6 Suspects

Les « microgames », des jeux au matériel minimalistes, une vingtaine de cartes, parfois deux ou trois pions, vendus à un prix lui aussi très modeste, sont depuis assez longtemps à la mode au Japon, où le plus connu est sans doute Love Letter, de Seiji Kanai. S’ils existent depuis longtemps aussi en Europe en aux Etats-Unis, avec par exemple dans les années 1990 de petites perles comme Pico ou Flinke-Pinke, ils n’avaient pas jusqu’ici rencontré le même succès. Ils semblent depuis deux ou trois ans devenir à la mode, peut-être en réaction contre les kickstarters surproduits, surchargés de plastique et de règles. Le format initié par Button Shy, 18 cartes dans une pochette de carte bleue, s’avère particulièrement efficace. 18 cartes, c’est un tiers de 54, ce qui permet d’imprimer trois exemplaires du jeu sur une planche de jeu de cartes classique. Une pochette de carte bleue, c’est assez classe, on dirait vaguement du cuir. Cela donne des jeux à l’a présentation élégante qui peuvent pourtant être vendus pour un prix très modeste, moins de 10$ ou €.

Du coup, j’ai acheté toute la série des jeux Button Shy, avant de me rendre compte qu’un tiers d’entre eux étaient des jeux solo, auxquels je ne jouerai jamais parce que, seul, je préfère toujours prendre un livre. Heureusement, d’autres, notamment parmi les jeux à deux joueurs, sont excellents. J’ai notamment apprécié Avignon, Les Bons Contes ou Hiérarchie, mais il en reste de très nombreux auxquels je n’ai pas encore joué. D’autres éditeurs se lancent aussi dans ce format, à commencer par mes amis de Matagot, qui distribuent déjà en France les jeux de Button Shy. Ils ont débuté l’an dernier avec Western Legends Showdown, un jeu à deux dont Bruno Cathala dit beaucoup de bien, il va falloir que j’y joue. Ils publient aujourd’hui 6 Suspects.

je me suis donc lancé le défi de réaliser moi aussi quelques petits jeux dans ce format 18 cartes Sur les quatre que j’ai imaginé jusqu’ici, deux ont trouvé un éditeur mais ont vu leur nombre de cartes augmenter un peu pour être jouable à 3 ou 4 et non seulement à 2 comme mes premières versions. Ce sont Migo et Cocktails de fruits, tous les deux publiés par Ghost Dog. Un tel bricolage n’était pas nécessaire pour 6 Suspects, l’un des rares jeux de 18 cartes pouvant être joué sans changement de règle de 2 à 8 joueurs.

6 Suspects est un jeu d’observation, de déduction logique et de mémoire. Les cartes représentant les six suspects éponymes, Albert, Brigitte, Charles, Denise, Eric et Francine (l’action doit se passer en France dans les années 60 ou 70), sont alignées sur la table. Sous chacune d’entre elles sont placées deux cartes indice, faces cachées. Le suspect dont les deux cartes indice ont la valeur totale la plus élevée est le coupable, mais une bonne partie des cartes ont des effets spéciaux, se recopiant, s’annulant ou déplaçant d’autres cartes. Chacun à son tour regarde l’une des douze cartes indice, puis la remet en place. Lorsqu’un joueur pense connaître le coupable, les autres regardent encore une carte et, simultanément, tous les joueurs désignent l’un des suspects. On révèle alors tous les indices et, après quelques calculs, on voit qui avait raison.

Eric est coupable.

Si les règles sont simplissimes, le processus de déduction est parfois un peu tarabiscoté, et c’est là que réside l’intérêt d’un jeu qui encourage à la prise de risque. Pour devancer ses adversaires, il faut souvent déclencher la fin de partie avant d’être sûr de son fait, et du coup, il peut arriver que l’on se trompe.

Les illustrations décalées de Gjermund Bohne situent l’action dans le même univers qu’un gros jeu paru il y a deux ou trois ans chez Matagot, Bad Company, auquel il va aussi falloir que je joue un de ces jours.

6 Suspects
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Gjermund Bohne
2 à 8 joueurs – 10 minutes
Publié par Matagot
Boardgamegeek



Microgames, games with a minimalistic content, usually more or less twenty cards and sometimes two or three tokens, are relatively common in Japan, the best known being Seiji Kanai’s Love Letter. There has also been such cheap light games in Europe and in the US for a while, for example forgotten gems like Pico or Flinke Pinke in the nineties, but they didn’t have the same success so far. These last years, though, they are becoming more popular, may be as a reaction against overproduced kickstarters, overcharged with rules and plastic. The format introduced by Button Shy games, 18 cards in a credit card sleeve, seems to be especially efficient and successful. 18 cards is one third of 54, which means it’s possible to print three copies of a game on a standard 54 cards plate. Credit card sleeves also look vaguely like leather. This makes for elegant looking and cheap to produce games, usually sold for less than 10 $ or €.

As a result, I bought the whole Button Shy line, before noticing than a third of them are solo games which I will probably never play – when I’m alone, I find a book more challenging and entertaining than a game. Luckily, there are a few gems among the other ones, mostly two player games such as Wonder Tales, Avignon or Hierarchy, and there are still many I have not tried yet. Other publishers are starting to follow and publish games in this format, among them my friends at Matagot, who are already distributing Button Shy in France. They started with a two player game, Western Legends Showdown, which Bruno Cathala highly recommended to me but which I’ve not found an opportunity to play yet. They are now publishing my 6 Suspects.

Two years ago, I decided to give at designing games in this very specific format. I’ve designed four so far, but two have seen the number of cards increase so that they can accommodate more than two players. These are Migo and Fruit Cocktails, both published by a young French company, Ghost Dog. This was not necessary for 6 Suspects, which can be played from 2 to 8 players with the same 18 cards.

6 Suspects is an observation, deduction and memory whodunnit game. The six eponymous suspect cards, Albert, Brigitte, Charles, Denise and Francine (looks like it happened in France in the sixties) are placed in a row on the table. Under each suspect cards are dealt two face down clue cards. The suspect whose two clue cards have the highest total value is the culprit, but half of the cards have special effects, such as copying, cancelling or swapping other cards. Each player on turn secretly looks at a card and places it back face down. Once a player thinks they know the culprit, all other players can look at one more card and, simultaneously, every player designates the character they think did it. All clue cards are then revealed to determine the culprit.

This one is really tricky, but Brigitte and Denise did it together.

While the rules are extremely simple, the deduction process can be a bit convoluted due to the many special effect cards. This brings into the game some logical thinking, but also some risk taking. Even when you are not sure who did it, ending the game can be a good move if you think you have better odds than your rivals at finding the criminal. Of course, it doesn’t always work….

The six suspects were drawn by Gjermund Bohne, in the same style and universe as those of another Matagot game, Bad Company, which I also have to play one of these days.

6 Suspects
A game by Bruno Faidutti
Art by Gjermund Bohne
2 to 8 players – 10 minutes
Published by Matagot
Boardgamegeek

Migo

Le marché du jeu de société est un peu compliqué en ce moment. La demande continue certes à augmenter, mais l’offre a progressé plus vite encore. Les boutiques spécialisées sont de plus en plus, en particulier pour les grosses boîtes de jeu destiné à un public averti, concurrencées par les Kickstarter et autres Gamefound. Quelques grands groupes ont certes repris des maisons d’édition de taille moyenne pour en faire des « studios de création », mais des amateurs ont simultanément monté de nombreuses petites boites dont on ne sait parfois plus très bien à quel écosystème elles appartiennent. Face à une pléthore de nouveautés, les joueurs et même les boutiques qui ne peuvent tout caser sur leurs rayons doivent faire des choix.
Devenus prudents, de plus en plus d’éditeurs hésitent à produire des jeux ambitieux qui risquent de ne pas trouver leur place sur un marché encombré. Lassés des lourds kickstarters aux figurines encombrantes et aux règles boursouflées, des joueurs reviennent vers des jeux moins prétentieux mais souvent plus efficaces, et dont le prix tout comme l’empreinte écologique sont plus modestes

Ce sont quelques raisons, il y en a d’autres, au grand retour des « microgames », des jeux aux règles simples, au matériel modeste, vendus dans de toutes petites boites. Le format « 18 cartes », facile à produire puisque l’on peut caser trois jeux sur une planche standard de 54 cartes, et que l’on peut vendre à bas prix présenté dans une pochette de cartes bancaires, semble particulièrement apprécié. Au début de l’année 2023, je me suis donc lancé le défi de réaliser quelques jeux dans ce format. Il en a résulté quatre projets, dont trois ont trouvé un éditeur. 6 Suspects, un jeu de déduction, sortira fin 2024 chez Matagot. J’ai signé chez Ghost Dog, jeune éditeur français, pour deux petits jeux de cartes ; Migo est le premier à paraître, le second, pour le titre duquel nous hésitions entre Fruit of the Doom, Fruit Salad et Fruit Cocktail est prévu pour la fin de l’année.

Soirée de test dans mon quartier, au bar à jeux Le Duchesse.

Deux éditeurs étaient intéressés par mon jeu de Yetis. J’ai préféré celui qui acceptait de conserver le thème d’origine, les abominables hommes des neiges attaquant des cordées d’alpinistes, à celui qui voulait les remplacer par des dragons. J’aime bien les dragons, mais j’ai déjà fait trop de jeux avec des reptiles et des pièces d’or, je n’en avais aucun avec des yetis et des bonnets de laine. Le format choisi autorisant une trentaine de cartes et quelques jetons, j’ai pu développer un peu le projet. Le prototype initial ne se jouait en effet qu’à deux joueurs, le jeu finalement publié fonctionne désormais aussi bien à trois, et presque aussi bien à quatre. Comme il y avait déjà pas mal de jeux s’appelant Yeti, le mien a été rebaptisé Migo, qui signifie Yeti en tibétain et est également le nom d’un personnage de jeune yeti dans le dessin animé Yeti et compagnie.

Les joueurs incarnent donc des abominables migos qui, pour embellir leurs grottes, collectionnent le matériel d’alpinisme – piolets, crampons, cordes et, surtout, bonnets de laine particulièrement décoratifs. Les yetis les plus respectés accrochent aussi à l’entrée de leurs grotte les drapeaux que les expéditions espéraient planter sur les sommets. Les bouteilles d’alcool, qui aident à supporter le froid hivernal, sont aussi une gâterie très appréciée.

Parfaitement insérés dans l’économie tibétaine, les migos entretiennent des relations amicales avec les communautés locales. Ils font même à l’occasion un peu de troc avec les sherpas, ceux-là même qui les avaient informés à l’avance du lieu et de l’heure d’arrivée des expéditions.

Première partie sur le jeu édité, aux rencontres ludopathiques d’Etourvy.

Comme il convient à ce genre de petit jeu de cartes, les règles sont très simples mais laissent pas mal de place à la tactique. Migo est un jeu de prise de cartes, ce que les américains appellent un jeu de draft, terme qui est généralement employé dans un sens plus restrictif par les joueurs francophones. Chaque yeti à son tour attaque (et sans doute dévore, mais il ne faut pas le dire si on joue avec des enfants) l’un des alpinistes en tête de cordée, et s’empare de son matériel. Cela rend les grimpeurs suivants, et leurs équipements, disponibles pour les joueurs suivants. Comme souvent, la contrainte initiale, ici le petit nombre de cartes, s’est avérée source d’inspiration pour les mécanismes du jeu. N’ayant qu’une vingtaine de cartes à ma disposition, j’ai en effet cherché à en utiliser à la fois le recto et le verso. Cela introduit beaucoup de variation dans les configurations initiales, certains équipements pouvant être plus rares que d’autres, et est à l’origine du mécanisme des sherpas, qui permettent de retourner une carte, souvent pour s’emparer d’une majorité.

J’ai eu récemment la chance d’avoir un jeu, le mignon Whale to Look, conçu avec Jun Sasaki, publié dans la très belle collection de petites boites au graphisme minimaliste de l’éditeur japonais Oink. Avec leur format très proche, les « feux follets » de Ghost Dog s’en inspirent clairement, et je leur souhaite le même succès – d’autant plus que j’ai un autre jeu à paraître cet automne dans la même série, dont on n’a pas encore décidé s’il s’appellerait Fruit of the Doom, Fruit Salad ou Fruit Cocktail.

Une partie de Fruit of the Doom – Fruit Sala – Fruit Cocktail avec Antoine, l’éditeur, à gauche.

Migo
Un jeu de Bruno Faidutti
Art by Maxime Morin
2 à 4 joueurs – 20 minutes
Publié par Ghost Dog Games
Boardgamegeek



Navigating the boardgame market has recently become a bit complex. Demand for new games is still growing, but supply, meaning the number of new games, is increasing even faster. Local game stores are facing a growing competition from Kickstarter and now Gamefound, especially for big, expensive (and therefore profitable) boxes. A few big publishers have taken over smaller one, often changing them into « creative studios », but even more newcomers have started new companies, about which we often know very little. Faced with a plethora of new games, gamers and even shops with limited shelf place must make choices.

Many publishers are becoming wary of producing ambitious games which might not find a place on an overcrowded market. Tired of heavy kickstarters with cumbersome miniatures and bloated rulesets, some players are back to less ambitious but often more efficient games, which also come at a much lower price and ecological footprint.

These are some of the reasons – there are a few other ones – for the comeback of « microgames », boardgames with simple rules and few components in a very small box. The trendy format is 18 cards which can be sold a very low price – one can fit three copies of the game on a standard poker game sheet, and it fits in a credit card wallet. In the first months of 2023, I decided to give it a trying challenged myself to design a few such games.
I ended up with four prototypes, three of which have now found a publisher.
6 Suspects, a light deduction and memory game, will be published by Matagot in late 2024. I signed with Ghost Dog, a new small French publisher, for two games, and Migo is the first one to hit the shelves.The second one is due later this year, and we still hesitate on its title, Fruit of the Doom, Fruit Salad or Fruit Cocktail.

Soirée de test dans mon quartier, au bar à jeux Le Duchesse.

Two publishers sere interested my Yeti game. I chose the one who was ready to keep my yeti setting over the one who wanted to replace the snowmen with dragons. I love dragons, but I’ve already had too many published games featuring dragons and gold coins, I had none so far with yetis and woolen caps. The publisher’s format allowing for a few tokens and up to 25 cards, I developed the gameplay a bit. My initial prototype was only a two-player game, the final version is just as good with three, and almost as good with four. Since there are already a few games named Yeti, mine has been renamed Migo, which means Yeti in Tibetan and was the name of a young snowman in the Yeti & Co cartoon.

Players are yetis who decorate their caves with climbers equipment – ropes, crampons, pick axes, carabiniers and, most of all, cute colored woolen caps. They also hang flags at their front doors, which climbers intended to plant at the mountains summits. Vodka bottles are also a much appreciated treat, helping to deal with the cold climate of the Himalayas.

Migos are well integrated in the Tibetan economy, and have friendly relations with local communities. They even sometimes trade stolen equipment with the sherpas, the very same sherpas who had informed them on the coming expeditions in the first place.

First game with the printed game at the Etourvy Ludopathic Gathering.

The rules for Migo are very simple, but leave place for some tactical moves. Migo is a card drafting game. Each yeti on turn attacks (and probably devours, but you should not reveal it when playing with kids) one of the climbers in front of the arriving expeditions, stealing their equipment. This makes the climber just behind it available for the next players, and so on.
As often happens, the initial constraint, in this case the small number of cards, ended up generating mechanical ideas. With a only about twenty cards available, I decided to use both sides. This makes for a great variety in the initial setups, some equipments being often much rarer than other ones. It also inspired the sherpa mechanism, flipping a card to the other side usually to steal a majority, which is probably my favorite feature in this game.

I recently had a game, Whale to Look, designed with Jun Sasaki, published in the cute small box series of the Japanese publisher Oink games. The Ghost Dog small box games are clearly inspired by the Oink line, and I hope they will achieve the same level of success – especially since I have another game coming next fall in the same series. We have not decided yet if it will be called Fruit of the Doom, Fruit Salad or Fruit Cocktail.

Playtesting Fruit Cocktail – Fruit Salad – Fruit of the Doom

Migo
A game by Bruno Faidutti
Illustré par Maxime Morin
2 to 4 players – 20 minutes
Published by Ghost Dog Games
Boardgamegeek