Femmes, jeux et statistiques
Women, games and statistics

Je ne doute guère que, comme ce fut le cas en son temps pour La Vallée des mammouths, Speed Dating, qui devrait sortir à l’automne, va être accusé d’être un jeu sexiste.  Ceux qui me connaissent un peu savent que sexisme et féminisme sont des sujets sur lesquels je peux disserter pendant des heures, et ne s’étonneront donc pas que je profite de l’occasion et me défende par avance.

Parce que l’histoire de notre culture, et de quelques autres, est assez largement l’histoire de la domination masculine, sexisme est souvent devenu synonyme de misogynie, de mépris ou d’hostilité envers les femmes. De ce point de vue, Speed Dating est inattaquable, puisque la co-autrice, l’éditrice et l’illustratrice en sont des femmes – même si l’on peut m’objecter que l’argument est du même poids que celui des racistes qui affirment que certains de leurs meilleurs amis sont noirs.

Surtout, s’il y a dans la boite 150 cartes qui se moquent des femmes, il y en a aussi 150 qui se moquent des hommes. Speed Dating respecte donc bien strictement la parité, bien plus que Citadelles, un jeu que nul n’a jamais accusé de sexisme (on l’a en revanche accusé d’antisémitisme, ce qui m’a laissé pantois….) malgré ses deux personnages féminins sur dix-huit.

Au sens strict, le sexisme n’est pourtant pas la misogynie, mais la discrimination entre les sexes, ou simplement l’ensemble des  lieux communs sur les hommes et les femmes, à commencer par l’idée qu’hommes et femmes sont fondamentalement différents. Or les clichés sexistes, il y en a sans aucun doute dans Speed Dating, il n’y a même presque que cela. Je doute cependant qu’il y ait beaucoup de joueurs pour ne pas comprendre que, si ces clichés suscitent la bonne humeur et sont un bon moteur de jeu, c’est justement parce qu’ils sont parodiques et ne peuvent pas être pris trop au sérieux. Essayez de jouer à ce jeu sérieusement, vous ennuierez très vite. Les quelques critiques essuyées de la part de testeurs (ou plus souvent de testeuses) ont d’ailleurs été balayées par les premiers éclats de rire.

À plusieurs reprises sur mon site, je me suis interrogé sur la place des femmes dans le petit monde du jeu de société, une place certes encore minoritaire, mais en croissance très rapide, tant parmi les joueurs que parmi les auteurs et les éditeurs. Pourquoi, donc, ne pas s’intéresser aussi a la place des femmes dans les jeux eux-mêmes? Voici quelques statistiques sur la parité dans les pions et personnages de mes jeux.

La parité dans mes jeux :

Cartes ou pions hommes Cartes ou pions femmes % hommes % femmes
Speed Dating 150 150 50% 50%
Lost Temple 8 2 80% 20%
Agent Double 3 3 50% 50%
Pony Express 5 0 100% 0%
Novembre Rouge 8 0 100% 0%
Chicago Poker 13 2 87% 13%
Tomahawk 47 8 85% 15%
Hollywood 9 2 82% 18%
Toc Toc Toc 40 15 73% 27%
Mission Planète Rouge 8 1 89% 11%
Le Collier de la Reine 32 4 89% 11%
Aux Pierres du Dragon 18 4 82% 18%
Draco & Co 12 4 75% 25%
Mystère à l’Abbaye 24 0 100% 0%
Castel 29 7 81% 19%
Citadelles 16 2 89% 11%
La Vallée des Mammouths 61 37 62% 38%

Tout cela ne prouve pas nécessairement que je sois un affreux macho puisque, après avoir compté les cartes de Toc Toc Toc, j’ai eu la curiosité de compter celle de son voisin sur mon étagère, et son camarade dans la petite collection d’Asmodée, l’excellent Fantasy de mon amie Sylvie Barc, qui ne fait pas beaucoup mieux – 40 hommes pour 15 femmes dans Toc Toc Toc, 40 hommes pour 16 femmes dans Fantasy. Ce n’est donc pas comme en littérature, où les femmes ont plus souvent tendance à mettre en scène des femmes, et les hommes des hommes.

Dans aucune de mes créations, je n’ai délibérément cherché à mettre une majorité de personnages masculins, sauf bien sûr dans Mystère à l’Abbaye. Dans certains, comme Chicago Poker, Lost Temple, ou Tomahawk, le choix ne vient pas de moi mais de l’illustrateur, et le résultat n’est pas bien différent. Cela en dit donc sans doute moins sur moi et mes jeux, que je ne considère en rien comme sexistes, que sur notre imaginaire à tous, hommes et femmes.

Alors, l’explication ? Le sexisme “fossilisé”, plus instructif que gênant, peut expliquer l’absence de parité dans Castel ou Citadelles. Dans un univers médiéval, même fantastique, la forte proportion de personnages masculins tient moins aux caractéristiques de la société actuelle qu’à celles de la société représentée. L’excuse vaut pourtant plus difficilement pour Le Temple Perdu, et certainement pas pour Mission Planête Rouge – même si pour ce dernier, comme pour La Vallée des Mammouths, je revendique le second degré.

J’aurais pu, et je me souviens y avoir pensé pour Citadelles et Lost Temple, faire l’effort de parvenir à la parité homme-femme dans les personnages. Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que c’est un peu comme la parité en politique: si elle est artificielle, forcée, elle est ridicule et peut-être contre-productive. Il faudrait qu’elle vienne suffisamment spontanément pour que l’on ne s’en préoccupe pas, ce qui, comme le montre clairement mes statistiques, n’est pas le cas. Je sais, ça tourne en rond.

Bien sûr la question, n’est pas seulement de savoir quel est le poids des femmes dans mes jeux, mais aussi quelle est l’image qui en est donnée. Fort heureusement, je peux ici me défausser de toute responsabilité sur mes ami(e)s illustrateurs. C’est ce que je ferai plus en détail d’ici un ou deux jours dans le prochain article de ce blog, le temps que je finisse de fouiller mon disque dur à la recherche de toutes les illustrations compromettantes.


I’m sure that, as it has been the case a few years ago with Valley of the Mammoths, Speed Dating will be accused of being a sexist game. My friends know that sexism, feminism and the question of women identity are issues I can discuss for hours. They won’t be surprised if I try, and I hope manage, to exonerate myself in advance

Male domination has left a strong mark in the history of western culture, as of several other ones. That’s why sexism has often become a synonym of misogyny, of specific contempt for or hostility towards women. Speed Dating cannot be attacked on this ground. I’ve designed it with a woman, Nathalie, and it will be published by another one, Stéphanie – unless you consider this point to be of little more value than the usual “some of my best friends are black”.

A more solid argument is that if 150 cards in the game make fun of women, 150 other cards make fun of men in a very similar way. Speed Dating is strictly respectful of male-female parity, much more than Citadels, which has never been suspected of being sexist (though it was suspected of being antisemitic, which let me flabbergasted !) – with its 16 male characters and its 2 female characters.

Strictly speaking, sexism isn’t misogyny but discrimination between the sexes, or belief in and use of male and female stereotypes – starting with the most basic one, the idea that men and women are fundamentally different. Well, there’s little else than rough male and female clichés in Speed Dating – except for a few homosexual clichés. On the other hand, I strongly doubt anyone can play the game and take theses clichés seriously. They are the game’s core engine, and this engine works only because they are parodic. Try to play Speed Dating seriously, and you’ll soon get bored.

I’ve already written a few articles about the place of women in the boardgaming world. They are a minority, but a fast growing one, be it among gamers, designers or publishers. But what about the place of women in the games themselves ? Here are some statistics of male / female distribution in the cards and tokens of some of my games :

Male – Female character distribution in my games :

  Male cards or tokens
Female cards or tokens
Male (%)
Female (%)
Speed Dating 150 150 50% 50%
Lost Temple 8 2 80% 20%
Double Agent
3 3 50% 50%
Pony Express 5 0 100% 0%
Red November
8 0 100% 0%
Chicago Poker 13 2 87% 13%
Tomahawk 47 8 85% 15%
Hollywood 9 2 82% 18%
Knock Knock!
40 15 73% 27%
Mission : Red Planet
8 1 89% 11%
Queen’s Necklace
32 4 89% 11%
Fist of Dragonstones
18 4 82% 18%
Draco & Co 12 4 75% 25%
Mystery of the Abbey
24 0 100% 0%
Castle 29 7 81% 19%
Citadels 16 2 89% 11%
Valley of the Mammoths
61 37 62% 38%

This doesn’t necessarily prove that I’m a dreadful male chauvinist. After checking the cards in Knock-knock, I also counted the cards in Fantasy, the card game designed by my friend Sylvie Barc and published in France in the same series. Sylvie doesn’t do much better than me : there are 40 males for 15 females in Knock Knock!, 40 males for 16 females in Fantasy. It’s not with games like with novels – women’s novels have far more women main characters than men’s novels.

I never deliberately placed a majority of men in my games – with the obvious exception of Mystery of the Abbey. In some games, like Chicago Poker, Lost Temple or Tomahawk, the distribution was not made by me but by the illustrator, and the result is not statistically different. This tells very little about me and my games, but it tells something about our – men and women’s – imaginary world.

So, what ? “Fossilized” sexism might explain the unbalance in Castle or Citadels. In a medieval setting, even a mildly fantastic one, the unbalance might be less in our society than in the past society used as a game’s setting. Unfortunately, this excuse won’t work for Lost Temple, and even less for Mission Red Planet and its Femme Fatale – but for this one, as for Valley of the Mammoths, I think I can rightly claim that, like for the male/female relation in Valley of the Mammoths, it must be taken with a pinch of salt.

I could have opted for a strict male-female parity in my games. I remember considering it for both Citadels and Lost Temple. I didn’t do it because, like parity in politics,  it’s a conundrum. If it’s constrained, it’s just artificial, unconvincing and might be counter-productive. If it’s not constrained, it’s spontaneous and there’s no need bothering about it. Though it obviously doesn’t work that way so far

I have only considered so far the proportion of women in the character cards from my games, but I could also have discussed the image of women given by these cards. That’s what I’ll do in my next blog post, in a few days, after I’ve found all the compromising pictures lost in the depths of my hard disk. Of course, I’ll blame everything on the illustrators.