La Carte et le Territoire
The Map and The Territory

…she has an original Parker Brothers map of the world.”
This was interesting, since the map represented the only view we had of the world before the Something That Happened. For some reason, its destruction had not been demanded under Annex XXIV.
“Does she adhere to the theory that it represents global Chromatic regions of the pre-Epiphanic world?”
“She does, although I’m doubtful myself. If we were regionally blue when Something Happened, there’d be more evidence of it now.”
“And the RISK acronym? What does she think that stands for?”
“Regional International Spectral Kolor . Yes, I know,” Mr. Lemon-Skye agreed when I looked doubtful, “it must be an archaic spelling. But get her to show you the map. It’s almost complete, you know-only the nations of Irkutsk and Kamchatka have been eaten by clodworms.”
Jasper Fforde , Shades of Grey


Si la représentation de l’histoire dans les jeux de société est un sujet de débat assez fréquent, l’usage très particulier qu’ils font de la géographie n’a jamais vraiment donné lieu à réflexion. Les auteurs de jeu sont pourtant, après les géographes, parmi les plus gros utilisateurs de cartes. Qui plus est, ils ne se satisfont généralement pas des cartes dressées par les géographes et dessinent les leurs, se souciant souvent plus de jouabilité que d’exactitude.

Les cartes utilisées par les concepteurs de jeux de société sont essentiellement de quatre types que j’appellerai, par analogie, les parcours, les puzzles, les réseaux et les grilles.

Les parcours sont faits d’une suite plus ou moins linéaire de cases, constituant soit un trajet de la case départ à la case d’arrivée, comme dans le Jeu de l’Oie ou dans mon Pony Express, soit un circuit fermé comme dans les jeux de course automobile, ou dans le Monopoly. Dans un jeu de course comme Formule Dé, la dessin des circuits peut être assez fidèle, dans d’autres, comme le Monopoly,  la pertinence géographique n’est même pas recherchée puisque c’est leur valeur immobilière, et non leur proximité, qui fait que certaines rues se retrouvent à côté d’autres.

Pony Express a l’un des plus beaux plateau de jeu que je connaisse, mais sous l’apparence d’une carte, ce n’est qu’une simple piste, comme au jeu de l’oie.

J’imaginais Lost Temple dans les montagnes des confins du Cambodge et du Laos, là ou Malraux situe l’action de la Voie Royale… j’ai été un peu surpris par la mer ajoutée par Pierô, mon ami illustrateur.

Le parcours peut être déformé, trituré, agrémenté de courbes et parfois de raccourcis pour donner l’apparence d’un plan plus que d’une ligne, mais il reste une ligne, une piste disent souvent les joueurs, qui disposent généralement d’un pion qu’ils doivent amener du départ à l’arrivée, ou auquel ils doivent faire faire un certain nombre de tours de circuit.

Le parcours d’Ave César, sans doute le meilleur jeu de course publié à ce jour, avec ses couloirs de ravitaillement et ses virages serrés, devait clairement dans l’esprit de son auteur voir s’affronter des formule 1 et non des chars romains.

Le deuxième type traditionnel de cartes utilisé dans les jeux est la carte politique, qui prend la forme d’un puzzle dont les pièces sont coloriées en quatre ou cinq couleurs différentes – rarement moins, quatre couleurs étant le plus souvent nécessaires, et toujours suffisantes, pour colorer les régions d’une carte sans que deux régions voisines ne soient de même couleur.
Certaines de ces cartes peuvent être en tous points identiques aux cartes politiques des géographes ou, plus souvent, des historiens. En effet, si la géographie sert d’abord à faire la guerre, selon la célèbre formule d’Yves Lacoste, elle sert aussi beaucoup à jouer à la guerre. Diplomacy se pratique ainsi sur une carte politique parfaitement exacte de l’Europe en 1914. Souvent pourtant, dans les jeux de guerre comme le Risk, dans les jeux de majorité comme El Grande, dans des jeux mêlant guerre et commerce comme Mare Nostrum, l’auteur de jeu est amené à prendre des libertés avec la réalité politique. Sur la carte du Risk, les États-Unis et le Canada sont ainsi divisés en plusieurs cases pour faire de l’Amérique du Nord un champ de bataille plus conséquent et plus susceptible d’être divisé. La vaste Sibérie voit elle aussi apparaître des subdivisions, Irkutsk et Yakoutie, tandis qu’un vaste royaume de Siam semble quelque peu anachronique.

10 Days in Europe anticipe l’indépendance de l’Écosse et du Pays de Galles…

Les provinces romaines, royaumes et cités antiques de Mare Nostrum, comme de tous les très nombreux jeux centrés sur une carte de la Méditerranée, portent des noms authentiques, même s’ils ne sont pas nécessairement contemporains les uns des autres, mais sont surtout de superficies à peu près équivalentes, ce qui est bien plus pratique lorsqu’il s’agit d’y placer des armées et des marchandises.

Olympos, la Grèce …et l’Atlantide.

Une toute autre localisation dans l’extension de Mare Nostrum…

Bien sûr, les univers imaginaires et fantastiques sont un bon moyen de contourner ces problèmes. Certains peuvent trouver à redire à tel ou tel détail de la carte d’Axis and Allies, nul ne peut reprocher la moindre inexactitude à celle de Conquest of Nerath.
Dresser une carte d’un continent imaginaire permet en outre de se concentrer sur l’intérêt ludique, ajoutant ici un large fleuve pour ralentir les armées ou accélérer le commerce, là une chaîne de montagne pour bloquer fermement tout passage autrement qu’à dos de dragon.

Personne ne viendra se plaindre de ce que la frontière entre Fullsome Pocket et Ellen’s Bight n’est pas bien placée.

Michael Menzel a réalisé de très nombreux plateaux de jeu panoramiques, pour Les Piliers de la Terre, L’Âge de Pierre, Andor et bien d’autres jeux…

Particulièrement intéressante sans doute pour les géographes comme pour les historiens est la carte de Viking Fury, réédité sous le nom d’Invasions. Si l’on est prétentieux, on peut y voir une tentative de représenter l’Europe “du point de vue des vikings”, mais il s’agissait sans doute pour les auteurs du jeu de dessiner l’Europe d’une manière qui permette de représenter les invasions vikings, quitte à prendre de nombreuses libertés avec la géographie physique. Le résultat est une étonnante carte un peu physique, un peu isochrone, un peu imaginaire.

La première carte de Viking Fury, une sorte de portulan viking.

Et sa luxueuse réédition, Invasions.

Un autre exemple de parti pris étonnant est la carte de Trajan, certes un jeu assez abstrait. La carte présente l’Europe septentrionale et occidentale vue depuis Rome, en mode panoramique, à la manière des plans de stations de ski. Géographiquement surprenante, elle l’est aussi pour l’historien – alors que Trajan s’est surtout battu contre les Daces et les Parthes, et qu’on lui a parfois reproché de favoriser sa Bétique natale, ni la Dacie, ni les provinces hispaniques n’apparaissent sur la carte. Il est vrai que le jeu est surtout destiné à être vendu en Germanie.

La carte panoramique de Trajan, l’Europe vue depuis le Forum.

Apparus dans les années quatre-vingt-dix, Les jeux de majorité sont un peu la version politiquement correcte des jeux de guerre. On ne s’y bat, pas on rivalise d’influence. On ne s’y tue pas, on s’expulse. Il y faut des cases peu nombreuses, une dizaine tout au plus, de préférence un peu irrégulières pour permettre des tactiques variées, et assez grandes pour que les intrigants des divers joueurs puissent y cohabiter.

La superbe carte d’El Grande, au style vaguement Renaissance a été dessinée par Doris Matthäus, qui a fait également celles, splendides, d’Elfenland, d’Elfenroads ou de Fugger, Welser, Medici.

Si Venise est particulièrement populaire parmi les auteurs de jeux, c’est sans doute parce que la ville fait rêver, mais c’est aussi parce que les canaux permettent de dresser très simplement les limites entre les quartiers.

Lorsque l’univers est assez vague, simplifié, symbolique, les régions prennent volontiers une forme géométrique, parfois carrée, notamment lorsque des cartes à jouer permettent de construire la surface de jeu, mais plus souvent hexagonale. Triangles, rectangles ou hexagones permettent tous de construire un dallage régulier d’une surface, mais l’hexagone est plus pratique. L’absence de contact par les coins facilite la conception de règles qui n’ont pas à définir précisément le caractère adjacent de deux régions, et les déplacements y ont un air moins rectiligne, donc moins abstrait, que sur un dallage carré. C’est le choix que j’ai fait dans La Vallée des Mammouths, où les six directions correspondent en outre au six faces du dé.

La Vallée des Mammouths

L’île de Pâques, tout en hexagones.

Des auteurs malins, comme Philippe Keyaerts, se sont même fait une spécialité des hexagones légèrement tordus ou déformés pour ne pas avoir l’air trop géométriques, comme dans Vinci ou Small World.

Antike, une carte où les frontières n’ont aucune pertinence géographique ou historique – il n’y a en fait que des hexagones.

Le bassin Méditerranéen est sans doute la partie du monde la plus cartographiée dans les jeux. Si le style de la carte de Méditerranée est original, c’est que le thème n’est plus la guerre dans l’antiquité, mais le commerce à la Renaissance. Et l’on retrouve des hexagones, du moins en mer.

Les hexagones honteux peuvent même, comme dans Cyclades, se déguiser en cercles.
Certes, les géographes n’ignorent pas la géométrie, et le célèbre diagramme de Christaller sur les hiérarchies urbaines est fondé sur les mêmes propriétés mathématiques de l’hexagone. Mais pour les géographes, il s’agit là d’un schéma dont chacun sait qu’il ne décrit que très imparfaitement la réalité. Pour un joueur, c’est la réalité du jeu.

Summoner Wars se joue sur un tablier, nom que l’on donnait autrefois à tous les plateaux de jeu géométriques utilisés dans les jeux traditionnels. Pourtant, l’éditeur a ressenti le besoin de dessiner le quadrillage sur un semblant de carte, sans fonction particulière dans le jeu.

L’utilisation de formes géométriques permet aussi de construire un plateau de jeu modulaire. Les deux demi-plateaux recto verso de la Vallée des Mammouths permettent de construire quatre cartes, quatre terrains de chasse, de pèche et de guerre différents. Poussée à l’extrème, la modularité d’un jeu comme Les Colons de Catan, ou pour prendre des exemples plus récents Kingdom Builder ou Archipelago, permet de renouveler presque sans limite un jeu en assemblant différemment les éléments du plateau de jeu.

Dans Tikal, Entdecker ou Carcassonne, les joueurs construisent la carte – et le territoire – au fur et à mesure du jeu, ce qui n’est pas toujours très thématique.

Bâtir une cité où on le souhaite peut sembler logique… mais placer une rivière ?

Les cartes en réseau, encore rares il y a une vingtaine d’années, sont aujourd’hui aussi répandues dans les jeux de société que les cartes politiques en puzzle. Ici, la carte ne dessine pas des frontières mais des liaisons entre des points sous forme de chemins, de routes, dans Elfenland ou Isla Dorada, de voies ferrées, dans Les Aventuriers du Rail, de lignes aériennes, dans Airlines, ou même de lignes à haute tension dans Megawatts. Dans certains jeux de trains, ce sont même les joueurs qui dessinent le réseau sur la carte avec des feutres effaçables.

Le plateau de jeu de Silk Road, quelque part entre parcours et réseau.

Même si l’action de beaucoup de ces jeux se déroule dans un lointain passé ou dans un univers féerique, ou pour les jeux de train au XIXème siècle, période de construction des grands réseaux ferrés, je ne peux m’empêcher de penser que la popularité récente de ces jeux “de réseau”, qui n’ont rien à voir avec les jeux en réseau, est liée à l’importance croissante attachée par nos sociétés modernes à l’idée de mobilité, et au relatif désamour pour les territoires, devenus un peu ringards. Il reste certes à expliquer pourquoi, même et surtout aux États-Unis, pays emblématique de l’automobile, les joueurs préfèrent les trains. Quoi qu’il en soit, en train, en voiture, en avion, le héros libéral hypermoderne ne conquiert pas, il voyage. En France, la distance à Paris ne se mesure plus en kilomètres mais en heures de train.

Le plateau d’Elfenland, remarquablement dessiné par Doris Matthäus, ressemble à une carte gravée de la Renaissance, avec les couleurs en plus.

J’ai dû modifier un peu le projet de carte d’Isla Dorada afin de regrouper les routes de montagne, désert et forêt dans les mêmes régions, et de rendre la carte plus cohérente. Ce n’est qu’après que Gorg a eu illustré la carte que j’ai réalisé qu’il y manquait un volcan.

Dans Inca Empire, la carte représente à la fois les régions et le réseau routier de l’empire inca. Quatre couleurs sont toujours suffisantes pour représenter les régions d’une carte de type puzzle sans que deux régions adjacentes par un côté ne soient de la même couleur.

Là encore, le souci de jouabilité peut souvent l’emporter sur celui d’exactitude. Les lignes ferroviaires représentées sur les diverses cartes des Aventuriers du Rail correspondent plus ou moins aux grandes lignes des années 1900 – mais plus ou moins seulement. Certaines villes peuvent même être quelque peu déplacées pour les besoins du jeu. Sur la première carte de Ticket to Ride, des joueurs américains se sont ainsi plaint que Duluth ait pris la place de Minneapolis. Duluth étant le grand nœud ferroviaire du Nord des États-Unis (et accessoirement l’un des meilleurs romans de Gore Vidal), cette cité ne pouvait pas être absente de la carte, et l’équilibre du jeu imposait de la déplacer un peu. De tels bricolages sont plus nombreux encore sur la carte européenne.

Je ne connais pas bien le réseau ferré suisse, mais je me suis laissé dire que la carte de la Suisse était la plus fidèle de toutes celles publiées à ce jour pour les Aventuriers du Rail.

L’excellente série des 10 Days in… , bien que jouée sur de bonnes vieilles cartes politiques, illustre elle aussi cette importance croissante du thème du voyage, de la mobilité, dans les jeux de société. Ce sont à ma connaissance les seuls jeux dans lesquels la carte géographique sert uniquement de référence, sans que l’on y place le moindre pion. Ces cartes sont donc des cartes politiques, et rien ne semble s’opposer à ce qu’elles soient rigoureusement exactes, et ce d’autant plus que les jeux se veulent vaguement éducatifs. Pourtant, dans 10 Days in Asia, j’ai été un peu surpris par les parcours des voies ferrées, originalité de cette édition, qui relient certains états. Je ne connais guère le réseau ferré asiatique, mais une rapide recherche sur internet a confirmé mon intuition : les lignes ferroviaires figurant sur le plateau de jeu n’ont rien en commun avec la réalité du réseau ferré, et ont donc été dessinées uniquement pour des raisons d’équilibre du jeu, pour rendre l’accès à certains états plus faciles. Je le regrette un peu, et aurait sans doute préféré un jeu moins équilibré joué sur une carte plus exacte.

Un exemple extrême: les lignes de bus représentées sur ce plan de Paris n’ont absolument rien à voir avec le réseau de la RATP. Paris Paris était un jeu abstrait, qui a été ensuite plaqué sur un plan de Paris.

En revanche, le réseau du London Underground dans Scotland Yard, un classique du jeu de déduction, est incomplet mais exact.

Tout comme celui de Metro 2033, jeu de science fiction russe dont l’action se déroule dans le métro de Moscou, et dont le plateau de jeu reprend le style graphique des plans du réseau.

Un plateau de jeu n’est pas qu’une carte que l’on regarde, on y place aussi des pions, on les déplace, on s’y bat ou on y fait la course, et dans un puzzle comme dans un réseau, cela entraîne des contraintes particulières. À l’heure d’Internet et des guerres informatiques plus ou moins fantasmées, il est d’ailleurs étonnant que les cartes réseau ne servent qu’à se déplacer, la guerre se jouant toujours sur de bonnes vieilles cartes puzzle.

Le plateau de jeu du Risk sous forme de graphique en réseau.

Les Colons de Catan sont un bon exemple des tendances actuelles en matière de représentation cartographique dans les jeux. On y trouve en effet à la fois des régions hexagonales, et une structure en réseau utilisant les côtés et les angles de ces hexagones, sur lesquels les joueurs bâtissent routes et cités.

Un autre type de cartes, que les joueurs appellent parfois, très significativement, géomorphiques, ressemblent à des cartes classiques de géographie physique relativement exactes, sur lesquelles est appliquée une grille orthogonale ou, plus souvent, hexagonale. Les jeux de guerre, notamment, font fréquemment appel à cette technique qui n’est alors qu’un outil pour représenter clairement les positions des unités sur la carte géographique, et mesurer les distances de tir ou de déplacement. Tout juste la nécessité que chaque case soit clairement et entièrement de montagne, de plaine, de forêt, de lac ou de marais, et que les rivières coulent sagement entre les hexagones, amène-t-elle à prendre parfois de très légères libertés avec la géographie. Les joueurs de jeux de figurines, eux, jouent même sur de véritables cartes, voire sur des maquettes en trois dimensions, et mesurent les distances de déplacement et de tir à l’aide de règles et de mètres rubans.

Age of Steam, où l’on construit des réseaux sur une grille d’hexagones, ce qui relativise pas mal ma savante classification.

Esthétiquement, les cartes de jeu essaient parfois d’avoir le style graphique associé à l’époque décrite par le jeu. Pour représenter les guerres de l’antiquité, on choisira un style sobre, comme dessiné sur un papyrus ou gravé sur une tablette. Pour les guerres ou le commerce de la Renaissance, on imite les gravures sur bois, et on abuse des caractères gothiques, etc…

Une carte sur papyrus, et historiquement assez pertinente, pour jouer la fin du triumvirat.

Une carte du bas Moyen-Âge pour raconter l’histoire du commerce hanséatique.

Et une carte qui semble réellement d’époque, et tromperait sans doute quelques historiens, pour rejouer la guerre américano-canadienne de 1812.

Parfois, le graphisme est vraiment raté, comme pour la carte du Yorkshire dans Last Train to Wensleydale, qui fait plutôt penser à la vue en coupe d’un poumon de troll.

C’est également vrai des lieux et des ambiances exotiques. Une carte du Japon aura souvent un look un peu japonisant, une carte du Moyen Orient un style arabisant, mais toujours dans un exotisme parfaitement assumé.

Une carte du japon magnifiquement réalisée : toute en hexagone, d’une clarté limpide, et dans un style qui, en Europe au moins, semble très japonais.

Si l’on veut rire un peu avec la cartographie ludique, c’est à la science fiction qu’il faut s’intéresser. Dans Mission Planète Rouge, La planète Mars est divisée en une dizaine de régions dont les noms ont été choisis parmi ceux que les scientifiques ont donné aux zones qu’y dessine la géographie physique – même si un correcteur orthographique facétieux a transformé Vastitas Borealis, les vastes plaines du nord, en Vasistas Borealis, la petite fenêtre du Nord. Ce n’est pourtant pas là l’erreur n’a plus notable. La Mars de Mission Planète Rouge n’est en effet pas une sphère mais un disque, plat, avec des régions sur sa circonférence et d’autres en son milieu.

Mars,un disque rouge flottant dans l’espace, avec trois régions intérieures et sept régions extérieures dont, au Nord (c’est à dire en haut…) la mal nommée Vasistas Borealis.

Rien d’étonnant d’ailleurs à cela puisque une rapide enquête parmi d’autres jeux de science fiction montre clairement que, de Twilight Imperium à Éclipse, en passant par tous les jeux de conquête, de découverte ou d’exploration spatiale qui semblent revenir à la mode ces temps-ci, c’est généralement tout l’espace qui est plat, réduit à deux dimensions. Plus étonnant encore, c’est aussi très souvent le cas dans les jeux informatiques, alors même qu’une modélisation en 3D est aujourd’hui tout à fait possible. la restriction de l’univers à deux dimensions a bien sûr des raisons pratiques, la surface plane du plateau de jeu, mais elle a donc aussi peut-être des raisons cognitives, notre esprit effectuant mal, surtout sans support visuel, les triangulations (ou pyramidisations) nécessaires à la mesure des distances dans un espace en trois dimensions.

C’est officiel – l’espace est plat.

… désespérément plat.

C’est une des raisons pour lesquelles je suis très fier de l’approche géographique choisie pour le plateau de jeu d’Ad Astra : tous les systèmes stellaires sont considérés comme équidistants, un passage par l’espace profond étant nécessaire pour aller de l’un à l’autre. C’est simple, et finalement plus réaliste qu’un espace plat, même figuré par une carte avec des milliers d’hexagones. Toutes les planètes d’un même système sont également équidistantes, et j’imagine assez mal un plateau de jeu avec des planètes qui tournent autour de leur soleil à des vitesses différentes, ne cessant de s’éloigner et de se rapprocher.

Le plateau de jeu est généralement le lieu de l’affrontement ou de la course entre les armées ou les pions des joueurs. Des limites techniques évidentes font que ce lieu est le plus souvent représenté par une surface plane, donc une carte ou plan. L’affinité entre cartes et jeux n’est cependant pas purement technique, elle a aussi une dimension plus psychologique. Les enfants le sentent bien, qui saisissent instinctivement la dimension ludique des cartes géographiques, et en font spontanément le support de jeux de guerre ou de voyage. La carte est une représentation volontairement simplifiée de l’espace réel, qu’il soit social ou physique. Le jeu est un système d’interactions sociales délibérément vain et simpliste. Rien d’étonnant à ce que le jeu prenne souvent appui sur la carte.


…she has an original Parker Brothers map of the world.”
This was interesting, since the map represented the only view we had of the world before the Something That Happened. For some reason, its destruction had not been demanded under Annex XXIV.
“Does she adhere to the theory that it represents global Chromatic regions of the pre-Epiphanic world?”
“She does, although I’m doubtful myself. If we were regionally blue when Something Happened, there’d be more evidence of it now.”
“And the RISK acronym? What does she think that stands for?”
“Regional International Spectral Kolor . Yes, I know,” Mr. Lemon-Skye agreed when I looked doubtful, “it must be an archaic spelling. But get her to show you the map. It’s almost complete, you know-only the nations of Irkutsk and Kamchatka have been eaten by clodworms.”
Jasper Fforde , Shades of Grey

The way history is represented in boardgames is very often discussed in gaming meetings and forums, but there has been very little thought on the specific use they make of geography, and geographic tools. Game designers are probably the biggest consumers of maps, of course after professional geographers. Even more, they usually don’t hold on maps drawn by geographers and draw their own, more concerned with “playability” than with accurateness.

 Game designers use mainly four different kinds of map, tracks, puzzles, networks and grids.

Tracks are made of an ordered succession of spaces, or sometimes dots, usually creating either a single path from the starting space to the finish line one, like in the game of Goose or in my Pony Express, or a circular track like in Monopoly, or in most car racing games. In a racing game like Formula D, the representation of actual car racing tracks is very accurate, while in Monopoly the geographic accuracy was not even aimed at, since the cities are grouped by real estate values and not by region.

Pony Express has a really nice board but what looks like a map is, in fact, just a track.

In my idea, Lost Temple was situated in the mountains on the Cambodge Laos border, where André Malraux placed the action of his novel The Royal Way. I was a bit surprised when I received a map with a large sea from the illustrator, my friend Pierô.

The track can be deformed, with add curves, sometimes even crossings and shortcuts, like in Snakes and Ladders, to look more like a plan than like a line, but it’s still basically one dimensional, the players usually having one single pawn that they must move from the start to the finish line, or a few times around the track.

The board of Ave Caesar, probably the best racing game ever designed, hassharp bends and stand stops. It was obviously designed as a car racing board and not a chariot one.

The second, and more frequent, kind of map is the traditional two-dimensional political map, which looks like a puzzle whose pieces are colored in four or five different colors – four colors are usually required, and are always sufficient, to color the different regions on a map without ever having two adjacent same-colored regions.
Some of these maps are perfectly identical with geographers’ or, more often, historians’ ones. If geography serves, first and foremost, as told Yves Lacoste, to wage war, it also serves to play war. Diplomacy is played on a perfectly accurate political map of Europe in 1914. However, in war games like Risk, in majority games like El Grande, in games with both war and trade like Mare Nostrum, the game designer often takes some liberties with the game’s geographical and historical setting. USA and Canada are divided in two or three spaces each on the Risk map, or even in the Axis and Allies one, to make for a more consequent, divided and competitive battleground. Risk has Irkutsk or Kamchatka look like Asian states, and a vast and somewhat anachronistic kingdom of Siam.

10 Days in Europe anticipates on Scotland and Wales independance.

The Roman provinces and antique states in Mare Nostrum, and in all the many games played on a map centered on the Mediterranean, have historical names, though not necessarily contemporary one with the others, and are all of similar size, which is more convenient when placing armies or trade goods on them.

Olympos, mapping Greece and Atlantis.

A different take on the issue in the Mare Nostrum expansion.

Both historians and geographers might be fascinated by the map for Viking Fury, and itsluxuous reissue, Fire and Axe. it can be pretentiously described as the world from a Viking point of view, but is more Europe and the Atlantic redrawn in a way to allow representation and play of the viking invasions, at the cost of strong deviations from actual geography. The result is a strange map, part physical, part isochrone, part fantasy.

The map of Viking Fury is a kind of Viking portulan.

More chrome – meaning wood – on the map of its gorgeous reissue, Fire and Axe.

Trajan is a very abstract boardgame with a very figurative map. It represents western and northern Europe viewed from Rome, a panoramic picture drawn like ski resorts maps. It’s geographically original, but also historically surprising. Trajan fought mostly against Dacians and Parthians, and has been suspected of valorising his native province, Baetica. Neither Dacia nor Hispania are on the map – but the game is mostly to be sold in Germania.

A panoramic view of Europe from the forum.

Imaginary and fantasy worlds are an obvious and easy way to circumvent geographical issues. One can find inaccuracies in the Axis and Allies map, but no one can find a single error in the Conquest of Nerath one. When drawing the map of an imaginary land, one can focus on playability, adding a wide river here to stop the armies or speed up the trade, a high mountain there to prevent any crossing unless on dragon’s back.

Noone will ever complain that the border between Fullsome Pocket and Ellen’s Bight has been misplaced.

One of the many games illustrated by Michael Menzel, who also designed the boards for Pillars of the Earth, StoneAge and many more.

Majority games appeared in the nineties, and are a kind of politically correct version of war games. There’s no fight, just (more or less) pacific rivalry. It’s not about war, it’s about influence. These games need large boards with few spaces, usually less than a dozen, but large enough for the many wooden cubes or meeples from several players.

The Renaissance-like map for El Grande was drawn by Doris Matthäus, who also made the gorgeous maps for Elfenroads, Elfenland or Fugger, Welser, Medici.

There are lots of games played on maps of Venice. It might be because of it’s charm and history, but it’s also because canals are very convenient as borders between districts.

When the setting is vague, simplified, symbolized, regions often have a geometrical shape. Squares or rectangles were old favorites, and are still used, especially when the map is made of adjacent cards, but hexagons are more hype. Triangles, rectangles and hexagons can all be used to draw a regular grid, but hexagons have many advantages. There’s no problem with corner adjacencies, and movement looks less rectilinear, and therefore less abstract, than on a square grid. In Valley of the Mammoths, it has another advantage, the six sides of the hexagons corresponding with the six faces of a die.

Valley of the Mammoths

Easter Island, all hexes.

Clever designers, like Philippe Keyaerts, sometimes draw hex grids and then twists the hexes a bit so that their maps don’t look too regular and geometric – see Vinci, Small World, even Olympos.

Probably the least accurate map of the Mediterranean. Borders are totally inaccurate, and all the regions are in fact hexagons.

This map, from The End of the Triumvrirate, is both nicer and more accurate.

The Mediterranean is probably the most cartographied place in games. Here the graphic style is different because, for once, the theme is not antique wars, but Renaissance trade.

Hexagons can even be disguised as circles, like in Cyclades.
Of course, geographers also use geometry, may be more than they should. The best known geographical diagram, Christaller’s central place theory, is based on the same properties of the hexagonal grid. For geographers, however, it’s an abstract diagram and they all know that reality is very different. For a gamer, it’s the game’s reality.

Summoner Wars is played on 6 x 8 checkered grid, but the publisher printed the grid on what looks like a map, or a battle plan, which has no particular use in the game.

Using geometrical shapes is also a good way to have modular maps, and therefore an ever different game. The two double faced half-boards of Valley of the Mammoths make for four different boards. More modular games like Settlers of Catan, or more recent ones like Archipelago or Kingdom Builder, have almost unnumerable ways of assembling the boatrd elements in different maps. 

In Tikal, Entdecker or Carcassonne, players build the map – and the territory – while playing the game. Not always logical, not always thematic, but very interesting.

Building a city where one wants makes sense… but placing a river ?

Network maps were very rare twenty years ago, but they are now used in boardgames almost as often as puzzle maps. A network track doesn’t have borders and regions, it has dots – usually cities – and tracks between them. These tracks can be roads, like in Elfenland or Isla Dorada, railway lines, in Ticket to Ride, Airlines in… Airlines , and even electric lines in PowerGrid. In the so called “crayon train games”, the players even draw the map on the board during the game with erasable markers.

The Silk Road board, still a track or already a network map ?

Even when the action in most of these games takes place in ancient history or in fantasy settings, and for train games in the XIXthe century, when most train networks were initially built, the recent popularity of network maps in boardgames is probably due to the increased social focus on the idea of mobility in the modern world, and the relative disaffection for territories. Interestingly, especially in the United States, where everyone moves by car and by plane, games are more often about trains. Anyway, by train, car or plane, the hypermodern hero doesn’t conquer any more, he travels. In France, distance from Paris are no more in kilometers, they are in hours, usually by train.

The Elfenland board was drawn by Doris Matthäus. it looks like a Renaissance map, but in color

I had to change the map design for Isla Dorada to group the desert, mountain and forest path in the same regions and make the map more consistent – and more spectacular. It’s only after the map was draw by Gorg that I realized it misses a volcano.

The Inca Empire map has both the districts and the road network of the Inca Empire. Four colors are always enough to color the pieces of a puzzle-map with no corner adjacency with no adjacent regions having the same color.

Once more, playability is more important than accurateness. The main tracks on the Ticket to Ride maps are more or less the big railway lines around 1900 – but nly more or less. Some cities have even be moved to make the board easier to use. There was much talk of the way Minneapolis has become Duluth on the original Ticket to Ride map. Since Duluth (by the way, my second favorite Gore Vidal’s novel) was one of the main railway lines nodes in the US, it had to be on the map, and the game balance imposed to move it a few miles. There are even more such approximations on the European map, and they don’t detract from the game.

I don’t know the Swiss rail network well enough, but I’ve been told the Switzerland map is the most accurate of all the Ticket to Ride maps.

The outstanding game series 10 Days in… is played with good old political maps, but also emphasizes the increasing trend of mobility and travel in boardgames. The 10 Days in… games are, as far as I know, the only one requiring a map on which no pawn or token is ever placed, and there seems to be no reason for it not to be perfectly accurate, especially when it also vaguely claims some educational value. When playing 10 Days in Asia, though, I was surprised by the tracks of the railway lines, which are the special feature of this map. I didn’t know anything about the Asian rail network, but I had no difficulty finding several maps of it – geographical maps – on the internet, and found out that the railway lines in the game have nothing to do with actual ones, and have probably been drawn only to balance the game and make some counties easier to reach. I would have preferred a more accurate map, even when less balanced.

An extreme example : The network in Paris Paris has nothing in common with actual bus lines. This was an abstract game, whose regular shape has been pasted on a map of Paris.

On the other hand, the underground network in Scotland Yard, a classic deduction game, is uncomplete but accurate.

And the same is true of the map of Metro 2033, a russian science fiction game whose action takes place in the Moscow undergound. The game board graphic style is directly inspired by the underground network map.

A game board is not just a map one looks at, it’s a map on which one moves trains, trades goods, fight wars, and this means specific constraints, no matter whether one designs a puzzle or a network map. In the age of the internet, and of fantasized (and probably real as well) computer wars, it’s surprising than war is still always played on good old political maps, with lots of borders and no information highways.

The Risk basic map as a network graph.

Settlers of Catan is a very good example of modernboardgame cartography. It has large hexes of plain, forest or mountains, but also makes use of the hexes edges and corners, where players build a network of roads and cities.

Geomorphic maps are also sometimes used in games. These are realistic and accurate maps with most of the landscape elements represented, on which an orthogonal or, once more, hexagonal grid is superimposed. Wargames and other simulation games often use such maps. The grid is just a tool to represent where the units are supposed to be in the “real world” and to measure movement and firing range. The necessity for each hex to be clearly either forest, or mountain, or sea, and for rivers to roll between hexes, make for very minor adjustments to relief reality.  Miniature wargamers even play on regular maps, of even on 3D maps, measuring distances with rulers.

Age of Steam, or building networks on an hex grid, and making all my carefully devised categories fall apart.

Illustrators often try, if not to copy old cards, at least to imitate the style of the period when the game’s action is supposed to take place. Antique war maps are drawn on papyrus or carved in stone. Mediaeval wars and trades are played on cards looking like wooden engravings, and all names are in gothic fonts.

A map painted on papyrus, and historically accurate, for the end of the triumvirate.

A fake and a bit ridiculous late mediaeval style for the hanseatic trade.

And a map that looks very historical, and could even deceive historians, to play the USA-Canadian war of 1812.

Sometimes, the graphics go completely wrong, like in the Yorkshire map in Last Train to Wensleydale, which looks more like a troll’s lung cross-section.

Of course, this is also, though less systematically, true of exotic settings – maps of Japan often try to look japanese, maps of China to look Chinese, maps of the Middle East to look arabic, though never in a very convincing way – the exoticism is perfectly assumed here.

A very well designed map of Japan : it’s all hexagons, it looks Japanese enough, and it’s very clear and neat.

The real fun in boardgame cartography, however, comes with science fiction. In Mission: Red Planet, Mars is divided in a doyen régions whose names are those of real Martian relief features – even when some facetious spelling corrector changed Vastitas Borealis, the great northern plains, into Vasistas Borealis, the small northern window. The most notable inaccuracy, however, is that the actual planet is a sphere, not a disk with center regions and peripheral ones.

Mars, a flat disk with three inner regions and seven outer ones, including the misnamed Vasistas Borealis (north, meaning up on the map).

Well, may be this is logical after all, since in most science fiction boardgames, including very complex ones such as Eclipse or Twilight Imperium, and no matter whether they are about space exploration, conquest or empire development, the whole space is desperately flat, 2D. It’s even often the case in sophisticated online games, when computers are now powerful enough to design consistent 3D worlds. Restricting space to two dimensions is of course due to obvious technical reasons, the flatness of the game boards, but might also have cognitive ones, our minds having trouble making the necessary triangulations (or is it pyramidizations?) to asses distances in a 3D space without any visual support.

That’s official – space is flat.

… desperately flat !

That’s one of the reasons why I’m quite proud of the way Serge Laget and I dealt with distance in Ad Astra : all sun systems are considered equidistant, and a movement through deep space is needed to move a spaceship from one to another. It’s simple, and more true than a flat space, even with thousands of hexes. All the planets in a given system are also considered equidistant – because we cannot have a board with perpetually rotating planets, whose distance from one another changes every round.

The game board is usually the place where the war or the race between the players pawns or tokens, armies or meeples, takes place. Because of obviousntechnical limitations, this place is most usually a flat board, therefore a map or plan. However, the affinity between games and maps is not only technical, it also has a psychological aspect. Children spontaneously use maps as support for games, games of war or of travel. Maps are deliberately simplified représentations of social or physical realities. Games are deliberately simplified systems of social interactions. It’s no wonder games can make use of maps.

Les nouveaux programmes de “sciences” économiques et sociales au lycée

Certains savent que je ne suis pas seulement auteur de jeux, mais que je suis aussi vaguement historien, et que j’enseigne l’économie et la sociologie au lycée. Les réformes mises en place depuis trois ans ont pour effet, et peut-être pour but, de détruire un enseignement qui me tient à cœur, et je tiens donc à exprimer publiquement mon point de vue.
Je ne pourrai malheureusement pas être mercredi prochain, à la manifestation parisienne des professeurs de sciences économiques et sociales des lycées contre les nouveaux programmes et les nouvelles épreuves du baccalauréat, cadeau empoisonné laissé par Luc Chatel avant son départ du ministère de l’éducation nationale à des enseignants soupçonnés – assez largement à tort – d’être de dangereux gauchistes. J’ai néanmoins pris le temps de rédiger la lettre suivante, que j’ai envoyée à mon inspection.

Professeur de “sciences” économiques et sociales en lycée depuis une vingtaine d’années, et passionné par l’enseignement, je suis presque dégoûté de mon métier par les nouveaux programmes de terminales ES, que j’essaie désespérément de mettre en œuvre cette année, et plus encore par les nouvelles épreuves du baccalauréat, auxquelles je dois préparer mes élèves. Ces programmes et ces épreuves me semblent l’aboutissement d’une logique dévoyée qui guide, avec plus ou moins de bonne foi, les évolutions de l’enseignement secondaire en France depuis, en gros, une trentaine d’années.

Le lycée dans les années soixante-dix, dans lequel j’ai fait mes études, était une structure de reproduction sociale dans laquelle tout était fait pour qu’un fils de bourgeois comme moi soit assuré de réussir. Les quelques prolétaires un peu malins qui arrivaient à tirer leur épingle du jeu, plus en sélectionnant les amis qu’il fallait qu’en travaillant avec acharnement, ne suffisaient pas à légitimer le système. La démocratisation de l’enseignement était donc un objectif louable, et même absolument nécessaire, mais certains des moyens vainement mis en œuvre pour tenter d’y parvenir se sont avérés particulièrement stupides. Parmi eux, l’insistance mise sur les efforts, sur le travail, au détriment de la réflexion. En gros, pour tenter d’éliminer le biais socio-culturel affectant les résultats scolaires, on a fait en sorte de ne plus juger les élèves sur leurs qualités d’analyse ou de synthèse, supposées trop liées à l’origine sociale, mais sur leurs efforts, sur la quantité de travail fournie. On a fait mine de croire que le travail était louable et souhaitable pour lui-même, indépendamment de ses résultats, idée dont les économistes devraient être les premiers à signaler la bêtise. C’est un peu comme si, dans une course, le vainqueur n’était pas le premier arrivé mais celui qui a le plus transpiré. Il en est résulté l’alourdissement des horaires scolaires et la dérive vers des programmes et des méthodes de plus en plus précis, pointus, académiques et systématiques. L’enseignement de la littérature était jusqu’ici le plus touché. On n’y demande plus aux élèves de sentir un texte, de découvrir le plaisir trop bourgeois de la lecture, mais de chercher des structures narratives et des figures de rhétorique, en évitant soigneusement tout ce qui risquerait de passer pour l’expression d’un goût, ou même simplement d’une idée personnelle. Le nouveau programme de “sciences” économiques et sociales de terminale, immense et incohérente liste de définitions qui évite avec soin tous les sujets de débat et présente comme indiscutables et stabilisés des concepts qui sont loin de l’être, va dans le même sens. Il encourage le bachotage, dans sa version la plus bête, et interdit la réflexion.

Depuis toujours sans doute, les enseignants se sont interrogés sur le degré de subjectivité de leur jugement, et de leur notation. Cette subjectivité était suspectée, en partie à raison, de favoriser elle aussi les fils de bourgeois à l’écriture élégante, et peut être accessoirement les jolies filles et les jolis garçons, et de discriminer tous les autres. Là encore, le remède a sans doute été pire que le mal. Pour rassurer des enseignants angoissés à l’idée de “mal” juger, ou simplement de juger, les élèves, pour rassurer des élèves angoissés de ne pas savoir exactement comment ils étaient jugés, on a voulu objectiver les notations des enseignants, et standardiser les contenus de leurs cours. Il en est résulté d’abord les ridicules listes de compétences à acquérir qui encombrent les livrets scolaires, et que fort heureusement personne ne prend très au sérieux. Il en est résulté aussi, avec des dégâts plus conséquents, une véritable déconstruction des épreuves du baccalauréat, avec l’apparition de “grilles de corrections”, parfois au demi-point près, de listes d’exigences, de mots clefs ou de concepts attendus dans une réponse. Cela amène, là encore, à juger les élèves non pas sur leurs capacités d’analyse ou de réflexion globale mais sur leur détermination à apprendre et réciter servilement un cours, et à appliquer systématiquement une technique, une méthode. Maîtrise des connaissances, réflexion, recul, imagination sont systématiquement découragés par des critères de notation qui ne prennent plus guère en compte que le « respect des consignes ». La nouvelle épreuve composée de sciences économiques et sociales  au bac, déjà surnommée la “salade composée” par les enseignants, dernière étape sans doute avant l’adoption du QCM, vise expressément cet objectif.

Les disciplines scolaires sont le résultat d’une histoire complexe et très française. Là où la plupart des pays regroupent ce que nous traitons en histoire, géographie, économie, sociologie, histoire de l’art, philosophie et parfois littérature dans un vaste domaine de « sciences sociales », de « sciences humaines » ou d’humanités, nous avons fait le choix dogmatique d’un découpage rigide, non seulement entre les enseignements, mais aussi à l’intérieur même de ceux-ci. En attendant le regroupement souhaitable, au moins au niveau secondaire, de toutes les sciences sociales dans un même corpus, nous pourrions déjà éviter d’introduire dès le lycée une distinction entre économie et sociologie – et la même remarque vaut sans doute pour l’histoire et la géographie. Ce découpage entre d’innombrables disciplines amène souvent à traiter et retraiter les mêmes sujets, avec des différences qui relèvent plus du vocabulaire que de la démarche scientifique – le développement durable est traité en géographie et en économie, l’innovation technique en économie et en histoire, les inégalités en sociologie et en géographie, et bien souvent en littérature, avec Balzac ou Zola. Ce découpage, et le vocabulaire inutilement et souvent ridiculement technique qui l’accompagne et permet à chaque discipline de se distinguer, contribue aussi à renforcer cette impression, dangereuse parce que fausse, de scientificité et d’objectivité des “humanités”.

Même si nous savons que la sélection se fait désormais largement après le lycée, que la distinction entre filières a en partie pris la relève de la distinction entre ceux qui allaient au lycée et ceux qui n’y allaient pas, que la mobilité ou la reproduction sociale se jouent de moins en moins dans le cursus éducatif, il est difficile aux enseignants de ma génération de nier que la démocratisation de l’école ait en partie réussi. Ce relatif succès, que nous devons au collège unique, à la carte scolaire, aux bourses, et un peu aussi au dévouement des enseignants, il nous suffit pour l’observer de comparer les classes que nous avons côtoyées comme élèves à celles que nous avons devant nous comme professeurs. Pour que ce succès soit vraiment satisfaisant, il faudrait pourtant que nous ayons le sentiment de pouvoir à la fois sélectionner les meilleurs de nos élèves, d’où qu’ils viennent, et apporter à tous autant de culture, de compétence et d’ouverture sur le monde que possible. De plus en plus, l’école semble ne vouloir ou ne savoir sélectionner que les plus dociles et les plus besogneux, et apporter à tous le désespoir de n’avoir d’autre choix que de rentrer dans le moule – ou de disparaître. Les nouveaux programmes et les nouvelles épreuves de “sciences” économiques et sociales sont une éloquente illustration de cette dérive.

(Sorry, I didn’t translate this in English. I neither have the time nor the skill to do it and, anyway, it’s about very French matters).

Femmes et jeu à la radio
Women and games on the radio

Après mes articles sur la représentation des femmes dans les jeux, et leur place dans le monde du jeu, j’ai été contacté par Audrey Sarradin, journaliste à LFM, “la plus féminine des radios”, qui m’a interviewé pour son émission “pure féministe” – rien que cela, si, si.

Vous pouvez m’écouter ici.

Et un petit dessin de mon ami Gérard Mathieu

After my blog posts about women in games and in the gaming world, I was interviewed by Audrey Sarradin, from the Parisian women’s radio LFM, in her “pure feminist” program.

You can listen to it there – in French

Factions

Je viens de découvrir deux excellents jeux de cartes Summoner Wars et Smash Up. Ils sont très différents. Summoner Wars, qui se joue sur une sorte de damier, est un jeu de stratégie passionnant, malgré des graphismes tristounets, qui rappelle à la fois jeu d’échecs et jeux de figurine. Smash Up, à l’inverse, est un jeu de cartes loufoque, coloré et désordonné, un peu dans l’esprit de Rencontre Cosmique.

Ces deux jeux ont cependant en commun un mécanisme très intéressant, que j’appellerai les factions. Chaque joueur y joue en effet avec un peuple – et même deux dans le cas de Smash Up – c’est à dire avec un paquet de cartes ayant un thème, un style, des tactiques et des stratégies bien différentes. Un paquet de cartes pourra être très agressif, un autre puissant et peu mobile, un autre permettre de réagir ou de contrer les actions adverses, etc… De ce fait, chaque partie prend une physionomie différente, un affrontement entre des nains et des elfes ne prenant pas la même tournure qu’une guerre entre des orques et des trolls.

Ce sont peut-être les jeux de cartes à collectionner, et au premier rang d’entre eux Magic thé Gathering, qui ont popularisé ce principe, même si on le retrouve dans quelques jeux plus anciens, comme le délirant BloodBowl, qui dès les années quatre-vingt voyait s’affronter des équipes de nains, orques, humains ou elfes dans une parodie de football américain. Mes souvenirs de joueur de Magic sont faits de decks thématiques, des decks bleus plein de magiciens ou de tritons, de decks rouges à base de petits Gobelins ou de gros dragons, des decks noirs faits de zombies et de malédictions. Plus tard, des deck à thèmes tout prêts ont même été commercialisés. Je ne joue pas au jeu de cartes du Game of Thrones, mais j’imagine là aussi que l’on ne construit pas un deck Lannister ou Greyjoy comme un deck Stark.

Répandu dans les jeux de cartes à collectionner, le principe des factions s’est vite retrouvé dans les jeux de société. Plus de deck à construire, où très marginalement lorsque des jeux comme Blue Moon ou Summoner Wars proposent d’ajouter des cartes d’alliés ou de renforts, mais des paquets tout prêts, fortement thématisés, aux points forts et aux points faibles bien différents. Si BloodBowl, aux mécanismes un peu datés, a disparu, son univers et toutes ses factions archétypales, hommes lézards, elfes des bois, nains ou orques, ont été repris dans un jeu de cartes plus rapide, BloodBowl Team Manager, auquel je n’ai pas joué mais dont on m’a dit le plus grand bien.

Toutes ces factions, ces équipes, ces peuples, permettent des parties typées, car asymétriques, et toujours différentes. Rien qu’avec quatre armées, comme dans la boîte de base de Neuroshima Hex, six configurations différentes sont possibles pour des batailles de deux joueurs. Ajoutez deux armées supplémentaires, avec l’une des extensions Duel ou Babel 13, et vous avez déjà 15 configurations. Je ne me risquerai pas à faire le calcul pour Smash Up, qui se joue plus à trois ou quatre joueurs qu’à deux et dont les decks sont constitués de deux peuples mélangés. Quant à Summoner Wars, il existe, je crois, une dizaine d’extensions différentes, avec deux nouveaux peuples chacune, ce qui doit donner quelques centaines de batailles possibles.

Certes, les factions, les paquets de cartes, de tuiles ou de pions spécifiques ne sont pas le seul moyen de construire un jeu de société asymétrique. Bien avant Magic, il y eut Cosmic Encounter et ses centaines d’aliens aux pouvoirs aussi puissants qu’improbables, que l’on retrouve un peu dans les peuples de SmallWorld, de Terra Mystica, de Twilight Imperium et de nombreux autres gros jeux de plateau. Un jeu comme A Game of Thrones (le jeu de plateau), combine même des factions sous forme de cartes avec des pouvoirs et des unités spécifiques sur le plateau de jeu. Avant cela même, il y a bien des jeux, et notamment  les jeux de guerre, dans lesquels les positions et souvent la nature des armées sont différentes – Britannia est un excellent exemple. Le souci de fidélité historique et littéraire des auteurs de ces jeux fait cependant que l’on ne peut pas renouveler les parties en changeant les factions ou les positions initiales, et que l’on n’est donc pas tout à fait dans ce que j’appelle les jeux de factions.

Les factions sont donc une nouvelle méthode, récente, de parvenir non seulement à rendre un jeu asymétrique, mais aussi à le renouveler sans cesse. Bien sûr, ce choix n’est pas toujours exempt d’arrière pensées commerciales. Si le jeu plaît, on peut espérer que les joueurs les plus accros s’achèteront quelques factions supplémentaires, et les extensions composées de deux nouvelles armées sont devenues un format classique. Pour autant, ces jeux ne sont pas des pompes à fric comme les jeux à collectionner, et j’ai déjà largement de quoi m’amuser avec les six peuples de mon Master Set de Summoner Wars et les huit de ma boîte de base de Smash Up. J’ai acheté ou me suis fait offrir les premières extensions de Neuroshima Hex, mais ne les ai pas toutes essayées.

Si le principe est si génial, pourquoi, alors que je suis un spécialiste des jeux de cartes, ne l’ai-je  guère exploité?
Nous y avions pensé avec Bruno Cathala pour Tomahawk, mais les cartes spéciales nous ont permis de personnaliser les armées à moindre frais. Sinon, il faut dire que le principe s’adapte généralement mieux aux jeux à deux joueurs – même si le jubilatoires Smash Up est une notable exception – qui ne sont pas ma spécialité. Je suis aussi particulièrement intéressé par les jeux de bluff et de double-guessing, dans lesquels la psychologie des joueurs suffit généralement à créer l’asymétrie. Surtout, concevoir une demi douzaine de factions demande un énorme travail de test et d’équilibrage des différentes combinaisons, alors que je ne suis un auteur plutôt paresseux et peu intéressé par ce genre de réglages, même si je me réjouis que d’autres s’y consacrent avec constance. Le seul jeu de ce type que j’ai jamais fait, Le Combat des Dieux Le seul jeu de ce type que j’ai jamais fait, Le Combat des Dieux, est très amusant à jouer mais relativement simple, , est très amusant à jouer mais reste aussi extrèmement simple, et je ne suis pas certain qu’il soit parfaitement équilibré, raison pour laquelle je suggère d’inverser les factions des joueurs pour une seconde partie. Mais, bon, un jour, pourquoi pas un projet plus ambitieux – je discutais le week-end dernier d’un jeu opposant les pingouins, les pandas, les grenouilles, les singes et les moutons, chacun essayant de prendre le contrôle total du marché du jeu de société.

Quelques bons jeux de factions :

X-Bugs, de Francesco Nepitello et Marco Maggi, réédité sous le nom de Micro Mutants, puis dans une version simplifiée sous celui de Micro Monsters, aurait du être un immense succès commercial. C’est du moins ce à quoi je m’attendais, et ce à quoi s’attendaient les éditeurs – Steve Jackson, Tilsit, Edge, Fantasy Flight et quelques autres – qui à un moment ou à un autre ont tenté de le lancer et de le relancer. L’idée, adapter le principe des factions au bon vieux jeu de puces, est géniale. Les graphismes sont très réussis, et l’humour vaguement historico-politique des factions assez bien amené. Chaque joueur à donc une faction de bestioles représentées par des puces de plastique de taille et de formes différentes qui vont s’attaquer sur le sol de votre salon en faisant des sauts de puces. Certaines font plusieurs sauts d’affilée, d’autres retournent les puces adverses, d’autres se multiplient…C’est drôle, c’est simple, c’est varié, et je n’ai jamais vraiment compris pourquoi cela n’a pas vraiment pris. Ce jeu d’adresse loufoque et stratégique ressort encore une fois dans les semaines à venir, chez Ares Games, sous le nom de Micro Monsters – ne le laissez pas passer.


James Ernest a osé : il y a, au dos des pochettes de cartes de Brawl, des conseils tactiques en fonction du personnage que vous jouez. Comme si on avait le temps de penser tactique en jouant à un jeu pareil…
Brawl – ça veut dire baston en américain – c’est une sorte de Speed avec des règles avancées et des cartes événements. Pas de tour de jeu, les deux jouent en même temps, essayer d’aligner le plus possible de coups droits dans la gueule de l’adversaire. Comme dans la vraie vie, quoi. Bien sûr, chacun a aussi des cartes spéciales permettant de bloquer l’adversaire, d’éliminer une rangée entière de cartes, et caetera. Rien de bien complexe cependant, puisqu’il n’y a en tout qu’une dizaine de types de cartes différents.
Brawl, un jeu rapide et aux règles simples, un temps publié en France sous le nom de Fight, semblait aussi parti pour un grand succès commercial, et je ne comprends pas bien pourquoi il a finalement disparu. On trouve cependant encore parfois des decks, simples ou parfois par deux, dans les boutiques de jeux.

Très proche de Brawl dans son esprit – c’est aussi un jeu de cartes de rapidité avec des decks aux caractéristiques très différentes, Frenzy, d’Eric Lang, n’en est pourtant pas du tout une copie. Les mécanismes sont très différents, et tout aussi amusants. Si vous aimez Brawl et avec l’occasion de trouver un pack de quatre decks de Frenzy – je ne crois pas qu’il en soit sorti d’autres -, vous ne le regretterez pas.


Quelque part entre le jeu de pose de tuiles à l’allemande et le wargame post-apocalyptique, Neuroshima Hex, de Michał Oracz, est un hybride surprenant, profondément stratégique, étonnamment rapide et violemment efficace.
Formellement, on a affaire à un jeu de placement, chaque joueur à son tour piochant des tuiles hexagonales de son « armée », tireurs d’élites, troupes de combat rapproché ou modules technologiques, pour les placer sur la surface de jeu. Avec 35 tuiles par joueur pour un plateau de 19 cases, on réalise très vite que l’on n’est pas à Carcassonne et que les places vont être chères.
C’est à deux joueurs, chacun contrôlant l’une des quatre armées disponibles, aux personnalités très différentes, que Neuroshima Hex est le plus intéressant, et le plus stratégique. La partie alterne généralement des phases de positionnement tactique  et des batailles dévastatrices. La stratégie à adopter est très différente selon que vous jouez le Moloch, dont les robots lents mais résistants manquent cruellement d’initiative, l’Outpost aux unités mobiles mais mal protégées, le Borgo dont les troupes rapides doivent aller immédiatement au contact, ou l’Hégémonie habile à neutraliser les pièces adverses – ou l’une des nombreuses armées publiées depuis.



Summoner Wars, de Colby Dauch, est aussi un jeu d’affrontement, de guerre. Sur un plateau rectangulaire de 6 x 8 cases chacun doit, un peu comme aux Échecs, s’efforcer d’atteindre, puis d’éliminer le sorcier adverse. Les pièces sont représentées par des cartes qui se déplacent orthogonalement. Certaines attaquent au contact, d’autres tirent à trois cases de distance, beaucoup disposent de pouvoirs particuliers. Les règles sont très intuitives, le jeu tactiquement très intéressant, avec juste ce qu’il faut de hasard dans le tirage des cartes et les jets de dés lors des attaques pour contraindre les joueurs à s’adapter sans cesse. La boîte de base contient six armées différentes. Les Orcs des marais qui font pousser des murs de ronces pour ralentir puis immobiliser leurs adversaires; les elfes de la nuit sont agiles et rapides; les hommes-boucs de la montagne se regroupent et chargent en masse; les Gobelins des sables et les nains des profondeurs jouent sur l’effet de surprise et leurs puissantes cartes actions; les mystérieux et aériens Benders, enfin, sont redoutables au tir à l’arc. Une  vingtaine d’autres armées ont été publiées, et il y a toute la place dans la boîte pour les ranger.
Neuroshima Hex et Summoner Wars sont tous deux des jeux d’affrontement tactique, entre échecs et jeux de figurine. Ils font peut-être un peu double emploi, mais si vous appréciez vraiment l’un, vous avez de bonnes chances d’aimer l’autre aussi.

Contrairement aux quatre précédents, Smash Up, de Paul Peterson, est clairement conçu pour être joué à trois ou quatre joueurs plutôt qu’à deux. Les huit paquets de cartes, les aliens, les dinosaures laser, les ninjas, les pirates, les robots, les petits lutins de la forêt, les sorciers et les zombies, qui s’affrontent pour le contrôle d’on ne sait pas trop quoi, le vaisseau mère, la grande cathédrale ou l’oasis oubliée. Pour créer plus de variété, chaque joueur joue une alliance de deux peuples dont il mélange les cartes en début de partie, lutins et robots, zombies et pirates, ninjas et dinosaures… Thématiquement, on est dans le grand n’importe quoi assumé façon Heroscape, et l’on peu donc attendre une extension avec incas, nains du chaos, moines de Shao Lin, agents secrets, légions romaines, nazis de l’espace, ours en peluche, templiers et communistes. Mécaniquement, c’est une sorte de Mille Bornes sous acide où les cartes ne cessent de sauter d’une base à une autre dans une ribambelle d’effets pour le moins farfelus. J’avoue avoir eu un peu de mal à m’y retrouver dans ma première partie, mais je devine que cela devient beaucoup plus rapide et jubilatoire avec un peu d’expérience.

Certains auront sans doute remarqué que la plupart des jeux dont j’ai parlé dans cet article sont des jeux d’affrontement, de baston, de guerre. Bien sûr, la métaphore de la guerre est très fréquente dans les jeux de société, sans doute parce qu’elle apparaît comme l’archétype de la compétition, mais elle est heureusement loin d’être la seule. Ah, oui, j’ai parlé de Blood Bowl Team Manager, qui a vraiment l’air excellent, même si je n’ai pas eu l’occasion d’y jouer jusqu’ici, mais les rencontres sportives y ont quand même un air assez guerrier.

Bref, il est assez étonnant que ce système de factions n’ait pas beaucoup été utilisé pour l’instant dans les jeux de gestion, de politique, ou de course… Tiens, c’est peut-être une idée – surtout pour un jeu de course, façon Fous du Volant.

Update, 20 novembre : il faut croire que les bonnes idées sont dans l’air. Tandis que je rédigeais cet article, et imaginais un jeu de factions sur le thème des Fous du Volant plus ou moins inspiré d’Ave Cesar, le jeu arrivait dans les boutiques. Bref, encore une bonne idée que j’ai eue trop tard, ce n’est pas la première fois.


Hot Rod Creeps oppose donc six véhicules appartenant aux équipes des martiens, des monstres, des rockers, des voraces et des morts-vivants et des sorciers. La licence Wacky Races n’était sans doute pas dans les prix d’un petit éditeur, mais l’esprit en est bien là, et ça a l’air diablement marrant.


I’ve discovered these last weeks two very different recently published card games, Summoner Wars and Smash Up. Summoner Wars has grey and serious looking cards, is played on a chess-like board and is indeed a deep strategic and tactical game feeling a bit like a cross between chess and miniatures games. Smash Up has cards in all possible mixes of bright colors, and is a zany and chaotic card game, somewhere between Fluxx and Cosmic Encounter.

Both games, however, have a common and very interesting mechanism, factions. Each player plays with a different race – or even with two in Smash Up – represented by a specific card deck. Each deck has a theme, a style, different tactics and strategies. One can be very aggressive, another one powerful but static, another one full of nasty reaction or counter effects. This way, each game feels completely different, a war between elves and dwarves being very different from a war between orcs and trolls – different characters, different magics, different tactics, different weapons.

The factions idea can be traced back to a few older games, such as the zany Bloodbowl, published in the eighties, in which various fantasy teams (human, orc, dwarf, elf and some more) compete in a parody of Football. It went mainstream with collectible card games, and especially Magic the Gathering. I remember blue decks made of merfolk and sorcerers, red ones made of big fiery dragons or small nasty goblins, black ones made of zombies, undeads and curses. Later, thematic preconstructed games were published. I’ve never played the Game of Thrones CCG, but I can imagine than one doesn’t build a Greyjoy or Lannister deck like a Stark one.

The faction was the basic deck building principle of many CCGs, and resurfaced later in several board or card games. There’s no deck to construct in games like Blue Moon or Summoner Wars, or only with optional allies or reinforcement rules. The decks are ready in the box, each one with its theme, its graphic style, its strengths and weaknesses. The old BloodBowl is no more around, and would probably feel a bit slow and heavy if republished now, but its fantasy setting and archetypal teams, lizard men, orcs, wood elves, dwarves and the like, have been recycled in a faster card game, BloodBowl Team Manager. I’ve not played it, but I’ve heard only really good things about it.

All these factions, races, teams or armies make for strongly typed games, both asymmetric and balanced. With only four armies in the basic box of Neuroshima Hex, six different two players configurations are possible. Add two more armies from the Duel or the Babel 13 expansion, and you already have 15 different possible post apocalyptic wars. I won’t try to reckon the number of configurations in Smash Up in which each players shuffles two different decks to make his army. As for Summoner Wars, it must have now about twenty different armies, for more than a hundred two players configurations.

Of course, factions – meaning specific sets of cards, tiles or tokens, are not the only means to build an asymmetric boardgame. Long before Magic the Gathering, there was Cosmic Encounter and its hundreds of different alien races, which later evolved into the races of SmallWorld, Terra Mystica, Twilight Imperium and hundreds of heavy fantasy or sci-fi boardgames. The Game of Thrones boardgame has both different hero cards for each house, like in the factions card games I described before, and specific positions and units on the map. Long before, many games, and specifically wargames, had armies different not only in their starting position, but also in their abilities – Britannia is a good example. Most times, however, these games try to be true to their historical or literary setting, and don’t allow to change the houses / races / nations or their starting positions from game to game.These are therefore not exactly faction games like the ones I am writing about here.

Factions, however, are a recent and very versatile way of making a game not only asymmetric, but also always different and highly replayable. Of course from the publisher point of view, it’s a clever trick if players regularly buy a few more factions, and two factions sets have become the standard expansion format of all these games, but they are in no way money pits like collectible card games. As a matter of fact, I am entirely satisfied with my basic sets of Summoner Wars and Smash Up and don’t feel so far the urge to buy new armies. I’ve bought, or have been offered, most Neuroshima Hex expansions, but I’ve not played them.

So, factions are a fantastic tool for the game designer, and even more for someone specializing like me in lighter card games. Why didn’t I seriously use it so far in my own designs? Bruno Cathala and I toyed with the idea when designing Tomahawk, but finally opted for a small set of special cards used to fine tune the players’ decks. A reason why i didn’t give it another try might be that factions are mostly effective with two players games – with some noteworthy exceptions like Smash Up – which are not really my cup of tea. Another reason might be that I like bluffing and double-guessing games, in which enough asymmetry is generated by the players minds. But the main reason is probably that designing five or six different and balanced factions requires many tests and hard work, while I’m a rather lazy game designer – but I’m glad others take the time and effort to do it. The only faction game I designed so far, Battle of the Gods, is a very light and basic one, and even so, I’m not sure it’s perfectly balanced, and always suggest players swap factions for a second game. But why not a more ambitious design, some day – I was discussing last week a game idea about penguins, pandas, monkeys and sheeps vying for the control of the children game market.

A few good factions games :

Francesco Nepitello and Marco Maggi’s X-bugs, republished as Micro-Mutants and now Micro-Monsters, should have been a world hit. That’s what I was expecting, and that’s why the successive publishers – Steve Jackson Games, Tilsit, Fantasy Flight and others – who tried to launch or relaunch it at some time in the ten last years. The idea – tiddlywinks armies with special abilities – is clever and fun, the game is challenging and light, the graphics and setting are humorous. Each player controls an army of bugs figured by tiddlywinks in different colors and shapes, and the army fight on the floor, with jumping and maneuvering. Most bugs have special abilities, like making consecutive jumps, or turning over opponent bugs, or reproducing.  It’s fun, simple, varied and I never understood why it was not an instant hit. Anyway, this game is once more republished with some improvements, this time by Ares games, as Micro Monsters. If you didn’t know about it so far, seize the opportunity to discover this hidden gem.


There are really tactical advice on the back of every deck of James Ernest’s Brawl, and they are not completely pointless, even when the game is mostly frenzy and hectic fun.
No game turn, both players play cards simultaneously, trying to align rows of direct hits right in the face of the opponents. Sounds like real life. Though most cards are hits, some are not and have various special effects, like blocking the opponent or clearing a whole row of cards, and so on. Nothing really complex, though, and there are only eight or ten different cards, with effects easy to memorize.
Both players have different decks, each with a different character on it. Characters – which means decks – have different personnalities – which means differend card mixes. Some strike harder, like Hale, some are vicious and nasty, like Bennet or Pearl, with lots of strange card effects. Several set series have been published, and the lack of a common graphic style can be a drawback, but who does really care in a two minutes game.

Eric Lang’s Frenzy has sometimes be accused of being a copy of Brawl, and I think it’s unfair. Of course, it’s also a real time fighting card game with few different cards. The game philosophy – if one can call this philosophy – is the same, but the game systems are different enough for me to own both, play both and enjoy both. If you like Brawl, give it a try.



Somewhere between a German Style tile laying game and a post-apocalyptic wargame, Michal Oracz’s Neuroshima Hex is a strange hybrid, deeply strategic, surprisingly fast, and violently efficient. It looks like a tile laying game, each player in turn drawing some hex shaped “army” tiles and placing them on the board. However, the board has only 19 spaces while each player has 35 tiles to play, so you just have time to realize that this is not Carcassonne when the gameboard becomes a battlefield.
This game is most challenging and strategic with two, each player controlling one of the four army sets in the box. Each player on turn tries to deploy some of his units on the board, placing his melee fighters, his long range gunners, his technologic modules in the best positions to attack the opponent’s headquarters. There are long intervals of calm and strategic positioning, but when a battle starts, it’s not exceptional to have half or more of the units on the board destroyed.
The strategy are very different depending on the army set you play. The Moloch’s robots are tough but slow, and lack initiative. The Outpost units are very mobile, but not well defended. The Borgo’s fast units must look for contact immediately. The Hegemony is best at neutralizing opponent’s units – and many more armies, often with very specific abilities, have been published since.


Colby Dauch’s Summoner Wars is also a battle game, played on a 6 x 8 rectangular board, with strong analogies both with Chess and miniature games. Like in Chess, the goal is to reach and kill the opponent’s main piece, called the Summoner. Pieces are cards placed face up on the board spaces, and moving orthogonally. Some attach in melee, other have range attacks, and most have some special ability. The rules are clever and intuitive, the game tactically challenging, with just enough luck of the roll or of the draw to have players adapt and reconsider their tactics. The basic box has six armies. Swamp orcs grow vine walls to slow and hurt their opponents; Mountain goat-people charge and fight en masse; Sand goblins and Deep dwarves have powerful action cards and rely on surprise attacks; Shadow elves are fast and agile, Benders are expert bowmen. Twenty or so other army sets have been published, usually sold in sets of two, and there’s place in the big box for all of them.
Being both tactical battle games, feeling a bit like chess and a bit like miniature wargames, Neuroshima Hex and Summoner Wars obviously scratch the same itch. you might not need both, but on the other hand, if you like playing one, you’re most likely to enjoy the other.


Unlike the former ones, Paul Peterson’s Smash Up is designed to be played with three or even better with four players, not with two. Eight different army decks – aliens, dinosaurs, ninjas, pirates, robots, forest tricksters, wizards and zombies fight for the control of unlikely places, the mothership, the jungle oasis or the great cathedral – I’m not sure there’s a great cathedral, but there could be one. The theme is a fun and assumed mish-mash of all and everything, just like in Heroscape. The coming expansion will probably have Zulu warriors, chaos dwarves, men in black, Shao Lin monks, space nazis, teddy bears, templar knights and commies. mechanically, it feels like Mille Bornes on LSD, with cards always jumping from one base to the other and zany effects triggering one another. My first game was a bit comfusing, but i can see how it becomes fast, frantic, fun and challenging after a few games.

You have probably noticed that most of the games I’ve quoted in this article are games of war, of battle, or at least of brawl. The war metaphor is very usual in games, probably because war is seen as the archetypal competition, and games are all about competition. Blood Bowl Team Manager, which I’ve not played so far but looks really excellent, is supposed to be about sport, but it looks like a bloody and warlike sport.

Luckily, there are also other kind of competitions figured in games, but there has been very few faction politics, management or race game so far. Might be an idea, especially a race game – Wacky Races anyone ?

November 20 update : It seems that, once more, I had the good ideas a few months too late. While I was writing this article, and starting to imagine a wacky races faction card-driven racing game more or less inspired by Ave Caesar, the game was hitting the stores.


Hot Rod Creeps has six strange vehicles in a zany race on a customizable board. The teams are Epic Battle Wizards, Monsters, The Underworld, Food Fighters, Aliens and Rockabilly, each with a very different movement cards deck.  The Wacky races was probably too expensive fr a small publisher, or they didn’t bother, but the feel is there – wacky.

Idées reçues et truismes
Commonplaces and truisms

Il y a quelques jours, écoutant par hasard la radio dans ma voiture, j’ai entendu un journaliste interroger sur le jeu de société la responsable de l’exposition Kidexpo, qui se tient en ce moment à Paris. Ses réponses étaient impressionnantes de suffisance, d’inconsistance et de méconnaissance du sujet. En effet, elle ne faisait que reprendre un certain nombre d’idées reçues fausses ou simplistes, et montrait une ignorance crasse aussi bien de ce que sont aujourd’hui le marché et le milieu du jeu que des rares réflexions qui ont été menées sur le sujet par les sociologues ou philosophes, ou même simplement pas les joueurs. J’ai donc décidé de détruire ici quelques unes de ces idées fausses, même si je sais bien que l’audience de mon blog n’est pas grand chose en comparaison de celle de France Inter.

Idée fausse n°1 : le jeu, c’est d’abord pour les enfants.

Certes, les adultes consacrent moins de temps à jouer que les enfants, sans doute parce qu’ils en perdent plus à travailler et à discuter, mais cela ne signifie en rien que le jeu soit une activité spécifiquement enfantine. Le jeu, qui permet de se réfugier quelques temps dans un univers aux règles simples et arbitraires, est tout autant nécessaire aux adultes. Peut-être parce que notre société devient chaque jour plus complexe et moins compréhensible, les adultes jouent de plus en plus. Le marché du jeu pour adultes, que ce soit sous forme de jeu vidéo ou de jeu de société, est celui qui se développe le plus rapidement, et beaucoup des jeux rangés dans la catégorie enfants, comme par exemple Jungle Speed ou Dobble, sont au moins autant joués par des adultes. Et je ne parle pas des jeux vidéos, avec tous les articles sur le danger des jeux en réseau pour les adolescents, alors que la moyenne d’âge des joueurs de WoW est au delà de trente ans.

Idée fausse n°2 : les jeux en ligne sont en train de tuer le jeu de société.

Vu le développement des jeux en réseau depuis une dizaine d’année, s’ils avaient vraiment entrepris de tuer le jeu de société, ce dernier serait mort depuis longtemps, or il se porte plutôt bien. Loin de tuer le jeu de société, les jeux de rôles dans les années quatre-vingt, les jeux de cartes à collectionner dans les années quatre-vingt-dix, le renouveau du poker et les jeux informatiques aujourd’hui, lui ont amené de nouveaux adeptes. En effet, toutes ces nouvelles formes de jeu ont permis à beaucoup de réaliser que le jeu n’était pas une activité réservée aux enfants. Toutes les études de marché montrent que les gros consommateurs de jeux de société et de jeux informatiques sont assez largement les mêmes personnes. Comme ce sont les mêmes qui consomment aussi de la bande dessinée, de la littérature et des séries télé, on peut se demander s’il leur reste du temps pour travailler, mais c’est une autre question.
Les mondes du jeu informatique et du jeu de société sont d’ailleurs très proches. Beaucoup d’auteurs et d’éditeurs s’intéressent aux deux domaines, et les passages de l’un à l’autre ne sont pas rares. L’un des plus amusants est sans doute le bon vieux chamboultou des foires, devenu Angry Birds sur nos téléphones, avant de revenir en jeu de société, comme si l’on réinventait le chamboultou.

Idée fausse n°3 : les seuls jeux qui se vendent bien sont les grands classiques, Monopoly, Cluedo, Risk et autres.

Je n’ai pas les chiffres – il faut payer pour les avoir – mais je suis à peu près certain que les ventes de Jungle Speed, Time’s Up, Les Aventuriers du Rail, Dobble ou Les Loups Garous ne sont pas ridicules à côté de celles du Monopoly ou du Cluedo. Il faudrait en outre tenir compte du fait que beaucoup des “grands classiques” sont des cadeaux offerts par des parents ou grand parents qui ne connaissent pas les jeux plus modernes à des enfants qui  n’y joueront jamais, ou une seule fois. Bref, les grands classiques sont toujours là, mais les jeux plus récents, et souvent bien plus subtils, sont loin d’être marginaux et gagnent régulièrement des parts de marché.

Idée fausse n°4 : un bon jeu est un jeu éducatif.

C’est très exactement le contraire : les jeux éducatifs sont tous mauvais. Ils sont répétitifs, didactiques et ennuyeux, et ce pour deux raisons. D’abord, ils ne sont pas conçus pour faire jouer, pour amuser ou intéresser les joueurs, mais pour leur faire apprendre ou comprendre quelque chose. Rien d’étonnant par conséquent à ce qu’ils soient moins fascinants que des jeux qui ont été conçus pour jouer. Surtout, tout le plaisir du jeu vient de sa déconnection avec le réel, de ce qu’il ne sert à rien. Si cela doit servir à quelque chose, ne serait-ce qu’à apprendre, ce n’est plus vraiment un jeu, et il n’y à plus de plaisir. Comme les grands classiques cités plus haut, les jeux éducatifs ne sont généralement pas achetés par les pauvres malheureux qui vont devoir y jouer, mais par leurs parents, grands parents ou parfois par leurs instituteurs.
Le jeu est une chose, l’éducation en est une autre. En tant que joueur, auteur de jeu et enseignant, j’ai pu constater que la mode du jeu éducatif nuisait à la fois à l’image du jeu et à l’efficacité de l’enseignement.

Idée fausse n°5 : le jeu, ce n’est pas sérieux.

Au contraire du travail, qu’il vaut souvent mieux faire sans trop y croire et sans le prendre au sérieux, le jeu demande à être pris très sérieusement, à ce que l’on entre dans le jeu, à ce que l’on se prenne au jeu. Dans la vraie vie, il est sans doute préférable de ne pas toujours chercher à être un “winner”, pour éviter les désillusions et pour ne pas avoir l’air trop ridicule. Dans un jeu, il faut chercher à gagner à tout prix, sinon le jeu ne fonctionne pas et tout le monde s’ennuie. On peut, et c’est d’ailleurs mon cas, avoir un goût particulier pour les jeux qui font appel à l’humour, comme on peut apprécier les films ou les romans comiques, mais l’humour n’est pas plus consubstantiel au jeu qu’il ne l’est à la littérature ou au cinéma. Il n’y a pas la moindre trace d’humour dans les échecs, dans les Aventuriers du Rail, dans les Colons de Catan – ce qui n’empêche pas que l’on puisse s’y amuser ou, plus précisément, s’y divertir. Pascal l’avait bien compris dans sa théorie du divertissement, et Freud l’a dit plus clairement encore : le contraire du jeu, ce n’est pas le sérieux, c’est le réel.

Le jeu de société, art mineur, est souvent bien mal traité par des médias qui n’y connaissent rien. Ils ne s’intéressent qu’à l’aspect commercial, qu’ils traitent à grands coups de poncifs et d’idées reçues, et ignorent totalement l’aspect créatif. On pourrait au moins attendre des prétendus spécialistes interrogés qu’ils fassent l’effort de remettre les choses en place, mais cela demanderait sans doute qu’eux-même connaissent un peu leur sujet!


A few days ago, while absent-mindedly listening to the radio in my car, I heard a short interview of the manager of Kidexpo, an exhibition actually taking place in Paris. She was asked about boardgames, and her answers were appalling, inconsistent, obsolete and malinformed. She was basically repeating the most simplistic truisms and commonplaces about games, and clearly didn’t have the slightest knowledge neither of the game market and the gaming world nor of the recent reflections on games by sociologists or philosophers – or even only by gamers. That’s why I’ve decided to write about these commonplaces, and to explain why they are wrong, even when I know there are much fewer people reading my blog than listening to the French national radio.

Commonplace #1 : Games are first and foremost for children.

Of course, adults spend much less time playing than children, probably because they loose much more time working and talking nonsense, but this doesn’t imply that games are a specifically childish thing. Games are an efficient way to leave the actual world for a while and take refuge in a simpler and more arbitrary one, something adults need as much as children. In a society becoming more complex every day, adults are taking a sane and safe refuge in gaming. The market for adult games, be they video games or boardgames, is growing fast, and many of the games usually sold as children games, such as Jungle Speed, are often played by adults. As for video games, the many press articles about the danger of online games for teenagers are quite funny when you know that the average WoW player is over thirty.

Commonplace #2 : Online games are slowly killing traditional boardgames.

If it were true, given the success of online gaming these ten last years, boardgames ought to be dead for a while. As a matter of fact, they are alive, and their sales is growing. The reality is exactly the reverse. Role playing games in the 1980s, Collectable card games in the 1990s, online games and the renewal of poker these ten last years, all these trends brought new people to boardgames. They helped young adults realize that games are not just for kids, and these people started to be interested in other kind of games. All the market researches show that boardgames and computer games big buyers are mostly the same persons. Since these same persons are also buying lots of comics and novels and watching lots of TV series and movies, one can wonder if they still have time for work, but that’s a different question.
The boardgame and computer game business worlds are very similar, and often involve the same people. Many game authors can design one or the other, many publishers move from one to the other, and sometimes back. A good illustration of this is Angry Birds. It was first a computer adaptation of a traditional fair game – known in French as Chamboultou, but I couldn’t find its English name. Now, the successful computer game is reimplemented as a boardgame that feels exactly like the original fair game.

Commonplace #3 : Best sellers are still only Monopoly, Clue and the like, and its gonna stay so.

I don’t know the exact figures – one must pay to geth them – but at least in France, I’m sure the sales of Jungle Speed, Time’s Up, Ticket to Ride, Settlers of Catan, Dobble or Werewolves are not ridiculous when compared with the ones of Monopoly or Clue. One must also consider that the “old classics” are often bought by older people who don’t know anything about more recent games, and offer them as a gift to children who will probably not play them, or just once. It’s true the old classics are still there, and some of them are not bad games – I quite like Clue – but more recent, and more subtle, games are not to be dismissed and are steadily growing.

Commonplace #4 : A good game is also an educational tool.

It is the exact opposite. Educational games are bad games, and it can’t be otherwise. They are repetitive, didactic and boring. They are not designed to play, to raise the attention of players, but to teach them or make them understand something. No wonder they are less challenging than games that were designed to be challenging. The real pleasure in playing comes from the total disjuncture from the real world, from the knowledge that the game is useless. If it’s not useless, if it teaches something, it’s not a game and it cannot be played as a game. Like most of the old classics, so-called educational games are usually bought by well intentioned parents or grandparents, or sometimes teachers, and then imposed on the youngest ones, who would certainly prefer a real game, like the ones the adults play.
Games are one thing, teaching is another. As a gamer, game designer and teacher, I’ve had many occasions to confirm that trying to bring them together just make education less efficient and gaming less exciting.

Commonplace #5 : Games are not intended to be taken seriously.

Unlike work, which needs some detachment and ought not to be taken too seriously, games need to be played with the utmost seriousness and dedication. Always trying to be a winner in real life is a very bad idea, since it brings disappointment and often makes you look ridiculous. In a game, if all players are not trying to win, the game simply falls flat and becomes pointless and boring. The reason is that victory is its only point, when no one has the slightest idea what the point of real life is.
This doesn’t mean games can’t be fun. I like fun games, and I think I design fun games, but fun is no more a necessary feature of games than it is of novels or movies. They can be fun, they don’t have to. There’s not the slightest fun in Chess, Ticket to Ride or Settlers of Catan, but this doesn’t mean one can’t have fun playing them. That’s what Blaise Pascal has explained in his theory of diversion, and that’s what Freud later said : the opposite of play is not seriousness, it’s reality.

Boardgames are a minor art and are often very badly treated by mass medias. Journalists only look at the commercial aspect, and their ideas about it are mostly commonplaces and truisms. They totally ignore the creative aspect. When so-called specialists are called in, one could at least hope they try to put things right. Of course, they can’t if they don’t know much more about the topic.

Speed Dating & Speed Dating

Marcel André Casasola-Merkle est un ami, et un auteur de jeu talentueux, avec à son actif des perles comme Verräter, Taluva, Santa-Cruz ou… Speed Dating. Il m’est arrivé de tester des prototypes de Marcel aux rencontres ludopathiques, mais lorsque Nathalie et moi avons imaginé notre jeu de cartes Speed Dating, nous ignorions totalement que Marcel-André avait déjà publié un jeu sur le même thème et portant, bien évidemment, le même titre. Fort heureusement pour nous, les deux jeux sont bien différents, celui de Marcel-André étant plus basé sur l’attention et la mémoire et le nôtre sur la tchatche. Un grand merci en tout cas à Marcel et à son éditeur, Kosmos, qui n’ont rien vu de mal à ce que nous reprenions le même titre pour notre jeu.

 

Marcel André Casasola-Merkle is a good friend, and a talented game designer, author of many great games like Verräter, Taluva, Santa-Cruz or… Speed Dating. I’ve playtested several of Marcel-André’s designs, but not this last one and, when Nathalie and I imagined our Speed Dating game, we didn’t know that Marcel had already published a game on the same topic, and of course, with the same title. Luckily, the games are really different, Marcel’s one being more based on attention and memory, and our on sweet and smooth talk. Anyway, we must thank Marcel and his publisher, Kosmos, for allowing us to publish a game under the same name.

Toy’s Don’t Cry

Barbara Turquier est universitaire, angliciste, sa sœur Emmanuelle Piard est architecte, et toutes deux sont les auteurs de Et Toque, un délicieux jeu de société culinaire. Toy’s Don’t Cry, leur blog, se situe au croisement de leurs passions – il y est question de jouets et de jeux, avec un intérêt particulier pour le design, et une certaine récurrence du style américain des années trente aux années soixante-dix. Tout cela est certainement un peu bobo, mais c’est très agréable à visiter, à feuilleter.

Si j’en parle aujourd’hui, c’est aussi parce que le dernier posté sur Toys Don’t Cry est une interview que j’avais donné à Barbara lors des dernières rencontres ludopathiques, en juin dernier. J’y parle de Speed Dating, de The Big Movie, et de mes autres créations du moment. Vous pouvez la lire ici.

Barbara Turquier in an English language scholar, her sister Emmanuelle Piard is an architect, and they both designed Et Toque, a boardgame about French cuisine. No wonder their blog, Toy’s Don’t Cry, mixes all this – except cooking. It’s about toys and games, with an emphasis on graphic design, and a recurrence of older American stuff, from the thirties to the seventies. All this feels a bit bobo, but it’s a pleasure to browse and read – though in French only.

If I’m talking of Toy’s Don’t Cry today, it’s because the last blog entry is a long interview I gave to Barbara at the last ludopathic gathering, in June. I talk of Speed Dating, of The Big Movie, and of some other recent designs of mine. You can read it there.

Speed Dating

J’ai passé une dizaine d’années – les années quatre-vingt – à jouer aux jeux de rôles à l’ancienne, sur table, puis une dizaine – les années quatre-vingt-dix – à faire régulièrement du jeu de rôles grandeur-nature. J’en ai gardé le goût des jeux à thème fort, et le sentiment que le jeu de rôles était un peu l’aboutissement du jeu, toutes les autres formes ludiques n’en étant que des succédanés un peu lâches et paresseux. Parce que je vieillis, parce que je n’ai pas le temps, parce qu’il fallait passer à autre chose, j’ai arrêté le jeu de rôles, mais je l’ai toujours un peu regretté.

J’y retourne un peu avec Speed Dating, le jeu de cartes délirant que j’ai conçu avec mon amie Nathalie Grandperrin. Dans Speed  Dating, chacun doit utiliser les cartes de sa main pour présenter un personnage et expliquer à un autre joueur qu’il est l’homme ou la femme, de sa vie. Speed Dating est donc une sorte de jeu de rôles minimaliste, dans lequel votre personnage est constitué de trois petites cartes, toujours différentes, par exemple : Collectionne les armes de guerre, Passe ses vacances au Kazakhstan, Son livre préféré : le petit prince (cartes hommes), ou se nourrit de légumes bio, adore raconter son enfance avec des parents échangistes, veut sauver les baleines (cartes femmes). Le scénario, lui, est toujours le même, une soirée de Speed Dating. Au Dernier bar avant la fin du monde, où j’ai fait pas mal de soirées test ces derniers mois, Speed Dating est celui de mes prototypes qui a le mieux tourné, et cela n’a rien d’étonnant. Ce jeu de cartes, avec ses règles simplissimes, se prête fort bien à l’ambiance de bistrot, y compris après quelques cocktails, et beaucoup de geeks sont d’anciens rôlistes.

Si Speed Dating est techniquement une sorte d’épure de jeu de rôles, c’est quand même d’abord un cousin de Taboo, Time’s Up ou The Big Idea, et c’est plus à ces jeux d’ambiance drôles et délirants que l’on pense en y jouant. Les jeux d’ambiance, les party games, sont un genre que j’ai toujours beaucoup apprécié comme joueur, faisant d’innombrables parties de Taboo dans ma jeunesse,  de Big Idea, de Gift Trap ou de Win ces dernières années, mais qui m’a longtemps posé problème comme auteur, mes tentatives échouant régulièrement, ou s’avérant trop proches de jeux déjà existants. Sans que je sache très bien pourquoi, tout semble s’être débloqué début 2012 et j’ai imaginé coup sur coup plusieurs party games dont je suis assez content. Speed Dating, puis le tout aussi délirant Mouette Rieuse, avec mon amie Nathalie Grandperrin, A Day in my Life avec une autre jolie rousse, Anja Wrede, et tout seul The Big Movie et Devine qui vient dîner ce soir. Speed Dating, qui a trouvé un éditeur dès la deuxième partie test, est le premier à paraître. The Big Movie devrait suivre assez rapidement. Les trois autres cherchent un éditeur, donc, si vous êtes intéressé…

Speed Dating ne paraît pour l’instant qu’en français,  mais j’espère qu’il sera rapidement adapté dans bien d’autres langues. Adapté et non simplement traduit, car les références et les clichés sexistes qui ont fourni la matière de la plupart des cartes de ce jeu ne sont pas tout à fait les mêmes en France, aux États-unis, en Allemagne, en Chine ou ailleurs. Si certaines cartes peuvent être simplement traduites, beaucoup devront sans doute être totalement réécrites, et cela demandera un peu de temps et de travail.

Speed Dating est publié par un jeune éditeur, Letheia, dont c’est la deuxième réalisation, et très joliment illustré par Giulia Ghigini. Il devrait arriver dans les boutiques fin octobre.

Speed Dating
Un jeu de Bruno Faidutti & Nathalie Grandperrin
Illustré par Giulia Ghigini
3 à 8 joueurs –
40 minutes
Publié par Letheia (2012)
Ludovox          Vind’jeu          Tric Trac         Boardgamegeek


In the eighties, I used to play tabletop role playing games, mostly Dungeons and Dragons. In the nineties, I moved to live action RPGs. I’ve kept from these good old days a liking for strongly themed games, and the idea that live action role playing games are the essential form of gaming, and that all other games, be they sport, boardgames or even online games, are only lazy substitutes. I got older, I wanted to move to something else, and I didn’t have enough time, so I gave up role playing games, but I always regretted it a bit.

I’m coming back to it with Speed Dating, the hilarious card game I’ve designed with my friend Nathalie Grandperrin. In Speed Dating, each player must use the cards in his hand to design a character, to introduce him (or her), and to convince another player that he (or she) is her o(or his) best match. Speed Dating feels like a minimalistic role playing game, in which a character is just made of three small cards, always different ones – for example “war weapons collector, spends his holidays in Kazakhstan, likes movies about gladiators” – all male cards, of course – or “eats only organic vegetables, enjoys to talk about her childhood with swinger parents in the seventies, campaigns to save the whales” – all female cards. The scenario is always the same, a Speed Dating evening. At the Last bar before the end of the world, the Parisian geek café where I made several game tests sessions these last months, Speed Dating was the most played and the most praised among my prototypes. This is not surprising. This talking game with simple rules fits well in a café ambiance, especially after several cocktails, and most geeks are former RPG players.

Technically, Speed Dating could be considered an epitome of role playing game, but it’s also, and may be more, a hilarious party game, in the vein of Taboo, Time’s Up or The Big Idea. Party games are a very specific genre. I’ve always enjoyed playing them, having regularly played Taboo as a teenager, and The Big Idea, Gift Trap or Win these last years. On the other hand, I didn’t think I was good at designing them, since my previous attempts either completely failed, either happened to be too similar with existing games. I don’t know exactly why, but the deadlock was broken in early 2012 and, in a few months, I designed four. Speed Dating and Sitting Bull, another zany card game, I designed with my friend Nathalie Grandperrin. A Day in my life I designed with another pretty redhead, Anja Wrede. Guess who’s Coming for Dinner and The Big Movie I designed all by myself. Speed Dating found its publisher during the second playtest, and is the first to hit the shelves. The Big Movie ought to follow soon, but the three other ones are looking for a publisher. If you’re a publisher looking for a light party game, I’m your man.

Speed Dating is published only in French so far, but I have strong hopes that it will be adapted soon in other languages. Adapted and not just translated, because it’s not only language dependent, it’s culture dependant. The sexist clichés, puns and references which are used in most of the cards are not exactly the same in France, in Germany, in the US, in China or elsewhere. More or less half of the cards can probably be simply translated, but the other ones have to be replaced, and this means some time and some work.

Speed Dating is the second game of a new French publisher, Letheia. It has been cutely illustrated by Giulia Ghigini. It ought to be on sale in France in late October.

Speed Dating
A game by Bruno Faidutti & Nathalie Grandperrin
Art by Giulia Ghigini
3 to 8 players – 40 minutes
Published  (in French) by Letheia (2012)
Boardgamegeek

Jean-René Vernes – Rome & Carthage

En 1955, Jean-René Vernes publiait, chez Miro Company, Rome et Carthage. Avec son système de combat faisant appel tout à la fois à la tactique, à la mémoire et au bluff, ce jeu était en avance sur son temps – trop sans doute, puisqu’il a été injustement oublié tandis que le moins subtil Risk, imaginé par son ami Albert Lamorisse mais auquel il avait apporté les derniers réglages, allait connaître une longue carrière.

En 2006, au festival de jeux de Cannes, j’ai eu la chance de dîner avec Jean-René Vernes et sa femme, tout étonnés et amusés de voir que le monde du jeu de société n’avait pas oublié Rome et Carthage – et bientôt excités à l’idée d’une possible réédition. Il faut dire qu’entre temps cet intellectuel un peu touche à tout avait contribué avec Roger Caillois à la naissance de la sociologie du jeu, s’était intéressé au bridge, aux probabilités, puis avait tâté de la théorie économique, avant de se replier sur les valeurs sures de la philosophie classique. Alors, bien sûr, Rome et Carthage…

Or voici que je viens d’apprendre, à quelques jours d’intervalle, une triste et une bonne nouvelle. Jean-René Vernes est en effet décédé il y a une dizaine de jours, à l’âge de 98 ans, quelques semaines à peine avant l’arrivée de la nouvelle édition de Rome et Carthage, qui sera présentée au prochain salon d’Essen. Gageons qu’il eut le temps de voir les épreuves, la maquette, et de s’en réjouir.


 

In 1955, Jean-René Vernes’ Roma & Carthago was published in France by Miro Company. A US edition soon foloowed, as Mediterranean. With its clever combat system made of tactics, bluffing and some memory, this game was ahead of its time. It may have been far too much ahead, since it was soon forgotten. The less subtle Risk, imagined by his friend Albert Lamorisse and finalized by Jean-René Vernes, was, on the other hand, to become a lasting world hit.

In 2006, I was lucky enough to have dinner with Jean-René and his wife. They were surprised and amused to find out that Roma & Carthago had not been completely forgotten in the boardgaming world, and excited at the prospective of a new edition. Since the fifties, Jean-René Vernes had left boardgaming and this intellectual jack of all trades had contributed, with Roger Caillois, in the very beginnings of game sociology, then indulged in bridge theory, in probabilities, in economics theory, and finally retreated on the stable values of classical philosophy. So, Mediterranean again ! But why not ?

I just learned, within less than a week, a sad and a good news. Jean-René Vernes, aged 98, died a dozen days ago, a few weeks before the new edition of Mediterranean, under its original name Roma & Carthago, will be introduced at the Essen game fair. I bet he had time enough to see a mock-up of the new version, which looks much nicer than the flashy seventies version.

Steampunk

L’uchronie Steampunk

L’Empire Britannique à la conquête de Mars.
The British Empire flies to Mars.

Deux de mes jeux, Mission : Planète Rouge et Novembre Rouge sont situés dans l’univers fantastique et uchronique qu’il est convenu d’appeler Steampunk. Le Steampunk est, du moins dans sa variante la plus répandue, que l’on pourrait appeler victorienne, un monde dans lequel la science de la révolution industrielle, celle des machines à vapeur, des dirigeables, des calculateurs mécaniques, a connu des développements fabuleux, allant parfois jusqu’à la conquête et la colonisation de Mars par les empires britanniques et allemands, grâce à de gigantesques navires spatiaux. Autant qu’une thématique, c’est, comme le montrent les boîtes de jeu qui illustrent cte article, une esthétique, mécanique, cuivrée et enfumée.

Un bon gros jeu de figurines, avec des cuirassés volants. En général, la thématique steampunk met en avant l’empire britannique, mais ici c’est un navire français qui est au premier plan.
A miniature game with flying dreadnoughts. Note that the forefront ship is French and bot British, the only unusual feature of this typical steampunk picture.

Le prototype de Mission : Planète Rouge s’appelait simplement Mars, et relevait de la science fiction réaliste; celui de Novembre Rouge s’appelait Sauvez le Kursk, et relevait de l’humour noir. Ce sont les éditeurs, Asmodée et Fantasy Flight Games, qui ont choisi pour Mission: Planète Rouge et pour Novembre Rouge cette thématique et l’univers graphique très particulier, tout en engrenages, en machineries, en fumées grises et rousses, qui lui est conventionnellement associé. Ils ne sont pas les seuls à avoir fait ce choix, et les jeux de société Steampunk sont de plus en plus nombreux. Ils comptent quelques chefs d’œuvre comme Planet Steam, Wiraqocha ou Sky Traders. Même dans des jeux qui n’ont thématiquement rien de Steampunk, comme Thèbes ou la dernière version d’Evo, le style graphique pointe le bout de son nez cuivré avec des roues du temps qui semblent les engrenages de gigantesques machines. Il est vrai que, autant qu’un thème, le Steampunk est une esthétique aux codes assez précis – les textes y parlent d’acier, mais sur les illustrations, cet acier a toujours la couleur du bronze ou du cuivre. Si Full Metal Planet était un peu moins bleu, si Funkenschlag était un peu moins vert, et s’ils étaient plus rouges, plus bruns, plus gris, ce seraient des jeux Steampunk.

Aucune idée de ce qu’était ce jeu, mais l’illustration n’est pas sans faire penser à Mission Planète Rouge.
I have no idea what this game was, but this picture reminds a bit of the box of Red November.

Cet univers est également de plus en plus populaire dans le jeu de rôles, et devient même une inspiration pour de nombreux couturiers, alors même que, contrairement à ce qu’il en est de la science fiction ou de l’Heroic Fantasy, la littérature Steampunk, qui pourrait lui servir de support, reste peu fournie. Cela ne veut pas dire qu’elle ne soit pas parfois de grande qualité, et souvent d’une impressionnante érudition, comme dans les délires de David Calvo ou dans le foisonnant Against the Day, de Thomas Pynchon, récent chef d’œuvre du genre.

Pourquoi donc l’univers Steampunk convient-il si bien aux jeux ?

Parce qu’il a une forte cohérence graphique, ce à quoi les éditeurs désireux de mettre en avant leurs produits sont de plus en plus attentifs. Parce que, comme tous les mondes un peu fantastiques, il permet de justifier aisément bien des effets ou mécanismes de jeu, ce qui est bien pratique pour les auteurs. Parce qu’il est suffisamment exotique et décalé pour faire rêver les joueurs, mais reste proche de nos angoisses techniciennes et écologiques – et sur ce dernier point, un parallèle avec la mode des vampires, qui vivent aussi souvent à la fin du XIXème siècle et nous renvoient à d’autres angoisses, serait sans doute intéressant. Et surtout, sans doute, parce qu’auteurs, joueurs et éditeurs se sont un peu lassés d’univers imaginaires plus classiques.

De toutes les boites de jeux que j’ai utilisées pour illustrer cet article, c’est la seule que je trouve moche, mais le jeu est peut-être très bon.
I don’t know if the game is good, but this is the only picture I really don’t like among the many ones I used in this post.

Cinq jeux Steampunk

Donc, pour ceux que cet univers intéresse, voici cinq bons jeux Steampunk – dont deux auxquels j’ai participé, je sais.

À la fin des années quatre-vingt, le jeu de rôles Steampunk Space 1889 connut un certain succès. Les puissances coloniales européennes, au premier rang desquelles l’empire britannique, s’y affrontaient dans un “scramble for Mars”, avec les martiens dans le rôle des zoulous. Excepté un jeu de combat de miniatures, Sky Galleons of Mars, dont j’ai depuis plus de vingt ans une boite avec laquelle je n’ai jamais joué, aucun jeu de société n’est, je crois, situé dans cet univers. Mission : Planète Rouge, comme je l’ai expliqué plus haut, à d’abord été conçu dans un univers de science fiction futuriste plus classique, avec des états ou des grandes multinationales rivalisant pour le contrôle des principales zones de la planète Mars. Un jeu de majorité, donc, de la famille d’El Grande ou de San Marco, sur lequel Bruno Cathala et moi avons greffé un système de personnages plus ou moins inspiré de Citadelles. La thématique Steampunk, décidée par l’éditeur, convient pourtant fort bien au jeu, et l’on imagine bien les grandes puissances coloniales, France, Grande Bretagne, Allemagne et quelques autres, partant à la conquête de Mars dans des fusées à vapeur. Les dessins sont l’œuvre du talentueux Christophe Madura, qui semble bien aimer le genre. Si vous aimez Citadelles, ou si vous appréciez le tout nouvea Libertalia, essayez-donc de vous procurer une boite de Mission : Planète Rouge, il en reste quelques unes dans quelques boutiques.

Les personnages typiquement steampunk de Mission : Planète Rouge
The typically steampunk characters in Mission : Red Planet

On imagine mal des machines à vapeur dans les profondeurs océaniques. Les sous-marins sont pourtant partie intégrante de l’univers Steampunk, qui doit un peu à Jules Verne et, en particulier à Vingt-mille lieues sous les mers. Sauvez le Kursk, le jeu de coopération que j’avais imaginé avec mon ami Jef Gontier, à fait rire bien des éditeurs mais était difficilement publiable en l’état. On a pensé à déplacer l’action dans une station spatiale, mais cela impliquait beaucoup de changements dans la structure du jeu. Les gens de Fantasy Flight Games ont donc imaginé de neutraliser un peu l’humour noir du jeu en faisant du Novembre Rouge un sous-marin à aubes et à vapeur piloté par des gnomes, et en chargeant Christophe Madura, déjà cité plus haut, de lui donner une esthétique Steampunk. Mission accomplie, et ce jeu de coopération plein de rebondissements, aussi drôle que tendu, est un succès qui ne se dément pas.

Novembre Rouge, un sous-marin gnome russe et à vapeur.
Red November, a russian gnome steam-propelled submarine

Planet Steam, de Heinz Georg Thiemann, est un bon gros jeu de gestion à l’allemande, un de ces jeux où l’on investit pour produire des cubes en bois – pardon, pour extraire des matières premières – que l’on cherche ensuite à revendre avec profit. Superbement édité dans une énorme boite, ce jeu exploite remarquablement le thème de la planète fumante sur laquelle les corporations multinationales s’affrontent pour prospecter, pour installer des plateformes de forage au dessus des lacs de lave en fusion, pour extraire les précieux minerais, et pour affréter de gigantesques vaisseaux capables de les emporter. C’est un jeu de commerce, de gestion, un bon gros jeu qui prend la tête et qui,soutient aisément la comparaison avec Funkenschlag ou d’Age of Steam.

Planet Steam – il y fait trop chaud pour que ce soit Mars.
Planet Steam – too hot to be Mars

Dans Wiraqocha, de Henri Kermarrec, nous ne sommes pas sur Mars, mais plus près de chez nous, dans la jungle mexicaine où des explorateurs cherchent à mettre la main sur les secrets perdus de la technologie inca et sur les riches gisements de somnium, un minerai source d’une énergie quasi-inépuisable. Le steampunk inca, qui donnerait sans doute un très mauvais film et un médiocre thriller, a produit un excellent jeu de placement et d’affrontement, plus tactique que stratégique, très agressif et plein de rebondissements, dans lequel il faut savoir s’adapter et saisir la moindre opportunité. Au premier coup d’œil, ça ressemble un peu aux Colons de Catan, mais ça se joue plus comme un croisement entre Neuroshima Hex et Alien Frontiers.

Les artefacts incas de la vallée de Wiraqocha
Incan artifacts from the Wiraqocha valley

L’univers de Sky Traders, de Gioacchino Prestigiacomo, n’est pas à proprement parler Steampunk, puisque la divergence technologique s’y est produite avant la révolution industrielle, au tournant des XVIIème et XVIIIème siècle. Dans ce monde ou Descartes aurait eu raison contre Newton, des navires de bois, propulsés au gaz phlogistique, voguent dans l’espace sur des tourbillons d’éther. Un peu long mais très fluide et plein de rebondissements, Sky Traders est un gros jeu à l’américaine, avec des la baston, des cartes action, de la négociation et des lancers de dés, dans lequel le thème, omniprésent, est traité avec humour et intelligence. Dans le genre “pick-up and deliver” ameritrash, je trouve ça plus sympa et plus moderne que Merchant of Venus.

Sky Traders, un look vénitien qui change du steampunk victorien.
Sky Traders, more venitiana than victoriana.

Et ce n’est pas fini… dix minutes sur le boardgamegeek m’a fait trouver trois jeux Steampunk à paraître dans les mois qui viennent – Mars needs Mechanics, City of Iron et Kings of Air and Steam. À priori, c’est City of Iron qui a l’air le plus prometteur.

City of Iron, sur Kickstarter – mais un peu cher quand on n’est pas aux États-Unis.
City of Iron, on Kickstarter, but too expensive if you’re not in the US.

Quelques figurines du jeu Dystopian Legions.
Miniatures for Dystopain Legions.


The Steampunk uchrony

The action of two of the games I designed, Mission : Red Planet and Red November,  is supposed take place in the fantasy and uchrony setting known as Steampunk. Steampunk is, in its most popular victorian version, a world in which the science of the industrial revolution, steam engines, Zeppelins and mechanical computers, have been developed to a fabulous level, allowing for example to the conquest and colonization of Mars by the British and German Empire using  gigantic ether or steam propelled spaceships. Steampunk is a fantasy setting, but it’s also, and may be even more, a mechanical, rusty and smelly esthetic, as can be seen on the various game boxes and cards inserted in this blogpost.

Sky Galleons of Mars, sans doute le premier jeu de société Steampunl.
Sky Galleons of Mars, probably the first Steampunk boardgame.

The prototype of Mission: Red Planet was simply called Mars, and was more realistic hard science-fiction. Red November’s one was called Save the Kursk and was dark and somewhat tasteless humor. The steampunk setting, and the associated graphic style heavy on red, brown and grey and dull of gears and pipes, was in both cases decided by the publisher, first Asmodée then Fantasy Flight. Steampunk games have become quite common these last years, and some of them, like Planet Steam, Wiraqocha and Sky Traders, are masterpieces. Even games which have little or nothing to do with the Steampunk universe sometimes borrow elements from its graphic style, for example with the bronze mechanical time wheels in Evo and Thebes, which look like piece from giant mechanical watches. In the end, steampunk is probably more a graphic style than a fantasy setting – steampunk texts talk of iron, but on the pictures, this iron always looks more like bronze or copper. If Full Metal Planet were less blue, if Funkenschlag were less green, and if both were more rusty brown, they would be steampunk games.

Un clone steampunk de Citadelles.
A Steampunk Citadels clone.

This universe is also quite popular in role playing games, and even in fashion, when steampunk literature, which should be the basis for all this, is still scarce. On the other hand, it’s often – not always – clever and erudite, like Thomas Pynchon’s Against the Day, the best steampunk novel I ever read.

So, why so many Steampunk games ?

Because the steampunk world is graphically consistent, and this helps publisher highlight their games. Because, like all fantasy settings, it allows for easy explanation of any strange rule or card effect. Because it’s enough exotic and out of line to make players dream of a fantasy world, and still very near from our technical and ecological concerns. A comparison with vampire settings, which are also quite popular in gaming, are also mostly late XIXth century, and bring forth other contemporary concerns, could be interesting. But may be, more simply, gamers, authors and publishers are just looking for imaginary settings other than the frequently used heroic fantasy and science fiction.

Un steampunk au look plus germanique que britannique.
A steampunk game with a name that sounds more German than British.

Five steampunk games

Anyway, if you’re looking for Steampunk games, here are five good ones – including two of mine, I know.

The Steampunk Space 1889 tabletop role-playing game achieved some success in the late eighties. If features the British Empire and the other European colonial powers in a “scramble for Mars”, with wild martians as Zulu warriors. There was a miniature game based on it, Sky Galleons of Mars, and I happen to own a box of it, still unplayed after twenty years. As I explained earlier, Mission : Red Planet wasn’t originally designed in a steampunk universe. It was more typical science fiction, with major companies from all over the world vying to settle on Mars and exploit its precious ore. It was a classical wooden-cubes majority game, like El Grande or San Marco, on which Bruno Cathala and I had grafted a character card system more or less inspired by Citadels. The steampunk style and setting was decided by the publisher, but fits the game very well, and it’s easy to imagine the XIXth century colonial powers launching steam rockets to Mars. The gorgeous and sometimes unsettling graphics were made by Christophe Madura, who seems to like the steampunk genre. Mission : Red Planet is out of print, but if you like Citadels, or the brand new Libertalia, it might be worth trying to find a copy.

Mission Planète Rouge – le cosmonaute en haut de forme est un peu inquiétant.
Mission : Red Planet – the top hat astronaut looks a bit scary.

Though it’s hard to imagine steam engines in the deep seas, submarines are a not uncommon in steampunk settings, partly because Jules Verne, and most of all among his books Twenty Thousand Leagues under the Sea, is often considered a precursor of the steampunk genre. Save the Kursk!, the cooperation game I had designed with my friend Jef Gontier, was probably impossible to publish with its original setting. We thought of moving the action into a space station, but this meant too many changes in the game’s structure. The Fantasy Flight Games team had the idea of making the storyline harmless with having the submarine driven by gnomes – Jef and I insisted on Russian gnomes – and asking the same Christophe Madura, who has already illustrated Mission : Red Planet, to give it a steampunk style. The result is gorgeous, and Red November is a best-seller translated in many languages – though not Russian.

Une vue en coupe d’un sous-marin steampunk.
A cross section of a steampunk submarine.

Heinz-Georg Thiemann’s Planet Steam is a heavy German style management game, a game about investing in in producing wooden cubes of different colors – or rather in extracting various ores – and then selling them at the best price. The graphics, by Czarné, and the gorgeous production,  help feel the heat and smell of the fuming planet. That’s probably why this game feels more thematic than most management eurogames. Players are space tycoons prospecting the hot red planet, building drills over the magma lakes, extracting the precious ore and sending them to earth in giant spaceships. Planet Steam is a trading and management game, a typical “woodenkubs” game, but it’s a really good one and it stands the comparison with better known ones such as Funkenschlag or Age of Steam. There were talks of a US edition, but it seems to have been cancelled.

Les personnages très steampunk de Steam Planet.
The steampunk characters in Steam Planet.

In Henri Kermarrec’s Wiraqocha, the action doesn’t take place on a faraway planet but in the Mexican jungle, where fierce explorers try to uncover the lost and powerful artifacts of inca technology, and the rich deposits of somnium requested to activate them. Inca Steampunk could have made a terrible movie, and a mediocre thriller, but it makes a great tactical game placement and war, aggressive and dynamic, in which, like in Alien Frontiers, one must make the best use of one’s dice rolls. It looks like Settlers of Catan, but it plays like a mix between Alien Frontiers and Neuroshima Hex. 

Masque inca ou machine steampunk ?
Inca mask or steampunk engine ?

Gioacchino Prestigiacomo’s Sky Traders is not, strictly speaking, a steampunk game, but it has a very similar look and feel. The technological divergence has happened before the industrial revolution, in the late XVIIth or XVIIIth century. Descartes was right, Newton was wrong, and wooden spaceships propelled by phlogiston travel on the ether whirlwinds. Sky Traders might a bit too long, but it’s fluid, nasty, and full of twists and turns. It’s a good “ameritrash” game, with dice, random event cards, negociations, and of course boarding parties. The theme is strong, clever and humorous – it’s probably a better pick-up and deliver game than the old Merchant of Venus, and certainly a more modern one.

Marchands de l’espace, mais aussi pirates de l’espace.
Sky Traders are also Space Pirates.

Of course, there will be more. In ten minutes on the boardgamegeek, I’ve already found three Steampunk games to be published in the coming months – City of Iron, Mars needs Mechanics and Kings of Air and Steam. City of Iron looks the most promising.

City of Iron, un jeu à voile et à vapeur.
Sorry, untranslatable pun.