En résidence à Toulon
A residence in Toulon

L’association toulonnaise les yeux dans les jeux (ou les jeux dans les yeux, je ne sais plus très bien) organise chaque année une résidence d’auteur de jeu, sur le modèle de ce qui se fait depuis longtemps pour musiciens, peintres et écrivains. Deux auteurs sont invités une semaine, avec un programme suffisamment chargé pour les intéresser et suffisamment léger pour leur laisser l’occasion de se promener un peu, de causer et de débuter des projets communs. Cette année, j’étais donc associé à Romaric Gallonier, auteur de Argh, Les Trésors de Cibola ou, plus récemment, Magic Rabbit. Romaric était déjà venu l’an dernier, et avait proposé de m’inviter cette année, bien que nous ne nous connaissions guère. Je devrais de même revenir l’an prochain, et participer au choix du second invité.

Le programme officiel était composé pour moitié d’activités plus ou moins institutionnelles, rencontres avec les étudiants de l’école de design, les bibliothécaires de la ville ou le CAUE, conseil d’architecture et d’urbanisme, qui semble un repaire de gens intéressés par le jeu, et pour moitié de soirées avec les joueurs et les auteurs de jeux du coin, regroupés dans l’association des AJT, les auteurs de jeux toulonnais. J’ai particulièrement apprécié un jeu de cartes d’Anthony Perone mettant en scène un artiste abstrait et des conservateurs de musée étourdis, dont je suis convaincu qu’il trouvera rapidement un éditeur. Parmi les nombreux projets de Romaric, c’est son jeu de tampons encreurs qui m’a le plus amusé. Nous avons donc tout à la fois fait tourner nos prototypes et essayé d’apporter un regard critique et constructif – je crois qu’il faut dire comme ça – sur ceux des agités.

Avec les auteurs de jeux locaux
With local game designers.

Romaric et moi avions aussi pour mission, comme ceux qui nous avaient précédé, de nous promener en ville et de trouver dans l’architecture locale prétexte à une activité ludique originale. Architecturalement, la ville ressemble un peu à Cannes; socialement, pas du tout.Nous avons choisi une impressionnante sculpture qui, à défaut d’être un chef d’œuvre de l’art moderne, a de l’allure et depuis peu des couleurs, mais on doit encore réfléchir un peu sur les systèmes. Nous avons d’abord bien sûr pensé un à un jeu de parcours; comme il n’est pas possible de laisser des pions sur les cases, nous nous orientons finalement vers un jeu d’observation et, peut-être, d’enchères. Nous avons aussi par ailleurs commencer à bosser sur un jeu de cartes avec des hommes préhistoriques qui se font, ou ne se font pas, de cadeaux – working title « Sharing is Caring ».


Les yeux dans les jeux (The Eyes in the Games), or may be it is Les jeux dans les yeux but the pun doesn’t work in English, a gamers association from Toulon, in the South of France, holds every year a one week game designer residence, based on the model of what has been done for decades for musicians and writers. Every year, two deigners are invited for a week, with a program big enough to be interesting and small enough to let time for walks in the city and discussions of common projects. This year, I was there with Romaric Gallonier, the young designer of Argh, Treasures of Cibola or, more recently, Magic Rabbit. Romaric was already there last year and suggested my name for this year, even when didn’t know each other that well. I will likely suggest a few names for next year, and come back if I can. 

The official program was half more or less institutional stuff, meeting with students in the design school, with the town librarians or with an architecture council which seems to be full of people interested in gaming. The other half was gaming sessions and nights with local gamers and game designers, the latter being regrouped in an association, but once more the pun is untranslatable. I was really impressed by a prototype by Anthony Perone, with an abstract painter and absent-minded museum curators. Among Romaric’s many projects, my favorite was an ink-stamp game, kind of a mix between memory and roll and write. We played our prototypes and tried to give some useful advice to all the young, and sometimes old, local game designers.

In the local game shop, l’Atanière
Dans la boutique de jeux locale, l’Atanière.

Romaric and I were also supposed, like the former resident game designers, to walk through the town and find in the local architecture something that could be used for an original gaming activity. Architecturally, Toulon looks a bit like Cannes. Socially, it definitely doesn’t.We choose an impressing sculpture of a ship, probably not a masterwork of modern art, but we must still think on the gaming systems. We first thought of a racing game using the colored spaces as a track, but it is not possible to place game pieces on the spaces. That’s why it will more probably be an observation game, possibly with a bidding element. We also started working on a game about prehistoric men exchanging gifts, working title « Sharing is Caring ». 

With Romaric and Anthony, who designed the small abstract art game.
Avec Romaric et Anthony, l’auteur du petit jeu sur l’art abstrait.

Vabanque
ババンク

Ceux qui suivent un peu les auteurs de jeux, mais n’étaient pas encore là il y a une vingtaine d’années, seront sans doute un peu surpris d’apprendre que j’ai conçu, au tout début des années 2000, un petit jeu de bluff, Vabanque, en collaboration avec Leo Colovini. Le style assez abstrait, voire un peu sec, de l’auteur de Cartagena ou Carolus Magnus, est en effet assez éloigné de mes propres créations, et l’était plus encore à l’époque.

Moi-même ne me souvenais plus bien des épisodes qui nous ont menés là. Fort heureusement mon site web a conservé la mémoire du texte que j’avais écrit lors de la parution de la première édition, en 2001, chez l’éditeur allemand Winning Moves :

Tout a commencé un soir, dans mon appartement parisien, celui dont les étagères sont couvertes de centaines de jeux de société. Il y avait là mon groupe de joueurs habituels. Le toujours curieux Philippe des Pallières a demandé que je sorte un jeu vraiment inconnu, dont nul n’aurait jamais entendu parler, mais qui soit quand même intéressant. Mon regard s’est alors porté sur les plus hautes étagères et, allez savoir pourquoi, s’est arrêté sur une rareté, Elfengold, l’un des tous premiers jeux d’Alan Moon (à ne pas confondre avec l’extension d’Elfenland du même nom). Avec nos deux mains pour capital, nous voilà donc partis au fond de la mine pour extraire l’or des elfes. Le système de bluff a plu, mais mes joueurs ont trouvé le jeu un peu léger, un peu trop prévisible, manquant de substance. C’est de là qu’est parti l’idée de ce qui allait devenir Vabanque, après s’être longtemps appelé Macao. Je sais, le jeu final n’a vraiment pas grand-chose de commun avec Elfengold, mais c’est pourtant de là qu’il vient, par des chemins longs et détournés.

Le prototype de Macao

Une semaine plus tard, une première maquette était prête, et les premiers tests, je m’en souviens, eurent lieu à Thiercelieux, chez Philippe des Pallières. Assez rapidement, le jeu prit forme. Les casinos de Macao, des vamps aux longs fume-cigarettes, une police corrompue, des gangs qui rackettent tout cela. Il y a même eu une version avec mères maquerelles et vendeurs d’opium. Mes testeurs l’adoraient, en redemandaient, mais j’avais moins de succès auprès des éditeurs. Descartes, auquel je le destinais à priori, pour en faire un autre Blue Game, n’en a pas voulu, car c’est un jeu de bluff et d’argent, comme Corruption, et que Corruption se vend mal – ce qui est d’ailleurs injuste. Les allemands l’ont trouvé trop simple, trop basique, même si j’ai bien cru un moment que Stefan Brueck, d’Alea, allait le prendre. D’éditeur en éditeur, Macao a fini par arriver à Venise dans les bureaux d’Alex Randolph et Leo Colovini. Eux aussi l’ont trouvé un peu simple, mais l’idée et la mécanique les a séduits et Leo m’a donc proposé que nous le développions ensemble pour parvenir à quelque chose de plus sophistiqué.

Première édition allemande, en 2001

Ce fut compliqué. Je voulais faire Stupide Vautour, Leo voulait faire El Grande. Je trouvais ses idées trop complexes et trop stratégiques, il trouvait les miennes trop simples et trop farfelues. Mes testeurs commençaient à se lasser de voir chaque semaine une nouvelle version du même jeu lorsque le déclic s’est produit et que nous avons enfin trouvé la solution qui nous satisfaisait tous les deux, qui plaisait à tous les testeurs, qui enrichissait le jeu sans vraiment le complexifier. Le jeu, qui s’appelait encore Macao, par Bruno Faidutti et Leo Colovini, a donc été programmé chez Venice Connection. Venice Connection a pour habitude de travailler en collaboration avec des éditeurs allemands. Ils ont donc proposé le Macao révisé à Michael Matschoss, qui avait déjà vu ma première version. Il a dit oui, et le jeu est alors repassé dans les mains de sa nouvelle équipe de développeurs, le Team Annaberg, avec entre autres Marcel-André Casasola-Merkle, l’auteur du superbe Verraeter, qui s’est également chargé des illustrations. Les règles ont encore un peu changé, on n’est plus à Macao mais sur la Riviera, mais je reconnais quand même bien mon jeu.

Vabanque, un film muet allemand des années 20.

Le nom que l’éditeur princeps allemand a donné à ce jeu mérite explication. Vabanque est un terme d’origine française, inventé au XVIIIème siècle par les joueurs de Pharaon, un jeu de cartes alors populaire. Vabanque signifiait miser tout ce qu’il nous reste – on dirait aujourd’hui All In, Tapis ou Banco. Le terme est passé en allemand, et même un peu en anglais, langues où il est resté tandis qu’il disparaissait du vocabulaire français. Cela explique que les allemands, lorsqu’ils ont choisi ce titre très parlant pour eux, aient pensé qu’il le serait aussi pour les joueurs français, ce qui n’était pas le cas.

Édition japonaise, 2017.

Vabanque fut un succès d’estime mais, bien que le matériel ne comprenne aucun texte, ne fut pas alors traduit en d’autres langues que l’allemand. Il était largement oublié lorsque, en 2016, un petit éditeur japonais, New Games Order, nous contacta pour une nouvelle édition, parue peu après avec un matériel luxueux, notamment de jolies piles de jetons en bois.

Nouvelle édition en français, anglais et coréen, 2021.

Raphaël Bernardi, d’Igiari, a déjà réédité quelques petits jeux des années 2000, d’une méchanceté qui ne se fait plus trop aujourd’hui. Il a remporté un grand succès avec Intrige, de Stefan Dorra, un peu moins avec Templari, une reprise du Don de Michael Schacht. Vabanque est un peu dans le même style, il n’est donc guère étonnant que Raphaël ait été tenté. Il a d’abord pensé à reprendre les très belles pièces de l’édition japonaise, mais les coûts de production étant trop élevés, il a finalement opté pour une version entièrement nouvelle, publiée en français, anglais et coréen, langues dans lesquelles le jeu était encore inédit. Nous avons pensé à changer le titre pour quelque chose qui ait du sens en français, mais avons finalement préféré garder le nom d’origine, pour éviter toute confusion et parce que son histoire est amusante.

Le matériel de l’édition Igiari.

Vabanque
Un jeu de Bruno Faidutti & Leo Colovini

3 à 6 joueurs – 45 minutes
Publié par Winning Moves (2001), New Games Order, LLC (2017), Igiari et Asmodee Korea (2021)
Illustrations de M.A. Casasola Merkle (2001), U# (2017), Y. Glénisson & C. Masson (2021)
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If you follow game designers, but were not here twenty years ago, you might be surprised to find out that, in the early 2000s, I co-designed Vabanque, a small bluffing game, with Leo Colovini. The abstract, some would even say dry, style of the designer of Cartagena and Carolus Magnus is obviously very different from mine, and was even ore at this time.

I didn’t really remember how we came to his, but fortunately my website still kept rave of the article I wrote in 2001, when the first edition of Vabanque was published by German publisher Winning Moves :

It all started with a game night with my usual group in my little Parisian flat, the one with walls all covered with game shelves. Philippe des Pallières, always curious, requested me for a really unknown game, a game about which no one here had ever heard, but which was nevertheless interesting. I had a long circular look on the higher sheles, and, by chance, I stopped on Elfengold – not the Elfenland expansion, but one of Alan Moon’s first boardgames, published by his own little company, White Winds. So, with just our two hands as capital, we went down in the mine to look for the elves gold. The players enjoyed the bluff element, but found the game a bit light, a bit predictable, lacking of substance. That’s how I started thinking of what was to become first Macao, then Vabanque. I know the final game has really little in common with Elfengold, but nevertheless the idea came from it.

Le prototype de Macao

One week later, my first prototype was ready. The first test game took place in Thiercelieux, in Philippe des Pallières’ home. The game took shape easily. Macao, it’s casinos, vamps with overlong cigarette-holders, corrupted police, and chinese gangs racketeering. There has even been a version with procuresses and opium dealers. My testers loved the game, wanted to play it again and again, but I soon found out the publishers were less enthusiastic. I thought it could be one more Blue Game, but Descartes / Eurogames didn’t want it: it was a game of bluff and money, like Corruption, and Corruption (which is published in Europe by Descartes) doesn’t sell – which, btw, is unfair. Most german publishers found it too basic, too light. Stefan Brueck, of Alea, was near from taking it, but finally passed on. It made its way from publisher to publisher until it landed (?) in Venice, in Leo Colovini and Alex Randolph office. They thought it was a bit too basic, but they also thought that the basics were really good and Leo Colovini suggested that we work together on developping it.

First German edition, 2001

So we did, and it was a hard job. I wanted to make another Raj/Hol’s der Geier, Leo wanted to make another El Grande. I found most of his ideas too complex and strategic, he found most of my ideas too basic and chaotic. My playtesters were getting bored with playing every week a new version of the same game. Luckily, we finally found the right idea, the big idea that made the game richer but no longer or more complex, both French and Italian testers were very happy with it. So we signed with Venice Connection for a game that was still called Macao, by Bruno Faidutti and Leo Colovini
Venice Connection used to work with german publishers. They showed the new Macao to Mr Matschoss, of Winning Moves, who had already seen my first version. This time, he took it, and sent the game to his new developping team, the so called “team Annaberg”, with, among others, Marcel-André Casasola Merkle, the author of the wonderful Verraeter. They changed a few more rules, moved the game to the italian Riviera, and here it is, and it’s still my game.

Vabanque, A German slient movie, 1921.

The name of this game, Vabanque, was chosen by the first German publisher. Vabanque was first a French word, used by the players of Pharaoh, a gambling game popular in the XVIIIth century. It meant playing all of one’s money left – French players now would say All In, Tapis or Banco. The word passed into German and English, but too disappeared from the French vocabulary. When the German publisher choose this titre for the game, they thought it will have the same leaning for French gamers.

Japanese version, 2017.

Vabanque was a critical success, but didn’t sell that well and was not published in other languages, even when the components were language independent. It was almost forgotten when, in 2016, a small Japanese publisher, New Games Order, asked us to publish a Japanese version. It’s still available, and has gorgeous wooden components.

2021 edition.

Raphaël Bernardi, of Igiari, has already republished a few of his favorite games from the early 2000s, Stefan Dorra’s Intrige, which sold very well, and Michael Schacht’s Don, which has become Templari. Vabanque, like Intrige and Don, is a light, simple and very agressive game. Raphaël first wanted to localize the Japanese version, but this was too complex and having the same style of wooden chips would have been too expensive. So he decided to make a brand new version, in French, English and Korean, two languages in which this game had not been published yet. We considered giving the game another name, something which would make sense in French, but we finally decided to keep Vabanque to avoid any confusion, and because the word’s history is fun.

The Igiari edition.

Igiari is a small one person company. Despite a few minor hits, like Intrige, Onitama and Soviet Kitchen, it doesn’t have the means to publish several new games every year. That’s the reason why it will be on Kickstarter. I hope it will work, the game deserves it.

Vabanque
A game by Bruno Faidutti & Leo Colovini
3 to 6 players – 45 minutes
Published by Winning Moves (2001), New Games Order, LLC (2017), Igiari & Asmodee Korea (2021)
ARt by M.A. Casasola Merkle (2001), U# (2017), Y. Glénisson & C. Masson (2021)

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Mascarade, 2ème édition
Mascarade, 2nd edition

Paru en 2013, Mascarade est, avec Citadelles, Diamant et Le Roi des Nains, l’un de mes jeux qui s’est le mieux vendu. Suite à ce succès, Repos Production avait, un an plus tard, publié une extension dont je suis particulièrement fier. Les personnages de l’extension ne sont en effet pas ceux qui auraient été « mis de côté » lors de l’édition initiale, mais des idées qui me sont venues plus tard, ou qui m’ont été suggérées par des joueurs. Quelques uns sont plus intéressants et plus amusants que les personnages de base. Marionnettiste, Princesse et Mendiante sont parmi ceux que je sors le plus souvent.  

Malheureusement, comme cela arrive pour bien des jeux, les ventes de l’extension n’ont été qu’une infime fraction de celles de la boite de base. Cela fait maintenant quelques années que l’éditeur avait renoncé à la réimprimer, et la plupart des joueurs sont donc passé à côté de certaines des cartes les plus intéressantes. Je suis donc très heureux que Repos Production ait finalement décidé de faire une édition totalement nouvelle de Mascarade, permettant ainsi de reprendre la sélection des personnages, qui viennent pour deux tiers de ce qui était le jeu de base et pour un tiers de l’extension. Les discussions pour savoir qui garder ont été assez tendues, chacun ayant ses personnages préférés. J’ai fait un peu le forcing pour le marionnettiste, car je trouve vraiment drôle de voir les joueurs changer de place autour de la table. En contrepartie, j’ai dû accepter de laisser partir le Maudit, qui rendait plus méchant un jeu auquel nous voudrions à l’inverse donner une image plus légère ; on en fera peut-être un goodie, comme le joueur, si cette nouvelle version a du succès.

Les règles pour deux et trois joueurs, qui relevaient un peu du bricolage, ont été abandonnées, et c’est tant mieux – il y a plein de jeux plus intéressants à deux ou trois.

Quelques personnages ont changé de nom; les anciens devront, comme moi, s’y habituer.
Le roi et la reine de Mascarade sont devenus l’impératrice et le roi, ce que je regrette un peu car j’aimais bien le gag un peu féministe de la reine qui gagne un tiers de moins que le roi. J’ai eu un peu la même histoire avec un autre petit jeu de cartes qui sort bientôt, Les petits lutins du Père Noël, j’en reparlerai un de ces jours.
L’évêque est devenu un escroc et l’inquisiteur un gourou, parce qu’il est facile de se moquer des sectes mais que l’on a de plus en plus peur de se mettre à dos les religions établies, qui ne sont pourtant que des sectes qui ont réussi. De même, lorsque, il y a quatre ans, l’éditeur américain a refait les illustrations de Citadelles, ils ont laissé l’évêque mais ont pris bien garde de représenter la religion par un symbole bizarre et vaguement fantastique, et non par une croix chrétienne.
Il faudra que j’écrive un de ces jours un article pour expliquer aux éditeurs qu’ils ont généralement tort de penser à priori que les joueurs sont susceptibles, un peu bêtes et sans humour. Même si cela ne change en fait rien à un jeu qui n’a rien de politique, je regrette un peu que les deux clins d’œil un peu progressistes qui j’y avais glissé, moquant gentiment le sexisme et la religion, aient finalement sauté.

L’autre raison qui a sans doute poussé l’éditeur à relancer ce jeu est son look un peu daté. Les boites allongées comme celle du premier Mascarade ne sont plus à la mode, et donnaient au jeu un côté un peu vieillot. Les graphismes étaient magnifiques, mais peut-être un peu sombres pour ce qui est finalement un jeu grand public, assez rapide, aussi proche des Loups Garous que de Citadelles. La nouvelle édition a donc un format plus classique, et est illustrée dans un style absolument adorable et beaucoup plus léger, plein de couleurs sur fond blanc, par Things by Diana. Le nouveau carnaval a l’air plus vaudou ou mexicain ou brésilien que vénitien, et plus du tout Renaissance. C’est plus joyeux, plus lisible, et sans doute plus dans l’esprit du jeu.

Mascarade
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Things by Diana
4 à 13 joueurs – 30 minutes
Publié par Repos Production
Parution 2021 (1ère édition 2014)
Boardgamegeek


Mascarade was first published in 2013  and has become, together with Citadels, Diamant and The Dwarf King, one of my best selling games. After its initial success, Repos production, one year later, published an expansion with new characters. The characters in the expansion are not, like often, stuff that was discarded from the base game, but new ideas which came to me later when playing, or which were suggested by the first owners of the base game. Some cards are more fun and interesting than the basic characters. The Puppet Master, the Beggar and the Princess, for example, have been very popular with my gaming group.

Unfortunately, as it always happens, the sales of expansion were only a small fraction of those of the base game and, for a few years now, the publisher had stopped reprinting it. As a result, most Mascarade players ignored some of the most interesting cards. I am therefore really happy that Repos Production decided to revamp the game, and we seized the opportunity to make a new selection of characters, more or less ⅔ from the basic game and ⅓ from the expansion. The discussions on which characters to keep and which to discard were tense, every character having a few fans. I insisted on adding the puppetmaster, because it’s really fun to see players move around the table. As a counterpart, I had to give up the Damned, which made the game more nasty when the idea is to make this new edition lighter and more family friendly. If the game sells well, may be it will be a goodie some day, like the Gambler.

The two and three player rules have been deleted, and it’s better so. There are so many better games for 2 or 3 players.

A few characters changed name; the old gamers will have, like me, to get used to it.
The King and Queen have become the Empress and King, which I regret because I liked the feminist quip of the woman making one third less than the man. I had a similar problem with another joke in a small card game to be published in the coming months, Santa’s Little Elves – more about it soon.
The Bishop has become a Crook and the Inquisitor a Guru, because it’s safe and easy to mock sects but we don’t dare anymore to mock established religions, which are only sects that got lucky, successful and powerful. Similarly, four years ago, when FFG made a new edition of Citadels, they kept the Bishop but represented religion with a strange fantastic symbol and not the good old Christian cross.
May be I should write a blogpost explaining to publishers that they are probably wrong in thinking the average gamer is touchy, a bit stupid and completely devoid of humor. Anyway, it doesn’t affect the gameplay, and Mascarade was never a political game, but I’m still a bit sad that the two progressive quips I have hidden in it, mocking sexism and religion, have finally disappeared.

The main reason for revamping the game was that, while the art was great, its look was a bit outdated. Long and thin boxes have mostly disappeared from game shop shelves. The art was gorgeous but a bit dark for what, after all, a light and fast paced game, something between Werewolves and Citadels. The new edition has a more balanced rectangular shape. The art, by Things by Diana, is adorable and much lighter, lots of colors on a white background. This new Masquerade looks as much like a Mexican or Brasilian carnival than a Venetian one. It’s more fun, easier to read, and fits better with the game.

Mascarade
A game by Bruno Faidutti
Art by Things by Diana
4 to 13 players – 30 minutes
Published by Repos Production
2021 (1st edition 2014)
Boardgamegeek

Jeu, sérieux, histoire, clichés, tout ça…
Games, seriousness, history, clichés and all that stuff.

Dans quelle mesure le jeu est-il quelque chose de sérieux, et doit-il être pratiqué sérieusement? Lorsque, entre deux parties, quelqu’un met sur la table de jeu cette question récurrente, il y a toujours quelqu’un – souvent moi – pour citer une formule de Freud selon laquelle « le contraire du jeu n’est pas le sérieux mais la réalité » à l’appui de la thèse selon laquelle le jeu est une activité sérieuse. Ne parlant pas allemand, langue dans laquelle cette phrase a nécessairement été écrite, j’ignore quel était son sens originel précis. Sa traduction en français pose problème car le sérieux, et la sériosité (ce mot doit exister puisque Word ne vient pas de me le souligner en rouge) sont des mots à double sens. Dire que le jeu est sérieux peut signifier qu’il doit être pratiqué avec sérieux, c’est à dire avec concentration, ou que le jeu est quelque chose de sérieux, c’est à dire d’important dans le monde réel. Les choses se compliquent encore en anglais ou, selon que Spiel/jeu est traduit par toy ou game, la phrase de Freud prend des sens très différents.

Je ne suis donc pas absolument certain de ce que cette phrase signifiait pour Freud. Elle signifie pour moi que le jeu doit être pratiqué avec sérieux, mais certainement pas qu’il puisse et doive avoir un impact mesurable sur le monde réel, ce que je ne pense ni souhaitable, ni même vraiment possible.

Cela fait de longues années que je milite pour la reconnaissance des auteurs de jeux comme « auteurs » à part entière. C’est en partie pour cela que, assez régulièrement, je compare notre activité à celle des romanciers, ou des scénaristes de cinéma et de jeu video. De fait, même si chaque auteur de livre ou de jeu travaille à sa manière, nous avons en commun avec au moins les romanciers de passer le plus clair de notre temps devant une feuille plus ou moins blanche, à prendre des notes et imaginer des intrigues.

La comparaison ne doit pourtant pas être poussée trop loin, et je me demande aujourd’hui s’il n’aurait pas été plus judicieux de nous comparer aux musiciens ou, comme le fait volontiers Bruno Cathala, aux cuisiniers – même si c’est sans doute pour lui plus une métaphore qu’une comparaison, et même si j’ai quelques doutes sur sa connaissance de l’art culinaire. À trop vouloir traiter le jeu de société comme la littérature, on en arrive en effet à des contresens.

Parmi les caractéristiques qui distinguent le jeu de société de la littérature, du cinéma, du jeu de rôle et d’une grande partie du jeu video, il en est une que certains voudraient oublier ou ignorer, l’absence de profondeur. On ne connaît jamais parfaitement un personnage de roman, on peut en faire des analyses différentes, s’y intéresser, parfois même en faire autre chose que ce qu’a imaginé l’auteur. Il est, tout comme un personnage de cinéma et, dans une certaine mesure, de jeu de rôle, plus profond, plus riche que ce qui apparaît dans le texte ou dans le film. Il nous donne ainsi une ouverture sur un contexte psychologique, imaginaire ou historique. Il n’y a rien de cela dans un jeu de société qui, même lorsque l’on y joue un personnage, ce qui est loin d’être toujours le cas, reste un système clos, dont on connaît toutes les règles. On ne peut imaginer des motivations, une histoire, une psychologie à un personnage dont toutes les caractéristiques sont connues, ni à des joueurs qui n’ont qu’une seule et unique motivation, parce que c’est le principe même du jeu, gagner. Sauf dans quelques cas très particuliers, un jeu ne peut donc pas avoir de sens profond et caché ou de message subtil. C’est pour cette raison que les meilleurs thèmes de jeu, les plus efficaces, les plus intéressants pour les joueurs, sont ceux qui sont suffisamment simples et connus, ce qui est la définition du cliché. L’histoire, la fantasy, la science-fiction en sont des réservoirs, dans lesquels je n’hésite jamais à piocher – mais je suis conscient de le faire et fait en sorte que cela se voit. Je ne sais plus quel est le cinéaste qui, lorsqu’on lui reprochait d’utiliser de vieux clichés, répondit qu’il allait faire des efforts pour trouver de nouveaux clichés. Cette réponse s’applique sans doute mieux encore au jeu de société – le problème n’est pas d’échapper aux clichés mais d’en choisir des sympas et pas trop ringards.

La peur du cliché a conduit, depuis deux ou trois ans, à un foisonnement de jeux aux thèmes artificiels, vaguement oniriques et généralement bien moins convaincants que les bonnes vieilles histoires sur lesquelles, le plus souvent, les auteurs avaient construits leur prototype. Quand on y joue, c’est un peu comme si le jeu n’avait aucun thème, et c’est un peu dommage.

Avant de finalement accepter parce que, bon, c’est pour la bonne cause, j’avais d’abord refusé de signer une déclaration commune d’auteurs de jeux, pleine de bonnes intentions, rédigée par des gens que j’aime bien et qui n’engageait au fond pas à grand-chose (vous pouvez la lire ici). L’un des articles disait en effet que les signataires s’engageaient à faire des recherches sérieuses sur les contextes historiques et culturels qu’ils utilisaient dans leurs créations. Il se trouve que je suis un peu historien, j’ai quand même un doctorat, mais jamais je n’ai fait la moindre recherche sur les thèmes utilisés dans mes jeux, et je ne cherche pas particulièrement à faire de jeu sur les sujets et les périodes que connais. Je suis convaincu que pour fonctionner, un jeu, c’est à dire un univers extrêmement simplifié et rationnel dans lequel les joueurs peuvent se prendre la tête quelque temps sans qu’il y ait d’enjeu réel, ne peut être construit que sur des concepts que les joueurs maîtrisent tous déjà et donc, sauf dans le cas des jeux abstraits, sur des clichés. Si je construis un jeu sur des trucs que je sais mais que les joueurs ne savent pas, le jeu fonctionnera moins bien pour eux que pour moi.

J’ai conçu Ménestrels avec mon amie Sandra Pietrini. L’idée du jeu nous est certes venue de sa thèse sur la représentation des jongleurs, danseurs et bouffons dans l’iconographie de la fin du Moyen Âge. Pour autant, jamais il ne nous est venu à l’idée de chercher dans le jeu à apporter quelque information historique que ce soit. Tout au contraire, et cela est fort bien rendu par les illustrations de David Cochard, fort peu historiques, nous avons cherché à jouer sur les poncifs, les clichés, l’imaginaire des joueurs. Nous n’avons pas illustré sa thèse, nous avons joué avec.

Alors oui, il faut savoir que l’on travaille sur des poncifs. Il faut le dire, ou du moins montrer qu’on le sait. C’est sans doute pour cette raison que j’ai toujours été réticent à l’utilisation dans les jeux de graphismes trop réalistes, et que j’ai toujours privilégié une approche humoristique et plus ou moins décalée des thèmes. Le thème d’un jeu de société est souvent plus proche de celui d’une chansonnette que de celui d’un roman historique, ou d’un gros jeu video.

Certes, quelques auteurs font des jeux nécessitant un peu de documentation historique, mais ils sont bien peu nombreux. Si je regarde sur les étagères qui sont derrière moi tandis que j’écris cet article, je vois une bonne centaine de grosses boites de jeu… dont trois seulement, me semble-t-il, ont dû demander un effort de documentation historique, Mombasa de Alexander Pfister, Dual Powers de Brett Myers et surtout Pax Pamir, de Cole Wehrle. Ce sont donc clairement les exceptions qui confirment la règle, et non une règle que suivraient tous les auteurs. Et c’est l’étagère des gros jeux, si c’était les petites boites, il y en aurait encore moins.

Je n’ai pas joué à Mombasa, qui n’est pas trop mon type de jeu, et ne peux pas en dire grand chose. J’ai bien aimé Dual Powers, mais l’aspect historique y reste quand même très léger. Je n’ai pas encore joué à Pax Pamir, mais je prévois de le faire un de ces jours car j’ai beaucoup aimé, malgré sa complexité, une autre création de Cole Wehrle, Root. Ceci dit, je devine que si le thème des rivalités anglo-russes en Perse à la fin du XIXe siècle a pu donner lieu à un jeu de société, c’est parce qu’il s’y prêtait particulièrement bien – ce n’est pas pour rien que ces rivalités étaient appelées « The great game ». Il reste que si je veux apprendre quelque chose sur le sujet, qui de fait m’intéresse un peu, je ne le ferai pas en jouant au jeu mais en lisant des bouquins, et l’auteur a d’ailleurs mis une bibliographie à la fin des règles – à laquelle on pourrait rajouter l’excellent et très british Alexandria, de Edmund Richardson, que je viens de lire avec grand plaisir.

Il y a en effet autre sous-entendu dans l’idée de « documentation historique » sur les thèmes de jeu, l’idée que le jeu de société pourrait être un moyen d’enseigner ou de comprendre l’histoire. Outre que cela suppose, quel que soit le type jeu, une conception assez mécaniste de l’histoire, cela pose le problème plus général du jeu éducatif, et, car c’est un peu la même chose, du jeu sérieux, du jeu à message ou du jeu ayant une « utilité sociale » autre que sa simple fonction de jeu. Depuis que je suis dans le petit monde du jeu, donc depuis quarante ans, j’entends dire que le jeu est le futur de l’éducation, de la formation professionnelle, du travail, de la politique, de tout et n’importe quoi sauf du jeu, et ce futur ne se réalise toujours pas, ou de manière verbeuse, ridicule et inefficace. Il n’y a rien d’étonnant à cela, car si c’est de la formation, du travail, de l’éducation, de l’histoire, de la politique, c’est du réel, et, même si deux ou trois mécanismes sont empruntés au monde ludique, ce qui n’est pas vécu comme un jeu ne peut pas être un jeu. Ce qui n’est pas un jeu ne peut pas non plus être vécu comme un jeu, sauf par des psychopathes – c’est même la définition de la psychopathie, penser que dans la vie, comme dans un jeu, la seule chose qui compte est de gagner. On en arrive au paradoxe qui fait que, lorsque l’on essaie de donner au jeu une utilité sociale, on lui fait perdre sa seule réelle utilité sociale, qui est de donner une occasion de s’échapper quelque peu d’un réel anxiogène et incompréhensible, et de s’en échapper en groupe ce que ne permet pas la lecture de romans.
Dans une version plus récente cette volonté de vouloir à tout prix vouloir donner une “utilité” au jeu a débouché sur la théorie assez naïve selon lequel les jeux de coopération rendraient les joueurs coopératifs et pacifiques, tandis que les jeux de compétition les rendraient compétitifs et agressifs. J’espère que les “formateurs”, car ce sont souvent eux, qui avancent de telles théories ont arrêté de pratiquer le loup-garou et toutes ses variantes, faute de quoi nous allons vers une société de délation généralisée.

De façon plus anecdotique, le jeu est souvent, notamment en milieu familial, un moyen de passer de bons moments avec des gens que l’on aime bien mais avec qui on n’a vraiment pas envie de discuter de choses sérieuses, et surtout pas d’histoire ou de politique, car c’est un peu la même chose. Du coup, si le jeu lui-même prend une dimension politique, cela ne fonctionne plus. C’est pour cette raison que, alors même que je suis sans doute l’un des auteurs de jeu qui aborde le plus souvent, sur ce site ou sur les réseaux sociaux, des problématiques politiques, j’évite généralement de donner une dimension clairement politique à mes jeux, de les utiliser comme s’ils étaient un texte, pour faire passer un message. Terra, et dans une moindre mesure Kamasutra, sont les deux seules exceptions. Et certainement pas Animocrazy, puisque le seul « message » que l’on pourrait en tirer serait que la démocratie, c’est le bordel, ce qui n’est ni mon opinion, ni celle de mon éditeur hongkongais – c’est juste un cliché de plus, et qui nous a fait sourire tous les deux, peut-être un peu au second degré.

Sinon, dans la déclaration que je n’avais d’abord pas voulu signer, il y a un autre article avec lequel je suis entièrement d’accord mais qui m’a quand même fait sourire, surtout parce qu’il était le premier de la liste, sur la nécessaire diversité des personnages représentés dans les jeux.  Tout cela est très bien, très gentil, très mignon, mais, outre que cela relève souvent de l’éditeur et non de l’auteur, j’ai quand même l’impression qu’on se préoccupe plus ces temps-ci de la composition des équipages de vaisseaux spatiaux, des castings de comédies musicales et des groupes d’aventuriers que de celle des gouvernements et conseils d’administration. Il y a des gens dans les gouvernements et les conseils d’administration que cela doit bien faire rigoler. Je ne dis pas qu’on est manipulés, on est parfaitement capable de prendre des voies de garage tout seuls, je dis juste que ça doit les faire doucement rigoler. La politique, ce n’est pas seulement des principes, c’est au moins autant l’art de distinguer ce qui est important et ce qui ne l’est pas, ce qui est une cause et ce qui est une conséquence, et la gauche n’a jamais été aussi mauvaise à cela qu’aujourd’hui.

Revenons aux jeux. Je ne pense pas qu’ils soient importants, mais je les aime bien et cela m’amuse d’en parler. Donc, les jeux doivent donc être pratiqués avec sérieux pour fonctionner – pas trop quand même, on peut boire et rigoler un peu en jouant. Ils ne doivent pas en revanche être pris  trop au sérieux, car ils cessent alors d’être des jeux et perdent toute efficacité. Cela ne signifie pas que l’on ne peut pas réfléchir sur les jeux, ce que j’essaie de faire ici, cela signifie que l’on ne peut pas vraiment réfléchir avec.
Et du coup, désolé, mais les auteurs de jeux ne pèseront jamais sur le cours de l’hsitoire comme les écrivains ou même les cinéastes. Si vous voulez que votre voix compte, faites de la politique, donnez votre opinion, ce ne sont pas les occasions qui manquent.

Et au fait, j’ai un nouveau blog sur les licornes où je  fais un peu de vraie histoire, mais pas toujours très sérieusement non plus…

Au fait, bis, si vous êtes intéressé pour publier ou distribuer Animocrazy, qui n’existe que dans une édition bilingue chinois / anglais, et dans une édition en coréen, quelque part dans le reste du monde, je peux vous mettre en relation avec l’éditeur. Même chose pour Ménestrels, qui n’est édité qu’en français.


Are games and gaming serious stuff ? Every time this question is asked, there’s always someone, often me, to quote Freud who wrote that « the opposite of gaming is not seriousness but reality », and that games are indeed something which must be dealt with seriously. I don’t speak German, this was written in German, and I therefore don’t know exactly what Feud meant. Seriousness has, in English like in French, a double meaning. Stating that games are serious can mean that gaming must be done seriously, with the utmost concentration, or that games are a serious thing, an important thing in the real word. It becomes even more complex in English, since the German « Spiel » and the French « jeu » can mean both « toy » and « game » in English.

Anyway, I don’t know exactly what Freud meant, but I know what I mean.I mean that games must be played seriously, but not that games have a serious impact on social realities, something I think is neither desirable nor, probably, possible.

For years, I’ve tried to have game designers recognized as authors, and that’s why I regularly compare our activity with that of novelists or movie and video game scriptwriters. Indeed, while every game or book author has their own method, we all have in common to spend most of our time facing a more or less blank page, writing vague notes and waiting for intrigue ideas.

The parallel must not be pushed too far, and I am now wondering if it would not be better to compare us, game designers, with music writers or, like Bruno Cathala often does, with chefs – even when he probably understands it more as a metaphor than a comparison, and when I have some doubts about his knowledge of cuisine. Always comparing boardgames with literature, as I used to do, might be misleading.

Among the the things that sets boardgames apart from literature, from cinema, from role playing games and from some video games, there is one that many gamers, game publishers and game designers are more or less deliberately ignoring, the absence of hidden depth. The reader never perfectly knows and understands the characters in a novel. That’s what makes them interesting, that’s why they can be analyzed, that’s why it’s even possible to make them something very different that what the writer intended. The same is also true, to a lesser extent, of movie and even role playing games characters. There’s always more in them than meets the eye, and that’s why there is always, behind the text, a psychological, historical or fantasy context. There’s nothing like this in boardgames, even when players are supposed to embody a character, which is not always the case. Boardgames are simple and completely closed systems, of which all the rules are known. One cannot imagine a complex psychology, motivations, personal history of a character whose characteristics are all perfectly known and usually expressed by numbers.  As for players, their one and only motivation is trying to win, because that’s what a game is. That’s why, except in a few very specific cases, games cannot carry a deep meaning or a subtle message – they just carry numbers.

That’s also why the best themes for games, the most efficient ones, are simple ones which are already perfectly known by everyone – that’s the very definition of a cliché. History, science fiction, fantasy are immense reservoirs of clichés in which I draw consciously, even when I very rarely now read science fiction or fantasy.

I don’t remember which movie screenwriter, when criticized for using too many old clichés, answered that he will do his best to use new clichés. I would give the same answer about my games. The problem is not avoiding clichés, it’s choosing cute and up-to-date ones.

The fear of clichés, the erroneous conviction that they are inherently bad, has led to a profusion of new games with vaguely oneiric settings, usually far less convincing than the well known stories designers had, in most cases, used for their prototypes. These games might be mechanically great, but they feel strange, like having no real theme but not being abstract either. Pity.

Before I finally agreed because, after all, it’s for a good cause, I had first declined to sign an open declaration by French and German game designers, full of good intentions, written by people I like and not really binding in anything (you can read it, in French, here). I had a problem with one of the articles, which said that signatories intend to make serious historical and cultural research on the topics thy used in their designs. Even when it’s not my day job, I am a bit of a historian – after all, I have a PhD – but I never did any research on the few historical themes which appear in my games, and I don’t specifically try to design games about the topics and periods I studied. A game is an extremely simplified, closed and rational setting in which gamers can engage for a while with no real stake. It works only if built on knowledge all players already master, which means, except of course for abstract games, on clichés. If I build a game on knowledge I have but players don’t have, the game will not work as well for them as it does for me.

I’ve designed Ménestrels (Minstrels, only published in french so far) with my friend Sandra Pietrini. The idea for the game came indeed from her PhD about the image of wandering artists in the late Middle-Ages. We never tried, however, to bring any historical information into the game. On the opposite, as it clearly appears with David Cochard’s art and the many caricatures of modern artists, we tried to exploit the clichés about the Middle Ages. We didn’t illustrate or exploit her PhD thesis, we played, or may be toyed, with it.

So, yes, game designers work with clichés. We should know about it and to acknowledge it. That’s one one the reasons why I’ve always been extremely wary of realistic art in my games, and always push towards cartoony or quirky art. The theme of a boardgame is more like the theme of a children or pop song than like the theme of a historical novel or a big video game.

There are a few authors who design game requiring some historical documentation, but there are not that many. When I turn my head and look at the shelves on the wall opposite my computer, I see a hundred big box games among which there seems to be only three, Alexander Pfister’s Mombasa, Brett Myers’ Dual Powers and Cole Wehrle’s Pax Pamir, required some historical documentation. They are obvious exceptions, the rule being not to bother with history. And that’s with the gig games shelf, it would be even more true of the small box ones.

I’ve Mombasa for years and still have to play it, and it’s not really my style of game, so I ‘m not really sure how historical it is and can’t say more about it. I really enjoyed my few games of Dual Powers, but the historical theme is relatively thin. I’ve not played Pax Pamir yet but I plan to do it one of these days since I’ve really enjoyed, despite its complexity, another game by Cole Wehrle, Root. I guess that there’s something with XIXth century Anglo-Russian rivalry in Persia making it a really good setting for a game – there’s a reason why it was called « the Great Game ». If I really wanted to learn something on the subject, however, I would not play a game but read a few books. The game designer probably agrees with me since he added a bibliography at the end of the rules – to which I would add the very British Alexandria, by Edmund Richardson, which I recently read with great pleasure.

There is indeed another innuendo in the proclaimed imperative for game designers to look for « historical documentation » on game settings, the idea that boardgames could, and may be even should, be a way to teach and understand history. There are very different styles of boardgames, but all are in the end simple and closed mechanical systems, so looking at history via boardgames usually implies a mechanical view of history, which is not the case, or far less, with books or even movies.

The main issue, however, is more global. I’m designing boardgames for forty years now, and since forty years I’m hearing, usually from people who know little about games, that gaming is the future of education, of professional training, of work, of politics, of almost everything except gaming. So far, this « bright » future has failed to come, except in ridiculously verbose and ineffective ways. This is not surprising – if it’s training, if it’s work, if it’s education, if it’s politics, it’s reality. If it’s reality, even when two or three mechanisms are borrowed from games, it’s not a game. What is not lived as a game cannot be a game ; what is not a game cannot be lived as a game, except by psychopaths – that’s even the definition of a psychopath, someone who acts as if in life, like in a game, the only goal is to win by all means.
The paradox is that trying to give games a social utility deprives them of their only true social utility, which is to give us an opportunity to escape for a while from a complex and nerve-racking world, and escape it together with friends, which is not the case with most other intellectual leisures.

Recently, this kind of reasoning has led to the naive nonsense that cooperative games make people peaceful and cooperative while competitive games make them agressive and competitive. I hope all the so-called educators who claim this have stopped playing werewolves, or we’re heading towards a society of generalized bad faith, informing and denunciation.

More incidentally, games are often, especially in family context, a way to spend some good times with people you like but with whom you don’t want to discuss history or politics, which is more or less the same thing. If the game itself becomes political, the whole trick falls apart. This is why, even when I am probably one of the game designers who is the most open about politics, be it on this website or on social networks, I usually avoid using games as if they were texts, to convey a political message – I can think of only two exceptions, Terra and, to a lesser extent, Kamasutra. And certainly not Animocrazy, since the only message you could get from it is that democracy always ends in a great mess, which is neither my opinion nor that of the Hong Kong publisher. It’s just one more cliché, which made us smile, may be with some hint at second degree, but I’m not even sure.

In the game designers declaration I first did not want to sign, there was another interesting article, about the diversity of characters represented in boardgames – which, by the way, is often more a choice of the publisher and not of the designer. Anyway, as long as I’m not asked to put women in Mystery of the Abbey, which would break with both cliché and history, I’ve no problem with this. It’s nice and cute, but I find disturbing that there is so much more discussion today about diversity in spaceship crews, musicals casts and adventurer parties than there is about diversity in governments and boards of directors. My guess is that people in governments and boards of directors are having a good laugh. I’m not saying we’re manipulated, we’re certainly able to move onto storage tracks (do you say this in English?) just by ourselves, I’m just saying that they probably have a good fun looking at this. Politics is about principles, but it is as much, if not more, about sorting what matters and what doesn’t, what is a cause and what is consequence, and the left has never been as bad at this as it is now. Basically, that’s Marx 101, power and money are the causes which need to be addressed, everything else is consequences.

But back to games – they’re not important, but I like them and I enjoy discussing them. Games must be played with some serious and concentration, or they simply don’t work – not too much serious and concentration though, we still need some room for drinks and jokes. Games must not, however, be taken too seriously, or they stop being games and lose all their interest and utility. This doesn’t mean one cannot think about games, analyze them, which is what I’m trying to do on this blog, it means one cannot think much with them.

I’m sorry for my few friends who think they’re important, but game designers will never weigh on history like writers or even movie directors do. If you want your voice to be heard and effective, do real politics, or just give your opinion openly, there are opportunities every day.

And by the way, I now have a unicorn blog where I discuss history, and my upcoming book about unicorns, but it’s not always very serious either. It’s only in French because the topics are more complex and my English not precise enough to translate it.

And by the way again, if you’re interested in publishing or distributing Animocrazy, of which there are only a bilingual Chinese / English edition and a Korean one, somewhere else in the world, tell me and I’ll put you in contact with the publisher. Same with Ménestrels (Minstrels), which is only in French so far.

Konbini

Quand les gens de Konbini m’ont demandé s’ils pouvaient m’interviewer deux heures pour faire une video de 5 minutes, j’ai eu un peu peur qu’ils me fassent dire des bêtises, parce qu’en deux heures on dit toujours une ou deux bêtises. En fait, l’équipe était très sympa, et le résultat est plutôt flatteur et bien vu !
Vous revenez quand vous voulez pour parler licornes.

When the guys at Konbini asked to shoot a two hours interview for a five minutes video, I was a bit wary of being made a fool, because in two hours, one always says two or three stupid things. I was wrong, the team was really nice, and the portrait they made is fun and flattering – but in French only.

Licornes
Unicorns

Arlberg-Bruderschaft Wappenbuch, fol 26r

Vous avez peut-être remarqué que, alors même que le confinement aurait dû me laisser plus de temps que jamais pour imaginer des jeux et écrire des bêtises, j’ai peu mis à jour ce site web ces derniers mois. En fait, j’ai peu pensé aux jeux car, contrairement à beaucoup d’autres auteurs, je n’ai pas vraiment réussi à me mettre au jeu de société en ligne sur Tabletopia et autres BoardgameArena. J’ai essayé, mais n’ai pas été convaincu. C’est sans doute un peu dû à mes jeux, qui gagnent à pouvoir regarder adversaires ou partenaires dans les yeux, et un peu à moi-même, qui préfère jouer autour d’une table avec de bons amis et de bonnes bières. Et donc, comme je ne pouvais pas non plus voyager, il m’a fallu trouver autre chose pour m’occuper…

Yale, Beinecke Library, ms 436, fol 15v

Il y a vingt-cinq ans, en 1996, j’avais soutenu une thèse d’histoire, Images et connaissance de la licorne de la fin du Moyen Âge au XIXe siècle. J’ai ensuite assez rapidement abandonné toute idée de faire une véritable carrière d’historien, mais j’ai gardé de cet intermède un goût pour les vieux papiers et les thèmes un peu marginaux – au sens propre du terme, car, dans les manuscrits médiévaux, la licorne est souvent dans les marges.

Lorsque les circonstances m’ont, comme tout le monde, enfermé pour quelques mois, j’ai vu là une occasion de faire ce à quoi je pensais depuis déjà quelque temps, reprendre mes recherches avec moins d’enjeu et plus de plaisir, pour en tirer quelque chose de plus léger, de plus digeste,  un livre ou un site web. Et puis je me suis laissé emporter en découvrant que tous les manuscrits et incunables que je n’avais pas pu consulter il y a trente ans étaient aujourd’hui accessibles en ligne. J’ai donc passé une grande partie des deux confinements sur les sites de Gallica, de la bodléienne, de la British Library, de la Bayerische Staatsbibliothek, de la bibliothèque nationale de Russie, du Metropolitan Museum, découvrant plein de nouveaux trucs amusants.

Église Saint Étienne du Mont, Paris

J’ai écrit le livre, 160 brefs chapitres, et lui ai trouvé un éditeur, Ynnis. Le volume s’appellera sans doute Les légendes de la licorne et devrait sortir début 2022. Bien sûr, mon tapuscrit de 1.500.000 signes et plus de 1000 illustrations était trop long, beaucoup trop long, et il a fallu couper – à peu près la moitié du texte et les quatre cinquièmes des images. Du coup, il me reste de la matière pour faire aussi un site web, qui sera un blog parce que j’ai l’habitude de WordPress. J’y posterai régulièrement des extraits du futur bouquin et, surtout, tous les passages que j’ai supprimés, généralement parce qu’ils abordaient des sujets relativement pointus – mais tout est un peu pointu en matière de licornes. 

Mon anglais est suffisant pour discuter de jeux de société et pour écrire des règles, mais je crains qu’il ne soit pas assez précis pour aborder l’histoire ou la littérature. Du coup, et je le regrette un peu, ce deuxième blog sera uniquement en français.

Et maintenant que le livre est bouclé, que la situation sanitaire semble s’arranger, que je suis vacciné et que la plupart de mes amis commencent à l’être, je devrais pouvoir de nouveau organiser des soirées jeux, tester des prototypes, et sans doute passer de nouveau par ici parler de jeux.

Et mon blog sur les licornes se trouve là.


British Library, ms Harley 4979, fol 71v

You might have noticed that, even when the long months of confinements should have left me with more time to design games and write online nonsense, I rarely updated this website last year. I actually didn’t focus that much on games because, unlike most other boardgame designers, I could not really get accustomed to playing online on Tabletopia or Boardgamearena. I tried, but didn’t like the experience. It’s probably due in part to my games, which play better when one can look opponents and partners in the eyes, and to me, who really enjoy playing around a real table with real friends and real beer. And since I could not travel either, I had to find something else to keep myself busy.  

Cambridge, Trinity College ms B 11 22, fol 11r

Twenty-five years ago, in 1996, I completed my PhD about the Images and knowledge of the unicorn from the late Middle-Ages to the XIXth century. I then quickly gave up the idea of making and academic career, but I still have a fascination for old manuscripts, strange books and marginal themes – marginal in its narrower sense, since unicorns are often found in the margins of manuscripts.

When circumstances confined me in my flat for a few months, like everyone, I seized the opportunity to do what I was already considering for a while, going back to my old research with lower stakes and more fun and trying to make something lighter and more mainstream out of it, a book or a website. Then I found out that hundreds of manuscripts and incunabula I had not been able to see thirty years ago were now accessible online and was hooked on the Gallica, the Bodleian, the British Library, the Bayerische Staatsbibliothek, the Russian National Library, the Met and a few other such websites where I found more strange, fun and sometimes unexpected unicorn stuff.

Bibliothèque Nationale, ms fr 2810, fol 85r

I wrote the book, made of 160 short chapters, and found a publisher. It will probably be called Les légendes de la licorne (The Legends of the Unicorn) and will be published in early 2022, in French at first – but if you’re interested in doing it in English or any other language, email me and I’ll get you in touch with the publisher. Of course, my 1.500.000 characters and 1000 pictures typescript was too long, far too long, and I had to cut out more or less half of the text and four fifths of the pictures. This means I have lots of stuff left for a website, a blog because I am used to WordPress. In the coming months, I’ll regularly post there excerpts from the coming book and, mostly, all the chapters I had to remove, usually because they were a bit redundant or dealt with really small details.

While my english is sufficient for discussing boardgames and writing game rules, I’m afraid it‘s not good enough for history and literature. Unlike my boardgaming blog, the unicorn part of my website will be only in French – but if some day my book is translated in English, may be I’ll find a way to have the website translated as well.

And now that the book is nearly finished, that the health situation is becoming better, that I am vaccined and most of my friends will soon be as well, I will soon be able to hold game nights again, play prototypes and may be come back here and write about games.

And my unicorn blog – in French – is there

Bibliothèque Sainte Geneviève, ms 143, fol 232r

Jeux et alcool
Alcool and games

Une partie test de Trollfest, à sortir l’année prochaine.

« Méfiez-vous des gens qui ne boivent pas, ils ont quelque chose à cacher ». Je pensais avoir imaginé cette formule, mais je l’avais sans doute entendu quelque part puisque j’ai découvert cette semaine qu’elle était déjà attribuée, à tort ou à raison, à Baudelaire, Churchill, Staline et Humphrey Bogart, et que c’était aussi un proverbe polonais. Le proverbe latin, In vino veritas, n’est pas très différent. Alors, c’est bien sûr d’abord une jolie formule, mais comme souvent avec les jolies formules et les proverbes, il y a une idée derrière.

Je l’ai postée la semaine dernière sur Facebook et Twitter, comme un conseil professionnel un peu ironique aux auteurs de jeu, et ce qui me semblait un avis de bon sens un peu amusant m’a valu une volée de bois vert – shitstorm en anglais, c’est moins élégant. Le fait que les réactions outragées soient venues exclusivement des États-Unis montre d’ailleurs que j’ai peut être tort en pensant que l’on exagère toujours les différences culturelles. Quoi qu’il en soit, cette phrase a été déformée avec une totale mauvaise foi, pour me faire dire que j’encourageais tout le monde à se saouler régulièrement, ce que je ne fais même pas moi-même ou que je cherchais à affaiblir les personnes avec qui je négociais. Sur les salons, j’évite plutôt les soirées où il y a trop d’alcool, et où en général on ne joue pas, et demandez à mes éditeurs, je suis plutôt arrangeant sur les contrats. Il est aussi assez significatif que tandis que les réactions outragées et délirantes étaient publiques, essentiellement sur twitter, presque tous ceux qui ont exprimé leur soutien l’ont fait par message privé. Cela en dit beaucoup, me semble-t-il, sur l’état actuel du débat public et de la liberté d’expression. Bref, tout cela a été très pénible, mais au moins, je me suis amusé en fouillant mes vieilles photos de tests de jeux pour en trouver avec des bouteilles, et cela n’a pas été bien difficile.

Une partie test d’un jeu dont je ne suis pas sûr d’avoir le droit de parler, à sortir l’année prochaine.

En une quarantaine d’années dans le milieu du jeu de société, j’ai eu très peu de mauvaises expériences avec des éditeurs. Elles se comptent sur les doigts d’une main, et elles ont en commun d’avoir toutes été avec le même type de personnages des petits éditeurs qui se voulaient très « business-business », costume-cravate, propre sur eux, juste sorti d’école de commerce, ni barbe, ni alcool, ni drogue – ou juste un peu de coke, la drogue que je n’aime pas. Avec le recul, je me dis que tous ces gens étaient, comme disent les américains, « creepy », et que j’aurais dû me méfier. La prochaine fois que l’on me propose de discuter affaire à Starbucks – je ne plaisante pas, ça m’est arrivé -, si c’est avec ce genre de type, je ny vais pas.

Test du jeu de Hispster de Sophie et Anna (au fait, il cherche un éditeur).

J’apprécie dans le milieu du jeu de société, le côté léger, informel, amical qui suppose une certaine confiance et un certain laisser aller, un côté vieux hippie qui me va assez bien. J’ai appris à me méfier des gens trop propres sur eux, qui ne fument pas et ne boivent pas. Je les soupçonne toujours de craindre que quelque chose qu’ils préfèrent cacher ne ressorte s’ils perdaient un peu le contrôle d’eux-mêmes. Refuser l’ivresse, c’est refuser de se dévoiler, de se mettre en position de faiblesse, et c’est pour cela que les control-freaks, les escrocs, les avides et tous ceux qui sont recherchés pas la police ne boivent jamais. Les gens cools et confiants n’ont aucune raison de craindre une petite perte de contrôle et peuvent même y prendre plaisir.

Une partie test de Artemis Odissey, la nouvelle version d’Ad Astra, à sortir l’à la fin de l’année. L’alcool pose quand même quelques problèmes avec les prototypes.

Je ne suis pas un ivrogne. Je bois un peu lors des repas, un peu plus dans les soirées jeux et les concerts. Je suis souvent un peu gai en fin de soirée, mais je finis rarement sous la table, essentiellement parce que ma très basse tension provoque des gueules de bois longues et pénibles. Enfin, si, il parait que j’ai récemment joué à Cartographers, je n’en ai aucun souvenir.
Un peu comme la musique, et bien plus que la lecture ou le jeu vidéo, le jeu de société est pour moi un loisir social, qui se marie fort bien avec une dose modérée d’alcool. Une soirée jeux chez moi, c’est un bon repas mijoté, car je suis bon cuisinier, quelques bières et quelques bonnes bouteilles de vin. Je n’ai plus l’âge de la vodka et du whisky, et je le regrette, et je ne m’occupe pas du dessert, qui n’est pas mon truc. Sans le repas, sans la bière, ou sans le vin, je ne sais pas si je continuerai à jouer autant, je préfèrerais sans doute parfois rester seul avec un bon livre.

Test de ce qui est un peu l’ancètre de Dreadful Circus.

Personne n’est obligé de boire. On peut ne pas aimer, ou ne pas pouvoir, et un de ces jours, je devrais sans doute arrêter, ou au moins ralentir. Ce n’est bon ni pour ma santé, ni pour les finances de la sécurité sociale, et je ne suis donc pas choqué le moins du monde de voir régulièrement les taxes sur l’alcool et le tabac augmenter. Je trouve en revanche la condamnation morale de l’ivresse, l’idée aujourd’hui dominante que ceux qui ne boivent pas et ne se droguent pas seraient moralement supérieurs aux autres n’en a pas moins dans son principe quelque chose de religieux qui me semble très inquiétant.

Alcool et tabac ! Nous sommes impurs !

Il y a sans doute un peu de ressentiment dans ma défense de l’alcool, alors même que je ne suis pas un si gros buveur. Les fumeurs subissent déjà depuis une vingtaine d’années une terrible pression sociale et c’est pour cela que, même si je ne fume pas moi-même, je me refuse à ce que les soirées jeux chez moi soient non fumeurs. On ne fume pas dans ma chambre, mais cela n’ira pas plus loin. La même pression sociale, fondée sur la même obsession de la pureté, vise aujourd’hui les buveurs d’alcool, y compris tous ceux, et ils sont l’immense majorité, qui boivent très modérément. Cela m’effraie – rien n’est politiquement plus dangereux que la fascination pour la pureté.

Test de Dreadful Circus, bientôt publié chez Portal. Ignacy ne boit pas, mais Merry boit pour deux.

Mon post était d’ailleurs aussi une réaction à quelqu’un, je ne sais plus qui, qui suggérait que l’alcool soit banni des salons ludiques, comme c’est déjà plus ou moins le cas aux États-Unis. Si on ne peut plus boire dans les soirées jeux, s’il n’y a plus de cocktails sur les stands des éditeurs lors des salons, j’irai avec moins de plaisir et, oui, j’aurai sans doute plus de mal à trouver les bons éditeurs. Et il y au moins un célèbre auteur de jeu, que tout le monde reconnaîtra, qui fait tous les salons avec sa bouteille de whisky dans son sac et qui risque aussi de laisser tomber.

Une partie test d’un jeu débile qui ne sera jamais publié.

Alors, bien sûr j’ai d’excellents amis qui ne boivent pas ou plus, pour diverses raisons, souvent médicales, et je retrouve parfois des bouteilles de coca dans mon frigo – mais cela signifie aussi que cela ne les gêne pas de jouer avec nous. Mais il y a une énorme différence entre la nécessaire prudence vis à vis de l’excès d’alcool ou de toute autre drogue, et une condamnation de principe, aussi immorale que moralisatrice.

OK, là on a peut-être un peu exagéré !

Playtesting Trollfest, to be published next year.

« Be wary of people who don’t drink, they have something to hide ». I thought I had coined this sentence, but I probably had heard it somewhere, since I’ve found out this week that it was a quote attributed, wrongly or rightly, to Baudelaire, Churchill, Stalin and Humphrey Bogart, as well as a Polish proverb. The same idea is in the latin proverb, In vino veritas. As often with popular wisdom, it’s a clever formula but there is also some truth to it.

I posted it last week on Facebook and Twitter, as a tongue in cheek business advice for game designers and, what I thought was a humorous and half good sense advice caused a real shitstorm of outraged reactions. The fact that these came exclusively from the US means, by the way, that I might be wrong in thinking we always vastly exaggerate cultural differences. Anyway, the sentence was distorted, in total bad faith, as if drinking meant getting drunk, to suggest I was urging everyone to get drunk, something I rarely do myself, or even that I was suggesting to discuss business while drunk and trying to weaken the people I was doing business with. At game fairs, I avoid the parties where there is too much alcohol, and usually no gaming, I‘ve probably never had a business discussion while really drunk, and ask my publishers, I’m definitely not the most difficult guy to discuss with when it comes to contracts. An interesting point is that while all the vehement and sometimes delirious critics I received were public, mostly on twitter, almost all of the many people who expressed their support all did it by private message – I let you realize what it means about the reality of constructive debate and free speech. Anyway, it was really painful, but at least I had fun afterwards looking for playtesting pictures with wine bottles on my phone – and it wasn’t that hard.

Playtesting a game I’m not supposed to talk yet, to be published next year.

I’ve been in the boardgame business for forty years, and I’ve had very few bad experiences with publishers, may be three or four. They were all by the same type of character, young guys who wanted to be and looked very businesslike, wearing white shirt, suit and necktie, no beard, no drugs, no alcohol – or may be just a bit of coke, the drug I most dislike. With some hindsight, I realize these guys were creepy from the beginning, and I should have been careful. Next time I’m asked to join a business meeting at Starbucks – I’m not joking, it happened – if it’s with that kind of guy, I’m just not going.

Playtesting Sophie and Anna’s Hipsters game (which, btw, is looking for a publisher).

What I appreciate in the gaming business is a certain lightness, informality, friendship, which is only possible with some level of trust and letting go, an « old hippie » feel. I’ve learned to be wary of people who look too clean, don’t smoke, don’t drink. I indeed often suspect they are afraid something they’d rather keep hidden might be revealed if they loose control of themselves. Refusing drunkenness (in the French meaning of ivresse, which means light drunkenness, like Germans, we have no word for complete drunkenness, only an adjective, saoul), it is refusing to reveal oneself, to place oneself in a weak position, and that’s why control-freaks, crooks, greedy people and people wanted by the police never drink. Cool and trustful people don’t mind being exposed a bit, and may even enjoy it.

Playtesting Artemis Odissey, the new version of Ad Astra, to be published at the end of the year. Alcohol can sometimes interefere with playtesting.

I’m definitely not a drunkard. I drink wine or beer with meals, a bit more during games nights and at concert. I’m often a bit light-headed and cheerful at the end of the night, but I don’t roll under the table, if only because I know my low blood pressure causes long and harmful hangovers. Well, yes, I’ve been told I recently played Cartographers and don’t remember anything of it.
Like music, and much more than reading or video games, I also view boardgaming a social activity, which goes very well with a moderate dose of alcohol. A gaming night at my home is a good meal, because I’m a good cook and love cooking, with a few bottles of beer or wine. I’m now too old for whisky and vodka, but I regret it, and I let other take care of dessert, which is not my thing. If I had to give up the beer and wine, I’m not sure I would keep on holding that many gaming nights, I’d likely often prefer to stay alone with a good book.

Playtesting Dreadful Circus, to be published soon by Portal. Ignacy doesn’t drink, but Merry drinks for two.

Noone is ever forced to drink. Some people don’t like it, or cannot for medical reason, and I bet one of these days I will have to stop, or at least to slow down. Nevertheless, the fashionable idea that people who don’t drink and don’t do any drug are morally superior to others is wrong and disturbing.
There is some resent in me defending alcohol while I don’t drink that much. I’ve witnessed, among other with my father, the terrible social pressure put since more or less twenty years on smokers and that’s why, even when I don’t smoke, I don’t want my home and my gaming nights to become no-smoking. My sleeping room is, it’s largely enough. The same social pressure, based on an obsession for purity, is now targeting all people who drink alcohol, even the large majority who drink carefully and moderately. I’m afraid, because nothing is politically more dangerous than the fascination for purity.

My favorite homemade Codenames variant. I’m not sure we could have had the idea without some wine first. There’s a kid but, look, but look, there’s also a bottle of sparkling water.


My post was indeed a reaction to someone, I don’t know whom, who suggested that alcohol should be banned from game fairs, as it is more or less the case in the US. If we cannot drink when playing at night, if there’s no more publishers cocktails, I would have much less fun attending game fairs, and, yes, I would have a harder time spotting the right publishers. And I know at least one famous game designer who always carries his bottle of whisky and might have a harder time than I.

Playtesting a stupid game which will never be published.

This being said, some of my best friends are teatotallers, for various reasons, taste or health problems, and I sometimes find the odd bottle of coke in my fridge – but this also means they don’t mind playing with us. But there’s a big difference between being careful of excess of alcohol, or of any drug, and a principled condemnation which is both immoral and moralizing.

See you next year in Etourvy !

Retour aux classiques
Back to classics

Nous sommes fin février, et j’ai donc reçu les relevés de vente de mes jeux sur l’année 2020, qui confirment deux tendances que j’avais déjà entendu décrire par des amis boutiquiers ou éditeurs, qui connaissaient les chiffres avant moi. 

Les grands classiques se sont vendus en 2020 aussi bien que les années précédentes, voire mieux. En ce qui me concerne, les ventes de Citadelles, de Diamant, de Mascarade et du Roi des Nains, qui représentent à eux quatre plus des trois quarts de mes revenus, sont donc une bonne surprise. Ce sont pourtant tous, à l’exception du Roi des Nains, des jeux plus intéressants avec un nombre de joueurs assez important, qu’il n’est pas toujours possible de réunir en temps d’épidémie.

À l’inverse, la presque totalité des nouveautés ont fait un bide. Les ventes de Poisons, Vintage, Maracas, Menestrels et Stolen Paintings semblent des plus modestes, et ce même s’ils ont tous reçu plutôt de bonnes critiques. Certes, Poisons est un jeu pour joueurs nombreux, qui ne prend tout son intérêt qu’à 6 joueurs ou plus, ce qui n’est pas vraiment adapté aux circonstances, tout comme Maracas est un jeu très tactile dont il est difficile de deviner l’intérêt sans avoir vu et touché l’objet.  Stolen Paintings, Vintage et Ménestrels, en revanche, sont des petits jeux de cartes de facture assez classique, un peu à l’ancienne, qui tournent très bien dès trois ou quatre joueurs, et dont je pensais qu’ils auraient pu trouver leur public plus facilement. Seul Vampire – Vendetta, qui vient de sortir, semble démarrer très fort, mais en partie peut-être, paradoxalement, parce que l’action s’en situe dans un univers qui date d’une vingtaine d’années.

Il y a en effet plusieurs explications possibles à ce phénomène de « retour aux classiques », qui n’est d’ailleurs pas spécifique au jeu puisqu’on l’observe également en littérature.

Il y a d’abord une explication pratique, technique. Il s’est vendu en 2020 plus de jeux dans des boutiques en ligne, et bien moins dans des boutiques en dur. Les boutiques de jeu, comme les librairies, sont des lieux où l’on regarde, on feuillette, on se laisse conseiller, et c’est ainsi que l’on découvre les nouveautés. En ligne, que ce soit sur Amazon ou chez Philibert, on tape le plus souvent dans le moteur de recherche le nom des livres ou des jeux que l’on connait déjà, et on découvre rarement quelque chose « par hasard ».

L’explication est peut être aussi psychologique. Les temps de crise, et surtout de crise sanitaire, sont des temps d’angoisse où l’on a naturellement tendance à se replier sur ce que l’on connait déjà, sur les vieux amis, sur les vieux bouquins, et sur les vieux jeux. Je me souviens d’ailleurs avoir constaté, à une moindre échelle, le même phénomène lors de la crise financière de 2008, quand les ventes de jeux en ligne étaient encore marginales.

Enfin, il serait intéressant de savoir, et il y a sûrement des gens chez Asmodée qui ont des chiffres à ce sujet, si les acheteurs de jeux sont les mêmes qu’avant la crise. Je soupçonne en effet que les gros joueurs, les presque collectionneurs, ceux qui organisaient comme moi des soirées jeux avec une dizaine d’amis et achetaient de nombreux jeux peu connus, exotiques ou ambitieux, ont ralenti leurs achats, tandis que les familles et les joueurs occasionnels les ont à l’inverse augmentés. Cela pourrait aussi expliquer la baisse des ventes de nouveautés et de jeux un peu marginaux, et la reprise de celles des grands classiques.

Sans doute ces trois explications se combinent-elles, dans des proportions que j’ignore. Du coup, je suis bien sûr un peu soulagé de continuer à gagner correctement ma vie comme vieil auteur de jeux un peu poussiéreux, alors que beaucoup de mes amis plus jeunes connaissent des difficultés, mais je suis aussi un peu frustré de voir tant de nouveautés, et pas seulement les miennes, passer largement inaperçues. Alors, jetez un coup d’œil aux nouveautés, aux miennes (Poisons, Vintage, Ménestrels, Maracas, Vendetta) comme à celles des autres ! De mon côté, j’ai des jeux dans les tuyaux, dont certains ont pris du retard, mais je ne vais pas trop presser les éditeurs.


It’s the end of February, and I already got the sales reports for all my games in 2020. They confirm clearly two trends which I had heard described for a few months by my friends in the game pubishing and retail, who knew the numbers long before me.

Old staples sold as well as usually, if not better, in 2020. The sales of Citadels, Incan Gold, Mascarade and The Dwarf King, which together make more than three quarters of my income, were good. It’s really surprising since, except for the Dwarf King, they all play best with a large group of players, which is not always easy to gather in these epidemic times. 

 

On the other hand, most new games went under radar. The sales of Poisons, Vintage, Maracas, Menestrels and Stolen Paintings  are modest, if not disappointing, even when they all got good reviews. I can understand it for Poisons, which is at its best with five or more players, or with Maracas, which looks much more fun once you’ve held and shaken the actual gizmo. Stolen Paintings, Vintage and Menestrels, on the other hand, are very classic euro style card games, play really well even with only three or four players, and I thought they would be well fitted for the times. Only one of my new games, Vampire – Vendetta, seems to sell really well, and it might be in part, paradoxically, because the action takes place in a decades old fantasy universe.

There are several possible explanations for this « back to classics » trend, which is not specific to games since it happens also with books, and possibly with some other stuff.

The first reason that comes to mind is purely practical. Sales in brick and mortar shops have plummeted, while online sales have increased. Games shops, like bookshops, are places where people look at new stuff, browse, sometimes even listen to the tenant’s advice, and so can discover and buy new stuff. Conversely, when buying online, people just type the name of the game or book they want in the search field, and almost never randomly stumble on something they didn’t know of beforehand.

There might also be a psychological explanation. Times of crisis, and especially health crisis, are times of anguish, and people tend to retreat to stuff they know well, be it old friends, old books or old games. I remember having noticed the same trend, though to a lesser extent, during the 2009 financial crisis, when online sales were still marginal. 

It would be interesting to know, and I’m sure some people at Asmodee know, if the people buying games in 2020 were the same as before. I suspect that hardcore gamers, the ones who like me are almost collecting games, who hold game nights with large groups of friends and who used to buy exotic, obscure or ambitious games, have seriously slowed down, while families and occasional gamers are buying more. This also could explain why new and complex games are selling less, while old classics sell better than ever.

Anyway, all three of these explanations are probably true. I’m relieved to still earn good money as an old designer of dusty card games while some of of my younger friends have a harder time, but I’m also a bit frustrated thay so many new and good games, and not only mine, are flying under radar and probably won’t ever be reprinted. So, please consider buying some new stuff, be it my games – Poisons, Vintage, Minstrels (this one is only in French so far), Maracas, Vendetta – or other ones. I have a few other new games in the pipe, several of them have been delayed, but I will certainly not press publishers to hurry.

Quelques réflexions d’un vieil auteur de jeu
Ramblings from an old game designer

Mon premier jeu, Baston, a été publié en 1984. Je suis donc un vrai auteur de jeu, publié et tout, depuis trente-cinq ans, ce que ne me fait pas jeune. J’ai bientôt 60 ans, âge qui fut longtemps celui de la retraite, je ne sais plus bien à quel âge on la prend aujourd’hui, c’est devenu compliqué, et je ne suis pas pressé. Du coup, je me suis dit qu’il serait intéressant d’essayer d’analyser en quoi, en presque quarante ans, les jeux de société ont changé, le monde des joueurs et des auteurs a changé, et enfin le business du jeu a changé.

De meilleurs jeux

Même si je vais sans doute trouver le moyen de râler sur des points de détail, et pour la plupart très récents, il me semble évident que les jeux conçus et publiés aujourd’hui sont plus variés et de meilleure qualité que ceux d’il y a quarante ans, et c’est quand même cela l’essentiel.

J’ai l’habitude de comparer le monde du jeu à celui de la littérature, et il semblerait certainement absurde de dire que la littérature du XIXe siècle était globalement « meilleure » ou « moins bonne » que celle d’aujourd’hui – elle était juste différente. Pourtant, lorsque l’on compare les jeux publiés dans les années soixante-dix et quatre-vingt, lorsque j’ai commencé à m’intéresser à cet univers, et ceux d’aujourd’hui, le progrès est évident. Cela ne durera sans doute pas et est certainement lié au fait que la culture du jeu, et pas seulement du jeu de société, le fait de considérer la création ludique comme une activité presque littéraire, est un phénomène récent. Du coup, il y a eu quelques décennies de tâtonnement, le temps de construire une véritable grammaire ludique, et j’ai eu la chance de vivre cette période et de voir l’imagination faire sans cesse progresser la création. Aujourd’hui, on peut penser que cette grammaire est désormais en place et que, comme en musique, en cuisine ou en littérature, il n’y aura plus vraiment de progrès mais juste des modes, des époques, des styles, des tendances.
Quoi qu’il en soit, les meilleurs jeux des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix, s’ils étaient publiés aujourd’hui, sembleraient sans doute intéressants mais mal finis, rustiques, incomplets. C’est notamment vrai de mes créations – Citadelles reste un bon jeu, mais je n’en vendrais certainement pas des millions s’il était publié en 2021.
Je suis toujours surpris quand je vois des joueurs regretter le « bon vieux temps » des années quatre-vingt ou quatre-vingt dix. Certes, il y avait quelques bons jeux, mais pour quelques uns qui comme Cosmic Encounter, Le Lièvre et la Tortue, Taboo ou Ave Cesar ont assez bien vieilli, il y en a tant qui apparaissent avec le recul, et à raison, lourdingues ou simplistes. C’est d’ailleurs le cas de mes premières créations, Baston et La Vallée des Mammouths, que je n’oserais pas montrer à un éditeur aujourd’hui.

Des jeux plus variés

Dans les années quatre-vingt, le monde ludique était très fragmenté entre les amateurs de jeux d’ambiance (ce que l’on appelle aujourd’hui party games), de jeux de simulation (devenus ameritash), de jeux à l’allemande (devenus eurogames), et bientôt de jeux de rôles. Même pour ceux qui, comme moi et mon entourage, s’intéressaient un peu à tout, ces univers étaient distincts. La richesse du monde ludique actuel tient en partie au fait que tout cela s’est mélangé, qu’auteurs et éditeurs ne cessent de jouer avec les frontières, que le même Vlaada Chvatil peut imaginer Through the Ages, qui m’ennuie mais qui est sûrement un bon jeu, et Codenames, dont je ne me lasse pas. Cette variété est aussi due à l’incroyable bouillon de culture qui a permis l’apparition de nouveaux genres, les jeux de cartes à collectionner, le deck building, les jeux coopératifs adultes, les jeux legacy, des genres qui ont permis à la culture ludique de se démultiplier et auxquels seule l’âge et la paresse m’ont empêché de m’intéresser de trop près. Le monde du jeu des années quatre-vingt produisait des jeux bâclés, dans des genres balisés, d’un intérêt limité, destinés à un public restreint. Celui d’aujourd’hui crée des jeux finis, intéressants et pour tous les goûts.

Du coup, pour les auteurs comme moi, la concurrence devient plus rude. Les jeunes auteurs ont une culture ludique très large, ce qui a longtemps été mon point fort, et ont une énergie que je n’ai plus. Je vais sans doute d’une part ralentir le rythme, et d’autre part ne plus vraiment essayer de me renouveler, de changer de style, d’expérimenter. Après tout, il y a des gens qui font bien mieux que moi le deckbuilding ou le jeu coopératif, autant que je continue à faire des jeux d’ambiance idiots et des jeux de bluffs méchants, c’est ce que l’on attend de moi et il semble que ce soit ce que je fais le mieux.

Jeux, éducation et politique

une tendance inquiétante, pas vraiment nouvelle mais qui a pris de l’ampleur depuis une trentaine d’années et dont je crains un peu qu’elle ne tue la joyeuse créativité du monde ludique d’aujourd’hui, est la mode du jeu éducatif, des « serious games », des jeux qui pensent ou veulent avoir une utilité sociale ou un message politique. Mais bon, tout le monde a compris que la littérature lourdement didactique n’était pas de la littérature, je pense donc que tout le monde va assez vite comprendre que les jeux à message ne sont pas vraiment des jeux. Cela fait d’ailleurs quarante ans que j’entends dire que le jeu est le futur de l’éducation, et que ce futur ne s’est pas réalisé; il est donc tout à fait possible que moi ou d’autres l’entendent encore dans quarante ans. Tant que ce n’est pas le présent de l’éducation, tout va bien, on a le droit de ne pas mélanger les torchons et les serviettes, de jouer d’une part et d’enseigner d’autre part, ce qui est plus efficace, plus sympa et plus honnête que ne faire aucun des deux en prétendant tout faire à la fois.

Même chose pour le jeu politique et socialement conscient, tout ça. Je suis politique, je suis sans doute l’un des auteurs de jeu qui parle le plus de politique sur les réseaux sociaux, et certains s’en plaignent. En revanche, non, mes jeux ne sont pas politiques et ne le seront jamais parce que si un jeu est sérieux, si un jeu a un message, ce n’est plus un jeu et je n’ai pas envie d’y jouer. J’ai déjà expliqué longuement ma position sur ce blog, je ne vais pas y revenir encore. Le jeu est fait pour être joué, la littérature pour être lue, la musique pour être écoutée, la vie pour être vécue, on peut mélanger un peu à l’occasion, mais pas trop, pas trop souvent, et pas trop sérieusement. Quand j’ai envie de discuter politique, je discute politique; quand j’ai envie de jouer, je joue. Le jeu n’est pas plus un outil de discussion ou de réflexion que la peinture ou la cuisine. Et puis, j’essaie suffisamment d’être utile dans ma vie pour qu’on ne vienne pas en plus m’emmerder en me demandant de faire des jeux utiles.

Jeux de table sur écran ?

Il y a eu d’abord les adaptations de jeux de société pour jouer seul sur sa tablette ou son ordinateur, puis les sites de jeu en ligne comme Boardgame arena ou Tabletop arena. Je n’ai aucune idée de l’audience réelle de ces sites, mais j’ai quand même l’impression qu’ils se sont pas mal développés, surtout ces derniers mois avec la pandémie. Or ni le jeu de société en solitaire, que ce soit d’ailleurs contre un ordinateur ou contre un « automa » de carton, ne m’excite vraiment. Quant au jeu de société en ligne, que j’ai fini par essayer, il m’ennuie profondément – tant qu’à jouer sur un écran, autant faire des trucs que l’on ne peut pas faire dans le monde réel, de vrais jeux videos, même si je ne les pratique en fait pas beaucoup plus.
Le jeu de société a toujours été pour moi un moyen de passer du bon temps avec des amis en buvant un peu et sans discuter de sujets trop personnels ou politiques. Si cette dimension sociale disparait, je n’en vois plus trop l’intérêt; tout seul, je bois moins et préfère lire un livre que jouer. Bref, j’espère que cette mode ne va pas trop durer et que, après la fin de la pandémie, on se verra plus qu’avant.

Des jeux pour les adultes

L’incroyable succès des jeux de société depuis une vingtaine d’années est aussi dû au fait que certains ont su se saisir de cette créativité pour attirer un nouveau public, ont fait accepter par les médias que le jeu n’était pas réservé aux petits enfants et aux grands enfants. Le jeu vidéo, le jeu de cartes à collectionner, les jeux de rôles ont beaucoup aidé mais, de plus en plus, des joueurs viennent directement au jeu de société sans être passés par l’un d’entre eux, preuve que le jeu de société est devenu un loisir culturel légitime. J’ai toujours pensé qu’il l’était, mais alors que je passais il y a trente ans pour un gamin attardé, je suis aujourd’hui en disant à peu près la même chose un intellectuel des plus légitimes. Finalement, je n’avais sans doute pas besoin de faire un break pour préparer une thèse d’histoire.

Diversité

Dans les années quatre-vingt, le monde ludique était allemand, américain marginalement français, anglais ou italien, et clairement masculin. Il est aujourd’hui infiniment plus varié. Les femmes sont encore minoritaires chez les auteurs, mais si l’évolution en cours se poursuit, cela ne devrait pas durer. Surtout, elles ne sont plus cantonnées comme elles l’étaient dans le monde un peu à part des jeux pour enfants. Après que les « écoles » américaines et allemandes se sont mélangées, prouvant que leurs spécificités étaient purement contingentes, on a vu arriver les auteurs et les éditeurs d’Europe de l’Est, puis de Corée et du Japon, et aujourd’hui de Chine, d’Amérique du Sud et du Moyen-Orient.

Cette joyeuse diversité des auteurs et éditeurs ne signifie pas vraiment pour autant une diversité d’approches, et nous ne devons pas laisser ceux qui veulent absolument tout mettre dans des cases la détruire. Les différences entre les jeux d’Orient et d’Occident ne vont guère au delà du graphisme et de la taille des boites. Les coréens comme les français peuvent faire des jeux d’ambiance débiles, et il n’y a pas vraiment de différences entre la gestion d’une caravane de marchands dans la Chine ancienne et dans l’Allemagne médiévale. Il n’y a pas plus de différence entre un jeu conçu par un homme ou une femme qu’entre un plat cuisiné par un homme ou une femme. Et c’est tant mieux.
J’en viens à espérer que le jeu puise contribuer à démolir le discours triste et réactionnaire, faussement de gauche et faussement tolérant, qui en rajoute sur des différences culturelles réelles mais très superficielles et veut absolument ranger tout le monde dans des identités nécessairement malheureuses. Le monde du jeu est devenu un joyeux désordre plus cosmopolite que multiculturel, avec des hommes, des femmes et des trucs branchés entre les deux, avec des jeunes et des vieux, avec des japonais, des américains, des iraniens, des russes, des brésiliens, des coréens et des gens dont je ne sais pas trop d’où ils sortent et qui parlent anglais avec un accent bizarre. C’est plus rigolo que quand il n’y avait que des quadragénaires barbus américains et allemands, ça donne des occasions de voyager – enfin, ça permettait avant cette saleté d’épidémie, et j’espère que ça va reprendre.

Business

Je ne peux pas dire à quelle date exacte je suis devenu un véritable « professionnel du jeu », mais, même si je suis encore prof à mi temps et consacre bien plus de temps à préparer mes cours qu’à travailler sur des jeux de société, je le suis incontestablement devenu. L’incroyable développement du jeu de société, d’abord en Occident, puis dans le reste du monde, depuis une quarantaine d’années fait que le milieu ne ressemble plus vraiment à ce qu’il était quand j’ai commencé. Les joueurs sont bien plus nombreux et plus critiques, les auteurs sont bien plus nombreux et plus cultivés, les éditeurs sont bien plus nombreux et, pour certains d’entre eux, plus gros.

De petite boite créée par trois copains, Asmodée, avec qui je travaille quasiment depuis sa création, est devenue une multinationale contrôlée par un fond de pension. Une autre entreprise que je fréquente depuis quarante ans, Gigamic, vient d’être rachetée par Hachette, l’un des plus grands éditeurs de livres français. On aurait pu craindre que cette arrivée du gros capital dans un petit monde de passionnés se traduise par un déficit d’âme, mais ce ne fut pas le cas. Les relations entre auteurs et éditeurs n’ont pas tellement changé, et être déchargés des questions quotidiennes de gestion a même permis à quelques uns de se consacrer plus encore à leur passion, l’édition ludique. Et puis, il y a toujours de la place pour les petits et les moyens, venus du monde entier, et qui ne finissent pas tous pour être rachetés.

L’autre évolution notable, plus récente et dont je ne sais pas encore trop quoi penser tant j’y vois à la fois des aspects positifs et négatifs, c’est kickstarter. Côté positif, cela rend l’édition plus facile, moins risquée, et permet sans doute la sortie de jeux trop bizarres ou trop ambitieux qui n’auraient pas eu leur chance dans le circuit traditionnel. Côté négatif, cela nuit au petit commerce et a quelques effets pervers sur la nature des jeux, parfois mieux produits que conçus.

Et puis, et c’est sans doute le plus triste, comme sans doute chaque fois qu’un secteur de la culture devient un peu populaire, on a vu arriver quelques escrocs, dans le cas du jeu plus des jeunes margoulins sans scrupules que de vrais capitalistes aux dents longues. Profitant de l’ambiguïté du droit sur les créations ludiques, ils se spécialisent, notamment en France, dans le plagiat. Quand les éditeurs de Limite Limite et Blanc Manger Coco plagiaient des auteurs américains à succès peu sympathiques et peu concernés, cela ne me gênait pas trop. Quand ils commencent à reprendre, dans des éditions bâclées, les jeux d’auteurs et d’éditeurs plus modestes, cela devient un problème. N’achetez rien qui vienne de chez eux, c’est le seul moyen que nous avons pour peut-être, un jour, nous débarrasser de ces tristes individus.

Voila. Si c’était à refaire, je le referais.


My first game, Baston, was published in 1984. This means I’m a true game designer, published and all, for thirty-five years, and it also means I’m starting to get old. I’m nearing 60, which has long been the standard age for retirement – I don’t think there’s a standard anymore, and I’m in no hurry. Nevertheless, I thought it might be interesting to have a look back and try to see what has changed in these thirty five years with games, with gamers and game designers, and with the boardgame business.

Better games

I may have a few issues with minor and recent trends, which I’ll develop later, but it’s obvious to me that, on  average, the boardgames designed and published now are much better and more varied than those from the eighties and nineties, and that’s the more important.

I often compare the gaming world with that of literature, and it would certainly sound absurd to say that XIXth century literature was globally « better » or « worse » than today’s one – it was just different. It’s not the same with games. When I compare the games that were available when I started to be interested in gaming and the games that are published now, the overall quality has clearly improved. This is probably due to the fact that the gaming culture, in part thanks to the emergence of video games, is something recent, as is the idea that game design is something more akin to literature than it is to technics and maths. There has been a few exciting decades of trial and errors, of experiences, which generated a kind of « gaming grammar », and I was lucky enough to be there and to see imagination generate creativity. This grammar is probably more or less in place now, and there will probably be no more real improvement but rather, like with music, literature or cooking, fashions, trends, and styles.
Anyway, if the best games from the eighties and even the nineties were published today, they would probably be considered interesting but rough and unfinished. This especially true of some of my own designs, including the most successful, Citadels. It would still be a good game if published in 2020, but it would not sell millions of copies.
I’m always surprised when I see a few gamers lament over the « good old times » of game design. I can find a few games I used to play in my twenties that aged well, like Cosmic Encounter, Hare and Tortoise, Taboo or Ave Caesar, but most others would certainly feel simplistic or terribly heavy if we tried to play them today. I would not dare today to show to a publisher my first designs, Baston and Valley of the Mammoths.

Varied games, varied styles

In the eighties, the gaming world was extremely divided. Some people played party games, other played simulation games, other german games (soon to be renamed eurogames). It was also the beginning of role playing games. Even for the few people who, like me and my friends, were interested in all of these, they were still distinct genres and styles. The charm and richness of todays gaming world comes from the fact that everything has been mixed, that designers and publishers are always crossing borders. The same designer, Vlaada Chvatil, can design Through the Ages, which I find boring but is certainly a great game in its style, and Codenames, which I could play for days. This incredible culture broth also generated new genres like collectable card games, deckbuilding games, cooperative games, legacy games. They all made the gaming culture more rich and interesting ; old age and laziness are probably the only reasons why I didn’t really try my hand at them. In eighties, we designed unfinished games, in very restricted genres, with limited interest, to a very specific audience. Now, designers are creating well tested and exciting games, in diverse and dynamic styles.

This means competition has become harder for old designers like me. Newcomers have a large gaming culture, which has long been my strong suit, and far more energy than me. I’ll probably slow down, and stop trying to innovate and change style. After all, others are much better than me at doing deckbuilding and cooperative game, let’s focus on what I enjoy the most playing and what publishers are expecting from me, stupid party games and nasty bluffing games.

Games, teaching and politics

There are a few worrying trends. One is the fashionable discourse about educational and serious games, which is trying to kill the fun and creativity of modern game design. It will probably fail. Every book-addict has understood that heavily didactic literature is not literature, I think every gamer will soon understand that games with a message are not really games.
As a teacher, I’ve been told for about forty years now that gaming is the future of education, and this future so far failed to realize, so the best we can hope is that we will still hear it for forty more years with no real effect. As long as it’s not the present of education, everything is fine, I don’t gave to mix apples and oranges, I can teach on the one side and play games on the other and not, which is more efficient and honest than pretending to do both with doing none.

It’s the same with political and socially conscious game, and all that stuff. I’m political, I’m probably one of the game designers who talks the most about politics on social networks, and gamer fans sometimes complain. On the other hand, no, my games are not political, and they will never be, because if a game is political, if a game has a message, it’s no more a game (for tons of reasons I’ve developped in older blogposts) and I don’t want to play it – and I even think the idea of a political game is politically dangerous (for tons of reasons I’ve developped in the same blogposts). Games are made to played, books are made to be read, music is made to be listened to, life is made to be lived. When I want to discuss politics, I discuss politics; when I want to play games, not necessarily with the same people, I play games. Games are no more a political discussion tool than cooking or music. And I’m doing enough trying to be useful in real life not to bother about making useful games. You can do what you want with my games, but they’re not designed to be sociallu useful, except just by being games.

Boardgames on a screen ?

First came boardgame apps to play against one’s phone or computer, then boardgame websites like Boardgame Arena, Tabletopia or Tabletop Arena. I’ve no idea of the real audience of these sites, but it looks like they’re having some success, especially these last months thanks to the pandemic. I don’t enjoy solo boardgaming, be it against a computer or against a cardboard « automa ». As for online boardgaming, I finally tried and I find it boring. It feels a bit strange to use a computer to simulate something one can do without it – better play true video games one cannot play in real life, even when I catually don’t play them much more. My idea of boardgaming is just a way to spend some good times with friends, drinking a bit and not talking about politics. If this social aspect is taken away, I’d rather read a book than play. Anyway, I hope the pandemic will finally be over and we’ll start again having nice social time together.

Games for adults

Boardgames have been very successful these twenty last years, thanks mostly to a few enthusiasts who managed to expose the boardgame design creativity and to convince mainstream medias that games were not only for kids (and adult kids). Of course, the rise of video games, collectable card games and role playing games also helped, but more and more gamers are going directly into boardgaming, which has now become a legitimate cultural activity. Of course, I always thought it was one, but thirty years ago, most people saw me as an old kid; I’m doing and saying the same things now, and I’m almost considered an intellectual. May be I didn’t need to take a break and do a PhD.

Diversity

In the eighties, the boardgaming world was mostly German and American, marginally French, English or Italian, and overwhelmingly male. It’s much more diverse now. Women are still a minority among designers, but it’s changing fast and it probably won’t be the case anymore once my generation is retired. More significatively, they are no more confined in the small world of children games. We’ve seen new publishers and designers first from eastern Europe, then Korea and Japan, now China and the Middle East, the boardgaming world has become globalized. That’s great, and we must not let those who want to pigeonhole everyone destroy this cosmopolitanism.

There’s now a fun variety of designers and publishers, of people and languages, but they are mostly doing the same kind of games and the gaming world is more cosmopolitan than multicultural. Boardgames are more like literature or cooking than like music : the cultural differences between east and west, north and south, are extremely superficial, mostly anecdotical, art style and box size. French and Koreans can design stupid zany party games, there’s no difference between the management of a merchant caravan in ancient China and in medieval Germany, and there’s no more difference between a game designed by a man or a woman than between a meal cooked by a man or a woman.

I hope boardgames can help deconstruct the sad and reactionary discourse, falsely leftist and falsely tolerant, which overemphasize our very superficial cultural differences and tries to have evryone fit and stay in their small cultural hamlet, and be proud of it. The boardgaming world has become a good example of a fun cosmopolitan mess, with people from different generations working together, with men, women and everything in between, with Japanese, Americans, Russians, Iranians, Brasilians, Koreans and people from god knows where who speak English with a strange accent. It’s more fun than when there were only German bearded guys, it makes for travel oportunities – well, it did until this stupid pandemic and I hope this will start again some day.

Business

I can’t say when I became a real « professional » game designer. I’m still a part time teacher, I spend more time working on my lectures than on new games, but everyone seems to consider that my real job is to design games, so they’re probably right. Anyway, the boardgaming business changed a lot in the thirty five years since I published my first game. It has become bigger and more international. There are many more gamers, which know much more about games and are more discriminate. There are more game designers, who also master a much larger gaming culture. There are also more, and for many of them bigger, publishers.

I can still remember when Asmodée, with which I’m working almost from the beginning, was a small three persons company. It is now a multinational firm owned by a pension fund. Another company I know for almost forty years, Gigamic, has been bought by Hachette, one of the biggest French publishing company. Surprisingly,no one seems to have lost their soul. The relations between designers and publishers didn’t change much, and many publishers are even more involved in their passion, games, now that other people are taking care of the financial issues. And there is still room in the business for middle-sized and smaller companies, which don’t always end being bought by big sharks.

A more recent change is the rise of kickstarter, and I still don’t really know what to think about it. On the plus side, it makes publishing games a less risky business and certainly helped publish a few games which would have been too bizarre or too ambitious for the standard publishing model. On the minus side, it’s bad for small shops and has a few perverse effect on games, which are sometimes better produced than designed.

The really bad thing is that, like it happens every time a business grows too fast, crooks are coming in. There seems to be more and more plagiaries of published games, which is relatively easy to do since, in most countries, the law has not been designed for us and is very ambiguous on whether game systems are or not an intelectual property. Shame on the crooks, don’t buy their stuff.

That’s all, I think. I would certainly do it again.

All the pictures are from ms Bodl 264, Bodleian Library