Reigns – The Council ou The King’s Dilemma ?
Reigns – The Council or The King’s Dilemma?

Je connais bien Lorenzo Silva et l’équipe de Horrible Games. Ce sont des habitués de mes rencontres ludopathiques, et j’ai un jeu qui devrait sortir chez eux l’an prochain, Vendetta, un jeu de cartes dans l’univers de Vampire – The Masquerade réalisé avec mon ami Charlie Cleveland.

À l’automne dernier, Hervé Marly et moi avons été recrutés par l’équipe responsable de Reigns, petit jeu sur téléphone rapide et rigolo, pour en faire une adaptation en jeu de société. Reigns – The Council, actuellement en souscription sur kickstarter, est un jeu de cartes rapide et rigolo qui recrée très bien l’ambiance un peu déjantée de Reigns. L’un des joueurs est le roi, les autres ses conseillers. À tour de rôle, les conseillers font leurs propositions au roi, tentant d’atteindre leurs objectifs secrets, tandis que le monarque cherche seulement à survivre le plus longtemps possible. C’est un jeu d’ambiance rapide et rigolo, dans lequel ce sont les joueurs eux mêmes qui inventent l’histoire.

Du coup, j’ai été un peu gêné lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de The King’s Dilemma, jeu de Hjalmar Hachs et Lorenzo Silva, qui devrait paraître bientôt chez Horrible Games. De toute évidence, The King’s Dilemma s’inspire aussi clairement de Reigns, et les jeux ont beaucoup en commun, ne serait-ce que les objectifs secrets des conseillers et les pistes rendant compte de l’état du royaume, de ses finances, de son armée, de son église…

Fort heureusement, si l’inspiration est la même, Hervé et moi d’un côté, Hjalmar et Lorenzo de l’autre, sont partis des directions opposées, comme le laissent déjà deviner les deux images de couverture des boites de jeu, ci-dessus. Le même roi y est représenté dans des styles bien différents.

The King’s Dilemma est un « Legacy Game », conçu pour que les mêmes joueurs fassent une vingtaine de parties d’affilée. Le jeu est sérieux, assez complexe, et l’on imagine que le roi n’est pas le seul à s’y prendre la tête. Les événements auxquels le royaume fait face ne sont pas issus de l’imagination débridée des joueurs, ils sont décrits en détail sur les cartes. Aucun joueur ne joue le roi, ce sont les conseillers qui votent chacune des décisions du conseil, le monarque se rangeant sagement à l’avis de la majorité.

D’une certaine manière, The King’s Dilemma est plus proche de la logique mécanique de Reigns, même s’il la complexifie un peu, tandis que Reigns – The Council est plus proche de son esprit décalé. Maintenant, c’est à vous de choisir – mais si The King’s Dilemma sera dans les boutiques, Reigns – The Council n’est, pour le moment, que sur Kickstarter.


I know quite well Lorenzo Silva and the Horrible Games team. They are regulars at my yearly ludopathic gathering, and they even ought to publish one of my games in a few months, Vendetta, a card game in the Vampire – The Masquerade universe designed together with my friend Charlie Cleveland.

Last fall, Hervé Marly and I have been asked by the team behind Reigns, the fun best)-selling phone game, to adapt it as a boardgame. The result of this collaboration, Reigns – The Council is now on kickstarter. It’s a fun and light card game which aims at recreating the zany feel of the video game. One of the players plays the king, the other ones are his counsellors. Each counsellor on turn makes a proposition to the king, who must accept it or not. Counsellors have different secret goals, while the king is only trying to keep his throne as long as possible. It’s a fun and fast paced party game, in which the players themselves are telling the story.

I was obviosuly a bit concerned when I first heard of The King’s Dilemma, a game by Hjalmar Hachs and Lorenzo Silva soon to be published by Horrible Games. The King’s Dilemma is also obviously inspired by Reigns, and it clearly has some elements in common with our, like the counsellors’ secret goals, or the tracks used to show the state of the kingdom, its treasury, its army, its church…

The inspiration was the same but, luckily, Hjalmar and Lorenzo went in a direction opposite to the one Hervé and I had chosen. Well, you probably guessed it with looking at the two cover pics above, which have very different styles, even when both show the King.

The King’s Dilemma is a « Legacy game » designed to be played in seasons of about twenty games, with the same players. The game is serious, involved, somewhat complex, and the king might not be the only to scractch his head. The events are not imagined by the players, they are carefully described on the game cards. There’s no king player, the counsellors vote and the king is supposed to follow the majority.

In a way, The King’s Dilemma is more true to the algorithmic logic of the Reigns video game, while Reigns – The Council is more true to its spirit. Now, it’s your choice – but while King’s Dilemma will be in the shops, Reigns – The Council is only on Kickstarter so far.

Reigns sur Kickstarter
Reigns on Kickstarter

Reigns – The Council est un jeu de cartes rigolo et théâtral conçu avec mon ami Hervé Marly et inspiré du petit jeu sur téléphone Reigns. L’un des joueurs, le roi, cherche à maintenir l’harmonie du royaume pour régner le plus longtemps possible, tandis que ses conseillers poursuivent chacun des objectifs personnels et, bien sûr, secrets.
Reigns est en financement participatif sur kickstarter jusqu’au 1er octobre.

Reigns, The council is a fun and theatrical card game designed with my friend Hervé Marly and based on the fun and light phone game Reigns. One player is the King or Queen, trying to maintain harmony in the realm and to reign as long as possible. The other players, the monarch’s advisors, try to influence them towards their own personal – and secret – goals. Reigns is on Kickstarter until october, 1st.

Des visages, des figures
Faces of people

Il y a quelques semaines, j’ai lu sur twitter un tweet de l’auteur de jeux video pour mobiles, Arnold Rauers. Il y expliquait pourquoi, même si cela pouvait sembler un peu bizarre et prétentieux, il avait décidé de mettre sa photo sur son site web, sur ses jeux, un peu partout. Non par prétention ou désir d’être reconnu dans la rue, mais pour rappeler que les jeux sont faits par des gens, sont plus des créations artistiques ou littéraires que des objets techniques.
J’ai répondu que je devrais faire de même, puis ça m’est un peu sorti de la tête. Je viens d’y repenser, mais dans le thème WordPress que j’utilise, ce n’est pas si simple. La bannière en haut de page présente, aléatoirement, l’un de mes jeux récemment publiés, et je ne voulais pas la remplacer. Du coup, j’ai mis une petite image dans la colonne de droite, juste au dessus des liens. Pour l’instant, c’est mon portrait dans Reigns – The Council, mais je le changerai de temps à autre. C’est discret, mais c’est là.
C’est la même démarche que celle qui me fait protester chaque fois que quelqu’un prétend écrire un “test” de jeu et non une critique, ou présente un jeu avec le nom de l’éditeur et non celui de l’auteur. Nous savons que nous sommes des auteurs, mais si nous voulons être reconnus comme tels, il faut le rappeler de temps à autre, jusqu’à ce que ça rentre ! C’est aussi pour cela que, chaque fois qu’on me le propose, j’accepte d’être caricaturé dans mes jeux. Il m’est même arrivé une ou deux fois de le suggérer.
J’invite donc tous les auteurs de jeux à faire de même – mais en fait, je viens de regarder quelques sites webs, beaucoup m’avaient devancé.

A few weeks ago, I’ve read a tweet by Arnold Rauers, a mobile video game designer, in which he explained why he had just added a portrait of himself on his website and in all his games, even when it feels a bit awkward, if not pretentious. It’s to push the idea that games are made by real people, are more literary or artistic creations than technical objects.
I answered that I should do the same, and I forgot about it. I just rememebered it, but found no really good way to do it within my wordpress theme. I only have one head banner, which randomly displays one of my recently published game, and I didn’t want to change this. So I added a small picture in the right column, just above the links. At the moment, it’s my portrait in Reigns, The Council, but I’ll probably change it from time time. It’s discreet, but it’s there.
For the same reason, I systematically protest every time a French game reviewer uses the word “test” instead of review (you don’t have this problem in English), or every time a game is presented with naming the publisher and not the designer. For the same reason also, every time a publisher asks me if I want to be caricatured on a game card, I always accept – I even suggested it once or twice.
I urge all game designers to do the same. Wel, I just checked a few websites and noticed that many have already done it.

Animocrazy 豬事議會

Animocrazy est la nouvelle version de Democrazy, publiée en anglais et chinois par Jolly Thinkers, sympathique petit éditeur de Hong Kong. Ils cherchent des partenaires pour produire ce jeu dans d’autres langues et pays.

Au tout début des années 2000, j’ai publié une série de petits jeux de cartes chez un éditeur aujourd’hui disparu mais à l’époque assez important, Jeux Descartes. Les « Blue Games » étaient des jeux simples, dynamiques, avec un matériel minimal, et ils ont plutôt mieux vieilli que mes projets plus ambitieux. Le plus connu, L’Or Des Dragons, a été récemment repris par White Goblin et IDW. Corruption est un peu l’ancêtre de l’une de mes dernières créations, Venture Angels. Castel, conçu avec Serge Laget, devrait revenir en 2020, dans une version orientale et profondément remaniée. Democrazy s’inspirait d’un jeu plus complexe et plus ancien encore, Das Regeln wir Schon, de Karl-Heinz Schmiel – et, non, je ne connaissais alors pas Nomic. Rebaptisé Animocrazy, Democrazy revient donc en 2019 à Hong Kong, et, oui, il y a là une certaine ironie.

Animocrazy est un jeu d’ambiance rapide et rigolo, qui gagne à être joué par des groupes assez nombreux. Chaque joueur dispose de jetons – pardon, de bonbons – de différentes couleurs, qui en début de partie valent tous un point, de trois cartes vote (oui, non, et une carte spéciale) et d’une main de cartes « propositions de loi ». Chacun à son tour soumet au vote des joueurs une proposition de loi de sa main, qui, selon sa couleur rouge, bleue ou jaune peut soit avoir un effet immédiat, soit modifier les règles du jeu, soit modifier le score en fin de partie. Plus le jeu avance, plus la combinaison des lois votées crée des configurations bizarres, parfois un peu tarabiscotées et toujours amusantes. Bref, la démocratie, c’est le bordel – mais il vaut mieux un bordel joyeux et sympathique qu’un ordre propre, lourdingue et mortifère.

Pour cette nouvelle édition, Jolly Thinkers a modifié ou remplacé quelques cartes, mais les systèmes de base du jeu restent les mêmes. Graphiquement, ils ont opté pour un retour aux sources de la démocratie, avec un univers grec tout en colonnes doriques ou ioniques (ne me demandez pas la différence), mais pas trop sérieux quand même car peuplé des animaux rigolos et un peu patauds qui, depuis le succès de Pick-a-Dog et Pick-a-Pig, sont devenus la marque de l’éditeur. On peut aussi y voir une référence à la ferme des animaux.


Avec Joyce et Gordon de Jolly Thinkers, au salon d’Essen 2019


Animocrazy is a new edition of Democrazy, now published in Chinese and English by Jolly Thinkers, a nice and small publisher from Hong Kong. They are looking for partners to produce the game in other languages and countries.

In the early 2000s, I designed a series of small card games published by what was then the main French publisher of modern board games, Jeux Descartes. The so-called « Blue Games » were light and fast paced card games with few components, and they aged much better than my bigger and more ambitious projects. The best known, Dragons Gold, has recently been republished by White Goblin and IDW. Corruption was the predecessor of one of my last designs, Venture Angels. Castle, designed with Serge Laget, ought to be back in 2020 in a completely revamped edition. Democrazy was inspired by an older design by Karl-Heinz Schmiel, Das Regeln Wir Schon – and, no, I didn’t know yet about Nomic. Under the new name Animocrazy, Democrazy is now back in Hong Kong – and, yes, there is some irony here.

Animocrazy is fast and fun party game, best played with a large group of 6 players or more. Each player has tokens – now candies – in different colors; at the beginning of the game they all have a value of one point. Each player also has three voting cards, one yes, one no, and a random special card, as well as a hand of law cards. Each player in turn submits a law to the players’ vote. Depending on the card color, red, blue or gold, an accepted law card can have an instant effect, modify the game rules, or affect the final scoring. As the game goes on, the combination of voted laws creates strange, fun and sometimes convoluted situations. In the end, Democracy is a mess, but it’s a fun and nice mess, which is so much better than a clean, heavy and often deadly order.

For this new edition, Jolly Thinkers has modified or replaced many cards, but the basic systems are the same as in the original game.
The graphic setting is a cool and light mix. The fun and fat animals common to all the Jolly Thinkers games since Pick-a-Dog and Pick-a-Pig wear greek togae and hold speeches between ionic or doric (don’t ask me) columns. One can also interpret it as a reference to Animal Farm.


A game of Democrazy at the 2019 Essen game fair.

Jouer à Téhéran
Boardgaming in Tehran

Des joueurs iraniens jouant à Dej, la version locale de Citadelles, dans un café jeu de Téhéran
Iranian gamers playing Dej, the local edition of Citadels, in a Tehran game café.

Je rentre d’une semaine à Téhéran, à l’invitation de mon éditeur local, Houpaa. Le voyage a été intéressant et instructif.

There are ways…

L’Iran est un pays qui intrigue, et que l’on imagine plutôt fermé et traditionnel. Je n’y suis resté qu’une semaine, je ne suis pas vraiment sorti de Téhéran, mes impressions doivent sans doute beaucoup au petit groupe que j’ai fréquenté, des jeunes intellectuels de la capitale, mais je l’ai trouvé à l’inverse moderne, ouvert et accueillant.
Téhéran est une ville monstre, 15 millions d’habitants répartis sur 20 kilomètres de long, les pauvres au sud, les classes moyennes au centre, les riches au nord, sur les collines. Les larges avenues sont perpétuellement embouteillées et, sous un soleil de plomb, la conduite s’y apparente à un jeu video violent dans lequel on ne sait jamais vraiment qui est allié ou ennemi.

La vue depuis ma chanbre d’hôtel 
View from my hotel room

La vie sociale m’y a rappelé l’Europe de l’Est peu avant la chute du communisme. Le totalitarisme soft y tourne parfois à l’absurde, le boardgamegeek étant bloqué mais pas le site du New York Times. Le régime religieux n’a guère de problèmes avec l’incroyance de la jeunesse et accepte clairement de ne pas être pris très au sérieux dans la vie quotidienne, mais pas d’être ouvertement contesté. On vit moins dans l’hypocrisie que dans la distanciation, avec humour et légèreté. Pas d’alcool mais « there are ways », ways que je n’ai cependant pas cherché à explorer car je m’étais dit qu’une semaine sèche me ferait du bien. Pas d’accès à Facebook ou Twitter mais « there are ways », et on m’aurait peut-être répondu la même chose si j’avais parlé de Tinder. Les femmes vivent le foulard obligatoire comme une humiliation, mais « there are ways » pour respecter la règle tout en s’en moquant.

Téhéran la nuit – la place Tajrish, dans le nord de la ville
Tehran by night, Tajrish square, in the nothern part of the city.

Si le pouvoir religieux n’est clairement pas très populaire parmi les quelques personnes avec qui j’ai pu discuter, Donald Trump l’est moins encore et personne ne comprend la logique de sanctions économiques qui, par réflexe obsidional, ne peuvent que renforcer le régime qu’elles sont censées combattre.
Malgré la situation un peu particulière de l’Iran sur la scène internationale, Téhéran fait tout pour être une ville « normale » et animée. J’étais en Iran dans une période de relative tension avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, mais je n’en aurais rien su si je n’avais pas, de retour le soir à mon hôtel, parcouru rapidement les sites du Monde et du New York Times. Personne n’y semble vraiment croire à la possibilité d’une guerre. Les iraniens que j’ai rencontrés sont certains que leur gouvernement bluffe, et pensent qu’il en va de même pour Donald Trump, ce dont j’aimerais être aussi sûr.

Le bazar de Tajrish
Tajrish bazar

Jouer en Iran

L’Iran est le seul pays du Moyen-Orient dans lequel s’est développé un véritable intérêt pour les jeux de société modernes, et même une petite scène ludique, avec des joueurs, des auteurs, des éditeurs, des sites web comme Roomizgames, des blogs, des podcasts. Rien de tel dans les pays arabes, ni même en Turquie, ou en tout cas à une échelle bien moindre. J’ai toute une séries d’idées pour expliquer cela, mobilisant culture, histoire et géopolitique, mais pas vraiment le temps de les détailler ici.
L’effondrement récent du rial iranien fait que les ventes de jeux importés sont assez modestes, limitées à la bourgeoisie des grandes villes – j’ai quand même vu dans une boutique une boite de Scythe pour un prix représentant environ les deux-tiers du salaire moyen. On trouve en revanche, pour dix ou vingt fois moins cher que les jeux en anglais importés, quelques créations d’auteurs iraniens et des éditions locales de jeux occidentaux. Ces versions en persan sont certes encore parfois des copies non autorisées, mais le phénomène est en perte de vitesse. Selon un schéma que l’on a déjà vu dans d’autres pays émergents, les éditeurs iraniens cherchent de plus en plus à travailler légalement et à s’intégrer au petit monde ludique mondial. Reste bien sûr le cas des américains qui ne peuvent vendre de licence à des iraniens et risquent donc d’être copiés un peu plus longtemps que les autres. Outre les jeux de stratégie abstraits, dont la gamme Gigamic largement disponible ici, les jeux de bluff ou d’identité secrètes sont les plus populaires. Dej, édition locale et tout à fait autorisée de de mon Citadelles, magnifiquement illustrée par Hassan Nozadian, vient d’être retiré à 5000 exemplaires après qu’un premier tirage de 8000 a été rapidement vendu, des chiffres dont se satisferaient bien des éditeurs français.

Café Board was my operation center in Tehran.
Le Café Board était mon quartier général à Téhéran.

Il y a surtout, dans les grandes villes, une centaine de café jeux, qui font aussi boutique. Le public y est jeune, mixte et éduqué, passablement occidentalisé – j’ai croisé quelques belles silhouettes de hipsters – et l’ambiance est la même que dans les cafés jeux de Paris ou de Tokyo (quelques adresses à Téhéran ici). On y joue toute la journée, on y sert du thé et du café et, surtout, les délicieux sirops glacés plein de graines bizarres que l’on boit partout ici. J’ai passé une après-midi dans le plus ancien d’entre eux, le Café Board, où les joueurs jouaient à Wingspan, Splendor, Cash’n’Guns, Chinatown, Dixit, Codenames ou bien sûr Dej. J’en ai profité pour faire tourner quelques uns de mes prototypes.

Le pot de sortie de Korobar, avec toute l’équipe de Houpaa
Presenting Korobar, with the whole Hoopa team

Houpaa, ou Hoopa, la société d’Alireza Lolagar, qui m’avait invité, est le principal éditeur de jeux de société iranien. Houpaa publie de la littérature pour enfants, des jeux familiaux, et s’est lancé avec Dej dans les jeu de société plus adultes. Mon passage à Téhéran a été l’occasion pour Houpaa de présenter sa dernière nouveauté, Korobar, la traduction de mon Venture Angels. J’ai passé pas mal de temps dans leurs bureaux du centre-ville, montrant quelques uns de mes prototypes ou jeux récemment publiés.

Un autre éditeur, Roomiz games, publie dans quelques semaines une version couleur locale de l’un de mes jeux de cartes préférés, Condottiere, de Dominique Ehrhard.

Créations locales

Dorehami games, publie bientôt un jeu d’identités secrètes assez original, Deux Khans. Reality game, publie Zaar, un ambitieux jeu d’horreur basé sur des légendes locales avec démons, exorcismes et tout ça. Tous deux partageront avec Houpaa un stand iranien au prochain salon d’Essen.
(Note: Twitter, Facebook et telegram étant plus ou moins bloqués ici, Instragram sert à tout. c’est pour cela que je mets beaucoup de liens instagram.)

J’essaie le prototype d’un auteur iranien chez Houpa games.
Playing an Iranian designer’s prototype at Hoopa.

Le petit monde du jeu de société iranien, une demi-douzaine d’éditeurs, une vingtaine d’auteurs et quelques illustrateurs, compte bien en effet ne pas se limiter à produire pour le marché local. De premières créations originales, dont m’a-t-il semblé pas mal de jeux à identités secrètes, ont été publiées en Iran. Rien ne s’oppose à ce qu’elles parviennent en Europe, et j’espère que rien ne s’opposera bientôt à ce qu’elles atteignent les États-Unis.
Tous ici m’ont tous cité les exemples du Japon et de la Corée du sud qui, partis de presque rien, sont devenus en quelques années tout à la fois des marchés importants et des lieux de création ludique originale.

Zaar

Toute la journée du samedi, j’ai animé un atelier de création avec une vingtaine de jeunes auteurs iraniens, talentueux, passionnés, et très curieux d’apprendre quelques « trucs » d’un vieil auteur comme moi. C’est un exercice auquel je me suis déjà livré quelques fois en Europe, et ce n’était en rien différent ici.

Un chat sauvage de Téhéran
Tehran wild cat

Le rêve de beaucoup est de placer un jeu en occident, et certains envisagent même le voyage à Essen. Pour avoir plus de chances de se faire remarquer des éditeurs européens, je suggérai de jouer l’exotisme et de partir d’un thème typiquement persan. Je proposai les chats, qui me semblent être les véritables maîtres de Téhéran, et m’attendais un peu aux tapis, d’autant que j’avais déjà quelques jours auparavant joué à un prototype sur ce thème.

Je me suis retrouvé avec, sur les six jeux proposés, deux sur le thème du Taarof, les règles de politesse iraniennes, qui valent bien les japonaises. Le jeu qui m’a semblé le plus original et le plus intéressant, mais qui était loin d’être abouti, porte sur le Qanât, ancien système d’irrigation amenant l’eau souterraine dans les villages, qui a donné le français canal.

Game design Workshop

Il y avait là des auteurs talentueux, qui ont la même culture ludique que ceux que j’ai pu croiser lors d’ateliers similaires en Europe. Après l’Europe de l’Est, puis le Japon, puis la Corée, puis peut-être la Chine, je ne serais donc guère étonné que les iraniens ne soient, dans les années qui viennent, les prochains à apporter un peu d’air frais, pourtant bien rare à Téhéran, dans la création ludique. Ce qu’il manque sans doute en Iran, c’est une convention de jeu de société, un salon, qui pourrait être un moyen de faire découvrir la scène ludique locale aux acteurs étrangers.

Je termine ce compte rendu dans l’aéroport d’Istanbul, en attendant ma correspondance pour Paris. Je reviens d’un pays sympathique, accueillant, mais surtout, contrairement à ce que l’on imagine souvent en occident, d’un pays moderne et « normal ». Je l’ai déjà dit au début de cet article, mais je le répète ici parce que c’est le message que tous les iraniens que j’ai croisés m’ont demandé de faire passer. C’est vrai en matière de jeu, mais c’est surtout vrai en général.


Un café jeu à Téhéran 
A boardgame café in Tehran

I’m just back from one week in Tehran, where I was invited by my local publisher, Houpaa games. It was an interesting and enlightening travel.

There are ways…

Iran is an intriguing country. The idea most western people have of it is of a traditional, closed and rather restrained society. I stayed there only one week, I didn’t really leave Tehran, and my impressions of Iran are certainly informed by the people I was hanging out with, young intellectuals from the capital. These are strong caveats, but Teheran gave me the opposite impression, that of a modern, hospitable and very open city.
Teheran is a monstrous city, 15 millions inhabitants, the poor ones in the south, the middle class in the center, the rich in the north, on the hills. Despite large avenues, traffic jams never really recede and, under a blazing sun, driving feels like a violent video game where one never knows who is friend or foe.

Tehran by night : Street food
Téhéran la nuit : street food

In some ways, the social life reminded me of Eastern Europe a few years before the fall of the Berlin Wall. Totalitarianism has become soft and feels a bit absurd  – the boardgamegeek website is blocked but the New York Times isn’t. The religious regime has no real problem with young people not being religious at all and not following the rules in their daily life, as long as it can keep up appearances and there’s no open contestation. The result is not hypocrisy but light hearted, often humorous, distanciation. There’s no alcohol but “there are ways”, ways I didn’t take the time to explore because I decided a dry week could do me good. There’s no Facebook or Twitter but “there are ways”, and I wonder if I would have had the same answer about Tinder. Women resent the compulsory scarf, but “there are ways” to simultaneously respect the rules and mock them.

Tehran parks are really enjoyable. I forgot to take a picture of old men playing dominoes.
Les parcs de Téhéran sont très agréables. J’ai oublié de prendre une photo de petits vieux jouant aux dominos.

While the religious regime is clearly unpopular among the educated people I spoke with, Donald Trump is even more since no one here understands the logic of economic sanctions which generate an obsidional reflex and thus foster the regime they are supposed to fight.
Despite the very specific situation of Iran on the international scene, Tehran tries very hard, and quite successfully, to be a normal and lively city. I was there in a time of great tension with the US and Great-Britain, but I would not have noticed it if I had not, when back at my hotel at night, browsed the Le Monde and New-York Times websites. No one there, however, seems to believe in a war. The Iranians I talked with are certain their government is bluffing and think it’s the same with Donald Trump – I wish I was as confident.

Tajrish Bazar.

Boardgaming in Iran

Iran is the only country in the Middle-East where modern boardgames got a real following. There’s even a small but striving gaming scene, with players but also designers, publishers, websites like Roomizgames, blogs and podcasts. There’s nothing like this in the Arab world, or even in Turkey. I’m thinking of a few explanations using culture, history and geopolitics, but I don’t have the time to develop them here.

Due to the recent fall of the Iranian rial, imported games are unaffordable for anyone except the big cities bourgeoisie – but I checked in a shop a copy of Scythe, at a price of two-thirds of the average monthly wages. There are, however, a few games by Iranian designers and several localizations of western games. These persian language versions are sometimes unauthorized copies, but this is less and less the case. Just as it happened before in a few other emerging countries, Iranian publishers are more and more trying to do things legally and to enter the  global boardgaming world. Of course, US publishers, who are forbidden to license their games in Iran, might keep getting copied a bit longer.

With Hassan Nozadian, left, illustrator of Dej, and Alireza Lolagar, right, the publisher.
Avec Hassan Nozadian, illustrateur de Dej, et Alireza Lolagar, l’éditeur.


Aside from abstract two players games, like the Gigamic line which can be found everywhere, bluffing and hidden identity games are clearly the most popular. Dej, the perfectly legal and authorized persian version of my Citadels has quickly sold a first 8.000 copies print run, and a second print run of 5000 copies just hit the shelves. I know many western publishers who would be happy with such numbers.

Last but not least, there are about 100 boardgame cafés, usually also selling games, in the big cities of Iran (a dozen adresses in Tehran). The regulars are mostly young and educated people of both sexes, many of them quite westernized. I spotted a few true hipster silhouettes, and the mood is not different from that of boardgame cafés in Paris or Tokyo. People play all day long, drinking tea, coffee and strange syrups full of strange seeds. I’ve spent a full afternoon in the oldest one, the Café Board. Gamers were playing Wingspan, Splendor, Cash & Guns, Chinatown, Dixit, Codenames and, of course, Dej. I seized the opportunity to playtest a few of my prototypes.

I was invited by Houpaa, or Hoopa, the biggest Iranian game publisher, and its head Alireza Lolagar. Houpaa publishes mostly children books and family games, and Dej was their first try at more adult games. My stay in Tehran gave an opportunity to launch Korobar, the persian translation of my Venture Angels. I spent some time in their offices, in the center of Tehran, where I pitched them some of my last prototypes and games recently published in Europe. Another publisher, Roomiz games, will soon publish a “local style” version of one of my favorite card games, Dominique Ehrhard’s Condottiere.

akab, la version persane de Condottiere.
Rakab, persian take on Condottiere

Iranian design

Another Iranian publisher, Dorehami games, showed me an interesting and original hidden identity game, Two Khans. Another one, Reality Game, publishes Zaar, an ambitious locally designed persian horror game based on old persian legends about demons and exorcism, with impressive components. They will share with Houpaa an iranian booth at the next Essen fair.
(Note : Twitter, Facebook and Telegram being more or less blocked here, Instagram is used for everything, that’s why there are many instagram links in this post).

Zaar

The very small Iranian boardgaming world, five or six publishers, a two dozen game designers and a few illustrators, now aims at more than the local market. Several Iranian designed games have already been published there, many of them hidden identity games. There’s no reason why they could not arrive in Europe, but reaching the United States might prove difficult (hint for my American friends : if you want to help, just get rid of Trump in 2020). People here regularly told me they wanted to emulate Japan and South Korea which, in a few years, have become both major markets and major sources for boardgames.

Trois jeux d’identités secrètes originaux.
   Three original secret identity games

On Saturday, I held a game design workshop with two dozens of young Iranian designers. They are talented, passionate, and eager to learn some tricks from a seasoned game designer. I had already held similar workshops in Europe and it was in no way different.

Tehran wild cat 
Un chat sauvage de Téhéran

Their dream is to get a game published in the west, and some of them are considering a trip to Essen. In order to be noticed by European publishers, I suggested they play the exotic card and I told them to start from a typically persian theme. I suggested cats, which I suspect are the true masters of Tehran, and was expecting carpets, since I had already been shown a persian carpets prototype. I got two games about Taarof, the persian politeness rules, which seem to be as sophisticated as the japanese ones. The most exciting project, ambitious but unfinished at the end of the day, was one about Qanat, the old irrigation system bringing water from underground wells, which gave the English word Canal.

ame design workshop – the Qanat team .
L’atelier de création, avec l’équipe “Qanat”

There were really talented designers there, with the same gaming culture as the ones I’ve met at similar meetings in Europe. After eastern Europeans, Japanese, Koreans, now may be Chinese, I would not be surprised if Iranians were the next ones to bring some fresh air in the boardgaming world – even when fresh air is quite rare in Teheran. What’s lacking also in Iran is a game convention, even modest in the beginning. It could be a way to show the Iranian boardgame scene to foreign designers and publishers.

I’m finishing to write this report in the Istanbul airport, waiting for my connecting flight to Paris. I’m back from a nice and hospitable country but, most of all, from a modern and “normal” country. I’ve already said this at the beginning of this post, but I repeat it here because many in the west don’t know this, and because it’s the message all the Iranians I’ve talked with have asked me to repeat again and again. It’s true with boardgames, but it’s also true in general.

Playing Dej with the Houpa team.
Une partie de Dej avec l’équipe de Houpaa

Quelques réflexions sur la réforme du lycée (sorry, French only)

Si le complotisme consiste à attribuer à certains des intentions machiavéliques bien différentes de celles qu’ils professent et que tout le monde leur reconnaît, l’analyse de la réforme du lycée mise en place par monsieur Blanquer que je vais proposer ici, et que je crois n’avoir encore lue nulle part, relève indiscutablement d’un complotisme que j’ai généralement plutôt tendance à moquer.
Des collègues enseignants avec qui j’en ai discuté trouvent ma théorie un peu délirante. Certains assurent que la réforme qui partait d’une bonne intention – casser les filières du lycée général – est simplement bâclée et mal fichue, et que les choses finiront par s’arranger. D’autres pensent que le seul objectif est de faire des économies en supprimant progressivement le bac et en cassant les classes pour mettre systématiquement tous les profs devant des groupes de 35 élèves. Ils ont peut-être raison.

Pourtant, plus je vois les choses se mettre en place dans les lycées, plus je vois le sabotage délibéré du bac par le ministère, plus me vient à l’esprit une hypothèse plus machiavélique. J’espère avoir tort.

Depuis mai 68, les réformes successives de l’enseignement ont presque toujours contribué à le rendre plus démocratique, moins inégalitaire. Si ces évolutions ont certes toujours été, comme l’ont montré Bourdieu et Passeron, en partie hypocrites et illusoires, elles étaient aussi en partie réelles – disons moitié-moitié. Les lycées dans lesquels j’ai enseigné ces dernières années ont encore un fonctionnement culturellement biaisé en faveur des fils de bourgeois – et surtout de profs – mais les progrès n’en sont pas moins immenses si je les compare au lycée où j’ai étudié dans les années soixante-dix.
Ce souci de démocratisation, y compris sous des gouvernements de droite, était lié à une analyse de la croissance économique héritée des trente glorieuses. Le progrès social et technique allait augmenter sensiblement le niveau de qualification nécessaire pour occuper les emplois disponibles. Il fallait donc former le plus de jeunes possible, et les former le plus possible. L’augmentation prévisible du vivier de bons emplois, combinée à l’avantage que continuait à apporter la culture classique, devait assurer que la « montée en gamme » des meilleurs fils d’ouvriers ne se fasse pas aux dépens des fils de bourgeois, et même que la (relative) méritocratie contribue à la paix sociale.

Cela n’a marché qu’un temps. Le premier signe indiquant que le système ne fonctionnait plus très bien a été ce que l’on a appelé le « paradoxe d’Anderson », le fait qu’un nombre de plus en plus important de jeunes, après avoir réussi leurs études et obtenu un niveau de diplôme supérieur à celui de leurs parents, se retrouvent néanmoins à occuper des positions sociales équivalentes, voire moins favorables. Puis est arrivé le déclassement de quelques enfants de bourgeois, et c’est sans doute là que nos dirigeants ont paniqué. La première défense a alors été le truisme selon lequel le bac n’est plus ce qu’il était, le niveau baisse, etc.

Le système éducatif a trop bien joué son rôle. La qualification des emplois a bien augmenté, mais la qualification des jeunes arrivant sur le marché du travail a augmenté encore plus vite, créant inévitablement des frustrations. Le problème n’est pas spécifique à la France, il se pose de manière similaire en Italie, par exemple, et même dans des pays moins riches comme l’Algérie. Il est moins grave chez nos voisins allemands dont le système éducatif est très différent.

C’est dans ce contexte qu’il faudrait comprendre la réforme du lycée. D’une certaine manière, monsieur Blanquer ne reproche pas à l’enseignement secondaire de mal fonctionner, il lui reproche de trop bien fonctionner.

L’économie française n’a finalement besoin que d’un certain nombre de personnel qualifié, et beaucoup pensent que ce nombre n’augmentera plus comme il l’a fait dans les trente glorieuses. Certains analystes pensent même que le progrès technique, après avoir bénéficié aux emplois qualifiés, commence à les concurrencer et que les emplois de demain seront surtout créés dans les services uberisés.

Dans ces conditions, nos gouvernants ne voient plus l’intérêt d’un enseignement cherchant tout à la fois à apporter le plus de formation possible à tous et à sélectionner les meilleurs. Apporter le plus de formation à tous ne serait plus économiquement rentable et risquerait même de créer des aigris, des frustrés, ce qui serait dangereux. Chercher à sélectionner les meilleurs alors que les bonnes places ont cessé de se multiplier risquerait de concurrencer leurs chères têtes blondes.

Du coup, il faudrait aussi discrètement que possible revenir sur la démocratisation, pourtant inachevée, de l’enseignement. Et c’est peut-être là l’explication d’une réforme du lycée qui, en supprimant de fait le bac national, remplacé par la combinaison contrôle continu – parcoursup, va avant tout renforcer les inégalités déjà fortes entre les lycées, les villes, les régions.

Cette analyse est peut-être un peu tarabiscotée. Il se peut très bien que monsieur Blanquer ait juste improvisé une réforme mal foutue pour laisser son nom dans l’histoire ou faire quelques économies. Et il est vrai que, comme le disait Michel Rocard, l’hypothèse de la connerie est toujours plus plausible que celle du complot, la connerie étant largement plus répandue.

Un jeu de……
A game by…

Dans les années soixante-dix, le nom de l’auteur d’un jeu ne figurait généralement pas sur la boite, et parfois même pas dans les règles. Il a fallu que les auteurs se battent pour obtenir cette reconnaissance qui aujourd’hui est devenue une évidence.
Plus récemment, il m’a semblé constaté le retour, sur certains sites webs, pourtant souvent tenus par des connaisseurs du monde ludique, à présenter un jeu en donnant le nom de son éditeur et non celui de son auteur (un exemple ici, un autre là). Ceux qui lisent régulièrement mon site web auront sans doute constaté que, à l’inverse, je fais bien attention à toujours citer les auteurs d’un jeu, souvent uvent également les illustrateurs lorsque leur rôle me semble important, et n’indique pas toujours l’éditeur.

Certes, chaque éditeur a un style, une gamme, qui peut aider à savoir à qui s’adresse un jeu, surtout quand les parutions deviennent nombreuses. Il est donc tout à fait normal de le citer. Il reste que, comme en littérature ou en musique, l’auteur devrait être cité en premier, ne serait-ce que parce qu’il est, justement, l’auteur. Imagine-t-on parler de Sérotonine, de Flammarion, ou de Vernon Subutex, de Grasset ? C’est pourtant ce qui se passe quotidiennement dans le monde du jeu de société, plus par inadvertence que par volonté de nuire.
Je ne suis guère choqué que l’on nomme un jeu sans donner son auteur, cela se pratique souvent pour le cinéma. En revanche, je trouve triste, choquant et un peu idiot de citer l’éditeur et non l’auteur.
Triste, parce que j’aime bien lire mon nom partout.
Choquant, parce que cela va contre la reconnaissance de l’auteur, qui avait pourtant bien progressé depuis une vingtaine d’années.
Idiot, parce que, bien plus que le nom de l’éditeur, celui de l’auteur permet à l’acheteur potentiel de se faire une idée du style d’un jeu et de pressentir s’il va l’apprécier.

Voici trois saisies d’écran d’Amazon – vous voyez le problème ? Pour le régler, il faudrait que le milieu du jeu donne l’exemple et commence, systématiquement, à parler d’un jeu de Bruno faidutti publié par Repos Production. Or beaucoup de sites webs, même quand ils font des critiques pertinentes dans lesquelles ils reviennent souvent sur le style et la personnalité de l’auteur, présentent d’abord les jeux comme « un jeu d’Asmodée », « un jeu de Iello », « un jeu de Blue Orange ». La raison principale est tout simplement que ce sont les éditeurs, et non les auteurs, qui leur envoient les jeux, et qu’ils ont l’impression de leur renvoyer l’ascenseur en les mettant en avant.
Ils se leurrent. Les éditeurs ont en effet ici le même intérêt que les auteurs, à savoir que les joueurs trouvent aisément les jeux qui leur plaisent et disposent donc de l’information la plus pertinente. Sauf peut-être avec quelques éditeurs à la ligne éditoriale très spécifique, comme BioViva ou Cocktail Games, cette information est bien plus dans le nom de l’auteur que dans celui de l’éditeur – et de toute façon on peut donner les deux, un jeu de Machin publié chez Bidule. S’il s’agit de renvoyer l’ascenseur, faites-le plutôt avec une jolie phrase de remerciements pour l’éditeur qui vous a envoyé la boite, ce sera plus direct, plus clair, et plus efficace.

Il y a un ou deux ans, je m’étais fait quelques ennemis en pestant contre les sites qui parlent de tests de jeux et non de critiques. Mes protestations n’ont malheureusement guère eu d’effet, montrant la difficulté à faire admettre qu’un jeu est un objet plus culturel que technique. Le problème ici est un peu le même : doit-on utiliser pour le jeu, qu’il s’agisse de jeu de société, de jeu de rôles ou de jeu vidéo, le même vocabulaire et les mêmes formulations que pour la littérature ou la musique, ou que pour les voitures et l’électroménager. Si les auteurs préfèrent le premier choix, c’est bien sûr par amour-propre, pour la reconnaissance symbolique de ce que nous vivons comme une création, mais c’est aussi parce qu’il y a, derrière la question de savoir si une règle de jeu est une création culturelle ou une suite d’instructions techniques, des enjeux essentiels pour les auteurs en termes de fiscalité, de protection sociale et de protection juridique.


(This whole blogpost might be more relevant in France than it is in the US or in the rest of the world. I don’t really know how things are on this topic in other countries. I’ve translated it anyway, but I’ve kept the French examples).

In the seventies, the game designer’s name was usually not on the box, sometimes not even in he rules. Game designers, which I prefer to call game authors, had to fight for this acknowledgement which has now become an evidence. Recently however, on several gaming websites, I’ve noticed a kind of backward move, with game websitesintroducing a game with its title and the name of the publisher, forgetting about the designer. See an example here, another one there, both in French. Those who regularly read my blog might have noticed that I always name a game’s designer, often also artists when I think it’s relevant, but don’t always name the publisher.

It is true that most publishers have a style, a line, which might help find the right game for the right audience, especially with more and more games published every year. Naming the publisher is absolutely legit and often useful. Nevertheless, I think that, like with literature or music, the author / designer should be credited first, if only because they are the author / designer. To use my two favorite French contemporary writers as counter-)examples, would you imagine speaking of Serotonin by Flammarionthe French publisher of Houellebecq’s last novel) or Vernon Subutex by Grasset (The French publisher of Virginie Despentes). This happens daily in the board gaming world.

I’m not shocked when a game is named just by itself, with no designer or publisher name added. This happens all the time with movies. On the other hand, I find sad, shocking and a bit stupid to name the publisher and not the designer.
Sad, because I really enjoy to read my name everywhere.
Shocking, because it hinders the designers’ recognition, which had improved a lot these last years.
Stupid because, more than the publisher’s name, the designer’s one can help gamers get an idea of the game’s style, and if they might like it or not.

Here are three Amazon screenshots – you see the problem. To solve it, gamers, reviewers and other people in the game business should lead by example and systematically tell of a game by Bruno Faidutti published by Repos Production.

Many websites, even when they publish clever reviews mentioning the designer’s style and personality, first present games as « a game by Asmodee », « a game by Iello », « a game by Blue Orange ». the reason is probably that games are sent to them by publishers and not by designers, and that they think it’s a way to return the favor.
Some publishers might appreciate it, but it’s not always the case. Publishers and designers interests are the same here : help gamers find and buy the games they are most likely to enjoy playing. Except for a few publishers with a very strong identity, this is much better done with giving the name of the designer than that of the publisher – and anyway, one can always give both.
If the idea is just to return the favor, better a nice and full sentence thanking the publisher who sent you the copy review, it will be more direct, clear and efficient.

One or two years ago, I made some new enemies when criticizing the French game sites who used the word « test » instead of « review » when discussing boardgames. My protests had little or no effect, showing that games are not yet totally considered cultural creations. the problem here is more or less the same: should we use for games, bye it board games, video games or role playing games, the same words and formulas we use for books or music, or those we use for cars and kitchen appliances. Of course, game designers favor the former. Out of pride and self-esteem, for sure, but also because, at least in France, there are important legal and fiscal questions whose answers depend on whether a game is a cultural creation or only a series of technical instructions.

L’Ambition des Rois
Greedy Kingdoms

Citadelles reste, pour moi, un jeu qui prend toute sa dimension à quatre ou cinq joueurs, et je n’ai jamais été entièrement convaincu par les règles pour deux joueurs. Beaucoup de joueurs les apprécient, elles ne doivent donc pas être mauvaises, juste pas tout à fait dans mon style.


La première édition de Greedy Kingdoms, et Hayato Kisaragi sur une carte de RRR

Ce n’est qu’en 2016, peu après avoir terminé le travail sur la nouvelle édition de Citadelles que j’ai découvert Greedy Kingdoms, un petit jeu de cartes pour deux joueurs de Hayato Kisaragi, paru en 2009. J’avais la boite depuis longtemps dans ma collection, mais n’y avait pas joué jusque là. Mécaniquement, Greedy Kingdoms n’a pas grand chose de commun avec Citadelles, mais les deux jeux sont basés sur des cartes personnages, parlent de construire des bâtiments et, surtout, et ont recours aux mêmes dilemmes, aux mêmes subtilités psychologiques. Du coup, ils créent des sensations assez similaires. Avec une amie japonaise, j’y ai beaucoup joué et j’ai fini par m’approprier le jeu, en bricoler ma version. J’ai modifié un peu les héros ici ou là, et surtout repris considérablement les autres cartes, bâtiments, citoyens et objets magiques. J’y ai retrouvé un plaisir créatif assez particulier, le même qui m’avait fait participer à Warehouse 51, et plus récemment me repencher sur des jeux un peu anciens comme Castel ou Fist of Dragonstones, celui d’imaginer une à une des cartes modifiant un système préexistant. C’est à la fois plus facile et plus amusant que de créer un nouveau système.


Une partie du prototype du nouveau Greedy Kingdoms

Bien que nous ne nous soyons encore jamais rencontrés, ce n’est pas tout à fait la première fois que je travaille avec Hayato Kisaragi. C’est en effet déjà lui qui avait imaginé les cartes japonaises de mon jeu Mythos, ou Le Combat des Dieux, paru en encart dans une revue japonaise, puis en France dans Lanfeust. Pour le reste, il est surtout connu pour des jeux de cartes, les japonais en publient beaucoup, souvent en collaboration avec Seiji Kanai. Je n’ai pas joué à ses jeux les plus connus, Grimoire ou Lost Legacy, mais j’en ai lu les règles. Leur esprit est par bien des côtés assez proche de mes propres créations, avec pas mal de bluff, plus de tactique que de stratégie, et des cartes aux effets amusants.


Deux jeux de Hayato Kisaragi

Après la Gen Con 2017, durant laquelle je discutai un peu ici et là de Greedy Kingdoms, qui m’amusait décidément beaucoup, je décidai de contacter l’auteur et l’éditeur de la première édition pour leur soumettre mes bricolages. Ils m’apprirent qu’une nouvelle édition du jeu était déjà programmée chez AEG, mais que j’arrivai juste à temps pour éventuellement y mettre mon grain de sel, ce à quoi ils ne voyaient aucun inconvénient. Après avoir mis mes idées au propre, je les envoyai à Hayato, qui tiqua sur quelques-unes mais, globalement, donna son accord pour la presque totalité de mes changements. En gros, sans toucher aux principes de base, j’ai essayé de rendre le jeu plus clair, plus varié, plus dynamique, et de donner moins d’avantages au joueur déjà en tête. J’espère que ceux qui apprécient déjà la première version du jeu, dont l’édition bilingue anglais/japonais n’était pas des plus aisées à trouver, ne regretteront pas les changements, et qu’ils permettront à cette petite perle de trouver de nouveaux joueurs.

Chacun des deux joueurs de L’Ambition des Rois est à la tête d’un royaume. À chaque tour, l’un des joueur, l’attaquant, joue faces cachées trois de ses neuf héros – Baron, Sorcière, Peintre, Chevalier, Roi, Cuisinier, Voleur, Voyageur et Bandit – qu’il envoie à la bataille pour tenter d’acquérir les ressources – de l’or, de la nourriture, des terres, de l’honneur – nécessaires au développement du royaume. Bien sûr, le roi rival, le défenseur, intrigue pour tenter de l’en empêcher, et doit deviner quels héros ont été envoyés par l’attaquant afin de les neutraliser. Seuls ceux qui n’auront pas été percés à jour pourront faire effet. Les ressources chèrement acquises permettent de promouvoir ses héros et de leur donner des pouvoirs supplémentaires, de faire travailler les sujets du royaume, de construire des bâtiments et même parfois d’acquérir d’utiles mais fragiles objets magiques. Le défenseur devient ensuite attaquant, et inversement. Greedy Kingdoms est donc un jeu de développement, de tactique et de bluff, quelque chose de finalement assez costaud et sophistiqué pour un petit jeu de cartes à deux joueurs. Si, comme moi, vous appréciez Citadelles mais n’aiment pas trop y jouer à deux, vous adorerez sans doute Greedy Kingdoms. Et si vous êtes de ceux qui aiment Citadelles à deux, peut-être le trouverez-vous meilleur encore.

Je n’avais qu’une peur, que AEG décide de déplacer l’action de Greedy Kingdoms dans leur univers pseudo-renaissance maison, Tempest, qui ne m’a jamais convaincu. J’étais prêt à râler un peu en cas de besoin, mais ce ne fut pas nécessaire. Je suis très content que l’éditeur américain, avec qui le travail d’édition a été à la fois rapide, efficace et agréable, ait conservé les illustrations japonaises originales, et ait commandé les dessins supplémentaires pour les nouvelles cartes à la même équipe. Cela fait en effet de Greedy Kingdoms un pendant ironique à ce que j’ai décrit il y a quelques années dans mon article sur l’orientalisme dans les jeux de société. Nous avons en effet là un univers « occidentaliste », un moyen-âge européen imaginé et illustré au Japon. Le résultat est, vu d’Europe, rigolo et sympathique, avec un mix de costumes et de bâtiments correspondant à des périodes historiques bien différentes, et une courtisane aux allures de majorette. À une époque ou les dangereux fantasmes d’authenticité refont surface, il est plus nécessaire que jamais de tout mélanger dans un grand bordel bruyant et coloré.

Une fois le jeu sorti en anglais, j’ai commencé à en parler un peu autour de moi aux éditeurs de ma connaissance, espérant les convaincre d’en faire une version française. j’ai quand même été assez surpris, en arrivant au festival international des jeux de Cannes, en février 2019, d’apprendre un peu par hasard que Gigamic allait faire la version française, baptisée l’Ambition des Rois, que la traduction était faite et validée, et que les fichiers étaient même déjà partis à l’impression sans que nul n’ait songé à me prévenir. Bien évidemment, les français disent qu’ils pensaient que les américains m’avaient prévenu, et vice versa. Comme les deux sont des éditeurs fort sympathiques, et comme la traduction que je viens de relire après coup a l’air nickel, there’s no harm done.

L’Ambition des Rois
Un jeu de Hayato Kisaragi & Bruno Faidutti
Illustrations de Keita Komiyama & Minat’s
2  joueurs  – 20 minutes

Publié par AEG, 2018 et Gigamic, 2019
Boardgamegeek


Présentation de Greedy Kingdoms au Game Market d’Osaka, en avril 2018


I still consider Citadels to be at its best with four or five players, and I’ve never been really fond of the two players rules. Many players like them, so they must not be really bad, but they’re not really for me.

In 2016, after having finished working on the new edition of Citadels, I discovered Greedy Kingdoms, a small two player card game designed by Hayato Kisaragi and first published in 2009. I owned the game for quite long, but hadn’t looked at it before. Mechanically, Greedy Kingdoms has little in common with Citadels, but both games are based on character cards, are about building buildings (can you say this?) , and rely on the same psychological dilemmas. As a result, they feel somewhat similar. With a Japanese friend, I played Greedy Kingdoms a lot, and in then end I took it over to make my own version. I didn’t change much to the hero abilities, but I largely redesigned the other cards, buildings, citizens and magical items. There is a specific and relatively lazy pleasure in designing, one after another, cards to fit in an already existing system. I had the same fun working on Greedy Kingdoms that I had on Warehouse 51, or on revisiting older designs such as Castle or Fist of Dragonstones. This is so much easier and rewarding than creating a brand new system.


Greedy Kingdoms’ first edition, and Hayato Kisaragi on a RRR card.

We’ve never actually met, but it’s not the first time I work with Hayato Kisaragi, since he designed theJapanese mythos cards for my Battle of Gods / Mythos game, published in a Japanese game magician and in the french comics magazine Lanfeust – no English version yet, but there has been some talk about it. I haven’t played Hayato’s best know games, Grimoire and Lost Legacy, but I’ve read the rules. In many way, they seem to be a bit like my best designs, with lots of bluff, of fun card effects, and with more tactics than strategy.

 
Two japanese cards from my Mythos game

At Gen Con 2017, I talked a bit here and there about this game, which i decidedly enjoyed, and I finally decided to contact the first edition’s designer and publisher and see what could be made about my tweakings and ideas. They answered me that a new edition was already in the works, to be published by AEG, but that my developments were welcome. I wrote down all my ideas and sent the files to Hayato. He discussed a few ones, but in the end agreed on almost all my many minor changes. The idea was to keep the basic systems but to make the game clearer, more dynamic, and to tweak the balance to make it less unforgiving. I hope all those who enjoyed the first version of the game, of which there was only a hard to find bilingual Japanese / English edition, will appreciate the changes. With a big publisher and nice components, I also hope this will be an opportunity for this hidden gem to find new players.

Greedy Kingdom’s players are rival kings. Every round, one of them is the attacker and the other one the defender. The attacker plays face down three of his nine hero cards – King, Knight, Traveler, Painter, Baron, Cook, Witch, Bandit, Thief – , sending them to battle in order to win the resources – gold, food, honour and land – required to develop the kingdom. Of course, the rival king, the defender, tries to prevent this and also plays face down cards to block and neutralise three possible attackers. Only unblocked heroes can use their abilities. Hard earned resources are used ti promote heroes and give them extra abilities, to hire citizens, to build buildings (once more, this sounds strange) and even to buy useful but fragile magic items. Greedy Kingdoms is a development, tactical and bluffing game, and in the end something relatively involved and sophisticated for a light two player game. If you like Citadels, but like me don’t really enjoy it with two players, you will like Greedy Kindoms. And if you’re among the few persons who like two player Citadels, you might find it even better.

My great fear was that the US publisher would want to move the game’s action into their homemade pseudo-Renaissance universe, Tempest, which I find bland and unconvincing. I was ready to fight a bit on this, but luckily it wasn’t necessary. Working with AEG was really fast, efficient and enjoyable and I’m really happy they decided to keep the original Japanese graphics, and to order the graphics for the new cards to the same graphic team.

As a result, Greedy Kingdoms feels like an ironic mirror image of what I have described a few years ago in my essay about orientalism in boardgames. Greedy Kingdoms is indeed « occidentalist », the setting being western Middle-Ages as imagined and drawn in Japan. Seen from Europe, the result is cute and fun, with a mix of buildings and costumes from very different periods (and hairstyles from none at all), and even a courtesan who looks like a cheerleader. Dangerous fantasies of authenticity are on the rise again, and that’s why this kind of humorous mix is more necessary than ever. I’m all for cultural appropriation as long as it is done lightly, by everyone and in all directions, and the result is fun and colorful.

Once the game was published in English, I started to talk about it to French publishers, trying to convince someone to make a French version. I was nevertheless a bit surprised whe, at the Cannes game fair, in February 2019, I learned that Gigamic was making the French version, that the rules and cards had already been translated, that the files had even been sent to the printer, but that no one had ever thought of informing me. Of course, the French tell that they thought the americans had informed me, and vice versa. Anyway, since both publishers are really nice people, and since the translation, which I just read, is good, there’s no harm done. The French version, L’Ambition des Rois, willhit the shelves in Spring 2019.

Greedy Kingdoms
A game by Hayato Kisaragi & Bruno Faidutti
Art by Keita Komiyama & Minat’s
2  players  – 20 minutes

Published by AEG, 2018 and Gigamic, 2019
Boardgamegeek

Les Grands Enfants
Adult Kids


Avec Charles Chevallier, Ewa Szarzynski et Juan Rodriguez, devant l’exposition sur Les Poilus, pas vraiment un jeu pour enfants.

À Paris, place de la République, le kiosque à jeux rouge de l’R de jeu, installé depuis cinq ou six ans, fait désormais partie du décor. J’y étais dimanche dernier, avec quelques autres auteurs, pour un petit festival du jeu. Les municipales approchant, quelques conseillers municipaux sont aussi passé. Cela était d’autant plus légitime que la place de la République, le kiosque et les animations qui s’y déroulent doivent beaucoup à la ville de Paris, et illustrent trois des réussites de l’équipe municipale actuelle, le recul de l’automobile, l’ouverture culturelle et le rééquilibrage entre l’est et l’ouest de la capitale. Ils l’ont fait savoir sur Twitter, ce qui est de bonne guerre, ou de bonne campagne électorale, mais avec une maladresse qui illustre malheureusement la persistance de quelques idées reçues sur le jeu et les joueurs.

S’il s’était agi d’un festival de littérature, de cinéma, de musique, ces élus se seraient-ils ainsi réjouis que l’on en fasse tant pour les enfants ? Auraient-ils pensé qu’un adulte qui lit un livre, regarde un film, écoute un morceau de musique ne peut être qu’un parent accompagnant ainsi ses enfants?

J’ai coutume de protester, de manière assez systématique et prévisible, chaque fois que je lis ou entends que le jeu est une activité pour enfants. Les adultes ont toujours joué, en particulier aux jeux de stratégie et aux jeux d’argent, sans même parler des sports. Ils jouent sans doute plus que jamais aujourd’hui.
Les jeux de rôles et les jeux vidéo ont fait passer l’idée qu’il n’y avait rien d’inquiétant ni de régressif dans le fait qu’un adulte joue et aime jouer. Si la mode en a moins duré, le poker et les jeux de cartes à collectionner y ont aussi contribué. Si n’ai jamais beaucoup pratiqué les jeux vidéo, je suis passé par le jeu de rôle, le poker et Magic, et cela se ressent dans les jeux que je crée aujourd’hui. La plupart de mes créations sont « tous publics », c’est à dire destinées aussi bien aux jeunes qu’aux vieux, et quelques unes, comme Kamasutra, sont même franchement adultes.

C’est un bel argumentaire, que je ressors assez régulièrement, mais il reste que, même si l’écart a sensiblement diminué et diminue encore, les enfants jouent quand même plus que les adultes. Surtout, tous les enfants jouent, mais seulement une partie des adultes, ce qui conduit à s’interroger sur les raisons pour lesquelles on joue et, surtout, on arrête de jouer.

L’explication habituelle de l’appétence des enfants pour le jeu est que ce serait une technique d’apprentissage, une sorte de modélisation très simplifiée du réel pour en comprendre les tenants et les aboutissants. C’est la base des théories de Piaget, et c’est sans doute un peu vrai, mais je ne pense que cette explication soit suffisante. Beaucoup de jeux d’enfant ne sont en rien des simulations, et beaucoup de petits vieux jouent encore au scrabble, au bridge ou à la pétanque.
Face à la complexité du monde, le jeu me semble moins une technique d’apprentissage qu’un anxiolytique. On ne renonce pas à la lucidité mais, pour se reposer un peu et éviter que notre modeste intellect ne parte en vrille, on entre dans une parenthèse, on fait pour quelque temps comme si les choses étaient plus simples, comme si le monde avait des causes et des règles, comme si la vie avait un sens et un but.
Il est bien évident que les plus jeunes, qui viennent de débarquer, sont les plus paumés face à un monde assez bizarre et incohérent. Ils expérimentent, ils analysent, ils essaient de comprendre d’abord comment ça marche, puis se demandent éventuellement vaguement pourquoi et vers où. Et comme on devient vite dingue à tourner en rond dans le noir – in girum imus nocte et consumimur igni – ils s’arrêtent de temps en temps pour jouer, c’est à dire pour expérimenter tout ce que le monde réel n’est pas, un univers limité, aux règles simple et au but défini. Le jeu est alors tout à la fois un repli et un repos avant de repartir à la découverte du monde, toujours un peu vaine, tout à la fois excitante et désespérée.

Et puis un jour, en grandissant, certains jouent moins, voire cessent complètement. Si c’est cela devenir adulte, comme on l’entend parfois, c’est un peu triste. Ceux qui continuent, les grands enfants, sont ceux qui, comme moi, n’ont toujours pas bien compris ce que c’est que la vie, à quoi ça sert, d’où l’on vient ni où l’on va, et ont décidé de faire avec, parce que si c’est angoissant, c’est aussi intéressant et parfois rigolo. Et quand l’angoisse prend le dessus, on joue pour calmer notre esprit un peu fatigué en lui donnant, pour quelques heures, un monde clos aux règles simples et arbitraires.

On peut considérer le nombre croisant de joueurs parmi les adultes comme un effet annexe du « désenchantement du monde ». Cessent en effet de jouer en vieillissant ceux qui capitulent devant la complexité, ceux qui croient ou font comme s’ils croyaient savoir comment ça marche, qui nous sommes, d’où nous venons, où nous allons et sur quelle étagère. Faisant comme si la vie elle-même était un jeu, avec un but et des règles, ils n’ont ps besoin de joueur. C’est pour cela que les joueurs sont peu nombreux parmi ceux qui adhèrent à des idéologies totalitaires, et en particulier aux religions. Les croyants sont très rares dans le petit monde du jeu, et les quelques uns que l’on y croise, les Guillaume Chifoumi ou Tom Vasel, sont sans doute moins sûrs d’eux qu’ils ne veulent bien le laisser paraître. Les croyants, les vrais, me font un peu l’impression de joueurs de jeux de rôles se prenant un peu trop au sérieux, au point parfois d’oublier qu’ils jouent.

Si je jouais relativement peu dans mon enfance, moins sans doute que la plupart des enfants de mon âge, c’est parce que j’ai eu une éducation chrétienne, marxiste et tiers-mondiste – dans les années soixante, tout cela se mélangeait plus facilement qu’aujourd’hui. Le monde était une chose sérieuse, avec de vrais problèmes, et il n’y avait donc ni temps, ni énergie physique ou intellectuelle disponible pour le jeu.

Or il me semble paradoxalement aujourd’hui que c’est parce que le monde est une chose sérieuse et complexe, parce que nous sommes assez mal barrés, que le jeu est une soupape de sécurité intellectuelle et psychologique absolument nécessaire. Oui, les joueurs sont de grands enfants, parce qu’ils ne font pas semblant de savoir dans quel monde ils vivent, et parce qu’ils ont recours au jeu pour assouvir un besoin, sans doute naturel, de règle et de simplicité.

Le jeu est peut-être alors un complémentaire du rêve. Les rêves partent dans tous les sens, tout y est possible, notre esprit s’y donne libre cours. Dans le jeu, à l’inverse, bien peu de choses sont possibles, mais on sait très bien lesquelles et on sait pourquoi. Après un monde réel dans lequel on ne sait pas très bien ce qui est possible et on ne sait absolument pas pourquoi, rêve et jeu sont, chacun à sa manière, des formes de repos pour l’esprit. Pour le dire autrement, si réel est fait de règles incompréhensibles, rêve et jeu sont deux contraires du réel, le premier par l’absence de règles, le second par ses règles claires et honnêtes.

Je n’ai longtemps cherché à faire que des jeux destinés à des joueurs comme moi, c’est à dire des adultes ne prenant pas le jeu trop au sérieux. Il m’est arrivé, par accident, de participer à des projets qui se sont finalement avérés être de très bons jeux pour les plus jeunes, comme Toc Toc Toc! ou Diamant, mais ce n’était jamais l’intention de départ. Ce n’est que récemment, quand la création de jeu est réellement devenue pour moi un métier, et un peu grâce à ma rencontre avec Anja Wrede, que je me suis intéressé aux jeux destinés aux plus jeunes. Avec Anja, nous avons conçu Fearz! et Junggle, passés relativement inaperçus, et plus récemment le Petit Poucet, qui semble remporter plus de succès ainsi qu’un autre qui devrait paraître l’an prochain.

Il reste que je suis toujours un peu mal à l’aise avec les jeux pour enfants, sans doute parce que je ne parviens pas à imaginer un jeu auquel je n’aurais pas personnellement de plaisir à jouer. Du coup, mes rares jeux enfants sont en fait des jeux « tous publics », des jeux auxquels on peut et je peux vraiment jouer avec des enfants, c’est à dire chercher à gagner, et qui reposent donc sur des capacités sur lesquelles l’âge influe peu, comme la mémoire ou la reconnaissance tactile.



With Charles Chevallier, Ewa Szarzynski and Juan Rodriguez at the “Grizzled” exhibition, place de la République. Not really a kids game.

For five or six years now, Place de la République, in Paris, there is a red kiosk where people can, most week-ends, borrow games to be played on the spot. I was there last Sunday, with a few other game designers, for a small game fair. With the mayoral elections due next year, a few city councillors happened to pass by and published some photos and comments on twitter. This was fair electoral game, especially since the new Place de la République, the red kiosk, and the other various animations held there are paid by the city, and illustrate three of the mani successes of the mayoral team, the lower place held by cars, a certain cultural openness and a better balance between the eastern and western parts of the city. Their tweets, however, were a bit clumsy and show an enduring and common misconception about gaming and gamers.

Dominique Versini :
How nice to see the game festival place de la république, and the happiness of the small and big ones. paris is a city friendly with children.
Patrick Bloche :
Place de la république, under a nice parisian sun, the game festival is once more a success. the affluence shows the place gained by gaming in public places in Paris, and gathers children, teenagers, young people and their parents.

If it were a literature, cinema or music event, would they have rejoiced like this that there was so much done for children ? Would they have thought and told that an adult can only read a book, watch a movie or listen to music when and because he is accompanying a child?

I know I am predictable on this issue. I protest every time I read or hear somewhere that gaming is just for kids. Adults have always played games, notably but not only strategy games, gambling games and sport games. They probably play more than ever now.
Role playing games and video games have made adult gaming popular and socially acceptable. The Poker and collectable card games craze, even when they didn’t last as long, also helped. I never played much video games, b ut I’ve been though RPGs, LARPs, poker and MtG, and this certainly shows in my designs. I try to design games for everyone, meaning for younger and older gamers, and a few of my designs, such as Kamasutra, are even clearly adult oriented.

Nevertheless, even when there are more and more adult gamers, children still play more often than adults. Even more, all children play games, while only some of the adults do. This, of course, might help understand what gaming means and why we play games.

The usual psychological explanation of kids appetence for games considers games as learning tool, a simplification and modeling which helps understand the real world. It’s the basis of Piaget’s theories. It might be partially true, but it cannot explain all kids games, many of which are not simulations in any way, and completely fails at explaining why many adults still play, and why even older people often play Scrabble, whist or boule.

My view is that games are less a learning tool than an anxyolitic, a conscious and temporary withdrawal from a complex and mysterious reality. The gamer doesn’t give up lucidity, but he takes some rest and to prevent his thought to get amok he makes, for a while, as if the world had rules and causes, as if life had an obvious meaning.
Young kids just went into this world and are probably even more lost than we are in this zany and in consistent world, They experiment, they analyse, they try to understand vaguely how it works, or for the most ambitious ones why and towards what. And since one inevitably becomes crazy when turning in circles in the dark – in girum imus nocte et consumimur igni – they take a few breaks to play games, meaning to experiment what reality isn’t, a closed system with simple rules and a clear goal. Gaming is both a rest and a temporary withdrawal before getting back into the vain, exciting and desperate exploration of the world.

Then they grow old. They play more rarely, some even completely stop playing. If this is becoming an adult, it’s a bit sad. Those who keep playing games, like I do, are indeed old kids – they still have no serious idea what life means, where we’re coming from, where we are and where we’re going to, but they have decided to make do with it because while it’s nerve-racking it’sd also interesting and even sometimes fun. When our nerves can’t stand it any more, we calm our weary mind with a few games, a few hours in a closed world of arbitrary rules.

The growing proportion of adult gamers might therefore be a paradoxical side-effect of the « disenchantment with the world ». Those who stop playing are giving up. They believe, or they fake believing, that they know who we are, where we are and all that stuff. Since they treat life as a game, with a clear goal and strict rules, they don’t need games any more. That’s why there are very few gamers among religious and ideological people – and I’m ready to bet that the one or two religious people active in the boardgaming world, such as Tom Vasel and Guillaume Chifoumi, are not as confident as they want to look. True believers often look like RPG gamers taking their role a bit too seriously – and sometimes not even knowing they are gaming.

I didn’t play that much as a kid, much less than most kids of my age, the reason being that I had a christian, marxist and Third-Worldist upbringing – in the sixties, all this could easily go together. I was told that the world being a serious thing with serious problems, there was no time to play, and that waste of physical or intellectual energy was not acceptable.

Paradoxically, I now think that it is because the world is complex and plagues by serious issues, because we’re in a real mess, that gaming is more than ever a necessary intellectual and psychological safety valve; Yes, gamers are old kids, because they don’t give up faced with a messy world, because they don’t do as if they knew what all this is about

Games and dreams complement one another. Dreams feel like having no rules or boundaries, everything is possible. Games are closed systems of strict rules, in which very few things are possible, but we know which ones and why. Faced with a real world in which we don’t really know what’s possible and we don’t have the slightest idea why, dreams and games are two opposite ways to put our brain to a rest. To put it otherwise, if reality is made of mysterious and probably meaningless rules, dreams and games are both opposites of reality, the former because it has no rules, the latter because it has clear and honest ones.

For long, I only tried to design games for people like me, meaning for adults who don’t want to take games too seriously. I sometimes incidentally took part in projects which ended as interesting kids gams, such as Diamant / Incan Gold, but this was never on purpose. Recently, thanks to my friend Anja Wrede, I became slightly more interested in kids games. Together, we designed Fearz and Junggle, which both went largely unnoticed, and more recently Lost in the Woods, which seems to be more successful. We have another children game coming out next year.
Despite this, I still feel a bit uneasy working on children game, probably because I can’t imagine a game I would not have fun playing. As a result, my few children games are not really children games but rather games for everyone, games I can play and every adult can really play with children, meaning play to win, which means they must rely on abilities which are not much affected by age, such as memory or tactile recognition.

Etourvy 2019

Les rencontres ludopathiques

Cela fait maintenant 25 ans que, chaque printemps ou presque, j’organise à Etourvy, entre Champagne et Bourgogne, ma petite convention ludique personnelle, les rencontres ludopathiques. Ce qui était à l’origine une rencontre entre amis autour de l’équipe de Ludodélire est peu à peu devenu une petite convention ludique un peu à part, sur invitations, réunissant de vieux amis, des petites personnalités du monde du jeu, et souvent leurs familles. Quelque part entre salon professionnel et vacances entre amis, c’est un événement sui generis qui a maintenant pris son rythme de croisière.

On me demande régulièrement pourquoi je consacre tant de temps à l’organisation de ces rencontres, d’autant que j’y ai moins le temps de faire tourner mes ébauches de jeux et de les présenter à des éditeurs que des auteurs comme Antoine, Bruno, Théo, Ludo et quelques autres. La première raison est bien sûr que cela m’amuse, et que j’apprécie d’être, pour une petite semaine, au centre de l’attention générale. Une autre raison est sans doute que, même si j’aimerais avoir plus l’occasion de faire jouer mes prototypes, cela me permet quand même d’entretenir pas mal de contacts, et de faire un peu ma promotion personnelle. Et puis, c’est toujours agréable aussi de faire plaisir aux amis. J’ajoute que l’organisation étant désormais bien rodée, cela me demande finalement assez peu de travail, moins en tout cas que, par exemple, le corsaire ludique de Roberto Fraga.

J’étais un peu malade les premiers jours, mais tout s’est néanmoins déroulé comme prévu, sur un week-end sérieusement prolongé puisqu’il a commencé pour quelques-uns dès le lundi 29 avril au soir, et pour la plupart mardi ou mercredi. Nous étions 140 participants cette année, venus du monde entier mais tous logés dans une dizaine de gites au milieu de nulle part, à Etourvy et dans les villages voisins – Mélisey, Quincerot et Trichey.

Je remercie bien sûr les éditeurs qui avaient fait le voyage,en espérant que je n’oublie personne:
Abacus
Asmodée
Blackrock
Blue Orange
Catch’up Games
Days of Wonder
Djeco
Don’t Panic Games
Forgenext
Grrre games
Heidelbär
Hobbyworld
Iello
Libellud
Lui-même
Matagot
Oink Games
Pixie Games
Purple Brain
Ravensburger
Rebel
Repos Prod
Sand Castle Games
Space Cowboys
Surfin’ Meeple
Taiwan Boardgame Design
Van Ryder Games

et ceux qui n’ont pas pu venir mais nous ont envoyé des jeux pour la table de prix:
Cryptozoic
Fantasy Flight Games
Gigamic
Kolossal Games
North Star Games
Z-Man Games

Je ne fais pas la liste des auteurs, parce qu’il y a plein de gens qui le sont plus ou moins, qui sont là pour s’amuser mais ont quand même un petit proto qui traine, et tout ça. Je vais quand même citer les illustrateurs, ou plutôt les illustratrices, parce qu’elles étaient moins nombreuses – Maeva Kosmic et Christine Deschamps, des habituées, ainsi que Christine Alcouffe.

Je remercie tous ceux qui ont aidé à l’organisation, l’équipe ludique, ceux qui m’ont accompagné lundi, ceux qui sont allé faire des courses, ceux qui sont allé chercher ou ramener des joueurs à la gare de Tonnerre – en particulier Didier qui a dû se lever tôt dimanche pour que les russes de Hobbyworld ne ratent pas leur train. Je remercie Camille qui, les pieds solidement ancrés au sol, s’est occupée des bières. Je remercie aussi toute l’équipe du foyer rural d’Etourvy, côté bureaux et côté cuisine.

Il y a « encore » des services publics – pour combien de temps ?

Un énorme remerciement surtout aux pompiers et aux urgences de l’hôpital de Tonnerre. Lorsque Manu a commencé à se sentir mal vendredi soir, j’ai fait le 15 et suis tombé sur les urgences de l’Aube, département où se trouve Etourvy. J’ai expliqué à mon interlocuteur que nous étions, à Etourvy, entre Chaource et Tonnerre. Sa réaction a alors été « C’est au milieu de nulle part, ça ! Vous êtes plus près de Tonnerre, mais je ne sais même pas s’il y a encore des urgences à Tonnerre ». Il y en avait, il les a contactées. Elles étaient là vingt minutes plus tard et ont examiné puis emporté Manu. Tout s’est bien passé, et rapidement terminé.
Il reste que le mot qui fait peur, c’est « encore ». On ne se demande pas s’il y a des urgences à Tonnerre, on se demande s’il y a « encore » des urgences à Tonnerre. On peut imaginer que des services publics disparaissent, cela parait presque naturel, on n’imagine plus qu’il puisse s’en créer. Cela en dit beaucoup sur le système politique dans lequel nous vivons, et sur le fait que nous avons intégré comme presque naturelle une évolution qui ne l’est absolument pas.
Ce qu’avait Manu n’était pas bien grave, il s’en serait sorti sans problèmes s’il avait fallu aller à Troyes ou à Auxerre et n’aurait juste pas été de retour à quatre heures du matin. Dans une situation plus grave, cela aurait pu faire une sacrée différence, et j’espère donc qu’il y aura « encore » des urgences à Tonnerre l’an prochain. Du coup, je vais faire grève ce jeudi pour la défense du service public.

Le soleil et la neige

Je sais que beaucoup de joueurs regardent chaque année les photos des rencontres ludopathiques avec curiosité. Elles seront sans doute moins impressionnantes cette année que l’an dernier, car la météo n’a pas été vraiment avec nous. Nous avons eu beau temps mercredi, mais tout le monde n’était pas encore là, et un peu de soleil vendredi après-midi, bien qu’il ait fait un peu frais. Il a plu toute la journée de jeudi, et il a même neigé un peu samedi. Les sportifs de service, Liesbeth Bos et Bruno (l’autre) ont quand même trouvé le temps de faire quelques escapades en vélo.

Les jeux idiots en dans la pelouse ont donc été moins nombreux qu’à l’habitude. Concours de tir à la sarbacane, Twister géant (dont j’ai une idée pour améliorer les règles l’an prochain), Brouhaha mais surtout, une fois de plus, une étonnante invention de Laurent Escoffier, The Walking Mind, dont je vous laisse deviner les règles en regardant photos et videos. Oui, je sais, ça a l’air un peu bizarre.

Le temps se prêtait plutôt mieux aux activités d’intérieur, et deux murder parties, ou petits GNs, étaient organisées cette année. Sébastien avait préparé un scénario très provincial, Tonton Cristobal est revenu, joué le vendredi après-midi, qui a remporté un grand succès et sera certainement remonté, à Etourvy ou ailleurs. Le samedi, Isabelle a fait jouer un grand classique, Dieu est Mort, aux quelques personnes qui ne connaissaient pas ce petit chef-d’œuvre signé Croc – qui était d’ailleurs là un peu plus longtemps que d’habitude.

Didier a remporté le traditionnel tournoi de poker.

Bière et cocktails

Grande innovation, nous avions à l’initiative de Camille des tireuses servant les excellentes bières d’une brasserie locale, Thibord, à Palis. C’était très agréable, et nous a évité de trimbaler des tombereaux de bouteilles vides tous les soirs.

Autre innovation côté boisson, le cocktail mystère, préparé par la joyeuse Équipe Ludique, dont les activités semblent démarrer sur les chapeaux de roue. Pour ceux qui n’ont pas tout noté, les ingrédients à trouver étaient :

Mercredi soir :
– Tequila
– Aperol
– Jus de Goyave
– Sirop de Fraise
– Citron
Cocktail enfants:
– Jus de Poire
– Jus de citron vert
– Sirop de Myrtille

Jeudi soir :
– Calvados
– Jus d’Orange
– Crème de Mûre
– Martini Rouge
– Citron Vert
Cocktail enfants:
– Eau de Coco
– Jus d’ananas
– Jus d’orange

Vendredi soir:
– Rhum Ambré
– Café
– Amaretto
– Sirop de Canne
– Crème fleurette
Cocktail enfants:
– Jus de Pomme
– Limonade
– Sirop de Framboise

Samedi soir (de l’avis général le meilleur cocktail):
– Tequila
– Rhum Ambré
– Ginger Beer
– Sirop de Framboise
– Citron Vert
Cocktail enfants:
– Jus d’orange
– Schweppes
– Sirop de fraise

C’était une excellente idée, et l’on remettra certainement cela l’an prochain.

J’ajoute que Krzysztof avait apporté de Pologne une bouteille de ma vodka préférée, la Jarzebiak, qui a malheureusement été entièrement bue avant que j’ai pu y toucher. J’attends que les coupables se dénoncent et m’en dégottent une autre bouteille pour l’an prochain.

Petites nouvelles du monde du jeu

Des auteurs, des éditeurs, des illustrateurs, quelques agents ou distributeurs, et beaucoup de joueurs. Immanquablement, on a parlé du petit monde du jeu, des gros qui grossissent et de ceux qui maigrissent, de ceux qui se marient et de ceux qui se séparent, et des plans à trois ou plus qui compliquent un peu tout. Dans tous les cas, il y a du mouvement, beaucoup de mouvement, au point que certains ne savent plus très bien où ils sont. Oui, je sais, cela doit avoir l’air un peu mystérieux, mais je ne peux ou ne veux pas trop entrer dans les détails, ‘autant que j’ignore sans doute les détails les plus importants.

Et puis, on a quand même surtout joué, et parlé des jeux, en particulier de ceux qui viennent de ou qui vont sortir. Trop occupé à courir en tous sens, à gérer mes 140 invités et ma dizaine de gites, je n’ai, comme d’habitude, pas tellement joué, et joué à surtout à des jeux assez brefs. En revanche, j’ai pas mal traîné entre les tables, discuté avec les joueurs, demandé ce qu’ils pensaient de telle ou telle nouveauté.

Quelques grosses boites magnifiquement illustrées soigneusement éditées, qui avaient déjà fait un peu de buzz, étaient très attendues. Quelques joueurs particulièrement consciencieux m’avaient demandé si on pourrait y jouer à Etourvy. Elles semblent toutes être tombées un peu à plat. Je ne vais pas donner leurs noms ici, mais les joueurs les plus au fait de l’actualité les reconnaîtront sans difficulté sur les photos.
Les parutions de plus en plus nombreuses, notamment en ce qui concerne les gros jeux qui durent quelques heures, ont peut-être rendu le public plus exigeant, et surtout le public assez technique et informé que l’on peut croiser à Etourvy. Cela ne suffit pourtant pas à expliquer cette relative désaffection. Il me semble que nous avons peut-être là un effet pervers de la floraison récente de jeux très ambitieux vendus essentiellement, mais pas seulement, sur Kickstarter. Sur kickstarter, en effet, on n’achète pas vraiment un jeu, on achète une promesse de jeu. Du coup, le vendeur soigne plus le plumage que le ramage (comment vais-je traduire ça en anglais?). Les nouveautés sont superbement illustrées, et grouillent d’idées fort bien mises en avant, mais il leur manque parfois une dernière phase de développement, celle qui consiste à revenir à l’essentiel, à supprimer tout ce qui est lourd ou simplement inutile. Sur kickstarter, plus donne toujours l’impression d’être mieux, et cela déteint sur les gros jeux publiés de manière plus classique, qui sont promus à l’avance comme s’ils ne devaient pas rester bien longtemps sur le marché. Beaucoup de ces jeux auraient eu besoin non pas de trois ou quatre extensions, mais bien d’une “flexion” – mais voila, enlever tout ce qui encombre et ne sert à rien, ce n’est pas un stretch goal aussi sexy que douze figurines et leurs règles spéciales.

Du coup, les jeux les plus joués à Etourvy, ceux qui ont « fait le buzz » ont été ceux qui ont échappé à cette tendance, des trucs plus modestes et plus rapides. Le succès de la semaine est incontestablement Res Arcana, de Tom Lehmann, parce que c’est un excellent jeu poids moyen qui prend la tête (donc pas trop mon style), mais aussi parce que Cyrille en faisait la promotion avec sourire et constance. Beaucoup de jeux assez rapides comme Farben, Tokyo Highway, Dany ou Draftosaurus, n’ont cessé de tourner sur les tables – même s’il y a encore eu quelques cinglés pour enchaîner les Terraforming Mars jusqu’à 7 heures du matin.
Il n’y a pas que les nouveautés à Etourvy. J’apporte toujours 1000 ou 2000 jeux plus anciens, pris un peu au hasard dans ma collection. Chaque année, un ou deux d’entre eux ressortent sans que l’on sache trop pourquoi et tout le monde se met à y jouer. Cette année, ce furent Linko et Fantasy Realms.

Bien sûr, avec beaucoup d’auteurs présents, et quelques éditeurs, la moitié des tables étaient souvent occupées par des jeux qui n’existent pas ou pas encore, et dont je ne sais guère que ce à quoi ils ressemblent sur les photos. Il y a les brouillons que l’on essaie d’améliorer, et les vrais protos que l’on essaie de placer. J’en avais apporté une dizaine, mais je n’en ai vraiment fait tourner que quatre, Trollfest et Vintage qui cherchent des éditeurs, ainsi que Lifestyles et Reigns qui en ont trouvé. Je n’ai pas de photo des parties de Vintage et Reigns, si quelqu’un en a pris…..

Voila, je crois que j’ai dit l’essentiel, mais si vous pensez que j’ai oublié un truc qui mérite d’être dit, signalez-le en commentaire ou envoyez-moi un mail, je corrigerai.

Et à l’année prochaine.


The ludopathic gathering

For 25 years now, more or less every spring, I hold in Etourvy, between Champagne and Bourgogne, my own boardgame convention, the ludopathic gathering. It was originally a small friendly meeting of about thirty people more or less involved with one of my first publishers, Ludodélire. 25 years later, it is an international event, invitation only, in which I try to mix old and new friends with people from the boardgaming world, often with their families.

I’m often asked why I spent so much time and energy in preparing this gathering, almost all by myself. The fact is that I’m so busy dealing with daily organizational stuff that I much fewer time to discuss business and pitch my prototypes than other designers such as Antoine, Bruno, Ludo, Théo and a others. Of course, the first reason is that I have fun with it, and that I enjoy being, if only for one week, the focus of everyone’s attention. Another reason is that, while I would like to have more time to playtest and show my game prototypes, it nevertheless helps me keeping in contact with the boardgaming world, and it is a kind of self promotion. It’s fun for everyone, it’s also fun for me, even when it’s tiring. Also, after 25 years, the organization has become very smooth and almost automatic, requiring much less work than, for example, Roberto Fraga’s Corsaire Ludique.

I had caught a cold and was a bit ill in the first days, but then everything got back in order. It was a very long week-end, which started for a few one of us on Monday night, and for most attendees on Tuesday or Wednesday. There were 140 people accommodated in a dozen different places in Etourvy, right in the middle of nowhere, and in the nearby villages, Mélisey, Quincerot and Trichey

Many thanks to all the publishers who took part, that is – I hope I don’t forget anyone :
Abacus
Asmodee
Blackrock
Blue Orange
Catch’up Games
Days of Wonder
Djeco
Don’t Panic Games
Forgenext
Grrre games
Heidelbär
Hobbyworld
Iello
Libellud
Lui-même
Matagot
Oink Games
Pixie Games
Purple Brain
Ravensburger
Rebel
Repos Prod
Sand Castle Games
Space Cowboys
Surfin’ Meeple
Taiwan Boardgame Design
Van Ryder Games

And the ones who could not join but sent us games for the prize table:
Cryptozoic
Fantasy Flight Games
Gigamic
Kolossal Games
North Star Games
Z-Man Games

I won’t make a list of game designers, because many attending gamers were mostly here to play and have fun, but are also wannabee designers with one or two prototypes up their sleeve. I will, on the other isde, list the game artists, because there were only three, two regulars, Maeva Kosmic and Christine Deschamps, and a newcomer, Christine Alcouffe.

Many thanks to all those who helped me with all the practical stuff, the Équipe Ludique, those who helped me with the shopping, those who went to the Tonnerre station to catch people or drive them back, and especially Didier who woke up early on Sunday so that the Russians could get their train, and then their plane. Many thanks also to Camille who, feet solidly on the ground, took care of the beer. Many thanks, of course, to the whole team of the Etourvy city, both in the office and in the kitchen.

There’s “still” a public health service – for how long ?

Many thanks also to the emergency services at the Tonnerre hospital. When Manu started feeling bad on Friday night, I called the emergency services and got someone in Troyes. I explained that we were in Etourvy, between Tonnerre and Chaource. The officer’s answer was “Wow, that’s in the middle of nowhere. I’m not even sure there’s still an emergency ward in Tonnerre”.  Well, there was one, he called it, and twenty minutes later they were here, they examined Manu and they left with him. Everything went well, and he was back in the middle of the night.
The frightening word, however, is “still”. The question is not whether there is an emergency ward in Tonnerre, it is whether there is “still” an emergency ward in Tonnerre. We can imagine old public services closing and disappearing, we cannot imagine new ones opening. The fact that such a problematic trend feels normal, almost natural, tells a lot about the political system we are living in.
Anyway, Manu’s problems were benign, and it would not have been dramatic if he had to go to Troyes or Auxerre. The only difference is that he would not have been back at 4 am. In more dramatic cases, however, the extra distance could have made a difference. I hope there will “still” be an emergency ward in Tonnerre next year. This decided me to go on strike next Thursday for the defense of public services?

Sun and Snow

I know that, every year, hundreds of gamers browse the photos from the ludopathic gathering. They are probably less impressive this year than last one, because we were not very lucky with the weather. Wednesday was really nice, but only half of the attendees were there. We had some sun on Friday afternoon, but it was cold. Thursday was rainy, and we even had some snow on Saturday afternoon. Despite this, the two sport addicts, Bruno Cathala and Liesbeth Bos, managed to go for a few bike rides in the countryside.  

There were fewer big outside games than last year. We had a blowpipe contest, a giant twister (but I must improve the rules for next year) and the usual. Like last years, Laurent Escoffier came with a really innovative idea – the Walking Mind. I let you look at the pictures and videos and guess the rules.

The rainy weather, on the other hand, was not a problem for inside games. On Friday afternoon, Sébastien had organized a small parochial larp, Uncle Cristobal is back (from America, of course). It was a hit and will certainly be played again, in Etourvy or somewhere else. On Saturday, isabelle held a classical Murder Party scenario, God is Dead. The author, Croc, was also here.  Didier won the traditional poker tournament.

Beer and cocktails

There was much innovation this year with the drinks. Thanks to and cocktails Camille, we had draft beer on tap, made by a local brwer, the brasserie Thibord. It was really good, and it was a relief not have hundreds of empty bottles to remove every night.

Also, the Équipe Ludique prepared every night two mystery cocktails, one for adults and one for kids. Tracking the ingredients was really difficult. For those who didn’t keep track, the ingredient were:

Wednesday night :
– Tequila
– Aperol
– Guava juice
– Strawberry sirup
– Lemon
Kids cocktail:
– Pear Juice
– Lime
– Blueberry syrup

Thursday soir :
– Calvados
– Orange juice
– Blackberry cream
– Red Martini
– Lime
Kids cocktail:
– Coconut milk
– Pineapple juice
– Orange juice      

Friday night:
– Amber rhum
– Coffee
– Amaretto
– Sugar cane syrup
– Cream
Kids cocktail:
– Apple Juice
– Lemonade
– Raspberry Syrup

Saturday night (the best cocktail imho):
– Tequila
– Amber rhum
– Ginger Beer
– Raspberry syrup
– Lime
Kids cocktail:
– Orange Juice
– Schweppes
– Strawberry syrup

It made for a great team game, and we will do it again next year.

Also, Krzysztof had brought from Poland a bottle of my favorite vodka, Jarzebiak. Unfortunately, it was drunk before I could even touch it. I hope the culprits will confess and manage to get another bottle next year.

Some news from the gaming world

There were designers, publishers, artists, a few agents or distributors, and dozens of players. Of course, we discussed what’s happening in the boardgaming world. Who is getting fatter, who is getting thinner. Who is getting married, who is getting separated, who is involved in some strange threesome. Anyway, things are moving in many directions, and a few people don’t even really know where they are. Yes, I know, this must sound a bit mysterious, but I can’t or don’t want to go into details – and anyway, I ignore most details

Miost of the time, however, we played and then discussed games, either the games just published or the ones soon to be. Too busy running around managing my 140 attendees and ten gites, I didn’t play that much and played only short games. On the other hand, I walked between the gaming tables, and often stopped by to ask players what they thought of this or that new game.

There were a few big box games, gorgeously illustrated and published, which had already made some buzz. Hardcore gamers were waiting for them, and had even asked me if they will be available to play in Etourvy. It looks like they all fell a bit flat. I won’t give their names here, but the most dedicated players will easily recognize them on the pictures.
With more and more games published every year, especially big games hours-long games, players might have become more demanding, and especially the informed players who attend my gathering. I think, however, that there’s more to it. I’m afraid we are witnessing a perverse effect of the recent wave of ambitious games sold mostly, but not only, on kickstarter. One doesn’t buy a game on kickstarter, one buys the promise of a game. As a result, the look and art of a game seems more critical to its success than its actual gameplay. New games have great art, nice components, lots of exciting design ideas, but they sometimes lack the last and most important part of development, the trimming down, the removal of everything heavy or unnecessary. On Kickstarter, more always seems to mean better, and this now also affects the heavy games published in a more traditional way, which are promoted as if they were intended to stay more than a few months on the market. Many of these games arrive at once with three or four expansions, when what they would have needed is a compression. The problem is that “let’s remove everything superfluous” is not a stretch goal as exciting as “let’s add a dozen miniatures and their special rules”.

As a result, the most played game in Etourvy, the games that “made the buzz” were those that are not affected by this trend, which means lighter, faster and less ambitious games. The main hit was undoubtedly Tom Lehmann’s Res Arcana, because it is a great middle weight brain burner game (which means not realy my kind of game), but also because Cyrille was promoting it in a constant and nice way. The other games which were always playing were even lighter, games like Farben, Tokyo Highway, Dany or Draftosaurus. There were a few mad players anle to play one Terraforming Mars after another until seven in the morning, but they were not that many.
Etourvy is not only new games. I always bring 1 or 2 thousand games more or less randomly taken from my library. Every year, one or two of these older games stand out for no obvious reason and are played by almost everyone. This year, these were Linko and fantasy Realms.

Of course, with so many game designers and publishers around, many tables were often playing non-existing games, of which I know nothing more than what can be seen on the photos. There are drafts we are working on and trying toimprove, and nice looking prototypes we are pitching to potential publishers. I had brought a dozen, but only played four, Trollfest and Vintage which are looking for publishers, Lifestalys and Reigns which have found one. I have no picture of Vintage and Reigns being played, but may-be someone took one.

I think that’s all. If you think I forgot something which deserves to be told, plese say it in the comments or email me.

And see you next year!

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