Le retour des dés disparus
Dice lost and found

titre

Publié en 2000, Bongo est un petit jeu de logique et de rapidité très amusant. Les joueurs y sont des touristes visitant un parc dans la savane africaine. Un jet de dés détermine quel animal – antilope, gnou ou rhinoceros – est visible dans la forêt, et le premier joueur à annoncer le bon animal marque un point. Bongo se vendait assez bien, et aurait sans doute pu être régulièrement réimprimé.

En 2006, Lorenz, l’un des principaux fabricants allemands de pions, de dés et de petits animaux en bois, fit faillite. Un an plus tard, lorsque les stocks de Bongo se trouvèrent épuisés et que vint le moment de le réimprimer, l’éditeur réalisa que les dés spéciaux étaient fabriqués chez Lorenz, et que les formes de gravure, sortes de moules à bois, utilisés à cet effet avaient disparu dans la liquidation de Lorenz. Plutôt que de refaire des formes, ce qui est assez cher, il entreprit d’essayer de les retrouver, partant de l’idée que personne d’autre n’en avait l’usage. Je n’y croyais plus du tout lorsque, la semaine dernière, je reçus un email m’annonçant qu’après six ans d’enquête, les formes de découpe avaient finalement été retrouvées, ce qui devrait permettre une assez rapide réédition de ce jeu devenu introuvable !

Bongo
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Frank Stark

2 à 8 joueurs – 10 minutes
Publié par Heidelberger Spielverlag (2000)
Tric Trac        Boardgamegeek


Bongo

Bongo, published in 2000, is a light and fun game of logic and rapidity – a speed pattern matching game, a bit like Set meets Pit. Players are tourists visiting a wildlife park in Africa. A dice roll determines which animal – antelope, gnu or rhinoceros – can be seen in the forest, and the first player to shout the right answer scores one point. The sales of Bongo were good enough to grant it a regular reprint.

In 2006, Lorenz, one of the main German companies  making wooden pawns, dice and little animals, unexpectedly went out of business. One year later, when Bongo went out of stock at the publisher, we realized that the wooden engraving shapes used to manufacture the game’s special dice had been lost in Lorenz’s liquidation sales. Making new shapes was quite expensive, so my friends at Heidelberger tried to track down the old ones, which could not be of any use for anyone else. After seven years, I had given up hope, but last week I got an email from Heidelberger telling me that the Bongo dice engraving shapes had resurfaced, and that they are now planning a reprint. This is really an unexpected comeback.

Bongo
A game by Bruno Faidutti
Art by Frank Stark

2 to 8 players – 10 minutes
Published by Heidelberger Spielverlag (2000)
Boardgamegeek

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Aliens et sorciers, même combat
Aliens and Wizards, same battle

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Lorsque je réfléchis à l’exploitation dans les jeux de société d’un thème particulier, comme je l’ai fait récemment pour l’univers Steampunk, je commence généralement par une comparaison avec la littérature, peut-être parce que je connais assez mal les mondes, sans doute plus proches, du cinéma, du jeu video et de la bande dessinée. La fonction du thème dans les jeux de société est pourtant assez particulière, parce que les mécanismes y sont plus importants, plus rigoureux, plus incontournables que dans un film ou un roman – il n’y a guère que Pérec qui ait écrit des livres comme Reiner Knizia fait des jeux, en partant des mécanismes et non du thème, et je ne trouve pas le résultat, une sorte de littérature abstraite, très convaincant. Dans un autre style, cependant, j’aime bien Mallarmé…

L’auteur de jeu, même lorsqu’il part d’un thème, doit rapidement se préoccuper de mécanismes, de systèmes de jeu. Les meilleurs jeux sont même souvent ceux dont le thème et la mécanique sont inséparables, car ils ont été d’emblée conçus ensemble. Et là, on se rend vite compte que certaines thématiques reviennent facilement, de manière presque paresseuse.

Deux univers sont particulièrement pratiques pour les auteurs de jeux, et en particulier ceux qui, comme moi, aiment introduire des effets un peu farfelus ou inattendus sans renoncer à la cohérence de l’univers. Ce sont l’Heroic Fantasy et la science fiction.

Il y a une dizaine d’années de cela, il y avait dans presque tous mes jeux des sorciers et des dragons. Bien sûr, le fait que j’ai fait pas mal de GN et lu un peu de littérature fantastique y était pour quelque chose, mais c’était aussi un choix extrêmement pratique, technique. Avec la magie, tout est possible. Tout ce qui est intéressant du point de vue de la mécanique de jeu, des interactions entre joueurs, des choix tactiques ou stratégiques, peut trouver une justification thématique, toujours la même : c’est magique. Si Richard Garfield a choisi pour Magic the Gathering le thème de l’Heroic Fantasy la plus générique, la plus floue, la plus vaste, c’est par ce que c’était le seul univers dans lequel il était possible de donner un vague sens à toutes les cartes, à tous les effets imaginables, pour peu qu’on leur trouve un nom aux sonorités vaguement féériques.

Avec la science fiction, comme avec le fantastique, tout peut assez facilement trouver une justification thématique. La technologie, surtout lorsqu’elle est extra-terrestre, ne s’explique pas et peut donc tout expliquer. Les pions passent d’un bout à l’autre du plateau de jeu, au travers de portes stellaires ou de fractures du continuum spatio-temporel. Les cartes circulent d’un joueur à l’autre grâce aux pouvoirs télékynésiques de civilisations lointaines. Rencontre Cosmique, de très loin le meilleur jeu de science fiction jamais publié, illustre à merveille toutes les possibilités permises par ce thème.

D’autres thèmes qui peuvent sembler beaucoup plus cadrés, plus précis, sont également très utilisés dans le monde du jeu de société. Les jeux pour deux joueurs représentent très fréquemment la guerre, les jeux pour des joueurs plus nombreux préférant l’exploration, la gestion de ressources, la construction d’une cité ou d’un royaume. Mais quand on parle d’un jeu de guerre, de gestion, d’exploration, est-on encore dans le thème ou déjà dans la mécanique ? Une guerre peut être antique, médiévale, contemporaine, fantastique ou spatiale, tout comme le commerce, tout comme la gestion d’un empire ou même d’un village. On peut explorer une forêt, un souterrain, une galaxie. Tout cela peut donc être situé dans un univers historique, ou relativement abstrait, mais là encore, le fantastique et la science-fiction apportent toujours plus de libertés à l’auteur de jeu, surtout s’il a, comme moi, l’esprit quelque peu baroque. Si l’archétype du gros jeu pour joueurs est un jeu d’exploration spatiale, de construction et de gestion de son empire et de sa flotte, puis, comme dans un orgasme final, de bataille intergalactique avec les flottes adverses, ce n’est pas parce que les joueurs sont particulièrement fans de Space opera baroque, un genre littéraire marginal et ennuyeux, même s’il passe mieux au cinéma. C’est parce que seul le Space Opera permet de tout mettre, tout caser, tout faire rentrer dans une boîte de jeu – même s’il faut souvent une très grosse boîte, comme dans Twilight Imperium ou Eclipse.

Pour les gros jeux, les jeux pour joueurs, science-fiction et fantastique sont donc des thèmes particulièrement faciles, surtout pour qui veut concevoir un jeu un peu alambiqué, un peu chaotique, un peu touffu. On pourrait sans doute expliquer de la même manière pourquoi les jeux de gestion de ressources, avec des cubes en bois de toutes les couleurs, ont si souvent un thème médiéval ou Renaissance. Quoi de plus évident que de faire des cubes de couleur du bois, de la pierre, du métal, et tout le nécessaire pour construire des châteaux des palais, qu’il faudra faire plus beaux que ceux du voisin ?. Quant aux jeux plus familiaux, voire enfantins, ce sont le domaine des animaux, et très souvent ces animaux n’ont qu’une activité principale – ils mangent, que ce soit des cartes carottes ou des jolies carottes de bois.


eclipse

When I try to think on the uses of some specific setting in boardgames, as I made in a recent article about Steampunk, I often start with a comparison with literature, may be in part because I don’t know that much about movies, comics and video-games, even when their universes might be more similar with those of boardgames. It would be wrong to assume, however, that the function of the theme/setting and mechanisms/systems are the same in a novel and in a game. Perec is the only author I can think of who wrote books like Knizia designs games, starting from a mechanism idea, and I’m not really convinced by his nearly abstract literature. Well, on the other hand, I quite like Mallarmé…

The game author, even when he starts from a theme, must almost from the beginning think of the game systems, the machanisms that wil go with it. The best games are often those in which setting and mechanism cannot be set apart, because they were devised together. Two settings are very convenient to work simultaneously on story and systems, especially for authors like me who like to add zany and unexpected effects while keeping the game universe consistent. These are Heroic Fantasy and Science Fiction

Ten or twelve years ago, all my games had wizards and dragons. Of course, this was also the time I was playing larps and reading fantasy, but this may not be the main reason. There was also a very technical explanation – magic makes everything possible, and therefore almost everything consistent. Any game system that can be interesting because if brings tactical choices, strategic decisions, bluffing opportunities, can find a thematic justification. In fact, the justification is always the same – it’s magic! Richard Garfield choose generic heroic fantasy as a setting for Magic the Gathering because it was the only way to give a vague thematic sense to all the zany card effects he had in mind, as long as he gave each one of them some meaningless fantasy name.

It is the same with Science Fiction, which can also give some meaning to any game event or effect. Technology, and especially alien technology, cannot be explained and therefore can explain everything. Tokens can jump from one part of the board to another through stellar gates or tears through the space-time continuum. Cards move from one player to the other due to the telekinetic powers of far away civilizations, and so on. Cosmic Encounter, my favorite science fiction game, is a good illustration of the infinite possibilities of alien cultures.

There are also some more precise, more limited, more mundane settings that are often used in boardgames – but the question here is what exactly is still theme or setting and what is already mechanism or system. Two players games are often about war, multiplayer games about resource management, building castles, kingdoms or empires, or exploration. But is war, resource management, exploration a mechanism or a theme ? It is neither one nor the other, and a bit of both. A war can be antique, medieval, modern, fantasy of in deep space, and the same is true of resource trading or management. Explorers can enter a cave, a forest or a galaxy. All these subjects – war, exploration, trade, development – can fit with many settings but, once more, science fiction and fantasy allow for more variety, more opportunities, more freedom for the designer – especially the baroque minded one. The archetypal heavy gamers game is a game of space exploration, development and empire management, with a intergalactic war as final climax. This doesn’t mean that hardcore gamers are all fans of space opera, a rather boring and repetitive literary genre, even when it can make for impressive movies. This is just because it’s the only setting that allows to put everything in the same game box – even when it often needs a very big box, such as with Twilight Imperium or Eclipse.

Heroic Fantasy and Science Fiction are very useful settings for boardgame designers wanting to make something a bit heavy, a bit convoluted, a bit chaotic. It might be possible to explain in a similar way why so many wooden cubes – ressource management – worker placement eurogames are about building medieval or Renaissance castles, palaces or churches : wooden cubes seem destined to represent wood, stone, metal, and therefore to be used in some kind of old style building trade. As for kids games, the obvious theme is animals – and often these animals have just one main activity, they eat. So you have rabbit cards, and carrot cards, or sometimes carrot tokens…

runewars

Mascarade

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Il y a six ou sept ans de cela, je me procurai, je ne sais plus bien dans quelles circonstances, un jeu de société japonais, Warumono, un jeu de gangsters, ou plutôt de yakuzas. Le partage du butin ne s’est pas tout à fait passé comme prévu, quelques petits malins ayant voulu tout garder pour eux et refiler des faux billets à leurs collègues. Dans la confusion générale, nul ne sait plus très bien qui est parti avec le magot et qui n’a a que de la fausse monnaie dans sa valise. Chacun des gangsters veut donc récupérer les vrais billets avant de s’enfuir à l’étranger, en bateau ou en avion. Les pions circulent donc en ville, l’un se fait faire un passeport, l’autre achète un billet d’avion, et quand deux se croisent, ils s’échangent, ou pas, leurs mallettes, ce qui rend le butin assez difficile à suivre. Warumono est un excellent jeu familial, même si son thème ne l’est qu’à demi, aux systèmes très originaux. Parmi ceux-ci, la règle d’échange de la mallette sous la table – un joueur prend sa propre mallette et celle d’un autre joueur et, sous la table, les échange, ou pas.

Dès ma première partie, je savais qu’un jour je réutiliserai ce mécanisme dans un autre jeu, même si je ne savais encore ni lequel, ni quand. La première occasion se présenta lorsque, avec Hervé Marly, nous tentâmes de faire un jeu de cartes sur les crop circles, dont tout ce dont je me souviens est qu’il ne tourna jamais vraiment bien. Quelques années plus tard, il y eut un prototype avec une carte chat qu’il fallait retrouver, et qui s’appelait tantôt le chat du Cheshire, tantôt le chat de Schrödinger.

Lorsque j’abandonnai, dans un état très imprécis, le chat de Schrodinger, il me vint donc l’idée de mêler des personnages à la Citadelles avec le mécanisme d’échange de cartes de Warumono, pour obtenir un jeu minimaliste ne demandant qu’autant de cartes qu’il y a de joueurs. Après tout, s’il y a bien des cartes quartiers dans Citadelles, c’est presque uniquement avec les personnages que l’on joue. Il y avait devait donc bien y avoir moyen de faire un jeu qui se joue avec juste une carte par joueur, et qui ne soit pas un autre remake des Loups Garous. Si les rôles, cachés, passaient d’un joueur à l’autre au point que l’on ne savait parfois plus bien qui l’on était, le thème ne pouvait en être que la mascarade, le carnaval de Venise. Cette troisième occasion fut donc la bonne.

À partir de là, tout est allé très vite. La première version de Mascarade n’avait que six personnages, roi, reine, évêque, juge, voleur et espion, et les parties à 5 ou 6 joueurs s’avérèrent tout de suite très tendues. Pour des groupes de joueurs plus nombreux, j’ajoutais d’abord des paysans sans pouvoir particuliers, sortes de mistigris dont les joueurs essayaient de se débarrasser puis, au fur et à mesure des tests, il me vint quelques autres idées, et d’autres personnages furent aussi suggérés par des joueurs – la Sorcière par Bruno Cathala, beaucoup par l’équipe de Repos Prod après qu’ils eurent décidés de publier ce jeu. Les personnages devenant nombreux, il fallait des fiches d’aide de jeu, une carte tribunal pour y poser les amendes, et des pièces d’or de plus en plus nombreuses quand le jeu devenait praticable à dix, puis douze. Ce que Mascarade perdait en élégance minimaliste, il le gagnait cependant en richesse et en variété.

L’idée était dans l’air. Quelques mois après que j’avais signé le contrat de Mascarade, et alors que nous étions en train d’apporter au jeu ses derniers réglages, des amis revinrent d’Essen avec, dans leurs cartons, deux jolis petits jeux de cartes, Coup et Love Letter, dans lesquels chaque joueur joue avec une main d’une ou deux cartes personnages et cherche souvent à se faire passer pour qui il n’est pas. Je réalisai même que tous ces jeux avaient une sorte d’ancêtre commun, auquel j’ai joué dans les années quatre-vingt-dix, ou peut-être même quatre-vingt, mais auquel je n’avais absolument pas pensé en concevant Mascarade, Hoax – l’imposteur. Hoax, le précurseur, a un peu vieilli. J’ai joué à Love Letter, et ai adoré, mais c’est finalement très différent de Mascarade. Coup en est bien plus proche, mais je ne l’ai pas vraiment apprécié. Alors, lequel, de Love Letter, Coup et Mascarade deviendra un classique ? Ce sera à vous d’en décider, et j’espère que ce sera Le mien. Mascarade a au moins deux avantages sur ses concurrents. Il se joue de 2 à 13 joueurs, même si la règle pour 2 ou 3 joueurs, un peu bricolée, ne s’adresse qu’à ceux qui connaissent déjà bien les mécanismes du jeu. C’est aussi le seul des trois dans lequel non seulement on ne sait pas toujours qui sont les autres joueurs, mais on ne sait souvent même pas qui l’on est – comme dans la vraie vie.

Mascarade
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Jeremy Masson
2 à 13 joueurs –
30 minutes
Publié par Repos Production (2014)
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Illustrations de Jeremy Masson
Graphics by Jeremy Masson

I don’t remember how, six or seven years ago, i got a copy of Warumono, a Japanese gangster – or rather yakuza – game. A bank has been robbed, but the divying up of the loot ended in confusion when one of the robbers tried to leave with all the money. In the ensuing confusion, noone knows who left with the right case, the one with the banknotes, and who got an empty one. Each thief tries to get hold of the loot and to leave the country, by plane or boat. Players move their pawns in the city, occasionally bying a plane ticket or a fake passport, and when two thives meet, they swap – or not – their briefcases. It’s all mix-up and poker faces. Warumono is a very good and very original light game, even when the theme is not really family fare.

After the first game, i already knew that, some day, I’ll use in some other game the system of the secret swapping of briefcases under the table. The first try, together with Hervé Marly, was a card game about UFOs drawing crop circles – all I remember of it is that it didn’t work. A few years later, I had another prototype, with a cat card that had to be traced and found. It was called the Cheshire cat one day, the Schrödinger cat the other, depending on its ambiguous status.

I abandonned Schrödinger’s cat in some undetermined state and soon had another idea – mix the Citadels characters and the Warumono swapping rule, in order to design a minimalistic but convoluted game played with just one card for each player. There are district cards in Citadels, but the game is really played mostly with the character cards. I wanted to go farther and design a game played with just one card for each player – and not one more werewolf variant. With roles being secretly swapped between players, the setting was obvious – masquerade, the Venice carnival.

Things went really fast from here. The first Mascarade prototype had only 6 cards, King, Queen, Bishop, Judge, Thief and Spy, and the first five or six players games were very tense and challenging. For more players, I first added peon cards, with no specific powers, of which players had to get rid. During the first game sessions, many players suggested ideas for more characters. The first one was the witch, devised by Bruno Cathala. Later, the Repos Prod guys, after they decided to publish the game, added several other. With a dozen characters, players aids were becoming really necessary, as well as a tribunal card, and lots of money tokens. Mascarade was becoming less elegant and minimalistic, but it was also more fun and varied.

The idea was in the air. A few months after I had signed the contract for Mascarade, and while I was busy selecting and fine tuning the characters, friends came back from Essen with two light card games, Coup and Love Letter, in which every player has a hand of one or two character cards and sometimes pretends to be who he is not. I also realized that all these games had a common ancestor, or at least precursor – Hoax. I have played it in the nineties, or may be even the late eighties, but I never thought of it when designing Mascarade. Hoax didn’t age that well. I’ve now played Love Letter, and love it, but it’s not that similar with Mascarade. I’ve played Coup, and didn’t really care for it, though I admit it’s more similar with my own design. So, which one, Love Letter, Coup or Mascarade, will become a classic ? Your choice, of course – but I bet on mine ! Mascarade has at least two things for it. It plays with 2 to 13 players, even when the two and three players rules are second thought ones, and should not be tried if you haven’t already mastered the standard many players game. Also, it’s the only game in which players not only don’t know who the other players are, but often don’t know for sure who they are – like in real life.

Mascarade
A game by Bruno Faidutti
Art by Jeremy Masson
2 to 13 players – 30 minutes
Published by Repos Production (2013)
Boardgamegeek

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Cannes

intro-festival-des-jeux-2013

Je n’étais ni à New York, ni à Nuremberg, mais après un week-end ludique chez des amis en Bourgogne, je serai dans deux semaines au salon du jeu de Cannes. Certes, c’est moins grand, il y a surtout des éditeurs français, mais c’est un peu plus près de chez moi, et ce sont mes amis de Repos Prod qui m’invitent, et ils ne font pas les choses à moitié, hôtel de luxe et tout. Je serai donc la plupart du temps sur le stand de Repos Prod à présenter Mascarade, un jeu de cartes qui devrait sortir d’ici quelques mois et dont je viens de recevoir les premières illustrations, magnifiques. Ceci dit, je passerai aussi, avec Nathalie Grandperrin, sur le stand de Iello pour quelques parties de Speed Dating, et sur celui de FunForge pour présenter The Big Movie, et je crois que je n’oublie personne.

Surtout, j’aurai avec moi une dizaine de prototypes qui cherchent encore un éditeur, des jeux que j’ai fait tout seul, et des jeux que j’ai fait avec des amis, avec Nathalie, Sandra, Anja, Serge ou l’autre Bruno. J’aurai donc une boite avec une maman velociraptor et ses petits, une boite avec des bisons hilares et des pandas enrhumés, une boite avec des jongleurs et des ménestrels, deux boites avec des souris, des tigres et des éléphants, une boite avec Lance Armstrong, Dominique Strauss Kahn et Patti Smith, une boite avec des prothèses mammaires et des grenouilles d’Australie, une boite avec des amphores, une boite avec des tableaux, une boite avec une station spatiale en kit, et quelques autres trucs.

Avis, donc, à tous les éditeurs de passage – j’ai sûrement ce qu’il vous faut. Vous pouvez me retrouver sur le salon, je ne devrais pas être trop difficile à trouver, mais on peut aussi prendre rendez-vous – je serai sur le salon du jeudi au dimanche.


Quelques protos prêts pour Cannes, mais il m'en reste encore deux ou trois à imprimer. Prototypes ready for Cannes, and I've still to print one or two more.

Quelques protos prêts pour Cannes, mais il m’en reste encore deux ou trois à imprimer.
Prototypes ready for Cannes, and I’ve still to print one or two more.

I was neither in Nuernberg, nor in New York, but after a gaming week-end with friends in Burgundy, I’ll be at the end of the month at the Cannes game fair. It’s a much smaller event, with mostly French publishers,  but it’s nearer from home, and I’m invited by my friends from Repos Prod. this meand I’ll probably spend most of my time at the Repos Prod booth demoing Mascarade. I believe this fun and light card game will be a hit. i just received four first illustrations – king, witch, thief and cheater – and they are gorgeous. I will also demo Speed Dating, together with Nathalie Grandperrin, at Iello, and may be The Big Movie at FunForge. I hope i didn’t forget anyone.

More important, I’ll bring a dozen prototypes still looking for a publisher, games of mynown or games I codesigned with some friend, Nathalie, Sandra, Anja, Serge or the other Bruno. I’ll have a box with a mummy velociraptor and her kids, a box with laughing bisons and sneezy pandas, a box  with jugglers and minstrelsm two boxes with mice, tigers and elephants, a box with Lance Armstrong, Dominique Strauss Kahn and Patti Smith, a box with fake boobs and australian frogs, a box with amphoraes, a box with paintings, a box with a modular space station, and some more.

So, this is a notice to all publishers who might be passing by – I probably have just what you need in your line. You can look for me at Repos Prod, but we can also make an appointment – I’ll be on the fair from thursday afternoon to sunday.

Jeux de Trains
Train Games

aventuriers

Si, dans quelques siècles, des historiens essaient d’imaginer la vie des hommes du début du XXIème siècle à partir d’une collection de jeux de société, ils déduiront logiquement des boites et des innombrables extensions des Aventuriers du Rail ou de Age of Steam, que le moyen de transport le plus populaire et le plus utilisé était le train. Ils ne verront sans doute dans l’automobile, considérée plutôt comme un sport, qu’un mode de transport très marginal. Bien sûr, la réalité est exactement inverse, la majorité de nos déplacements se faisant en voiture. Le trains ne parvient pas, malgré tous les discours plus ou moins écolo en sa faveur, à se débarrasser d’une image un peu vieillotte et ringarde. Comment expliquer alors que, dans la société de l’automobile, auteurs de jeux et joueurs soient si attirés par les trains? Sont-ils tous comme moi, qui aime les trains, qui s’y sent si bien qu’il s’endort à peine quitté la gare? Sans doute pas.

Une première raison tient sans doute à l’histoire, et en particulier à l’histoire de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Les auteurs de jeux de train sont presque tous anglais ou américains, et certains ont publié un assez grand nombre de jeux de trains – Freight Train, Union Pacific, Santa Fe Rails et Ticket to Ride pour Alan Moon, Age of Steam, Last Train to Wensleydale, Steel Driver, Railroad Tycoon et une douzaine d’autres pour Martin Wallace, 1830 et quelques autres dates pour Francis Tresham. Tous ces jeux ont d’ailleurs été originellement conçus pour se jouer sur une carte de tout partie du territoire de la Grande Bretagne ou des États Unis, et ce n’est que lorsqu’un jeu de trains rencontre un réel succès, comme Les Aventuriers du Rail ou Age of Steam, que des cartes supplémentaires, d’abord de l’Europe continentale, puis si le succès se confirme de terres plus exotiques, jusqu’à l’Afrique Noire ou à Mars, sont ensuite publiées.

Ce que l’on retrouve dans le jeu de société, c’est donc une fascination de l’histoire populaire anglaise et américaine pour les trains, et en particulier les trains à vapeur.

Les Anglais les associent à la révolution industrielle, une période de l’histoire qui semble ne faire rêver qu’eux – comme le montre aussi la mode du steampunk victorien. L’un des premiers jeux de Martin Wallace s’appelait Lancashire Railways, et décrivait la construction des toutes premières voies ferrées commerciales autour de Manchester. Les jeux de Francis Tresham ont pour nom des dates qui, dans tout le reste de l’Europe, font plus penser à des révolutions qu’à des locomotives. Lorsque Reiner Knizia voulut faire un jeu de trains, il l’appela Stephenson’s Rocket, du nom de l’une des premières locomotives à vapeur.

Lorsqu’ils ne se jouent pas sur une carte de l’Angleterre au XIXème siècle, les jeux de trains utilisent le plus souvent une carte des États-Unis, et le thème devient alors la conquête de l’ouest, les rails sur la prairie. Il y a aux États-Unis, pays où les trains sont aujourd’hui rares, vieux et lents, un véritable fétichisme ferroviaire. J’ai parfois l’impression que pour les américains, tous les trains, jusqu’à notre TGV et au transsibérien, sont associés au mythe de la frontière. Un micro-éditeur, Winsome Games, ne publie même que des jeux au thème ferroviaire, généralement très laids.

Il y a aussi sans doute une explication plus pratique, plus technique, à l’usage excessif des trains et voies ferrées par les auteurs de jeux. L’automobile, et c’est d’ailleurs sans doute l’une des raisons pour laquelle elle reste le moyen de transport le plus utilisé dans les pays riches, malgré son coût individuel et collectif, donne une grande liberté de déplacement, permet de partir de n’importe ou pour aller n’importe ou, sans changement, sans rupture. Le train ne permet jamais que d’aller d’une gare à une autre, mais ce qui est une contrainte dans la vraie vie – le réseau, ses nœuds et ses limites – devient un élément structurant intéressant pour le concepteur de jeu. Je me permets de renvoyer ici à l’un de mes articles précédents, dans lequel je faisais remarquer que les cartes “en réseau” sont de plus en plus utilisées dans les jeux, et le réseau ferré est l’un des plus aisés à représenter.

Les jeux de train sont en effet généralement construits autour de trois mécaniques fondamentales, de trois usages du réseau, qui peuvent d’ailleurs se combiner. Les joueurs peuvent construire le réseau, souvent avec des tuiles hexagonales représentant les voies ferrées et leurs croisements et aiguillages, et c’est l’élément central de Age of Steam. Ils peuvent aussi, et c’est le cas des Aventuriers du Rail, chercher à acquérir des liaisons d’un réseau déjà dessiné sur la carte. Enfin, il arrive, plus rarement, qu’ils doivent déplacer un train, souvent pour livrer une marchandise dans telle ou telle gare qui en fait la demande.

Les jeux de train sont en effet joués sur une carte représentant le réseau ferré. Les joueurs n’y sont généralement pas les passagers d’un train, mais plutôt les gestionnaires d’une compagnie ferroviaire. Ce n’est pas le moindre paradoxe qu’alors que le plaisir du voyage en train, comme d’ailleurs du voyage en avion, vient en partie de l’enfermement dans la linéarité du parcours, de l’abandon de toute liberté de descendre, de s’arrêter, de changer d’avis, les jeux de trains soient au contraire des jeux très compétitifs, joués non sur une ligne mais sur un réseau complexe, une grille.

Reste l’automobile. Il y a des jeux de voitures, mais ils sont moins nombreux que les jeux de trains. Curieusement, ce sont eux qui, le plus souvent, se jouent sur un simple circuit fermé, linéaire. Ce n’est en effet plus de transport qu’il s’agit mais de course de vitesse, et une course de trains est impossible – vous avez déjà vu un train déboiter pour en doubler un autre?


steam

If, a few centuries from now, historians try to imagine our life in early XXIth century based on a collection of boardgames, they will probably deduce from the many boxes of Ticket to Ride and Age of Steam, and all their expansions, that the most popular means of transportation were trains. They will even guess that automobiles, while popular as a racing sport, were only marginally used for transportation. Of course, reality is the exact opposite. Despite all the ecological warnings, despite official discourse and, more and more, public opinion favoring public transport, the vast majority of our travels are still made by car. Trains are more marginal than ever, and feel a bit old fashioned. How come that, in the world of automobile, gamers and game designers are so attracted by trains? I actually like trains, and feel so good in a train that I usually fall asleep as soon as we leave the station, but I don’t think all game designers feel like this. There must be some other reasons.

The first ones can be found in history, and specifically in British and North American history. Most train games designers are British or American, and some of them have published several train-themed games. Alan Moon did Freight Train, Union Pacific, Santa Fe Rails and, last but not least, Ticket to Ride. Martin Wallace did Age of Steam, Railroad Tycoon, Last Train to Wensleydale, Steel Driver and a dozen more. Francis Tresham did 1830 and several other years in the XIXth century. All these games are usually played on a map of England, of the United States, or of some part of them. It’s only when a train game sells really well that other and more exotic maps are published, first of Europe and then of even stranger places, up to Black Africa or even Mars. Boardgames are affected by a fascination of British and American popular history for trains, and especially XIXth century steam trains.

In England, trains are seen as the main feature of industrial revolution, and therefore of British economic domination of the XIXth century. It might sound strange to dream of the industrial revolution and to want to reenact it, but British do – as is also indicated by the popularity of steampunk there. One of Martin Wallace’s first train games was called Lancashire Railways and described the building of the very first railway lines in England. Frances Tresham’s train games are named after years which, in the rest of Europe, usually refer to national revolutions and not to railway building. Reiner Knizia’s only train game is called Stephenson’s Rocket, after one of the first commercial Bitish steam locomotives.

When they are not played on a map of XIXth century industrial England, train games are played on a map of the United States, and the game is more or less about the American Frontier heading west, rails on the prairie. The US are now the country of aiplanes and automobiles, and american trains are rare, old and incredibly slow, but ironically the train fetish is stronger there than anywhere else, deeply embedded in the western frontier story. It’s a very broad minded fetish, and for Americans all trains, including the Orient Express, the Transsiberian and even the French TGV are more or less associated with the far west frontier mythology. There’s even a small publisher, Winsome games, who publishes only train games, usually rough editions with very cheap components.

There are also some technical, pragmatic reasons for the frequent use of trains in boardgames. The main reason why cars are still the most frequently means of transportation used in the rich countries, despite their high individual and collective costs, is that they give more freedom than public transports, allowing one to drive from anywhere to anywhere, without any need for transfer or connecting. Trains, on the other hand, move only from station to station. The network, its nodes and its limits are a strong constraint for the real world traveller, but can be a convenient structuring feature for the game designer. In one of my earlier posts, I discussed the use of maps in games, and noted that network maps are now frequently used on game boards, and most of my examples were railway networks.

Most train games are based on one or more of three game systems, three uses of the network. Players can build the network, often with hex tiles figuring the rails and their crossings, like in Age of Steam. They can also, like in Tiket to Ride, take control of the railway tracks between two cities, on a network already drawn on the board. They can also have to move a train from city to city to deliver goods.

Most train games are played on a complex map of the rail network. Players are not train drivers or passengers, but rail barons or railroad tycoons, managing a railway company. This is another paradox of train games. The pleasure of travelling by train (or by plane) derives from the linearity of the travel, from the impossibility to stop, to get off, to change one’s mind, from the abandonment of control, but train games are very competitive, all about control, and played not on a single track but on a complex network, a grid.

So what about car games ? There are car games, though much fewer than train games. Surprisingly, car games are more often played on a single track. Most of them are race games, and train racing games wouldn’t make sense – did you ever see a train pull out to pass another one ?

Speed Dating est partout
Speed Dating on TV and newspapers

Speed Dating était partout le mardi 8 janvier – en particulier dans un journal que je ne lis jamais, Le Parisien (qui n’est même plus libéré, tout se perd), et à la télé sur M6, dans une émission qui semble kitschissime, 100%Mag. Pour le coup, je l’ai regardée en entier, et le reportage sur les mille et une manières d’assaisonner les différentes variétés de pâtes n’est pas inintéressant. Ceci dit, si vous voulez sauter directement à Speed Dating, c’est à la 28ème minute !Bref, Nathalie et moi avons trouvé une éditrice qui assure pour la com grand public !

100% mag du 8 janvier sur M6 Replay

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Speed Dating was everywhere yesterday. There was a review of it in Le Parisien, a major miidle-of-the-road newspaper, and another on one on M6, one of the main French general audience TV, on a very kitsch show, 100% Mag. Well, there’s at least one other interesting feature in this emission, ten minutes about which sauces are best with which shapes of pasta.
Looks like Stéphanie, our publisher, is really good at mass market comunication. Let’s hope sales will follow !

100% mag on M6 Replay

L’équilibre et l’ennui
Balance is boring

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Dans les années quatre-vingt, quand je n’étais qu’un jeune auteur de jeu débutant, mes modèles et inspirations étaient le groupe Future Pastimes, auteurs de Cosmic Encounter et de quelques autres jeux que je pratiquais à l’occasion, Dune, Quirks, Darkover… Je citais fréquemment une phrase de l’un d’entre eux, Peter Olotka. Quand on lui avait fait remarquer que les pouvoirs de Rencontre Cosmique n’étaient pas équilibrés, il avait répondu « Pourquoi le seraient-ils ? L’équilibre est ennuyeux, la vie est injuste ». Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que, si cette évidence provocatrice avait du vrai, ce n’était qu’une partie de la vérité. Si les pouvoirs de Cosmic Encounter n’ont pas besoin d’être équilibrés, c’est surtout parce que le jeu est doté par ailleurs de deux puissants mécanismes d’équilibrage automatique, la complexité, ou chaos, et  les alliances. D’autres existent également, et cet article essaiera de passer les principaux en revue.

Le premier mécanisme d’équilibre automatique, au cœur de Cosmic Encounter, est le chaos, que l’on peut en première analyse assimiler à la complexité, au sens d’enchevêtrement et d’interaction de nombreux systèmes. Pour dire les choses simplement, plus il y a d’éléments, de systèmes, de mécanismes, tous clairement déséquilibrés, plus la probabilité qu’un même joueur soit avantagé dans tous les systèmes est faible. Il est donc moins paradoxal qu’il n’y paraît de voir dans le chaos un facteur d’équilibre, et l’histoire a montré que les systèmes les plus simples, les plus propres et les mieux rangés n’étaient pas toujours les plus justes.  Les jeux de cartes à collectionner, et en tout premier lieu Magic the Gathering, sans doute le plus ouvert et celui qui a le plus délibérément accumulé mécanismes et éléments variés, font aussi du chaos un principe d’équilibre.

Tous les joueurs de Diplomacy s’accordent à reconnaître que la position initiale des puissances centrales – en particulier, je crois, l’Italie – est bien moins puissante que celle d’autres états comme, par exemple, la Russie. Qu’importe. Les joueurs le savent, en tiennent compte, s’allient plus facilement avec l’Italie, ou s’en méfient moins, et ce sont finalement les alliances, et non la position initiale sur la carte, qui créent l’équilibre du jeu. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que les alliances soient formalisées comme dans Diplomacy ou Cosmic Encounter pour qu’elles jouent ce rôle de rééquilibrage plus ou moins automatique. Dans tous les jeux à plus de deux joueurs avec un peu de baston, ou même simplement d’interaction, il est souvent possible de faire bloc contre celui qui est en tête afin de redonner des chances à tous – jusqu’à un certain point quand même, car il faut bien que la partie se termine. Même dans un jeu aussi pacifique, familial et politiquement correct que les Colons de Catan, on peut ne pas vouloir échanger ses marchandises avec un joueur qui a quelques points d’avance, ou amener plus volontiers ses routes vers chez lui pour le bloquer.

Les personnages de Citadelles ne sont pas plus équilibrés que les pouvoirs de Cosmic Encounter. Certes, beaucoup dépend de la situation, du moment dans la partie, des choix des autres joueurs mais, de manière générale, deux personnages, le Marchand et l’Architecte, sont quand même plus puissants. Non seulement cela ne gêne en rien le jeu, mais cela contribue sans doute un peu à sa dynamique. On est souvent tenté de les prendre, mais on sait qu’ils sont aussi plus souvent qu’à leur tour la cible du voleur et, surtout, de l’assassin. Dans un autre de mes jeux, Mascarade, qui devrait sortir au printemps prochain, le Roi gagne trois pièces d’or par tour, la Reine en gagne deux… mais, de ce fait même, la reine a toutes les chances de conserver son trône plus longtemps.

La construction de deck de cartes par les joueurs eux-mêmes, que ce soit dans les jeux à collectionner inspirés de Magic the Gathering ou dans les jeux de deckbuilding à la Dominion, ou même dans les jeux de draft comme Seven Wonders, est aussi un mécanisme intéressant. Il ne crée pas nécessairement des jeux plus équilibrés que ceux, préconstruits, de Smash Up ou Summoner Wars, mais, en reportant la responsabilité du déséquilibre éventuel sur les joueurs eux-mêmes, il rend le jeu plus riche et plus intéressant tout en simplifiant grandement le travail de l’auteur. Il ne dispense cependant pas de la nécessité d’équilibrer à peu près les cartes, pour éviter que certaines ne soient jamais utilisées et que d’autres le soient trop fréquemment – à moins bien sûr de recourir à des enchères, ce qui permet là encore de laisser les joueurs s’en occuper.

Stabilisateur automatique

Les physiciens distinguent deux types d’équilibre, l’équilibre stable des volumes qui reviennent dans leur position initiale quand on les bouscule un peu, et l’équilibre instable de ceux qui s’écroulent dès qu’on les touche. L’équilibre d’un jeu doit être suffisamment stable pour que l’avantage pris par un joueur en début de partie n’apparaisse pas vite irrattrapable – le Monopoly est le type même du jeu qui se déséquilibre peu à peu car “rich gets richer”. Pour éviter cela, l’auteur peut utiliser des petits “stabilisateurs gyroscopiques”, des mécanismes qui détectent les déséquilibres en formation et tendent à les atténuer. Le plus classique est, comme je l’ai par exemple fait dans Lost Temple, de permettre au joueur le plus mal placé, le plus pauvre, le plus en retard, de jouer en premier. Le voleur de Catan, toujours utilisé pour gêner le joueur en tête, a la même fonction. La “choam charity” dans Dune, le petit frère de Cosmic Encounter, en est un autre. Tout comme certains systèmes rééquilibrent les positions des joueurs, d’autres rééquilibrent le coût des éléments de jeu, comme la règle qui, dans SmallWorld, fait baisser le prix des races qui ne sont pas achetées par les joueurs. L’équilibre doit quand même être suffisamment instable pour que les choix des joueurs aient un sens, et parfois pour que  la partie se termine. C’est le petit reproche que je ferai à Tokaido, de mon ami Antoine Bauza – il en a fait trop, et ce jeu est trop stable, trop équilibré pour moi.

Un jeu équilibré n’est pas nécessairement ennuyeux pour les joueurs, et les jeux de stratégie, en particulier, qu’ils soient ou non symétriques, doivent être équilibrés, c’est à dire donner des chances de victoire à peu près équivalentes aux adversaires, pour que ces derniers y prennent vraiment intérêt. C’est en fait surtout pour l’auteur de jeu, et pour ses amis testeurs, que l’équilibre est véritablement ennuyeux, au sens de pénible, car il demande énormément de travail, de réglages subtils, de parties répétées, même quand on aurait envie de passer à autre chose. C’est en rédigeant récemment mon article sur les jeux de faction que j’ai pris conscience de cet aspect. J’aime jouer à un jeu comme Summoner Wars, mais je ne m’imagine pas le concevoir, équilibrer avec soin toutes les factions, vérifier qu’aucune n’est automatiquement gagnante face à une autre, ajouter un point d’invocation ici, enlever un point de force là, et sans cesse tester de nouvelles configurations. Il est tellement plus facile et plus élégant de laisser les mécanismes du jeu équilibrer eux même tout cela.


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 In the eighties, when I was a young wannabe game designer, my models and inspirations were the Future Pastimes team, authors of Cosmic Encounter and of several other games I often played, such as Dune, Darkover or Quirks. I often quoted one of them, Peter Olotka, who, when asked why the alien powers in Cosmic Encounter were so unbalanced, answered “why should they? Balance is boring, life is unfair.” Only years later did I realize that, while this elegant and provocative statement was far from wrong, it was only part of the truth. If alien powers in Cosmic Encounter do not need to be balanced, it’s mostly because the game balance relies on two powerful “gyroscopic” self balancing systems, chaotic complexity and alliances. There are others, and I’ll try to discuss the main ones in this article.

The first of this mechanism is why Cosmic Encounter is best known among games : chaos. Chaos is complexity, but complexity created not by depth but by the interweaving and interaction of numerous more or less autonomous systems. To put it simply, the more unbalanced elements, systems and mechanisms there are in a game, the less likely it is that all of them will favor the same player. It can sound paradoxical to state that chaos is an equilibrium factor, but it is. History has shown that the simplest, cleanest and best ordered systems were usually not the fairest ones. Most collectible card games use chaos as a balancing tool, and specifically the first, most open and most varied of them, Magic the Gathering.

Diplomacy players all admit that the starting positions of the central powers – and most of all, if I remember well, that of Italy – is much weaker than that of peripheral states such as Russia. Never mind. Players know about it, take it in account when playing, are more likely to ally with Italy, or are less wary of her. In the end, the balance is generated not by the initial set up but by the alliances and dynamics of the game. Formal alliances and support like in Diplomacy or Cosmic Encounter are even not necessary, and this self-balancing effect can also work informally. In all games for more than two players with some fighting, or even just some player interaction, it is often possible to bash the perceived leader – up to a certain limit at least, because every game must come to an end at some point. Even in a peaceful, family fare and politically correct game like Settlers of Catan, all other players often spontaneously agree not to trade with the leading one, and are more likely to build their roads near his in an attempt to block his development.

The characters in Citadels are not more balanced than the aliens in Cosmic Encounter. Much depends on the moment in the game, and on the game situation, but two characters, the Merchant and the Architect, are usually more powerful. It doesn’t hinder the game, it even adds to its dynamic. One often wants to choose the Merchant or Architect, but one also knows that they are more often targeted by the Thief and the Assassin. In my upcoming card game Masquerade, the King gets 3 gold every round, while the Queen gets only 2… but that’s also why the Queen usually stays (or is it sits?) longer on the throne.

In collectable card games such as Magic the Gathering, in deckbuilding card games like Dominion, and even in drafting games like Seven Wonders, players build their deck or their hand of cards by themselves. It doesn’t necessarily make the games more balanced than the preconstructed ones of, say Smash Up or Summoner Wars. It makes the players themselves answerable for the game’s balance, which adds to the game’s depth and makes the designer’s job much easier. On the other hand, cards still have to be kept more or less balanced in strength and cost, or the same ones will always be selected by the players. Of course, the designer can this time rely on auctions, a very simple way to have the game and the players take care of costs balance.

Automatic Stabilizer

Gyroscopic Stabilizer

There are two kinds of equilibrium in physics, stable and unstable. A stable equilibrium moves back to its original position when it is pushed a bit, while an unstable one immediately crumbles. A game’s balance must be stable enough so that a player cannot take the lead at once and be unreachable. The reason why Monopoly is a bad game is its unstable balance, due to the “rich gets richer” mechanism. This can be prevented by implementing “gyroscopic stabilizers”, systems which automatically detect the disequelebriums and alleviate them. The most usual one is to allow the poorest, last in the race or otherwise losing player to play first, or chose his card first, like I did in Lost Temple. The thief in Settlers of Catan, invariably used to neutralize the leader’s cities, does the same. Choam Charity in Cosmic Encounter younger brother, Dune. While these systems  restore some balance between the players’ assets and positions, others restore balance between the costs of the various game elements, like  in Small World, when a race that is not bought by players becomes cheaper. Balance must however be unstable enough to make the players’ choices challenging, and to bring the game to an end. A good example of a clever game that might be a bit too well stabilized – at least for me – is Antoine Bauza’s Tokaido.

Balance is not necessarily boring for the players. Two players strategy games, no matter whether symmetrical or not, need to be well balanced, meaning to give both players almost the same odds of winning, to be really challenging. Balance is mostly boring, tiring and time consuming for the game designer, because it needs lots of work, fine tuning and testing, when the designer would often prefer to start something new. I realized this a few weeks ago, when writing my article about faction games. I’ve played a few games of Summoner Wars, and enjoyed them a lot, but I can’t imagine myself designing something like this, balancing all the factions, adding one strength point here, removing one cost point there, and testing all the possible combinations. It’s so much easier, and it feels so much satisfying, to have the game balance everything by itself.

Formula E

Assez régulièrement, je reçois des emails dans lesquels des auteurs de jeux connus ou inconnus me proposent de travailler avec eux sur un projet de jeu, souvent déjà assez avancé. Lorsqu’il y a des zombies ou quinze pages de règles, je réponds poliment que désolé, ce n’est pas mon style, mais bonne chance quand même. Dans les autres cas, je jette un coup d’œil avant, le plus souvent, de répondre poliment que, désolé, ça a l’air bien intéressant mais je n’ai vraiment pas le temps de me lancer dans un nouveau projet – mais bonne chance quand même. Et puis, une ou deux fois par an, quand aussi bien le sujet que les mécanismes m’amusent, quand j’ai le temps, et quand les auteurs ont l’air sympas, je réponds pourquoi pas.

Début 2011, j’ai ainsi reçu une proposition d’André Zatz et Sergio Halaban, auteurs brésiliens de deux petits jeux de bluff que j’apprécie beaucoup, Hart an der Grenze et Sultan. Ils y présentaient Indian Derby, un jeu de course d’éléphant qu’ils avaient réalisé quelques années auparavant, qui avait manqué de peu être publié par plusieurs éditeurs, et auquel ils pensaient qu’un regard neuf pourrait apporter un plus. Le jeu m’a tout de suite plu. Le thème, une course d’éléphant, était original et amusant, et permettait d’introduire des mécanismes de poussée inhabituels dans les jeux de parcours. Le moteur du jeu, des cartes de déplacement et des cartes action, me convenait très bien. Bref, nous avons quelque peu discuté, et nous sommes penchés ensemble – via email, parce que le Brésil, c’est un peu loin – sur un jeu que je voulais rendre plus léger, plus rapide, plus méchant. Après avoir unifié le système de gestion des cartes action et mouvement, simplifié les bousculades, ajouté quelques actions thématiques et amusantes, nous nous retrouvâmes quelques mois plus tard avec un jeu de course tactique et très enlevé, un peu dans l’esprit d’Ave Cesar, des bousculades, mais aussi des vaches sacrées, des tapis volants, des tigres et des charmeurs de serpents.

Le prototype d’Indian Derby commença alors à faire le tour des éditeurs et, assez rapidement, élit domicile chez Clever Mojo, l’éditeur de l’excellent Alien Frontiers. David MacKenzie eut l’idée amusante d’appeler le jeu Formula E. Mes amis d’Asmodée, l’éditeur de Formula D, acceptèrent bien volontiers à condition que le clin d’œil ne tourne pas à la confusion. Je pense qu’avec deux gros éléphants sur la boite, il n’y aura pas de problèmes.

Formula E
Un jeu de Sergio Halaban, André Zatz et Bruno Faidutti
Illustrations de Jacqui Davis
3 à 6 joueurs – 60 minutes
Publié par Game Salute
Tric Trac      Boardgamegeek


I regularly receive emails from both well known and completely unknown game designers asking me if I would like to work with them on some design, usually already well advanced. When it’s about zombies, or has fifteen or more pages of rules, I answer that I’m sorry, that’s not really my kind of game, but good luck anyway. In all other cases, I have a look and usually answer that I’m sorry, I’m already overbooked and wouldn’t find the time to start a new project, but good luck anyway. Once or twice every year, when both the setting and the game systems sound exciting, when I have time, and when the authors seem to be nice guys, I answer why not, let’s discuss the game.

Early in 2011, I got an email from André Zatz and Sergio Halaban, the Brazilian authors of two light double-guessing games I really like, Hart and der Grenze and Sultan. The subject of their email, Indian Derby was an elephant racing game they had designed a few years ago, which had raised some interest from several publishers but ultimately hadn’t been selected for publication. They wanted to rework it, and were thinking that a fresh look by a designer who wasn’t involved in the original design, could help.  I liked the game idea at once. The storyline, an Indian elephant race game, was new, and allowed for rules about pushing–something unusual in a racing game, and for fun thematic events. I had long wanted to design a card driven race game, so this was a good opportunity to jump in. We discussed the game and worked together via email–since Brazil is far from France–on new rules and events to make the game lighter, faster and nastier. We simplified the card management system and the jostling rules, we added some event cards, and we ended with a very dynamic and tactical racing game, in the style of Ave Caesar (one of my all-time favorites), but with lots of jostling and crushing, and also holy cows, flying carpets, snake charmers, monkeys and tigers.

The new version of Indian Derby was shown to several publishers and, very soon, Clever Mojo Games, the publisher of Alien Frontiers, decided to do it. David MacKenzie had the fun idea to name the game Formula E. I asked my friends at Asmodée, the publisher of Formula D, and they gracefully accepted as long as the pun doesn’t lead to confusion. With two large elephants on the box, I think there’s no great risk.

Formula E
A game by Sergio Halaban, André Zatz & Bruno Faidutti
Graphics byJacqui Davis
3 to 6 players – 60 minutes
Published by Game Salute
Boardgamegeek