchett novels, which have been one of the inspirations for this game.

And, fuck, it’s just a game. Saying this is not just a wisecrack, it’s an important argument when politics seem sometimes to take fantasy universes, be they literary or gamey, more seriously than the real world.

TrollFest
A game by Camille Mathieu and Bruno Faidutti
Art by David Hartman
3 to 6 players – 45 minutes
Published by Trick or Treat Studios (2022)
Boardgamegeek
Playlist

We forgot to put Zombies (and kobolds, and others) in Trollfest, but of course, there are zombie bands !

Diamant – Mise en garde et trahison

Iello, l’éditeur européen de Diamant, a eu la bonne idée de publier une petite boite contenant deux micro-extensions pour Diamant.
Mise en garde se compose d’une dizaine de tuiles. Avant d’entrer dans une nouvelle grotte, vous piochez l’une de ces tuiles qui modifiera légèrement les règles du jeu pour la grotte en cours. Une tuile, par exemple, fait que les cartes seront révélées deux par deux. Une autre fait que les trésors ne sont jamais partagés, on ne les gagne qu’en sortant seul de la grotte.
Les huit cartes de Trahison permettent à chaque joueur, une fois dans la partie, de dénoncer l’un de ses camarades dont il pense qu’il va quitter la grotte, et de s’emparer de ses trésors s’il le fait.
Pour l’instant, cette extension n’est disponible qu’en français.

Iello, Diamant’s European publisher, has released a small and cheap box with two micro expansions for Diamant.
One of the nine tiles in Mise en garde is drawn before entering a new cave. The tile modifies the rules for the coming cave. For example, cards will be drawn two by two instead of one by one, or treasures are not shared between players and only kept when leaving the cave.
The eight cards in Treason allow each player, once during the game, to pick at another player they think will leave the cave and steal their treasure if they do.
So far, this expansion is available only in French.

 

 

LICORNES

Pour une fois, ce n’est pas un jeu, c’est un livre, et un gros. Licornes, Métamorphoses d’une créature millénaire, publié par les éditions Ynnis, arrive en librairie le 13 avril.
Plus de détail sur mon blog consacré aux licornes.

For once, it’s not a game but a book, and a heavy one. Unicorns arrives in French bookshops on April 13.
For more details, see my Unicorn blog.

Ecrire et traduire une règle
Writing and translating rules

(Ceci est une version plus détaillée et mise à jour d’un article publié ici en 2018)

Winston Churchill to his War Cabinet.

Règles

Toute une série de raisons font que, ces dernières années, je suis devenu un auteur de jeu moins prolifique. Je vieillis un peu sans doute, je passe moins de temps à jouer et donc à penser au jeu, certaines des modes ludiques récentes me laissent de marbre. J’ai peut-être aussi tendance à devenir perfectionniste et passer donc plus de temps sur les micro-réglages de mes créations. Mes jeux se font donc plus rares, et sans doute moins dans l’air du temps. Pourtant, et je l’ai encore vérifié lors du dernier salon de Cannes, premier salon plus ou moins après-Covid auquel j’ai participé, les éditeurs continuent à me relancer régulièrement pour savoir si j’ai des trucs à leur présenter. 
Ceux que j’ai sondé à ce sujet m’ont confirmé ce dont je me doutais un peu. S’ils sont curieux de voir mes prototypes, même quand ils ont peu de chance de leur plaire, ce n’est pas parce que je suis l’un des meilleurs auteurs de jeu, c’est parce que je suis l’un des meilleurs rédacteurs de règles. Mes prototypes sont moches mais fonctionnels, et mes règles sont brèves et claires. Ils peuvent y jouer rapidement, sans avoir à me téléphoner ou m’envoyer des mails pour obtenir des précisions sur tel ou tel point, et savoir tout de suite si le jeu les intéresse. Si d’aventure ils décident de le publier, ils savent qu’ils auront moins de travail de réécriture qu’avec d’autres auteurs, y compris certains des plus connus – je ne citerai pas de noms.
Si l’entrainement universitaire et un esprit assez rationnel me rendent sans doute la rédaction de règles plus facile qu’à d’autres, j’ai aussi un certain nombre de trucs que je voudrais partager ici pour aider les auteurs débutants – et même quelques uns qui ne le sont plus et dont je me suis laissé dire qu’ils en auraient bien besoin.

Suivre la règle
Beaucoup d’auteurs ne rédigent véritablement leurs règles que lorsque le jeu est terminé, testé, bouclé, prêt à présenter aux éditeurs. Je ne travaille pas ainsi, et pense que c’est un piège. L’une des premières choses que je fais lorsque je commence à réfléchir à un jeu, parfois même avant de réaliser un premier prototype, est d’écrire des règles complètes, que je modifie ensuite à chaque nouvelle version, soigneusement numérotée à la façon des logiciels. La règle finale de Trollfest, qui devrait sortir incessamment, portait ainsi le numéro 4.3. Celles de Ménestrels, un petit jeu de cartes dont on ne parle pas assez, était la 7.5. Celle de Caravanserail, qui ne sera sans doute jamais publié, en est déjà à la 11.quelque chose.
Chaque petite modification des systèmes de jeu me contraint donc à relire les règles pour en réécrire certaines parties, et permet au passage corrections et éclaircissements du reste du texte. Cette technique oblige cependant prendre garde à ne pas laisser traîner dans des règles des éléments provenant de versions précédentes – je m’y suis parfois laissé prendre.

Trollfest est un gros jeu dans une grosse boite, mais les règles du prototype tenaient sur une feuille A4, recto-verso.

Une langue simple et correcte
Nombre de jeux présentés aux éditeurs, et même trop souvent de jeux publiés, ont des règles farcies sinon de fautes de français, du moins de lourdeurs et d’impropriétés. Cela rend parfois la lecture difficile, et fait toujours une très mauvaise impression sur le lecteur. Les conseils que je donne aux auteurs en matière de style et de niveau de langue sont donc en tout point identiques aux consignes que je donne à mes élèves de lycée pour leurs dissertations : faites court, direct, précis. Si un mot n’apporte rien de plus au sens d’une phrase, supprimez-le; si une phrase n’apporte rien de plus au sens d’un paragraphe, supprimez-la. Faites des phrases aussi brèves que possibles, d’une seule proposition si possible, de deux ou trois quand vous ne pouvez pas faire autrement. Certaines lourdeurs, comme l’abus de la voix passive, du futur et des formules indirectes, des adverbes inutiles comme de plus ou en effet, ou la tendance à remplacer avoir par posséder et être par consister en, sont très faciles à éviter. Le souci de simplicité peut même faire passer certaines fautes, et personne ne vous reprochera d’écrire, comme tous les auteurs ou presque, défausser une carte au lieu de se défausser d’une carte, qui est en principe la seule formulation correcte.
C’est aussi pour cette raison que, si j’utilise l’écriture inclusive en anglais, je ne m’y suis pas mis en français. Le neutral they anglais ne complique en rien l’écriture, et ne pose aucun problème à la lecture; le point médian complexifie le texte et rend la lecture difficile, surtout à voix haute, et il arrive que l’on doive lire des points de règles à voix haute. Même les expressions du style « le joueur ou la joueuse » alourdissent inutilement le texte. Tous ces jeux de langues sont de toute façon un peu vains, et ont surtout pour effet de détourner l’attention des vraies causes et mécanismes du sexisme, qui n’ont rien à voir avec la grammaire et tout avec l’argent, le prestige et le pouvoir. Si vous tenez quand même à donner symboliquement un petit côté féministe de vos règles, le plus simple est encore d’écrire joueuse au lieu de joueur. Cela ne sonne peut-être pas très naturel, je ne pense pas que ce soit bien utile, mais au moins ce n’est pas un obstacle à la lecture.

Un vocabulaire cohérent
Il ne suffit pas qu’une règle soit grammaticalement correcte pour qu’elle soit « bien écrite », elle doit aussi être cohérente dans son vocabulaire et dans les modes utilisés, c’est à dire dans la manière dont elle s’adresse au lecteur / joueur.
Une règle peut être rédigée sur un mode impersonnel ou en s’adressant directement au joueur. Je n’ai pas vraiment de préférence et choisit, selon le jeu, ce qui me semble le plus adéquat. Quel que soit le mode choisi, il faut ensuite être cohérent, s’y tenir, ne pas écrire d’abord « le joueur fait ceci » et au paragraphe suivant « faites cela ».
Il en va de même du vocabulaire. Je me souviens de règles d’un jeu de « tuiles » dans lesquelles le rédacteur employait tantôt « pile » et « face », tantôt « recto » et « verso », ce qui ne peut qu’entraîner de la confusion. Choisissez pour chaque élément de jeu, pour chaque mécanisme, les termes les plus simples, les plus directs, et tenez-vous y, quitte à faire quelques répétitions. Selon le type de jeu, et le nombre d’éléments différents, vous pouvez en rester au vocabulaire générique – cartes, pions, dés – ou avoir recours à un lexique thématique, qui permet de distinguer les cartes ou les pions selon qu’ils représentent des livres ou des événements, des loups ou des moutons. Quel que soit votre choix, tenez-vous y et évitez les termes trop compliqués.

Les répétitions ne plaisent pas
De peur qu’un détail important passe inaperçu, certains auteurs, et même quelques éditeurs, le répètent régulièrement dans les règles. C’est une erreur car cela alourdit le texte, et surtout car le lecteur, qui a tendance à croire que chaque phrase apporte une information, va logiquement chercher une précision ou une exception dans ce qui n’est qu’une redondance. Plutôt que de répéter une règle, mettez là en gras, en rouge, en majuscules, faites-en sorte qu’elle saute aux yeux du lecteur sans générer ni longueur, ni ambiguïté.
Le jeu avec les sauts de ligne, les retraits, les couleurs, les gras, les italiques (qui n’ont pas tout à fait le même usage en anglais qu’en français), tout cela peut vous permettre, si vous n’en abusez pas, de rendre votre règle plus claire et lisible.

Ecrire en anglais ?
J’écris désormais toutes mes règles directement en anglais, même quand je sais que je le proposerai d’abord à le jeu un éditeur français. J’ai bien sûr d’abord fait ce choix pour pouvoir présenter mes créations à tous, quelle que soit leur langue. J’ai pendant un temps tenté de maintenir en parallèle deux sets de règles, l’un en anglais et l’autre en français. Je me suis très vite rendu compte que cela entrainait des erreurs, car j’avais tendance à ne faire les mises à jour que sur l’un ou l’autre des fichiers, et j’ai alors abandonné le moins utile, le français.
Si je me débrouille à peu près en anglais, du moins à l’écrit, ce n’est pas ma langue maternelle et je suis moins à l’aise qu’en français. C’est paradoxalement un avantage, car cela me contraint à écrire de manière relativement simple, efficace, là ou je pourrais user en français de subtilités prêtant à confusion.
J’ai par ailleurs appris que la langue anglaise, grâce à une syntaxe plus directe et un vocabulaire plus précis et varié, se prêtait mieux que le français à l’écriture de règles et d’instructions. Les informaticiens et autres techniciens, auxquels il ne viendrait pas à l’idée de lire des modes d’emploi en français qui ne sont là que pour des raisons légales, le savent bien. Très souvent, un point de règle qui s’explique simplement en anglais par une courte phrase va demander un long paragraphe en français; l’inverse est bien plus rare.
Je sais que cela fait peur à certains, mais le niveau de langue requis pour écrire des règles de jeu en anglais reste très modeste, et je vous engage au moins à essayer. Vous aurez peut-être du mal au début, mais cela en vaut la peine, et vous forcera à écrire simplement et directement. Les éditeurs américains sont d’ailleurs extrêmement compréhensifs avec les auteurs étrangers et ne vous reprocheront jamais quelques maladresses grammaticales.

La seule fois où un éditeur a utilisé mes règles écrites en anglais sans même les faire relire par un anglophone….Il y a quelques fautes de grammaire, mais tout le monde a compris.

Du jeu à la règle, de la règle au jeu
Vous avez compris, la prolixité est le principal ennemi du rédacteur de règles. Quelle que soit la complexité de votre création, ayez soin de faire des règles aussi brèves et aussi simples que possible. Si les règles de votre prototype, et même de votre jeu publié, font peur, personne ne les lira et personne n’y jouera.
Si vos règles s’étalent sur de nombreuses pages, c’est peut-être qu’elles sont redondantes ou mal construites. Reprenez-les, cherchez un autre plan, il y en a toujours plusieurs possibles et aucun qui fonctionne pour tous les types de jeux. C’est peut-être aussi qu’elles sont mal écrites, avec des phrases trop longues, des circonvolutions inutiles, des adverbes superflus et ont besoin d’un dégraissage.
C’est parfois aussi parce que le jeu est trop complexe, a grossi au fur et à mesure de son développement. Quand dégraisser le texte ne suffit pas, il faut trancher dans le vif, supprimer tous les mécanismes qui n’apportent pas grand chose, qui ne servent que dans une partie sur dix, ou simplement qui sont trop compliqués à expliquer par écrit. Mais bon, là, on n’est plus dans la rédaction des règles, on n’est dans leur conception – ce sera donc pour un autre article, un de ces jours.

Exemples et graphiques
Si les règles que je soumets aux éditeurs ont parfois un défaut, c’est de manquer d’exemples, et leur principal travail rédactionnel consiste souvent à en introduire quelques uns. 
En principe, les exemples ne font pas partie intégrante de la règle, ils en sont juste une illustration, mettant en lumière un point qui doit déjà présent dans le texte. Il est pourtant parfois difficile d’expliquer certains points « en général », et c’est alors que l’exemple devient utile.
Il en va de même des schémas, des graphiques. Ils peuvent préciser une règle écrite mais, sauf cas très particuliers, ne doivent pas s’y substituer. Japonais et chinois, qui ne font pas comme nous une différence très nette entre texte et graphique, mélangent volontiers les deux. C’est sans doute une des raisons qui font que les traductions de règles japonaises sont souvent peu claires pour les occidentaux – en tout cas pour moi.

Le thème
Je ne suis pas de ces auteurs pour qui le thème n’est qu’un truc destiné à simplifier la présentation des règles, à faire passer des mécanismes qui, à eux seuls, constitueraient l’essence du jeu. Si le thème, l’univers du jeu n’est pas que cela, il est néanmoins aussi cela, et il faut savoir l’utiliser.
Je me suis trouvé récemment, pour Dragons, face au même problème qu’il y a une vingtaine d’années pour l’Or des Dragons, devoir concevoir et expliquer un système de score délibérément tarabiscoté car conçu pour permettre aux joueurs de se faire une vague idée de la valeur de chaque carte sans jamais pouvoir la calculer exactement. Si je m’en suis mieux sorti cette fois, c’est parce que j’ai volontairement choisi d’expliquer les bizarreries du score par des gags. S’il faut éviter de farcir les règles de références thématiques et de vocabulaire spécialisé qui n’aident en rien à la compréhension du jeu, il ne faut pas hésiter à faire appel au thème quand il permet d’expliquer simplement une règle. Si cela permet aussi de faire un bon gag, dans Dragons les trois copies de l’anneau unique ou une alimentation équilibrée avec autant de vaches que de moutons, c’est encore mieux.

Testez vos règles
Un éditeur qui reçoit un prototype dont les règles ne sont pas parfaitement claires risque de le jeter sans y jouer, ou de se tromper en y jouant et de ne pas en voir l’intérêt. Si des points de règles lui semblent ambigus, il téléphonera ou enverra peut-être un mail à l’auteur quand celui-ci s’appelle Bruno Cathala ou Richard Garfield, ou même Bruno Faidutti, mais il ne prendra pas cette peine pour un inconnu.
Il m’arrive parfois d’acheter ou de recevoir des jeux dont je ne parviens pas à comprendre les règles. Ce sont le plus souvent des jeux publiés à compte d’auteur, parfois sur Kickstarter. Si un « professionnel » comme moi n’y comprend rien, il est probable qu’un simple joueur sera plus perdu encore. Le jeu est certes publié, mais il est mort-né car il ne sera jamais joué, et ce quelles que soient ses qualités ludiques.
Il faut donc tester non seulement le jeu, mais aussi les règles avant de le montrer aux éditeurs ou de le publier. Je prends part à toutes les parties tests de mes projets et ne peux donc pas tester mes règles « en aveugle » auprès de joueurs cobayes; ce n’est pas trop grave parce que je sais que je suis assez bon pour l’écriture. J’engage en revanche tous les jeunes auteurs (et les éditeurs) à tester leurs règles en aveugle, du moins pour leurs premières créations. C’est le meilleur moyen de se corriger et d’apprendre, peu à peu, à rédiger d’emblée des règles claires et complètes.

Les règles que j’ai eu le plus de mal à écrire. Je n’étais pas trop content de moi, l’éditeur les a reprises avec mon accord mais n’a pas fait beaucoup mieux. Ce jeu est simple mais difficile à expliquer.

Relecture
Auteurs, faites relire les règles de vos jeux par le plus littéraire de vos testeurs, il trouvera certainement des imprécisions et des incorrections. Editeurs, faites-les relire par un correcteur professionnel, et si possible quelqu’un qui s’y connaisse un peu en jeu – je vous conseille Camille, avec qui j’ai conçu Trollfest.

Traduire une règle
Vous l’avez peut être remarqué, les règles des jeux en anglais sont généralement de bien meilleure qualité technique et littéraire que celles des jeux en français. Elles sont plus brèves, plus claires, plus élégantes et avec moins d’erreurs – et ce parfois même pour les jeux français ou allemands. C’est pour cette raison que, quitte à devoir payer un peu plus cher (et ça s’aggrave avec le Brexit), j’essaie généralement de me procurer les nouveautés en anglais, surtout lorsqu’il s’agit de jeux un peu complexes.
La raison principale est que, comme je l’ai expliqué plus haut, la langue anglaise, dont le vocabulaire est plus précis et la syntaxe plus simple, est techniquement mieux outillée pour l’écriture de règles. Une autre explication est que, le plus souvent, la règle anglaise est la règle d’origine issue du développement du jeu. Enfin, pour les jeux venus d’Europe ou d’ailleurs, les éditeurs américains font plus souvent appel à des traducteurs spécialisés.
Traduire une règle relève en effet de la traduction technique, qui est un métier. Les  traducteurs français spécialisés dans le jeu sont encore très peu nombreux, et les relecteurs plus encore. Certains éditeurs francophones font le boulot eux même. D’autres font appel à des traducteurs dont ce n’est pas la spécialité et qui parfois n’essaient même pas le jeu pour vérifier qu’ils l’ont compris. D’autres enfin ont recours à des joueurs payés avec quelques boites de jeux qui font ça vite fait le soir après leur vrai boulot. Rien d’étonnant à ce que le résultat soit au mieux inélégant, au pire incompréhensible.

Vous n’avez rien compris aux règles françaises ? Moi non plus. Ce n’était pas moi le traducteur, et je ne crois pas qu’il ait essayé de jouer.

Traduire mes règles !
Je ne suis ni correcteur, ni traducteur professionnel et, sauf pour quelques jeux très simples et que j’apprécie vraiment, je refuse désormais les propositions, qui me sont faites de temps à autre, de relire les règles de jeux d’autres auteurs ou de les traduire de l’anglais au français. Je ne pense pas être compétent pour travailler sur des créations que je connais nécessairement moins bien que les miennes.
En revanche, je préfère bien sûr traduire moi-même en français les règles de mes propres créations… et suis toujours choqué lorsque, et cela arrive régulièrement, certains éditeurs n’y pensent même pas et, par habitude, font appel à quelqu’un d’autre – parfois un bon traducteur professionnel, mais pas toujours. 
Je me suis ainsi retrouvé trois ou quatre fois avec des jeux dont j’ai écrit les règles anglaises mais pas les françaises, ce qui est un peu absurde. Cela devient même franchement gênant lorsque les règles françaises sont mal écrites, avec parfois des fautes ou des lourdeurs dont les joueurs risquent de me tenir responsable. Je viens encore d’avoir le problème avec un éditeur qui insiste pour publier sa propre traduction, compréhensible mais un peu lourde. Des amis américains dont les jeux ont d’abord été édités en France ou en Allemagne m’ont raconté avoir eu dans l’autre sens la même expérience désagréable et un peu humiliante. Leurs règles ont d’abord été traduites d’anglais en français, puis du français en anglais, et ils ne l’ont appris que lorsque le jeu était chez l’imprimeur.
Je le dis depuis quinze ans, j’oublie toujours, mais je vais désormais m’efforcer de penser à faire préciser dans tous mes contrats que si c’est moi qui ai écrit les règles anglaises, c’est d’abord à moi que l’on doit faire appel pour écrire les françaises. Même si je décline l’offre, le texte de la traduction devrait toujours recevoir mon accord explicite – c’est le cas le plus fréquent, mais il y a eu quelques exceptions

Quelques-uns de mes jeux ne sont jamais sortis en français. Venture Angels est disponible en anglais, coréen et persan – si quelqu’un veut le faire en français, ce sera avec plaisir.

Mise en abyme
En relisant cet article, je me rends compte qu’il est parfois un peu peu répétitif, et tombe donc lui-même dans l’un des travers qu’il dénonce. Mais bon, ce n’est pas une règle de jeu, et l’important est que le message soit passé.


This is a longer and updated version of an article originally published here in 2018

Winston Churchill to his War Cabinet.

Follow the rules
Many designers write complete rules only when their game is finalized, tested, ready to pitch to publishers. That’s not my way. One of the first things I do when starting to think of a game, sometimes even before making a first prototype, is to write complete rules. These rules are then updated after every playtest session, and numbered like software versions. The final rules of my next upcoming game, Trollfest, was numbered 4.3. Those of Menestrels, a cute card game which unfairly went under radar, were at 7.5. Those of Caravanserai, which will probably never be published, are already at 11.something. 
Every small change in the game systems makes me reread most of the rules, and rewrite some of it, and is an occasion to make things shorter and clearer when possible. The only drawback of this method is that I must be very careful not to let a few obsolete rule points in the newer rules. It happens.

Trollfest is a big box game, but the prototype rules were written on a single sheet.

Simple and accurate wording 
The rules of many of the games submitted to publishers, and even of scores of published games, are unnecessarily heavy, to the point of being hard to read and to understand. My advice to game designers is the same as my advice to students – your texte should be as short, simple and straight to the point as possible. If a word doesn’t add meaning to sentence, remove it. If a sentence doesn’t add meaning to a paragraph, remove it. If a paragraph doesn’t add meaning to your text, remove it. Write short sentences, made of one or two clauses. Avoid long and complex words, passive voice, indirect wordings and redundant adverbs. 
This is why, while I’ve now get used to writing with the neutral they in English, I don’t use what has been suggested as inclusive writing, the « median dot », which makes texts hard to read and impossible to read loud – I don’t translate the rest of this paragraph, it deals with Frtench grammar and would not make any sense in English.  Anyway, all this toying with words is probably in vain and only distracts from the real mechanisms of sexism, which have more to do with money, power and prestige than with grammar.

Consistency
A well written rule set must be grammatically correct (well, more or less in my case since I usually write it in English), but it’s not enough. It also requires consistency in vocabulary and in the way the reader / player is addressed to.
The rules can be written using different syntax styles or modes. They can be impersonal, or address the player directly. The best way probably depends on the game style and the writer’s mood, but it must be consistent. Don’t write « the player does this » in a paragraph and « you do that » in the next one. 
The same goes with vocabulary. I remember a tile game whose rules were calling the two sides first front and back, then recto and verso, which made them extremely confusing. Go for simple and direct words, one for each element, and stick to them – it’s a good thing that repetitive use of the same word is considered less inelegant in English than in French. Depending on the style and complexity of the game, you can stick to generic vocabulary – cards, tokens – or go for thematic terms to differentiate the types of cards – books and events, for example – or tokens – wolves and sheep. Anyway, keep simple, avoid complex or esoteric terms, everything must be understood at once by the reader.

Bis repetita non placent
Afraid that the reader might miss them, game designers and publishers often repeat several times the rule points which they think are the most important. It is a mistake. It makes the text longer and therefore harder to read. The reader, logically, tend to think that every sentence brings a new information and will often look for it in what is just redundancy. A much better way is to highlight important or easy to miss rules with writing them in bold, in red, in caps or in italics. 
Line breaks, colors, fonts and font styles, all this can be very helpful in making your rules more clear. 

Writing in English
I now write all my rules directly in English, even when I plan to first show the game to a French publisher. The first reason is that it allows me to pitch my game to every publisher, no matter their language and nationality. I tried for a while to maintain two parallel versions, one in French and one in English. I soon realized it didn’t work, because I often updated one and not the other, so I got rid of the least useful, the French.
My English is not bad, but it’s far from fluent. I am much more at ease in French, my native language, but writing in English might paradoxically be an advantage, because it forces me to write everything in a relatively simple and direct way.
I’ve also found out that the English language, thanks to a more direct syntax and a more varied and precise vocabulary, was better suited to rules and instructions than French. That’s the reason why French technicians or computer geeks go directly to the English instructions of their machines or softwares, without giving a single look at the mandatory but mostly useless French language ones. Quite often, a rule point that can be explained in a short english sentence would have required a long paragraph in French. The opposite can happen, but it’s rare.
I know many game designers are terrified at the idea of writing rules in English, but it’s not that difficult. The English level required for what is definitely not literary writing is relatively low and US publishers are very understanding with rules written by foreigners.

This was the only time a publisher took my English rules and printed the game with them, without having a native speaker proofreading them. There are a few grammar errors, but everyone got them.

Game to rules, rules to game
When writing rules, prolixity is your greatest ennemy. No matter how complex your game is, you should try to keep the rules as short and simple as possible. If your prototype’s rules look overwhelming, noone will publish it; if your published game rules look overwhelming, noone will read them and noone will play it. 
If your rules feel too long for the actual complexity of the game, and drag on a dozen pages or more, they might be redundant or haphazardly built. Try another plan, there are always several possibilities and the best one depends on the game’s style. The rules might also be badly written, with long sentences and unnecessary convolutions, in which case you must trim off the fat.  
Sometimes, the problem is not the clarity of the rules but their number, because the game which took fat during its development. When trimming the fat off the written rules is not enough, you must attack the game system itself, remove the elements which don’t add much, which are used  in one game out of ten, or which are too complex to explain in writing. But then it’s not just about rules, so I’ll keep this for another article.

Examples and graphs
The rules I give to publishers often have one flaw, they lack examples and the publisher’s main editorial work is to add a few ones. Examples and graphs are not a constitutive part of the rules, they are an illustration – etymologically, something that enlightens the text. Ideally, they should not be necessary, everything being already explained the written text. Practically, since it’s not always easy to explain things « in general », an example can often help and illustrate a rule.
The same is true of graphs and diagrams. They can help to explain a written rule, but except in very specific cases, they should not replace it. There seems to be less difference between text and diagrams in Japanese, and Japanese game rules often mix them. That’s probably why westerners – or at least me – often have troubles understanding game rules translated from Japanese.

Theme and Setting
I disagree with the game designers who think that the theme is just a trick aimed at making rules explanation easier, and that the mechanisms are the only constitutive part of the game, its essence. A theme or setting is not only this, but this doesn’t mean it can’t also be used this way.
When designing my recently published game Dragons, I faced a problem already had seen fifteen years before, with Dragons’ Gold. These games have very simple rules, but their scoring system is a « point salad », a system deliberately convoluted so that players cannot assign a precise value to every card or token. I think I did it better this time, because I explained every little scoring rule with a pun. Thematic references in rules can be here just for the fun, but they might also help making sense of a specific rule – and I’m always proud when I can do both at once, joke and rule explanation, like I did it in Dragons, with three copies of the one ring and a balanced diet of cows and sheep.

Proofreading
As a game designer, you should always ask the most literary person among your playtester. As a publisher, you should always hire a professional proofreader, preferably someone who knows a bit about games – though it might be less necessary for English rules than for French ones.

Playtesting rules
A publisher who receives a prototype with unclear or in complete rules will probably discard it at once, or will play it wrongly and miss the point. When there’s only a small ambiguity, he might email or phone the designer if it’s Bruno Cathala or Richard Garfield, or may be even Bruno Faidutti, but he won’t bother with this for some unknown wannabe designer.
I sometimes buy or receive games whose rules I can’t make sense of. These are usually self-published games, often pledged on Kickstarter because they looked fun. I am a professional; if I have troubles understanding the rules, casual gamers will be completely lost. The game has been published, but it’s stillborn since it won’t ever be played, no matter how good it is.
You should playtest not only your game but also your rules before you pitch the game to any publisher. I can’t do it because I usually take part in all the play testing sessions. It’s not a big issue for me since, as I said before, I know I’m quite good at writing rules. On the other hand, I urge every wannabe designer (and publisher) to blindest their rule and listen to critics. It’s the better way to learn how to write clean and complete rules.

Translating rules
English language versions of games usually have much better rules, both technically and grammatically, than French versions. English rules are shorter, cleaner, more consistent, more elegantly written. This is true not only of every American games, but also of most German and even French ones. This is why, even when it’s a bit more expensive (and it’s becoming even worse with the Brexit) I try to buy my new games, especially the relatively complex ones, on English. 
I’ve already dealt with the main reason for this : the English language, with a more precise vocabulary and a simpler syntax, is more suitable for writing rules. Another reason is that American publishers, when translating rules from French, German or any other language, usually hire professional translators.  
Rules are technical texts, translating a rule is technical translation. Unfortunately, there are few specialized French translators, and even fewer proofreaders. Some French publishers either try to do the job in house; others hire a professional translator who doesn’t know anything about games and usually doesn’t even try to play the game ; others ask gamers to do this and pay them with a few copies of the game. The result, often a sentence for sentence, if not word for word, rendering of the original rules is at best inelegant, at worst incomprehensible.  
I am neither a professional translator, nor a proofreader. I am sometimes asked by publishers or by other designers to translate from English to French, or to proofread, their rules. I usually decline, except sometimes for very simple games I really like. I am quite good at writing my own games rules, but I don’t think I would be at writing other designers’ ones. 

I don’t know who wrote the French rules, but they make no sense at all.

Translating my rules
On the other hand, when one of my games needs to be translated from English to French, I usually prefer to do the job myself. I am always shocked when publishers don’t even think of it and spontaneously hire someone else. The result is not always bad, but it sometime does.
Three or four of my games have been published with English rules which had been corrected for grammar but were basically mine, and French ones which were not, which feels a bit absurd. It even becomes embarrassing when these French rules are faulty orbadly written, and players assume that this is my writing style. It recently happened again, and the publisher insists that it is his contractual right to use his own translation – well, may be it is, but it doesn’t make it less stupid. American friends of mine had the exact same disagreeable and humiliating experience with the English language version of games which had been first published in France or Germany. Their rules were translated from English into French, then back from French into English, and they learned about it when it was at the printer. 
I keep forgetting about it because I’m not one to discuss details in contracts, but I should from now on have specified in every publishing contract that if a game of which I have written the rules is ever to be translated into French, I should be the first person asked to do the translation. And if I decline the offer for any reason, I should still give my formal agreement to the final version. 

A few of my games have never been published in French. Venture Angels is available in English, Korean and Farsi, and looking for a French publisher.

Mise en abyme
Reading this article before posting it on my website, I realise it is sometimes redundant. This means I didn’t comply with my own advice. Anyway, this is not a game ruleset, so it doesn’t matter that much.

Deckbuilding et crème brulée
Deckbuilding and creme brulee

Wonderland’s War

Dominion, de Donald Vaccarino, il y a une quinzaine d’années, fut sinon le premier jeu à avoir recours au “deckbuilding”, du moins le premier jeu de cartes entièrement construit autour de ce système. Chaque joueur débute la partie avec le même petit paquet de cartes, mais peut l’enrichir en achetant de nouvelles cartes plus puissantes, parfois aussi l’épurer en se débarrassant des plus modestes, construisant peu à peu un « moteur » pour sa stratégie propre, et l’adaptant au déroulement de la partie.

Donald Vaccarino
Dominion, 2008
Mike Elliott,
Thunderstone, 2009
Hisashi Hayashi,
Trains, 2012

J’ai tout de suite compris l’intérêt du truc, mais malgré plusieurs tentatives, je n’ai jamais accroché à Dominion, trop abstrait et, dès les premières extensions, trop calculatoire. J’ai plus joué à quelques uns de ses premiers successeurs, Thunderstone et surtout Trains, plus thématiques, mais je n’ai jamais été un spécialiste d’un genre auquel je ne m’intéressais que d’assez loin. Je n’ai d’ailleurs jamais non plus tenté de concevoir un jeu de deckbuilding.

Reiner Knizia,
El Dorado, 2017
Paul Dennen,
Clank!, 2016
Alexander Pfister,
Great Western Trail, 2016

J’ai donc été surpris en réalisant que, depuis deux ou trois ans, certains des jeux auxquels je joue sinon le plus souvent, du moins le plus sérieusement, sont des jeux de deckbuilding, ou de bagbuilding qui est un peu la même chose (on y mélange des jetons dans un sac au lieu de mélanger un paquet de cartes). Je ne répèterai donc pas dans toute la suite de cet article « ou bagbuilding » chaque fois que je parle de deckbuilding, considérez que c’est sous entendu et que je parle de trucbuilding. Il y a d’abord eu El Dorado, Clank!, Great Western Trails, Dwar7s Winter et Quacks of Quedlinburg, il y a depuis peu Dwar7s Spring, Taverns of Tiefenthal, Lost Ruins of Arnak, War Chest (Champ d’Honneur en français) ou Dune Imperium. Ce dernier est mon favori ces derniers temps, mais un nouveau venu, Wonderland’s War, pourrait bien le détrôner.

Luis Brueh,
Dwar7s Winter, 2018
Wolfgang Warsch,
Quacks of Quedlinburg, 2018
Luis Brueh,
Dwar7’s Spring, 2020

Aucun de ces jeux n’est cependant, comme l’étaient Dominion et ses premiers successeurs, un pur jeu de cartes et donc un pur jeu de deckbuilding. Ils ont tous un plateau de jeu sur lequel se passe autre chose, souvent une course ou une baston.

Il est assez habituel de distinguer les sports dans lesquels joueurs ou équipes s’affrontent, face à face, comme la boxe ou le football, et ceux où ils sont en compétition, côte à côte ou l’un après l’autre, sans que leur performance affecte celle de leurs rivaux, comme les courses, sauts et lancers. C’est un peu la même chose pour les jeux de société, les wargames étant l’archétype du jeu d’affrontement et les « roll and write » celui du jeu de compétition tranquille, mais les cas intermédiaires ou ambigus y sont beaucoup plus nombreux.
La magie des nouveaux jeux de deckbuilding est qu’ils sont à la fois des jeux d’affrontement et de compétition, que l’on y joue à la fois face à face et côte à côte. Ils sont comme une crème brulée, à la fois chauds et froids. On y trouve à la fois le plaisir tranquille et solitaire de construire son deck et de le faire évoluer tout au long de la partie, et l’excitation d’affronter les autres joueurs sur le plateau de jeu. Si cette interaction reste limitée dans Quacks of Quedlinburg, Taverns of Tiefenthal, Great Western Trails, elle est plus importante, sous la forme de course dans Lost Ruins of Arnak et plus encore dans Clank! ou El Dorado, qui est un vrai jeu de blocage. Elle devient essentielle dans les jeux de guerre que sont War Chest, une sorte de jeu d’échecs en deckbuilding et le seul jeu à deux de cet article, Dune Imperium, sans doute le plus vendu, et Wonderland’s War, ma dernière découverte.

Wolfgang Warsch,
Taverns of Tiefenthal, 2020
Elven & Min,
Lost Ruins of Arnak, 2020
Trevor Benjamin & David Thompson
War Chest, 2018

Certes, il y peut y avoir un peu d’interaction dans la constitution des decks, mais cela reste assez limité. Souvent, une carte prise par un joueur n’est plus disponible pour les suivants, mais c’est rarement pour cette raison qu’on l’achète; c’est un peu comme dans les Roll and Write où un dé pris par un jouer n’est plus disponible pour les suivants – s’il n’y a pas de véritable volonté de nuire aux adversaires, l’interaction tombe à plat.
Cela peut parfois être un peu plus sérieux. Je ne sais plus dans quel jeu un effet mesquin permet de voler une carte sur la défausse d’un adversaire ; dans Wonderland’s War un pouvoir permet de rajouter de mauvais jetons dans un sac adverse. Tout cela reste néanmoins marginal, et c’est bien la dichotomie entre les deux parties du jeu qui crée, malgré leur complexité, le rythme et le charme particulier de cette nouvelle génération de jeux de deckbuiliding.

Paul Dennen,
Dune : Imperium, 2020
Charlie Cleveland
& Bruno Faidutti
Vampire – The Masquerade Vendeta, 2020
Tim & Ben Eisner, Ian Moss
Wonderland’s War, 2022

Quant à en faire un…. Je m’y suis essayé avec Charlie Cleveland pour Vendetta, notre jeu de cartes dans l’univers de Vampire – La Mascarade. Je suis très fier du résultat, violent et thématique, mais cela a demandé un travail de réglage et d’équilibrage immense, que je ne me sens pas vraiment l’envie de vouloir faire une deuxième fois. Et je deviens de plus en plus paresseux. Surtout, des jeux comme El Dorado, Arnak, Quacks of Quedlinburg, Dune Imperium ou Wonderland’s War me semblent d’une telle qualité que je ne vois pas bien ce que je pourrais faire de mieux – il faudrait faire différent, donc associer le deckbuilding à quelque chose de nouveau – des enchères, peut-être ?

Si vous avez suivi, vous avez compris le code couleur de cet article. En bleu, les jeux froids, qui se jouent pour l’essentiel chacun dans son coin, avec son petit deck. L’interaction y reste limitée. En orangé, ceux avec un peu plus de blocage et de rivalité, mais sans interaction directe. En rouge, ceux que je veux mettre en avant dans cet article, les crèmes brulées, les jeux chauds et froids, ou le deckbuilding sert de support à un véritable affrontement entre les joueurs.


Vendetta – Vampire – The Masquerade

Fifteen years ago or so, Donald Vaccarino didn’t really invent deckbuilding, but he designed the first game entirely built around it, Dominion. Each player starts the game with the same small deck of cards and can develop it with buying new and more powerful cards, and sometimes also refine it with getting rid of the weakest ones. Thus, every player independently builds an « engine » for their strategy, and adapts it to the ongoing game.

Donald Vaccarino
Dominion, 2008
Mike Elliott,
Thunderstone, 2009
Hisashi Hayashi,
Trains, 2012

I immediately saw the point but, despite a few tries, I never found Dominion really exciting. The game was too asbstract and too brain burning for me. I had more fun with some of its more thematic successors, like Thunderstone or Trains, but I never become an enthusiast of the genre. I never tried to design a deckbuilding game.

Reiner Knizia,
El Dorado, 2017
Paul Dennen,
Clank, 2016
Alexander Pfister,
Great Western Trail, 2016

That’s why I have been surprised when noticing that several of the games I was seriously and regularly playing these last two or three years were deckbuilding game – or bagbuilding games, in which players add tokens to a bag instead of adding cards to a deck, but it’s more or less the same thing (from now on, I won’t repeat « or bagbuilding » every time I write deckbuilding). It started with El Dorado, then came Clank, Great Western Trails, Dwar7s Winter and Quacks of Quedlinburg. Recent additions to the list are Taverns of Tiefenthal, Dwar7s Spring, Lost Ruins of Arnak, War Chest and Dune Imperium. The latter was my favorite but I suspect it might soon be replaced with the brand new Wonderland’s War.

Luis Brueh,
Dwar7s Winter, 2018
Wolfgang Warsch,
Quacks of Quedlinburg, 2018
Luis Brueh,
Dwar7’s Spring, 2020

Dominion and most of its derivatives were pure card games, and therefore pure deckbuilding games. None of these games is. They all have a board where something else happens involving all the players, be it a race or a fight, and that’s what makes them interesting.

There are two kinds of sports. Those, like boxing or football, where teams or players fight against one another, and those, like races and throwing, where they compete side by side without any interaction. It is the same with boardgames, with wargames on the one end and roll & write games on the other, but there are also many intermediate or ambiguous cases.
What makes many of these new deckbuilding stand out is that they are not « in between », they are both fully « face to face » and « side by side ». They feel like a creme brulee, hot and cold at the same time. Players go both the quiet pleasure of building their deck and evolving it during the game, and the rough fun of fighting opponents on the board. This interaction was still relatively limited in Quacks of Quedlinburg, Taverns of Tiefenthal, Great Western Trails but it’s more important through race in Clank or Lost Ruins of Arnak, and even more in El Dorado which is very much abourt blocking. It becomes the heart of the game in War Chest, a chess-like deckbuilding game and the only two player game in this blogpost, in Dune Imperium, probably the best seller, and Wonderland’s War, my last discovery.

Wolfgang Warsch,
Taverns of Tiefenthal, 2020
Elven & Min,
Lost Ruins of Arnak, 2020
Trevor Benjamin & David Thompson
War Chest, 2018

There can be some interaction in building decks, but its always very limited. In many games, a card bought by a player is not available for the next ones, but it’s rarely the reason why one buys it; it feels a bit like in these roll and write games where a die used by a player is not available fpor the next ones, if there’s no will to hurt one’s opponent, it doesn’t feel as interaction.
It can sometimes be more serious. I don’t remember in which game an effect allows to steal a card from an opponent’s discard pile; in Wonderland’s War, it is sometimes possible to add a bad curse token in an opponent bag. All this is, however, purposefully marginal, and the charm of these new dackbuilding games comes from the dichotomy between their two parts, the solitary deckbuilding and the multiplayer board play.

Paul Dennen,
Dune : Imperium, 2020
Charlie Cleveland
& Bruno Faidutti
Vampire – The Masquerade Vendeta, 2020
Tim & Ben Eisner, Ian Moss
Wonderland’s War, 2022

As for designing one…I gave it a try, together with Charlie Cleveland, in Vendetta, our card game in the Vampire – The Masquerade universe. I think we made a strong, terribly interactive and very thematic game, but it was so much work !!!!! I’m not sure I’m ready to try it again, and I’m becoming lazier every day. More importantly, games like El Dorado, Lost Ruins of Arnak Dune Imperium or Wonderland’s War my favorites ones. are so well crafted that I don’t think I can do better in this style. Or may be I should mix the deckbuilding part with somethig new – auctions, may be.

If you followed well, you should have understood the color code for the games. Blue is for the old style deckbuildings, mostly played ise by side, with little interaction. Orange, is for games with some more rivalry, through race or blocking, but no direct interaction between players. Red is for those I really wanted to highlight in this blogpost, the cold and hot ones, in which deckbuilding is the prequel to a true fight between the players.

Quacks of Quedlinburg