Chawaï
Miaui

Dans les squares de Paris, de Londres ou d’ailleurs, on croise parfois une vieille dame jetant des miettes de pain aux pigeons. Les pigeons, en nombre, s’approchent lentement et lourdement de la  nourriture, et arrive alors un petit et rapide moineau qui, en mode commando, volant rapidement et au raz du sol, se saisit de la plus belle miette sous le bec de quelques grosses colombes ébahies.
À la fin des années quatre-vingt, l’un des petits jeux de cartes auquel je jouais le plus fréquemment était Stupide Vautour, également connu sous le nom de Raj, d’Alex Randolph, qu’il disait être inspiré d’un jeu traditionnel indien.

Le projet que j’ai présenté à l’éditeur, et qui allait devenir Chawaï, s’appelait Pigeons. Ses mécanismes s’inspiraient largement de Stupide Vautour, mais les rapaces plongeant sur les souris étaient devenus de pacifiques pigeons se disputant des miettes de pain. Du coup, et c’est là tout le sel du jeu, j’avais pu ajouter aussi quelques moineaux, trois miettes allant à chaque tour aux deux pigeons les plus imposants, les deux plus grosses cartes, mais aussi au moineau le plus agile, la plus petite carte. Du coup, quelques ennemis des pigeons et moineaux faisaient aussi leur apparition, chats et corneilles, eux aussi habitués des parcs parisiens. Quant au pion servant à départager les ex-æquo, c’était bien sûr la vieille dame.

J’aimais cette histoire, d’autant qu’elle était à l’origine du jeu, mais elle était sans doute trop parisienne, trop vieillotte. Lorsqu’il a joué aux Pigeons, puis décidé de publier le jeu, Antoine, de Superlude, a donc cherché un thème plus international et plus coloré. Il a choisi l’exotisme des pêcheurs polynésiens. J’étais d’abord sceptique, mais je dois reconnaître que le thème fonctionne tout aussi bien, voire mieux, les petits moineaux devenant les pêcheurs en surface et les gros pigeons ceux qui plongent dans les profondeurs du lagon. Les pécheurs sont représentés en chats parce que les chats mangent les poissons, et peut-être aussi parce que cela désamorce un peu l’orientalisme du thème. Quant au titre, Chawaï, c’est bien sur Hawaï pour les chats, mais ça marchera moins bien en anglais (on pense à Miaui pour la future édition américaine). Les chats parisiens sont devenus des méduses, les corneilles des goélands, et les poissons lanternes sont l’occasion d’introduire une nouvelle petite règle amusante. Quant à la vieille dame, c’est un tiki. Tout cela est joliment et lumineusement illustré par Paul Mafayon, que j’avais interviewé il y a quelques mois, quand il avait fait les graphiques du nouveau Diamant (voir ici).

Chawaï est donc un jeu de cartes rapide et léger, mêlant chance, tactique et bluff, ce qu’il est convenu d’appeler un jeu « familial » – expression qui m’énerve un peu, car je ne suis pas vraiment fan des familles, et car on a tout à fait le droit d’être rapide et léger entre amis. Mon objectif, et je pense qu’il est atteint, était que l’on y retrouve en un peu plus sophistiqué, en un peu plus moderne, tout ce qui faisait et fait encore le charme de Stupide Vautour.

Chawaï
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Paul Mafayon
3 à 6 joueurs  – 15 minutes
Publié par Superlude (2017)
Ludovox      Tric Trac     
Boardgamegeek


In the squares of Paris or London, one can often see some old lady throwing bread crumbs at pigeons. The pigeons gather slowly, walk clumsily toward the food, and just when they get there, a small sparrow flies by, hedgehops and captures the biggest crumb just under the dumbstruck doves’ beaks.
In the late eighties, one of the card game I used to play regularly was Alex Randolph’s Beat the Buzzard, also known as Raj, and supposed to be inspired by a traditional game from northern India.

The game I’ve shown to publishers, and which was to become Miaui, was called Pigeons. The game systems were  inspired by Beat the Buzzard, but the vultures diving on mice had become peaceful doves and pigeons feasting on bread crumbs. This allowed me to add a few sparrows, and to divide the crumbs every round between the most imposing pigeons, the two highest cards, and the fastest little bird, the smallest one. I also added the pigeons and sparrows’ worse enemies, cats and crows, which also thrive in Parisian squares. As for the token used to break ties, it was, of course, the old lady.

I liked this story, and the fact that it was the origin of my game, but it might have been too Parisian, and a bit old fashioned. When Antoine, from Superlude, played the game and decided to publish it, he looked for another setting, something more international, and more brightly coloured. He went for exoticism, with Polynesian fishermen. I was skeptical at first, but the setting has grown on me and I must admit it works as well, if not better. Sparrows have become shallow waters fishermen, while pigeons are deep water ones. Fishermen are pictured as cats because cats eat fish, and may be also because it defuses a bit the orientalism of the new setting. Chawaï is a pun on Hawaï and Cats, but it works only in French – so we found another similar pun, Maiui, for the English edition,   As for the old lady, it’s now a Kiti. All this has been lightly and gorgeously illustrated by Paul Mafayon, whom I had interviewed when he made the art for the new edition of Diamant (see here).

Miaui is a light and fast paced card game, a fun mix of luck, tactics and bluff, what is often called a « family game », even though I don’t like this designation, because I’m not really fond of families and family values, and because I don’t understand why one should not play light, fun and unassuming games with friends. Anyway, my goal was to design a more sophisticated and more modern version of Beat the Buzzard!. I think I did it.

Miaui
A game by Bruno Faidutti
Art by Paul Mafayon
3 to 6 players  – 15 minutes
Published by Z-Man Games (2018)
Boardgamegeek

Tom Vasel aime Secrets
Tom Vasel approves Secrets

Tom Vasel a aimé Secrets, et comme il est sans doute l’ « influenceur » le plus influent dans le petit monde du jeu de société, je ne peux que m’en réjouir.
Dans ses commentaires, il revient à plusieurs sur deux remarques. La première est que ce jeu fait penser à une version plus sophistiquée de Cockroach Poker. C’est fort bien vu, même s’il n’y a pas d’identités secrètes dans le jeu de Jacques Zeimet. Secrets, c’est un peu la version « joueurs » d’un mélange entre le poker des cafards, auquel j’ai beaucoup joué il y a une quinzaine d’années, et Mascarade.
L’autre remarque, c’est que cela ressemble plus à un jeu de Bruno Faidutti qu’à un jeu d’Eric Lang. Je m’y attendais, d’autant que c’est une réflexion que l’on nous avait déjà faite à la sortie de Dolorès, notre première collaboration. La réponse sera donc la même, non, on a vraiment bossé tous les deux là dessus, se renvoyant régulièrement la balle. Ceci dit, notre collaboration ces dernières années est surtout due à un souhait d’Eric de faire des trucs plus légers et moins stratégiques. Je n’ai pas autant, je crois, l’envie de me remettre aux gros jeux, même si Eric et moi avons aussi un truc un peu plus ambitieux en chantier.

Tom Vasel likes Secrets, and since he’s probably the most influent influencer in the small board gaming world, that’s a good news.
In his comments, he stresses two interesting points I’d like to shortly discuss. He compares several times Secrets with Cockroach Poker. that’s well spotted, even when there’s no hidden identities in Jacques Zeimet’s game. Secrets feels a bit like a gamers’ fusion between Mascarade and Cockroach Poker, which I played a lot fifteen years ago.
The other comment Tom repeats a few times is that this game feels more like Bruno Faidutti than like Eric Lang. I’m not really surprised, especially after already having the same remark made last year about Dolores, our first common design. The answer is that we really designed both games together, and that there are ideas from both of us in the final result. What is probably true, however, is that our collaboration was more due to Eric wanting to work on lighter stuff, than to me wanting to come back to big heavy boxes. Anyway, we’re still occasionally working on another game, and this one might end up being heavier.

And by the way, here’s another nice review of Secrets.

 

Les reliques de Diamant
Diamant’s Relics

Un petit changement de règles a été effectué sur les derniers tirages de Diamant. Cela concerne uniquement la variante utilisant les cartes reliques. Dans la règle originelle, les trois premières cartes piochées valent 5 rubis, les deux suivantes 10. Désormais, les cartes ont des valeurs de 5,7,8,10 et 12 rubis, qui sont inscrites sur les cartes. La carte de 5 rubis est en jeu dès le début de la partie, suivie de la 7 rubis à la seconde manche, et ainsi de suite.
Il y a deux raisons pour ce changement.
Tout d’abord, cela évite d’avoir à placer des gemmes sur les cartes relique remportées par les joueurs, et permet donc d’utiliser un peu moins de pierres. Or il pouvait arriver que l’on soit à court de pierres avant la fin de la partie. Même si le problème était aisé à résoudre, il est plus élégant de l’éviter. Je ne prétend pas que cela soit désormais impossible, mais cela devrait quand même arriver beaucoup moins souvent.
Par ailleurs, il nous a semblé que cela rendait le jeu plus clair, le décompte des points plus évident, que ce soit en cours de partie ou à la fin du jeu.
Si vous avez un ancien tirage de Diamant, ou l’édition Incan Gold, et voulez profiter de ce tout petit changement, rien de plus facile. Il vous suffit de prendre un feutre et d’inscrire les valeurs 5,7,8,10 et 12 sur vos cartes relique.
Ce petit changement devrait être introduit dans les nouveaux tirages du jeu dans les différentes langues. Je crains un peu qu’ici ou là les nouvelles cartes soient dans la boite sans que la règle ait été mise à jour. Si c’est le cas dans votre langue, dites-le moi que je fasse passer le mot à l’éditeur!

We’ve changed a rule in the new print runs of Diamant. the change happens only when using the Relic cards. In the original rule, the first three relics were worth 5 rubies, and the two next ones ten. Relics now have a fixed value written on the card, 5, 7, 8, 10 and 12. The 5 rubies card is in play in the first round, the 7 rubies is added for the second round, and so on.
There are two reasons for this change.
First, it’s no more necessary to place gems on the relic cards won by the players. It could happen that there were not enough gems in the game. The problem was easy to solve but anyway, better avoid it. It’s not impossible now, but it becomes far less likely.
Second, we think it makes the reckoning of values easier, both during the game and for the final scoring.
If you have an old print run of Diamant, or the Incan Gold edition, you can easily benefit from this small improvement. Just use a felt pen to write the values, 5, 7, 8, 10 and 12, on the face side of the relic cards.
This change ought to be introduced in future Diamant print runs in different languages. I’m a bit worried that here or there, the new cards will be in the box while the rule will not be updated. If you notice something like this in your language, just tell, so that I can forward the issue to the publisher.

Quelques semaines de repos et de jeux
A few weeks of rest and intense gaming

Quelques semaines après mon retour de la Gen Con, j’ai dû subir une petite opération chirurgicale, rien de bien grave, à la suite de laquelle je n’ai pas pu tout de suite reprendre le travail. Coincé chez moi pour trois semaines, ç’aurait pu être une occasion pour imaginer de nouveaux projets de jeux, mais l’inspiration ne se commande pas. J’ai donc un peu travaillé sur des projets déjà entamés, et j’ai profité de cette réclusion forcée et de ces longues soirées sans obligations de se lever le matin pour inviter des amis et organiser de nombreuses soirées jeux. Comme c’est aussi le moment où j’ai reçu le gros colis de jeux rapportés de la Gen Con envoyés par mes amis de Fantasy Flight, je n’ai pas sorti beaucoup de prototypes ou de vieux classiques, et nous avons joué à un grand nombre de nouveautés. Sachant que j’allais sans doute écrire ce petit article, j’ai aussi entrepris de prendre chaque soir quelques photos, ce que je ne fais habituellement pas. Comme je ne suis pas méchant, et ne veux me fâcher avec personne, je n’ai pas photographié les jeux que nous n’avons pas vraiment aimés, et je n’en parlerai pas. Ils n’étaient de toute façon guère nombreux. Voici donc quelques commentaires rapides sur les nouveautés que moi et mes amis avons particulièrement appréciées.

10 Minute Heist, de Nick Sibicky, est un jeu de collection de cartes dans une toute petite boite bien remplie. Les joueurs y sont des cambrioleurs qui, après être montés le long d’une corde, entrent au dernier étage de la grande tour ou la guilde des sorciers conserve ses trésors. Il y a la plein d’objets mystérieux de types et de valeurs différents et dont certains ont des pouvoirs magiques. Chacun à son tour se déplace dans le bâtiment et prend un objet de son choix, mais un joueur qui est descendu ne peut jamais remonter aux étages supérieurs. Le choix entre descendre rapidement pour s’emparer de la carte que l’on convoite et rester en arrière pour avoir plus de choix est toujours cornélien. Rapide, original et malin.

Dans la foulée, nous avons joué à un autre petit jeu de magiciens, à l’esthétique et aux mécanismes semblant tout droit sortis des années soixante-dix, The Wizard Always Wins, de Prospero Hall. Ici, le gagnant est le premier qui, jouant le rôle du sorcier, piochera dans le sac magique une pierre de sa couleur. C’est donc un jeu de probabilités, où chacun va utiliser différents personnages pour augmenter sa capacité à piocher des pierres et pour ajouter des pierres à sa couleur dans le sac, avant de se lancer et de tenter sa chance avec le sorcier. Un jeu de probabilités marrant et original, et bien sûr un jeu de chance aussi, rapide et rigolo.

Le gros jeu qui est ressorti plusieurs fois, c’est Viral, de Gil d’Orey et Antonio Sousa Lara. Viral est une sorte de jeu de guerre ou de majorité, dans lequel les joueurs sont des virus qui se battent pour le contrôle des organes d’un patient fort mal en point. On marque donc des points à chaque tour pour le contrôle du cerveau, du coeur, des reins, du foie, du pancreas, des poumons ou de l’appareil digestif. Les artères permettent de passer d’une zone à l’autre, et des cartes mutation donnent aux virus des capacités parfois inattendues. Bien évidemment, pendant ce temps là, les médecins travaillent à chercher des remèdes contre les différents virus, qui doivent donc aussi savoir rester discrets. Illustré avec humour par Mihajlo Dimitrievski, c’est un jeu marrant, dynamique, mais qui prend quand même quelques heures.

À la lecture des règles, je n’attendais pas grand chose de Custom Heroes, de John D. Clair, mélange surprenant du bon vieux trouduc avec un système de card building à la Mystic Vale. Pourtant, on m’en avait dit du bien – et on avait raison. Le système permet bien des subtilités, et le jeu est beaucoup plus malin qu’il n’en a l’air. L’iconographie japonisante pleine d’humour, assumant son orientalisme de pacotille, est en outre absolument délicieuse.

Il manque ce second degré au style graphique de Seikatsu, de Matt Loomis et Isaac Shalev, qui donne aussi dans l’orientalisme japonisant à l’américaine, mais avec moins de recul et d’humour. Le jeu abstrait, pour deux et trois joueurs est néanmoins excellent, et c’est ça qui compte. Ayant rarement l’occasion de pratiquer intensément les jeux abstraits, j’apprécie surtout ceux qui allient légèreté et (relative) profondeur, ceux auxquels on peut jouer sérieusement sans apprentissage ni calculs excessifs. C’est le cas de Seikatsu.

Je connaissais déjà NMBR9, de Peter Wichmann, mais c’est aussi une nouveauté de la Gen Con, et c’est un de mes favoris parmi les nombreux jeux de « bingo » où chacun joue dans son coin tentant de réaliser la meilleure grille avec ce qui est tiré au sort. Ici, la grille est très dimensionnelle, et son fonctionnement assez original. Par contre, il faut faire attention, on recouvre facilement un trou en jouant, ce qui est interdit; je m’y suis fait prendre.

Galerapagos, de Laurence et Philippe Gamelin, est l’un des plus simples et des plus amusants jeux « faussement coopératifs » auxquels j’ai joué. Les joueurs sont des naufragés sur une île déserte, qui chacun à leur tour peuvent aller chercher de la nourriture, chercher de l’eau, ramasser du bois pour construire un radeau, ou plus égoïstement fouiller l’épave du navire dans la baie, où l’on peut trouver de la nourriture ou de l’eau que l’on va garder secrètement pour soi, et même parfois des armes ou d’autres objets plus ou moins utiles. S’il n’y a pas assez à boire ou à manger pour tous, on ne tire pas à la courte paille, on vote. Sont vainqueurs collectivement tous ceux qui parviennent à survivre et s’échapper de l’île en radeau. Je recommande vivement ce jeu simple, méchant et rigolo.

Du côté des jeux d’ambiance vraiment idiots, nous avons bien sûr fait quelques parties de Sticky Chameleons, de Théo Rivière et Cédric Barbé, dont j’avais déjà essayé le prototype une ou deux fois avec Théo à la cafetière d’Antoine Bauza. C’est un de ces jeux tellement drôles que l’on en oublie parfois les règles et on finit par faire n’importe quoi.

On est passé ensuite à Yogi, de Behrooz Sharhiari, sans doute moins original mais tout aussi efficace pour faire prendre des poses tordues aux joueurs, un peu comme une version grand public de mon Kamasutra.

Enfin, Déjà Vu, de Heinz Meister, une variation de plus, mais une assez originale et bien conçue, parmi les jeux où l’on doit essayer de se rappeler les images que l’on a déjà vu passer sur les cartes, par l’un des spécialistes de ce type de jeux.

Pour terminer tout cela, une dernière soirée chez Hervé Marly, hier soir, nous a permis d’essayer encore deux dernières nouveautés reçues la semaine dernière. The Godfather, d’Eric Lang, est un jeu de majorité moins complexe et plus rapide qu’il n’en a l’air, au thème bien rendu et aux mécanismes particulièrement violents – les deux vont de pair. Établir des majorités stables dans les quartiers de New York quand chacun ne dispose que de quatre ou cinq pions, et que la moitié d’entre eux se font descendre avant la fin du tour, demande des nerfs bien accrochés. Si leur thème et leur esthétique sont bien différents, nos deux gros jeux du mois, Viral et The Godfather sont d’ailleurs un peu du même style, moitié jeu de contrôle et de majorité à l’allemande, moitié jeu de cartes et de baston à l’américaine.

En fin de soirée, on a joué à Trôl, de Christophe Lauras, un jeu que j’aurais sans doute pu faire, tant son esprit est proche de certaines de mes créations, comme Nutz!. Les joueurs y sont des tribus de trolls partant chasser du gibier, ce qui se fait en jouant des cartes qui permettent de lancer des dés. Bien sûr, des trolls de plusieurs tribus peuvent se retrouver à chasser les mêmes viandes, ce qui conduit à pas mal d’embrouilles, et les trolls ne connaissent guère qu’un moyen de se sortir des embrouilles. En outre, si l’on est trop nombreux, on tape trop fort et le gibier risque d’être explosé et immangeable. C’est rapide, tactique, passablement chaotique et plein d’humour, que ce soit dans les mécanismes ou dans les superbes dessins de David Cochard.

Je me fais régulièrement offrir des jeux par les éditeurs, et j’en achète aussi beaucoup, mais ces dernières années, je n’y jouais plus aussi régulièrement qu’auparavant. Le plus souvent, je lisais les règles pour le plaisir, un peu comme je lirais une nouvelle, et le jeu restait ensuite sur l’une des longues étagères de ma ludothèque. Du coup, je n’ai sans doute joué qu’à un quart ou un cinquième des deux ou trois mille jeux qui encombrent mon petit appartement parisien. Un mois de repos forcé a été une excellent occasion de découvrir les nouveautés plus sérieusement qu’à mon habitude, en y jouant vraiment – et c’était très agréable !


 

A few weeks after coming back from Gen Con, I had to undergo abdominal surgery. Afterwards, I was stuck home for three weeks, and could not resume at once my job as a teacher. It could have been a great opportunity to start working on new games, but inspirations doesn’t always come when one asks for it. I worked a bit on projects which already on track, and I also took advantage of these long nights without any obligation to get up early in the morning to invite friends and hold long boardgame nights. Since the big parcel with all the games I bought at Gen Con, kindly packed and sent by my friends at Fantasy Flight, arrived just at this time, we didn’t play many prototypes or old classics, and we mostly tried the new stuff. Knowing that I will probably write this blogpost afterwards, I took pictures of the games, something I don’t usually do. Since I’m a nice guy, and I don’t want to make new ennemies, I didn’t shoot the games we didn’t enjoy playing, and I won’t talk about theme. There were not that many anyway.

Nick Sibicky’s 10 Minute Heist is a clever set collecting card game, in a small but full box. Players are thieves who, after climbing up a rope ladder, enter the tower where the wizard’s guild keeps all its treasures. There are lots of strange artifacts, of different types and values, some of which have, of course, magical powers. each player on turn moves in the tower, taking an artefact card of his choice. the trick is that once a thief moves down, he cannot climb back to the upper floors. The choice between moving down fast to take the most valuable and powerful items and staying in the upper floor to take what’s left and have more choice is always difficult. A fast paced, original and very clever card game.

The next game was Prospero Hall’s The Wizard Always Wins, which looks and sometimes feels like right from the seventies. Here, players are the magicians, and the winner is the first one who manages to draw from the black magical bag a stone of one’s own color. Players use the various characters to add stones of their color into the bag, and to increase the number of stones they can draw, before they try their luck with the wizard. It’s all about probabilities first, then luck of the draw, and it’s really fast and fun.

The only heavier game we played several times was Viral, by Gil d’Orey and Antonio Sousa Lara. Viral is a kind of war or majority game, in which players are viruses vying to infect of the main organs of a very ill patient. Each round, players score for the control of the brain, heart, liver, pancreas, lungs, stomach and intestines. Arteries are used for movement between the organs, and cards help viruses to mutate and gain various abilities. Of course, in the meantime, doctors are trying to find remedies against the various viruses, so better remain discreet. Viral has a fun theme and fun graphics by Mihajlo Dimitrievski, but it’s still relatively heavy stuff, a game lasting more or less two hours.

After reading the rules, I was not very excited about John D. Clair’s Custom Heroes, a surprising mix between the good old president/ asshole game and Mystic Vale’s card building system. We gave it a try because I had heard good opinions about it, and we were right. The system allows for many unexpected subtleties, and the game is much more clever than it first looks. The humorous pseudo-japanese graphics, which don’t even try to look like the true thing, also add some humour to it.

This irony is lacking in Seikatsu, by Matt Loomis and Isaac Shalev, whose american style japanese orientalism is more straightforward. Anyway, this two or three player abstract game is excellent, and that’s what matters here. I don’t play that many abstracts, but I usually like the few ones which are both light and (relatively) deep, which can be played seriously but without a long learning curve or terrible calculations. Seikatsu is one of them.

I already knew Peter Wichmann NMBR9, but it’s also a new game I got after Gen Con, and it’s one of my favorites among the many « bingo » games, these games in which every player plays on his own grid, trying to get the highest score out of the same elements drawn one after the other. Here, the grid is three-dimensional, and the way it works is really original. The only drawback is that it’s very easy for a player to unintentionally cover a small hold in his building, which is forbidden. It happened to me.

Hellapagos, by Laurence and Philippe Gamelin, is one of the most fun and straightforward false cooperative games I have played. Players are shipwrecked on a desert island, and the story unfolds like Survivor, or Lord of the Flies, depending on your references. Each player on turn may go look for food or water, or for wood to build a raft, or explore the wrecked ship nearby for useful stuff, like canned food, or even gun or ammunition, and sometimes for more or less useless stuff. When dinner time comes, if there’s not enough food or water for everyone, a vote determines who dies. All the players who manage to survive long enough to build a raft and leave the island win the game. This game is simple, fast, nasty fun.

We also played a few stupid party games. the first one was Sticky Chameleons, by Theo Rivière and Cédric Barbé, which I had already played twice at Antoine Bauza’s Cafetière with Theo. The game is so fun that after a few rounds players dismiss the rules and start doing almost anything.

Then we played Yogi, by Behrooz Sharhiari. the game is less original but very effectiv, as you can see from the players’ positions on the picture.

Last was Heinz Meister’s Déjà Vu, one more variation on trying to remember what pictures one has already see. Nothing really new either, but it works really well, like always with Heinz Meister, a specialist of light party games.

The very last game night, yesterday, was not in my small flat under the roof but at Hervé Marly, and we tried two last new games which I both got last week. Eric Lang’s The Godfather is faster and less complex than it looks. It’s a majority game with a strong theme and some nastiness, the latter being an effect of the former. Building stable majority control in New York’ turfs is not easy when each player has only four or five pawns, and half of them are shot before the end of the round. In a way, despite their different settings and graphic styles, Viral and The Godfather, the two relatively heavy games we played this month, feel a bit similar, half German style majority game, half American style card driven war game.

The very last game was Trôl, by Christophe Lauras, a game I probably could have designed since it feels very much like some of my own card games. Players control tribes of trolls hunting for small or big game, which is done with playing cards and rolling dice. Of course, trolls from different tribes can end up hunting the same wild beasts, which creates disagreements, and trolls know very few ways of dealing with disagreements. Furthermore, if there are too many trolls hitting too strong on the same beast, it is blown to pieces and inedible. the game is very fast paced, tactical, very chaotic, and gorgeously illustrated by David Cochard.

I always try to have publishers send me their new games, and I also buy many, but these last years I did not play them as regularly and systematically as I used to. most times, I just read the rules, like I could read a short story, and then put the game aside on one of the many long shelves of my game library. As a result, I have probably played only one in four or five among the two or three thousand games stacked in my small parisien flat. A whole month of forced rest was a good opportunity to play a bit more, and I really enjoyed it.

Pinceaux, ampoules et engrenages
Brushes, Bulbs and Gears

Il y a un ou deux ans, j’avais reproché à certains d’utiliser le terme de « test » pour désigner des critiques de jeux. Je pensais que ce n’était qu’une faute de français; les réactions auxquelles je me suis heurté ont montré que le problème était plus sérieux et plus inquiétant, et relevait de la même vision technicienne du jeu, absurde parce que réductrice, à laquelle le jeu video est enfin et péniblement en train d’échapper.
Je me trouve aujourd’hui un peu face au même problème en voyant les couvertures de beaucoup de jeux publiés ces derniers mois. Lorsque les jeux sont abondamment et joliment illustrés, ce qui est de plus en plus fréquent, auteur et illustrateur sont de plus en plus souvent cités sur la boite de jeu de manière similaire, ce qui est très bien. Une habitude venue de la bande dessinée est en train de s’installer, qui consiste à indiquer le rôle de chacun par une petite icône. Pourquoi pas, mais le diable est dans les détails.

Pour les illustrateurs, l’icône est en général un crayon ou un pinceau, ce qui me semble parfaitement adapté, même si beaucoup de dessinateurs ne travaillent plus guère que sur écran. Pour les auteurs, en revanche, l’icône représente le plus souvent des engrenages, ce qui revient à ramener un jeu à sa mécanique. La mécanique est l’essence de certains jeux, mais pas de tous, loin de là. La création ludique est une dialectique mettant en jeu des mécanismes, des thèmes, des références, des clins d’œil. Ce n’est certes pas tout à fait un boulot d’écrivain, mais ce n’est pas non plus un boulot d’ingénieur. Mon travail, tel que je le pratique, me semble assez proche de celui d’un scénariste de film ou de BD, que personne ne va représenter par des engrenages.

On peut, comme je viens de le voir sur la boite de Paper Tales, représenter l’auteur par un stylo, mais c’est peut être aller un peu loin en sens inverse, car si l’engrenage nie la dimension littéraire de la création ludique, la plume en nie la dimension technique, et ne peut donc convenir aux jeux relativement abstraits d’adresse ou de stratégie, et même à certains jeux « à l’allemande ». La bonne icône me semble être celle choisie entre autres par Iello ou Bombyx, une ampoule, représentation d’idées qui peuvent être aussi bien littéraires que techniques. Mon ami et un peu auteur de jeu Gwenael Bouquin propose quant à lui une chope de bière pour l’auteur et une tasse de café pour l’illustrateur.


One or two years ago, I reproached a few French game reviewers for using the word « test » to describe game reviews. I thought it was just a vocabulary mistake. The reactions I faced proved the issue was deeper and more worrying, revealing an absurd and reductive technician conception of boardgames, the same one video games are slowly and painfully getting rid of.
I have the same problems when looking at the covers of many recently published boardgames. The quality of boardgames illustrations improved greatly these last years. More and more often, both the designer and illustrator are named on the box cover, which is fair. As is already the case for comics scriptwriter and illustrator, game designer and illustrator are often differentiated with small icons. Why not, but the devil is in the details.

The illustrator icon is usually a paintbrush or pencil, which fits perfectly even when more and more artist work only on their computer. The designer icon is usually gears, which is problematic because it implies that the designer’s job is only to design the game mechanisms. Mechanisms are the core part of many games, but not of all. Game design is a dialectical mix between mechanics, settings, references and winks. It’s not literary writing, but it’s also not technical work. My experience of it feels very much like that of a movie or comics scriptwriter.

Paper Tales has a pen icon before the designer’s name, but it’s equally problematic, because while gears negate the literary aspect of game design, the pen negates its technical aspect, and cannot therefore fit with abstract or dexterity games, or even with many « german style » boardgames. The best icon is probably the one used by Iello, Bombyx and a few other publishers, a light bulb – it just suggests ideas, which can be both technical or literary. My friend and fellow game designer Gwenael Bouquin has another idea, a beer mug for the designer and a cup of coffee for the illustrator.

Le bon vieux temps du jeu à l’allemande
From the good old times of german style eurogames

La fin des années quatre-vingt-dix et le début des années 2000 ont sans doute été l’âge d’or du gros jeu de société « à l’allemande ». On n’avait pas encore inventé le draft et le deckbuilding, les jeux de coopération étaient réservés aux plus petits, mais des auteurs comme Klaus Teuber, Reiner Knizia, Wolfgang Kramer, Friedemann Friese ou Alan Moon savaient déjà faire de très bons jeux de développement, majorité, d’enchères ou de parcours. Si quelques jeux, comme les Colons de Catan, Les Aventuriers du Rail, dans une moindre mesure Puerto Rico, El Grande ou PowerGrid, sont devenus des classiques, d’autres ont eu leur heure de gloire puis ont été un peu oubliés.
Depuis deux ou trois ans, quelques éditeurs malins et/ou nostalgiques sont allé rechercher des classiques oubliés de cette époque. On a vu de nouvelles éditions de grosses boites qui avaient disparu des étals, comme Elfenland, Samurai, Euphrat & Tigris, Tikal, Amun Re, Medina, Mexica, Manhattan… ou Mission Planète Rouge.



D’autres auteurs et éditeurs présentent des nouveautés dont le style rappelle délibérément les jeux d’il y a quinze ans. C’est le cas de Raiders et Explorers of the North Sea, de Shem Phillips, ou de Ethnos, de Paolo Mori.

Voici cinq autres grosses boites armes entre 2000 et 2005 qui me semblent avoir fort bien vieilli mais dont je ne sache pas qu’il soit prévue de nouvelle édition. Qui sait, peut-être cet article incitera-t-il un éditeur à s’y intéresser de près.

Aladdin’s Dragons, souvent désigné par son nom allemand, Morgenland, est un jeu de Richard Breese, publié en 2000 par Hans im Glück. Richard Breese est connu aujourd’hui pour sa série des « Key Games » – Keyflower, Keythedral, Key Harvest et d’autres – et Aladdin’s Dragons est d’ailleurs une adaptation fort réussie dans un univers oriental du premier d’entre eux, Keydom. Varié et facile à mettre en place, c’est un mélange astucieux de tactique, d’enchères et de bluff, une recette qui marche presque toujours. Chaque tour, les joueurs doivent répartir leurs personnages entre le marché, le caravanserail, la salle des gardes, la maison d’Aladin, le palais du sultan et les grottes des dragons. Aladdin’s Dragons est plutôt plus léger, moins calculatoire, que ce que Richard Breese a fait depuis, et reste un des tout meilleurs jeux pour faire découvrir les jeux de société modernes. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi ce n’était pas devenu un grand classique.

J’apprécie tout particulièrement, aussi bien comme joueur que comme auteur, les jeux dans lesquels bluff et tactique s’entremêlent. C’est le cas dans Aladdin’s Dragons, c’est aussi le cas dans Himalaya, de Régis Bonnessée, paru en 2002. Les joueurs y programment secrètement les déplacements de leurs caravanes de yacks tout au long vallées himalayennes, franchissant les cols enneigés pour se procurer les marchandises disponibles et aller les livrer dans les villages, les temples et les monastères. Un peu de psychologie, un peu de « pick-up and deliver », un peu de majorité, là encore des éléments assez classiques s’emboitent superbement pour faire un jeu fluide, évident, rapid, au thème léger mais plein de charme. Lords of Xidit, paru il y a deux ou trois ans, reprend les mécanismes d’Himalaya, mais il les complexifie un peu et, surtout, n’a pas vraiment de thème et donc moins de charme. Ce qu’il aurait fallu, et j’espère que c’est encore possible, c’est publier à nouveau Himalaya, sans changement de règles, avec juste un matériel un peu plus pratique.

San Marco, d’Alan R. Moon et Aaron Weissblum est paru en 2001 chez Ravensburger. Le jeu s’inspire d’El Grande : sept quartiers, des petits cubes en bois aux couleurs des joueurs, et un doge baladeur qui emprunte les ponts pour faire marquer des points aux deux joueurs ayant le plus de cubes dans chaque quartier. L’originalité est ailleurs, dans un système de répartition des cartes actions, où l’un des joueurs divise une dizaine de cartes en lots, mais choisit son lot en tout dernier. Certaines cartes donnent des points de pénalité, d’autres permettent d’ajouter des pions ou d’en enlever, de bâtir un pont, ou encore de déplacer le doge. Répartir les cartes en paquets équilibrés, en tenant compte de la situation, est un art très subtil. À ce jour, San Marco reste sans doute mon préféré parmi tous les jeux de “placements de petits cubes en bois dans des régions”. C’est sans doute parce qu’il est rapide, dynamique, tactique, et en outre diablement joli. J’espère que, s’il est réédité un jour, le plateau restera celui, charmant et coloré, dessiné par Alessandra Cimatoribus. Et puis, j’ai même une astuce pour permettre au nouvel éditeur de faire des économies – le jeu est plus intéressant, car plus tendu, avec trois ponts de moins.

Maharaja, publié en 2004, est l’œuvre de Wolfgang Kramer et Michael Kiesling, les deux auteurs de Tikal, Mexica, Java et quelques autres réédités ou en passe de l’être. Les joueurs déplacent des architectes de ville en ville, rivalisant pour bâtir les plus riches palais pour les seigneurs locaux, mais devant parfois payer pour leur passage aux joueurs contrôlant les tavernes des villages traversés. Il y a des personnages un peu comme dans Puerto Rico ou Citadelles : le Mogul, le sadhu, le moine voyageur, l’artisan, personnages qui passent parfois d’un joueur à l’autre et donn. Les grandes cités sont visitées dans un ordre plus ou moins prévisible par le Maharadja, qui à chaque tour paiera royalement les joueurs ayant le plus embelli la ville où il arrive. Sans être excessivement compliqué, Maharaja est un gros jeu, plus complexe que San Marco, mais c’est un jeu subtil qui peut être joué rapidement, et l’un des très rares « gros jeux » du début des années 2000 que je ressorte encore à l’occasion.

Un autre est Bootleggers, de Don Beyer, Ray Eifler et Steve Gross, un jeu de plateau à l’allemande avec un vrai thème à l’américaine, et d’ailleurs le seul des jeux de cette liste à avoir été publié outre-atlantique, en 2004. Nous sommes en 1921, la loi américaine interdisant « la fabrication, le transport et la vente des liqueurs toxiques » est entrée en vigueur. Chaque joueur est à la tête d’un gang qui espère bien tirer le meilleur profit de la fabrication, du transport et de la vente des liqueurs toxiques. On début avec un petit alambic familial, un petit camion, et deux gangsters, puis l’on développe son activité en agrandissant sa distillerie, en important de l’alcool canadien, en recrutant quelques hommes de main, et en prenant grâce à eux le contrôle des débits de boissons. Bootleggers est un jeu de gestion très original, au thème fort bien rendu mêlant, dans un ensemble fluide et remarquablement cohérent, des mécanismes multiples – mises cachées (pour l’ordre du tour), majorité (pour le contrôle des speakeasies), jets de dé (pour la production et la demande de whisky), prises de risque (pour les livraisons), cartes action, négociations (pour la location de camion ou la revente de whisky). Il y faut donc de la psychologie, de la diplomatie, un certain sens tactique, et un peu de chance au dé – je sais, ce dernier point est un peu passé de mode, mais c’est dommage.

Je viens de réaliser qu’il n’y avait pas de jeux de Reiner Knizia dans ma liste. Ce n’est pas qu’ils soient moins bons, ou que je n’aime pas ses créations, c’est juste qu’il semble se débrouiller mieux que les autres pour faire ressortir ses vieux trucs – Râ, Samurai, Euphrat & Tigris, Medici, Amun Re sont déjà de retour en boutique.

Si les ventes de Mission: Planète Rouge sont honorables, j’ignore totalement ce qu’il en est des autres grosses boites du début des années 2000 récemment rééditées. J’espère qu’elles sont honorables, surtout pour des jeux comme Samurai, Elfenland, Medina ou Tikal qui auraient certainement été dans ma liste s’ils n’étaient pas déjà de retour. J’espère même qu’elles sont assez bonnes pour encourager les éditeurs à continuer un peu dans cette voie, par exemple avec l’un des cinq excellents jeux ci-dessus. Promis, je leur ferai de la pub.


The late nineties and the early 2000 were the golden age of « big box german games ». Draft and deck building had not really been invented yet, cooperative games were still just for kids, but Klaus Teuber, Reiner Knizia, Wolfgang Kramer, Friedemann Friese or Alan Moon already knew how to design great development, majority, auction or pick-up and deliver games. A few of them, most notably Settlers of Catan and Ticket to Ride, but also to a lesser extent Puerto Rico, Powergrid or El Grande, have become classics. More have been highly praised and then more or less unjustly forgotten.
These two or three last years, a few publishers, be they clever or just nostalgic, have  tried to unearth some of these early eurogames. New editions of games like Elfenland, Samurai, Euphrat & Tigris, Tikal, Amun Re, El Grande, Manhattan… or Mission Red Planet have been published.



Other designers and publishers are publoishing new stuff that feels very much like these german games from fifteen years ago, games like Ethnos or Explorers and raiders of the North Sea.

Here are five more big boxes from the early 2000s which, in my opinion, aged really well and of which there is no new edition in the pipe, at least that I know of. May be this blogpost will incite some publisher to have a second look at them.

Richard Breese’s Aladdin’s Dragons was published in 2000 by Hans im Glück. Richard is now well known for his « Key » games – Keyflower, Keythedral, Key Harvest and a few more – and Aladdin’s Dragons is indeed a cleverly devised adaptation of his first boardgame, Keydom. The game is a mix of double guessing, tactics and bidding, a recipe that never fails and makes for a light and fluent game. Every round, players must assign their facedown character tokens to various places, the market, the caravanserai, Aladdin’s house, the guard room, the Sultan’s palace and, of course, the dragons’ caves. The game is lighter and less brain burning that Richard’s later design, and it’s still one of my games of choice to introduce new people to modern boardgames. It should have become a classic, and I can’t understand why it didn’t.

Both as game designer and a a gamer, I particularly enjoy games which mix tactics and double-guessing. It’s the case with Aladdin’s Dragons, it’s also the case with Regis Bonnessée’s Himalaya, published in 2002. Players’ yack caravans navigate the Himalayan valleys, crossing snowy passes to get available goods and carry them to villages, temples and monasteries. Pick-up and deliver, double-guessing and majority intertwine in subtle ways to make a fluid, obvious and charming game in a charming and original setting. Lords of Xidit, published two or three years ago, recycles the Himalaya system but complexifies them a bit and, more problematic, moves the action to an unconvincing fantasy setting, removing most of the game’s charm. I hope it’s still possible to have, some day, a reprint of Hiamalay, with the original rules and setting, and just slightly bigger and better components.

Alan R. Moon and Aaron Weissblum’s San Marco was published in 2001. It’s a majority game inspired by El Grande: seven districts, wooden cubes in the players’ colors, and a Doge figure moving from district to district to score points for the two players with the most cubes. What’s new, and what’s great, is the card dealing system, in which one player divides the cards in small lots, and every other player selects one before he takes the last remaining one. Some cards give negative points, other cards allow the player to place or move cubes, to place or move a bridge, or to move the Doge. San Marco is still my favorite « wooden cubes majority » game. It is fast paced, dynamic, tactical, and it looks really cute. If it is published again one of these days, I hope it will still have the gorgeous coloured board drawn by Alessandra Cimatoribus. I even have an idea to help the publisher lower the production costs – the game is more tense and therefore better with two or three bridges fewer.

Maharaja, published in 2004, was designed by the same team who had already done Tikal, Mexica, Java and a few other games which are or will soon be republished. Players move their architect pawns from city to city, vying to build the richest palaces for local landlords, and also paying when moving through villages whose taverns belong to other players. There are characters, a bit like in Citadels or Puerto Rico, the Mogul, the Trader, the Sadhu, the wandering monk, the builder, the craftsman, and they sometimes pass from one player to another. Maharaja is not overly complex, but it’s heavier than San Marco or Aladdin’s Dragons. it’s also a subtle and intricate game which can be played at a fast pace, and one of the very few heavier games from the early 2000 which I still occasionally play.

Bootleggers, by de Don Beyer, Ray Eifler & Steve Gross, is another one. It has clean eurogame mechanics but is nevertheless the only game in this list with a strong and consistent theme, and the only one that was published first in the US, in 2004. The year is 1921 and the law prohibiting the “manufacture, sale or transportation of intoxicating liquors” seems to be here to stay. Each player is a mob boss who wants to make the best profit of the manufacture, sale and transportation of intoxicating liquors. You start with a small family still, a small truck and two mobsters, and then develop your activities, expand your still, import booze from Canada, buy new trucks to carry moonshine crates, recruit some more mobsters, and seize the control of speakeasies. Bootleggers is a very original management game, with a strong and well-implemented theme. The many different mechanisms are brought together in a very consistent and fluent game engine. There’s double guessing (for turn order), majority (for control of speakeasies), dice rolls (for booze production and demand), risk taking (for deliveries), action cards, negotiations (for truck renting or booze selling). To win, you need psychology, strategy, diplomacy and some luck with the dice – I know, the latter is not much in fashion nowadays, and that’s a shame.

I just realised there’s no game by Reiner Knizia in my short list. It’s not that are bad, or that I don’t like them, it’s just that he seems to be better than other seasoned designers at bringing his old stuff back on the market – Râ, Samurai, Euphrat & Tigris, Amun Re all already have new editions.

I know the sales of Mission: Red Planet are OK, but I’ve no idea how the other revamped versions of old big euro games are selling. I hope their sales are correct as well, especially for games like Tikal, Medina, Samurai or Elfenland, which would have been in this list if they were not already back. I even hope sales are good enough for publishers to keep on looking for forgotten jewels, and I suggest they consider the five games in my short list. If they do, I promise I’ll promote them here.

Quelques découvertes récentes
Some recent discoveries

Même si je joue moins qu’autrefois, et beaucoup à des prototypes, les miens ou ceux de mes amis, j’essaie toujours de suivre plus ou moins ce qui se passe dans le monde du jeu. Je pledge des trucs un peu au pif sur kickstarter, j’achète de nombreuses nouveautés, je m’en fais offrir quand je peux par les éditeurs. Je ne joue pas à tout, loin de là, mais je survole au moins les règles de ce que je reçois, pour avoir une petite idée de ce qui se passe dans le monde de la création ludique. Je dois cependant choisir assez bien les jeux auxquels je joue, car ces derniers temps je les ai presque tous trouvés vraiment intéressants.

Shem Philips est l’auteur d’une trilogie de jeux de vikings, Shipwrights of the North Sea, Raiders of the North Sea et Explorers of the North Sea, tous trois illustrés par l’un de mes dessinateurs ludiques préférés, Mihajlo Dimitrievski. J’ai joué aux pillards et aux explorateurs, et les ai beaucoup appréciés. Contrairement à ce que leur thème violent et leurs illustrations humoristiques pourrait laisser croire, ce sont des jeux « à l’allemande », et d’une certaine manière « à l’ancienne », dans lesquels les joueurs sont plus concurrents qu’adversaires, mais ce sont de sacrément bons jeux pour les amateurs de belles mécaniques qui trouvent qu’Uwe Rosenberg en fait un peu trop. Mes amis de Pixie Games importent déjà en France les Raiders, devenus Pillards de la Mer du Nord, et je crois qu’ils ne devraient pas tarder à y ajouter les explorateurs.

Dans le même esprit, Ethnos, de Paolo Mori, est un jeu de majorité « à l’allemande » et « à l’ancienne », y compris dans son esthétique un peu fade, mais plus rapide et mieux fini que ce que l’on faisait il y a quinze ans. Le fait que les tribus en jeux ne soient pas les mêmes d’une partie à l’autre lui donne enfin une grande variété, ce qui n’est pas toujours le cas de ce genre de jeu. Par certains côtés, Ethnos m’a rappelé San Marco, un vieux jeu injustement oublié.

Toujours dans le jeu à l’allemande, Majesty est le premier jeu de Marc André à ne pas me laisser complètement froid. La mécanique est aussi efficace que dans Splendor, mais elle est plus amusante, plus variée, moins combinatoire. Le thème n’est guère original, mais il a plus de sens, et ça change tout. Si vous aimez Splendor ou Century – Silk Road, vous ne pourrez qu’adorer Majesty, c’est mieux.

Clank!, de Paul Dennen, est un jeu de deck building, un de plus, qui parvient à être original sans même vraiment essayer. Le thème, des nains qui explorent un souterrain, n’est pas nouveau mais il fonctionne et donne enfin une justification aux cartes qui encombrent le deck – bing, blong, clank! Du coup, nous avons même un plateau de jeu, le plan du souterrain. Enfin, l’interaction est très présente, puisque, dans ce souterrain, c’est un peu la course. Bref, moi qui ne suis pas trop porté sur les jeux de deck building hyper techniques et compétitifs, j’ai bien aimé Clank! – mais je suis thématiquement sceptique sur les versions sous-marines et spatiales….

Je n’aurais sans doute pas joué à Seeders from Sereis : Exodus, de Serge Macasdar, si l’éditeur n’avait pas été là pour me l’expliquer. C’est vraiment une très grosse machine, avec des calculs stratégiques savants et des combinaisons de cartes sophistiquées, un genre où je ne me risque généralement pas sans être absolument certain de mon coup, or je n’avais jamais entendu parler de ce jeu auparavant. Je garde un excellent souvenir ce cette partie, un jeu riche, complexe, avec des interactions dans tous les sens, et un mécanisme d’enchères et de placement de jetons particulièrement malin.

Je connais un peu Régis Bonnessée. Son gros défaut, que ce soit comme auteur ou comme éditeur, est de vouloir toujours ajouter des éléments de jeu et de ne jamais se résoudre à en enlever. J’espère donc qu’il n’y aura jamais de deuxième édition de Dice Forge, et qu’il se contentera de réimprimer la première, à laquelle il n’y a rien à ajouter, comme il aurait dû le faire avec Himalaya. Dice Forge est un jeu où on lance des dés, mais où chacun lance ses propres dés, qu’il peut modifier tout au long de la partie en remplaçant certaines faces par d’autres plus puissantes. Le jeu est rapide, malin, un peu comme un petit deck building où l’on ne passerait pas son temps à mélanger douze cartes.

Freak Shop et StartUps sont des jeux de cartes plus proches de ce que je pratique habituellement et que je conçois à l’occasion. Freak Shop, de Henri Kermarrec, est un petit jeu d’échanges de cartes, très malin, assez calculatoire, dans un style qui fait beaucoup penser au meilleur Michael Schacht.

StartUps, de Iun Sasaki, est la dernière des petites boites de l’éditeur japonais Oink Games, importées en Europe par la sympathique Laura Grunman. Comme tous les jeux de cette superbe collection, il est simple, rapide et original. Il est fondé sur un système de majorité assez malin et sur lequel j’avais moi même fantasmé pendant plusieurs années sans jamais rien en tirer d’intéressant, l’idée que l’on puisse jouer des cartes d’une série soit pour renforcer sa majorité, soit pour augmenter la valeur des cartes mais en affaiblissant sa majorité.

A Fake Artist goes to New York, de Jun Sasaki, est paru en 2012, mais ne semble avoir débarqué en Europe que très récemment, là encore dans la jolie collection minimaliste de Oink Games. Le principe de base est celui d’un joueur qui ignore ce dont on parle et doit le deviner sans se faire repérer par les autres. Simplement, ici, nous ne sommes plus dans un jeu de où l’on parle, comme dans Agent Trouble, ou où l’on montre des cartes, comme dans CS-Files, mais dans un jeu de dessin. Chacun à son tour ajoute un trait à un dessin commun, mais l’un des joueurs ne sait pas ce que l’on dessine. Curieusement, cela marche, et cela marche même très très bien !

Hanamikoji, de Kota Nakayama, appartient à la très grande famille des jeux à deux avec une rangée de cartes au milieu que les joueurs vont essayer de remporter en jouant des cartes chacun de son côté. La famille des Schotten Totten, César et Cléopatre, Lost Cities, ou de mes moins connus Tomahawk et Agent Double. Hanamikoji, avec des règles simples et des subtilités aussi bien tactiques que psychologiques, est très vite devenu mon préféré d’un genre pourtant très abondant. Le jeu est en outre absolument magnifique.

Mot pour Mot, de Jack Degnan, est un excellent jeu de vocabulaire par équipe. Il existe depuis bien longtemps outre-Atlantique, sous le nom de Word on the Street, mais curieusement personne n’avait eu l’idée d’en faire une version francophone. Voila qui est enfin fait grâce aux québécois du Scorpion Masqué.

NMBR9, de Peter Wichman, appartient à la catégorie des jeux de loto, ces jeux ou chacun bricole dans son coin en ajoutant les mêmes pièces, ou en cochant les mêmes cases, et où l’on regarde à la fin qui a réalisé le meilleur score. Beaucoup de ces jeux sont idiots, quelques uns, comme High Score, Take it Easy ou, justement, NMBR9, sont géniaux. Ici, il s’agit d’empiler des nombres en carton pour construire la structure valant le plus de points.

La liste est un peu longue, parce cela fait un certain temps que je n’avais pas écrit ce genre d’article. J’espère que cela ne vous découragera pas d’acheter aussi mes jeux à moi, j’en ai plein qui sortent en ce moment – Nutz!, Kamasutra, Secrets, Junggle, King’s Life


Even when I don’t play as often as I used to, and mostly play prototypes, mine or friends’ ones, I try to keep myself informed of what’s happening in the gaming world. I pledge stuff half randomly on Kickstarter, I buy many new games, I try to have some offered to me by friendly publishers. I don’t play everything, far from it, but at least I browse through the rules to get an idea of what’s happening in the larger boardgaming world. And I’m probably not bad at selecting the games I actually play, since these last times I’ve found most of them really good.

Shem Philips has designed a trilogy of Viking games, Shipwrights of the North Sea, Raiders of the North Sea and Explorers of the North Sea, all three illustrated by one of my favorite boardgame artists, Mihajlo Dimitrievski. I’ve played Raiders and Explorers, and really enjoyed them. Their violent setting and humorous graphics can be misleading, since these three games are classic eurogames, in which players are competitors more than opponents. They are really good stuff for players who like clean mechanisms and think that Uwe Rosenberg is really doing too much.

Similarly, Paolo Mori’s Ethnos is a old style eurogame, including the boring graphics, but it’s cleaner and faster paced than most of what we used to do fifteen years ago. Playing with a different set of tribes in every game makes for a great variety, which is not always the case in such games. In some way, Ethnos reminded me of a game I really liked and which has been unfairly forgotten, San Marco.

Another « german style » boardgame, Majesty is the first game by Marc André which doesn’t leave me stone-cold. The mechanics are as efficient as in Splendor, but they are more fun, more varied, less abstract. The setting is certainly not original, but it works, which also makes a big difference. If you like Splendor, or Century- Spice Road, you will love Majesty – it’s just better.

Paul Dennen’s Clank! is one more deck building game, but it manages to feel original without even really trying to. The storyline, dwarves in a dungeon, is certainly not new but it works well and, for once, gives a fun meaning to the dead cards impeding one’s deck – bing, blong, clank! It also makes for a nice board, a map of the dungeon, which makes for interaction between the moving, and sometimes racing, dwarves. I’m usually not much fond of highly tactical deck-building games, but I really enjoyed my few games of Clank! On the other hand, I’m thematically skeptical about the underwater and space versions.

I would probably not have played Serge Macasdar’s Seeders from Sereis : Exodus if the publisher had not been there to explain the rules. It’s a big game, with intricate strategies and card combos, a genre I usually shy away unless I’m absolutely confident it will be engrossing, and I had not heard about this game before. Anyway, I had a great time with this rich, complex and highly interactive board and card game, and I really like the original card auction and token placement system.

I know Regis Bonnessée, and I know that his weakness both as a publisher and game designer is a tendency to always add stuff and never remove it. That’s why I hope there will never be a second edition of Dice Forge, and he will just keep on reprinting the old one, which doesn’t need any addition. That’s what he should have done with Himalaya. Dice Forge is dice rolling game in which every player builds his own two dice while playing, replacing weaker sides with better ones. It’s fast clever and fast paced, like a light deck building game in which you don’t spend half the time shuffling a ten cards deck.

Freak Shop and StartUps are the two games in this list that feel the most like my own designs, and like the games I most usually play. Henri Kermarrec’s Freak Shop is a very clever trading card game, reminiscent of Michael Schacht at his best.

Jun Sasaki’s StartUps is the last in the cute small box game series by Japanese publisher Oink Games, imported in Europe by the nice Laura Grunman. Like all the games in the series, it is simple, fast paced and original. The basic idea is a one I had been trying for years to make into a game without any satisfying result, the dilemma between playing cards in a series to strengthen one’s majority or to make the series more valuable.

Jun Sasaki’s A Fake Artist Goes to New York was published in 2012, but I had never heard of it before last year, when it arrived here in the same Oink games minimalistic series. The basic idea, a player who ignores what the other ones are talking about and must find it without being caught, has been used in several other games. Here, however, the game is not about talking, like in Spyfall, or about playing cards, like in Deception, but about drawing one common picture. Each player on turn adds a stroke, but one of them doesn’t know what is being drawn. It works surprisingly well.

Kota Nakayama’s Hanamikoji is one more game in a very large family, two players games with a row of cards in the middle that players will try to win with playing cards on their respective sides. The family of Schotten Totten, Caesar & Cleopatra, Lost Cities, or among y own designs Tomahawk and Double Agent. Hanamikoji, with its simple rules and intricate tactics has become my favorite in this genre. It’s also gorgeously illustrated.

Jack Degnan’s Word on a Street is not new for English speaking gamers, but surprisingly there had never been a french version of it. There’s one now, called Mot à Mot, thanks to the Quebecois masked scorpio (I love translation quebecois names in english, it enrages them).

I call Bingo games all the games in which every player makes his own grid with the same random pieces, trying to make the best score in the end. Many are boring. Some, like Take it Easy, High Score or Peter Wichman’s NMBR9, are fun because really challenging. Here, the goal is to pile cardboard numbers to build the highest scoring structure, and it’s tricky.

It’s a long list, mostly because I had not written that kind of article for a while. I hope it won’t divert you from also buying some of my own new games – Nutz!, Kamasutra, Secrets, Junggle, King’s Life

Mon compte rendu de la Gen Con 2017
My 2017 GenCon report

Politique

Je suis arrivé aux États-Unis le lendemain des événements de Charlotteville, qui étaient le grand sujet de discussion. Comme assez souvent, je me suis retrouvé devoir essayer d’expliquer les grilles de lecture européennes aux américains, et inversement. En effet, si le racisme aux États-Unis est un peu différent de ce qu’il est en Europe, l’antiracisme est lui complètement différent.
Pour un américain, être antiraciste c’est vouloir l’égalité des races, considérées comme des réalités incontournables, voire comme des identités à défendre. Pour un européen, surtout dans les pays latins, être antiraciste c’est nier l’existence de races humaines, considérées comme un fantasme dangereux et sans fondement scientifique. Du coup, l’antiraciste américain apparait à l’européen comme un raciste soft et gentil, et l’antiraciste européen est aux yeux de l’américain un grand naïf. Les deux reproches sont sans doute un peu fondés. Discutant des événements de Charlotteville, le chauffeur de taxi qui m’a amené à Roissy disait que « les races, c’est un truc de chien, pas d’hommes », tandis qu’un employé d’hôtel d’Indianapolis m’a assuré que « Dieu a créé toutes les races égales » (ce qui colle mal avec l’histoire d’Adam et Eve, mais bon, je n’allais pas engager un débat théologique avec un américain).
Universaliste par tempérament, je me méfie de l’obsession identitaire et communautaire à l’américaine, de la tribalisation qui mène à la violence. Je ne peux qu’espérer, sans trop y croire, que les événements de Charlotteville vont conduire la gauche américaine à réaliser que les identités sont le problème et non la solution. Je m’inquiète plutôt de voir la vision tribale du monde s’insinuer de nouveau en Europe, que l’on pouvait penser vaccinée par l’histoire contre les identités collectives un peu trop fortes. En même temps (comme dirait Macron😀) on ne lutte pas contre une réalité sociale en refusant de la voir, et se regrouper est parfois, à court terme au moins, la meilleure manière de se défendre.
L’attentat de Barcelone a été beaucoup moins discuté aux USA que les événements de Charlotteville ne l’ont été en Europe. C’est un peu dérangeant, mais cela s’explique peut-être en partie par l’habitude. Les attentats de Ouagadougou, eux, ont a peine été signalés, ce qui est encore plus dérangeant. Il reste que tous ont, au fond, la même origine – quelques allumés pensant qu’ils doivent être fiers d’une identité fantasmée qui les rendrait différent du reste de l’humanité.

Minneapolis

Comme ces trois ou quatre dernières années, j’ai passé les trois premiers jours à Roseville, accueilli par la sympathique équipe de Z-Man Games, et plus largement d’Asmodee (sans accent) North America dans une zone industrielle au milieu de nulle part dans la banlieue de Minneapolis.

On a joué à mes prototypes, dont certain ont suscité un certain intérêt, et à quelques unes des dernières nouveautés et des jeux à venir de Z-Man. J’ai particulièrement apprécié un proto de Florian Fay dont on n’a pas encore le droit de parler et sur lequel il y a encore pas mal de boulot, Smile, un petit jeu de cartes de Michael Schacht, et NMBR9, que je connaissais déjà. Moi qui n’aime pas trop Splendor, et de manière générale le style un peu froid de Marc André, j’ai bien aimé Majesty, un jeu avec de l’interaction et un vrai thème. Discutant de jeux à deux joueurs avec Steven Kimball, j’avais presque réussi à le convaincre de faire une nouvelle édition de Greedy Kingdoms, de Hayato Kisaragi, et de me laisser faire le développement pour lequel j’avais quelques idées. Malheureusement, j’ai appris le soir que les japonais avaient déjà revendu leur jeu à AEG….

Indianapolis


Downtown Indianapolis vu depuis ma chambre au 27ème étage

Changement de rythme après l’arrivée à Indianapolis, caricature de ville américaine à l’architecture brutale plantée au milieu de la brousse. La 50ème GenCon a attiré 70.000 visiteurs, un record. Les auteurs, éditeurs, distributeurs et même fabricants de jeux du monde entier étaient là, seuls les illustrateurs me semblant peu représentés, à l’exception de peintres fantastiques très américains. Beaucoup de français, et pas seulement des asmodéens. Avec une telle foule, les hôtels ne se gênaient guère et la chambre d’Antoine Bauza, arrivé un jour plus tard que prévu, avait déjà été attribuée à un autre. Du coup, je l’ai hébergé deux nuits dans la mienne, ce qui nous a permis de commencer à bosser sur un nouveau petit projet.


Au bar du JW Marriott vec Merry Nowak-Trzewiczek, Eric Lang et une partie de l’équipe CMON.

Tout ce qui gravite autour d’Asmodée, de FFG, de CMON, avec donc un grand nombre de français, avait pour quartier général le bar du JW Marriot, le grand hôtel le plus proche du salon. Ça buvait pas mal, ça parlait plus de jeux que ça ne jouait vraiment. Soirée Iello jeudi, soirée Asmodée vendredi, j’apprécie de ne pas avoir à choisir mon camp.

Les nouveautés

Cinq ou six-cent nouveaux jeux de société étaient présentés sur le salon. C’est beaucoup, peut-être trop. Heureusement, cette année, aucun jeu n’a suscité l’enthousiasme général au point d’accaparer toute l’attention. Pas de big hit, donc, ce qui a permis à pas mal de jeux de se faire remarquer. Je n’ai eu le temps de jouer à rien, mais j’ai entendu dire du bien de tous ceux là, dans le désordre :

et j’en oublie certainement. Quelques uns de ceux-ci, mais aussi pas mal de petites boites qui m’ont intrigué sans que je trouve le temps d’y jouer, sont dans le gros colis que FFG, pardon Asmodee North America, se charge gentiment de m’envoyer bientôt.
Côté styles, certaines des tendances que je constatais dans mes considérations d’avant salon se confirment nettement. Beaucoup de jeux de coopération, beaucoup de jeux narratifs, de plus en plus d’auteurs japonais, et une opposition très nette entre les petits jeux de cartes élégants et les grosses boites au look baroque et au matériel aussi inutile que tapageur. La gamme intermédiaire se fait plus rare. Côté thème, c’est le retour de la science fiction, avec souvent un look très seventies, mais l’heroic fantasy résiste.

Mes jeux à moi

Mon emploi du temps chargé consistait pour moitié en dédicaces et présentations de mes nouveaux jeux, Secrets, Junggle, King’s Life et Kamasutra, pour moitié en rendez-vous avec des éditeurs connus ou inconnus pour leur présenter quelques brouillons. Les deux stands sur lesquels j’étais le plus présent étaient celui de Z-Man, éditeur de Junggle, qui avait la gentillesse de m’héberger dans l’hôtel assez cher où tout se passe et tout se discute, et celui de Vice Games, éditeur de Kamasutra, parce que c’était rigolo.


Présentation de Junggle sur le stand Z-Man

Junggle, léger et familial, n’est sans doute pas le jeu le plus facile à présenter dans un salon très geek, surtout sur un stand occupé surtout par des trucs plus sérieux, plus conséquents et plus allemands. Les démos ont pourtant remporté un certain succès. Le dernier jour, je n’étais cependant plus très performant, ni dans les jeux de rapidité, ni dans ceux de mémoire.


Une partie de Secrets

Sans participer aux parties, plus longues, je faisais de temps en temps un saut à côté, dans l’espace joliment décoré où étaient présentées les nouveautés de Repos Prod, dont Secrets, ma deuxième collaboration avec Eric Lang. Les joueurs avaient toujours l’air de bien s’amuser et de ne pas se faire confiance, c’est bon signe.


King’s Life, chez Pandasaurus

Sur le stand de Pandasaurus, King’s Life était largement éclipsé par l’immense succès de Wasteland Express Delivery Service, mais j’ai quand même pu faire quelques parties dont une, à sept joueurs, restera un de mes meilleurs moments du salon. Cela confirme que ce jeu prend tout son sel quand les joueurs sont assez nombreux.


Kamasutra et Come Together, les deux jeux les plus chauds de la GenCon

Le stand de Vice Games n’était qu’une étroite bande de tissu noir derrière celui, plus conséquent, de leurs amis de Japanime Games, mais c’était l’un des coins les plus drôles et des plus animés de la GenCon. Pendant que Matt, en robe de Blanche neige, expliquait son jeu de cartes Come Together, j’ai animé quelques parties de Kamasutra, qui a été incontestablement l’un des jeux qui faisait parler d’eux. Les mignonnes illustrations de David Cochard, l’enthousiasme de Matt et un peu de bouche à oreille ont permis au jeu d’être sold out le dimanche matin.


On a fait jouer l’équipe du Boardgamegeek à Kamasutra

Il y a même eu des tournois improvisés, dont un que j’ai arbitré à la Game Nerds Night. Du coup, alors que personne il y a deux ans, puis l’an dernier, ne voulait publier ce jeu, pas mal de distributeurs potentiels se sont fait connaître cette année. S’il n’est pas trop tard, Vice Games va se débrouiller pour avoir un stand à Essen.


Préparatifs du tournoi de la Game Nerds night

Prospection

J’avais une douzaine de rendez-vous avec des éditeurs, du plus petit au plus gros, et une dizaine de jeux à présenter. Pour la première fois, j’avais fait le choix d’amener, outre mes brouillons et projets en cours, deux prototypes quasi finaux de jeux, Chawai et Small Detectives, qui vont sortir en France mais dont les éditeurs cherchent licenciés ou distributeurs outre Atlantique. Tout cela a suscité pas mal d’intérêt, ce qui laisse espérer quelques nouveaux jeux de Bruno Faidutti l’an prochain ou dans deux ans – on verra bien. Et puis, comme il ne faut pas renoncer à une bonne idée, je suis passé voir les gens d’AEG, que je ne connaissais pas encore, pour leur proposer d’ajouter mon grain de sel à Greedy Kingdoms.

Retour


Dimanche soir, un peu de repos dans les salons de l’hôtel.

Mon dernier rendez-vous était lundi matin pour un petit déjeuner de travail au Patachou avec Eric Lang. Malgré nos fatigues respectives après quatre jours épuisants passés à jouer, boire et discuter affaires, nous avons réussi à remettre sur les rails un projet avec des elfes et des trolls qui piétinait depuis un an. Reste à espérer que nous n’oublierons pas nos brillantes idées du lundi matin et qu’elles nous sembleront toujours aussi bonnes après une bonne nuit de sommeil.
Ensuite, ce fut l’éclipse au moment du départ d’Indianapolis, une correspondance sans problème à Atlanta, ce qui n’était pas gagné d’avance, et une très courte nuit au dessus de l’Atlantique durant laquelle j’écris ce petit compte rendu. En arrivant, il va falloir que je réimprime des protos pour envoyer aux éditeurs, et que je m’attaque aux nouveaux projets avec Eric Lang, avec Hayato Kisaragi, avec Antoine Bauza. Et puis il y a la rentrée scolaire….


Embarquement sur le vol retour avec Bruno Cathala


Politics

I arrived in the USA the day after the Charlotteville events, which were of course the main topic of conversation. As often, I ended up trying to explain to Americans the standard European interpretation frameworks and premises, and vice versa. Indeed, while racism in the USA is only slightly different from what it is in Europe, antiracism is completely different.
Americans antiracists fight for race equality, and consider that races are an undeniable reality, or even identities needing to be asserted and defended. Europeans antiracists, especially in latin countries, fight to get rid of the idea of race, which they consider a dangerous fantasy based on dubious scientific premises. As a result, European antiracists see American ones as “soft and kind racists”, while American antiracists see European ones as naive dreamers. There’s some truth in both critics. Discussing the Charlotteville events, the taxi driver who drove me from Paris to the Roissy airport told me that “races are for dogs, not for men”. In Indianapolis, a hotel clerk assured me that “God has created all races equal” (which doesn’t quite fit with the Adam & Eve storyline, but I didn’t dare discuss theology with an American).
I am an universalist, and I am extremely wary of the American identity and community fetish, which inevitably leads to violence. I have only little hope that Charlotteville’s white identity furor will make US liberals realize that identities are not the solution but the problem. Conversely, I’m afraid when I see the US style tribal worldview worming itself back in Europe, which I thought had been immunized by history against strong identities. On the other hand, refusing to see a social reality might not be the best way to fight it, and banding together is often, at least in the short term, the best defense system.
The Barcelona terror attack was far less discussed in the US than the Charlotteville events were discussed in Europe. It’s a bit disturbing, but might be in part because it feels less new. The attacks in Ouagadougou went almost unnoticed, which is even more disturbing. Anyway, in the end, all have the same origin – a small group of looneys thinking they can be proud of a bullshit racial or religious identity which supposedly makes them different from the rest of the human race.

Minneapolis

Like the three or four last years, I first stopped for a few days in Roseville, where I joined the friendly Z-Man team, and of all Asmodee (no accent) Nort America, in a lost suburb of Minneapolis. We played my prototypes, some of which raised some interest, and a few new or upcoming Z-Man games. My favorites were a Florian Fay prototype which still needs some development, and Smile, a cute light card game by Michael Schacht, and NMBR9, which I had already played. While I don’t like Splendor and Marc Andrés’s style usually leaves me cold, I really enjoyed my game of Majesty, which has strong interaction and a consistent theme.

While discussing two player games with Steven Kimball, I tried to convince him to make a mew version of Hayato Kisaragi’s Greedy Kingdoms, a game I really like, and to let me work on the development, only to learn the day after that the game was already signed with AEG.

Indianapolis


Downtown Indianapolis viewed from my 27th floor room

There was a change of pace when arriving in Indianapolis, an archetypal american city, some brutal architecture planted in the bush, in the middle of nowhere.
There were 70.000 attendees, a record, at the 50th Gen Con. Designers, publishers, distributors and even game manufacturers from all around the world were here, but there were few artists, except for very american fantasy illustrators. Many French people, not all asmodeans. With such a busy crowd, hotels were full, if not overbooked. When Antoine Bauza arrived one day later than initially scheduled, his room had already been passed to someone else. He slept in mine for two days, a good opportunity to discuss games and to start working together on what will probably be a small card game.


At the JW Marriott bar with Merry Nowak-Trzewiczek, Eric Lang and two guys from CMON.

All the people gravitating around Asmodee, FFG or CMON used the nearby JW Marriott bar and lobby as their headquarters. We drank a lot, we talked games, but we didn’t play that much. Thursday night was the Iello party, Friday night the Asmodee one, I felt relieved for not having to choose my side.

New stuff

There were five or six hundred new games on the show. Many games, may be too many. Luckily, this year, there was no main big hit monopolizing the gamers’ attention, which was divided between many interesting new games. I could not find the time to play anything else than my own games and prototypes, but I’ve heard good things about all of these, in no specific order.

and I certainly forget a few ones. Some of these, and a few dozen small card games, are in the big box that FFG – ooops, ANA – will send me in the coming days. Thanks again friends!
Some of the trends I discussed in a recent blogpost were confirmed. Lots of cooperative games, and of narrative and legacy ones. Many games by Japanese designers. A focus on both small card games and big heavy boxes with baroque graphics and ridiculously overproduced components, but little in between. Science fiction is back, often with a seventies graphic style, but good old heroic fantasy is not dead.

My games

I had a busy schedule, half appointments with publishers to show my prototypes, half signings and demos of my four new games, Secrets, Junggle, King’s Life and Kamasutra. The two booths where I spent most of my time were Z-Man, the publisher of Junggle, who was kind enough to take care of my accommodation in the rather expensive hotel where all the interesting discussions take place, and Vice Games, the publisher of Kamasutra, because it was plain good fun.


Demoing Junggle at the Z-Man booth

Junggle, a light and fast paced family game, might not be very easy to show in a geeky event like Gen Con, especially when most of the other games at Z-Man were more serious, heavy and german. My demos were nevertheless a success, though on the last day, I was not very good an y more at rapidity or memory games.


A game of Secrets

I didn’t actually play Secrets but I often went to have a look and discuss the game at the nearby nice space where the new Repos games were demoed. Players always seemed to have fun and to be completely distrustful of each other, which is a good sign.


Playing King’s Life, at Pandasaurus

At Pandasaurus, King’s Life was largely eclipsed by their big hit, Wasteland Express Delivery Service, a monster game about delivery drivers in a Mad Max setting. I nevertheless played a few games of King’s Life, one of which, with seven players, was probably one of my highlights of the con. This game is definitely best with more players.


Kamasutra and Come Together, the two hottest games at GenCon

The Vice Games booth was just a narrow strip of black cloth behind the bigger one owned by their friends at Japanime Games, but it was one of the most fun and sexy places at the con. Matt, in a snow white outfit, explained his sexy card game Come Together, while I showed Kamasutra. Matt’s enthusiasm, David Cochard’s cute graphics and some word of mouth helped the game selll out quite fast.


Playing Kamasutra with BGG’s Eric Martin as a teammate. We won.

There were even a few improvised tournaments, and I was the referee at the Game Nerds Night on Sunday. No one wanted to publish this game when I showed it two years ago, and again last year, now everyone wants to distribute it all around the world ! If it’s not too late, Vice Games will try to book a small booth in Essen.


Preparing the Kamasutra tournament

(BTW, English grammar question. When explaining the rules of Kamasutra, I used to say that the balloon is placed in the « contact zone ». Then I heard Matt explaining the game, and saying it was in the « zone of contact ». It’s obvious to me, though I don’t know why, that the third possibility, contact’s zone, would not be correct. So, what is the rule ? If zone of contact is correct and not contact zone, why ?)

Prospection

I had ten or twelve appointments with publishers, small and big ones, and several games prototypes to show. For the first time, I had brought not only rough prototypes but also publisher prototypes of two games, Chawai and Small Detectives, which will be soon published in France and are looking for foreign distributors or licensees. Both my prototypes and these games raised some interest, so you can expect some more Bruno Faidutti games in the coming years. And since I could not abandon this idea, I also contacted the AEG team, which I didn’t know so far, to ask if I could add my grain of salt to Greedy Kingdoms.

Back to France


Sunday evening in the hotel lobby.

My last appointment was for breakfast, on mondai morning, at Patachou, with Eric Lang. Even when we were both exhausted after four games of gaming, drinking and talking business, we managed to revive a game project with elves and trolls which had stalled for several months. I only hope that we will not forget our new ideas, and that they will still sound as great after a full night of sleep.
The eclipse took place just when we were leaving Indianapolis. The connection in Atlanta was fast and smooth, which was not certain. I’m now writing this report during the very short night over the ocean. When back, I will have to reprint prototypes for the publishers who asked for them, and then to start working on the new projects with Eric Lang, with Hayato Kisaragi, with Antoine Bauza.


Boarding the plane with Bruno Cathala

Nutz! – Les pirates et les écureuils
Nutz! – Pirates and Squirrels

Lequel, du thème et de la mécanique, vient d’abord ? C’est la question la plus souvent posée aux auteurs de jeu, au point que cela en est devenu lassant. Si ma réponse varie c’est un peu parce que ma pratique a varié, mais c’est aussi parce qu’il n’est pas toujours facile de distinguer les deux. Dans le cas de Nutz!, c’est clairement la mécanique qui est à l’origine du jeu, mais comme l’illustre le fait que, tout au long de son développement, ce jeu a connu quatre thèmes successifs, dont seulement deux, les pirates et les écureuils, pouvaient effectivement coller aux systèmes de jeu.

Dans ce jeu, chaque manche est divisée en deux phases. Durant la première, les joueurs posent des cartes en colonnes de trois cartes maximum, parfois faces visibles, parfois faces cachées. Ensuite, ils prennent chacun les cartes d’une colonne de leur choix.

Sans doute parce que le nouveau Diamant venait de sortir, et parce que j’avais sous la main ses fichiers d’illustrations, le tout premier brouillon avait pour thème l’exploration de ruines perdues dans la jungle.


La toute première version du jeu, El Dorado, dans la cafetière d’Antoine Bauza.

Mécaniquement, le jeu fonctionnait très bien, et a d’ailleurs connu assez peu de gros changements de règles entre cette première itération et la version publiée. Pourtant, on sentait un problème qui mettait les joueurs mal à l’aise et les empêchait d’apprécier vraiment la partie. Dans l’idéal, une partie d’un jeu de société doit être un récit qui se déroule, dans lequel le joueur sait qui il est, ce que signifient ses actions et son objectif. Bref, même si un jeu de cartes n’aura jamais la profondeur et la richesse thématique d’un film, d’un roman ou même d’un jeu de rôle, il se construit quand même un peu sur le même modèle. Lorsque les joueurs d’El Dorado – c’était le nom du premier brouillon – exploraient des ruines incas ou aztèques, cette dimension narrative ne fonctionnait pas. Rien, en effet, ne venait justifier la première partie de chaque manche, celle durant laquelle les joueurs plaçaient les cartes qui, petit à petit, constituaient les grottes ou temples qu’ils allaient ensuite explorer. On imagine mal en effet des pillards commencer par cacher des antiquités dans les grottes avant d’aller ensuite les récupérer.


Le deuxième brouillon, Treasure Islands, à l’Asmoday. Il y avait visiblement d’autres jeux de pirates.

Le deuxième thème, et celui-ci fonctionnait, fut les pirates. Côté trésor, peu de changement, de l’or, des joyaux, des artefacts magiques et des statuettes maudites, plus ou moins la même chose sur les îles des Caraïbes que dans les ruines incas. Le récit, en revanche, gagnait en cohérence. Les pirates de Treasure Islands – nouveau nom du jeu – vont d’abord enterrer leurs trésors sur des îles désertes. Ensuite, ils retournent chacun sur une île et prennent tous les trésors qu’ils y trouvent. Le thème donnait désormais un sens aux deux phases, de placement des cartes puis de récupération, qui structurent le jeu.


Je ne suis pas le premier à hésiter entre pirates et écureuils…

Le jeu a plu à l’équipe de Blue Orange, qui a décidé de le publier. Jugeant, avec raison sans doute, que le monde de la piraterie était sérieusement surexploité, ils ont cherché autre chose, et ont pensé à des super-héros cambriolant des musées. Pourquoi pas, même si c’est un univers assez geek pour un jeu grand public. On retombait cependant sur la même incohérence qu’avec mon tout premier prototype amérindien. Il fallait justifier non seulement le fait que des super héros collectionnent des œuvres d’art – on aurait sans doute pu trouver quelque chose – mais aussi qu’ils commencent par aller eux-mêmes les mettre dans les musées, et là, cela devenait plus compliqué.
J’ai donc fait une quatrième proposition, qui me semble fonctionner aussi bien que les pirates – les écureuils. Tout comme les pirates planquent leurs trésors dans des îles, comme une sorte d’assurance retraite, avant d’aller les récupérer pour leurs vieux jours, les écureuils passent l’été et l’automne à cacher de la nourriture dans des trous d’arbre, pour aller la récupérer l’hiver venu, si tant est qu’ils se souviennent ce qu’ils ont mis ou. J’ai rebaptisé le jeu Nuts, mais comme il y a déjà une cinquantaine de jeux de ce nom, l’éditeur va sans doute y mettre deux t, un z et des points d’exclamation partout.

La magie, le fantastique, la science-fiction, sont des thèmes fort pratiques pour les auteurs de jeux, surtout pour ceux qui, comme moi, aiment bien introduire un peu de chaos, un peu d’inattendu, un peu de vie dans des mécanismes sinon trop bien réglés. Dans un univers réaliste, il peut arriver que l’auteur ne puisse pas ajouter une carte, un effet, un pouvoir qui serait mécaniquement intéressant, qui créerait des choix angoissants ou amusants pour les joueurs, parce qu’il ne parvient pas à lui donner une justification thématique. Dans une course cycliste, une carte ne peut pas permettre d’échanger sa position avec celle d’un autre joueur. Dans une course de sorcières sur des balais, pourquoi pas – c’est magique. Dans un univers fantastique, même fantastique à la marge comme les explorateurs ou les pirates, tout est possible. Dans El Dorado, dans Treasure Islands, parmi les trésors oubliés ou enterrés se trouvaient des reliques aux pouvoirs magiques, et des statuettes maudites, introduisant des effets amusants. Je n’aimais pas l’idée d’écureuils magiques, et il a donc fallu trouver d’autres justifications pour les cartes un peu bizarres – ce sont les prédateurs, aux effets immédiats, et les baies et champignons, dont les effets peuvent durer plus longtemps. Cela tombe bien, l’illustrateur Cyril Bouquet, aime beaucoup dessiner les plantes et les animaux. Dans mon Attila, il avait déjà pris sur lui d’ajouter des lapins et des carottes.


Du premier prototype à la carte finale. Le symbole est resté.

Côté mécanique, j’ai juste dû défendre ma carte fétiche, que l’éditeur trouvait un peu violente. J’ai expliqué que cela faisait longtemps que je voulais, dans un jeu, mettre une carte “vous avez perdu”, et que c’était très amusant à en jouer si le joueur qui a cette carte devant lui a des moyens réels, mais pas trop faciles non plus, pour s’en débarrasser. Bref, j’ai insisté, et le fétiche à l’oreille cassée est devenue, chez les écureuils, une amanite tue-mouches.

Puisque l’on joue des cartes faces visibles et d’autres faces cachées, Nutz! est tout à la fois un jeu tactique et un jeu de bluff. Au moment de choisir un arbre pour y récupérer ses provisions d’hiver, un écureuil doit tenir compte de ce qu’il sait de son contenu, les cartes visibles, de ce qu’il ignore le plus souvent, les cartes cachées, mais aussi des jetons lunes qui s’y trouvent, et du rang de l’arbre qui déterminera l’ordre du tour pour l’année suivante. Rien de bien compliqué, mais des éléments suffisamment nombreux et variés pour permettre bien des choix, et quelques embrouilles.

Une partie de Nutz sur Tric Trac

Nutz! est un jeu de cartes qui n’a rien de révolutionnaire, et doit pas mal à l’une de mes premières créations, Corruption, mais c’est un jeu comme je les aime, simple, subtil (enfin j’espère) et assez méchant.
Il nous rappelle que les écureuils, qui ont aujourd’hui en occident une excellente image de marque, celle d’animaux prévoyants à la crinière flamboyante, ont longtemps eu une assez mauvaise réputation. La tradition médiévale voyait en effet dans ces rongeurs des animaux diaboliques, paresseux, lubriques, avares et voleurs. Dans la mythologie nordique, l’écureuil Ratatoskr répand insinuations et rumeurs et sème la discorde parmi les occupants d’Yggdrasil, l’arbre du monde. Ce sera pour un autre jeu…

Un écureuil médiéval

Post scriptum: je viens de voir une video de présentation du jeu de Matt Loomis Chickwood Forest, dont les mécanismes sont très proches de ceux de Nutz!. C’est clairement une coïncidence, les deux jeux ayant été conçus plus ou moins simultanément, et je pense que nous avons suivi un peu le même raisonnement à partir de l’idée de cartes pour partie cachées, pour partie visibles. Je vais essayer de trouver une occasion d’y jouer pour voir lequel des deux jeux est le plus intéressant. Et tant qu’on parle de Matt Loomis, je vous conseille, dans un tout autre style, son Seikatsu.

Nutz!
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Cyril Bouquet
2 à 4  joueurs  – 30 minutes
Publié par Blue Orange (2017)
Ludovox          Tric Trac          Boardgamegeek


Which one comes first, theme or mechanics ? This is probably the question I’ve been asked the most often as a game designer, and it has become boring. My answer varies, in part because my practice does, but also because it’s not always easy to distinguish one from the other. With Nuts, the case is clear, mechanics came first, as can be seen from the fact that the game had four successive settings, two of which, pirates and squirrels, were completely satisfying because they could give sense to most of the game systems.

Every game round is made of two consecutive phases. First, players add cards, sometimes face up, sometimes face down, to sets of three cards maximum. Then each player takes a set.
The first prototype was made using the graphic files for the new edition of Diamant, and was about looting treasures in ancient ruins.


The first version of the game, El Dorado, played at Atoine Bauza’s cafetiere.

The game mechanics worked really well, and there has been no major rule change since. Something, however, was not satisfying and prevented players from really jumping into the game. Ideally, a board game session must feel like an unfolding story, in which the player knows whom he plays, and therefore what his actions and goal represent. Even if a board game can never have the same thematic depth as a novel, a movie or even only a role playing game, it is still built on the same model. When my players friends were playing El Dorado, the name of my first iteration, and exploring inca or aztec ruins, the narrative didn’t work. There was no way to give a meaning to the first phase of every round, during which players were playing the treasure cards they will take in the second phase. Looters do not enter the caves to place treasures before exploring them to get them back. That’s not how it works.


The second version, Treasure Island, at a game convention where it clearly wasn’t the only pirates game.

The second setting – Pirates – worked perfectly. The treasures didn’t change much. There was the same mix of gold, jewels and cursed statues and magical artifacts, on the Caribbean islands as in the Incan temples. The storyline, one the other hand, was much more consistent. The game was now called Treasure Islands, and pirates were first burying their treasures on the various islands, and then getting back to unearth them when planning for retirement. The theme was now giving sense to the two phases of the game, placing cards and getting them back.


I’m not the first one facing a choice between pirates and squirrels.

The Blue Orange team liked the game and decided to publish it. They thought, however, that the pirates theme was seriously overexploited and looked for something more original. Their first idea was about super heroes looting museums. Why not, even though super heroes might a bit too geeky a theme for a light family game. The problem, however, was the same as with my first setting. We had to find a rationale not only for super heroes collecting antiques – this could be done – but also for them to first place the pieces in the museums, and it soon became a bit convoluted.
That’s why I suggested a fourth and completely different universe, squirrels, which works as well as pirates. Like pirates were first hiding treasures on the islands, as a kind of pension insurance, and take them back before retiring, squirrels spend summer and winter hiding food in hollow trees, and take it back in winter – if they can remember where it is. I called this new version Nuts, but since there are already several games with this name, the publisher will likely add a second t, a z, and a few exclamation marks.

Magic, Fantasy, Science Fiction are very convenient theme for game designers, especially those who, like me, like to add some chaos, some unexpectedness, in the usually too well tuned boardgames systems. The problem with realistic settings is that the game designer is often blocked with a funny effect, an interesting ability, a challenging choice for which he can find no thematic justification. In a bicycle race, there’s no possible rationale for swapping one’s position with that of another player; in a witches on brooms race, why not – it’s magic. In a fantasy world – even a marginally fantasy one, like explorers or pirates, almost everything is possible. Among the lost or buried treasures were relics with strange powers, and cursed artefacts with funny effects. I didn’t want magical squirrels, so I spent a long time looking for justifications for all the cards special effects. Instant effects are predator animals, such as foxes or owls, while lasting effects are berries or mushrooms, depending whether the effect is mostly good or bad. Luckily, the artist, Cyril Bouquet, is really good at plants and animals. In my Attila, he had already taken on himself to add rabbits and carrots.


From first prototype to final game, the symbol didn’t change.

As for the game systems, I had to fight to keep my fetish card, which the publisher thought too violently nasty. I have always wanted to have a “you lost!” card in a game, and I had to explain that this can be really fun to play if there are real, but not too easy, ways to get rid of it. I insisted, and the card is still there. In the squirrel world, the broken ear statuette has become a fly agaric.

Since cards are played sometimes face-up, sometimes face down, Nuts is both a game of tactics and bluffing. When choosing a tree to hide his food for the next winter, a squirrel must consider the cards already there, face up but also face down, and also moon tokens there, and the rank of the tree which will determine the next round’s player order. Nothing too complex, but enough different elements to make for varied strategies and some nasty tricks. Nutz! is nothing revolutionary or groundbreaking, and has been largely inspired by one of my first designs, Corruption, but it’s the kind of game I enjoy – simple, subtle (or so I hope) and sometimes nasty.


Presenting Nutz! at the Paris est Ludique game fair

Squirrels now have a very good image, at least in the western world – cute and careful animals with a fluffy fiery red tail. It has not always been so. In the Middle Ages, these rodents were seen as devilish, lazy, mean and lecherous animals. In the Norse mythology, the squirrel Ratatoskr runs up and down Yggdrasil, the tree of the world, spreading nasty rumours and insinuations. May be in another game…..

Ratatoskr climbing on Yggdrasil

Post scriptum: I just watched a video presenting Matt Loomis’ Chickwood Forest, whose game systems are very similar with Nutz!. Both games were designed more or less simultaneously, and it’s clearly a coincidence. I bet we made the same logical reasoning starting from the idea of rows of cards played half face up and half face down. I’ll try to play it one of these days, if only to see which of our games plays better. And by the way, I strongly recommend, in a completely different genre, another game by Matt, Seikatsu.

Nutz!
A game by Bruno Faidutti
Art by Cyril Bouquet
2 to 4 players  – 30 minutes
Published by Blue Orange (2017)
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