Mon compte rendu de la Gen Con 2017
My 2017 GenCon report

Politique

Je suis arrivé aux États-Unis le lendemain des événements de Charlotteville, qui étaient le grand sujet de discussion. Comme assez souvent, je me suis retrouvé devoir essayer d’expliquer les grilles de lecture européennes aux américains, et inversement. En effet, si le racisme aux États-Unis est un peu différent de ce qu’il est en Europe, l’antiracisme est lui complètement différent.
Pour un américain, être antiraciste c’est vouloir l’égalité des races, considérées comme des réalités incontournables, voire comme des identités à défendre. Pour un européen, surtout dans les pays latins, être antiraciste c’est nier l’existence de races humaines, considérées comme un fantasme dangereux et sans fondement scientifique. Du coup, l’antiraciste américain apparait à l’européen comme un raciste soft et gentil, et l’antiraciste européen est aux yeux de l’américain un grand naïf. Les deux reproches sont sans doute un peu fondés. Discutant des événements de Charlotteville, le chauffeur de taxi qui m’a amené à Roissy disait que « les races, c’est un truc de chien, pas d’hommes », tandis qu’un employé d’hôtel d’Indianapolis m’a assuré que « Dieu a créé toutes les races égales » (ce qui colle mal avec l’histoire d’Adam et Eve, mais bon, je n’allais pas engager un débat théologique avec un américain).
Universaliste par tempérament, je me méfie de l’obsession identitaire et communautaire à l’américaine, de la tribalisation qui mène à la violence. Je ne peux qu’espérer, sans trop y croire, que les événements de Charlotteville vont conduire la gauche américaine à réaliser que les identités sont le problème et non la solution. Je m’inquiète plutôt de voir la vision tribale du monde s’insinuer de nouveau en Europe, que l’on pouvait penser vaccinée par l’histoire contre les identités collectives un peu trop fortes. En même temps (comme dirait Macron😀) on ne lutte pas contre une réalité sociale en refusant de la voir, et se regrouper est parfois, à court terme au moins, la meilleure manière de se défendre.
L’attentat de Barcelone a été beaucoup moins discuté aux USA que les événements de Charlotteville ne l’ont été en Europe. C’est un peu dérangeant, mais cela s’explique peut-être en partie par l’habitude. Les attentats de Ouagadougou, eux, ont a peine été signalés, ce qui est encore plus dérangeant. Il reste que tous ont, au fond, la même origine – quelques allumés pensant qu’ils doivent être fiers d’une identité fantasmée qui les rendrait différent du reste de l’humanité.

Minneapolis

Comme ces trois ou quatre dernières années, j’ai passé les trois premiers jours à Roseville, accueilli par la sympathique équipe de Z-Man Games, et plus largement d’Asmodee (sans accent) North America dans une zone industrielle au milieu de nulle part dans la banlieue de Minneapolis.

On a joué à mes prototypes, dont certain ont suscité un certain intérêt, et à quelques unes des dernières nouveautés et des jeux à venir de Z-Man. J’ai particulièrement apprécié un proto de Florian Fay dont on n’a pas encore le droit de parler et sur lequel il y a encore pas mal de boulot, Smile, un petit jeu de cartes de Michael Schacht, et NMBR9, que je connaissais déjà. Moi qui n’aime pas trop Splendor, et de manière générale le style un peu froid de Marc André, j’ai bien aimé Majesty, un jeu avec de l’interaction et un vrai thème. Discutant de jeux à deux joueurs avec Steven Kimball, j’avais presque réussi à le convaincre de faire une nouvelle édition de Greedy Kingdoms, de Hayato Kisaragi, et de me laisser faire le développement pour lequel j’avais quelques idées. Malheureusement, j’ai appris le soir que les japonais avaient déjà revendu leur jeu à AEG….

Indianapolis


Downtown Indianapolis vu depuis ma chambre au 27ème étage

Changement de rythme après l’arrivée à Indianapolis, caricature de ville américaine à l’architecture brutale plantée au milieu de la brousse. La 50ème GenCon a attiré 70.000 visiteurs, un record. Les auteurs, éditeurs, distributeurs et même fabricants de jeux du monde entier étaient là, seuls les illustrateurs me semblant peu représentés, à l’exception de peintres fantastiques très américains. Beaucoup de français, et pas seulement des asmodéens. Avec une telle foule, les hôtels ne se gênaient guère et la chambre d’Antoine Bauza, arrivé un jour plus tard que prévu, avait déjà été attribuée à un autre. Du coup, je l’ai hébergé deux nuits dans la mienne, ce qui nous a permis de commencer à bosser sur un nouveau petit projet.


Au bar du JW Marriott vec Merry Nowak-Trzewiczek, Eric Lang et une partie de l’équipe CMON.

Tout ce qui gravite autour d’Asmodée, de FFG, de CMON, avec donc un grand nombre de français, avait pour quartier général le bar du JW Marriot, le grand hôtel le plus proche du salon. Ça buvait pas mal, ça parlait plus de jeux que ça ne jouait vraiment. Soirée Iello jeudi, soirée Asmodée vendredi, j’apprécie de ne pas avoir à choisir mon camp.

Les nouveautés

Cinq ou six-cent nouveaux jeux de société étaient présentés sur le salon. C’est beaucoup, peut-être trop. Heureusement, cette année, aucun jeu n’a suscité l’enthousiasme général au point d’accaparer toute l’attention. Pas de big hit, donc, ce qui a permis à pas mal de jeux de se faire remarquer. Je n’ai eu le temps de jouer à rien, mais j’ai entendu dire du bien de tous ceux là, dans le désordre :

et j’en oublie certainement. Quelques uns de ceux-ci, mais aussi pas mal de petites boites qui m’ont intrigué sans que je trouve le temps d’y jouer, sont dans le gros colis que FFG, pardon Asmodee North America, se charge gentiment de m’envoyer bientôt.
Côté styles, certaines des tendances que je constatais dans mes considérations d’avant salon se confirment nettement. Beaucoup de jeux de coopération, beaucoup de jeux narratifs, de plus en plus d’auteurs japonais, et une opposition très nette entre les petits jeux de cartes élégants et les grosses boites au look baroque et au matériel aussi inutile que tapageur. La gamme intermédiaire se fait plus rare. Côté thème, c’est le retour de la science fiction, avec souvent un look très seventies, mais l’heroic fantasy résiste.

Mes jeux à moi

Mon emploi du temps chargé consistait pour moitié en dédicaces et présentations de mes nouveaux jeux, Secrets, Junggle, King’s Life et Kamasutra, pour moitié en rendez-vous avec des éditeurs connus ou inconnus pour leur présenter quelques brouillons. Les deux stands sur lesquels j’étais le plus présent étaient celui de Z-Man, éditeur de Junggle, qui avait la gentillesse de m’héberger dans l’hôtel assez cher où tout se passe et tout se discute, et celui de Vice Games, éditeur de Kamasutra, parce que c’était rigolo.


Présentation de Junggle sur le stand Z-Man

Junggle, léger et familial, n’est sans doute pas le jeu le plus facile à présenter dans un salon très geek, surtout sur un stand occupé surtout par des trucs plus sérieux, plus conséquents et plus allemands. Les démos ont pourtant remporté un certain succès. Le dernier jour, je n’étais cependant plus très performant, ni dans les jeux de rapidité, ni dans ceux de mémoire.


Une partie de Secrets

Sans participer aux parties, plus longues, je faisais de temps en temps un saut à côté, dans l’espace joliment décoré où étaient présentées les nouveautés de Repos Prod, dont Secrets, ma deuxième collaboration avec Eric Lang. Les joueurs avaient toujours l’air de bien s’amuser et de ne pas se faire confiance, c’est bon signe.


King’s Life, chez Pandasaurus

Sur le stand de Pandasaurus, King’s Life était largement éclipsé par l’immense succès de Wasteland Express Delivery Service, mais j’ai quand même pu faire quelques parties dont une, à sept joueurs, restera un de mes meilleurs moments du salon. Cela confirme que ce jeu prend tout son sel quand les joueurs sont assez nombreux.


Kamasutra et Come Together, les deux jeux les plus chauds de la GenCon

Le stand de Vice Games n’était qu’une étroite bande de tissu noir derrière celui, plus conséquent, de leurs amis de Japanime Games, mais c’était l’un des coins les plus drôles et des plus animés de la GenCon. Pendant que Matt, en robe de Blanche neige, expliquait son jeu de cartes Come Together, j’ai animé quelques parties de Kamasutra, qui a été incontestablement l’un des jeux qui faisait parler d’eux. Les mignonnes illustrations de David Cochard, l’enthousiasme de Matt et un peu de bouche à oreille ont permis au jeu d’être sold out le dimanche matin.


On a fait jouer l’équipe du Boardgamegeek à Kamasutra

Il y a même eu des tournois improvisés, dont un que j’ai arbitré à la Game Nerds Night. Du coup, alors que personne il y a deux ans, puis l’an dernier, ne voulait publier ce jeu, pas mal de distributeurs potentiels se sont fait connaître cette année. S’il n’est pas trop tard, Vice Games va se débrouiller pour avoir un stand à Essen.


Préparatifs du tournoi de la Game Nerds night

Prospection

J’avais une douzaine de rendez-vous avec des éditeurs, du plus petit au plus gros, et une dizaine de jeux à présenter. Pour la première fois, j’avais fait le choix d’amener, outre mes brouillons et projets en cours, deux prototypes quasi finaux de jeux, Chawai et Small Detectives, qui vont sortir en France mais dont les éditeurs cherchent licenciés ou distributeurs outre Atlantique. Tout cela a suscité pas mal d’intérêt, ce qui laisse espérer quelques nouveaux jeux de Bruno Faidutti l’an prochain ou dans deux ans – on verra bien. Et puis, comme il ne faut pas renoncer à une bonne idée, je suis passé voir les gens d’AEG, que je ne connaissais pas encore, pour leur proposer d’ajouter mon grain de sel à Greedy Kingdoms.

Retour


Dimanche soir, un peu de repos dans les salons de l’hôtel.

Mon dernier rendez-vous était lundi matin pour un petit déjeuner de travail au Patachou avec Eric Lang. Malgré nos fatigues respectives après quatre jours épuisants passés à jouer, boire et discuter affaires, nous avons réussi à remettre sur les rails un projet avec des elfes et des trolls qui piétinait depuis un an. Reste à espérer que nous n’oublierons pas nos brillantes idées du lundi matin et qu’elles nous sembleront toujours aussi bonnes après une bonne nuit de sommeil.
Ensuite, ce fut l’éclipse au moment du départ d’Indianapolis, une correspondance sans problème à Atlanta, ce qui n’était pas gagné d’avance, et une très courte nuit au dessus de l’Atlantique durant laquelle j’écris ce petit compte rendu. En arrivant, il va falloir que je réimprime des protos pour envoyer aux éditeurs, et que je m’attaque aux nouveaux projets avec Eric Lang, avec Hayato Kisaragi, avec Antoine Bauza. Et puis il y a la rentrée scolaire….


Embarquement sur le vol retour avec Bruno Cathala


Politics

I arrived in the USA the day after the Charlotteville events, which were of course the main topic of conversation. As often, I ended up trying to explain to Americans the standard European interpretation frameworks and premises, and vice versa. Indeed, while racism in the USA is only slightly different from what it is in Europe, antiracism is completely different.
Americans antiracists fight for race equality, and consider that races are an undeniable reality, or even identities needing to be asserted and defended. Europeans antiracists, especially in latin countries, fight to get rid of the idea of race, which they consider a dangerous fantasy based on dubious scientific premises. As a result, European antiracists see American ones as “soft and kind racists”, while American antiracists see European ones as naive dreamers. There’s some truth in both critics. Discussing the Charlotteville events, the taxi driver who drove me from Paris to the Roissy airport told me that “races are for dogs, not for men”. In Indianapolis, a hotel clerk assured me that “God has created all races equal” (which doesn’t quite fit with the Adam & Eve storyline, but I didn’t dare discuss theology with an American).
I am an universalist, and I am extremely wary of the American identity and community fetish, which inevitably leads to violence. I have only little hope that Charlotteville’s white identity furor will make US liberals realize that identities are not the solution but the problem. Conversely, I’m afraid when I see the US style tribal worldview worming itself back in Europe, which I thought had been immunized by history against strong identities. On the other hand, refusing to see a social reality might not be the best way to fight it, and banding together is often, at least in the short term, the best defense system.
The Barcelona terror attack was far less discussed in the US than the Charlotteville events were discussed in Europe. It’s a bit disturbing, but might be in part because it feels less new. The attacks in Ouagadougou went almost unnoticed, which is even more disturbing. Anyway, in the end, all have the same origin – a small group of looneys thinking they can be proud of a bullshit racial or religious identity which supposedly makes them different from the rest of the human race.

Minneapolis

Like the three or four last years, I first stopped for a few days in Roseville, where I joined the friendly Z-Man team, and of all Asmodee (no accent) Nort America, in a lost suburb of Minneapolis. We played my prototypes, some of which raised some interest, and a few new or upcoming Z-Man games. My favorites were a Florian Fay prototype which still needs some development, and Smile, a cute light card game by Michael Schacht, and NMBR9, which I had already played. While I don’t like Splendor and Marc Andrés’s style usually leaves me cold, I really enjoyed my game of Majesty, which has strong interaction and a consistent theme.

While discussing two player games with Steven Kimball, I tried to convince him to make a mew version of Hayato Kisaragi’s Greedy Kingdoms, a game I really like, and to let me work on the development, only to learn the day after that the game was already signed with AEG.

Indianapolis


Downtown Indianapolis viewed from my 27th floor room

There was a change of pace when arriving in Indianapolis, an archetypal american city, some brutal architecture planted in the bush, in the middle of nowhere.
There were 70.000 attendees, a record, at the 50th Gen Con. Designers, publishers, distributors and even game manufacturers from all around the world were here, but there were few artists, except for very american fantasy illustrators. Many French people, not all asmodeans. With such a busy crowd, hotels were full, if not overbooked. When Antoine Bauza arrived one day later than initially scheduled, his room had already been passed to someone else. He slept in mine for two days, a good opportunity to discuss games and to start working together on what will probably be a small card game.


At the JW Marriott bar with Merry Nowak-Trzewiczek, Eric Lang and two guys from CMON.

All the people gravitating around Asmodee, FFG or CMON used the nearby JW Marriott bar and lobby as their headquarters. We drank a lot, we talked games, but we didn’t play that much. Thursday night was the Iello party, Friday night the Asmodee one, I felt relieved for not having to choose my side.

New stuff

There were five or six hundred new games on the show. Many games, may be too many. Luckily, this year, there was no main big hit monopolizing the gamers’ attention, which was divided between many interesting new games. I could not find the time to play anything else than my own games and prototypes, but I’ve heard good things about all of these, in no specific order.

and I certainly forget a few ones. Some of these, and a few dozen small card games, are in the big box that FFG – ooops, ANA – will send me in the coming days. Thanks again friends!
Some of the trends I discussed in a recent blogpost were confirmed. Lots of cooperative games, and of narrative and legacy ones. Many games by Japanese designers. A focus on both small card games and big heavy boxes with baroque graphics and ridiculously overproduced components, but little in between. Science fiction is back, often with a seventies graphic style, but good old heroic fantasy is not dead.

My games

I had a busy schedule, half appointments with publishers to show my prototypes, half signings and demos of my four new games, Secrets, Junggle, King’s Life and Kamasutra. The two booths where I spent most of my time were Z-Man, the publisher of Junggle, who was kind enough to take care of my accommodation in the rather expensive hotel where all the interesting discussions take place, and Vice Games, the publisher of Kamasutra, because it was plain good fun.


Demoing Junggle at the Z-Man booth

Junggle, a light and fast paced family game, might not be very easy to show in a geeky event like Gen Con, especially when most of the other games at Z-Man were more serious, heavy and german. My demos were nevertheless a success, though on the last day, I was not very good an y more at rapidity or memory games.


A game of Secrets

I didn’t actually play Secrets but I often went to have a look and discuss the game at the nearby nice space where the new Repos games were demoed. Players always seemed to have fun and to be completely distrustful of each other, which is a good sign.


Playing King’s Life, at Pandasaurus

At Pandasaurus, King’s Life was largely eclipsed by their big hit, Wasteland Express Delivery Service, a monster game about delivery drivers in a Mad Max setting. I nevertheless played a few games of King’s Life, one of which, with seven players, was probably one of my highlights of the con. This game is definitely best with more players.


Kamasutra and Come Together, the two hottest games at GenCon

The Vice Games booth was just a narrow strip of black cloth behind the bigger one owned by their friends at Japanime Games, but it was one of the most fun and sexy places at the con. Matt, in a snow white outfit, explained his sexy card game Come Together, while I showed Kamasutra. Matt’s enthusiasm, David Cochard’s cute graphics and some word of mouth helped the game selll out quite fast.


Playing Kamasutra with BGG’s Eric Martin as a teammate. We won.

There were even a few improvised tournaments, and I was the referee at the Game Nerds Night on Sunday. No one wanted to publish this game when I showed it two years ago, and again last year, now everyone wants to distribute it all around the world ! If it’s not too late, Vice Games will try to book a small booth in Essen.


Preparing the Kamasutra tournament

(BTW, English grammar question. When explaining the rules of Kamasutra, I used to say that the balloon is placed in the « contact zone ». Then I heard Matt explaining the game, and saying it was in the « zone of contact ». It’s obvious to me, though I don’t know why, that the third possibility, contact’s zone, would not be correct. So, what is the rule ? If zone of contact is correct and not contact zone, why ?)

Prospection

I had ten or twelve appointments with publishers, small and big ones, and several games prototypes to show. For the first time, I had brought not only rough prototypes but also publisher prototypes of two games, Chawai and Small Detectives, which will be soon published in France and are looking for foreign distributors or licensees. Both my prototypes and these games raised some interest, so you can expect some more Bruno Faidutti games in the coming years. And since I could not abandon this idea, I also contacted the AEG team, which I didn’t know so far, to ask if I could add my grain of salt to Greedy Kingdoms.

Back to France


Sunday evening in the hotel lobby.

My last appointment was for breakfast, on mondai morning, at Patachou, with Eric Lang. Even when we were both exhausted after four games of gaming, drinking and talking business, we managed to revive a game project with elves and trolls which had stalled for several months. I only hope that we will not forget our new ideas, and that they will still sound as great after a full night of sleep.
The eclipse took place just when we were leaving Indianapolis. The connection in Atlanta was fast and smooth, which was not certain. I’m now writing this report during the very short night over the ocean. When back, I will have to reprint prototypes for the publishers who asked for them, and then to start working on the new projects with Eric Lang, with Hayato Kisaragi, with Antoine Bauza.


Boarding the plane with Bruno Cathala

Nutz! – Les pirates et les écureuils
Nutz! – Pirates and Squirrels

Lequel, du thème et de la mécanique, vient d’abord ? C’est la question la plus souvent posée aux auteurs de jeu, au point que cela en est devenu lassant. Si ma réponse varie c’est un peu parce que ma pratique a varié, mais c’est aussi parce qu’il n’est pas toujours facile de distinguer les deux. Dans le cas de Nutz!, c’est clairement la mécanique qui est à l’origine du jeu, mais comme l’illustre le fait que, tout au long de son développement, ce jeu a connu quatre thèmes successifs, dont seulement deux, les pirates et les écureuils, pouvaient effectivement coller aux systèmes de jeu.

Dans ce jeu, chaque manche est divisée en deux phases. Durant la première, les joueurs posent des cartes en colonnes de trois cartes maximum, parfois faces visibles, parfois faces cachées. Ensuite, ils prennent chacun les cartes d’une colonne de leur choix.

Sans doute parce que le nouveau Diamant venait de sortir, et parce que j’avais sous la main ses fichiers d’illustrations, le tout premier brouillon avait pour thème l’exploration de ruines perdues dans la jungle.


La toute première version du jeu, El Dorado, dans la cafetière d’Antoine Bauza.

Mécaniquement, le jeu fonctionnait très bien, et a d’ailleurs connu assez peu de gros changements de règles entre cette première itération et la version publiée. Pourtant, on sentait un problème qui mettait les joueurs mal à l’aise et les empêchait d’apprécier vraiment la partie. Dans l’idéal, une partie d’un jeu de société doit être un récit qui se déroule, dans lequel le joueur sait qui il est, ce que signifient ses actions et son objectif. Bref, même si un jeu de cartes n’aura jamais la profondeur et la richesse thématique d’un film, d’un roman ou même d’un jeu de rôle, il se construit quand même un peu sur le même modèle. Lorsque les joueurs d’El Dorado – c’était le nom du premier brouillon – exploraient des ruines incas ou aztèques, cette dimension narrative ne fonctionnait pas. Rien, en effet, ne venait justifier la première partie de chaque manche, celle durant laquelle les joueurs plaçaient les cartes qui, petit à petit, constituaient les grottes ou temples qu’ils allaient ensuite explorer. On imagine mal en effet des pillards commencer par cacher des antiquités dans les grottes avant d’aller ensuite les récupérer.


Le deuxième brouillon, Treasure Islands, à l’Asmoday. Il y avait visiblement d’autres jeux de pirates.

Le deuxième thème, et celui-ci fonctionnait, fut les pirates. Côté trésor, peu de changement, de l’or, des joyaux, des artefacts magiques et des statuettes maudites, plus ou moins la même chose sur les îles des Caraïbes que dans les ruines incas. Le récit, en revanche, gagnait en cohérence. Les pirates de Treasure Islands – nouveau nom du jeu – vont d’abord enterrer leurs trésors sur des îles désertes. Ensuite, ils retournent chacun sur une île et prennent tous les trésors qu’ils y trouvent. Le thème donnait désormais un sens aux deux phases, de placement des cartes puis de récupération, qui structurent le jeu.


Je ne suis pas le premier à hésiter entre pirates et écureuils…

Le jeu a plu à l’équipe de Blue Orange, qui a décidé de le publier. Jugeant, avec raison sans doute, que le monde de la piraterie était sérieusement surexploité, ils ont cherché autre chose, et ont pensé à des super-héros cambriolant des musées. Pourquoi pas, même si c’est un univers assez geek pour un jeu grand public. On retombait cependant sur la même incohérence qu’avec mon tout premier prototype amérindien. Il fallait justifier non seulement le fait que des super héros collectionnent des œuvres d’art – on aurait sans doute pu trouver quelque chose – mais aussi qu’ils commencent par aller eux-mêmes les mettre dans les musées, et là, cela devenait plus compliqué.
J’ai donc fait une quatrième proposition, qui me semble fonctionner aussi bien que les pirates – les écureuils. Tout comme les pirates planquent leurs trésors dans des îles, comme une sorte d’assurance retraite, avant d’aller les récupérer pour leurs vieux jours, les écureuils passent l’été et l’automne à cacher de la nourriture dans des trous d’arbre, pour aller la récupérer l’hiver venu, si tant est qu’ils se souviennent ce qu’ils ont mis ou. J’ai rebaptisé le jeu Nuts, mais comme il y a déjà une cinquantaine de jeux de ce nom, l’éditeur va sans doute y mettre deux t, un z et des points d’exclamation partout.

La magie, le fantastique, la science-fiction, sont des thèmes fort pratiques pour les auteurs de jeux, surtout pour ceux qui, comme moi, aiment bien introduire un peu de chaos, un peu d’inattendu, un peu de vie dans des mécanismes sinon trop bien réglés. Dans un univers réaliste, il peut arriver que l’auteur ne puisse pas ajouter une carte, un effet, un pouvoir qui serait mécaniquement intéressant, qui créerait des choix angoissants ou amusants pour les joueurs, parce qu’il ne parvient pas à lui donner une justification thématique. Dans une course cycliste, une carte ne peut pas permettre d’échanger sa position avec celle d’un autre joueur. Dans une course de sorcières sur des balais, pourquoi pas – c’est magique. Dans un univers fantastique, même fantastique à la marge comme les explorateurs ou les pirates, tout est possible. Dans El Dorado, dans Treasure Islands, parmi les trésors oubliés ou enterrés se trouvaient des reliques aux pouvoirs magiques, et des statuettes maudites, introduisant des effets amusants. Je n’aimais pas l’idée d’écureuils magiques, et il a donc fallu trouver d’autres justifications pour les cartes un peu bizarres – ce sont les prédateurs, aux effets immédiats, et les baies et champignons, dont les effets peuvent durer plus longtemps. Cela tombe bien, l’illustrateur Cyril Bouquet, aime beaucoup dessiner les plantes et les animaux. Dans mon Attila, il avait déjà pris sur lui d’ajouter des lapins et des carottes.


Du premier prototype à la carte finale. Le symbole est resté.

Côté mécanique, j’ai juste dû défendre ma carte fétiche, que l’éditeur trouvait un peu violente. J’ai expliqué que cela faisait longtemps que je voulais, dans un jeu, mettre une carte “vous avez perdu”, et que c’était très amusant à en jouer si le joueur qui a cette carte devant lui a des moyens réels, mais pas trop faciles non plus, pour s’en débarrasser. Bref, j’ai insisté, et le fétiche à l’oreille cassée est devenue, chez les écureuils, une amanite tue-mouches.

Puisque l’on joue des cartes faces visibles et d’autres faces cachées, Nutz! est tout à la fois un jeu tactique et un jeu de bluff. Au moment de choisir un arbre pour y récupérer ses provisions d’hiver, un écureuil doit tenir compte de ce qu’il sait de son contenu, les cartes visibles, de ce qu’il ignore le plus souvent, les cartes cachées, mais aussi des jetons lunes qui s’y trouvent, et du rang de l’arbre qui déterminera l’ordre du tour pour l’année suivante. Rien de bien compliqué, mais des éléments suffisamment nombreux et variés pour permettre bien des choix, et quelques embrouilles.

Une partie de Nutz sur Tric Trac

Nutz! est un jeu de cartes qui n’a rien de révolutionnaire, et doit pas mal à l’une de mes premières créations, Corruption, mais c’est un jeu comme je les aime, simple, subtil (enfin j’espère) et assez méchant.
Il nous rappelle que les écureuils, qui ont aujourd’hui en occident une excellente image de marque, celle d’animaux prévoyants à la crinière flamboyante, ont longtemps eu une assez mauvaise réputation. La tradition médiévale voyait en effet dans ces rongeurs des animaux diaboliques, paresseux, lubriques, avares et voleurs. Dans la mythologie nordique, l’écureuil Ratatoskr répand insinuations et rumeurs et sème la discorde parmi les occupants d’Yggdrasil, l’arbre du monde. Ce sera pour un autre jeu…

Un écureuil médiéval

Post scriptum: je viens de voir une video de présentation du jeu de Matt Loomis Chickwood Forest, dont les mécanismes sont très proches de ceux de Nutz!. C’est clairement une coïncidence, les deux jeux ayant été conçus plus ou moins simultanément, et je pense que nous avons suivi un peu le même raisonnement à partir de l’idée de cartes pour partie cachées, pour partie visibles. Je vais essayer de trouver une occasion d’y jouer pour voir lequel des deux jeux est le plus intéressant. Et tant qu’on parle de Matt Loomis, je vous conseille, dans un tout autre style, son Seikatsu.

Nutz!
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Cyril Bouquet
2 à 4  joueurs  – 30 minutes
Publié par Blue Orange (2017)
Ludovox          Tric Trac          Boardgamegeek


Which one comes first, theme or mechanics ? This is probably the question I’ve been asked the most often as a game designer, and it has become boring. My answer varies, in part because my practice does, but also because it’s not always easy to distinguish one from the other. With Nuts, the case is clear, mechanics came first, as can be seen from the fact that the game had four successive settings, two of which, pirates and squirrels, were completely satisfying because they could give sense to most of the game systems.

Every game round is made of two consecutive phases. First, players add cards, sometimes face up, sometimes face down, to sets of three cards maximum. Then each player takes a set.
The first prototype was made using the graphic files for the new edition of Diamant, and was about looting treasures in ancient ruins.


The first version of the game, El Dorado, played at Atoine Bauza’s cafetiere.

The game mechanics worked really well, and there has been no major rule change since. Something, however, was not satisfying and prevented players from really jumping into the game. Ideally, a board game session must feel like an unfolding story, in which the player knows whom he plays, and therefore what his actions and goal represent. Even if a board game can never have the same thematic depth as a novel, a movie or even only a role playing game, it is still built on the same model. When my players friends were playing El Dorado, the name of my first iteration, and exploring inca or aztec ruins, the narrative didn’t work. There was no way to give a meaning to the first phase of every round, during which players were playing the treasure cards they will take in the second phase. Looters do not enter the caves to place treasures before exploring them to get them back. That’s not how it works.


The second version, Treasure Island, at a game convention where it clearly wasn’t the only pirates game.

The second setting – Pirates – worked perfectly. The treasures didn’t change much. There was the same mix of gold, jewels and cursed statues and magical artifacts, on the Caribbean islands as in the Incan temples. The storyline, one the other hand, was much more consistent. The game was now called Treasure Islands, and pirates were first burying their treasures on the various islands, and then getting back to unearth them when planning for retirement. The theme was now giving sense to the two phases of the game, placing cards and getting them back.


I’m not the first one facing a choice between pirates and squirrels.

The Blue Orange team liked the game and decided to publish it. They thought, however, that the pirates theme was seriously overexploited and looked for something more original. Their first idea was about super heroes looting museums. Why not, even though super heroes might a bit too geeky a theme for a light family game. The problem, however, was the same as with my first setting. We had to find a rationale not only for super heroes collecting antiques – this could be done – but also for them to first place the pieces in the museums, and it soon became a bit convoluted.
That’s why I suggested a fourth and completely different universe, squirrels, which works as well as pirates. Like pirates were first hiding treasures on the islands, as a kind of pension insurance, and take them back before retiring, squirrels spend summer and winter hiding food in hollow trees, and take it back in winter – if they can remember where it is. I called this new version Nuts, but since there are already several games with this name, the publisher will likely add a second t, a z, and a few exclamation marks.

Magic, Fantasy, Science Fiction are very convenient theme for game designers, especially those who, like me, like to add some chaos, some unexpectedness, in the usually too well tuned boardgames systems. The problem with realistic settings is that the game designer is often blocked with a funny effect, an interesting ability, a challenging choice for which he can find no thematic justification. In a bicycle race, there’s no possible rationale for swapping one’s position with that of another player; in a witches on brooms race, why not – it’s magic. In a fantasy world – even a marginally fantasy one, like explorers or pirates, almost everything is possible. Among the lost or buried treasures were relics with strange powers, and cursed artefacts with funny effects. I didn’t want magical squirrels, so I spent a long time looking for justifications for all the cards special effects. Instant effects are predator animals, such as foxes or owls, while lasting effects are berries or mushrooms, depending whether the effect is mostly good or bad. Luckily, the artist, Cyril Bouquet, is really good at plants and animals. In my Attila, he had already taken on himself to add rabbits and carrots.


From first prototype to final game, the symbol didn’t change.

As for the game systems, I had to fight to keep my fetish card, which the publisher thought too violently nasty. I have always wanted to have a “you lost!” card in a game, and I had to explain that this can be really fun to play if there are real, but not too easy, ways to get rid of it. I insisted, and the card is still there. In the squirrel world, the broken ear statuette has become a fly agaric.

Since cards are played sometimes face-up, sometimes face down, Nuts is both a game of tactics and bluffing. When choosing a tree to hide his food for the next winter, a squirrel must consider the cards already there, face up but also face down, and also moon tokens there, and the rank of the tree which will determine the next round’s player order. Nothing too complex, but enough different elements to make for varied strategies and some nasty tricks. Nutz! is nothing revolutionary or groundbreaking, and has been largely inspired by one of my first designs, Corruption, but it’s the kind of game I enjoy – simple, subtle (or so I hope) and sometimes nasty.


Presenting Nutz! at the Paris est Ludique game fair

Squirrels now have a very good image, at least in the western world – cute and careful animals with a fluffy fiery red tail. It has not always been so. In the Middle Ages, these rodents were seen as devilish, lazy, mean and lecherous animals. In the Norse mythology, the squirrel Ratatoskr runs up and down Yggdrasil, the tree of the world, spreading nasty rumours and insinuations. May be in another game…..

Ratatoskr climbing on Yggdrasil

Post scriptum: I just watched a video presenting Matt Loomis’ Chickwood Forest, whose game systems are very similar with Nutz!. Both games were designed more or less simultaneously, and it’s clearly a coincidence. I bet we made the same logical reasoning starting from the idea of rows of cards played half face up and half face down. I’ll try to play it one of these days, if only to see which of our games plays better. And by the way, I strongly recommend, in a completely different genre, another game by Matt, Seikatsu.

Nutz!
A game by Bruno Faidutti
Art by Cyril Bouquet
2 to 4 players  – 30 minutes
Published by Blue Orange (2017)
  Boardgamegeek

Dernières tendances
Boardgame fashion trends

Je pars bientôt pour la Gen Con, le grand salon américain estival du jeu de société. C’est sans doute le moment de réfléchir un peu sur les les évolutions du jeu de société depuis quelques années, et de se demander ce qui est tendance de fond et ce qui est mode passagère, de quoi il faut se réjouir et de quoi il faut s’inquiéter.

Un marché en croissance

Le jeu de société était un petit monde, c’est de plus en plus un grand marché, et un marché mondial. L’édition de jeux connait du coup des évolutions contradictoires, permises par la forte croissance des ventes.
D’un côté, avec Asmodée, mais aussi des acteurs plus récents et plus modestes comme CMON, le monde du jeu de société « pour joueurs » relève de plus en plus du business et de moins en moins de la passion. Asmodée n’a plus racheté personne depuis quelques mois, signe peut-être qu’Eurazeo, le  groupe financier qui en a pris le contrôle, passe à la deuxième étape et se prépare à revendre. Ce n’est pas certain, et je ne suis pas dans le secret des dieux, ou plutôt des démons.

D’un autre côté, croissance et concentration libèrent de la place pour une foultitude de petits acteurs, éditeurs et/ou distributeurs, profitant soit des niches délaissées par les gros, soit seulement des miettes. Il y a beaucoup de monde, peut-être un peu trop, avec des stratégies pas toujours très claires, mais surtout des gens sympathiques et quand même pas mal de place.
Alors, le grand retour du jeu de société, régulièrement signalé dans les médias, tendance durable ou effet de mode ? Après avoir pendant dix ans assuré que le marché ne pourrait plus continuer à s’envoler à une telle vitesse et que l’atterrissage, possiblement violent, était pour bientôt, je n’ose plus aujourd’hui faire de prédiction.

Kickstarter

Cette multiplication des acteurs a été largement accélérée par l’émergence du Crowdfunding, qui utilise aujourd’hui presque exclusivement la plateforme Kickstarter. Je ne sais pas quelle est la part exacte de Kickstarter dans les ventes de jeux de société, mais dans mes achats personnels elle est d’à peu près 50%. La part des jeux de société dans les levées de fonds sur Kickstarter est de 25%. C’est énorme.
Les usages de kickstarter par les éditeurs de jeux sont multiples, et certains me sont plus sympathiques que d’autres.
Le crowdfunding était à l’origine, et est toujours souvent, un outil rendant sinon plus facile, du moins moins risquée, l’autoédition de jeux, petits ou gros, par des passionnés. Ça, c’est très bien.
C’est aussi un moyen pour des éditeurs installés de contourner la distribution et de se réserver des marges plus confortables. C’est dommage pour les boutiques, qui restent nécessaires à l’écosystème du jeu, et il est un peu triste de voir sur Kickstarter des jeux qui auraient sans doute de toute façon été édités.

D’un autre côté, Kickstarter a aussi permis la sortie de jeux au matériel impressionnant, comme Zombicide, Scythe ou Conan, dont les premiers tirages n’auraient jamais pu être rentabilisés dans le circuit de distribution classique. Je suis content qu’ils soient là.
Bref, c’est compliqué, mais les usages variés du crowdfunding dans le jeu de société suffisent à montrer que c’est bien plus qu’un effet de mode. Du point de vue des joueurs, son principal effet pervers est dans le temps et l’énergie consacrés à fignoler la campagne, faire de la com, présenter les plus beaux dessins et les plus jolies figurines possibles, et imaginer des stretch goals capillotractés. Tout ce temps et cette énergie auraient pu et dû être consacrés aux jeux eux-mêmes, dont, à l’arrivée, les règles, et parfois les mécanismes, ne sont pas toujours à la hauteur. Il est triste de voir un jeu sans intérêt aucun, comme Exploding Kittens, récolter des millions de dollars. Il est aussi triste de voir des règles bâclées dans un projet aussi ambitieux que Conan. J’ai pledgé les deux….

L’Asie

Longtemps, le Japon et la Corée n’ont été que des marchés marginaux pour le jeu de société moderne, tandis que la Chine était surtout un endroit où l’on fabriquait des jeux conçus en occident et vendus en occident. Les premiers petits jeux de cartes japonais étaient des curiosités exotiques aux règles traduites avec les pieds, dont il suffisait d’un ou deux pour faire joli dans une ludothèque.

C’est en train de changer, très rapidement. De plus en plus de jeux originaux nous viennent d’auteurs et d’éditeurs japonais, coréens et chinois. S’ils sont, surtout pour les jeux japonais, graphiquement assez différents de ce à quoi nous sommes habitués, les mécaniques ludiques en revanche sont bien les mêmes. La culture ludique moderne qui a d’abord été allemande et américaine, puis occidentale, est en train de gagner l’extrême-orient. Quelle sera l’étape suivante ? Le monde arabe ? L’Amérique latine ?

Les jeux de coopération

Lorsque, dans les années 2000, sont arrivés les premiers jeux de coopération modernes, je m’y suis suffisamment intéressé pour créer Terra et Novembre Rouge, mais je n’y voyais pas moins une mode appelée à passer assez vite. Il me semblait que Les jeux de coopération étaient condamnés à se ressembler tous un peu, et ne parviendraient jamais à créer la même tension, et donc le même intérêt, que les jeux de compétition.

J’avais tort, et les jeux coopératifs sont devenus aujourd’hui un genre à part entière, varié et dynamique, dont le développement ne semble pas près de s’arrêter.
Il reste que je continue à préférer les bons vieux jeux de compétition et que, pour des raisons que j’ai développées il y a quelques années dans cet article, je continue à me méfier un peu des jeux de coopération et surtout de ceux qui en font les louanges.

Jeux évolutifs et narratifs

Je m’étais trompé pour les jeux coopératifs, qui se sont avérés être une tendance de fond et non une mode. Du coup, je me trompe peut-être aussi pour la dernière véritable innovation en matière de game design, les jeux « Legacy », ou jeux évolutifs. Ce terme désigne des jeux évolutifs, dans lesquels la configuration d’une partie dépend de ce qui s’est passé dans la partie précédente. Cela donne à une campagne de plusieurs parties un côté narratif très agréable, et permet d’introduire les règles progressivement, partie après partie. Le plus grand succès est le jeu de coopération Pandemic – Legacy, dans lequel chaque partie voit les joueurs lutter contre une épidémie dans un monde qui a été fortement affecté par les épidémies précédentes, qui ont pu souvent rayer une cité de la carte. Dans la version hard, celle de Pandemic ou Seafall, le matériel de jeu est physiquement modifié après chaque partie, et une boite ne peut donc servir que pour une seule campagne. Dans la version soft, celle des petits jeux de Friedemann Friese, tout est dans l’ordre des cartes, et on peut toujours revenir en arrière.

Les jeux évolutifs sont le truc qui fait gamberger tous les auteurs en ce moment, mais je ne pense pas qu’il en sorte tant que cela car ils demandent énormément de boulot. En outre, je ne suis pas certain que la mode soit durable. Ces jeux vous condamnent en effet à jouer plus ou moins toujours avec les mêmes partenaires, ce qui est un peu triste. C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’y suis jamais allé très loin, même si j’aime bien Fabled Fruit (que, par respect pour la grammaire latine, je refuse d’appeler par le nom de l’édition française).

Énigmes et récits

Après les escape rooms, version casanière et en intérieur des jeux de piste scouts, voici Unlock ou Exit, leur déclinaison en boite de jeu, mélange de livre dont vous êtes le héros et de casse-tête logique. C’est un peu comme un problème de maths, mais en moins intéressant et moins amusant. J’espère et je pense que ce n’est qu’une mode et que l’on n’en parlera bientôt plus.

En revanche, quand le récit prend le dessus sur l’énigme, comme dans Time Stories, le jeu prend une vraie dimension littéraire et cela devient plus intéressant – et cela m’amène au point suivant.

Subjectivité

L’autre tendance, plus ancienne mais qui prend de l’ampleur, est la subjectivité. La tradition veut que les jeux carburent à l’objectivité, des pions blancs ou noirs, des dés qui font 1, 2, 3, 4, 5 ou 6, des cartes aux effets précis. Dans les jeux classiques, seul le bluff permettait parfois un appel à la psychologie des joueurs, mais plus sur le mode de la devinette que sur celui du jugement.

La subjectivité, voire le délire, sont aujourd’hui partout – dans les jeux narratifs inspirés du jeu de rôle comme Time Stories, dans les jeux de traitres et de loups garous, dans les jeux de communication façon Codenames, Mysterium ou Agent Trouble, dans les dérivés du dictionnaire comme Cards against Humanity. C’est une tendance rafraichissante et sans doute durable, ne serait-ce que parce que les jeux en ligne ont encore du mal à intégrer tout ça.

Vikings

Le thème à la mode, c’est les vikings, que le réchauffement climatique rend peut-être plus exotiques que les pirates, qui avaient le dessus jusqu’ici. Pirates et vikings ont en commun la mer, l’aventure, la bagarre, l’alcool, mais ce sont surtout les deux seuls univers exotiques mettant en scène essentiellement des mâles blancs barbus quadragénaires, qui restent, malgré ce que j’ai dit sur l’Asie au début de cet article, le public principal du jeu de société. Les vikings ont donc des chances de rester un petit moment.

Les zombies, quant à eux, sont clairement en perte de vitesse, mais personne ne sait vraiment ce qui va les remplacer.

Et les jeux hybrides ?

Je sais, on va encore me dire que le jeu hybride est la grande tendance du moment et va exploser dans les années qui viennent. Cela fait une quinzaine d’années que l’on dit ça, et jusqu’ici cela n’a pas vraiment marché. Les jeux révolutionnaires que tout le monde attendait, comme World of Yo-Ho ou X-Com, attendent sur les étagères que les joueurs se décident à les sortir. Mon Fearz!, moins ambitieux, n’a pas eu non plus un grand succès. Ne restent que les petites applications gadget nécessaires pour jouer à Unlock ou First Martians.

L’argument régulièrement avancé par les thuriféraires du jeu hybride est que toutes les études montrent que, contrairement aux idées reçues, les gros joueurs de jeu video et de jeu de société sont souvent les mêmes personnes. J’aime le steak tartare et la glace à la vanille, je n’en suis pas pour autant un bon client pour un mélange des deux.

J’ai sans doute raté quelques trucs. D’autres se préparent peut-être sans que je les ai sentis venir. Mais voici à priori les principales évolutions dont je vais tenter de voir si elles se confirment.


I’m about to leave for GenCon, the big US summer boardgaming convention. It’s probably the right time to think, more or less strategically, about the recent changes and the new trends in boardgaming, and to wonder what is passing fad and what is lasting trend, what should rejoice us and what should worry us.

A growing business.

Boardgaming was a small world, it’s now a big market, and more and more a world market. The growing sales make for various and sometimes contradictory trends in the game publishing business.
On the one side, for the big player, Asmodée, and for a few more modest and recent ones like CMON, publishing boardgames is more and more a business and less and less a passion. Asmodee didn’t buy anyone for a few months, which might mean that its main shareholder, the Eurazeo holding, is preparing for the next phase, selling it. I’m not in the know, and I’m not sure, but this will happen some day (sorry, untranslatable French pun here).

On the other hand, growth and concentration free some space for a bunch of new participants, publishers or distributors, either occupying niche markets abandoned by the big players or just picking up crumbs. There are lots of people, mostly nice people, sometimes with extremely vague business models. There’s room for many, but probably not for all of them..
The great boardgames comeback is regularly discussed in mass medias. Is it a passing fad or a lasting trend ? For ten years now, I have told everyone that it could not last and that the come down, or may be the violent crash, was imminent. I probablyI should stop making predictions.

Kickstarter

Many of the new market participants arrived through crowdfunding, which means now mostly Kickstarter. I don’t know the exact share of kickstarter in overall boardgames sales, but I know it’s about 50% of my purchases, and I’ve just read that boardgames amounted to 25% of all the kickstarter pledges turnover. It’s a lot.
Kickstarter is used in very different ways by different publishers, and some are more pleasant than others.
Crowdfunding was first a tool used mostly for self publishing, which it makes if not easier, at least far less risky. Enthusiastic designers are still using it this way, both for small and big games, and it’s a good thing.
Kickstarter is also a way for established publishers to bypass distributors and increase their margins. It’s a shame for shops, which I think are still necessary to the global boardgames business ecosystem, and I’m always a bit sad when I see on Kickstarter games which would have been published anyway.

On the other hand, there are a few really big games with gorgeous components, such as Zombicide, Scythe or Conan, whose first print runs could not have been sold at a profit through the usual distribution network, and I’m glad they’re here.
It’s a complex issue. Crowdfunding will stay, and the many ways it can used will certainly affect board gaming publishing even more in the coming years. For the gamers, its main drawback is in the time and energy spent by publishers in communication, in showing the nicest pictures, the coolest videos, the cutest miniatures and in imagining pointless stretch goals. All this time and energy could have been spent on the games themselves, whose rules are not always as finalised as they should have been. I’m sad when I see a mediocre game like Exploding Kittens raising millions of dollars – and, yes, I backed it. I’m sad as well when I sen an ambitious game like Conan with gorgeous components and half baked rules – and, yes, I backed it as well.

Asia

For boardgames publishers, Japan and Korea have long been fringe markets, while China was the mysterious place where games designed and sold in the west were produced and boxed. The first small Japanese card games were exotic curiosities with convoluted translations, bought mostly by collectors.

It’s changing, and changing very fast. More and more new games have Japanese, Korean or Chinese designers and/or publishers. Some of them, especially small Japanese card games, might look graphically a bit different from western ones, but the designers references and influences are the same as ours. Modern board gaming culture was first german and American, then western as a whole, it’s now becoming East-Asian as well. What will be the next step ? The Arab world ? Latin America ?

Cooperative games

When the first modern cooperative boardgames were published, in the mid 2000s, I took some interest in it and even designed two, Terra and Red November. Nevertheless, I thought it was a fad which would not last more than a few years. I thought cooperative games would soon feel more or less similar, and would never generate the same tension, and therefore the same interest, as competitive games.

I was wrong. Cooperative games are now an established genre, dynamic and varied, and still growing. Anyway, I still usually prefer competitive games and, for reasons I developed a few years ago in a long article, I’m still a bit wary of cooperative games and, even more, of those who praise them too loud.

Evolutive and narrative games

I was wrong about cooperative games, which ended being a lasting trend, and even a whole new game genre. I might be also wrong about a more recent game design innovation, legacy games, which we should probably called evolutive games since they are not all published under the Legacy brand. The set up of every new game session depends on what happened during the former ones. This can give a strong narrative feel to a campaign of several game sessions, and allows to introduce new rules one after another. In Pandemic Legacy, the biggest hit, every session has the players fighting against a new epidemic in a world which has been affected by the former ones, sometimes to the point of destroying whole cities. In Legacy games such as Pandemic or Seafall, the game components are physically modified, written on, sometimes destroyed, and the box can usually be used only once. A softer and less narrative version of evolutive games is coming, for example with Friedemann Friese new card games, in which everything is determined by the card order in the deck, and it’s always possible to start anew.

Many game designers are now thinking hard about evolutive games, but there won’t probably be that many coming out, mostly because they need really a lot of work. Also, I’m not sure they will stay in fashion very long. My main issue with these games is that you have to play several sessions with the same group of players, which is a bit sad. That’s why I never went very far in these games, even when I quite like Friedemann Friese’s Fabled Fruit.

Stories and enigmas

Escape rooms are an indoor and lazy version of scout’s treasure hunt games. Escape games such as Unlock and Exit are even more indoor, since you don’t have to leave your home, and in the end are just a mix between chose your own adventure books and logical brain teasers. A bit like a math problem, but less exciting. I hope and think it’s just a fad that will soon be forgotten.

On the other hand, when the story takes precedence over the logical stuff, like it does in Time Stories, it becomes more exciting – and this brings me to the next and more positive trend.

Subjectivity

This trend is older, but it’s clearly accelerating. Traditionally, games are based on objective systems, pawns are white or black, dice roll 1, 2, 3, 4, 5 or 6, cards have specific effects. In most older games, the only subjective element was bluff, which is only about outguessing, not about judgement or opinion.

Subjectivity, sometimes even wackiness, is now everywhere, in narrative RPG-like boardgames such as Time Stories, in secret identity games full of traitors and werewolves, in communication games such as Codenames, Mysterium or Spyfall, in dictionary variants such as Cards Against Humanity. It’s a refreshing trend and probably a lasting one, mostly because computer games still have troubles dealing with subjectivity.

Vikings are the new pirates

Vikings are clearly the trendy game setting, may be because global warming makes them more exotic than good old pirates, which were the most popular so far. Pirates and Vikings have lots in common – sea, adventure, brawls, alcohol – but, most of all, they are the two only exotic settings featuring mostly forty years old white bearded males, which are still the main demographics in board gaming. They will probably stay for a while.

Zombies are in decline, but no one knows yet what will replace them.

What about hybrid games ?

I’m sure someone will tell me that computer-boardgames hybrids are coming. For about fifteen years now, hybrid games are supposed to be the next craze, but it didn’t happen yet. Disruptive and revolutionary games which everybody was waiting for, such as XCOM or World of Yo-Ho, are still on the shelves, waiting to be played. What’s left is just small gadget apps used to play First Martians or Unlock.

Against popular thinking, most market studies show that boardgames and computer gamers are mostly the same persons. This doesn’t imply that they will enjoy hybrid games. I like raw beef and ice creams, I probably wouldn’t like an hybrid.

I’ve probably missed a few trends. Other things which I’m not aware of might be in the pipe. But at least, these are the impressions I will try to confirm to infirm at Gen Con.