L’un des thèmes fréquemment débattus ces derniers temps quand des auteurs, des éditeurs et parfois des illustrateurs de jeux se rencontrent est celui du rôle exact de l’illustrateur, et de la manière dont il doit être reconnu (et rémunéré). Il y a là des enjeux de principe, des enjeux d’amour propre et des enjeux financiers
Il est aujourd’hui admis – même si cela n’a pas toujours été facile à imposer à certains éditeurs – que l’auteur d’un jeu doit, tout comme celui d’un livre et pour les mêmes raisons, avoir son nom en gros caractères sur la boite. Les auteurs y trouvent leur compte en termes d’amour propre, les éditeurs n’ont rien à y perdre, puisque cela ne leur coûte rien et fait généralement vendre quelques boites supplémentaires. La question qui se pose ensuite est de savoir s’il doit en être de même pour le nom de l’illustrateur, comme cela commence à être le cas, et si ce dernier doit alors être également considéré comme un « co-auteur » du jeu. Bref, un jeu est-il comme une bande dessinée, dont le scénariste et l’illustrateur se partagent les droits d’auteur et la responsabilité.
Régis Bonnessée et Naiade, les deux auteurs de Seasons ?
Je ne pense pas que ce soit le cas, à l’exception sans doute de quelques très rares jeux comme Dixit, pour lesquels les illustrations sont inséparables de la mécanique ludique. Certains de mes jeux ont connu plusieurs éditions illustrées par des artistes différents, et il ne viendrait je pense à l’idée de personne de dire que Diamant et Incan Gold, son édition américaine, ou que les deux éditions de l’Or des Dragons, sont des jeux différents, même si la plupart des joueurs, et moi-même, peuvent préférer les illustrations de l’une ou l’autre version.
À l’inverse, quand Fantasy Flight réutilise dans plusieurs jeux les mêmes illustrations de dragons en plein vol et de chevaliers lourdement armés, il ne vient à l’idée de personne de prétendre qu’il s’agit toujours du même jeu. De ce point de vue, les jeux de société ne sont donc absolument pas comparables avec les bandes dessinées, que l’on imagine très mal être rééditées avec de nouveaux dessins ou de nouveaux textes.
AEG n’a probablement pas payé bien cher pour les illustrations de Maximum Throwdown, toutes reprises de Smash-Up.
Pourtant, parce que les styles et les thèmes sont proches, et parce que, pour des raisons que j’ignore, les dessinateurs sont très souvent aussi joueurs, ce sont souvent des artistes venus de la BD qui illustrent les jeux de société, qui le font dans leur style habituel. Ils n’ont pas vraiment l’impression de faire un travail différent.
Je suis sûr que j’ai déjà vu ce dragon quelque part….
Et de toute façon, il n’y a pas la place sur la boite pour les 22 illustrateurs.
Le premier enjeu important est celui de la reconnaissance du travail de l’illustrateur par la mise en avant de son nom. Il faut bien sûr distinguer entre les jeux. J’adore les dessins de Giulia Ghigini, mais j’aurais été un peu choqué si son nom avait été trop mis en avant sur la boite de Speed Dating, où sa participation se limite à la boite et aux dos des cartes – aussi réussis soient-ils.
En revanche, je n’aurais pas du tout été choqué que le nom de Jérémy Masson, qui a illustré Mascarade, soit un peu plus visible sur la boite de jeu, tout comme celui de Naiade sur celle d’Isla Dorada. Pour autant, faire comme dans la bande dessinée en mettant sur le même plan, dans les mêmes caractères, le nom de l’auteur et de l’illustrateur du jeu, comme par exemple sur la boite de Tokaido ou sur celle d’Augustus – même avec un petit symbole permettant, comme dans certaines bandes dessinées, de distinguer les rôles – me semble bizarre, suggérant une œuvre réalisée en commun, ce qui n’est pas le cas.
Des icônes distinguent l’auteur du jeu du dessinateur, mais je n’aime guère l’icône de l’auteur, qui semble dire qu’un jeu n’est que mécanismes.
Le scénariste et le dessinateur d’une bande dessinée travaillent ensemble, produisent une œuvre commune dont ils sont vraiment tous les deux, inséparablement, les auteurs. Les choses ne se passent pas ainsi dans le jeu. Même dans un jeu très richement illustré comme Citadelles, comme Dominion ou comme tous les jeux de cartes à collectionner, qui peut faire penser à une bande dessinée, l’illustrateur travaille après coup, et est en relation avant tout avec l’éditeur, le concepteur du jeu n’étant qu’informé, et encore pas toujours. C’est bien un illustrateur et non un co-auteur. Son rôle est plus ou moins important – plus dans Citadelles que dans Uno – mais il est surtout totalement indépendant de celui de l’auteur – là encore, des jeux comme Dixit ou Kaleidos sont un peu les exceptions qui confirment la règle.
Le nom de Marie Cardouat aurait, lui, mérité de figurer sur la boite de Dixit !
Pas de nom sur la boite de Kaleidos, et les rôles de l’auteur et des illustrateurs, sans lesquels ce jeu n’existerait pas, sont détaillés au dos.
Mettre le nom de l’illustrateur en plus petit, comme sur la boite de Twin Tin Bots, me convient bien sûr un peu mieux, mais n’est pas très élégant. Et puis, comment faire dans les situations bizarres comme celle d’un jeu, qui devrait être publié l’an prochain, que j’ai conçu avec Anja Wrede et qu’elle a illustré – un jeu d’Anja Wrede et Bruno faidutti illustré par Anja Wrede, ça fait un peu idiot.
Zooloretto, un jeu de Michael Schacht illustré par Michael Schacht, ça simplifie la question.
Et ce jeu d’Anja Wrede est illustré par Anja Wrede, mais l’éditeur a quand même oublié de la citer sur la boite !
Le plus souvent, malheureusement, le nom de l’illustrateur n’est indiqué qu’en tout petit au dos de la boite, voire à la fin du livret de règles, après les testeurs et relecteurs. Je sais que beaucoup d’artistes ne s’en formalisent guère, mais je pense qu’ils ont tort. Pour autant, associer leur nom et celui du concepteur du jeu comme s’il s’agissait d’un travail de collaboration est excessif. La solution la plus simple me semble donc être une belle et grosse signature du dessinateur, bien lisible, dans un coin du dessin de couverture. Son nom est ainsi mis en avant clairement, sans pour autant être assimilé à celui de l’auteur du jeu, qui lui reste typographié. Bien sûr, cela suppose que l’éditeur ne s’amuse pas à effacer la signature d’un coup de photoshop – c’est arrivé.
Quelqu’un à Asmodée a soigneusement effacé la signature de Pierô dans le coin du dessin, et c’est bien dommage car c’est sans doute celle de ses couvertures que je préfère. C’était aussi un excellent jeu, qui mériterait d’être réédité maintenant qu’Antoine est plus connu.
Mais vous pouvez la trouver dans les arbres ou dans les coins sur Lost Temple, Rampage, River Dragons…
Certains pourront s’étonner que, alors que je peste régulièrement contre le chauvinisme du petit monde du jeu de société français, j’ai surtout utilisé pour illustrer cet article des jeux français. La raison en est que, peut-être parce qu’il y a en France une culture de la bande dessinée assez développée, les éditeurs français semblent être les premiers à faire des efforts pour mettre en avant les illustrateurs de jeu. J’espère qu’ils seront suivis.
Ceci dit, il me semble aussi que respecter le travail des illustrateurs, cela pourrait aussi signifier pour les éditeurs arrêter de bricoler sous photoshop ces images de boites en fausse 3D plongeante, et présenter les boites de jeu comme elles ont été dessinées, et comme elles sont faites pour être vues, à plat.
L’autre question importante est celle du mode de rémunération des dessinateurs. Les auteurs perçoivent aujourd’hui presque toujours des droits d’auteur en pourcentage des ventes. Les illustrateurs et graphistes, en revanche, sont le plus souvent payés au forfait, recevant une somme fixe pour leurs dessins. En règle générale, cette solution qui distingue bien le rôle de l’auteur du jeu et celui de l’illustrateur me semble la meilleure. Je sais bien que les illustrations contribuent au succès du jeu, et que Citadelles ou Mascarade n’auraient sans doute jamais connu le même succès sans les splendides dessins de de Julien Delval, Florence Magnin, Jean-Louis Mourier, Didier Graffet et Jasper Eising pour le premier, de Jeremy Masson pour le deuxième, mais j’ai la faiblesse de penser que le jeu lui-même reste l’essentiel. Ainsi, pour le jeu de cartes que j’ai imaginé avec Anja Wrede, et qu’elle va illustrer, Anja touche une somme fixe pour les illustrations – et je ne lui ai pas demandé combien – et nous partagerons à égalité les droits d’auteur. Là encore, une exception semble logique dans les cas, très peu nombreux, où les dessins sont le premier argument de vente du jeu. De tous mes jeux, le seul pour lequel le dessinateur a été payé en partie en droits d’auteur est la réédition par Jeux Descartes de La Vallée des Mammouths, et cela n’est pas illogique.
J’espère que mes nombreux amis illustrateurs ne verront pas dans ce billet un signe de mépris à leur égard, où une volonté de les léser. J’ai d’autant plus d’estime pour leur travail que je suis absolument incapable de dessiner, et je leur suis reconnaissant d’apporter à mes jeux une touche graphique qui me dépasse. Je suis en outre convaincu que, dans l’immense majorité des cas, ils ne perdent pas, bien au contraire, à être payés au forfait.
When game designers, game publishers and game illustrators meet, they often discuss their respective contributions in a published game – and not only because each one wants to stress his importance. One of the issues is the exact role of the illustrator, the way this role must be acknowledged on the game box, and of course the way it must be paid. It’s about self-esteem and recognition, and it’s also about money.
Some of them resisted for a while, but it is now generally acknowledged by all publishers that the designer’s name must be in big characters on the game box cover, for the same reason it is on a book cover. It’s good for the designer’s self-esteem, and it’s not bad for the publisher because it costs nothing and always helps sell a few more copies. The next question is whether the same rule must apply to the illustrator, which happens more and more often, or in other terms if the illustrator must be considered a co-designer of the game. The underlying real issue is whether a game is really like a comic, for which both scenarist and illustrator usually share responsibility, authorship and royalties.
Antoine Bauza and Naiade, authors of Tokaido ?
I don’t think it should be so, except with a very few games, like Dixit, in which the graphics and the game systems are intrinsically mixed. Some of my games have had several editions, and I don’t think any gamer will pretend that Diamant and Incan Gold, or that the two versions of Dragon’s Gold, are different games. One can prefer the graphic in one edition or the other, but the game’s theme and rules are basically the same, and that’s what makes the game.
For the same reason, when Fantasy Flight Games recycles the same pictures of flying dragons and armored knights in three or four games, no one ever suggests that it’s always basically the same game. This means boardgames are not like comics, which cannot be remade with new graphics or new texts.
AEG probably paid little more than $0 for the graphics in Maximum Throwdown, all taken from Smash Up.
The problem is, because the graphic styles and the usual settings are the same, and also because illustrators are often gamers (I’ve no idea why, but I’ve noticed it), games are often illustrated by comic artists. They draw or paint in their usual style, and from their feeling and their point of view, they don’t do a very different job.
I’m sure I’ve met this dragon before – and anyway, the 22 illustrator names cannot fit on the box cover.
The first real issue is how the illustrator’s name should be acknowledged on the game box and in the rules, and it obviously depends on the game. I really like Giulia Ghigini’s work, but I would have been shocked to see her name written as big as Nathalie’s and mine on the game box, since her contribution to the published game was only the box cover and the two card backs – even when the three illustrations are really great.
On the other hand, I would not have been shocked to see Jeremy Masson’s name more prominently displayed on the Mascarade box, or Naiade’s one on Isla Dorada. Nonetheless, writing the illustrator’s name beside the authors’ one with the same font and size, as on Tokaido or Augustus, even with an icon to specify who made what, looks wrong to me because it suggests a collaborative work, which is not the case.
Icons state who designed the game and who made the graphics – but i don’t like the designer icon, which suggests that the game is only mechanisms.
When making a comic, scenarist and illustrator work together and both are authors of the same indivisible work. Games are different. Even for a gorgeously illustrated game, like Citadels, like Dominion or like collectable card games, which look like comics, things don’t happen that way. The illustrator’s work starts when the designer’s one is finished. He deals mostly when the publisher, and quite often isn’t even in contact with the game designer. To put it bluntly, the illustrator is not a codesigner. His role is obviously more important for Citadels than for Uno, but it always comes after the design process, with the obvious exception of games like Dixit or Kaleidos.
I was really surprised when I found out that Marie Cardouat’s name is not on the box cover.
There’s no name on the Kaleidos box, but the roles of designer and the illustrators, without whom such a game would not exist, are detailed on the back.
It’s also possible to write the illustrator’s name in smaller characters, like on the Twin Tin Bots box, but it’s not really fair and elegant. And how to deal with bizarre situations, like a game which ought to be published next – a game I’ve designed together with Anja Wrede and which will also be illustrated by Anja – a game by Anja Wrede and bruno Faidutti illustrated by Anja Wrede, it sounds just stupid !
Like most games by Michael Schacht, Zooloretto is also illustrated by Michael Schacht – it makes things simpler.
Twiga, a game by Claudia Hartmann and Anja Wrede with graphics by Anja Wrede… but not a single name on the box.
Most times, the illustrator’s name is simply writtent in a small font type at the back of the box, or even at the end of the rules, together with playtesters and translatorsI. I know many artists who don’t mind. I think they are wrong and deserve more exposure, but I also think it would be an error to associate their name with designer’s one as if the game were a collaborative work. The best and simplest solution is probably is probably to have a large and clear signature by the illustrator in a corner of the cover picture. This clearly emphasizes his role without confusing him with the author, who is still typographied. Of course, this works only if the publisher doesn’t photoshop the signature away… It happens.
Someone at Asmodée removed Piero’s signature from the cover picture – and it’s a shame because it’s my favorite cover of his. A really good game, by the way, which wpuld be worth reprinting now that Antoine is a star..
But you can find it in Lost Temple, Rampage, River Dragons, and many other ones.
Some might wonder why, when I regularly complain of the chauvinism of the French boardgaming world, most of the examples I have used so far come from French publisher. the reason is that, may be because there is a strong French comics culture, they seem to be the first ones to try to emphasize the role of the illustrator and to put his name forward. I hope German, US and all other ones will follow.
Another way to show their respect for the illustrator’s work could be, for publishers to stop using photoshop to make fake 3D pictures of the game box, and instead post on the gaming websites the game cover as it was drawn, and as it is intended to be seen, as a flat picture.
The other related issue is how the illustrator ought to be paid. Nowadays, the usual rule is that the author gets royalties for every game sold, while the illustrator is paid a flat fee regardless of sales. As an author, I think this rule, which makes a clear distinction between the works of game designer is illustrator, is a good one. Of course, I know that the graphics help the sales, that Citadels would or Mascarade would not sell as they do if it were not for the illustrations by Julien Delval, Florence Magnin, Jean-Louis Mourier, Didier Graffet and Jasper Eising for the former, Jeremy Masson for the latter, but I still think that the game itself matters more. For the card game I’ve designed with Anja Wrede, she will get a flat fee for the graphics – and I won’t ask her how much – and we will share equally the royalties. Once more, there can be a few exceptions when graphics are the main selling point, but this doesn’t happen often – The only game of mine for which the illustrator was partly paid in royalties was the Descartes reprint of Valley of the Mammoths, and it makes sense.
I hope my illustrator friends won’t find me haughty or conspicuous, and won’t think I’m trying to wrong them. Being a very bad cartoonist, I regard their work with esteem and I’m glad they can add to my games a graphic touch way beyond my means. Furthermore, I know for a fact that, in the vast majority of cases, they don’t lose anything with being paid a flat rate.