L’école et l’Europe
Europe at school

Il n’y a pas plus européen, pro-européen, pan-européen que moi, même si ce n’est pas avec le même enthousiasme qu’il y a une vingtaine d’années – peut-être parce que j’aimerais une Europe des lumières et pas une Europe des nations. Les lumières, c’est joli et sympa; les nations, c’est moche, bête et méchant.
Je devrais être rassuré en feuilletant les programmes et les manuels scolaires de lycée, très favorables à l’idée européenne, mais je suis effaré – surtout lorsque je dois les utiliser. En économie, histoire, géographie, sociologie, l’Europe est abordée sans cesse, les mêmes fausses évidences rabâchées d’année en année, avec une finesse digne de la propagande stalinienne. Ce bourrage de crane, dont les élèves ne sont pas dupes, ne peut à terme que les dégoûter d’une idée européenne qui, me semble-t-il, serait encore en mesure de supporter l’intelligence, la réflexion, la subtilité et pourquoi pas la discussion.
Ceux qui définissent les programmes scolaires, ceux qui rédigent les manuels, oublient une règle d’or de l’enseignement – il ne faut jamais prendre les élèves pour des cons. Ils le sont parfois, mais c’est loin d’être une règle générale.


No one feels more european, pro-european, even pan-european than me, even when I might be less enthusiastic than twenty years ago – may be because I’d rather have the Europe of the enlightenment than the Europe of Nations. Light is nice and cute, nations are ugly, dumb and nasty.
I should feel reassured when browsing school curricula and schoolbooks, all very pro-european, but I’m aghast. In economics, history, geography, sociology, Europe comes back almost every year, in every syllabus, as an evidence that should not be discussed, like historical materialism in stalinist schoolbooks. Students are not fooled by this cramming, whose most likely effect will be to put them off all things european. It’s shame, because I’m sure European ideas can still stand thought, subtlety and even discussion.
Those who write curricula and schoolbooks forget a golden rule of teaching – never talk to students like they’re dumb. They might be, sometimes, but it’s far from being a general rule.

Comment et où sont fabriqués nos jeux ?
How and where boardgames are produced ?

v315- grand chaman

Me cantonnant au rôle d’auteur, je ne me suis jamais intéressé de très près au processus de fabrication de mes jeux. Le peu que j’en sais me vient de discussions et de remarques occasionnelles des éditeurs, mais je n’ai jamais mis les pieds dans une usine où sont produits des jeux. C’est donc avec curiosité que j’avais regardé, il y a un ou deux ans, le reportage que Stephen Conway, un passionné de jeux de société, avait réalisé pour son blog “The Spiel” dans l’usine allemande de Ludofact. Ludofact -je ne sais jamais si cela s’écrit avec un c ou un k – est le principal fabricant allemand de jeux de société, produisant les boites de la plupart des éditeurs allemands, et de bien d’autres
La video peut être vue ici.

ludofakt

Sam Brown de Thornhenge, un petit éditeur américain qui a publié à compte d’auteur le jeu Lyssan, a récemment fait le tour de plusieurs usines produisant des jeux de société en Chine, et en a reporté une série de reportages illustrés montrant, autant qu’il a pu les voir, l’organisation de la production, la qualité des produits et les conditions de travail dans cinq usines chinoises. Il a publié ces reportage sur son blog, après avoir demandé l’accord des industriels concernés. Seul l’un d’entre eux a refusé, ce qui devrait logiquement encourager à travailler plutôt avec les quatre autres.
Ses reportages peuvent être lus ici.

L’impression qui ressort de la mise en parallèle de ces observations est qu’il n’y a pas tellement de différences. Les techniques employées, et même les conditions de travail, ne semblent pas si différentes. Alors, certes, les travailleurs chinois sont certainement moins bien payés, mais si leurs salaires continuent à augmenter au rythme actuel, ils nous auront rattrapé dans dix à quinze ans. Ils ont certainement des horaires plus durs que que ceux des travailleurs allemands – qui à en croire la video de The Spiel sont surtout des ouvrières turques – mais je crois volontiers Sam Brown quand il rapporte que le rythme de travail ne lui semblait pas excessif et que les travailleurs n’avaient pas l’air épuisés.

pandagame

On peut souhaiter, pour diverses raisons, travailler avec des fabricants européens, en l’occurrence surtout allemands ou polonais. Ils sont plus proches ce qui diminue coûts et délais de transport, et contact et contrôle sont plus faciles. On peut aussi y trouver des raisons de morale politico-économico-écologique, qu’il s’agisse de relocalisation de l’emploi ou de diminution des transports inutiles et énergivores, car le discours sur la “démondialisation” cher à notre ministre du redressement productif, s’il n’est pas toujours réaliste, n’est pas non plus toujours stupide. Mais les discours culpabilisants sur le thème “vous bossez avec les vilains chinois qui font travailler les petits nenfants” sont, pour l’essentiel, obsolètes – d’autant plus que si leurs salaires ont augmenté et s’ils ne font plus travailler les petits nenfants, c’est justement parce que l’on fait tourner leurs usines depuis un certain temps déjà.

Tout cela pour dire, suite à quelques mails que m’a valu mon post précédent, que je ne suis absolument pas moralement gêné de travailler avec des éditeurs qui produisent leurs jeux en Chine – ce qu’ils font d’ailleurs presque tous, du moins en partie.


v314-shaman

I’m a game designer, and I’v always stayed carefully away from publishing and, even more, producing games. The few I know about the latter is from occasional remarks by my publishers, but I never even set foot into a game manufacturing factory. That’s why, one or two years ago, I watched with intense curiosity the long video report shooted by Stephen Conway, for his blog “The Spiel”, in the Ludofact plant. Ludofact – I never know if it’s writtent with c or k – is the major German game manufacturer, working for most German publishing companies, and several others.
You can watch the video there.

ludofakt

Sam Brown owns Thornhenge, a small american publisher whose first published game was Lyssan. Sam recently tourde several Chinese game manufacturing plants, and came back with some interesting comments and a series of reviews of what he saw in five factories. Only one of these refused that the review was published afterwards, which should logically encourage publishers to work with the four others.
The “factory tour” reviews can be read there.

After watching the video and reading the reviews, the striking impression is that it’s not that different. The technology, the labor organization, the working conditions even, sound similar. Of course, Chinese workers are certainly payed less than German ones, but if their wages keep growing like they did these last years, they’ll catch up with them in ten or fifteen years. They also certainly work longer hours than German ones, but I believe Sam Brown when he states that the pace of work didn’t seem exhausting and that the workers didn’t look exhausted.

pandagame

There are good and sound reasons to prefer to work with Eurpean manufacturers – meaning mostly German and Polish ones. They are nearer from us, which means cheaper and faster shipping, and easier contact and control. There can also be solid moral and political reasons, about “reverse outsourcing” of jobs and saving energy. But the finger pointing on “bad companies who work with Chinese and support child labor” is largely, if not entirely, obsolete. Furthermore, the main reason Chinese wages are rising and the working conditions steadily improving is that their factories are working for us for quite long already.

The main point of this blog post, of course, was to explain to the few people who emailed me after my last posting on Formula E that I have no moral problems with working with game publishers who print in China – and as a matter of fact, most do, if sometimes partially.

L’Horreur identitaire
The Identity Horror

v315- grand chaman

Chaque fois ou presque que je suis interviewé pour une revue ou un site web français, on me pose une question sur la spécificité des auteurs ou des éditeurs français – ou parfois francophones, adjectif plus politiquement correct car il sonne un peu moins nationaliste  et un peu plus culturel, et permet d’inclure quelques suisses, québécois et belges, qui sont de fait loin d’être négligeable dans le milieu ludique. À chaque fois, cela m’énerve. Cette spécificité existe sans doute un peu, du simple fait que des auteurs  et éditeurs qui vivent assez près l’un de l’autre et parlent la même langue ont plus de facilité à se rencontrer, à parler et à collaborer, mais je ne vois vraiment pas pourquoi nous devrions l’entretenir, nous en réjouir, voire en être fier. Je suis auteur de jeu par passion, par curiosité intellectuelle, par choix, et j’en suis fier ; je suis français par hasard, ai toujours refusé d’y attacher la moindre importance, et n’en tire aucune fierté particulière. Cela a quelques avantages pratiques, notamment le fait qu’un passeport français ouvre plus de barrières qu’un passeport congolais ou afghan;  j’en profite assez égoïstement, mais ça ne m’empêche pas de trouver cela injuste.

L’un des charmes du milieu des auteurs de jeux, et ce qui le différencie peut-être des milieux littéraires, est son caractère très international. Si je travaille en ce moment sur quelques idées de jeu avec des auteurs français, j’ai d’autres projets en cours avec des auteurs italiens, allemands et brésiliens, sans avoir eu heureusement à apprendre l’italien, l’allemand ou le portugais. Même les règles des jeux pour lesquels je travaille avec des auteurs français et à priori pour des éditeurs français (ooops ! francophones) sont le plus souvent rédigées en anglais. Les raisons pour cela sont essentiellement techniques – cela  simplifie le travail de rédaction initiale, la langue anglaise étant plus adaptée à l’écriture de règles brèves et claires, et permet de présenter les prototypes à des éditeurs du monde entier – mais ce n’est en rien un renoncement ou une concession. Je suis même convaincu que nous gagnerions tous à utiliser, dans le jeu et dans tous les domaines où la langue a peu d’importance, la même langue. Aujourd’hui, ce ne peut-être que l’anglais, tout comme ce ne pouvait être que le français au XVIIIème siècle ou le latin au XVIème.

Je suis toujours surpris de voir des gens de gauche se joindre au discours nationaliste et réactionnaire sur la « défense de la langue française » prétendument agressée par l’impérialisme culturel américain (qui a d’autres chats à fouetter). Il me semble  qu’aujourd’hui, les nationalismes européens, dont la langue est l’un des thèmes favoris, représentent pour nos libertés de penser et de s’exprimer, et même pour la paix, un danger bien plus immédiat et bien plus grave que l’utilisation de la langue anglaise. Je suis peut-être un incorrigible utopiste, mais je crois que la paix dans le monde aura fait de sacrés progrès le jour où nous pourrons tous communiquer dans la même langue, sans doute un anglais un peu rustique (oui, je sais, c’est un peu ce qui est en train de se passer et la paix ne se porte pas si bien, mais ce serait sans doute bien pire si nous ne pouvions pas nous comprendre). Nous conserverons sans doute nos langues pour l’amour et la littérature, et quelques chansonnettes, mais nous n’en avons pas besoin pour le reste. Qui sait, nous pourrions peut-être même jouer ensemble – et l’une des raisons pour lesquelles j’essaie d’acheter tous mes jeux en anglais est que cela me permet de jouer avec à peu près n’importe qui, quand les jeux en français ne peuvent être joués qu’avec des français, et quelques rares suisses, belges ou québécois.

Alors, que l’on cesse de me bassiner avec le monde ludique francophone, les auteurs de jeux francophones, le web ludique francophone – je n’en ai pas grand chose à faire. Je m’en préoccupe par amitié, car j’y connais beaucoup de gens bien, et par intérêt, car cela reste le marché principal de beaucoup de mes jeux, mais moralement et politiquement, je n’en ai rien à faire.

Suite : Ce texte m’a valu, sur Facebook, des insultes non seulement pour moi, mais également pour quelques amis qui avaient eu le malheur de me défendre. Si je suis volontiers provocateur, ce n’est pas parce que je cherche l’affrontement mais parce que la provocation intellectuelle déstabilise, fait réfléchir et suscite le débat. Je m’attendais à des désaccords, je ne m’attendais pas à des insultes.  Lorsque les discussions ont dégéré en attaques ad hominem, j’ai cependant préféré m’éclipser, traitant le village gaulois, ringard et teigneux, avec le mépris qu’il mérite. Je remercie ceux qui, n’osant plus s’exprimer sur Facebook, m’ont apporté leur soutien par email et je maintiens ma position.


v314-shaman

Nearly every time I’m interviewed for a French magazine or website, there is a question about the specificity of French game designers and game publishers – or rather francophone, a more politically correct adjective because it sounds less nationalistic and more cultural, and incorporates some Swiss, Belgian or Quebecois, who are indeed important, especially among publishers. Every time, it makes me nervous, or even angry. Of course, there are some trends or characteristics more or less specific to the French gaming world, if only because designers and publishers leaving near one from the other can easily meet, talk and work together, but I don’t think we have to maintain it at all price, to be glad or proud of it. I design game by passion, by intellectual interest, by choice – and I’m proud of it. I’m French by sheer luck, and I’ve always refused to place importance on it. Being proud of it would be simply stupid. It brings some nice benefits, mainly the fact that a French passport opens more barriers than a Congolese or Afghan one; I make the most of it, but this doesn’t prevent me from knowing it’s unfair.

One of the charms of the game designers world, especially when compared with the otherwise similar writers’ world, is that it’s really international. I’m working at the moment on some designs with other French designers, but also with Italian, German and Brazilian ones – all in English, of course, because I wouldn’t have found the time to learn Italian, German and Portuguese.  Even the games I design with other French authors have usually English rules, because the English language is more convenient for writing short and clear rules, and because it allows us to show the game to publishers from all around the world – including France. I’ve never felt it was a giving up or a compromise. I’m even convinced it would be all for the better if the whole world were using the same language in all domains where language doesn’t really matter – such as games. Nowadays, this language can only be English – like it could only be French in the XVIIIth century or latin in the XVIth.

I’m always deeply disturbed when I see people who call themselves leftists join in the nationalist and reactionary discourse about the “defense of the French language” supposedly attacked by US cultural imperialism (which has probably other fish to fry). At the moment, European nationalisms, for which national languages are a very important topic, seems to be a much more immediate and threatening danger for our freedom of thought and speech, and may be even for peace, than the use of the English language. I might be an incurable utopist, but I think world peace will make a great step forward when we will all speak and understand the same language, probably some rustic form of English (Well, I know that’s what’s more or less happening and peace is not going so well, but things would probably be worse if we could not understand one another). We will probably keep our good old languages for love and literature, and some children songs, but we don’t really need more of it. Well, may be we can even play games together – and the main reason why I try to buy most of my boardgames in English and not in French is that it allows me to play them with almost anyone, when I can play French versions only with French people, and a few Swiss, Belgians and Canadians.

So, please stop annoying me with the French gaming world, the French speaking game designers, the French gaming websites, and so on – I don’t really care about it. Well, I do care because personally because I have good friends in the French gaming world, and financially, because it’s still the main market for most of my games, but morally and politically I don’t.

Follow-up : there has been some very agressive comments – in French, of course – of this blog post on Facebook. Some of this comments were deliberately insulting for me, and for friends who were trying to defend me, or only to calm things down. I am often provocative, but it is never because I’m eager for fight – it is because I know that intellectual provocation destabilizes and arouses reflection. When talks degenerates into ad hominem attacks, I prefer to quit and disregard violent and stupid people . 

Jeu et éducation
Games and education

Ce texte sera publié dans les actes du colloque “Jouer ou Apprendre ?”, qui s’est tenu au mois de mai à Chamonix. Mon intervention ayant été improvisée à partir de notes succinctes, ce texte en est une reconstruction a posteriori, qui s’éloigne sans doute parfois de ce qui a été effectivement dit – ou de ce que d’autres s’en rappellent. Je m’en excuse par avance.

Historien, professeur d’économie et de sociologie en lycée, je suis aussi auteur de nombreux jeux de société, mais j’ai toujours pris grand soin de maintenir entre ces deux activités une frontière relativement étanche, de garder deux casquettes.
Mes élèves savent que je suis joueur, et auteur de jeux. Dans mes cours d’économie, je cite souvent comme exemple le marché du jeu, et les éditeurs de jeux de société, que je connais bien. Ils sont de bonnes illustrations des problèmes de saisonnalité, des calculs de coûts de production, des réflexions sur l’externalisation.
Je suis convaincu que l’histoire du jeu, encore très marginale, pourrait être plus développée – mes premiers travaux universitaires traitaient d’ailleurs de l’évolution des règles du jeu d’échecs, et – ce qui était encore plus amusant – des théories sur l’origine de ce jeu, au Moyen-Âge et à la Renaissance.
Le jeu est aussi un thème intéressant, souvent abordé bien qu’il ne soit pas en tant que tel dans les programmes, dans l’enseignement de la philosophie. Pascal, dont je reparlerai, passe très bien dans les classes de terminale.
Les enseignants de mathématique abordent certes ce qu’ils appellent la théorie des jeux, mais c’est en fait la théorie des choix, des décisions, de beaucoup  de choses qui sont loin d’être toujours des jeux.

Le jeu a bonne presse aujourd’hui, en particulier dans l’éducation. Les «serious games» – un pléonasme déguisé en oxymore car le jeu est toujours pratiqué avec sérieux – sont de tous les doctes stages pédagogiques, même si – heureusement peut-être – bien peu d’enseignants ont vraiment les moyens de les utiliser.

Si le jeu comme thème ne me pose aucun problème, le jeu comme outil d’enseignement au lycée me semble en effet plus problématique. Mon point de vue serait sans doute différent si j’enseignais dans le primaire, où le jeu peut faire gagner du temps, ou à l’université, où des savoirs plus pointus, plus formalisés et mieux maîtrisés peuvent rendre le jeu plus utile. Le jeu pédagogique me pose problème pour trois raisons. D’abord, il remet en cause la nature même du jeu, qui doit rester un divertissement. Ensuite, il tend à renforcer la tendance au formalisme de l’enseignement actuel, en particulier en France. Enfin, il implique une telle perte de temps qu’il peut remettre en cause la fonction essentielle de l’enseignement, apprendre à penser, à comprendre, à réfléchir, à prendre du recul.

1) Le jeu comme divertissement pascalien

Le jeu comme divertissement (Pascal) comme anxiolytique de plus en plus nécessaire dans une société de plus en plus complexe (Durkheim), doit pour remplir son rôle rester vain, rester à l’écart du monde réel.
Si je suis joueur, c’est parce que je me pose des questions à côté du jeu, des questions sur le monde, le reste du temps. J’ai donc besoin d’une frontière claire entre ce qui relève du jeu et ce qui relève du monde réel – qui n’est pas seulement le travail. Je crois que nous avons tous besoin de cette limite.
Les élèves sont bien conscients de cette distinction, et se méfient avec raison des jeux pédagogiques. Quand on leur dit “on va jouer pour apprendre”, ils sentent l’arnaque. Ils savent bien qu’on leur dit qu’on va jouer, mais qu’en fait on est toujours là pour apprendre, pour travailler, que ce n’est pas du jeu. Ils ont donc une réaction de rejet face à ce qu’ils perçoivent – largement à raison – comme une tricherie.

Le jeu pédagogique dévalorise l’enseignement – on a honte d’enseigner, il faut déguiser l’enseignement en jeu – et dévalorise également le jeu – qui n’est plus qu’un vague modèle à l’honnêteté douteuse.

2) La stratégie contre la critique

Les partisans de l’utilisation systématique des jeux dans l’enseignement insistent sur le fait qu’ils forment à la réflexion stratégique et analytique. C’est une évidence, non seulement pour les jeux de stratégie, mais aussi pour la plupart des jeux de société modernes qui appartiennent à ce que l’on appelait autrefois les jeux «de hasard raisonné», c’est à dire calculable, analysable. Et c’est peut-être cela le problème.
Les jeux qu’il est possible de mettre en place pour enseigner l’économie ou la sociologie sont le plus souvent inspirés de modèles théoriques, abstraits, presque mathématiques, donc d’une vision très spécifique, et rarement neutre, des réalités sociales. On sait pourtant que ces modèles ont fait des dégâts considérables, car on a souvent essayé de plier la réalité pour la conformer au modèle, ce qui est l’exact inverse de la démarche scientifique des physiciens et mathématiciens.

La tendance actuelle dans l’enseignement est à favoriser la transmission des connaissances et la réflexion analytique, en évacuant systématiquement les dimensions humaines et sociales, et tout ce qui pourrait ressembler à un débat critique ou une question existentielle.
L’importance excessive donnée aux enseignements scientifiques, et le caractère de plus en plus technique et de moins en moins théorique des programmes de mathématique, les évolutions de l’enseignement de la littérature, réduit de plus en plus à un dépeçage grammatical et rhétorique de textes dont le fond et le contexte n’importent plus, les lamentables nouveaux programmes et nouvelles épreuves de sciences économiques et sociales, qui évacuent tout débat et présentent économie et sociologie sous un angle purement technique, en sont d’édifiantes illustrations. Or c’est précisément le même objectif que vise le jeu pédagogique – formaliser à l’extrême les contenus, réduire la réalité à des systèmes clos, et inviter à appliquer des règles et des mécanismes sans s’interroger ni sur leur pertinence ni sur leur raison d’être. Pour se reposer d’un monde complexe et angoissant, pour se divertir, c’est très bien. Pour transmettre des connaissances et des expériences sur le monde réel, cela peut être dramatique.

Un minimum d’organisation et de rigueur est sans doute nécessaire à l’efficacité de l’enseignement. J’accepte que l’on ait des salles numérotées, des classes numérotées, que l’on fasse l’appel, que la cloche sonne à heure fixe, même si j’ai parfois l’impression d’être dans une caserne ou un couvent plus que dans une école. J’accepte que l’on ait des devoirs, des examens, des notes – tout un attirail formel directement inspiré du jeu. J’accepte tout cela, avec quelques regrets, parce que je sais qu’il serait difficile de fonctionner autrement – surtout «à moyens constants» ;-). Je ne pense pas qu’il soit souhaitable d’aller plus loin.

L’école doit permettre aux élèves de prendre les connaissances, de s’en saisir et d’en faire ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent. C’est ce que permet la discussion, le débat, et surtout la recherche et la réflexion personnelles, qui restent possibles dans un cours relativement informel. Cela devient plus difficile quand les cours doivent suivre des powerpoint soigneusement préparés, qui aident certes le professeur à apporter efficacement les contenus mais le brident quand il faut s’en éloigner.
Cela devient impossible quand l’enseignement se fait par un jeu dont, par définition – parce que c’est l’essence même du jeu – on ne peut sortir. À la limite, des jeux de société très simples, ou des jeux de communication permettant d’expliquer un mécanisme peuvent être utiles, s’ils sont suivis d’une critique, d’un commentaire de ces mécanismes. Les jeux plus complexes, et notamment les «serious games» informatiques qui demandent un investissement fort et durable du joueur, et s’efforcent de dissimuler leurs mécanismes, de ne pas révéler leurs règles, non seulement n’aident pas à comprendre le monde mais contribuent à en donner une image systématique et biaisée.

Si le jeu n’est généralement pas un bon outil pédagogique, les techniques de “game design” peuvent en revanche en être un. Concevoir un jeu, construire le modèle, amène en effet à réfléchir sur les contenus. Un parallèle intéressant peut être fait avec l’enseignement de la littérature. Aux États-Unis, l’accent est mis sur le “creative writing”, qui a presque disparu de l’enseignement littéraire français, devenu pour partie académique (grands classiques), pour partie ludique (chasse aux figures de rhétorique). Le système américain, à la fois plus amusant et moins ludique, s’avère bien plus efficace, y compris pour apprendre à apprécier les classiques.

3) Perte de temps et d’efficacité

Mettre en place, concevoir un jeu demande énormément de temps et de travail. Les programmes de lycée s’alourdissent – en partie parce que l’on ne veut pas qu’il soit possible d’approfondir, en partie parce que l’on ne veut pas que les professeurs – et surtout les élèves – aient le temps de réfléchir à la pertinence des enseignements.
Le jeu aggrave cela, en ajoutant au temps nécessaire à l’apprentissage des contenus celui requis par l’apprentissage et l’utilisation des règles.

Le système scolaire français, en particulier au lycée, n’encourage pas l’autonomie des élèves. Les outils informatiques, et en particulier internet, sont fabuleux pour cela quand les élèves se les approprient, les utilisent chacun à sa façon pour de la recherche, ou simplement de la découverte. Les TPE (travaux personnels encadrés) en lycée, l’une des rares innovations pédagogiques intelligentes et réussies de ces dernières années, permettent cela, mais restent trop marginaux. L’autonomie permise par le jeu est à l’inverse ne fausse autonomie, une autonomie encadrée, une liberté régulée, une arnaque. À la limite, l’enseignement a plus besoin de jouets, et l’ordinateur en est un, que de jeux.

Conclusion

Enseignement plus ludique, oui, si cela veut dire enseignement plus désordonné, plus ouvert, plus improvisé, plus pluraliste – mais c’est le contraire du jeu, c’est la dérégulation, la responsabilisation des élèves dans le monde réel.
Enseignement plus ludique, non, si cela veut dire ajouter encore des règles arbitraires, des modèles abstraits, des systèmes de scores à un système qui souffre déjà d’un formalisme excessif.

L’adjectif ludique veut dire une chose et son contraire – qui impose des règles et relève du jeu et de l’ordre, qui affranchit des règles et relève de la fête et du désordre. Je pense que l’enseignement aujourd’hui souffre d’un excès de règles, et qu’il a grand besoin d’un peu de désordre.

Mes jeux visent à divertir, pas à enseigner. Il se trouve que l’on peut y calculer (Diamant), y collaborer (Novembre Rouge), ou même y mentir (Mascarade), mais ils ne cherchent pas à enseigner le calcul, la coopération ou le mensonge – ils ne veulent que divertir. La seule exception est sans doute Terra, le seul de mes jeux qui ait clairement une vocation pédagogique (et politique). C’était pour la bonne cause, le développement durable, tout ça, je ne pouvais pas refuser. C’est le jeu qui m’a valu le plus d’invitations à faire des conférences ou à parler du jeu, ce n’est pas celui qui s’est le mieux vendu, et je ne pense pas que ç’ait été le plus utile.


This text will be published in the acts of the symposium on “Gaming or Learning” which took place in Chamonix, last May. My speech was mostly improvised, based on short and succinct notes. This text is therefore a reconstruction written a few weeks later. I apologize if it differs here or there from what I have effectively said, or from what other people might remember.

I have a PhD in history and teach social sciences in a French high school, and I am also a prolific boardgame designer, but so far I always managed to keep these two activities apart.
My students know quite well that I am a gamer and a game designer. When teaching economics, i often use as examples the boardgame market and the boardgame publishers, which I know quite well. They are good examples to explain the business cycles and seasonality, the production costs issues, and the outsourcing debate.

I’m convinced that the history of games, and of gaming, which is so far almost non-existent in academic studies, could be much more developed. My masters dissertation dealt with the way the rules of chess and, which was more fun, the theories about its origins evolved in the Middle-Ages and the Renaissance.
Game and play are also an interesting topic for philosophy lectures – a specificity of French High schools. Game in itself is not part of the programs, but Blaise Pascal, whom we will meet again later, is one of the authors most regularly studied.
Math teachers are theoretically the only ones to tell specifically about games, but their so called game theory is badly named because it tells of all kinds of strategic decisions, and not specifically of games.  

 Games are very popular among education theorists and bureaucrats. The so-called “serious games” (a pleonasm disguised as an oxymoron, since every game has to be played seriously) are discussed at length in all kinds of boring pedagogic meetings, even when very few of the teachers attending have the technical means to use them in their class – well, may be it’s better so.

Games as an academic topic is not a problem, and should be encouraged. Games as an educational tool are more problematic. I might have a different point of view if I were teaching younger children, with whom games can help save time, or at the university, where a deeper, better mastered and more formalized knowledge can more honestly be implemented in a game.
I have three main issues with educational games. First, it questions the very essence of gaming, which must be a diversion from real life. Second, it accentuates the actual trend to excessive formalism in school curricula and technics, especially strong in France. Third, it takes so much time that it challenges what ought to be the main goal of education, teaching to think, to understand, to question and to discuss everything.

1) Game as a diversion

Games are foremost a diversion from the real world, and for this reason a powerful anxiolytic (Pascal), something which becomes more and more necessary when the society becomes more and more complex and intricate (Durkheim). Games can fulfill these basic social function only if they are pointless, disconnected from the real world.
I’m a gamer because, in the rest of my life (when I’m not playing), i ask myself questions about the real world. I need a clear boundary between what is real and what is not, what is pointless and what is not, what is game and what is reality – and reality is not only work. I think we all need this boundary.
Students are highly conscious of this difference, and are wary of educational games. When a teacher says that they will play to learn, they know perfectly well it’s a scam, and react accordingly. They know that the real objective is still to work and learn, that it’s not really a game but just a means, and they take the teachers and the school for what they are – cheaters.

Educational games discredit education – it feels like teaching is shameful and has to de disguised as a game. They also discredit games, which become just vague and dishonest mathematical systems or social engineering tools.

2) Strategic or critical analysis

The core argument of the supporters of systematically using games in education is that games effectively teach strategic and analytical thinking. This is obviously true, not only of the so-called strategy games, but also of most modern board games, who belong to a category which was called in old French – I don’t know if there’s a similar expression in English – games of “reckonable randomness”. But this might also be the problem.
Games that can be used to teach economics or sociology are usually based on abstract, almost mathematical, models and therefore on a very specific, and usually very oriented, conception of the social world. Both in economics and sociology, mathematical models have already done much harm, especially when politicians try to adapt the reality to their theoretical model, when well-thought scientific process is the exact opposite.
The actual trend in French school curricula and teaching methods is to focus both on transmitting first basic and then encyclopedic knowledge, and on strategic and then analytical analysis, while carefully removing or hiding anything that could look like an open question or a possible debate.

The growing emphasis is on hard science, mostly mathematics, and the new maths curricula have much more technics and less theory. The way we teach French literature has become a stupid game of looking for grammatical forms and figures of rhetoric, never caring what the text is really about – and don’t even think of social or historical context. The new programs in Sociology and Economics, which I’m supposed to teach, are designed to avoid anything that could lead to discussion, and describe economics and sociology as abstract, almost scientific, technics and systems. Educational games do the same, they lead to excessive formalization, they describe reality as a closed system, and they teach to apply rules and mechanisms without ever discussing their accuracy or their social function. It’s OK when it’s just a game, just a few hours of diversion from a complex and anguishing real world.  It’s terrible if it’s supposed to describe the real world and teach some knowledge of it.

Some structure and rigor is necessary in education. I can do with numbered rooms, numbered student groups, roll calls, bell ringing every hour, even when it sometimes feel more like barrack or monastery than school. I can do with tests, exams and scores, which are scoring systems directly inspired by games. I can do with all this because I know it would be hard to work otherwise – especially with no more funds. I can do with all this, but I don’t think we need more.

School is a place where students ought to learn stuff, make it their and do what they want and can with it. It’s possible with discussion, research, debate, personal thinking, all things which are easy in the relatively casual setting of traditional lectures. It becomes difficult when lectures have to follow incredibly detailed programs or carefully prepared powerpoints, which can only help the teacher transmit predefinite knowledge, but prevent him from doing anything else.
This becomes almost impossible when teaching is made through a game from which – that’s the very essence of a game – it’s impossible to get out. Very simple boardgames or communication games allowing to explain a simple mechanism can be useful if the game is followed by some comments on its mechanisms and the underlying ideology. More complex games, and especially computerized “serious games” which often require a deep and long term investment by the player and try to hide their rules for more “realism” don’t help to understand the real world, and often even give of it a systematic and often dishonest image. If you want students to think out of the box, better not shut them into a box.

If games are rarely a good educative tool, game design can be. Designing a game requires to build the mathematical model behind it, and therefore to think of what theories are embedded in the model. We can build an interesting parallel with the teaching of writing and literature. In the US, the focus is on creative writing, something which has almost disappeared from French schools, replaced by an indigestible mix or rhetorics and old French classics, of pointless grammatical games and boring academics. The US system is certainly more efficient – even for learning to read and apperciate classics..

3) Loss of time and efficiency

Designing and finalizing a game, especially one with some educational pretense, requires much time. The school curricula are becoming every year longer and heavier – in part because governments don’t want teachers, and worst of all students, to have enough free time to think by themselves and discuss one with another the stuff they are learning. Games make things even worse, because the time to learn the rules is taken from the time to learn the curricula.

The French school system, especially at high school level, rarely fosters autonomy. Computers are a great thing in school because, once the students master them – and they usually do already -, they can use them in different ways, research, exploration or more traditional written work. A student using a computer has some real autonomy, a student playing a game doesn’t, because he is far too enclosed in a very narrow frame by very precise rules. Schools need more toys – the computer is one – not more games.

Conclusion

We need a more playful school, not a more gamey one. Education would be better, more efficient, if it were more open-minded, pluralistic, chaotic, improvised – exactly the opposite of what structured games can – and probably will – provide. We need a school that makes students more conscious and responsible in the real world, not better at strategic thinking. School need less rules and less test scores, not more.

My games are designed to divert, to bring fun or intellectual challenge, but not to teach anything. Of course, one can learn some maths, especially divisions and prime numbers, playing Incan Gold, one can learn collaboration and the danger of alcohol playing Red November, one can learn to lie playing Mascarade, but that’s not the point, that’s not the goal of the game.

Terra is the only exception, the only deliberately pedagogic (and political) game I ever designed. It was for a good cause, sustainable development and all that stuff, so I could hardly decline to do it. It’s the game that granted me the most invitations to symposiums and conferences – but it didn’t sell that good, and I don’t think it was the most useful.

Les personnages dans Mascarade
Characters in Mascarade

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Petits jeux et fortes personnalités

De tous mes jeux, Citadelles est, de très loin, celui qui s’est le mieux vendu. Lorsque l’on me demande de le décrire, je commence toujours en expliquant qu’au centre du jeu sont les cartes personnages et que tout le reste, les bâtiments, les pièces, la construction d’une cité, n’est qu’un prétexte. Une carte personnage, pourtant, ce n’est rien d’autre qu’une carte action, mais cela ajoute un petit côté jeu de rôles à des jeux de cartes qui, sinon, seraient parfois un peu trop froids et trop allemands. C’est un truc que j’aime bien et que j’ai très souvent utilisé, dans des jeux aussi différents que Citadelles, Castel, Aux Pierres du Dragon, Mission Planète Rouge, Lost Temple et, une fois encore, Mascarade.

Quatorze cartes personnages, donc, des héros classiques des univers médiévaux comme le Roi, la Reine ou la Sorcière, d’autres un peu plus originaux comme les Paysans, le Fou ou l’Inquisiteur – rien de très original côté thème, et ni moi ni, je crois, l’éditeur n’en ont jamais sérieusement envisagé d’autre. Des testeurs m’ont fait remarquer, avec raison, que l’univers de la mafia aurait également parfaitement convenu au jeu, avec peut-être même un peu plus de cohérence puisque le but est d’amasser de l’argent. Le Moyen-âge un peu fantastique me fait cependant plus rêver, et, même sans recours abusif à la magie, se prête plus aisément à des effets variés et un peu farfelus.

roi

Des personnages, un par joueur, et… Rien d’autre, ou presque. Mascarade se joue avec une carte et une seule par joueur, même si il arrive que les joueurs échangent, ou fassent mine d’échanger, leur carte sous la table – mais ce n’est pas pour autant un autre clone des Loups Garous de Thiercelieux. Bref, un jeu de cartes médiéval, psychologique et minimaliste, un peu dans l’esprit de Citadelles. Mascarade fait aussi un peu penser à  Hoax, Oriente, Love Letter et Coup, auquel il devrait bientôt falloir ajouter le Concile de Vérone,  qui sont aussi des jeux de bluff avec une ou deux cartes personnage par joueur et dans lesquels on essaie de deviner qui sont ses adversaires – Mascarade est le seul où l’on doive aussi parfois deviner qui l’on est. À l’exception du déjà ancien Hoax, qui n’a pas été une inspiration consciente de Mascarade, et du plus complexe Oriente, tous ces jeux ont été conçus et publiés plus ou moins simultanément – l’idée était dans l’air.

veuve

Plus on est de fous, plus on rit

Des quatorze cartes personnages de la boite de Mascarade, les toutes premières versions du jeu ne connaissaient que six – le Roi, la Reine, l’Espion (qui n’était pas encore une espionne), le Voleur, l’Évêque et le Juge. S’y ajoutaient, pour jouer jusqu’à dix joueurs, des paysans sans aucun pouvoir, obligeant les joueurs à bluffer. C’est Bruno Cathala, après avoir joué au prototype à Cannes, qui suggéra le premier renfort, la Sorcière. Après que j’avais signé pour l’édition du jeu avec par Repos Prod, les belges firent tourner le jeu et décidèrent qu’il fallait douze personnages différents pour pouvoir jouer jusqu’à douze. S’ensuivirent de nombreux échanges de mails, et une quinzaine d’idées de part et d’autre, dont la moitié environ s’avérèrent trop complexes ou trop puissantes. Au bout du compte, il nous restait bien douze personnages mais, les paysans allant par deux, cela permet de faire jouer treize joueurs. L’Usurpateur et le Maudit, un peu complexes et donc réservés aux joueurs connaissant déjà assez bien Mascarade, ont été gardés en réserve pour servir de goodies ou entrer dans une future extension. Quant à la Mendiante, personnage en quête d’auteur, elle a bien existé, mais son pouvoir ne nous convainquait qu’à demi – aux joueurs donc de lui en imaginer un, qui sera sans doute meilleur. De manière plus générale d’ailleurs, si ce jeu est appelé à rencontrer un certain succès et à avoir un jour une extension, ce qui est possible, toutes les idées sont les bienvenues.

mendiante

Un jeu de gauche ?

J’ai toujours tenu fermement à l’autonomie du jeu, au fait qu’un jeu ne devait en principe être destiné ni à enseigner quoi que ce soit, ni à faire passer un message. Cette position ne m’empêche pas de glisser à l’occasion dans des jeux non pas des messages, mais des clins d’œil littéraires ou politiques.

C’est ainsi que Mascarade n’est pas seulement un jeu de bluff mais est aussi, un peu,  un jeu révolutionnaire, féministe et anticlérical.

Un jeu révolutionnaire à travers les deux paysans, directement inspirés des paysans de Kaamelott, toujours prêts à la jacquerie. Vous remarquerez d’ailleurs que les paysans sont assez bien armés, loin de l’image servile qu’ils peuvent avoir dans d’autres jeux médiévaux. Swords to Plowshares ? Plowshares to Swords ! D’ailleurs, lors des tests, chaque fois qu’un joueur révélait un second paysan, il ne manquait pas de s’écrier “Révolte”.

paysan

Un jeu féministe, à travers le rôle du Roi et de la Reine. La souveraine a le même pouvoir que son époux, mais est payé un tiers de moins. Petite remarque en passant quand même, le vrai problème en France aujourd’hui n’est pas que les femmes soient payées un peu moins que les hommes pour le même boulot, ce qui n’est quasiment plus le cas car les prudhommes font respecter la loi. Le vrai problème est que, à qualification équivalente, les femmes sont bien plus nombreuses dans les emplois mal payés et les hommes dans les emplois bien payés – mais c’est un peu plus compliqué à expliquer en une minute à la télé, et moins amusant à mettre dans un jeu.

reine

Un jeu anticlérical – je sais, c’est un peu une manie chez moi – car l’Évêque est un voleur, et non plus un gentil protecteur comme dans Citadelles. Certains m’objecteront sans doute que l’Évêque de Mascarade s’attaque au joueur le plus riche alors que, dans la réalité, les églises exploitent plus souvent les pauvres. Mais, bon, pour l’équilibre du jeu, il fallait voler les riches. Mascarade est donc, comme beaucoup de jeux d’ailleurs, plus équilibré que le monde réel. Quant à l’inquisiteur, il n’a pas l’air très sympathique non plus.

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La place et l’image des femmes, suite

Mes articles sur l’image des femmes dans les jeux de société, il y a un an de cela, m’ont valu de nombreuses réactions, et j’y avais déjà un peu parlé de la mise au point de Mascarade.  Le jeu étant maintenant paru, je peux en risquer un bilan. Côté parité, Mascarade ne s’en sort pas trop mal avec cinq personnages féminins (Reine, Veuve, Espionne, Sorcière et Mendiante) sur quatorze, soit 36%, dans un univers médiéval dont l’imaginaire condamnait de nombreux personnages, comme le Roi, l’Évêque ou l’Inquisiteur, et même dans un certain imaginaire le Fou ou le Juge, à rester masculins. D’autres devaient certes de même être féminins, mais ils sont moins nombreux – la Reine et la Sorcière, à la limite la Veuve. Nous avons pensé un temps à avoir un Paysan et une Paysanne, mais cela aurait détruit la référence à Kaamelott. Entre l’Espion et le Voleur, nous avons longtemps hésité pour savoir lequel serait un homme et lequel une femme, et j’avoue ne plus bien savoir pourquoi nous avons finalement opté pour l’espionne – au physique d’ailleurs assez androgyne. Jeremy Masson a aussi bien su déjouer les pièges iconographiques, puisque même les deux filles les plus mignonnes, la Reine et et l’Espionne, ne tombent pas dans les stéréotypes sexistes. Pas de courtisane à demi dévêtue ou de guerrière arborant fièrement un bikini en cotte de mailles.

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Bref, auteur, éditeur et illustrateur ne s’en sortent pour une fois pas trop mal, mais il est vrai que nous avons fait attention à maintenir une certaine parité, et que ce relatif équilibre n’est donc pas parfaitement naturel, ce qui est aussi un problème. Peut-être, si nul n’y avait pris garde, nous serions nous retrouvé comme dans la première édition de Citadelles, sans aucun personnage féminin – ou peut-être pas.

Et ces personnages, on en fait quoi ?

Toutes ces considérations un peu fumeuses sur la conception de jeux et ses implications politiques un peu tirèes par les cheveux ne vous ont néanmoins absolument pas appris à quoi ressemblait une partie de Mascarade, quels étaient les mécanismes du jeu. Mascarade, c’est un peu le croisement de Citadelles, pour les personnages, et du bonneteau, pour leur manipulation. Chaque joueur démarre la partie avec une carte personnage et 6 pièces d’or, et le vainqueur est le premier à avoir utilisé les pouvoirs des différents personnages pour parvenir à 13. Certains personnages, comme le Roi ou la Reine, prennent de l’argent à la banque. d’autres, comme la Sorcière ou l’Évêque, font circuler les richesses entre les joueurs. D’autres enfin ont des effets plus subtils, comme le Tricheur ou l’Inquisiteur. À son tour, un joueur peut échanger, ou faire semblant d’échanger, son personnage sous la table avec celui d’un autre joueur. Il peut aussi, s’il ne sait plus où il en est, regarder sa carte. Il peut surtout annoncer le personnage qu’il pense être afin d’appliquer son pouvoir, au risque d’être contredit par d’autres joueurs pensant, eux aussi, avoir le même personnage. Il faut donc suivre ce qu’il se passe sur la table, essayer de deviner ce qu’il se passe dessous, et prendre des risques au bon moment. Mascarade est un jeu de bluff dans lequel,on doit se méfier non seulement de ses adversaires, mais aussi de soi-même… La grande variété des personnages permet, d’une partie à l’autre, des combinaisons et des sensations de jeu très différentes.

fou

Dans la conception de ce jeu, j’ai cherché à ne jamais cacher les joueurs derrière les règles, derrière les cartes – à Mascarade, comme à Citadelles, comme au Poker, on joue moins avec des cartes qu’avec des joueurs. Je pense y être parvenu.

Mascarade
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Jeremy Masson
2 à 13 joueurs –
30 minutes
Publié par Repos Production (2014)
Ludovox          Vind’jeu          Tric Trac         Boardgamegeek


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Minimalistic games and big characters

Citadels is, by far, my best seller game. When asked to describe it, I always  start with stating that the character cards and the bluff about them are the heart of the game and that all the city building and making money story is just a MacGuffin.  A character card, however, is little more than an action card – it’s just an action card with a nice character name that brings some roleplay in games which would otherwise have felt a bitt too cold, too flat, too German. Character cards are one of my favorite tricks, and I’ve used them in very different games, games like Citadels, Castle, Fist of Dragonstones, Mission : Red Planet, Lost Temple and, once again, in Mascarade.
There are fourteen character cards in Mascarade. King, Queen or Witch are classics of fairy stories and boardgames, Peasants, fool or Inquisitor are slightly more original, but there’s really nothing new in the game’s setting. Some playtesters remarked rightly that a mafia theme could have worked as well, and even made more sense when the goal of the game was just to make money. Well, the Middle-Ages, especially with a little fantasy thrown in, feels more exotic to me, and makes easier to create new characters with special and sometimes zany abilities.

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One character card per player and,,, almost nothing more. Mascarade is played with a single character card per player, even when sometimes a player can swap, or fake to swap, his character with another player’s one, but it’s not one more Werewolves clone. It’s a minimalistic medieval fantasy bluffing card game in the same style as Citadels. Mascarade also reminds of some older – Hoax, Oriente – and mostly recent – Love Letter, Coup, and the soon to be published Council of Verona – card games. In all of these games, each player has one or two cards in hand and tries to guess his opponents’ ones – Mascarade is the only one in which one must also often guess his own character card. With the single and noticeable exceptions of Hoax, more than twenty years old, and of Oriente more complex and ten years old, all these games were designed and published more or less simultaneously these last months – the idea was in the air.

tricheur

The more characters, the better

The game as published has 14 character cards, but the first testing versions had only six – King, Queen, Spy, Thief, Bishop and Judge. There were also some peon cards, with no specific ability, to play with seven or more players. The first additional card was the Witch, from an idea by Bruno Cathala at the 2012 Cannes festival. After I signed the publishing agreement with Repos Prod, they played a lot and decided we needed twelve different cards to have a richer and more varied experience, especially with lots of players. we spent months exchanging emails with new character ideas, half of which were abandoned because they were too complex and/or unbalanced. We ended with twelve validated characters, but since there are two peasants, this allows for thirteen players. The Cursed and the Usurper, which are slightly more complex and only playable once one knows the game well, have been kept as possible goodies or to be inserted in a future expansion. If this game sells well, and I think it will, all other ideas are welcome.

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A liberal game ?

I’ve always been strongly devoted to the idea that games are and must be kept autonomous. Games are not designed to teach anything, nor to carry any message – when they are, they are usually bad games. This doesn’t prevent me from making some literary or political references in my games, half wink and nod, half joke. Most players don’t even notice them, and they don’t need to to have fun with the game.

So, in a way, Mascarade is not only a bluffing game – it’s also a revolutionary, feminist and anticlerical game.

It’s a revolutionary game because of the two peasants, directly inspired by the two farmers in the French TV series Kaamelott. In this clever and humorous parody of the Arthurian myth, the two farmers are always ready to rise a revolt against King Arthur. You can notice that the peons on the cards are well armed. Swords to Plowshares, or Plowshares to swoards ? In the game tests, every time a player revealed the second peasant, he always shouted “revolt”.

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It’s a feminist game, because of the King and Queen abilities – the Queen does the same job as the King, but is just paid one third less. The real issue now, at least in France, is not that women are paid less than men for the same job – the law is quite strict on this – but that, with similar qualification level, there are many more women in less paid jobs and many more men in well paid ones, but that’s a bit more complex to explain in one minute on TV, and also less fun to implement in a game – at least in this one.

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It’s an anticlerical game – a personal obsession of mine – because the Bishop is basically a thief, and not a kind protectorvlike he was in Citadels. Some might object that real churches usually steal more from the poor than from the rich, but stealing from the rich was better for the game’s balance. Mascarade – like many games – is better balanced than the real world. The inquisitor also doesn’t look very nice.

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Once more on women and games

Last year, my articles about the place image of women in boardgames generated some buzz and many reactions. I was busy designing Mascarade at the time, and already inserted a few remarks about it. Five female characters in fourteen makes for 36%, which is not bad in a medieval fantasy setting in which several characters – King, Bishop, Inquisitor, may be even Judge and Fool – had to be males. Fewer had to be females – Queen, Witch, may be Widow. We considered having a male and a female peasant, but this would have weakened the Kaamelott connection. We didn’t know whichnone of Spy and Thief will be a female, and in the end, if I remember well, let the illustrator make his decision. Jeremy Masson was quite good at drawing gorgeous and typical fantasy drawing with some subtlety. Both Queen and Spy are quite pretty, but Jeremy avoided the usual sexual stereotypes. No half-naked courtesan, no female warrior in bikini chainmail.

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Does this mean that author, publisher and illustrator managed to set it right – more or less, yes, but the issue was considered and discussed, which is in itself an issue. May be, if we didn’t consciously consider the sex balance problem would we have made a game like the first edition of Citadels, with only male characters – or may be not.

And then, what do these characters do ?

All these verbose ramblings about game design and politics didn’t tell much about what a Mascarade game really looks like, what are the real systems of the game, what the actual gameplay feels like. Mascarade feels a bit like Citadels, for the character cards, meets Three Cards Monte, for the way cards are handled. Each player starts the game with a character card and 6 gold coins, and the winner is the first to own 13 gold. Some characters, like the King or Queen, bring money from the bank into the game. Others, like the Witch or Bishop, move money from one player to another. Other have morensubtle abilities, like the Cheater or the Inquisitor. On his turn, a player can do one of three things. He can swap his character with another player’s one, under the table … or fake to swap the cards. If he is really lost, he can just look at his own card. Last but not least, he can claim to be a certain character in order to use the character’s ability – but other players can call his bluff and also claim to be the same character.  Mascarade is a game in which players must more or less keep track of what’s happening over the table, while trying to guess what’s happening under it, and make risky claims at the right time. It’s a bluffing game in which one not only can’t trust his opponents, but also often can’t trust oneself.the many different characters available make for interesting combos and very different game sessions.

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When designing Mascarade, I tried never to hide the players behind the rules, behind the cards. I wanted a game im which, like in Citadels, like in Poker, one doesn’t really play with cards, but with players. I think I succeeded.

Mascarade
A game by Bruno Faidutti
Art by Jeremy Masson
2 to 13 players – 30 minutes
Published by Repos Production (2013)
Boardgamegeek

Jeux de coopération et de compétition, un paradoxe politique
Cooperative and competitive games, a political paradox

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J’étais, il y aune dizaine de jours, à un très sérieux colloque international sur les jeux et l’éducation. J’y ai principalement exprimé ma méfiance face à la mode du jeu éducatif, y compris le “serious games” informatique, qui bien souvent n’est plus perçu comme un jeu par les élèves, qui privilégie la réflexion analytique et stratégique déjà trop présente dans l’univers scolaire au détriment de la pensée critique, et qui, tout comme les envahissants powerpoints, finit par interdire l’improvisation et l’innovation au nom même de l’innovation. Il faudrait que je reprenne les vagues notes qui ont servi de base à mon intervention pour en faire un article rédigé et construit, mais j’avoue avoir un peu la flemme. je voudrais plutôt aborder l’une des tendances qui m’ont frappé lors des divers ateliers et débats auxquels j’ai pu prendre part – la mise en avant systématique des jeux de coopération et de collaboration.

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Quel enfant n’a pas joué au Verger, publié par Haba dans sa grosse boite jaune avec plein de jolis fruits en bois . Déjà présents depuis bien longtemps dans les jeux pour enfants, le jeu de coopération a sauté le pas il y a une petite dizaine d’années pour passer dans les jeux de société pour adultes. Reiner Knizia a ouvert la voie avec le Seigneur des Anneaux, d’autres ont suivi, avec notamment Les Chevaliers de la Table Ronde ou Pandémie. Moi même, qui ne suis pas un fan du genre, ait commis le faussement politiquement correct Terra et le très peu politiquement correct Sauvez le Kursk Novembre Rouge.

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Nous sommes véritablement dans le “politiquement correct”. Le jeu de coopération – et ce n’est pas par hasard que l’on préfère ce mot à celui de collaboration – est particulièrement bien vu dans deux milieux qui se recoupent assez largement, et dans lesquels je me reconnais d’ailleurs largement, les écologistes et autres anti-capitalistes un peu bobo, et les profs de gauche. Il y a à cela des raisons d’ordre moral et éthique, voire simplement esthétique, relevant de la non-violence, comme si un jeu de compétition était réellement violent. Il y a surtout des motifs politiques et économiques sur lesquels je voudrais m’attarder car ils me semblent découler assez largement d’une erreur d’analyse. L’idée, en gros, serait que le vilain capitalisme mondial est le monde de la compétition sauvage, représenté par les jeux traditionnels, auquel nous devrions opposer le monde de la gentille collaboration pour bâtir un avenir meilleur et un développement durable, illustré par les jeux coopératifs. Si je suis bien d’accord pour dire que l’on ne bâtira sans doute pas un monde meilleur à coups de fusils d’assaut et d’épées à deux mains, je pense que l’analyse du capitalisme contemporain comme un univers de pure compétition est largement, et parfois délibérément, trompeuse. Les grandes multinationales qui emploient le jeu lors de leurs formations internes utilisent aussi beaucoup les jeux de coopération pour encourager le “travail d’équipe” très productif, les “synergies”, l'”émulation”, la “culture d’entreprise” toujours hypocrite et toutes ces sortes de foutaises. Comme l’avait vu Marx, le capitalisme met bien les prolétaires en compétition les uns avec les autres, et l’aggravation récente de cette tendance remet peut-être dans l’actualité les analyses en termes de paupérisation du prolétariat.  Mais, comme l’avait vu Schumpeter, dont tous ceux qui ne connaissent que le thuriféraire de l’entrepreneur innovateur oublient qu’il se revendiquait socialiste, le capitalisme moderne n’est pas seulement l’univers de la concurrence, c’est aussi celui de la connivence – des arrangements, de la combinazione diraient nos amis italiens, pas toujours non-violents. Et puis, pour changer le monde, il y a aussi des moments où il faut se révolter et se battre. Faire du jeu de compétition la métaphore de la guerre et de la concurrence sauvage et du jeu de coopération celle de la paix dans le monde et du développement durable est une gentille mais monumentale erreur d’analyse.

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Certes, me répondront les gentils éducateurs, mais du moins les jeux de coopération permettent-ils d’encourager la discussion, le débat, la construction collective d’une stratégie plutôt que le chacun pour soi. Ce sont d’ailleurs des jeux où tout le monde gagne (ou perd) – contre le vilain corbeau noir ou l’œil de Sauron – et ou aucun perdant ne se sent personnellement humilié. Je leur rappellerai d’abord que, sauf cas pathologiques, le perdant d’un jeu de compétition n’a aucune raison de se sentir humilié, ni le vainqueur de se sentir fier puisque, par définition, ce n’est qu’un jeu. Dans un jeu, si l’on cherche toujours à gagner, on se moque bien au fond, ensuite, de savoir qui a gagné. Ce qui se passe dans bien des jeux de coopération est plus problématique – il n’y a ni vainqueur, ni vaincu, mais il y a souvent un leader, un guide (j’arrête les traductions avant d’atteindre le point Godwin).  Les vrais jeux de coopération, et notamment ceux destinés aux plus jeunes comme Le Verger, sont en fait souvent des jeux pour un seul joueur, avec une stratégie optimale. Parfois, des joueurs d’âge, d’intérêt et de capacités équivalents vont débattre pour s’adapter aux circonstances et découvrir cette stratégie optimale mais, bien souvent, l’un d’entre eux va prendre le leadership, expliquer ce qu’il faut faire, pourquoi il vaut mieux que le corbeau mange des prunes s’il reste plus de prunes, et l’initiation à la collaboration devient entrainement au leadership et à la soumission.

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Certes,  des jeux tentent de contourner ce problème. Pour les plus jeunes, des jeux de construction ou d’adresse – je pense par exemple à Burgritter – obligent les joueurs à effectuer des actions à plusieurs. Dans les jeux pour adultes, l’introduction d’un possible traître, comme dans les Chevaliers de la Table Ronde ou Battlestar Galactica introduit la suspicion et empêche la franche discussion collaborative. Je trouve personnellement que cela donne à ces jeux une dimension psychologique très intéressante, mais je ne suis pas certain que la délation et la chasse au mouton noir soient précisément ce que les naïfs pédagogues vantant les jeux de coopération cherchent à encourager. Ça n’empêche pas toutes les colonies de vacances de jouer aux Loups Garous de Thiercelieux, et c’est tant mieux. On peut aussi, et c’est le choix d’Antoine Bauza dans Hanabi, qui fait beaucoup parler de lui en ce moment, interdire toute communication entre les joueurs – mais là, c’est le débat collaboratif qui en prend un coup. Et je ne parle pas de Space Cadets, ou chacun fait son petit jeu dans son coin – même si ça a l’air d’être un jeu diablement amusant.

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Restent les jeux par équipe – un genre que j’aime assez pratiquer mais avec lequel je suis suffisamment mal à l’aise pour ne m’y être jamais vraiment essayé comme créateur. Dans un jeu par équipe – et c’est notamment vrai dans le sport – il y a à la fois de la collaboration, entre partenaires, et de la compétition, avec les autres. C’est sans doute pour cela que les sports d’équipe sont si fréquemment utilisés et mis en scène à l’école, mais eux aussi produisent des leaders et, surtout, créent un univers de jeu divisé en deux camps – pas du tout politiquement correct, ça!

Alors quoi ? Alors, sans doute, faut-il accepter une bonne fois pour toutes que l’on s’en moque, qu’un jeu n’est fait et ne peut être fait ni pour enseigner la compétition, ni pour apprendre la collaboration, mais simplement pour divertir les joueurs, et que l’on peut se divertir très innocemment l’un contre l’autre ou l’un avec l’autre tant que, justement, on ne pense pas être là pour apprendre quoi que ce soit.


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A dozen days ago, i hold a conference at a very serious international symposium on games and education. I mostly expressed my wariness with the recent fashion in educative games, including the strangely named “serious games” all of which are never really considered games by students and focus on analytic and strategic thinking, which are already far too present in school, and largely discard as irrelevant any form of critical thinking. Like powerpoints, games tend to limit teachers’ improvisation and therefore innovation in learning, in the very name of innovation. I should take the bunch of notes I used in my speech and write a consistent article out of them, but i’m a bit lazy about it and would rather discuss one of the emphasis I noticed there – on cooperative and collaborative gaming.

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Cooperative children games have been popular for years. Every kid in Europe has played The Orchard, a basic and mostly luck driven cooperative published by Haba with lavish wooden bits. Many American kids have played one of the – usually bad – Family Pastimes boardgames. Cooperative boardgames entered adult boardgaming with Reiner Knizia’s Lord of the Rings, and many authors followed suit with, among others, shadows over Camelot or Pandemic. Even when I’ve never been very dedicated to the genre, I designed two, the superficially and falsely politically correct Terra and the totally unpolitically correct Save the Kursk Red November.

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Cooperative games are the epitome of liberal political correctness. They are very popular in two circles to which I undoubtedly belong, ecologists and similar anti-capitalists and leftist teachers – and calling them cooperative games rather than collaborative games is, especially in Europe, not a neutral choice. There are moral and ethical, if not simply esthetic, reasons to this – cooperative game looks like a non violent sort of gaming, as if competitive games were really violent. There are mostly political and economical reasons which, i think, derive from a popular but erroneous analysis. Broadly speaking, the idea is that the evil world capitalism is based on fierce competition, and is represented in competitive games, and that we ought to oppose to it the world of friendly cooperation and sustainable development embedded in collaborative games. While I agree that chainsaws and two-handed swords might not be the  best fitted tools to build a better tomorrow, i also think that the prevalent analysis of contemporary capitalism as a world of pure competition, as in Mankiw’s catechism, is largely and may be deliberately misleading. Global corporations also make a heavy use of cooperative games – though they prefer to talk of collaborative gaming –  to promote “team spirit” and enforce “corporate culture” and other similar bullshit. As Marx has rightly observed, capitalists tend to create competition between workers, and the recent globalization might be reviving his analysis about the gradual impoverishment of the working class. Schumpeter is often quoted nowadays as the champion of small capitalist innovators, while we forget that he was also a self proclaimed socialist and champion of state monopolies, and he was also right in describing modern capitalism as the world not only of competition, but also of arrangements, cartels, connivence – combinazione, to use the italian world, not necessarily associated with non violence. Furthermore, revolt might be necessary to change things, and can’t be always non-violent. Stating that competitive gaming is a metaphor of war or savage capitalism, and cooperative games a tool for peace in the world and sustainable development is a cute idea but a major error in reasoning.

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Of course, nice and well meaning teachers might answer that, at least, collaborative games teach discussion, debate, and the collective building of a strategy rather than the usual every man for himself. Since everyone wins, or sometimes loses, against the dark raven or the evil eye of Sauron, no individual loser can feel humiliated, no individual winner can feel particularly proud of himself. Well, a common characteristic of all games is that they are just games and that winning and losing, while being fundamental when playing, doesn’t matter anymore once the game is over. What happens with many cooperative games is more problematic – there’s no winner or loser, but there’s often a leader, a guide (let’s stop with translations before we reach the Godwin point) who takes all the real decisions for all players. True cooperative games,  and especially those aimed at younger players like the ubiquitous Orchard, are in fact single player games with an optimal strategy. Players of the same age, energy and abilities might collaborate to find this strategy, but most times one will seize the leadership, explain why it’s better to have the raven eat plums when there are mostly plums left, and what was designed as a tool for learning collaboration becomes a tool for learning leadership and submission.

Of course, there are technical ways to avoid the leadership issue. Some children games, like the building game Burgritter, require gamers to really act as a team when fulfilling some tasks. In adult games, the introduction of a possible traitor, like in Shadows over Camelot or Battlestar Galactica, creates strong suspicion and prevents totally open discussion. I think it brings a very interesting psychological dimension to these games, but I’m not sure denunciation and hunt for the black sheep are exactly what leftist educators want to teach. Anyway, this doesn’t prevent most summer camps to play werewolf, and that’s for the best. One can also, like Antoine Bauza did in Hanabi, forbid any communication between players – so much for collaborative debate. And I don’t talk of Space Cadets, in which each player plays his own little solo game – even when it seems to be a pretty fun game.

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Team games are a genre of their own. I like playing them, but I’ve never really known how to design them. In a team game – including most sports – there’s both collaboration between partners and competition against the opposing team. That’s probably why sports are so regularly used at school – though I used to hate them as a student. The problem is that they also encourage leadership, and create a game world divided in two sides – not very politically correct either.

So what ? Let’s agree that we don’t really care, that a game is never designed to teach competition or collaboration but just to give the players some fun or excitement, and that it’s perfectly healthy to play one against the other or one with the other, as long as it’s just a game and noone thinks he’s learning anything.

Les nouveaux programmes de “sciences” économiques et sociales au lycée

Certains savent que je ne suis pas seulement auteur de jeux, mais que je suis aussi vaguement historien, et que j’enseigne l’économie et la sociologie au lycée. Les réformes mises en place depuis trois ans ont pour effet, et peut-être pour but, de détruire un enseignement qui me tient à cœur, et je tiens donc à exprimer publiquement mon point de vue.
Je ne pourrai malheureusement pas être mercredi prochain, à la manifestation parisienne des professeurs de sciences économiques et sociales des lycées contre les nouveaux programmes et les nouvelles épreuves du baccalauréat, cadeau empoisonné laissé par Luc Chatel avant son départ du ministère de l’éducation nationale à des enseignants soupçonnés – assez largement à tort – d’être de dangereux gauchistes. J’ai néanmoins pris le temps de rédiger la lettre suivante, que j’ai envoyée à mon inspection.

Professeur de “sciences” économiques et sociales en lycée depuis une vingtaine d’années, et passionné par l’enseignement, je suis presque dégoûté de mon métier par les nouveaux programmes de terminales ES, que j’essaie désespérément de mettre en œuvre cette année, et plus encore par les nouvelles épreuves du baccalauréat, auxquelles je dois préparer mes élèves. Ces programmes et ces épreuves me semblent l’aboutissement d’une logique dévoyée qui guide, avec plus ou moins de bonne foi, les évolutions de l’enseignement secondaire en France depuis, en gros, une trentaine d’années.

Le lycée dans les années soixante-dix, dans lequel j’ai fait mes études, était une structure de reproduction sociale dans laquelle tout était fait pour qu’un fils de bourgeois comme moi soit assuré de réussir. Les quelques prolétaires un peu malins qui arrivaient à tirer leur épingle du jeu, plus en sélectionnant les amis qu’il fallait qu’en travaillant avec acharnement, ne suffisaient pas à légitimer le système. La démocratisation de l’enseignement était donc un objectif louable, et même absolument nécessaire, mais certains des moyens vainement mis en œuvre pour tenter d’y parvenir se sont avérés particulièrement stupides. Parmi eux, l’insistance mise sur les efforts, sur le travail, au détriment de la réflexion. En gros, pour tenter d’éliminer le biais socio-culturel affectant les résultats scolaires, on a fait en sorte de ne plus juger les élèves sur leurs qualités d’analyse ou de synthèse, supposées trop liées à l’origine sociale, mais sur leurs efforts, sur la quantité de travail fournie. On a fait mine de croire que le travail était louable et souhaitable pour lui-même, indépendamment de ses résultats, idée dont les économistes devraient être les premiers à signaler la bêtise. C’est un peu comme si, dans une course, le vainqueur n’était pas le premier arrivé mais celui qui a le plus transpiré. Il en est résulté l’alourdissement des horaires scolaires et la dérive vers des programmes et des méthodes de plus en plus précis, pointus, académiques et systématiques. L’enseignement de la littérature était jusqu’ici le plus touché. On n’y demande plus aux élèves de sentir un texte, de découvrir le plaisir trop bourgeois de la lecture, mais de chercher des structures narratives et des figures de rhétorique, en évitant soigneusement tout ce qui risquerait de passer pour l’expression d’un goût, ou même simplement d’une idée personnelle. Le nouveau programme de “sciences” économiques et sociales de terminale, immense et incohérente liste de définitions qui évite avec soin tous les sujets de débat et présente comme indiscutables et stabilisés des concepts qui sont loin de l’être, va dans le même sens. Il encourage le bachotage, dans sa version la plus bête, et interdit la réflexion.

Depuis toujours sans doute, les enseignants se sont interrogés sur le degré de subjectivité de leur jugement, et de leur notation. Cette subjectivité était suspectée, en partie à raison, de favoriser elle aussi les fils de bourgeois à l’écriture élégante, et peut être accessoirement les jolies filles et les jolis garçons, et de discriminer tous les autres. Là encore, le remède a sans doute été pire que le mal. Pour rassurer des enseignants angoissés à l’idée de “mal” juger, ou simplement de juger, les élèves, pour rassurer des élèves angoissés de ne pas savoir exactement comment ils étaient jugés, on a voulu objectiver les notations des enseignants, et standardiser les contenus de leurs cours. Il en est résulté d’abord les ridicules listes de compétences à acquérir qui encombrent les livrets scolaires, et que fort heureusement personne ne prend très au sérieux. Il en est résulté aussi, avec des dégâts plus conséquents, une véritable déconstruction des épreuves du baccalauréat, avec l’apparition de “grilles de corrections”, parfois au demi-point près, de listes d’exigences, de mots clefs ou de concepts attendus dans une réponse. Cela amène, là encore, à juger les élèves non pas sur leurs capacités d’analyse ou de réflexion globale mais sur leur détermination à apprendre et réciter servilement un cours, et à appliquer systématiquement une technique, une méthode. Maîtrise des connaissances, réflexion, recul, imagination sont systématiquement découragés par des critères de notation qui ne prennent plus guère en compte que le « respect des consignes ». La nouvelle épreuve composée de sciences économiques et sociales  au bac, déjà surnommée la “salade composée” par les enseignants, dernière étape sans doute avant l’adoption du QCM, vise expressément cet objectif.

Les disciplines scolaires sont le résultat d’une histoire complexe et très française. Là où la plupart des pays regroupent ce que nous traitons en histoire, géographie, économie, sociologie, histoire de l’art, philosophie et parfois littérature dans un vaste domaine de « sciences sociales », de « sciences humaines » ou d’humanités, nous avons fait le choix dogmatique d’un découpage rigide, non seulement entre les enseignements, mais aussi à l’intérieur même de ceux-ci. En attendant le regroupement souhaitable, au moins au niveau secondaire, de toutes les sciences sociales dans un même corpus, nous pourrions déjà éviter d’introduire dès le lycée une distinction entre économie et sociologie – et la même remarque vaut sans doute pour l’histoire et la géographie. Ce découpage entre d’innombrables disciplines amène souvent à traiter et retraiter les mêmes sujets, avec des différences qui relèvent plus du vocabulaire que de la démarche scientifique – le développement durable est traité en géographie et en économie, l’innovation technique en économie et en histoire, les inégalités en sociologie et en géographie, et bien souvent en littérature, avec Balzac ou Zola. Ce découpage, et le vocabulaire inutilement et souvent ridiculement technique qui l’accompagne et permet à chaque discipline de se distinguer, contribue aussi à renforcer cette impression, dangereuse parce que fausse, de scientificité et d’objectivité des “humanités”.

Même si nous savons que la sélection se fait désormais largement après le lycée, que la distinction entre filières a en partie pris la relève de la distinction entre ceux qui allaient au lycée et ceux qui n’y allaient pas, que la mobilité ou la reproduction sociale se jouent de moins en moins dans le cursus éducatif, il est difficile aux enseignants de ma génération de nier que la démocratisation de l’école ait en partie réussi. Ce relatif succès, que nous devons au collège unique, à la carte scolaire, aux bourses, et un peu aussi au dévouement des enseignants, il nous suffit pour l’observer de comparer les classes que nous avons côtoyées comme élèves à celles que nous avons devant nous comme professeurs. Pour que ce succès soit vraiment satisfaisant, il faudrait pourtant que nous ayons le sentiment de pouvoir à la fois sélectionner les meilleurs de nos élèves, d’où qu’ils viennent, et apporter à tous autant de culture, de compétence et d’ouverture sur le monde que possible. De plus en plus, l’école semble ne vouloir ou ne savoir sélectionner que les plus dociles et les plus besogneux, et apporter à tous le désespoir de n’avoir d’autre choix que de rentrer dans le moule – ou de disparaître. Les nouveaux programmes et les nouvelles épreuves de “sciences” économiques et sociales sont une éloquente illustration de cette dérive.

(Sorry, I didn’t translate this in English. I neither have the time nor the skill to do it and, anyway, it’s about very French matters).

Jouer responsable ?
Responsible gaming ?

Je peux lire des livres en papier, ou sur mon iPad. Je peux également jouer à des jeux de société en carton, et parfois un peu en bois ou en plastique, ou jouer sur un ordinateur ou une tablette, y compris à plusieurs, y compris au même jeu. J’ai plutôt tendance à lire sur ma tablette, et à jouer avec de vrais plateaux de jeu, de vraies cartes, de vrais pions, mais dans les deux cas, mon choix est purement pratique.

En ces temps où l’on nous parle – avec raison – de bilan carbone, d’empreinte écologique et de toutes ces sortes de choses, nous sommes pourtant bien incapables de savoir quel comportement il conviendrait à priori de préférer. Le livre papier, le jeu en carton, est-il plus écolo parce qu’il ne consomme pas d’énergie à chaque fois que l’on S’en sert ? Le livre virtuel, le jeu sur tablette est-il plus écolo parce qu’il n’a pas à être fabriqué, imprimé, transporté ? Je n’en sais rien mais, dans ce domaine comme dans bien d’autres infiniment plus importants, et je pense notamment à l’alimentation ou au transport, le calcul mériterait Sans doute d’être fait, et ses résultats d’être mis en avant. Tous les discours sur la responsabilisation des consommateurs ne valent en effet rien si les acteurs ne disposent pas des informations leur permettant d’agir de manière responsable.


I can read paper books, or I can read on my iPad. I can play boardgames made from cardboard and some wood or plastic, or I can play the same boardgames using a computer or a tablet. As a matter of fact, I mostly read on my iPad and play with good old cardboard games, with good old cards, boards, dice and pawns. The only reason for this is that it’s more convenient.

In times when we often and rightly hear about carbon footprint and other ecological costs, we have no serious way of knowing which behavior is ecologically better. Is the paper book, and the cardboard game, more earth-friendly because it doesn’t use energy every time one uses it ? Is the virtual book or boardgame more earth friendly because it doesn’t need to be produced, printed and transported ? I have no idea but I know that, in this minor domain like in many much more important ones, the reckoning ought to be made, and its results published. Any talk about making consumers more responsible of their behavior doesn’t mean anything if they don’t have the knowledge required to act in a responsible way.

Les femmes dans les jeux, suite
A bit more on women in games

Les billets que j’ai publié il y a quelques semaines sur la place des femmes dans les jeux de société (ici et ici) s’appuyaient uniquement sur des exemples tirés de mes jeux. Ils m’ont valu quelques remarques et réactions, et quelques exemples plus amusants encore tirés de jeux dans lesquels je ne suis pour rien. Vous pouvez lire sur ce sujet un billet assez intéressant de Teresa Ingalls – même si je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que mon article à moi était uniquement descriptif.

Quoi qu’il en soit, je propose décerner la palme du sexisme dans les jeux au très sérieux Agricola, dont les 118 occupations de ne comprennent que 4 rôles féminins, soit 3%, parmi lesquels la nourrice et la domestique, et à l’éditeur Djeco, qui a publié deux versions du même jeu, une rose avec des fées pour les petites filles et une bleue avec des pirates pour les petits garçons, sous les noms de Diamoniak et Piratatak. Tiens, si le Roi des Nains continue à bien se vendre, je ferai une version pour filles, la Reine des Fées !


My posts from a few weeks ago about the image of women in boardgames (here and there) were based entirely on my own games. I got a few interesting reactions and comments citing examples in other games as well, including an interesting post on  Teresa Ingalls’ blog – even when I don’t completely agree with the idea that my own post was only descriptive.

Anyway, I think we have two serious contenders for the most sexist board or cardgames. The first is Agricola, which has only 4 female occupation cards in 118, which means 3%, among which the Maid and the Wet Nurse. The French children game publisher Djeco published two version sof the same card game, a pink one with fairies for little girls, and a blue one with pirates for little boys. If the Dwarf King keeps on selling well, may be I should suggest a girls’ version, the Fairy Queen?

L’image des femmes dans les jeux
Games’ image of women

Comme promis, je poursuis l’article précédent avec quelques images de personnages féminins empruntés à mes jeux – mais ce ne serait pas bien différent si je les empruntais à d’autres. Je pensais d’abord essayer de comparer les représentations de femmes et d’hommes dans les jeux, mais plusieurs raisons m’ont fait finalement préférer utiliser exclusivement des images de femmes.
D’abord, je trouvais ça plus drôle. Bon, c’est peut-être un peu sexiste, mais c’est comme ça.
Ensuite, les images d’hommes étaient trop nombreuses.
Enfin, la comparaison est assez difficile car les images d’hommes sont non seulement plus nombreuses mais aussi bien plus variées et, souvent, moins caricaturales. Même lorsque l’illustrateur est le même, on a parfois l’impression qu’une représentation de guerrière ou de sorcière montrera d’abord une femme, tandis qu’un guerrier ou sorcier sera d’abord un guerrier ou un sorcier. Cela renvoie d’ailleurs à un constat qui m’a toujours intéressé, le fait qu’il y ait clairement dans notre société contemporaine une identité féminine, revendiquée comme telle, et qu’il n’y ait plus vraiment d’identité masculine (depuis la fin de la guerre de 14? depuis l’abolition du service militaire? depuis la fin du communisme? il y aurait quelques milliers de pages à écrire sur le sujet, et j’ai d’autres choses à faire). Tant mieux pour moi, moins j’ai d’identités, mieux je me porte.

As promised in the last post, here come most pictures of women character cards or tokens in my games. I originally intended to compare the images of male and female characters on the cards, but for several reasons I finally decided to use only pictures of women.
First, it’s more fun. OK, this might be sexist, but I find it more fun.
Second, there were far too many images of male characters to make an exhaustive or even representative listing, while it’s quite easy to do with female ones.
Last and not least, pictures of men are not only more numerous, they are in many games more varied, less sterotyped. Even with the same artist, a witch or a female warrior is first and foremost pictured as a woman, when a wizard or a male warrior seems to be first pictured as a sorcerer or a fighter. This brings me to a fascinating problem, why there is in our western world a separate and self-asserting female identity and no similar male identity (since the end of the Great War? since the abolition of the draft ? since the fall of Communism ? there’s a whole book to write on this topic, but I have so many other things to do…). All the better for me, the fewer identities I have, the better I feel.


Gérard Mathieu
La Vallée des Mammouths est un peu l’exception qui confirme la règle : Hommes et femmes y sont aussi ridicules les uns que les autres.
Valley of the Mammoths is an exception : the men look as ridiculous as the women.


Gérard Mathieu
D’ailleurs, si les femmes peuvent y jouer un rôle fort classique, dans les cartes du haut, elles peuvent aussi prendre des initiatives moins attendues, comme dans les cartes du bas.
If women can have a very classic and standard role, as in the three upper cards, they can also act in a more proactive and unexpected way, as in the three cards below.


Emmanuel Roudier
Avec les sept femmes de Castel, nous passons à une vision plus classique – la sorcière, la princesse, la courtisane, la matrone….. La Reine n’est pas aussi laide que celle de Citadelles, ci-dessous, mais elle n’est guère plus sympathique, et l’on comprend que le Roi lui préfère la Favorite.
The seven women in Castle give a more traditional picture of women – witch, princess, courtesan, matron…. The Queen is not as ugly as the one in Citadels, just below, but she doesn’t look really nice either. No wonder the King prefers the Favorite.

Jesper Eising
La Sorcière et la Reine de Citadelles. S’il n’y avait pas de femmes dans le jeu de base, on ne peut pas dire que l’extension ait vraiment rattrapé le coup !
The Witch and Queen in Citadels. There was no woman in the basic game, but the two in the expansion don’t give a much better idea of the “fair sex”.


Julien Delval
Tante Sarah et trois amazones dans Draco & Co. Curieusement, la seule à être inspirée d’une amie à nous est Tante Sarah ! L’armure de l’amazone jaune est sans doute impressionnante lors des négociations, mais ne doit pas être d’une grande efficacité au combat.
Old Sarah and three Amazons in Draco & Co. Surprisingly, the only one inspired by a friend of ours was Old Sarah. The yellow amazon’s armour might be impressing when negociating the booty’s share at Draco’s table, but is probably not very useful in actual fight.


Julien Delval
C’est encore Julien Delval qui a dessiné les trois femmes de Aux Pierres du Dragon. Toutes trois, même la très démoniaque sorcière, sont pour le moins sexy. On a donc ici un modèle de sorcière bien différent de celui de Castel et Citadelles.
Julien Delval also made these images of the three female characters in Fist of Dragonstones. All three look sexy, but in very different ways. The Witch is as evil as the ones in Castle or Citadels, but also very different.


Humbert Chabuel & Pierre-Alain Chartier
La Reine et la Favorite du Collier de la Reine, aussi sexy l’une que l’autre. Un jeu au look très féminin (c’est à dire une boite blanche et rose….)  mais avec, finalement, assez peu de femmes.
The Queen and the Favorite in Queen’s Necklace. Despite the “feminine” look of the game (meaning white and pink box….), it has actually only two women characters.


Christophe Madura
Les personnages de Mission : Red Planet. Trouvez l’intrus(e).
The characters in Mission : Red Planet. Pick the odd one out!


Sandro Masin & Greg Cervall
Les trois vamps de Toc Toc Toc remplissent très bien leur rôle!
The three vamps in the French edition of Knock Knock !

Kara
La couverture de La Fièvre de l’Or, à droite, et les illustrations des cartes Hold-Up et Dynamite. Rien n’obligeait Kara à y représenter des femmes, et moins encore des femmes charmantes et légèrement vêtues.
The cover pic of Boomtown, on the right, and the pictures for the cards Dynamite and Hold-Up. There was no special reason to draw light clothed pretty brunettes on these cards, but I quite like them.


Daniele Bigliardo
Il est assez surprenant qu’il n’y ait que deux stars féminines dans Hollywood, alors que le jeu décrit justement un milieu où les femmes sont aussi nombreuses que les hommes ! Althea Wimble est la seule femme noire dans mes jeux, mais comme beaucoup ont un contexte historique européen, ce n’est pas vraiment surprenant.
Surprisingly, there are only two female stars in the Hollywood card game, when they are probably half of the actual movie stars. Also, Althea Wimble is the only black woman in all my games so far, but given that many have a European historical setting, that’s not a real issue.

Jean-Mathias Xavier
Les femmes de Tomahawk – retrouvez Éclair Romantique, Nuage Taquin, Femme presque Ours, Loutre Savante, Midi Copieux, Biche Furieuse et Cascade Rieuse…
The Women in Tomahawk. Pick out Lightening Hitting Heart, Bubbling Brook, Furious Fawn, Big Lunch, Wise Otter, Could be Bear and Teasing Could


Czarné
Dans Chicago Poker, chaque gang de quinze personnes ne comprend que deux femmes. Si la femme du boss, blonde, est la deuxième plus forte carte, sa maîtresse, la brune au regard charbonneux, n’est qu’une faible carte.
In Chicago Poker, each fifteen persons gang has only two women. The boss’s wife is blonde, and the second highest card in the suit. His mistress is dark haired and dark eyed, and is a low card.


Pierô
Trois hommes et trois femmes, Agent Double respecte la parité. Les personnages féminins y sont aussi moins stéréotypés que dans beaucoup d’autres jeux, la raison en étant qu’ils sont dessinés à partir d’amies des auteurs et du dessinateur.
With three male and three female agents, Double Agent has the perfect balance. It also has less stereotyped images of women than most games. The reason is that they are more realistic, being inspired by friends of the authors and the illustrator.

Pierô
Les deux femmes parmi les dix personnages de Lost Temple.
The two women in the ten characters in Lost Temple.