Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !
I am not a number, I am a free man !

Bruno grand shaman

Récemment, lors d’un salon, après avoir discuté de mes dernières créations, un joueur m’a demandé si j’étais mathématicien. Surpris et déçu par ma réponse négative, il a alors entrepris de m’expliquer que le jeu étant de la mathématique, je ne pouvais être qu’un mathématicien qui s’ignore – et donc aussi un grand naïf. Ce n’est pas la première fois que je suis confronté à cette conviction de nombreux mathématiciens, et de quelques autres personnes, que le domaine du jeu, et surtout de la création ludique, appartient naturellement aux mathématiques. Et à chaque fois ça m’énerve, ce qui explique le ton un peu polémique de ce texte. Je n’ai rien contre les maths, mais ce que je fais n’a pas grand chose à voir avec les maths, et je pense être assez bien placé pour le savoir.

J’étais plutôt bon en maths au lycée mais, à part quelques cours de statistiques en faculté d’économie, je n’en ai guère fait depuis. Mon niveau en mathématique est donc sans doute encore aujourd’hui celui d’une bonne terminale scientifique – rien de déshonorant, mais certainement pas de quoi faire de moi un mathématicien.
 Les outils mathématiques auxquels il m’arrive de faire appel dans la conception de mes jeux ne sont d’ailleurs même pas de ce niveau. Un peu de combinatoire et de probabilités, souvent estimées au doigt mouillé, pour savoir quelles sont les mains de cartes où les jets de dés que l’on a le plus de chances d’obtenir, mais cela ne va pas beaucoup plus loin. Si cela suffit à faire de tout auteur de jeu un mathématicien, on peut en dire autant des cuisiniers qui ne cessent de combiner des saveurs et de faire des règles de trois pour adapter les quantités d’ingrédients au nombre de convives.

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Richard Garfield, l’auteur de magic, a fait une thèse en analyse combinatoire.

Reiner Knizia et Richard Garfield, de grosses pointures de la création ludique, ont soutenu des thèses de mathématiques, mais cela ne sent guère que dans les jeux du premier. Mon ami Bruno Cathala a longtemps été ingénieur. Bien d’autres auteurs ont des formations plus littéraires, comme moi, ou artistiques comme Tom Vuarchex ou Anja Wrede. Beaucoup viennent de l’informatique, mais moins de sa face scientifique que de sa dérive littéraire, le jeu video. Roberto Fraga était marin puis douanier. Friedemann Friese avait bien commencé des études de maths, mais il a arrêté pour devenir DJ. Eric Lang, avec qui je bosse pas mal en ce moment, est un autodidacte plutôt littéraire. Bref, il y a de tout, et c’est comme cela que l’on fait un monde. C’est cette variété qui, en permettant les échanges  et les « fertilisations croisées », si je peux me permettre cette métaphore un peu osée, est à la source de la richesse actuelle de la création ludique. Dans le petit monde de la création ludique, Reiner Knizia, sans doute le seul vrai matheux, est d’ailleurs souvent moqué pour le caractère assez froid, abstrait et calculatoire de ses jeux.

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Reiner Knizia et l’un de ses meilleurs jeux.

On sait que les physiciens font parfois un complexe d’infériorité face aux mathématiciens, qui leur semblent naviguer dans des sphères plus hautes et plus pures, mais l’inverse est tout aussi vrai. Beaucoup de mathématiciens semblent toujours regretter un peu que le monde ne soit pas vraiment descriptible en termes mathématiques. Le jeu peut alors leur apparaître, vu de l’extérieur, comme un univers clos et arbitraire dans lequel la mathématique devient une science expérimentale.

Beaucoup de jeux sont en effet totalement analysables et compréhensibles, du moins en ce qui concerne leurs mécaniques; c’est même l’une des caractéristique essentielles qui les distinguent du monde réel. Quelques uns – en gros les jeux abstraits et entièrement basés sur la stratégie et/ou le hasard – peuvent être décrits en termes purement mathématiques. Mais dès que s’y accrochent un thème et des illustrations, ou dès que les joueurs doivent prendre des décisions humaines faisant appel à la psychologie, et notamment au bluff, l’analyse mathématique, si elle reste très intéressante, n’est plus en mesure de rendre compte du jeu dans sa totalité.

Blaise Pascal - A KIng's Life
On peut être un bon mathématicien, s’intéresser au jeu et faire des paris stupides.

Il y aurait tout un livre à écrire, un essai érudit à la manière de l’histoire compacte de l’infini par David Foster Wallace ou de celle du voyage dans le temps par James Gleick, sur l’histoire de l’intérêt des mathématiciens pour le jeu et de l’idée curieuse et récurrente que le jeu relève des mathématiques. On peut remonter au XVIIIème siècle avec Casanova, puis au XVIIème avec Pascal le parieur fou, puis au XVIème avec Cardan, lui-même grand joueur de jeux de hasard comme de stratégie, et sans doute bien au delà.

Plus récemment, il y a presque chez certains mathématiciens une volonté de vouloir annexer sinon le monde du jeu, du moins le mot « jeu ». C’est ainsi que, dans les années quarante, un domaine des mathématiques a été baptisée « Théorie des Jeux ». Elle cherche, en gros, à déterminer les choix optimaux dans des situations où l’on ignore la décision prise, le plus souvent simultanément, par un autre acteur – j’ai failli écrire joueur. Elle peut s’appliquer à pas mal de jeux, mais aussi à de nombreux domaines qui ne sont pas très ludiques, comme les processus électoraux ou la concurrence entre entreprises. Elle ne comprend en revanche ni les probabilités, ni l’analyse combinatoire, pourtant les outils mathématiques les plus utiles aux joueurs et créateurs de jeux ! Quoi qu’il en soit, le fait que certains mathématiciens aient baptisé théorie des jeux un corpus qui n’a pas grand chose à voir avec le jeu ne suffit donc pas à faire des jeux des objets mathématiques, et des joueurs et créateurs des mathématiciens.

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Je fais encore un GN de temps en temps. C’est clairement du jeu, pas du théâtre, et les maths en sont totalement absentes.

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Les outils de la théorie des jeux peuvent s’appliquer à Dolorès, le petit jeu de cartes que j’ai conçu avec Eric Lang. Dolorès est assez largement basé sur le dilemme du prisonnier, l’un des paradoxes qu’elle étudie. Il reste que quiconque y a joué se rend compte que le dilemme du prisonnier n’y est pas seulement un paradoxe mathématique mais aussi un exercice de psychologie, ce qu’illustre très bien le fait que les comportements des joueurs sont devenus plus agressifs, lorsque nous avons remplacé les cartes qui servaient à prendre les décisions par un poing tendu à la manière de Pierre – Feuille – Ciseaux. Nous avons changé le jeu sans toucher à sa structure formelle.

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De même, ce qui fait que je suis assez fier de Diamant, et que je le tiens pour un meilleur jeu que Can’t Stop et de la plupart des autres jeux de prise de risque de ce type, c’est que les décisions des joueurs étant simultanées, elles relèvent autant de la psychologie que des probabilités.

Le sophisme répandu qui voudrait que, parce qu’il y a un peu de calcul dans certains jeux, les jeux relèvent globalement des mathématiques, me gêne dans mon activité d’auteur de jeu.
Il me gêne dans mes relations avec certains éditeurs, qui pensent pouvoir modifier le thème en toute liberté puisqu’ils ne touchent pas à la nature fondamentale du jeu. Dans un jeu, dans un bon jeu tout au moins, thème et système ont une relation dialectique, et l’on ne peut toucher à l’un sans revenir sur l’autre. Cette évidence, aujourd’hui admise pour le jeu video dont la dimension narrative est de plus en plus mise en avant, peine à s’imposer dans le jeu de société.
Il me gêne surtout, comme le montre la remarque à l’origine de cet article, parce qu’il donne de mon métier une image extrêmement réductrice. Le travail de créateur de jeu, du moins tel que je le vis, ressemble bien plus à celui de l’écrivain ou du cuisinier qu’à celui du mathématicien. C’est aussi pour cela que je tiens à l’expression « auteur » de jeu.


Bruno Shaman

A few weeks ago, at a game fair, after having discussed my last designs, someone asked me if I was a mathematician. Obviously surprised and disappointed by my negative answer, he then started to explain me that games were pure maths, and that I was therefore a unwitting and somewhat naive mathematician. It’s not the first time I faced this strange conviction, by most mathematicians and some other people, that game, and even more game design, is maths. It’s wrong, and it always makes me a bit angry. I’ve nothing against maths, but what I‘m doing is not maths, and I think I’m in the best place to judge of it.

I was not bad at maths in high school but, except for a few classes in statistics when studying economics and sociology, I didn’t learn much since then. My math level is probably the same as what it was at 18 – a really good high school level. Nothing disparaging, but certainly not enough to be called a mathematician.
The few maths tools I use when designing games are not even of that level. I could sometimes use some combinatorial and  probabilities, to know which card hands or die rolls are the most likely, but a wet finger approach is usually sufficient. A cook needs as much maths to reckon the right proportions of ingredients depending on the number of guests.

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Richard Garfield, Magic the Gathering’s designer, has a PhD in combinatorial mathematics.

Reiner Knizia and Richard Garfield, two of the most influential game designers, have PhD in maths, but it doesn’t really show in Richard’s games. My friend Bruno Cathala was an engineer. Other game designers have studied humanities, like me, or even graphic arts, like Tom Vuarchex or Anja Wrede. Many come from the computer world, but usually not from its hard science part, rather from its literary drift, video games. Roberto Fraga was a sailor, then a customs officer. Friedemann Friese started to study maths but soon gave up to become a DJ. Eric Lang, with whom I work a lot lately, is a humanities autodidact. Anyway, there are game designers with very different kind of curricula and experiences, and it’s a good thing. This generates variety and cross-fertilisation (don’t take this metaphor too literally), and explains the teeming fun of the gaming scene. By the way, in the small gaming world, the one true math egg-head, Reiner Knizia, is often gently mocked for it and for the abstractness and coldness of his games.

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Reiner Knizia and one of his best games.

It is often said that physicists have an inferiority complex vis a vis mathematicians, who navigate in higher and purer spheres, but the opposite is also true. Many mathematicians seem to regret that the actual world cannot be described in pure formal terms, and can see games as closed and arbitrary systems in which mathematics become something like an experimental science.

It’s true that, at least mechanically, many games can be formally analysed and understood. This might even be the true difference between game and reality. Some of these games, mostly those based entirely on strategy or luck, can be described in pure mathematical terms. But when you add a theme or some graphics, or when players have to make decisions relying on psychology, including bluffing, rational mathematical analysis becomes insufficient. It’s still interesting, but it becomes only a part, and often a small part, of the game – just like it is of real life.

Blaise Pascal - A KIng's Life
One can be a true mathematician, interested in games, and make stupid wagers.

Someone should write a long and erudite essay, akin to David Foster Wallace’s Compact History of Infinity, or James Gleick’s Time Travel – a History, about the history of the strange and recurring idea that games are basically maths. This could go back to the XVIIIth century with Casanova’s, then to the XVIIth century with Pascal, the mad gambler, then to the XVIth with Girolamo Cardano, who played both games of luck and of strategy, and certainly much farther.
More recently, there has been attempts by mathematicians to annex if not the world of games, at least the word « game ». In the forties, a whole field in mathematics has been baptized « game theory ». This game theory mostly deals with optimal decisions in situations where one doesn’t know the decision that will be made by other people – I nearly wrote other players. It can be used to analyse some games, but also lots of stuff which clearly are not games, like vote procedures or business competition. Surprisingly, neither probabilities nor combinatorics, which are the mathematical tools most used by players and game designers. Anyway, the fact that mathematicians call « game theory » a field which has little to do with games isn’t enough to make all games maths, and game designers mathematicians.

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I still occasionally play larps. It’s clearly gaming, not theater, and may be nearer to the essence of gaming than any boardgame, and there’s not the slightest maths in it.

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Game theory can be applied to H.M.S. Dolores, the small card game I’ve recently designed with Eric Lang. H.M.S. Dolores is largely based on the prisoner’s dilemma, one of the paradoxes mathematical game theory deals with. Anyone who plays the game, however, will understand that the prisoner’s dilemma is used here not only a mathematical paradox but also as an exercise in psychology. This showed clearly when we changed the way players made their decisions, using rock-paper-scissors hand gestures instead of cards – the game’s formal structure was unchanged, but the actual game was, and players became more agressive.

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Similarly, the reason why I think that Diamant / Incan Gold is a better game than Sid Sackson’s Can’t Stop is that players must make their choices simultaneously. This is why Incan Gold is a game about psychology, when Can’t Stop is mostly about probabilities.

The popular idea that games are just formal systems, just mathematics, is a real problem for me as a game designer.
It’s a problem in my relations with publishers, who think they don’t modify a game when they change the setting because systems are the true core of the game – which they are not, or not always. In most games, and in all good ones, there is a dialectic relation between theme / setting and systems, and modifying one often implies modifying the other. This si largely accepted about video games, whose narrative aspect is considered essential, but it is still a problem in the boardgaming world.
It’s a problem also because it gives a reductive, and sometimes utterly false, image of my daily job, as can be seen in the anecdote which opened this blogpost. Being a game designer feels much more like being a writer, or may be a cook, than like being a mathematician.

Second editions

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My friend Ignacy Trzewiczek, the man behind Portal Games and Boardgames that tell stories, holds a bimonthly podcast called Board Games Insider. In the last episode, we discuss second editions and revamping of older games. You can listen to it here.

Get your ass to Mars !

Presque coup sur coup, voici quatre grosses boites ocres et carrées qui nous proposent de partir pour la planète rouge.

Je suis assez fier de Mission Planète Rouge, jeu de majorité fourbe et dynamique conçu avec Bruno Cathala, initialement paru en 2005 et dont une nouvelle version vient d’être publiée.
En plus costaud, je viens de découvrir le sérieux mais passionnant Terraforming Mars, jeu de gestion, de développement et de draft d’un nouvel auteur, Jacob Fryxellius. J’attends avec curiosité First Martians, un jeu coopératif et hybride du talentueux Ignacy Trzewiczek, qui reprend en partie les mécanismes de son Robinson Crusoë. Martians, A Story of Civilization, de deux autres polonais, Grzegorz Okilinski et Krzysztof Wolicki, a l’air bien plus costaud, mais également très intéressant. Dix minutes sur le boardgamegeek montrent qu’il en arrive quelques autres, comme Mission to Mars 2049 ou Surviving Mars, desquels je ne sais pas grand-chose.

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Les quatre jeux martiens dont on parle
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Et deux, un peu hasard, parmi ceux dont on parle moins.

Le fond de l’air est donc rouge, passablement frais, et manque un peu d’oxygène.

Domaine réservé d’un certain sérieux scientifique, le plus souvent sans le moindre fantastique, la conquête de Mars a une place un peu à part en marge de la littérature de science-fiction. On retrouve ce sérieux dans l’esthétique sobre et très réaliste de la plupart des jeux martiens. Mission: Planète Rouge est le seul où l’éditeur ait choisi de se distinguer par un look steampunk, et par un peu d’humour, tout en restant dans les tons ocres et orangés. L’action est censé se dérouler en 1888, mais les prototypes de Bruno et moi la situaient plutôt, comme pour tous les autres jeux cités plus haut, vers 2050.

mars-p1 mars-p2 mars-p3Trois images de la planète Mars, toujours dans les tons ocres.

Tout cela n’est pas entièrement nouveau, et il y a déjà eu quelques bons jeux sur le thème de la découverte et, surtout, de l’exploitation et de la colonisation de Mars, mais je ne pense pas qu’il y en ait jamais eu autant publiés en même temps. Comment peut-on expliquer cet engouement soudain pour la planète rouge ?

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Deux jeux plus anciens auxquels je me souviens avoir joué.

On peut d’abord chercher des explications du côté de la littérature et du cinéma. Lorsque, dans les années 2000, Bruno Cathala et moi travaillions à Mission : Planète Rouge, nous nous étions un peu documentés en lisant les textes les plus classiques de la littérature martienne. Voici ce que j’en avais alors écrit dans ma présentation du jeu :

« Puisque nous partions du thème, et voulions être réalistes, je décidais de me documenter un peu. Je commençais par quelques visites sur les sites web, fort nombreux, consacrés à la planète rouge et à divers projets de colonisation plus ou moins farfelus. Alors que je n’avais plus guère lu de science-fiction depuis bien longtemps, je me procurais aussi deux séries qui étaient souvent citées comme des classiques de la “littérature martienne” – Red Mars, Blue Mars et Green Mars de Kim Stanley Robinson, et Mars et Return to Mars de Ben Bova.
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Red Mars PB:B Format PB
La volumineuse saga de Kim Stanley Robinson est généralement louée pour son réalisme, pour le sérieux de son arrière-plan scientifique. Étant assez ignare en ce domaine, je ne suis pas vraiment capable d’en juger, mais la lecture donne en effet l’impression que l’auteur s’est bien documenté sur les aspects techniques de son sujet. C’est malheureusement tout ce que l’on peut trouver au crédit de ces pavés lourds, ennuyeux et d’une incroyable prétention. S’il n’y avait que les aspects techniques, cela passerait encore, mais ils sont mis au service d’une espèce de socio-politique de bazar, un salmigondis de théories mal digérées, une sorte d’écolo-marxisme qui finit dans un délire messianique, et est asséné tout au long des trois tomes avec un imperturbable sérieux.
Les deux tomes de Ben Bova sont moins prétentieux, ce qui les rend déjà plus sympathiques, mais n’apportent pas grand-chose non plus à la littérature. C’est en effet l’archétype du roman politiquement correct, formaté avec soin pour les familles américaines. C’est une sorte de scénario de télé-réalité,  avec un casting minutieusement étudié pour représenter favorablement toutes les minorités, et des participants à la psychologhie suffisamment primaire pour qu’aucun lecteur ne risque de se trouver intimidé. Au crédit de l’auteur, on notera quand même un style agréable, un tiers-mondisme sympathique mais qui aurait pu être plus subtil, et une intrigue habilement menée.
Je me suis forcé à finir ces deux sagas, mais la littérature de science-fiction “sérieuse” sur l’exploration ou la colonisation de Mars m’a semblé bien lourde et didactique. On est très loin aussi bien de l’humour de Frederic Brown que de la poésie de Ray Bradbury, mais les ouvrages de ces derniers ne nous auraient sans doute été d’aucune utilité pour réaliser ce jeu. »
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Depuis, bien sûr, il y a eu en 2014 le succès retentissant du petit roman Seul sur Mars et du film qui en a très rapidement été tiré. Suite à un accident, un astronaute s’y retrouve naufragé sur la planète rouge, et, bricolage après bricolage, parvient à y survivre en attendant les secours. Tout le charme du roman d’Andy Weir vient de ce que, tout en étant plus léger et moins ambitieux que les pavés cités plus haut, il n’en était pas moins bien écrit, sérieusement documenté et relativement réaliste. L’adaptation cinématographique à grand spectacle par Ridley Scott perd bien sûr en légèreté, mais elle est efficace et restitue bien la tension de l’histoire.

Il est fort probable que les auteurs des jeux martiens qui paraissent l’un après l’autre ces jours-ci ont été inspirés par le film ou le roman – un décalage de deux ans correspond plus ou moins au temps qu’il faut pour imaginer, développer et publier un jeu. Du coup, je m’étonne qu’aucun jeu ne reprenne plus clairement l’intrigue du Martien. On imagine bien en effet un jeu de communication restreinte, dans lequel l’un des joueurs, seul sur Mars, devrait parvenir à communiquer par quelques rares indices avec les autres qui, restés sur terre, cherchent à lui envoyer des secours. On peut aussi imaginer quelque chose comme Not Alone, en version coopérative.

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NASA motivational posters.

Il y a d’autres explications possibles à l’engouement actuel des auteurs de jeux de société pour Mars. les nouveaux projets spatiaux américains, notamment le SLS qui devrait relancer l’exploration du système solaire, à commencer par Mars, font parler d’eux, et la NASA elle même tente d’intéresser le grand public à ses projets. Je ne dis pas que l’agence est derriére la parution de ces jeux, mais il y a quelque pqrt une équipe qui travaille à populariser la conquête de Mars, et leur travail commence à porter ses fruits.

La planète rouge permet aussi d’imaginer la colonisation d’une véritable terra nullius, contournant ainsi les ambiguïtés historiques et politiques parfois reprochées aux jeux de colonisation, à une époque où le politiquement correct commence à se faire sentir, pour le meilleur et pour le pire, dans les thèmes ludiques. J’avais déjà rapidement évoqué cette idée dans mon article sur « décoloniser Catan ». Ce n’est pas un hasard si First Martians reprend certains systèmes de Robinson Crusoë.

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Space X motivational posters.

Quoi qu’il en soit, il semble que nous n’ayons pas fini d’explorer, terraformer, coloniser et développer Mars dans les mois qui viennent – et si tous ces jeux sont aussi bons que Terraforming Mars, c’est tant mieux.


There’s something about Mars, with four square and ocre game boxes published almost simultaneously.

 I’m quite proud of Mission Red Planet, a tricky and eventful majority game designed with Bruno Cathala, a new edition of which has just been published.

 I’ve just played my first game of something much more serious, the outstanding Terraforming Mars, a management and development game by a newcomer, Jacob Fryxellius. I’m very curious of the upcoming First Martians, a hybrid cooperative game designed by the talentuous Ignacy Trzewiczek using the same basic engine as his Robinson Crusoe. Martians, A Story of Civilization, by Grzegorz Okilinski et Krzysztof Wolicki, looks like much heavier stuff, but I’ve heard really good things about it. In ten minutes browsing the Boardgamegeek, I found half a dozen more coming, like Mission to Mars 2049 or Surviving Mars, of which I know nothing.

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The four Martian games everyone is talking about.
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Two of the many other ones.

Looks like the air is fresh, red and lacking in oxygen.

In science-fiction literature, the exploration and colonization of Mars is a very specific topic, the place for relatively hard science, serious and realistic, with little room for fantasy. This also shows in the realistic and sober graphics of most martian games. Mission: red Planet is the only one for which the publisher opted for a steampunk style, and some humor. The action is supposed to take place in an alternate late nineteenth century, but Bruno and I originally had in mind the middle of the twenty-first one, like in the other games.

mars-p1 mars-p2 mars-p3Three visions of Mars – usually ocher, circular and flat.

This is not entirely new. There has already been a few good games about exploring, mining and colonizing Mars, but I don’t think there has ever been that many published in a short time.  How can we explain this sudden enthusiasm for the red planet?

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Two older games I remember playing.

We can first look at literature and movies. When, in the early 2000s, Bruno Cathala and I were working on Mission: Red Planet, we dutifully read the classics in Martian literature. Here’s what I have written then when discussing the game’s design process:

“Since we started with the theme, and wanted to make something realistic, I decided to look for some serious documentation. I first browsed some of the many websites devoted to Mars exploration and to some more or less zany colonization projects. I had not read any science fiction book for quite long and ordered the two series that were most often quoted as classics of “martian litterature”, Red Mars, Blue Mars and Green Mars by Kim Stanley Robinson, and Mars and Return to Mars by Ben Bova.
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Red Mars PB:B Format PB
Kim Robinson’s saga is often praised for its realism, for its serious scientific background. I’m not competent in this matter, and therefore cannot really judge it on this, but at least it feels as if the author seriously studied the technical aspects of the question. That’s the only positive thing for these long, heavy and pretentious tomes. Unfortunately, Kim Robinson’s technical competence is used as a support for a political hodgepodge, a mish mash of ill-digested social theories, a kind of ecolo-marxism that ends in a delirious messianism, which is regularly and systematically forced upon the reader with boring and unruffled seriousness.
Being far less pretentious, the two tomes of ben Bova make for a more pleasant reading, but this Martian TV reality show adds little to litterature. It is a well written politically correct novel, carefully formatted for US families. Like in a reality show, the casting is designed to give a positive picture of all minorities, and the psychology of the characters simple enough to prevent any reader to be intimidated. The author can however be given credit for his clear style, for his nice, if not always subtle, third-world support, and for a well-designed plot.
I forced myself to read these sagas till the end, and my overall impression is that the literature about exploring and colonizing Mars is heavy and didactic. All this was far from the humorous wit of Frederic Brown od the poetic subtleness of Ray Bradbury, whose books could unfortunately not be of any help in designing this kind of game.“
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This was in 2005. Since then, there has been a major hit in Martian literature, Andy Weir’s thriller The Martian, and the movie Ridley Scott’s made out of it. After a dramatic accident in a temporary space station, an astronaut ends stranded on Mars and manages to survive long enough, the MacGyver’s way, for a rescue mission. The novel was an unexpected hit, mostly because it was much lighter and unassuming than the heavy tomes I’ve listed before, but nevertheless well written, seriously documented and very realistic. The spectacular movie loses much of the lightness from the book, but compensates with suspense and tension.

Most of the Martian games published now were certainly inspired by the novel and/or the movie, a two years delay being more or less what’s required to design, playtest and publish a game. Surprisingly, none of these games is based on the core intrigue of the Martian – the lone astronaut stranded on the planet and trying to communicate with the earth. This could have made for a great game of restrained communication, something like a cooperative version of Not Alone.

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NASA motivational posters.

There might be other reasons for the recent flow of Martian boardgames. The new US space projects, and specifically the SLS, aim at starting a new wave of exploration of the solar system, starting with Mars, and the NASA has tried to raise some public interest for this. I’m not saying the space agency is behind the publication of these boardgames, only that there must be somewhere a small team working at popularizing the conquest of Mars, and their work is starting to pay off.

Political correctness, for better and for worse, is also starting to be a strong issue with game settings, and the Red Planet is a place where we can imagine the colonization and development of a real terra nullius, thus avoiding political ambiguities of colonization games with historical settings. I already discussed this a bit in my “Postcolonial Catan” article a few years ago.  One should not be surprised that First Martians recycles some systems from Robinson Crusoe.

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Space X motivational posters.

Anyway, it looks like we’ll spend many game nights, in the coming months, exploring, terraforming, colonizing and developing Mars. And if all the upcoming games are as good as Terraforming Mars, this will be for the best.

Citadelles en petite boite carrée

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Les nouvelles éditions française (et je pense espagnole) de Citadelles, en petite boite carrée, arrivent ces jours-ci en boutique. Cette édition “classique” est, pour l’essentiel, identique à la toute première version du je, publiée il y a maintenant quinze ans. Elle comprend donc les huit personnages “de base”, Assassin, Voleur, Magicien, Roi, Évêque, Marchand, Architecte et Condottiere, et quatorze merveilles aux effets relativement simples. Pour les fans du jeu, une édition avec une dizaine de nouveaux personnages et de nouvelles merveilles, et aussi de nouvelles illustrations, arrivera en 2017. On ne sait pas encore comment elle va s’appeler (ultime? définitive? complète?) et toutes les suggestions sont les bienvenues.

Anja Wrede

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Anja Wrede est une rouquine berlinoise qui, depuis une vingtaine d’années, publie des jeux pour enfants. Elle a d’abord travaillé chez Haba, avant de prendre son indépendance, et a souvent travaillé en collaboration avec d’autres auteurs d’outre-Rhin. Au fait, non, ce n’est pas la femme de Klaus-Jürgen Wrede. Anja publie certains de ses jeux par sa propre boite d’édition, Siebenschläfer, du nom allemand d’une souris qui hiberne sept mois de l’année – moi, je ne savais même pas que les souris hibernaient.
Anja a aussi un autre talent, que j’envie d’autant plus qu’il m’est totalement étranger et difficilement compréhensible, elle dessine remarquablement bien ce qui lui a permis d’illustrer elle-même la plupart de ses créations, le plus souvent avec toutes sortes d’animaux tous plus mignons les uns que les autres.

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Illustration d’un de nos prototypes

Étant un peu plus âgé que son public cible habituel, je n’ai pas joué à toutes les créations d’Anja. Je vous en conseille néanmoins  vivement deux qui marchent aussi bien avec les grands qu’avec les petits, Cache Dragon, conçu avec Christoph Cantzer, avec sa balle en lévitation au dessus de la boite de jeu, et Carole et ses drôles de recettes, un drôle de jeu de cartes et de cuisine où l’on tape sur la table avec une cuillère en bois.

carole2caroleCarole et ses drôles de recettes / Karla Kuchenfee / Moo’s Code

Anja est une habituée des rencontres ludopathiques que j’organise chaque année pour retrouver quelques auteurs, éditeurs et amis joueurs. On se croise aussi de temps en temps, à Paris, à Berlin ou ailleurs, et il était inévitable que nous nous mettions à concevoir quelques jeux ensemble.

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Le premier, Grabbit, reste mon chouchou, mais nous avons malheureusement dû l’abandonner lorsque nous avons vu paraître un autre jeu vraiment très proche – l’idée était sans doute dans l’air. Les autres ont eu plus de chance et de succès, puisque Fearz! arrive en boutique ces jours-ci et que deux autres, dont notre première participation à la magnifique collection Contes et Jeux chez Purple Brain, devraient suivre l’an prochain. Mon seul petit regret est que, vraisemblablement, aucune de nos collaborations ne sera illustrée par Anja – raison de plus pour continuer à travailler ensemble.


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Anja Wrede is a Berlin redhead and has been designing children games for now twenty years. She first worked at Haba, before getting independent and collaborating with several other German game designers – and, by the way, no, she’s not Klaus-Jürgen Wrede’s wife. Anja publishes some of her lighter games through her own one-person company, Siebenschläfer, named after a German mouse which hibernates during seven months every year – before checking this, I even didn’t know that mice could hibernate.
Anja has another talent, which I‘m terribly jealous of because it is completely foreign to me, almost impenetrable – she draws remarkably well and she has illustrated most of her own games with various cute animals.

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Since I’m much older than Anja’s usual target audience, I’ve not played all of their games. I can however praise and recommend a few ones I really like, especially Dragi Dragon (designed together with Christoph Catntzer) with its levitating ball floating over the game box and Moo’s Code, a fun card game about cooking in which players have to hit the table with a wooden spoon.

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Anja clearly winning at Toc Toc Toc at the 2003 ludopathic gathering. Now she has more hair and I have less.

Anja is a regular at my Ludopathic Gathering, a yearly meeting I organize every year with gamers, designers and publishers I really like. We also sometimes meet in Paris or Berlin, and even when our styles have so far been very different, we had to try to design something together some day.

fearz-protoSketches for the Fearz prototype

Our first design, Grabbit, is still my favorite one but we had to abandon it when a a very similar game was published – the idea was quite simple and must have been in the air. We were more lucky with the next ones. Fearz! was at the Essen fair and will hit the shelves very soon and two more, including a game in the gorgeous tale & games series by Purple Brain. My only concern is that, so far none of our common designs will be illustrated by Anja herself. That’s one more reason to keep working together.

mysterium

Festival Internacional de Juegos de Cordoba

cordobaEn revanche, j’étais le week-end dernier à Cordoue, invité au plus modeste mais très sympathique de Cordoue. Il faisait beau, le lieu était splendide, et mes jeux étaient partout, comme vous pouvez le voir sur l’affiche du festival et sur photos ci-dessous (chipées en partie sur les pages facebook de mes collègues Roberto Fraga et Juan Rodriguez, parce que je ne suis pas bon photographe).

On the other hand, I was last week at the more modest but really nice Cordoba international game fair. The weather was nice, the place was splendid, and my games were everywhere, as you can see on the festival poster and on the pictures below – some of the borrowed from the facebook pages of fellow game designers Roberto Fraga and Juan Rodriguez, because I’m not a good photographer.

Après l’âge d’or
After the Golden Age

Bruno Shaman

L’âge d’or

Jamais le jeu de société ne s’est aussi bien porté. Plus d’un millier de jeux paraissent chaque année, contre à peine une centaine il y a trente ans lorsque je publiais mes premières créations. Des jeux plus nombreux, mais aussi mieux conçus, mieux édités, mieux produits, moins chers et dont les ventes augmentent régulièrement. Ce qui était un hobby un peu marginal est devenu une industrie florissante, avec depuis une décennie des taux de croissance à deux chiffres – même si c’est en vain que j’ai cherché des données sur le chiffre d’affaires global du secteur.

Auteurs, éditeurs et vendeurs, tous des passionnés, sont aussi de plus en plus nombreux à vivre, parfois bien, de cette activité. Il est même devenu possible aujourd’hui d’être un illustrateur, voire un critique de jeu professionnel. Autour des éditeurs, gros, moyens et petits, tout un écosystème s’est mis en place, avec des boutiques, des bars, des festivals, des sitew webs de plus en plus nombreux. Une véritable culture du jeu de société s’est constituée, qui est trop souvent ignorée des médias mais qui, quand elle ne l’est pas, a plutôt bonne presse. Les jeux de société sont donc de plus en plus reconnus, au même titre que les jeux video, comme des créations culturelles dignes de commentaires, d’analyse et de critique. De nouveaux genres sont nés, comme les jeux de cartes à collectionner, puis les jeux de coopération, et aujourd’hui les « legacy games ». Si l’on me regarde de moins en moins souvent comme un grand enfant, ce n’est pas parce que mes jeux se vendent mieux, c’est parce qu’ils sont pris plus au sérieux.

Bref, le jeu de société est en plein boom. Ce devrait être une raison sinon pour s’inquiéter, du moins pour se demander si cela va continuer. Si je suis modérément optimiste, je voudrais néanmoins aujourd’hui discuter de quelques nuages à l’horizon, certains plus menaçants que d’autres.

Tablettes en carton

S’il est un lieu commun fréquemment entendu dans les discussions sur l’avenir du jeu de société, c’est que le jeu video serait un jeune rival en passe de tuer, ou de phagocyter, le bon vieux jeu de carton. Cette prédiction têtue, sans cesse reprise par les médias depuis une trentaine d’années, ne s’est toujours pas réalisée, et je ne pense pas qu’elle ait plus de chances de le faire dans les années qui viennent. Lorsque les médias s’intéressent au succès actuel des jeux de société, c’est pourtant encore cette analyse un peu réactionnaire qu’ils convoquent, expliquant que le jeu de société, moins froid, plus rassurant, plus convivial, « résiste » aux jeux videos.

Penser que le jeu video pourrait remplacer le jeu de société, c’est un peu comme penser que le cinéma aurait pu remplacer la lecture. Ce sont des activités certes cousines mais différentes, et tout comme les amateurs de cinéma sont aussi souvent de grands lecteurs, les passionnés de jeux de société sont aussi souvent de grands joueurs de jeux video. De nombreux auteurs – même si ce n’est pas trop mon cas – passent aussi volontiers de l’un à l’autre. Les jeux videos, et dans une moindre mesure les jeux de rôles, ont même depuis une trentaine d’années beaucoup fait pour le jeu de société, en faisant accepter l’idée que le jeu n’était pas une activité réservée aux plus jeunes.

Plus qu’un remplacement des cartes et des pions par des tablettes et des hologrammes,  qui n’apporterait finalement pas grand chose, nous assisterons plus probablement à des allers retours, à des hybridations dont on ne sait pas encore très bien quelles formes elles vont prendre. Il y aura sans doute cependant toujours aussi des jeux de cartes et de pions et des jeux sur écran, tout comme il y a encore des romans et des films.

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Fearz, mon premier jeu hybride.

La bulle

Je radote. J’ai déjà écrit sur ce site il y a un ou deux ans, et déjà encore il y a quatre ou cinq ans, que le marché du jeu de société vivait un phénomène de bulle, et que l’explosion approchait. Peut-être même l’ai-je déjà écrit sur mon ancien site il y a dix ans. Les événement m’ont, jusqu’ici, donné tort, mais les motifs d’inquiétude sont toujours là.

La situation du jeu de société aujourd’hui ressemble à celle de la bande dessinée il y a une quinzaine d’années. Si le nombre de jeux vendus augmente, le nombre de jeux publiés, d’éditeurs, d’auteurs et d’ « acteurs du milieu » en tous genres augmente au même rythme, voire plus rapidement encore.

Concevoir un jeu de société demande une certaine imagination, une certaine culture ludique, un esprit clair, mais cela ne demande pas le même génie ni, surtout, le même travail qu’écrire un roman ou tourner un film. Informatique, kickstarter et réseaux aidant, il est devenu assez aisé de monter une petite boite d’édition le soir en rentrant du boulot, du vrai. Il y a quinze ans, tous les fans de BD voulaient faire de la BD; aujourd’hui, tous les joueurs se veulent auteur ou éditeur de jeux. Il y a de la place, mais il n’y en aura sans doute pas pour tout le monde, d’autant que les ventes ne peuvent pas continuer à augmenter au même rythme. Je sais, le marché chinois décolle, mais je ne serai pas étonné qu’il s’y vende bientôt surtout des jeux chinois, comme l’excellent CS Files.


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CS Files, un fabuleux jeu de déduction venu de Chine, bientôt en français chez Iello.

Quand la croissance va ralentir, la concurrence s’exacerber, les marges diminuer, beaucoup de petits éditeurs vont disparaitre, et les gros vont faire le ménage dans leur gamme, ne publiant plus qu’un petit nombre de valeurs sures. Très exactement ce qu’il s’est passé, si j’en crois mes amis illustrateurs, dans le monde de la bande dessinée quand ils étaient jeunes. Kickstarter limitera peut-être les dégâts en permettant une forme de vanity publishing.

Je me suis trompé jusqu’ici, je me trompe peut-être encore. Le jeu de société est plus international que ne l’était la bande dessinée, et se vend plutôt mieux en période de crise. Si les médias parlent plus de nous, si nos jeux sont mieux distribués, si les nouvelles générations jouent autant que les précédentes, si des jeux vraiment innovants sont publiés, si l’on parvient à vendre plus en Russie, en Chine ou au Brésil, nous avons peut-être encore quelques années de croissance devant nous, mais sans doute pas beaucoup.

Business

Parce que les jeux se vendent bien, parce que le secteur est dynamique et rentable, nous avons vu arriver de nouvelles têtes, généralement bien peignées et soigneusement rasées, les commerciaux et les businessmen. Quelques petits éditeurs ambitieux, montés par des gamins tout frais sortis d’une école de commerce, ont pensé faire leur trou facilement dans un monde de vieux hippies et de punks sur le retour. Beaucoup, trop sûrs d’eux, se sont plantés faute de chercher ou de parvenir à comprendre la culture ludique. Les plus malins se sont adaptés et sont devenus des joueurs fort sympathiques. Quand les gens changent, l’ambiance change aussi, et l’on parle de plus en plus de chiffres et de moins en moins de jeux. Je ne veux pas avoir l’air de cracher dans la soupe, et je me réjouis que les chiffres soient bons, mais je ne peux m’empêcher de craindre que le nouveau style ne soit moins favorable à la créativité ludique, au moins pour les jeux que j’aime. Le retour du mot “test” pour désigner les critiques de jeu relève un peu de la même conception du jeu de société comme pur produit et non comme création culturelle.

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Asmodée, le diable boiteux.

Il n’y a pas que les petits, il y a aussi les gros, ou plus précisément le gros, Asmodée. Tout le monde a oublié que le démon de la luxure était d’abord un petit éditeur de jeux de rôles d’un goût douteux. Il est peu à peu devenu un gros éditeur de jeux de société grand public, avant d’être racheté par un grand groupe financier, Eurazeo, qui a investi pas mal d’argent pour le faire grossir encore en reprenant partenaires et concurrents. Un petit auteur comme moi, qui avait fait le choix de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, se retrouve donc avec presque tous ses petits paniers dans le même gros panier. Les anciennes têtes sont toujours là, mais on les voit moins. Les nouveaux sont plutôt sympathiques, mais il est clair que cette « consolidation » n’a pas fini de transformer le marché du jeu de société, et pas seulement en France. Le petit jeu lors des salons est de parier sur la prochaine acquisition d’Asmodée – AEG ? CMON ? Czech Games ? Portal ? un allemand ? Il est fort possible que cela s’arrête là, et la vraie question n’est alors pas qui Asmodée va racheter, mais qui va racheter Asmodée, quand, comment et pour en faire quoi. Hasbro ou Mattel ? Un groupe de presse et de médias ? Un studio de jeux video ? Un autre groupe financier ?

Religions

Ceux qui me connaissent un peu savent que je suis fasciné par les similarités, déjà notées par Pascal, entre le jeu et la religion. La popularité croissante des jeux, qu’il s’agisse du jeu video ou du jeu de société, et le retour actuel des religions me semblent avoir une cause commune, une certaine angoisse face à un monde de plus en plus complexe et incompréhensible. Jeu et religion sont en effet construits sur le même principe, l’adoption d’un ensemble de lois arbitraires pour se simplifier la vie, la différence étant que les règles du jeu sont transitoires et futiles quand celles des religions se veulent définitives et absolues et prétendent rendre compte de la réalité.

Parce qu’ils sont si proches et ont les mêmes causes, jeu et religion sont rivaux et largement incompatibles. Un croyant n’a nul besoin de jouer, de se simplifier une vie qui est déjà simple, de se construire des règles claires dans une vie qui en a déjà. Les religions monothéistes ont d’ailleurs souvent condamné non seulement le jeu de hasard, vu comme une mise à l’épreuve de Dieu par la tradition chrétienne (dommage, l’idée est marrante) et assimilé à la sorcellerie par l’islam (dommage, l’idée est marrante), mais aussi l’ensemble des jeux perçus comme divertissements stériles – ce qu’ils sont d’ailleurs, et c’est tant mieux.

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Andrea Mantegna, La Crucifixion, vers 1459

C’est sans doute le moindre de ses dangers, mais la montée actuelle du sentiment religieux remet en cause les évolutions, récentes et fragiles, qui ont fait du jeu une activité socialement valorisante pour tous et non plus réservée aux enfants, une activité acceptable en elle-même, sans avoir à justifier de vertus morales ou pédagogiques. Si, comme on peut le craindre, la société de demain fait plus de place aux religions, elle fera moins de place au divertissement, à l’humour, à la futilité, et aux jeux.

Je reste relativement optimiste. La popularité actuelle des jeux de société est plus qu’un effet de mode, et ses causes ne devraient pas disparaitre du jour au lendemain. Moins qu’à un brutal et durable retournement de tendance, il faut plutôt s’attendre à quelques réajustements dans un secteur qui a sans doute un peu trop pris l’habitude que tout aille vraiment très bien. Mais, bon, si ça tourne mal, vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus.


Bruno Shaman

The golden age

Boardgames are thriving more than ever. Thirty years ago, when my first games were published, there were only a few dozen new boardgames released each year ; now there are more than a thousand. Games are more numerous, they are also better designed, better published, better produced and, last but not least, cheaper. And, of course, they sell in much larger quantities. What was once a marginal and childish hobby has turned into a flourishing industry, which has just closed on about ten years of double digit growth rates – even though I’ve not found precise figures of this global industry sales.

There are more and more designers, publishers and game sellers making a living, and sometimes a comfortable one, in the game industry. It’s even possible now to be a professional game illustrator ore reviewer. Next to the big, middle-sized and small publishers, there is now a whole and vastly growing ecosystem of boardgame shops, boardgame cafés, boardgame clubs, boardgame websites, gboardgames fairs and conventions. A true gaming culture has emerged. It is still largely ignored by the big media, but when it isn’t, it’s usually discussed in a very positive light. Like video games, boardgames are more and more considered like cultural creations worthy of analysis and review. Whole new genres have emerged, like collectable card games, cooperative games, and now legacy games. Twenty years ago, when I told people that I was a boardgames designer, they would look at me like at a big kid. They rarely do now, not because my game are selling better but because they are taken more seriously.

There is a boardgames boom; so we should ask ourselves if there will soon be a bust. I’m relatively optimistic, but I’d like to discuss here a few worrisome trends, some more threatening than others.

Cardboard tablets

Video games are slowly putting boardgames out of the market. This is the most common cliché about the perspectives of the boardgames industry. This trite prediction has been regularly repeated in mainstream medias for about thirty years. It didn’t happen so far, and there’s no reason to think that it will anytime soon. Even when medias want to discuss the actual boardgames boom, they rely on this slightly reactionary analysis and explain that boardgames, being more convivial, more reassuring, less cold are « resisting » the invasion of video-games.

Stating that video games could replace boardgames is a bit like stating that movies could have replaced books. They are similar activities, with intercrossing cultural references, but not competitors. Most avid movie goers are also avid readers; similarly, most avid boardgamers are also avid video gamers. Many game designers also regularly move from one to the other, even though it’s not my case. Boardgames have long been considered a child activity. These last thirty years, video games, and to a lesser extent role playing games, have finally made adult gaming socially acceptable. This has been a boon for the boardgames industry.

Replacing cards and tokens with tablets and holograms probably won’t happen, and if it doesn’t, it won’t be a big deal. What is both more likely and more interesting is back and forth influence and hybridations, of which we don’t know yet what exactly they will look like. The first hybrids I’ve seen have been disappointing, but there will be more. There will also certainly still be board and card games and tablet ones.

fearz
Fearz, my first hybrid game.

The bubble

I’m rambling. I already wrote here four or five years ago, and again one or two years ago, that there was a boardgames bubble, and that it would bust soon. I may even have written the same prediction in my older website some ten years ago. I’ve been wrong so far, but the reasons to worry are still there.

The situation of the boardgame industry nowadays feels a bit like that of comics (at least in Europe, since I don’t know much about US comics) fifteen years ago. The number of games sold every year is growing fast, but the number of games published, of publishers, of designers and of people involved in various way in the boardgame industry is growing as fast, or even faster.

Designing a game requires some imagination, some gaming culture and a clear mind. It doesn’t require the same talent, and even more the same actual work, as writing a book or making a movie. Thanks to computer, networks and kickstarter, it has become possible to start one’s own small publishing company on after work hours – I mean, actual work. Fifteen years ago, all comics fans dreamt of becoming comics author or publisher; nowadays, every boardgame player wants to become game designer or publisher, and can easily try. There’s still some room, but there won’t be enough for everyone, since the sales won’t keep growing at the same pace. I know, the Chinese market is starting to grow, but I wouldn’t be surprised if it soon becomes mostly Chinese games, like the outstanding Deception / C.S. Files.

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CS Files, a fabulous deduction game coming from China.

When sales start to slow, competition will become fiercer, margins will shrink, small publishers will disappear, and big ones will cut back on their catalog, keeping only the true lasting best sellers. This is exactly what, according to my illustrator friends, happened with european comic books when they were young. Kickstarter might limit the damage,  but less as a way to start a small company on the cheap than as a sort of vanity publishing.

I’ve been wrong so far, may be I am still. The boardgame market is more international than comics, and boardgames sales can be better in times of crisis. If the medias keep on being nice with us, if the young generations play as much as the older ones, if game designers keep coming up with innovations, if Russians, Chinese and Brazilians buy more game (and our games) we might have a few more great years.

Business

Boardgames sell, the industry is dynamic and profitable, so new faces came in these last few years, well groomed and clean shaven – businessmen. Young men right out of business schools started small but ambitious publishing companies, thinking it would be easy to kick out old hippies and aging punks. Most were overconfident and quickly failed because they didn’t try or didn’t manage to understand the board gaming culture. The most fun and clever ones adapted, and are now part of the hobby. Anyway, when people change, the mood change, and the talk at game cons is less and less about game design and more and more about sales figures. Of course, I’m glad that the figures are good, and I don’t want to bite the devilish hand that feeds me, but I can’t help thinking that the new mood might not be as good for creativity in game design – or at least for the games I like.

asmodee
Asmodeus, the lame devil.

Speak of the devil, there are not only small companies. There are also big ones, and especially one – Asmodee. A small fringe company publishing home-made edgy RPGs and named after the lame devil of lust first turned into a mainstream bordgame publisher, and was then bought by a large private equity firm, Eurazeo, which invested some considérable money in consolidation, acquiring a few partners and competitors. As an author, I had so far managed not to have all my eggs in one basket, and now most of my small baskets are in the same bigger one. Old faces are still there, though we don’t see them as often as we did. Most new faces are quite nice, but it’s clear that this consolidation is transforming the whole boardgames business, especially viewed from France. The joke at last GenCon was to bet on who will be the next acquisition – AEG? CMON? Czech Games? Portal? Some German?. Actually, I think it might also stop here. Anyway, the real question is not whom Asmodee will buy next, but rather who will buy Asmodee, when, how and what for? Hasbro or Mattel? A media group? A video game company? Another private equity firm?

Religions

(the friend who proof read my translation warned me that this analysis might be politically less relevant in the US than in Europe)

My friends know that I am fascinated by the similarities between gaming and religion. It seems to me that the growing popularity of both boardgames and video games and the strong comeback of religions have the same cause, our anguish of living in an always more complex, incomprehensible and meaningless world. Game and religion are based on the same intellectual software – a totally arbitrary set of rules aimed at making life simpler. The difference is that game rules are transitory and frivolous, while religious ones claim to be definitive and absolute, and even to make sense of reality.

Since they are so similar, and share the same motives, game and religion are rivals, and are largely incompatible. A true believer has no need for playing, no need for clear and simple rules in a life which is already driven by clear and simple rules. Monotheist religions have regularly disapproved of games, and sometimes formally condemned them. Christian tradition considers that games of luck are a way of putting God to the test (which could be fun, but is bad), and Islam assimilates them to sorcery (same remark). More generally, religions tend to view all games as futile and frivolous diversions (which they are, for the best) and dislike everything futile and frivolous.

mantegna
Andrea Mantegna, Crucifixion, circa 1459

It’s certainly the least of its dangers, but the actual comeback of fierce religious thought calls into question some of the recent changes which have made games an honorable and socially acceptable activity for everyone, and not only for kids, and an activity acceptable by and for itself, without any need for moral or pedagogical justifications. If there’s more room for religion in tomorrow’s society, which is possible, there will be far less room for futility, for fun, for diversion, for humor and for games.

I’m still relatively optimistic. The popularity of boardgames is not just a fad. There are sound reasons for it, which should not disappear overnight. We should probably not fear a sudden bust, but rather a few adjustments in an industry where everyone has become used to not worry about anything. But anyway, if things do end up turning really bad one of these days, I will be able to say I did warn you !

More about discussing Waka Tanka’s theme

waka-tanka

The site reading and gaming for Justice has published an interesting response to the articles in which I discussed and tried to explain the setting of my game Waka Tanka.

My original articles
Race and game imagery in Europe and the USA
Waka Tanka
The response

Waka Tanka : A response to Bruno Faidutti

The only thing I’d like to add to this response is that the more I see this topic discussed, the more I think the issue is less about indigenous people or racism than about the cultural differences between the US and Europe. And, even when I see us moving slowly towards the American way, I think the traditional European take on caricatures, viewing them as an art form like any other, is far more sane than the American way, which considers them disparaging by nature. The latter indeed leads to overinterpretation, if not misinterpretation, of everything not both American and contemporary.

Waka Tanka

Quelques bons jeux auxquels j’ai joué récemment
A few good games I’ve played recently

Il faut vite que je fasse un petit article sur les bons jeux auxquels j’ai joué récemment avant que n’arrive la caisse que je me suis fait envoyer après la Gen Con. S’ils sont assez peu nombreux, c’est parce que j’ai aussi pas mal passé de temps sur mes prototypes.

Gros jeux

Je n’ai, ces derniers temps, joué qu’à deux gros jeux, un tout nouveau et très discuté sur le « web ludique », Scythe, et un plus ancien mais nouveau pour moi, Concordia. À première vue, tout, à commencer par des noms qui suggèrent la guerre et la paix, semble opposer ces deux jeux. Scythe, de Jamey Stiegmaier, se présente comme un gros jeu de baston à l’américaine, sur un thème uchronique magnifiquement servi par les illustrations réalistes et baroques de Jakob Rozalski. Concordia, de Max Gerdts, se veut un jeu de commerce et de gestion à l’allemande, très pacifique, et il vaut mieux ne pas parler des illustrations. Ils sont pourtant plus proches qu’il n’y parait. On ne combat pas tant que cela dans Scythe, et l’on rivalise autant que l’on échange dans Concordia. Nous avons là en fait deux gros jeux de développement, dans lesquels chaque joueur « construit son logiciel » en gardant un œil attentif sur les actions de ses rivaux – plutôt pour s’en rapprocher dans Concordia et s’en éloigner dans Scythe. Scythe fait aussi un peu penser à Cthulhu Wars, et je pense que c’est Scythe qui va rester.

scytheconcordia

La boite de Isle of Skye, d’Andreas Pelikan et Alexander Pfister, est plus petite, mais le jeu reste bien calculatoire. C’est un jeu de pose de tuiles à la Carcassonne, et qui plus est où chacun construit son petit royaume dans son coin, un genre qui à priori ne me séduit guère. Ça marche pourtant, parce que c’est dynamique, relativement varié, et plus interactif qu’il n’y parait, grace aux enchères – et ça, j’aime toujours. On dirait du Knizia d’il y a quinze ans – ce pourrait être un reproche, mais là c’est un compliment.

isle of skye

Petits jeux

Richard Garfield semble ces dernières années se spécialiser dans les jeux que j’aurais pu faire, à moins que ce ne soit l’inverse. Quoi qu’il en soit, je me suis bien amusé avec Greedy Greedy Goblins. Les gobelins, ça creuse vite, très vite, tous en même temps, en sortant de la mine des trucs et des machins sans vraiment prendre le temps de les regarder, jusqu’à ce que quelqu’un décide de filer avec l’un des tas.

animals on boardgreedy greedy goblins

Animals on Board, de  Wolfgang Senkte et Ralf zur Linde, et un petit jeu de cartes – même si ce sont des tuiles – qui propose un mélange astucieux de « stop ou encore » et de « je partage, tu choisis ». Comme pour Concordia, je ne dirai rien sur les illustrations, mais le jeu est vraiment très agréable.

Yesss! de Romaric Galonier, est basé sur un concept voisin de celui de Codenames, mais crée des sensations très différentes. On n’y associe en effet que des paires d’images et, surtout, un système astucieux permet de mettre les autres joueurs au défi de faire trouver telle ou telle paire, tout en se réservant le droit de le faire s’ils refusent. Ça aussi, c’est malin et amusant.

yesssgaijin dash

Gaijin Dash, d’Antoine Bauza et Corentin Lebrat, est un jeu de rapidité idiot dans lequel les joueurs sont des étrangers en visite au Japon et ayant la mauvaise idée de ne pas attendre le feu vert pour traverser, comportement antisocial et extrêmement dangereux. C’est très bête, et c’est très drôle.


With the big crates of games I got at Gen Con arriving one of these days, it’s high time I write a short article about the good games I’ve been playing these last months. There are not that many, mostly because I spent much time on prototypes.

Heavier stuff

These last months, I’ve played two good and rather heavy games. One, Scythe, is brand new and largely discussed on boardgaming websites. The other one, Concordia, is already three years old but was new to me. At first look, these two games, whose names suggest war and peace, seem to be completely different. Jamey Stiegmaier’s Scythe looks like a big american style wargame, with a nice uchronic setting wonderfully rendered by Jakob Rozalski’s baroque and realistic graphics. Max Gerdt’s Concordia looks like a typical German style trading and development game, and better not say anything about the graphics. These two games are more similar than they seem to be. There are not that many fights in Scythe, and there is as much rivalry as trade in Concordia. Both are heave development games in which each player carefully builds his engine, while keeping a very close look at what opponents are doing – even when it’s more often to get nearer to them in Concordia and stay far from them in Scythe. Scythe also reminds a bit of Cthulhu Wars, and I think the one that will stay is Scythe.

scytheconcordia

The box of Andreas Pelikan and Alexander Pfister’s Isle of Skye is much smaller, but the game is still a brain burner. A Carcassonne like tile laying game in which each player builds his tiny kingdom in front of him, with no common board was not right up my alley. I enjoyed it a lot, because it’s dynamic, varied, and more interactive than it looks, mostly due to the auction system – and I like auctions. It feels like an older Reiner Knizia game – I know, this could be a reproach, but here it’s a praise.

isle of skye

Lighter stuff

It looks like Richard Garfield is more and more designing the kind of games I could design, or may be it’s the reverse. Anyway, I had lots of fun playing Greedy Greedy Goblins. Goblins dig fast, all at the same time, and a goblin mine is usually a great mess. they take out shining stuff in various shapes and colors, without seriously looking at it until someone grabs a pile and leaves with it. It’s a fun and clever game.

animals on boardgreedy greedy goblins

Wolfgang Senkte and Ralf zur Linde’s Animals on Board is a nice little card game – even when cards are actually tiles – mixing two systems I like « double or quits » and « I share, you choose ». Like with Concordia, better not say anything about the graphics, but the important part is the game, and it’s great.

yesssgaijin dash

Romaric Galonier’s Yesss! is based on a concept very similar with Codenames, but plays very differently. Pictures are only associated in pairs and, most of all, a clever rule allows to challenge other players to play a specific pair, while keeping the possibility to play it if they refuse. It’s fast, clever and fun.

Antoine Bauza and Corentin Lebrat’s Gaijin Dash is a rapidity game in which players are foreigners  visiting Japan and trying to cross the street before the light is green – a terribly dangerous and antisocial behavior. This game is good stupid fun.