Les Grands Enfants
Adult Kids


Avec Charles Chevallier, Ewa Szarzynski et Juan Rodriguez, devant l’exposition sur Les Poilus, pas vraiment un jeu pour enfants.

À Paris, place de la République, le kiosque à jeux rouge de l’R de jeu, installé depuis cinq ou six ans, fait désormais partie du décor. J’y étais dimanche dernier, avec quelques autres auteurs, pour un petit festival du jeu. Les municipales approchant, quelques conseillers municipaux sont aussi passé. Cela était d’autant plus légitime que la place de la République, le kiosque et les animations qui s’y déroulent doivent beaucoup à la ville de Paris, et illustrent trois des réussites de l’équipe municipale actuelle, le recul de l’automobile, l’ouverture culturelle et le rééquilibrage entre l’est et l’ouest de la capitale. Ils l’ont fait savoir sur Twitter, ce qui est de bonne guerre, ou de bonne campagne électorale, mais avec une maladresse qui illustre malheureusement la persistance de quelques idées reçues sur le jeu et les joueurs.

S’il s’était agi d’un festival de littérature, de cinéma, de musique, ces élus se seraient-ils ainsi réjouis que l’on en fasse tant pour les enfants ? Auraient-ils pensé qu’un adulte qui lit un livre, regarde un film, écoute un morceau de musique ne peut être qu’un parent accompagnant ainsi ses enfants?

J’ai coutume de protester, de manière assez systématique et prévisible, chaque fois que je lis ou entends que le jeu est une activité pour enfants. Les adultes ont toujours joué, en particulier aux jeux de stratégie et aux jeux d’argent, sans même parler des sports. Ils jouent sans doute plus que jamais aujourd’hui.
Les jeux de rôles et les jeux vidéo ont fait passer l’idée qu’il n’y avait rien d’inquiétant ni de régressif dans le fait qu’un adulte joue et aime jouer. Si la mode en a moins duré, le poker et les jeux de cartes à collectionner y ont aussi contribué. Si n’ai jamais beaucoup pratiqué les jeux vidéo, je suis passé par le jeu de rôle, le poker et Magic, et cela se ressent dans les jeux que je crée aujourd’hui. La plupart de mes créations sont « tous publics », c’est à dire destinées aussi bien aux jeunes qu’aux vieux, et quelques unes, comme Kamasutra, sont même franchement adultes.

C’est un bel argumentaire, que je ressors assez régulièrement, mais il reste que, même si l’écart a sensiblement diminué et diminue encore, les enfants jouent quand même plus que les adultes. Surtout, tous les enfants jouent, mais seulement une partie des adultes, ce qui conduit à s’interroger sur les raisons pour lesquelles on joue et, surtout, on arrête de jouer.

L’explication habituelle de l’appétence des enfants pour le jeu est que ce serait une technique d’apprentissage, une sorte de modélisation très simplifiée du réel pour en comprendre les tenants et les aboutissants. C’est la base des théories de Piaget, et c’est sans doute un peu vrai, mais je ne pense que cette explication soit suffisante. Beaucoup de jeux d’enfant ne sont en rien des simulations, et beaucoup de petits vieux jouent encore au scrabble, au bridge ou à la pétanque.
Face à la complexité du monde, le jeu me semble moins une technique d’apprentissage qu’un anxiolytique. On ne renonce pas à la lucidité mais, pour se reposer un peu et éviter que notre modeste intellect ne parte en vrille, on entre dans une parenthèse, on fait pour quelque temps comme si les choses étaient plus simples, comme si le monde avait des causes et des règles, comme si la vie avait un sens et un but.
Il est bien évident que les plus jeunes, qui viennent de débarquer, sont les plus paumés face à un monde assez bizarre et incohérent. Ils expérimentent, ils analysent, ils essaient de comprendre d’abord comment ça marche, puis se demandent éventuellement vaguement pourquoi et vers où. Et comme on devient vite dingue à tourner en rond dans le noir – in girum imus nocte et consumimur igni – ils s’arrêtent de temps en temps pour jouer, c’est à dire pour expérimenter tout ce que le monde réel n’est pas, un univers limité, aux règles simple et au but défini. Le jeu est alors tout à la fois un repli et un repos avant de repartir à la découverte du monde, toujours un peu vaine, tout à la fois excitante et désespérée.

Et puis un jour, en grandissant, certains jouent moins, voire cessent complètement. Si c’est cela devenir adulte, comme on l’entend parfois, c’est un peu triste. Ceux qui continuent, les grands enfants, sont ceux qui, comme moi, n’ont toujours pas bien compris ce que c’est que la vie, à quoi ça sert, d’où l’on vient ni où l’on va, et ont décidé de faire avec, parce que si c’est angoissant, c’est aussi intéressant et parfois rigolo. Et quand l’angoisse prend le dessus, on joue pour calmer notre esprit un peu fatigué en lui donnant, pour quelques heures, un monde clos aux règles simples et arbitraires.

On peut considérer le nombre croisant de joueurs parmi les adultes comme un effet annexe du « désenchantement du monde ». Cessent en effet de jouer en vieillissant ceux qui capitulent devant la complexité, ceux qui croient ou font comme s’ils croyaient savoir comment ça marche, qui nous sommes, d’où nous venons, où nous allons et sur quelle étagère. Faisant comme si la vie elle-même était un jeu, avec un but et des règles, ils n’ont ps besoin de joueur. C’est pour cela que les joueurs sont peu nombreux parmi ceux qui adhèrent à des idéologies totalitaires, et en particulier aux religions. Les croyants sont très rares dans le petit monde du jeu, et les quelques uns que l’on y croise, les Guillaume Chifoumi ou Tom Vasel, sont sans doute moins sûrs d’eux qu’ils ne veulent bien le laisser paraître. Les croyants, les vrais, me font un peu l’impression de joueurs de jeux de rôles se prenant un peu trop au sérieux, au point parfois d’oublier qu’ils jouent.

Si je jouais relativement peu dans mon enfance, moins sans doute que la plupart des enfants de mon âge, c’est parce que j’ai eu une éducation chrétienne, marxiste et tiers-mondiste – dans les années soixante, tout cela se mélangeait plus facilement qu’aujourd’hui. Le monde était une chose sérieuse, avec de vrais problèmes, et il n’y avait donc ni temps, ni énergie physique ou intellectuelle disponible pour le jeu.

Or il me semble paradoxalement aujourd’hui que c’est parce que le monde est une chose sérieuse et complexe, parce que nous sommes assez mal barrés, que le jeu est une soupape de sécurité intellectuelle et psychologique absolument nécessaire. Oui, les joueurs sont de grands enfants, parce qu’ils ne font pas semblant de savoir dans quel monde ils vivent, et parce qu’ils ont recours au jeu pour assouvir un besoin, sans doute naturel, de règle et de simplicité.

Le jeu est peut-être alors un complémentaire du rêve. Les rêves partent dans tous les sens, tout y est possible, notre esprit s’y donne libre cours. Dans le jeu, à l’inverse, bien peu de choses sont possibles, mais on sait très bien lesquelles et on sait pourquoi. Après un monde réel dans lequel on ne sait pas très bien ce qui est possible et on ne sait absolument pas pourquoi, rêve et jeu sont, chacun à sa manière, des formes de repos pour l’esprit. Pour le dire autrement, si réel est fait de règles incompréhensibles, rêve et jeu sont deux contraires du réel, le premier par l’absence de règles, le second par ses règles claires et honnêtes.

Je n’ai longtemps cherché à faire que des jeux destinés à des joueurs comme moi, c’est à dire des adultes ne prenant pas le jeu trop au sérieux. Il m’est arrivé, par accident, de participer à des projets qui se sont finalement avérés être de très bons jeux pour les plus jeunes, comme Toc Toc Toc! ou Diamant, mais ce n’était jamais l’intention de départ. Ce n’est que récemment, quand la création de jeu est réellement devenue pour moi un métier, et un peu grâce à ma rencontre avec Anja Wrede, que je me suis intéressé aux jeux destinés aux plus jeunes. Avec Anja, nous avons conçu Fearz! et Junggle, passés relativement inaperçus, et plus récemment le Petit Poucet, qui semble remporter plus de succès ainsi qu’un autre qui devrait paraître l’an prochain.

Il reste que je suis toujours un peu mal à l’aise avec les jeux pour enfants, sans doute parce que je ne parviens pas à imaginer un jeu auquel je n’aurais pas personnellement de plaisir à jouer. Du coup, mes rares jeux enfants sont en fait des jeux « tous publics », des jeux auxquels on peut et je peux vraiment jouer avec des enfants, c’est à dire chercher à gagner, et qui reposent donc sur des capacités sur lesquelles l’âge influe peu, comme la mémoire ou la reconnaissance tactile.



With Charles Chevallier, Ewa Szarzynski and Juan Rodriguez at the “Grizzled” exhibition, place de la République. Not really a kids game.

For five or six years now, Place de la République, in Paris, there is a red kiosk where people can, most week-ends, borrow games to be played on the spot. I was there last Sunday, with a few other game designers, for a small game fair. With the mayoral elections due next year, a few city councillors happened to pass by and published some photos and comments on twitter. This was fair electoral game, especially since the new Place de la République, the red kiosk, and the other various animations held there are paid by the city, and illustrate three of the mani successes of the mayoral team, the lower place held by cars, a certain cultural openness and a better balance between the eastern and western parts of the city. Their tweets, however, were a bit clumsy and show an enduring and common misconception about gaming and gamers.

Dominique Versini :
How nice to see the game festival place de la république, and the happiness of the small and big ones. paris is a city friendly with children.
Patrick Bloche :
Place de la république, under a nice parisian sun, the game festival is once more a success. the affluence shows the place gained by gaming in public places in Paris, and gathers children, teenagers, young people and their parents.

If it were a literature, cinema or music event, would they have rejoiced like this that there was so much done for children ? Would they have thought and told that an adult can only read a book, watch a movie or listen to music when and because he is accompanying a child?

I know I am predictable on this issue. I protest every time I read or hear somewhere that gaming is just for kids. Adults have always played games, notably but not only strategy games, gambling games and sport games. They probably play more than ever now.
Role playing games and video games have made adult gaming popular and socially acceptable. The Poker and collectable card games craze, even when they didn’t last as long, also helped. I never played much video games, b ut I’ve been though RPGs, LARPs, poker and MtG, and this certainly shows in my designs. I try to design games for everyone, meaning for younger and older gamers, and a few of my designs, such as Kamasutra, are even clearly adult oriented.

Nevertheless, even when there are more and more adult gamers, children still play more often than adults. Even more, all children play games, while only some of the adults do. This, of course, might help understand what gaming means and why we play games.

The usual psychological explanation of kids appetence for games considers games as learning tool, a simplification and modeling which helps understand the real world. It’s the basis of Piaget’s theories. It might be partially true, but it cannot explain all kids games, many of which are not simulations in any way, and completely fails at explaining why many adults still play, and why even older people often play Scrabble, whist or boule.

My view is that games are less a learning tool than an anxyolitic, a conscious and temporary withdrawal from a complex and mysterious reality. The gamer doesn’t give up lucidity, but he takes some rest and to prevent his thought to get amok he makes, for a while, as if the world had rules and causes, as if life had an obvious meaning.
Young kids just went into this world and are probably even more lost than we are in this zany and in consistent world, They experiment, they analyse, they try to understand vaguely how it works, or for the most ambitious ones why and towards what. And since one inevitably becomes crazy when turning in circles in the dark – in girum imus nocte et consumimur igni – they take a few breaks to play games, meaning to experiment what reality isn’t, a closed system with simple rules and a clear goal. Gaming is both a rest and a temporary withdrawal before getting back into the vain, exciting and desperate exploration of the world.

Then they grow old. They play more rarely, some even completely stop playing. If this is becoming an adult, it’s a bit sad. Those who keep playing games, like I do, are indeed old kids – they still have no serious idea what life means, where we’re coming from, where we are and where we’re going to, but they have decided to make do with it because while it’s nerve-racking it’sd also interesting and even sometimes fun. When our nerves can’t stand it any more, we calm our weary mind with a few games, a few hours in a closed world of arbitrary rules.

The growing proportion of adult gamers might therefore be a paradoxical side-effect of the « disenchantment with the world ». Those who stop playing are giving up. They believe, or they fake believing, that they know who we are, where we are and all that stuff. Since they treat life as a game, with a clear goal and strict rules, they don’t need games any more. That’s why there are very few gamers among religious and ideological people – and I’m ready to bet that the one or two religious people active in the boardgaming world, such as Tom Vasel and Guillaume Chifoumi, are not as confident as they want to look. True believers often look like RPG gamers taking their role a bit too seriously – and sometimes not even knowing they are gaming.

I didn’t play that much as a kid, much less than most kids of my age, the reason being that I had a christian, marxist and Third-Worldist upbringing – in the sixties, all this could easily go together. I was told that the world being a serious thing with serious problems, there was no time to play, and that waste of physical or intellectual energy was not acceptable.

Paradoxically, I now think that it is because the world is complex and plagues by serious issues, because we’re in a real mess, that gaming is more than ever a necessary intellectual and psychological safety valve; Yes, gamers are old kids, because they don’t give up faced with a messy world, because they don’t do as if they knew what all this is about

Games and dreams complement one another. Dreams feel like having no rules or boundaries, everything is possible. Games are closed systems of strict rules, in which very few things are possible, but we know which ones and why. Faced with a real world in which we don’t really know what’s possible and we don’t have the slightest idea why, dreams and games are two opposite ways to put our brain to a rest. To put it otherwise, if reality is made of mysterious and probably meaningless rules, dreams and games are both opposites of reality, the former because it has no rules, the latter because it has clear and honest ones.

For long, I only tried to design games for people like me, meaning for adults who don’t want to take games too seriously. I sometimes incidentally took part in projects which ended as interesting kids gams, such as Diamant / Incan Gold, but this was never on purpose. Recently, thanks to my friend Anja Wrede, I became slightly more interested in kids games. Together, we designed Fearz and Junggle, which both went largely unnoticed, and more recently Lost in the Woods, which seems to be more successful. We have another children game coming out next year.
Despite this, I still feel a bit uneasy working on children game, probably because I can’t imagine a game I would not have fun playing. As a result, my few children games are not really children games but rather games for everyone, games I can play and every adult can really play with children, meaning play to win, which means they must rely on abilities which are not much affected by age, such as memory or tactile recognition.

Etourvy 2019

Les rencontres ludopathiques

Cela fait maintenant 25 ans que, chaque printemps ou presque, j’organise à Etourvy, entre Champagne et Bourgogne, ma petite convention ludique personnelle, les rencontres ludopathiques. Ce qui était à l’origine une rencontre entre amis autour de l’équipe de Ludodélire est peu à peu devenu une petite convention ludique un peu à part, sur invitations, réunissant de vieux amis, des petites personnalités du monde du jeu, et souvent leurs familles. Quelque part entre salon professionnel et vacances entre amis, c’est un événement sui generis qui a maintenant pris son rythme de croisière.

On me demande régulièrement pourquoi je consacre tant de temps à l’organisation de ces rencontres, d’autant que j’y ai moins le temps de faire tourner mes ébauches de jeux et de les présenter à des éditeurs que des auteurs comme Antoine, Bruno, Théo, Ludo et quelques autres. La première raison est bien sûr que cela m’amuse, et que j’apprécie d’être, pour une petite semaine, au centre de l’attention générale. Une autre raison est sans doute que, même si j’aimerais avoir plus l’occasion de faire jouer mes prototypes, cela me permet quand même d’entretenir pas mal de contacts, et de faire un peu ma promotion personnelle. Et puis, c’est toujours agréable aussi de faire plaisir aux amis. J’ajoute que l’organisation étant désormais bien rodée, cela me demande finalement assez peu de travail, moins en tout cas que, par exemple, le corsaire ludique de Roberto Fraga.

J’étais un peu malade les premiers jours, mais tout s’est néanmoins déroulé comme prévu, sur un week-end sérieusement prolongé puisqu’il a commencé pour quelques-uns dès le lundi 29 avril au soir, et pour la plupart mardi ou mercredi. Nous étions 140 participants cette année, venus du monde entier mais tous logés dans une dizaine de gites au milieu de nulle part, à Etourvy et dans les villages voisins – Mélisey, Quincerot et Trichey.

Je remercie bien sûr les éditeurs qui avaient fait le voyage,en espérant que je n’oublie personne:
Abacus
Asmodée
Blackrock
Blue Orange
Catch’up Games
Days of Wonder
Djeco
Don’t Panic Games
Forgenext
Grrre games
Heidelbär
Hobbyworld
Iello
Libellud
Lui-même
Matagot
Oink Games
Pixie Games
Purple Brain
Ravensburger
Rebel
Repos Prod
Sand Castle Games
Space Cowboys
Surfin’ Meeple
Taiwan Boardgame Design
Van Ryder Games

et ceux qui n’ont pas pu venir mais nous ont envoyé des jeux pour la table de prix:
Cryptozoic
Fantasy Flight Games
Gigamic
Kolossal Games
North Star Games
Z-Man Games

Je ne fais pas la liste des auteurs, parce qu’il y a plein de gens qui le sont plus ou moins, qui sont là pour s’amuser mais ont quand même un petit proto qui traine, et tout ça. Je vais quand même citer les illustrateurs, ou plutôt les illustratrices, parce qu’elles étaient moins nombreuses – Maeva Kosmic et Christine Deschamps, des habituées, ainsi que Christine Alcouffe.

Je remercie tous ceux qui ont aidé à l’organisation, l’équipe ludique, ceux qui m’ont accompagné lundi, ceux qui sont allé faire des courses, ceux qui sont allé chercher ou ramener des joueurs à la gare de Tonnerre – en particulier Didier qui a dû se lever tôt dimanche pour que les russes de Hobbyworld ne ratent pas leur train. Je remercie Camille qui, les pieds solidement ancrés au sol, s’est occupée des bières. Je remercie aussi toute l’équipe du foyer rural d’Etourvy, côté bureaux et côté cuisine.

Il y a « encore » des services publics – pour combien de temps ?

Un énorme remerciement surtout aux pompiers et aux urgences de l’hôpital de Tonnerre. Lorsque Manu a commencé à se sentir mal vendredi soir, j’ai fait le 15 et suis tombé sur les urgences de l’Aube, département où se trouve Etourvy. J’ai expliqué à mon interlocuteur que nous étions, à Etourvy, entre Chaource et Tonnerre. Sa réaction a alors été « C’est au milieu de nulle part, ça ! Vous êtes plus près de Tonnerre, mais je ne sais même pas s’il y a encore des urgences à Tonnerre ». Il y en avait, il les a contactées. Elles étaient là vingt minutes plus tard et ont examiné puis emporté Manu. Tout s’est bien passé, et rapidement terminé.
Il reste que le mot qui fait peur, c’est « encore ». On ne se demande pas s’il y a des urgences à Tonnerre, on se demande s’il y a « encore » des urgences à Tonnerre. On peut imaginer que des services publics disparaissent, cela parait presque naturel, on n’imagine plus qu’il puisse s’en créer. Cela en dit beaucoup sur le système politique dans lequel nous vivons, et sur le fait que nous avons intégré comme presque naturelle une évolution qui ne l’est absolument pas.
Ce qu’avait Manu n’était pas bien grave, il s’en serait sorti sans problèmes s’il avait fallu aller à Troyes ou à Auxerre et n’aurait juste pas été de retour à quatre heures du matin. Dans une situation plus grave, cela aurait pu faire une sacrée différence, et j’espère donc qu’il y aura « encore » des urgences à Tonnerre l’an prochain. Du coup, je vais faire grève ce jeudi pour la défense du service public.

Le soleil et la neige

Je sais que beaucoup de joueurs regardent chaque année les photos des rencontres ludopathiques avec curiosité. Elles seront sans doute moins impressionnantes cette année que l’an dernier, car la météo n’a pas été vraiment avec nous. Nous avons eu beau temps mercredi, mais tout le monde n’était pas encore là, et un peu de soleil vendredi après-midi, bien qu’il ait fait un peu frais. Il a plu toute la journée de jeudi, et il a même neigé un peu samedi. Les sportifs de service, Liesbeth Bos et Bruno (l’autre) ont quand même trouvé le temps de faire quelques escapades en vélo.

Les jeux idiots en dans la pelouse ont donc été moins nombreux qu’à l’habitude. Concours de tir à la sarbacane, Twister géant (dont j’ai une idée pour améliorer les règles l’an prochain), Brouhaha mais surtout, une fois de plus, une étonnante invention de Laurent Escoffier, The Walking Mind, dont je vous laisse deviner les règles en regardant photos et videos. Oui, je sais, ça a l’air un peu bizarre.

Le temps se prêtait plutôt mieux aux activités d’intérieur, et deux murder parties, ou petits GNs, étaient organisées cette année. Sébastien avait préparé un scénario très provincial, Tonton Cristobal est revenu, joué le vendredi après-midi, qui a remporté un grand succès et sera certainement remonté, à Etourvy ou ailleurs. Le samedi, Isabelle a fait jouer un grand classique, Dieu est Mort, aux quelques personnes qui ne connaissaient pas ce petit chef-d’œuvre signé Croc – qui était d’ailleurs là un peu plus longtemps que d’habitude.

Didier a remporté le traditionnel tournoi de poker.

Bière et cocktails

Grande innovation, nous avions à l’initiative de Camille des tireuses servant les excellentes bières d’une brasserie locale, Thibord, à Palis. C’était très agréable, et nous a évité de trimbaler des tombereaux de bouteilles vides tous les soirs.

Autre innovation côté boisson, le cocktail mystère, préparé par la joyeuse Équipe Ludique, dont les activités semblent démarrer sur les chapeaux de roue. Pour ceux qui n’ont pas tout noté, les ingrédients à trouver étaient :

Mercredi soir :
– Tequila
– Aperol
– Jus de Goyave
– Sirop de Fraise
– Citron
Cocktail enfants:
– Jus de Poire
– Jus de citron vert
– Sirop de Myrtille

Jeudi soir :
– Calvados
– Jus d’Orange
– Crème de Mûre
– Martini Rouge
– Citron Vert
Cocktail enfants:
– Eau de Coco
– Jus d’ananas
– Jus d’orange

Vendredi soir:
– Rhum Ambré
– Café
– Amaretto
– Sirop de Canne
– Crème fleurette
Cocktail enfants:
– Jus de Pomme
– Limonade
– Sirop de Framboise

Samedi soir (de l’avis général le meilleur cocktail):
– Tequila
– Rhum Ambré
– Ginger Beer
– Sirop de Framboise
– Citron Vert
Cocktail enfants:
– Jus d’orange
– Schweppes
– Sirop de fraise

C’était une excellente idée, et l’on remettra certainement cela l’an prochain.

J’ajoute que Krzysztof avait apporté de Pologne une bouteille de ma vodka préférée, la Jarzebiak, qui a malheureusement été entièrement bue avant que j’ai pu y toucher. J’attends que les coupables se dénoncent et m’en dégottent une autre bouteille pour l’an prochain.

Petites nouvelles du monde du jeu

Des auteurs, des éditeurs, des illustrateurs, quelques agents ou distributeurs, et beaucoup de joueurs. Immanquablement, on a parlé du petit monde du jeu, des gros qui grossissent et de ceux qui maigrissent, de ceux qui se marient et de ceux qui se séparent, et des plans à trois ou plus qui compliquent un peu tout. Dans tous les cas, il y a du mouvement, beaucoup de mouvement, au point que certains ne savent plus très bien où ils sont. Oui, je sais, cela doit avoir l’air un peu mystérieux, mais je ne peux ou ne veux pas trop entrer dans les détails, ‘autant que j’ignore sans doute les détails les plus importants.

Et puis, on a quand même surtout joué, et parlé des jeux, en particulier de ceux qui viennent de ou qui vont sortir. Trop occupé à courir en tous sens, à gérer mes 140 invités et ma dizaine de gites, je n’ai, comme d’habitude, pas tellement joué, et joué à surtout à des jeux assez brefs. En revanche, j’ai pas mal traîné entre les tables, discuté avec les joueurs, demandé ce qu’ils pensaient de telle ou telle nouveauté.

Quelques grosses boites magnifiquement illustrées soigneusement éditées, qui avaient déjà fait un peu de buzz, étaient très attendues. Quelques joueurs particulièrement consciencieux m’avaient demandé si on pourrait y jouer à Etourvy. Elles semblent toutes être tombées un peu à plat. Je ne vais pas donner leurs noms ici, mais les joueurs les plus au fait de l’actualité les reconnaîtront sans difficulté sur les photos.
Les parutions de plus en plus nombreuses, notamment en ce qui concerne les gros jeux qui durent quelques heures, ont peut-être rendu le public plus exigeant, et surtout le public assez technique et informé que l’on peut croiser à Etourvy. Cela ne suffit pourtant pas à expliquer cette relative désaffection. Il me semble que nous avons peut-être là un effet pervers de la floraison récente de jeux très ambitieux vendus essentiellement, mais pas seulement, sur Kickstarter. Sur kickstarter, en effet, on n’achète pas vraiment un jeu, on achète une promesse de jeu. Du coup, le vendeur soigne plus le plumage que le ramage (comment vais-je traduire ça en anglais?). Les nouveautés sont superbement illustrées, et grouillent d’idées fort bien mises en avant, mais il leur manque parfois une dernière phase de développement, celle qui consiste à revenir à l’essentiel, à supprimer tout ce qui est lourd ou simplement inutile. Sur kickstarter, plus donne toujours l’impression d’être mieux, et cela déteint sur les gros jeux publiés de manière plus classique, qui sont promus à l’avance comme s’ils ne devaient pas rester bien longtemps sur le marché. Beaucoup de ces jeux auraient eu besoin non pas de trois ou quatre extensions, mais bien d’une “flexion” – mais voila, enlever tout ce qui encombre et ne sert à rien, ce n’est pas un stretch goal aussi sexy que douze figurines et leurs règles spéciales.

Du coup, les jeux les plus joués à Etourvy, ceux qui ont « fait le buzz » ont été ceux qui ont échappé à cette tendance, des trucs plus modestes et plus rapides. Le succès de la semaine est incontestablement Res Arcana, de Tom Lehmann, parce que c’est un excellent jeu poids moyen qui prend la tête (donc pas trop mon style), mais aussi parce que Cyrille en faisait la promotion avec sourire et constance. Beaucoup de jeux assez rapides comme Farben, Tokyo Highway, Dany ou Draftosaurus, n’ont cessé de tourner sur les tables – même s’il y a encore eu quelques cinglés pour enchaîner les Terraforming Mars jusqu’à 7 heures du matin.
Il n’y a pas que les nouveautés à Etourvy. J’apporte toujours 1000 ou 2000 jeux plus anciens, pris un peu au hasard dans ma collection. Chaque année, un ou deux d’entre eux ressortent sans que l’on sache trop pourquoi et tout le monde se met à y jouer. Cette année, ce furent Linko et Fantasy Realms.

Bien sûr, avec beaucoup d’auteurs présents, et quelques éditeurs, la moitié des tables étaient souvent occupées par des jeux qui n’existent pas ou pas encore, et dont je ne sais guère que ce à quoi ils ressemblent sur les photos. Il y a les brouillons que l’on essaie d’améliorer, et les vrais protos que l’on essaie de placer. J’en avais apporté une dizaine, mais je n’en ai vraiment fait tourner que quatre, Trollfest et Vintage qui cherchent des éditeurs, ainsi que Lifestyles et Reigns qui en ont trouvé. Je n’ai pas de photo des parties de Vintage et Reigns, si quelqu’un en a pris…..

Voila, je crois que j’ai dit l’essentiel, mais si vous pensez que j’ai oublié un truc qui mérite d’être dit, signalez-le en commentaire ou envoyez-moi un mail, je corrigerai.

Et à l’année prochaine.


The ludopathic gathering

For 25 years now, more or less every spring, I hold in Etourvy, between Champagne and Bourgogne, my own boardgame convention, the ludopathic gathering. It was originally a small friendly meeting of about thirty people more or less involved with one of my first publishers, Ludodélire. 25 years later, it is an international event, invitation only, in which I try to mix old and new friends with people from the boardgaming world, often with their families.

I’m often asked why I spent so much time and energy in preparing this gathering, almost all by myself. The fact is that I’m so busy dealing with daily organizational stuff that I much fewer time to discuss business and pitch my prototypes than other designers such as Antoine, Bruno, Ludo, Théo and a others. Of course, the first reason is that I have fun with it, and that I enjoy being, if only for one week, the focus of everyone’s attention. Another reason is that, while I would like to have more time to playtest and show my game prototypes, it nevertheless helps me keeping in contact with the boardgaming world, and it is a kind of self promotion. It’s fun for everyone, it’s also fun for me, even when it’s tiring. Also, after 25 years, the organization has become very smooth and almost automatic, requiring much less work than, for example, Roberto Fraga’s Corsaire Ludique.

I had caught a cold and was a bit ill in the first days, but then everything got back in order. It was a very long week-end, which started for a few one of us on Monday night, and for most attendees on Tuesday or Wednesday. There were 140 people accommodated in a dozen different places in Etourvy, right in the middle of nowhere, and in the nearby villages, Mélisey, Quincerot and Trichey

Many thanks to all the publishers who took part, that is – I hope I don’t forget anyone :
Abacus
Asmodee
Blackrock
Blue Orange
Catch’up Games
Days of Wonder
Djeco
Don’t Panic Games
Forgenext
Grrre games
Heidelbär
Hobbyworld
Iello
Libellud
Lui-même
Matagot
Oink Games
Pixie Games
Purple Brain
Ravensburger
Rebel
Repos Prod
Sand Castle Games
Space Cowboys
Surfin’ Meeple
Taiwan Boardgame Design
Van Ryder Games

And the ones who could not join but sent us games for the prize table:
Cryptozoic
Fantasy Flight Games
Gigamic
Kolossal Games
North Star Games
Z-Man Games

I won’t make a list of game designers, because many attending gamers were mostly here to play and have fun, but are also wannabee designers with one or two prototypes up their sleeve. I will, on the other isde, list the game artists, because there were only three, two regulars, Maeva Kosmic and Christine Deschamps, and a newcomer, Christine Alcouffe.

Many thanks to all those who helped me with all the practical stuff, the Équipe Ludique, those who helped me with the shopping, those who went to the Tonnerre station to catch people or drive them back, and especially Didier who woke up early on Sunday so that the Russians could get their train, and then their plane. Many thanks also to Camille who, feet solidly on the ground, took care of the beer. Many thanks, of course, to the whole team of the Etourvy city, both in the office and in the kitchen.

There’s “still” a public health service – for how long ?

Many thanks also to the emergency services at the Tonnerre hospital. When Manu started feeling bad on Friday night, I called the emergency services and got someone in Troyes. I explained that we were in Etourvy, between Tonnerre and Chaource. The officer’s answer was “Wow, that’s in the middle of nowhere. I’m not even sure there’s still an emergency ward in Tonnerre”.  Well, there was one, he called it, and twenty minutes later they were here, they examined Manu and they left with him. Everything went well, and he was back in the middle of the night.
The frightening word, however, is “still”. The question is not whether there is an emergency ward in Tonnerre, it is whether there is “still” an emergency ward in Tonnerre. We can imagine old public services closing and disappearing, we cannot imagine new ones opening. The fact that such a problematic trend feels normal, almost natural, tells a lot about the political system we are living in.
Anyway, Manu’s problems were benign, and it would not have been dramatic if he had to go to Troyes or Auxerre. The only difference is that he would not have been back at 4 am. In more dramatic cases, however, the extra distance could have made a difference. I hope there will “still” be an emergency ward in Tonnerre next year. This decided me to go on strike next Thursday for the defense of public services?

Sun and Snow

I know that, every year, hundreds of gamers browse the photos from the ludopathic gathering. They are probably less impressive this year than last one, because we were not very lucky with the weather. Wednesday was really nice, but only half of the attendees were there. We had some sun on Friday afternoon, but it was cold. Thursday was rainy, and we even had some snow on Saturday afternoon. Despite this, the two sport addicts, Bruno Cathala and Liesbeth Bos, managed to go for a few bike rides in the countryside.  

There were fewer big outside games than last year. We had a blowpipe contest, a giant twister (but I must improve the rules for next year) and the usual. Like last years, Laurent Escoffier came with a really innovative idea – the Walking Mind. I let you look at the pictures and videos and guess the rules.

The rainy weather, on the other hand, was not a problem for inside games. On Friday afternoon, Sébastien had organized a small parochial larp, Uncle Cristobal is back (from America, of course). It was a hit and will certainly be played again, in Etourvy or somewhere else. On Saturday, isabelle held a classical Murder Party scenario, God is Dead. The author, Croc, was also here.  Didier won the traditional poker tournament.

Beer and cocktails

There was much innovation this year with the drinks. Thanks to and cocktails Camille, we had draft beer on tap, made by a local brwer, the brasserie Thibord. It was really good, and it was a relief not have hundreds of empty bottles to remove every night.

Also, the Équipe Ludique prepared every night two mystery cocktails, one for adults and one for kids. Tracking the ingredients was really difficult. For those who didn’t keep track, the ingredient were:

Wednesday night :
– Tequila
– Aperol
– Guava juice
– Strawberry sirup
– Lemon
Kids cocktail:
– Pear Juice
– Lime
– Blueberry syrup

Thursday soir :
– Calvados
– Orange juice
– Blackberry cream
– Red Martini
– Lime
Kids cocktail:
– Coconut milk
– Pineapple juice
– Orange juice      

Friday night:
– Amber rhum
– Coffee
– Amaretto
– Sugar cane syrup
– Cream
Kids cocktail:
– Apple Juice
– Lemonade
– Raspberry Syrup

Saturday night (the best cocktail imho):
– Tequila
– Amber rhum
– Ginger Beer
– Raspberry syrup
– Lime
Kids cocktail:
– Orange Juice
– Schweppes
– Strawberry syrup

It made for a great team game, and we will do it again next year.

Also, Krzysztof had brought from Poland a bottle of my favorite vodka, Jarzebiak. Unfortunately, it was drunk before I could even touch it. I hope the culprits will confess and manage to get another bottle next year.

Some news from the gaming world

There were designers, publishers, artists, a few agents or distributors, and dozens of players. Of course, we discussed what’s happening in the boardgaming world. Who is getting fatter, who is getting thinner. Who is getting married, who is getting separated, who is involved in some strange threesome. Anyway, things are moving in many directions, and a few people don’t even really know where they are. Yes, I know, this must sound a bit mysterious, but I can’t or don’t want to go into details – and anyway, I ignore most details

Miost of the time, however, we played and then discussed games, either the games just published or the ones soon to be. Too busy running around managing my 140 attendees and ten gites, I didn’t play that much and played only short games. On the other hand, I walked between the gaming tables, and often stopped by to ask players what they thought of this or that new game.

There were a few big box games, gorgeously illustrated and published, which had already made some buzz. Hardcore gamers were waiting for them, and had even asked me if they will be available to play in Etourvy. It looks like they all fell a bit flat. I won’t give their names here, but the most dedicated players will easily recognize them on the pictures.
With more and more games published every year, especially big games hours-long games, players might have become more demanding, and especially the informed players who attend my gathering. I think, however, that there’s more to it. I’m afraid we are witnessing a perverse effect of the recent wave of ambitious games sold mostly, but not only, on kickstarter. One doesn’t buy a game on kickstarter, one buys the promise of a game. As a result, the look and art of a game seems more critical to its success than its actual gameplay. New games have great art, nice components, lots of exciting design ideas, but they sometimes lack the last and most important part of development, the trimming down, the removal of everything heavy or unnecessary. On Kickstarter, more always seems to mean better, and this now also affects the heavy games published in a more traditional way, which are promoted as if they were intended to stay more than a few months on the market. Many of these games arrive at once with three or four expansions, when what they would have needed is a compression. The problem is that “let’s remove everything superfluous” is not a stretch goal as exciting as “let’s add a dozen miniatures and their special rules”.

As a result, the most played game in Etourvy, the games that “made the buzz” were those that are not affected by this trend, which means lighter, faster and less ambitious games. The main hit was undoubtedly Tom Lehmann’s Res Arcana, because it is a great middle weight brain burner game (which means not realy my kind of game), but also because Cyrille was promoting it in a constant and nice way. The other games which were always playing were even lighter, games like Farben, Tokyo Highway, Dany or Draftosaurus. There were a few mad players anle to play one Terraforming Mars after another until seven in the morning, but they were not that many.
Etourvy is not only new games. I always bring 1 or 2 thousand games more or less randomly taken from my library. Every year, one or two of these older games stand out for no obvious reason and are played by almost everyone. This year, these were Linko and fantasy Realms.

Of course, with so many game designers and publishers around, many tables were often playing non-existing games, of which I know nothing more than what can be seen on the photos. There are drafts we are working on and trying toimprove, and nice looking prototypes we are pitching to potential publishers. I had brought a dozen, but only played four, Trollfest and Vintage which are looking for publishers, Lifestalys and Reigns which have found one. I have no picture of Vintage and Reigns being played, but may-be someone took one.

I think that’s all. If you think I forgot something which deserves to be told, plese say it in the comments or email me.

And see you next year!

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Tonari

Au début des années quatre-vingt, lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la création ludique, les auteurs de jeux de société connus, ou du moins reconnus, se comptaient sur les doigts d’une main. David Parlett, auteur du Lièvre et La Tortue, était anglais. Les autres, Sid Sackson, Peter Olotka et l’équipe de Future Pastimes, étaient américains. Nous savions vaguement que quelque chose était en train d’émerger en Allemagne, mais aucun nom n’était encore connu.
Le polyglotte et cosmopolite Alex Randolph était le personnage le plus étonnant. On savait qu’après une enfance en Suisse dans de très chers pensionnats, ce riche américain, fils d’ambassadeur, avait étudié la philosophie, avait été agent secret, avait avait rapporté d’Inde l’idée de Stupide Vautour, avait passé de longues années au Japon où il était devenu un joueur de Shogi de haut niveau, avant de s’installer à Venise où, avec ses amis Leo Colovini et Dario de Toffoli, il avait conçu Intrigues à Venise (a.k.a Incognito). C’était un personnage de roman, philosophe et voyageur, que je regrette beaucoup de n’avoir jamais eu l’occasion de rencontrer.

Les jeux d’Alex Randolph sont souvent très abstraits, presque mathématiques. Twixt ou Ricochet Robots, souvent considérés comme ses chefs d’œuvre, sont sans doute un peu trop froids pour moi, je ne les ai jamais trop appréciés. J’ai en revanche beaucoup joué à Intrigues à Venise, un jeu de déduction dans lequel on doit d’abord découvrir son partenaire avant de s’entendre avec lui pour discrètement remplir une mission commune. Superbement édité, ce jeu revisite avec humour et intelligence le Cluedo, et m’a sans doute donné envie de créer aussi mon jeu d’enquête, Mystère à l’Abbaye. Mais il y a bien d’autres créations d’Alex Randolph auxquelles j’ai beaucoup joué et joue encore à l’occasion. Stupide Vautour est inspiré d’un jeu de cartes traditionnel indien sur lequel je serais curieux d’en savoir plus, Ghosts (Fantômes) est un jeu de bluff et de tactique d’une déroutante simplicité. Sacré Chameau est l’un des jeux de course les plus originaux qui soient. Big Shot est un jeu d’enchères subtil et original récemment réédité par mes amis coréens de Mandoo Games.


Les jeux d’Alex Randolph dans ma collection. Je croyais avoir aussi les Vampires mangeurs de tomates, une grosse boite, et Die Rüsselbande, mais j’ai dû les donner ou les laisser à Avignon..
Games by Alex Randolph in my collection. I thought I also owned the
tomato-vampire game, I don’t remember its name, and Die Rüsselbande, but I probably gave them or left them in my old home.

C’est un peu par hasard que j’ai joué, à la fin des années quatre-vingt, à un jeu beaucoup moins connu, Veleno. La mécanique en est simplissime, chacun à son tour déplaçant un pion commun pour prendre une pièce sur une case voisine. Ceux qui connaissent mes jeux savent que, si je me méfie des jeux de coopération, j’ai en revanche toujours été intéressé par l’idée d’un pion unique manipulé par tous les joueurs, système que j’ai exploité dans Silk Road ou Isla Dorada. Le système de score de Veleno à trois ou quatre joueurs, qui donne son nom à l’édition allemande du jeu (Gute Nachbarn = le bon voisin) était tout aussi fascinant – chacun additionne son score de base à celui de son voisin de gauche, et le total le plus élevé l’emporte. Le bon voisin, c’est votre voisin de gauche, le mauvais, votre voisin de droite.


Gute Nachbarn, édition allemande de Veleno
Gute Nachbarn, German edition of Veleno

Pendant des années, ce jeu a trotté dans ma tête. L’idée me fascinait, la réalisation me laissait un peu sur ma faim. Le plateau de jeu un peu petit, et les valeurs un peu déséquilibrées des différentes pièces, menaient en effet trop souvent à des parties un peu automatiques, où les coups étaient évidents et le vainqueur connu après deux ou trois tours. Une trentaine d’années plus tard, je me suis finalement penché sur Veleno pour en faire une version qui me satisfasse, avec un plateau un peu plus grand et, surtout, beaucoup plus de variété dans les valeurs et les effets des jetons et d’interaction entre les joueurs. J’ai vite baptisé mon jeu Tonari – voisin en japonais – parce que cela sonnait bien, et parce que cela renvoyait à la fois au mécanisme central et au nom allemand du jeu, Gute Nachbarn, et au passé japonais d’Alex Randolph (et au fait que j’essayais alors d’apprendre un peu de japonais).


L’un des premiers prototypes
One of the first prototypes of
Tonari.

Comme un roman, comme un morceau de musique, un jeu de société ne sort jamais de nulle part, n’est jamais totalement original, et c’est très bien ainsi. Toutes mes créations ont été plus ou moins influencées par d’autres jeux que j’avais apprécié ou non, dont j’ai voulu m’inspirer ici ou me différencier là. Il reste que certains jeux sont plus originaux que d’autres, et que Tonari ne l’est guère. La question qui se pose est donc de savoir où situer la limite entre la variante ou le développement et la création nouvelle. La limite entre les deux est floue, souvent arbitraire, et l’auteur de jeux me semble le mieux placé pour en juger – j’ai déjà abordé cela plus en détail ici. En même temps que je développais ce qui allait devenir Tonari, je travaillais sur un petit jeu de cartes sur le thème d’une vieille dame donnant des miettes de pain aux pigeons, qui s’inspirait d’un autre jeu d’Alex Randolph, Raj / Stupide Vautour, et qui est finalement devenu Chawai. C’est à l’arrivée, en y jouant avec mes amis, que j’ai jugé que les Pigeons étaient un jeu suffisamment original pour que je puisse considérer en être le seul auteur, tandis que Tonari n’était qu’une variation sur Veleno / Gute Nachbarn, dont il conservait tous les éléments, se contentant d’ajouter de nouvelles pièces. J’ai donc pris contact, par l’intermédiaire de son agent Smart Cookie Games, avec Michael Katz, le neveu et héritier d’Alex Randolph, qui a bien volontiers accepté de me laisser chercher un éditeur pour Tonari, les futurs droits d’auteur étant partagés moitié-moitié.

Les éditeurs ne se bousculent guère pour publier des jeux de stratégie abstraits. J’ai essuyé pas mal de refus avant que les américains de IDW ne décident de le publier. Après avoir vaguement considéré le thème du chaudron de sorcière, un peu trop exploité ces derniers temps, avec notamment l’excellent Les Charlatans de Beaucastel de Wolfgang Warsch, ils ont finalement opté pour la pèche. Le pion est devenu un chalutier de l’île de Kuchinoshima, après la tempête, et les jetons de couleur du prototype des poissons de diverses espèces. Cela leur a permis de situer l’action au Japon, et donc de conserver le nom que j’avais donné à mon prototype. J’imagine qu’ils espèrent un effet de gamme avec l’excellent Seikatsu de Matt Loomis et Isaac Shalev, lui aussi un jeu abstrait au thème oriental un peu superficiel et se jouant aussi bien à trois ou quatre qu’à deux. Le thème de la pèche, bien que trouvé après coup, est étonnamment cohérent et magnifiquement servi par les dessins de Kwanchai Moriya, un illustrateur au style très original avec lequel je n’avais encore jamais travaillé. L’illustration de couverture, en particulier, est magnifique.

Tonari
Un jeu d’Alex Randolph & Bruno Faidutti
Illustré par Kwanchai Moriya
2 à 4 joueurs – 30 minutes
Publié par IDW, 2019
Boardgamegeek


Tonari with children of the Kuchinoshima school


I became really interested in boardgame design in the early eighties. In these times, we had a handful of games and didn’t know much, if anything, about their designers. There were very only a handful of names. David Parlett, the designer of Hare and Tortoise, was British. The other ones, Sid Sackson, Peter Olotka and the Future Pastimes team, were Americans. We vaguely knew something was beginning in Germany, but no names were famous yet. The polyglott and Cosmopolitan Alex Randolph was the most fascinating character. We knew that a after a golden childhood in very expensive swiss boarding schools, this scion of a rich American family, whose parents were ambassadors, had studied philosophy, had worked as a secret agent, had brought a cute card game, Raj, from India, had lived in Japan and become a first rate Shogi player, and then had settled in Venice where, with friends Leo Colovini and Dario de Toffoli, he had designed Inkognito, a secret agent game during the carnival of Venice. Alex Randolph was a character just out of a European novel, and I deeply regret having never met him.


Alex Randolph playing Shogi

Most of Alex Randolph’s designs are abstract, if not mathy. Twixt and Ricochet Robots are often said to be his masterworks, but I’ve never been much fond of them, too cold for me. I have played much more games of Inkognito, Intrigues à Venise in French, a deduction game in which one must first find out one’s partner before discreetly communicating with him about our common mission. Gorgeously edited, it revisits Clue with humor and subtleness. This game showed me that there was something more to do with Clue, and probably motivated me to design Mystery of the Abbey. There are many other Alex Randolph designs I played a lot and still occasionally play. Raj / Hol’s der Geier is inspired by a traditional indian game about which I’d like to know more. Ghosts is a deceptively simple tactical and bluffing game. Camel Go is one of the most original racing games. Big Shot, which just got republished by my Korean friends at Mandoo Games, is a gem of an auction game


Alex Randolph in Venice, with a copy of Veleno

In the late eighties, I incidentally played a lesser know Randolph design, Veleno, an abstract with very simple mechanisms. Each player on turn moves a common pawn on a board, capturing a token on a neighboring space. Those who follow my creations know that, while I am wary of cooperation games, I have always been interested in games with a single pawn moved by allplayers, and idea I have already used in Silk Road or Isla Dorada. The other fascinating aspect of Veleno is its pervert three and four players scoring system, in which each player adds their left neighbor’s score. This clever rule gave its name to the German edition of the game, Gute Nachbarn – the nice neighbor. In Veleno, you have a good neighbor on your left, a bad one on your right, and you’re the good neighbor of your bad neighbor.

For years, I had this game in my thoughts. The simple and elegant system was fascinating, the actual game play a bit lacking. The small playing board and the unbalanced values of the colored tokens often made for scripted games, in which movements were obvious and the winner determined in two or three turns. Then two years ago, on a whim, i dig up my old copy of Veleno and started to think of this game as I would like it, with a bigger board, more variety in the tokens and the scoring, and more interaction between players. I soon named my game Tonari, meaning neighbor in Japanese, because it sounded nice for an abstract, because Alex Randolph had had a japanese life, because it reminded of the German name, Gute Nachbarn, and the central idea of the game, and because at that time I was trying, with little success, to learn some Japanese.


A near final prototype of Tonari

Like a novel or a piece of music, a boardgame never comes out of nowhere, is never entirely new and original, and it’s for the best. All my designs have been more or less influenced by other games, games I had liked or disliked, and an attempt to generate similar or dissimilar experiences. The truth is nevertheless that some games are more original than other ones, and Tonari belongs to the least innovative ones. It is not always easy, even for a seasoned game designer like me, to trace the line between minor development of an existing system and really new game. The line is often blurred (an idea I discussed at more length here). While I was working on what will become Tonari, i was also designing a light card game inspired by another Alex Randolph’s design, Raj. This game, featuring an old lady giving breadcrumbs to pigeons, was finally published as Miaui. It is after both games were nearly finalized, when playing them with friends, that I decided the pigeon game was original enough to be considered a new creation, while Tonari was only a variation on Veleno / Gute Nachbarn, because while it added new pieces, it kept all the original elements in the game. Through his agent Smart Cookie Games, I contacted Michael Katz, Alex Randolph’s nephew and heir, who kindly accepted that I could look for a publisher for Tonari, and that if I found one, royalties will be shared half and half.

Publishers are a bit wary nowadays of publishing abstract games. I proposed Tonari unsuccessfully  to several of them, and it’s finally IDW which, probably encouraged by the success of Matt Loomis & Isaac Shalev’s Seikatsu, decided to publish it. They didn’t want to go full abstract, but finding the right setting wasn’t easy. There were too many recent games about witch cauldrons, including Wolfgang Warsch’s outstanding The Quacks of Quedlinburg. They finally settled on fishing, with the common pawn being a trawler, and the tokens of different colors different varieties of fish. Placing the action in Japan, in the Southern Kuchinoshima island, after a great tempest, even allows us to keep the name I had chosen for my prototype, Tonari. Even though it was an afterthought, the fishing theme works surprisingly well, and is well rendered by the art of Kwanchai Moriya, an artist with a very specific style with whom I had not worked before. I amparticularly fond of the cover art.

Tonari
A game by Alex Randolph & Bruno Faidutti
Art by Kwanchai Moriya
2 to 4 players – 30 minutes
Published by IDW, 2019
Boardgamegeek

 

Wroclaw, Cannes, Osaka

La vieille ville de Wroclaw – Wroclaw old center

Le dernier mois a été ludiquement très riche, ou très chargé, selon le point de vue. Il a commencé, du 8 au 10 février, par ma participation à Wroclaw, en Pologne, au sixième laboratoire ludique organisé par Krzysztof Szafranski et l’équipe de Rebel, éditeur et distributeur de jeux polonais (récemment racheté par Asmodée, mais ce n’est pas très original).

Je teste un prototype, avec Liesbeth Bos et Heiko Eller
Playtesting a prototype with Liesbeth Bos & Heiko Eller

Le principe de ce laboratoire créatif est original et très efficace. Des amateurs désireux de s’essayer la création ludique sont regroupés en équipes constituées de personnalités aussi différentes que possible. Pendant deux jours, ils ont à leur disposition des cartes, pions et dés en tout genre. Cornaquées par des professionnels du jeu, chaque équipe a deux jours pour concevoir un jeu de société complet sur un thème à demi imposé, afin de donner un point de départ et un cadre. Le tout était rythmé par des conférences sur divers aspects du processus de création et d’édition. Adam Kwapiński ne parlant pas trop vite, mes vieux souvenirs de polonais m’ont permis de plus ou moins suivre la sienne sur les liens entre thème et mécanique, et il a été assez surpris lorsque, le lendemain, je l’ai cité – en anglais – dans la mienne, sur l’écriture des règles.


Je prêche la bonne parole – Preaching…

J’avais déjà assisté à ce genre d’atelier, mais sur des durées beaucoup plus brèves, généralement une demi-journée, insuffisantes pour réaliser un prototype réellement jouable. Ici, en deux jours, en prenant plus de temps, et en faisant intervenir de nombreux conseillers tournant de table en table, la plupart des groupes sont parvenus à créer des jeux intéressants et originaux. À l’issue du week-end, le troisième jour, un jury jouait à tout cela et désignait la meilleure création – un jeu sur la tour de Babel qui n’était pas mon favori, ce qui montre bien que beaucoup des créations de ce week-end étaient vraiment intéressantes. Heiko Eller, de Heidelbär, qui ne fait rien comme tout le monde puisqu’il vient de quitter le giron d’Asmodée, est reparti avec un ou deux prototypes que nous verrons peut-être édités l’an prochain. Avant de partir, il m’a aussi fait jouer à deux de ses prochaines nouveautés, toutes deux excellentes et dérivées de Runes, le bizarre jeux de lettres publié il y a trente ans par Eon.


La peinture de mes boites à proto sèche
The black paint on my prototype boxes is drying

Deux semaines plus tard, c’était le festival des jeux de Cannes. En une décennie, grâce à Nadine Seul qui s’en allait cette année, le salon cannois s’est internationalisé et est devenu l’un des rendez-vous majeurs du monde du jeu de société. Signe qui ne trompe,pas, le Boardgamegeek y a maintenant son stand et filme en permanence, comme à Essen ou à la Gen Con, et on y parle désormais autant anglais que français.


Le Petit Poucet – Lost in the Woods

J’y avais un peu moins d’actualité que les années précédentes. Ma seule véritable nouveauté était Le Petit Poucet, imaginé en collaboration avec Anja Wrede et illustré par Frédéric Pillot, et publié par Purple Brain (récemment racheté par Asmodée, mais ce n’est même plus la peine de préciser) dans la très belle gamme Contes et Jeux. Mon camp de base était cette année chez Sweet Games, qui présentait un prototype presque final de Ménestrels, qui devrait arriver en boutique d’ici un ou deux mois. Inspiré par la thèse de mon amie Sandra Pietrini sur les artistes itinérants au Moyen-Âge, ce jeu de cartes magnifiquement illustré par David Cochard semble avoir été très apprécié. Il a surtout suscité pas mal de curiosité quand je l’ai présenté au Boardgamegeek, ce qui devrait peut-être aider à trouver un éditeur pour une version en anglais.


Trois jolies boites de Ménestrels chez Sweet Games
Three boxes of Minstrels at Sweet Games

Peu de nouveautés, donc peu de séances de dédicaces, et pas mal de rendez-vous avec des éditeurs, chez Repos, les Space Cowboys, Blue Orange ou Ankama pour parler des projets en cours, chez bien d’autres pour présenter mes dernières créations, dont deux ou trois ont semblé éveiller un certain intérêt.

La surprise du salon a quand même été d’apprendre par un tiers, tout à fait par hasard, que Gigamic (récemment racheté par…. tiens, non, pas par Asmodée) allait bientôt sortir une version française de Greedy Kingdoms, le petit jeu de cartes pour deux joueurs que j’ai conçu avec Hayato Kisaragi et qui a été publié l’an dernier aux États-Unis chez AEG. Personne n’avait pensé à me prévenir…


J’adore ce gratte ciel fusée, à côté du game market d’Osaka
I really like this rocket skyscraper next to the Osaka game market

Transition parfaite avec la troisième étape de ce mois ludique, le Game Market d’Osaka, où je me rendais pour la deuxième année consécutive. Écrasé sous une étonnante architecture de béton qui était ultramoderne il y a une quarantaine d’années, c’est un petit salon sympathique à l’image de la scène ludique japonaise, faite de quelques éditeurs poids-moyen et, surtout, d’un grand nombre de petits indépendants et de petits jeux de cartes publiés à compte d’auteur, dont les meilleurs sont ensuite repris par de gros éditeurs européens ou américains.

Cette année, beaucoup de jeux de bluff ou d’ambiance assez rigolos, mais souvent avec du texte, ce qui les rend peu praticables pour un gaijin comme moi – on peut citer l’étonnant Mr Face, de Jun Sasaki, chez Oink games, dont j’attends avec impatience la très prochaine sortie en anglais.


Mr Face, by Jun Sasaki

Du côté des petits jeux de cartes malins, une spécialité locale, j’ai entendu beaucoup de bien de Kobe, de Takumi Ueda, dont toutes les boites étaient malheureusement vendues lorsque j’ai voulu m’en procurer une. Dommage, cela m’aurait fait un souvenir marrant, d’autant que j’avais fait la veille une escapade à Kobe, la plus occidentale, en version un peu kitsch, des villes japonaises. J’essaierai de m’en procurer une boite autrement, sans doute en passant par Nicegameshop. J’ai quand même rapporté une petite dizaine de petits jeux de cartes, glanés un peu au hasard, on verra bien…


Une vue de Kobe depuis l’arrière pays.
Kobe viewed from the mountain

Ce salon fut aussi l’occasion de discuter de la prochaine réédition en version japonisante d’un de mes très anciens jeux, mais je n’ai pas encore le droit d’en dire plus.

Je termine ce petit compte rendu dans l’aéroport d’Osaka… et demain je reprends les cours au lycée. Il faudrait que je pense à me reposer un de ces jours.

 


 

I had a very rich and busy, but also very tiring, gaming month. It started with the sixth gaming laboratory organized from February 8 to 10 in Wroclaw, Poland, by Krzysztof Szafranski and Rebel, one of the main Polish game publisher and distributor, recently taken over by Asmodee – nothing original, I know.
The gaming laboratory idea is original and very efficient. Wannabe game designers are grouped in teams of five or six people as different as possible and given access to a bunch of cards, tokens, dice and other game pieces. Supervised by seasoned designers or developers, teams are given a loose theme as a kind of frame and starting point, and have two full days to design a playable boardgame. Several conferences gave some rhythm to the event. Adam Kwapinski speaks relatively slowly, which helped me follow his talk in Polish about theme and mechanism, and he was really surprised when, the next day, I quoted him in mine, in English, about writing rules.


On teste une création du laboratoire avec Liesbeth Bos et Heiko Eller
Playtesting one of the laboratorium creations, with Liesbeth Bos and Heiko Eller

I had already taken part in this kind of event, but always with much shorter timespan, usually three or four hours, which is not enough to design a fully playable prototype. With two full days, and several professional advisers going from table to table, most teams managed to design really good and original games. On the third day, the jury played full games of everything and voted for the best design – a game about the Babel tower. It was not my favorite, but the choice was difficult between many really interesting designs. Heiko Heller, from Heidelbär, dislikes following suit – he is leaving Asmodee. He left Woclaw with one or two prototypes which he might publish next year. Before leaving, he made play two of his upcoming games – I remember only the name of the first one, Wordsmith. Both are excellent, and both are evolutions of Runes, the zany word game published thirty years ago by Eon.


Mes prototypes prêts à partir pour Cannes
Prototypes ready for Cannes

Two weeks later, I was in Cannes for the festival des jeux. In ten years, thanks to Nadine Seul who is retiring this year, the Cannes game fair has become one of the world’s main boardgame event. The boardgamegeek now has a booth and broadcasts live as it does in Essen or at Gen Con, and people speak English as often as French.
I had fewer new stuff than these last years.


Je devrais faire attention, je vais me faire bouffer.
I should be more careful, someone is going to eat me soon.

My only really new game on the show was Lost in the Woods, co-designed with Anja Wrede, illustrated by Frédéric Pillot and published by Purple Brain (recently take over by, guess who ? Yes, Asmodee) in their cute Games and Tales line. My base camp this year was at Sweet Games, where my upcoming card game Ménestrels was demoed. This game was inspired by my friend’s Sandra Pietrini’s PhD about traveling artists in the Middle Ages, and is gorgeously illustrated by my friend David Cochard. It was very well received, and raised some curiosity from the BGG team when I pitched it to them, which might help us in finding a publisher interested in doing it in English.


A game of Minstrels
Une partie de Ménestrels

Few new games, therefore few demoes and signings and more time to meet publishers. I discussed upcoming games of mine with the Space Cowboys, with Repos prod, with Blue Orange and with Ankama, and pitched prototypes to them and a few others.
The big surprise was to learn incidentally, by a third party, that Gigamic (who has just been taken over by…. no, not Asmodee this time) was to publish very soon a French version of Greedy Kingdoms, the two player bluffing game I designed with Hayato Kisaragi and which was published last year by AEG. It looks like no-one thought of informing me.

Japan was the third stage of this busy gaming month. Like last year, I went to the Osaka game market. Pressed under an impressive concrete architecture which probably looked modern forty years ago, the game market is a nice little game fair which conveys a good feel of the Japanese boardgaming scene, made of a few mid-weight publishers and dozens, if not hundreds, of very small independent publishers and self-published card games, of which the best ones are usually later taken over by big European of US publishers.

This year, there were many fun bluffing and party games. Most of them were language dependent though, making them impossible to play for a gaijin like me. Among them was Jun Sasaki’s Mr Face, at Oink games, which should soon get an English language print run. Japanese local gaming specialty is small and light card games. I was told the best one this year was Takumi Ueda’s Kobe, but unfortunately it was already sold out when I finally found the publisher’s booth. It’s a shame, since it would have been a cute souvenir, especially after having spent the day before in Kobe, the most western style, may be even “occidentalist kitsch” of Japanese cities.

I’ll try to get a copy in some other way, may be through nicegameshop. Anyway, I nevertheless bring back a dozen small card games, bought more or less at random, we’ll see if something stands out. I also took the opportunity to discuss the upcoming “Japanese style” revamping of one of my older games, but I can’t say more about it yet.


Au Japon pour trois jours, je n’avais qu’une petite valise et n’ai donc rapporté que quelques jeux, tous dans des petites boites.
I was in Japan for three days only, so I brought back only a few games, and only small boxes.

I’m now writing this report in the Osaka airport… back to work at school tomorrow. May be I should take some rest.

Le Corbeau
The Raven

Je jouais peu lorsque j’étais enfant, mais je me souviens encore d’un petit jeu de cartes dans la voiture de mes parents, qui s’appelait si je me souviens bien « En veux-tu ? En voilà ! ». Il y avait une cinquantaine de cartes, que les passagers se distribuaient. Il fallait ensuite regarder le paysage pour trouver les éléments figurant sur nos cartes, vache, tracteur, église… et le premier joueur ayant posé toutes ses cartes était gagnant. Il existe aujourd’hui de nombreux jeux de ce type, et j’en ai moi-même une variante que je pense intéressante dans mes cartons. Sur un principe très proche, les américains jouent beaucoup au travel bingo, dont on peut acheter des cartes dans toutes les stations services.

Il y a trois ou quatre ans de cela, je me préparai à partir aux États-Unis visiter mes amis de fantasy Flight Games avant d’aller à la Gen Con. Une semaine avant le départ, je me dis que, quand même, puisqu’ils avaient la licence Game of Thrones, je pourrais essayer de leur proposer quelque chose sur le sujet. En quelques jours, je ne pouvais boucler un projet trop ambitieux. J’eus alors une idée très simple : combiner jeu de draft et « En veux-tu, en voila ! ». Il me suffisait de faire une cinquantaine de cartes avec des éléments récurrents de la série, événements, personnages ou objets divers. Les joueurs « draftent » les cartes avant la partie, puis lancent un épisode de la série. Le but est bien sûr d’être le premier à avoir abattu toutes ses cartes en repérant les éléments correspondants à l’écran.

En cherchant un peu sur le web, j’ai découvert que de très nombreux américains avaient mis en ligne des fiches de « Game of Thrones Bingo », mais il me semblait que les cartes et le draft apportaient quelque chose en plus. Si l’on choisit ses cartes avant de revoir un épisode, c’est la mémoire qui entre en jeu. Si on les choisit avant de regarder un nouvel épisode, on fait des paris sur l’évolution de l’intrigue.

Ayant découvert que l’édition américaine de « En veux-tu ? en voilà ! » s’était appelée « The Crow », la corneille, je baptisai mon jeu « The Raven », Le Corbeau. J’apportai un prototype à Minneapolis, mais s’il a bien fait rire toute l’équipe de FFG, personne n’a sérieusement envisagé de le publier. C’est l’excellent Hand of the King de mon ami Bruno Cathala, qui est devenu le petit jeu de cartes sans prétention officiel de Game of Thrones.

Mon jeu n’a pas d’images, pas de véritable citations des romans ou de la série, donc je ne pense pas que quiconque s’oppose à ce que je le mette en ligne gratuitement. Et comme la huitième et dernière saison de la série arrive en avril, je pense que c’est le bon moment – vous pourrez y jouer en révisant les anciens épisodes, puis en découvrant les nouveaux. Il vous suffira de télécharger le pdf, d’imprimer et de découper les cartes.

N’ayant lu les livres et regardé la série qu’en anglais, je ne connais pas les noms « officiels » de la version française. Je ne mets donc en ligne ici que les cartes et les très succinctes règles en anglais. Si quelqu’un qui connait bien la version française veut en faire une traduction, il peut me l’envoyer et je la mettrai également en téléchargement ici.

The Raven
Un jeu de Bruno faidutti
2 à 8 joueurs – 50 minutes
Télécharger


I didn’t play much as a kid, but I remember a card game which was in my parents’ car, The Crow. It had about fifty cards which were dealt among the passengers. We than had to watch the landscape looking for the stuff on our cards – cow, tractor, church…. The first player who had played all of his cards was the winner. There are now many games of this kind, and I even have one variant somewhere on my shelves. I’ve always wondered why Travel Bingo as it is played in the US is still completely unknown in Europe.

Three or four years ago, I was preparing for a trip in the US, first to visit my friends of Fantasy Flight Games in Minneapolis, and then to gen Con. one week before leaving, I realized that since they had the Game of Thrones license, I should try designing something that could fit. I had only a few days, so it had to be something very basic, so I tried a very simple idea – a drafting version of the Crow. I only needed a deck of about sixty cards with recurring characters, events or items in the series. Players draft the cards by picking and passing before staring an episode, and the first player who gets rid of all theirs cards wins.

Browsing the web, I soon found out that many american gamers had uploaded « Game of Thrones Bingo » cards, but I was convinced that drafting playing cards could make this much more interesting. If drafting cards before viewing again an old episode, memory can help. If drafting before watching a new one, it’s all about guessing what will happen next.

Since it was based on my souvenirs of The Crow, the name of my game was obvious – The Raven. I brought a prototype in Minneapolis, everyone had a good laugh, but no one seriously considered publishing it. In the end, the official Game of Thrones light card game was the excellent Hand of the King by my friend Bruno Cathala.

Since there are no pictures and no long quotes of the novels or the series in it, I don’t think anyone will object to its publication here, for free. Since the 8th and last season of Game of Thrones is coming soon, it’s probably the best and last opportunity to do it. You can play it while revising the orders seasons, then while watching the new one. All you need is to download the pdf, print it and cut the cards.

The Raven
A game by Bruno Faidutti
2 to 8 players – 50 minutes

Free download

Mon programme pour le Festival des jeux de Cannes
My Cannes game fair schedule

Comme chaque année, je serai du 22 au 24 février au festival des jeux de Cannes, pour présenter mes dernières nouveautés, pour rencontrer des éditeurs, et de manière générale pour croiser tout le petit monde du jeu.

Mon emploi du temps n’est pas entièrement bouclé, mais je peux quand même déjà donner quelques pistes à ceux qui me cherchent.


Les prototypes sont prêts.

Le vendredi, vous pourrez me croiser de 12h à 13h sur le stand des éditions Lui-Même, éditeur de Dolorès, qui n’est plus vraiment une nouveauté mais que j’ai toujours plaisir à faire tourner, et Philippe est un vieil ami. Un peu plus tard, de 14h à 15h, je serai chez Matagot, l’éditeur de Dragons.

 

Le samedi, je serai de 10h à midi à l’assemblée générale de la Société des Auteurs de Jeux. L’après-midi, de 15h à 17h, je serai sur le stand de Sweet Games pour présenter Ménestrels, un tout nouveau jeu de cartes conçu avec mon amie Sandra Pietrini et illustré par mon ami David Cochard. Ménestrels ne sera pas en vente sur le salon, mais devrait arriver dans les semaines qui viennent, et il y a de fortes chances que le stand de Sweet Games soit un peu mon camp de base sur ce salon – à moins que ce ne soit celui de Repos Production, ou de Matagot, ou des Space Cowboys, selon qu’il y a ou non des bières et de profonds fauteuils.

Le dimanche, c’est chez Purple Brain / Space Cowboys, éditeur du Petit Poucet, conçu avec mon amie Anja Wrede et illustré par Frédéric Pillot, que vous pourrez me trouver entre 12h et 14h.

Je ne suis pas sûr d’avoir l’occasion de passer au “off” où se retrouvent pas mal d’auteurs et d’éditeurs, mais je sais que Raphaël Bernardi y fera tourner Vabanque, qu’il compte rééditer en français cette année.


Nadine Seul

Nadine Seul, qui était responsable du festival, prend sa retraite cette année, et je serai bien sûr à son pot de départ. On verra l’an prochain si le festival des jeux, qui est devenu en quelques années un événement international majeur, parvient à continuer sans elle…


Like every year, I’l be at the Cannes Game Festival, February 22-24, to demo and promote my last games, to pitch new designs to publishers, and more generally to meet the small boardgaming world. My schedule is not entirely finalized, but I can already tell where you will be able to meet me.


Prototypes are ready.

On Friday, I’ll be from noon to 1pm at Lui-Même, the publisher of Dolorès. I know, it’s not really a new game, but I always enjoy showing it, and Philippe is an old friend. Later, from 2 to 3 pm, I’ll be at Matagot demoing Dragons.

On Saturday morning, I’ll be at the general assembly of the French game designers union. I’ll spend most of the afternoon, from 3 to 5 pm, at Sweet Games, demoing Menestrels (Minstrels), a card game designed with my friend Sandra Pietrini and gorgeously illustrated by David Cochard. Ménestrels won’t be on sale at the fair, but will be available – in French only so far – a few weeks later. Chances are the Sweet Games booth will be my base camp for most of the fair – unless I opt for Repos, or Matagot, or Space Cowboys. It will depend where there is beer and deep armchairs.

On Sunday, I’ll be from noon to 2 pm at Purple Brain / space Cowboys demoing Lost in the Woods, a cute  game designed with my friend Anja Wrede and illustrated by Frédéric Pillot.


Nadine Seul

Nadine Seul, who was in charge of organizing the Cannes game fair, is retiring this year. Of course, I’ll be at her farewell drink. We’ll see next year if what has, in a few years, become a major international boardgame event,  can go on without her.

Le Petit Poucet
Lost in the Woods

L’une des premières idées qu’Anja et moi avons développée* un peu lorsque nous avons commencé à travailler ensemble était un jeu de reconnaissance tactile, Grabbit. Comme je ne désespère pas qu’il soit un jour publié, je n’entrerai pas plus dans les détails à son sujet.

Poursuivant un peu dans la même voie, nous avons imaginé un jeu au matériel plus simple (et sans doute moins coûteux) dans lequel un berger cherchait ses brebis égarées. Anja avait dessiné une trentaine de moutons aux formes un peu différentes, et le berger devait, en tâtant d’une main dans le sac, de retrouver l’animal dessiné sur une carte. C’était mignon comme tout, mais le thème n’a pas trop séduit les éditeurs auxquels nous l’avons présenté. Certains craignaient que l’on puisse penser que c’était un jeu religieux – la brebis égarée, le Seigneur est mon berger, tout ça.


Je n’ai pas trouvé de photo d’Anja et moi en train de jouer à notre prototype, alors en voici une où elle joue à Klondyke avec notre éditeur.

La mécanique plaisait, et les moutons étaient tellement mignons que nous ne nous résignions pas à chercher un autre thème. Heureusement, à Etourvy, Benoît Forget, après avoir fait une partie, nous força un peu la main en proposant d’en faire un jeu pour sa collection Contes et Jeux, sur le thème du Petit Poucet. Un peu sceptiques au départ, nous nous sommes vite laissés convaincre, et les moutons sont devenus les arbres de la forêt dans lequel le Petit Poucet et ses frères tentent de retrouver le chemin de la chaumière familiale. Il nous reste de jolis moutons en balsa, tous différents comme les arbres, avec lesquels nous essaierons peut-être de faire autre chose un de ces jours.

 

J’aime beaucoup le thème et l’aspect des jeux de la collection « Contes et Jeux », et rêvais depuis longtemps d’avoir une de mes créations dans cette collection. Malheureusement, quand j’avais glissé à Benoît que j’avais peut-être une idée pour le Lièvre et la Tortue, il m’avait répondu qu’il avait déjà un jeu dans les tuyaux – celui de Gary Kim, qui est paru depuis, et qui est l’un de mes préférés de la série. C’est donc, finalement, le Petit Poucet, et c’est très bien ainsi.

Pour Le Petit Poucet, c’est Frédéric Pillot, illustrateur de livres pour enfants, et notamment de Lulu Vroumette et Edmond le Chien, qui a tenu les pinceaux. Et il s’agit bien de pinceaux, car il a travaillé à l’ancienne, à la main, ce qui donne aux illustrations, et notamment à la couverture et au plateau de jeu, un charme tout particulier.

 

Si Anja a publié de nombreux jeux pour enfants, ce n’est en principe pas ma spécialité, ne serait-ce que parce que j’ai du mal à travailler sur des jeux auquel je n’ai pas personnellement de plaisir à jouer. La reconnaissance tactile, un peu comme la mémoire que j’exploite assez souvent dans mes créations, est l’un des rares mécanismes ludiques face auxquels enfants et adultes sont plus ou moins armes égales. Il est alors possible à tous de jouer ensemble sans que les plus âgés, comme c’est trop souvent le cas, ne soient obligés de tricher pour ne pas l’emporter trop facilement. Du coup, Le Petit Poucet, comme tous les jeux de la série « Contes et jeux », n’est pas un jeu uniquement pour les enfants, mais bien un jeu pour tout le monde.

(*il me semble que le COD est ici « l’une », placé avant le verbe, et que développé doit donc s’accorder avec lui. Pourtant, mon correcteur orthographique insiste pour que je ne fasse pas l’accord. Un ami un peu plus grammairien que moi pourrait-il me dire qui a raison et, si j’ai tort, pourquoi ?)

Le Petit Poucet
Un jeu de Anja Wrede & Bruno Faidutti
Illustré par Frédéric Pillot
2 à 5 joueurs – 15 minutes
Publié par Purple Brain, 2019
Tric Trac
Boardgamegeek


One of the first ideas Anja and I developed when we started designing games together was a touch recognition game, Grabbit. Since I still have some hope of seeing it published some day, I won’t go into details about it.

Pushing further in the same way, we imagined a lighter game with fewer (and cheaper) components about a shepherd looking for his lost sheep. Anja drew about thirty different sheep with slightly different shapes and the shepherd had to find, feeling with only one hand in a cloth bag, the sheep that was represented on a card. It was cute, but the theme didn’t appeal to the publishers who saw our prototype. A few ones were even concerned that this could be mistaken for a religious game – the lost sheep, the lord is my shepherd and all that stuff. They liked the game system though.


I could not find a picture of Anja and I playing our prototype, so here’s one where we’re playing Captain Sonar, in opposite corners.

Our sheep were cute, and we didn’t want to abandon them. By chance, in Etourvy, Benoît Forget, after playing a game with us, suggested a new setting that could make the game fit in his Fairy Tales family game series, the Little Thumb story. We were skeptical at first, but he managed to convince us and soon the sheep became the trees in the dark forest where Little Thumb and his brothers were trying to find the way back to their parents’ cottage. We still have a few sets of light wood sheep, all different, may be we’ll make another game with them one of these days.

 

I really like the idea and the look of the Tales & Games series, and I wanted for a long time to get one of my designs in this line. Unfortunately, when I had told Benoit that I might have an idea for a Hare and Tortoise game, Gary Kim’s one was already in the pipe. It’s been published since, and is among my favorite ones. Anyway, I’m glad I finally made it with Anja and with Little Thumb lost in the woods.

The art for Lost in the Woods was made by the French popular children book illustrator Frédéric Pillot, mostly known here for the illustrated series Lulu Vroumette and Edmond le Chien. The board and cover were hand-painted. This gives them a charming old fashion style which fits the game perfectly.

Anja has already published dozens of children games. I don’t, mostly because I can’t really work on game designs I haven’t fun playing. Memory, which I often use as a minor element in my designs, is one of the few skills with which adults are not really better than children. Touch recognition is another one, and allows older and younger gamers to play together without having the adults « cheat to lose ». Therefore Lost in the Woods, like all the games in the Tales & Games series, is not only a kids game but really a game for all and everyone.

Lost in the Woods
A game by Anja Wrede & Bruno Faidutti
Art by Frédéric Pillot
2 to 5 players – 15 minutes
Published by Purple Brain, 2019
Boardgamegeek

Journalistes, jeux de société et jeux video
Journalists, boardgames and video games.

Avec la période des fêtes, articles de presse et reportages télévisés sur les jeux de société se sont comme chaque année multipliés, et je m’en réjouis. La problématique ses journalistes, et dont on ne parvient jamais à les faire démordre, est cependant toujours la même, les jeux de société « résisteraient » aux jeux video (avec ou sans s, comme vous préférez, ce n’est pas bien important), voire même connaîtraient un « retour » après la grande vague de ces derniers. J’ai essayé à bien des reprises de les faire se départir de ce truisme, mais les rares fois où j’ai cru y parvenir, je l’ai néanmoins retrouvé dans l’article ou le reportage final. Et quand, comme dans cette récente interview de Nadine Seul dans Le Point, le journaliste a fini par comprendre qu’il était un peu idiot de présenter le jeu de société comme un rival du jeu vidéo, c’est sa rédaction qui réintroduit cette problématique paresseuse dans un titre sans lien avec le contenu de l’article.

Opposer le jeu de société au jeu video a autant de sens qu’opposer le cinéma à la littérature, ou la chanson à la musique. Les auteurs et les éditeurs de jeux de société ne sont pas hostiles aux jeux video, et ne voient pas en ce dernier un féroce concurrent mais plutôt un sympathique cousin qui a bien réussi. La plupart d’entre eux pratiquent assidument les jeux video, et beaucoup travaillent même également dans ce domaine. Les passerelles sont en effet nombreuses entre les deux univers. Les auteurs passent volontiers de l’un à l’autre, comme mon ami Manuel Rozoy. Il n’est pas rare non plus que les éditeurs de jeux en pixels s’essaient aux jeux en carton, ou l’inverse, et je travaille en ce moment avec Ankama. Les premières ébauches de jeux video sont d’ailleurs parfois réalisées sous forme de jeux « physiques », même si l’on passe ensuite rapidement à l’étape suivante. Inversement, certains jeux de société s’inspirent, avec plus ou moins de succès, de techniques venues du jeu video. Certes, je ne suis pas le mieux placé pour rédiger cet argumentaire, pratiquant moi-même très peu le jeu vidéo et ne m’y étant essayé comme auteur que de façon très marginale, avec Fearz!, passé largement inaperçu. Je suis cependant plutôt une exception, et mon peu d’enthousiasme pour les jeux vidéos, et notamment pour ceux qui flirtent avec la réalité virtuelle, vient plus d’une relative indifférence à l’image, la même qui fait que je suis moins intéressé par le cinéma que par la littérature, que d’un rejet ou d’un refus réactionnaire de la technologie et de la modernité.

Présenter le succès actuel du jeu de société comme une résistance ou un retour face aux méchants jeux videos (allez, je vais mettre un s cette fois-ci, histoire de déclencher une guerre civile) a d’autant moins de sens qu’il ne s’est jamais vendu autant de jeux de société. Le jeu de société ne résiste pas, il se développe plus que jamais; il ne revient pas, puisqu’il n’est jamais parti et n’a jamais été aussi loin. Il est peut-être dans une bulle, mais c’est une autre question.
Tout au contraire, le succès actuel des jeux de société doit beaucoup au jeu video, et dans une moindre mesure au jeu de rôle et au poker, qui, depuis une trentaine d’années, ont enfin fait accepter l’idée que les adultes pouvaient jouer sans en avoir honte, que le jeu, quelle qu’en soit la forme, n’était pas une activité réservée aux enfants. Né dans les années soixante, joueur depuis les années quatre-vingt, j’ai été témoin de cette évolution, du passage d’un monde ou l’adulte joueur était vu comme un enfant refusant de grandir et de prendre le monde au sérieux à un monde où le jeu est un loisir comme un autre, et même un loisir plutôt valorisé. Ce sont aussi jeu video et jeu de rôles qui ont fait accepter une certaine complexité dans les jeux de société. Les jeux de société stratégiques, exigeants et relativement longs, comme Terraforming Mars ou Scythe, et même des jeux de complexité intermédiaire comme Catan ou Les Aventuriers du rail, n’auraient sans doute jamais vu le jour, ou en tout cas jamais rencontré de succès commercial, si les jeux vidéos n’avaient habitué les joueurs à une certaine sophistication.
La vraie nouveauté est sans doute là, dans le fait qu’il y a aujourd’hui un grand nombre de joueurs de jeux de société adultes, qui pour la plupart pratiquent également le jeu video, et une offre de jeux infiniment plus riche que pour les générations précédentes, qui n’avaient guère le choix qu’entre le Scrabble, le rami et la belote (ou le tarot, ou le bridge, selon les régions et les milieux sociaux). Certes, il y avait depuis les années soixante Diplomacy ou Civilization, mais c’était des jeux de niche, deux en cinquante ans, pour un public restreint et élitiste, dont les successeurs sont presque devenus grand public.
J’attends donc, un jour, que la presse écrite ou la télévision change de scénario, raconte la véritable histoire, explique comment le jeu de rôle et le jeu video ont enclenché un véritable renouveau du jeu de société, et reconnaisse que tous ces jeux sont cousins, et plus complémentaires que concurrents.

Je commence à connaître les journalistes qui viennent m’interroger sur le succès actuel des jeux de société. Ils arrivent avec des à priori très positifs sur le jeu de société, mais je sais ce qu’ils voudraient me faire dire, que le jeu de société est une activité sociale, familiale, interactive, rassurante, tout ce que le jeu video, solitaire, violent, pathologique et angoissant, ne serait pas.
La plupart d’entre eux travaillant pour la presse écrite ou la télévision, concurrencés aujourd’hui par les nouveaux médias disponibles sur internet, ils ont sans doute tendance à plaquer sur le monde du jeu un paradigme qui ne s’y applique pas vraiment.
Certes, on pratique plus souvent le jeu video avec seul devant son écran en buvant un café, mais on peut parfois, et de plus en plus, être à plusieurs devant un même écran, et sans aller jusque là , on joue souvent en réseau, ce qui est certes plus solitaire que le jeu en groupe, mais moins que la lecture. Certes, on pratique le jeu de société autour d’une table avec des amis et des bières, mais les jeux en solitaire (qui personnellement m’ennuient) se développent, et jouer autour d’une table est parfois un moyen de passer un bon moment avec des gens avec qui l’on n’a pas nécessairement très envie de discuter et de refaire le monde. Bref, ce sont des formes de jeu différentes, avec des caractéristiques différentes, mais il est idiot de vouloir systématiquement opposer des jeux sur table « sociaux » et des jeux sur écran « antisociaux ». Les joueurs le savent bien, tout comme les éditeurs qui ont sous les yeux bien des études de marché montrant que joueurs de jeux video et de jeux de société sont le plus souvent les mêmes personnes.

Il reste que le jeu de société, comme les livres en papier, peut en effet avoir un caractère rassurant dans une société où l’on se sent un peu parfois dépassé par une technologie que l’on maîtrise mal. Cela peut expliquer que l’on joue en « réel » à des jeux pour lesquels le support informatique serait techniquement plus adapté, que ce soit des objets monstrueux comme Gloomhaven ou le 7ème Continent, ou des jeux de déduction comme Sherlock Holmes Détective Conseil, deux genres qui d’ailleurs ne m’attirent pas vraiment. Cela peut expliquer aussi pourquoi, malgré quelques exceptions comme Unlock, les jeux « hybrides » ont jusqu’ici eu bien du mal à s’imposer. Celui qui se « replie » un temps sur le papier n’a pas nécessairement envie d’être aussitôt renvoyé à la machine, mais cela ne fait pas pour autant de lui un luddite désireux de la briser, et ne l’empêchera même pas de se rasseoir devant le lendemain avec un certain plaisir.


It’s Christmas time, and, like every year, there is a sudden increase in newspaper articles and TV reports about boardgames, which is basically a good thing. Unfortunately, journalists always stubbornly use the same narrative : boardgames are « resisting » the video game invasion, or even are making a « comeback ». At least it’s what French journalists are saying, I suspect it might be a bit less systematic but probably still dominant in the US and the rest of the world. I often tried to make them deviate from this truism, usually with little success. I sometimes thought I had been clear and convincing, but regularly still found it in the final report or article. Sometimes, like in a recent article in the French magazine Le Point, the journalist finally understood that it was wrong and stupid to present boardgames and video games as rivals… but his board reintroduced this lazy idea in the article’s title, which bore little relations with the article’s content.

Opposing video games and board games makes as much sens as opposing movies and literature, or music and songs. Boardgames designers and publishers are not hostile to video games. They don’t see them the video game business as a rival, a competitor, but rather as a nice and successful cousin. Most of them are avid video game players, and many also work in the video game business, since there are many relations, and regular coming and goings, between the two worlds. Some designers regularly move from one to the other, like my friend Manuel Rozoy. Pixel games publishers very often have a try at cardboard ones, and I’m now working with Ankama. The very first drafts of many video games are often cardboard or paper and pen prototypes. Conversely, more and more boardgames borrow ideas and systems first imagined for video games. I might not be the best person to tell about it, since I almost never play video games, and my only attempt at designing one, Fearz!, went largely unnoticed. I am, however, an exception. The reason I’m not very interested in video games, and especially in the ones which flirt with virtual reality, is due to a general indifference with pictures, which also makes me more interested in books than in movies, and not to a reactionary rejection of technology and modernity.

« Good old board games resisting bad video games » is an absurd narrative. There has never been that many boardgames sold. Boardgames are not « resisting », they are developing more than ever. They are not coming back, since they have never receded and have never been that far. There might be a bubble, but that’s a completely different question.
It’s the opposite. The recent success of boardgames is largely due to video games, and to a lesser extent role playing games and poker, which have finally made adult gaming something normal and socially acceptable. I was born in the early sixties, I play since the eighties, and I’ve witnessed the transition from a world in which gaming was a children thing, and adult gamers were seen as old kids refusing to take the world seriously and to live the reality, into a world in which gaming is a perfectly acceptable leisure activity, and sometimes even a rewarding and well appreciated one. We owe this, in a large part, to video games.
Furthermore, role playing games and video games have also made relatively complex board and card games more acceptable. Strategic and demanding games such as Terraforming Mars or Scythe, may be even middle weight games such as Settlers of Catan and Ticket to Ride, would not have been designed and published, or at least would not have been very successful if video games had not first made gamers accustomed to some sophistication.
The real novelty is that there are now scores of adult boardgamers, most of which also play video games, and an overwhelming choice of games for everyone. Oolder generations could only chose between scrabble, hearts, poker or bridge, most of which were even only acceptable in some limited social circles. Yes, I know, there was Diplomacy and Civilization, but these were exceptions, two games in fifty years for a niche and elitist marker; there are dozens of more complex games now published every year, and some of them are almost mainstream.

I’m still waiting for the day when magazines and TVs will change their narrative, and will tell the true story of how role playing games and video games have triggered the revival of boardgames, and that all these games are related, but not really in competition.

I’m starting to know the journalists who visit me to discuss the popularity of boardgames. They come with a positive bu relatively obsolete idea of boardgames, and I know what they want me to tell – that boardgames are a social, casual, interactive, reassuring family leisure, while video games are the exact opposite a solitary, violent, pathological nerve racking activity. Most of these journalists work for newspapers, for magazines or for TV channels. These medias resent being weakened by new online competitors, and tend to copy-paste this paradigm into other activities where it is not always relevant (OK, this might be less true in the US, I’m writing mostly about French journalists)
It’s true that video games are often played solitary, in front of one’s screen and with a cup of coffee, but there can sometimes be more than one player in front of a screen. Also, while online network gaming might be less social than multiplayer gaming around a table, it’s still far more social than good old book reading.
It’s true that boardgames are mostly played with friends, around a table, with beer or wine, but there are more and more solitary boardgames (in which I’m not really interested). Furthermore, playing boardgames is often a way to have some good time with people with whom one doesn’t really want to discuss personal or political matters.
In short, these are indeed different ways of gaming, but it makes no sense to systematically oppose « social » boardgames and asocial video games. Players know this, as do publishers who have ordered and read market surveys which regularly show that video gamers and board gamers are mostly the same persons.


Cardboard boardgames can nevertheless, like paper books, feel reassuring, because we understand how their crude technology works. This might be the reason why gamers can enjoy playing analog versions of games for which computers are obviously a more efficient media, be they monster heavy stuff like Gloomhaven or the 7th Continent or deduction games like Sherlock Holmes Private Detective. This might also explain why, except for a few very specific objects such as Unlock, hybrid games have not so far been very successful. Gamers withdrawing for a while into the cardboard world probably don’t want to be sent back at once to the computer one, but this doesn’t mean they have become luddites wanting to break the machines. They just want some rest, and will sit with renewed pleasure in front of their computer the next day.

Tom Vasel et quelques autres
Tom Vasel and a few others

Parmi les choses qui m’ont un peu surpris, en octobre dernier, lors du salon d’Essen, il y eut les assez nombreuses critiques que j’ai entendu envers Tom Vasel, critiques qui me semblent être assez injustes. Tom est sans doute le critique de jeu le plus connu, voire celui dont les vidéos en ligne, qui ont remplacé ses anciennes critiques écrites, sont les plus populaires et les plus vues, que ce soit sur le Boardgamegeek, sur Facebook, ou sur son site pourtant assez confus, the Dice Tower. Cela est dû certes à leur construction, une explication rapide mais très claire des règles suivie par un point de vue subjectif et argumenté, le tout en une quinzaine de minutes mais aussi à la clarté de l’expression et à un certain talent de bonimenteur. Moi-même, qui préfère généralement les critiques écrites aux vidéos, je regarde souvent celles de Tom Vasel, ainsi que celles de ses acolytes de la Dice Tower, Zee Garcia et Sam Healey, lorsque je veux me faire rapidement une idée sur un jeu récemment sorti.

Les critiques faites à Tom, et dans une moindre mesure à Zee et Sam, sont de deux sortes. Des auteurs et éditeurs lui reprochent de ne pas avoir apprécié leurs jeux et d’être de mauvaise foi, des joueurs lui reprochent de ne pas avoir le même avis qu’eux et d’être « subjectif ».

Critique objective est bien sûr un oxymore, une critique n’ayant de valeur que parce qu’elle exprime l’opinion, aussi subjective et claire que possible, de son auteur. Une « critique objective » ne saurait être qu’une description sans âme ou une paraphrase des règles, ce qui ne présente aucun intérêt. Tom et ses amis l’ont bien compris, qui décrivent certes d’abord les jeux avec pédagogie, mais expriment ensuite leurs opinions avec humour et conviction.
Je comprends bien que certains auteurs regrettent qu’un critique influent n’ait pas trop apprécié tel ou tel de leurs jeux, et cela m’est arrivé bien des fois. Il reste qu’il en a parfaitement le droit, qu’on ne peut pas lui demander de rejouer quinze fois pour vérifier qu’il déteste bien notre jeu. En outre, s’il est un critique dont je peux assurer qu’il est de bonne foi, c’est bien Tom Vasel. Je pense en effet avoir assez bien compris ses préférences en matière de jeux, qui sont assez proches des miennes. Il apprécie le plus souvent mes créations et, surtout, je peux prédire avec une quasi certitude quels sont les jeux qu’il appréciera et ceux qu’il n’aimera pas, ce qui montre bien que ses jugements relèvent bien de l’opinion et non du calcul. Je pourrai avoir quelques doutes si ses critiques étaient incohérentes ou incompréhensibles, elles me semblent au contraire parfaitement cohérentes, argumentées, et appuyées sur une impressionnante culture ludique. Tout au plus peut-on ne pas être d’accord avec lui, ce qui est rarement mon cas – du moins quand il s’agit de jeux. Nous sommes en effet idéologiquement extrêmement éloignés, puisque je hais la religion et me méfie des valeurs familiales, mais je trouve aussi amusant que nous soyons tous deux parmi les rares personnes du monde ludique à ne pas mettre leurs convictions dans leur poche pour parler de jeu.

Cela m’amène à une remarque amusante. Tom Vasel est sans doute aujourd’hui la personnalité la plus connue du petit monde ludique, le personnage que tout le monde reconnait sur les salons. Il est connu comme critique, nul ou presque ne sachant qu’il est aussi l’auteur de deux excellents jeux, Nothing Personal et Vicious Fishes, qui sont passés largement inaperçus en partie parce que, comme critique de jeux, il n’a pas osé les mettre en avant. Ses acolytes Sam et Zee sont aussi de petites célébrités, tout comme une bonne partie de l’équipe du Boardgamegeek, notamment Eric Martin, et quelques autres critiques comme Dan King, aka The Gameboygeek, ou dans un autre genre Quinns et Matt de Shut-up and Sit Down. Ils sont, je pense, bien plus aisément et fréquemment reconnus dans les couloirs des salons que les auteurs de jeux. Si Tom est le plus connu de tous, c’est parce qu’il a du talent, du bagout, parce qu’il apprécie visiblement son rôle de célébrité mineure, et parce qu’il sait jouer de sa stature, de ses cravates et à l’occasion de ses chapeaux. En comparaison, les auteurs de jeux sont sur les salons assez incognitos, que ce soit ceux qui, comme moi, apprécient d’être parfois au centre de l’attention ou ceux qui, comme Antoine Bauza, font tout pour l’éviter.


Eric Martin et Tom Vasel au salon d’Essen

Internet, on le sait, a engendré une « dislocation culturelle » qui permet l’émergence de nombreuses « célébrités mineures », de personnes qui sont très connues dans un petit milieu. Le petit monde du jeu de société en est un, mais il est intéressant de constater que les véritables petites stars y sont plus souvent les critiques que les auteurs ou illustrateurs. Il peut y avoir à cela des raisons liées à la psychologie des uns et des autres, les auteurs étant plus souvent des solitaires – c’est un peu paradoxal pour un loisir très social, mais c’est un fait qui me semble assez évident – et les critiques des personnes plus ouvertes, aimant parler et s’exprimer, et appréciant d’être sous les projecteurs. Il y aussi des raisons techniques, notamment le fait que l’on voit toujours la tête de ses critiques favoris dans des videos tandis que le visage des auteurs reste mystérieux. Ma tête est un peu connue parce que je suis très présent sur internet, et parce que je ne sais pas me taire, celle d’Eric Lang l’est un peu pour les mêmes raisons et parce qu’il n’y a pas beaucoup de noirs dans le monde ludique, mais qui sait à quoi ressemblent des auteurs pourtant aussi importants comme Antoine Bauza, Vlaada Chvatil ou Jamey Stiegmaier ou, l’inconnu total que moi-même je ne reconnaîtrais pas, Wolfgang Warsch ? Je ne sais absolument pas s’il faut s’en réjouir ou le regretter.


At the last Essen game fair, in october, I was surprised to hear many people express their anger at or distrust of Tom Vasel, and thought this was unfair. Tom is certainly the most popular and influent game reviewer, the one whose video reviews, which have replaced his old written ones, get the most views and comments on the Boardgamegeek, on Facebook and on his own website, the Dice Tower, even though the latter is a bit hard to navigate. This is due to their clear structure, a short but clear explanation of the rules followed by a sound and wel-argued subjective opinion, all this in about fifteen minutes, but also to his clear expression and his obvious pitchman talent. I usually prefer to read written reviews, but when I want a short description and opinion on a recent game, I often watch Tom Vasel’s review, and when there’s none a review by one of his Dice Tower acolytes, Zee Garcia and Sam Healey.

I’ve heard mostly two criticisms of Tom and, to a lesser extent, Zee and Sam. Designers and publishers blame them for being partial against their games, or even for bad faith, while gamers rebuke them for not sharing their tastes and opinions and therefore being « subjective ».
Of course, an objective review is an oxymoron, since the only point of a review is to express as clearly as possible the subjective opinion of its author. An « objective review », if there’s something like this, would be pointless – just a soulless and boring description or a plain paraphrase of the game’s rules. Tom and his friends know this. They first give a rough an d pedagogical description of a game, and then give their opinion with wit and conviction.

Of course, a game designer is always a bit depited and frustrated when an influential critic dislikes his last design, and it happened to me many times. It is, however, perfectly legit, and one cannot ask a reviewer to play fifteen one’s game fifteen times to make sure one doesn’t like it. Furthermore, if there is a reviewer I don’t suspect of bad faith, it’s Tom Vasel. I think I’ve well understood his tastes in games, which are not dissimilar with mine. He usually likes my games and, most of all, I can predict with a quasi-certainty which games he will like or dislike. This means his verdicts are indeed only based on his personal opinion and not on some interest or calculation. I could have some doubts if his judgements were inconsistent or loosely argued, but they are the opposite, consistent, clearly argued and based on an impressive knowledge of modern gaming. Of course, one can disagree with him, but that’s rarely my case – at least about games. For the rest, we are ideologically at odds, since I hate all religions and am extremely wary of so-called family values, but we agree, at least, on one thing – we should not set our convictions aside when discussing games.


Sam, Tom & Zee cards from Nothing Personal

This brings me to another fun topic. Tom is probably the best known individual in the boardgaming world, the one everybody recognizes at game fairs. He is famous as a reviewer, since almost no one knows he also designed two really good games, Nothing Personal and Vicious Fishes. One of the reasons why the were largely unnoticed is that, as a game reviewer, e didn’t dare to promote them. His acolytes Sam and Zee are also minor celebrities, as well as some of the boardgamegeek team, especially Eric Martin, and a few other reviewers such as Dan King aka The Gameboygeek, or in a different style Matt & Quinns of Shut-up and Sit Down. They are, I think, more often recognized at game fairs than most game designers. If Tom is the most famous, it’s because of his gift of gab, because he visibly enjoys being a minor celebrity, and because of his stature, his ties and his hats. Comparatively, most game designers can visit game fairs relatively incognito. This is true for those who, like me, enjoys to be from time to time at the center of attention, and even more for those who, like Antoine Bauza, carefully avoid it.


The Boadgamegeek team after Essen 2018

The development of the internet has caused a « cultural dislocation ». One of its effects is the appearance of « minor celebrities » who achieve a near star status in a relatively small circle. The small boardgaming world is one of these circles, but it’s interesting to notice that its small stars are more often game reviewers than game designer or artists. There could be psychological reasons for this. Boardgame designers are often solitary characters – I know it’s surprising since boardgames are a social activity, but believe me, once you know a lot of them, it’s an evidence – while reviewers are probably more extrovert people, eager to speak and to be listened to, and enjoying being in the spotlights. There are also technical explanations, mostly the fact that the reviewer’s face can be seen on every video, but not the designer’s one. My face is moderately known because I’m very active on facebook and on my website, and because I’m not good at keeping it quiet. Eric Lang’s one is also well known for the same reasons, and may be also because there are not that many black people in the boadgaming world. But who can spot in a game fair other important designers such as Vlaada Chvatil, Antoine Bauza, Jamey Stiegmaier or Wolfgang Warsch. I don’t have the slightest idea what the last one looks like. I don’t know if this is a good or a bad thing.


And now a few videos featuring my games :

My 10 best games according to Tom Vasel, as of January 2018 :

My new games at Gen Con 2017, interview with Eric Martin of the BGG :

Tom Vasel reviews Dragons’ Gold:

Shut Up and Sit Down reviews Secrets :

The GameBoyGeek reviews Waka Tanka :

OK, there are one or two games of mine Tom didn’t enjoy – here he discusses letters of Marque:

 

Let’s Draft

Il est aujourd’hui facile non seulement de s’informer des nouvelles sorties ludiques, mais même de lire des critiques construites et argumentées sur internet, en particulier grâce au Boardgamegeek et à des sites comme The Dice Tower. Du coup, les revues papier spécialisées ont peu à peu disparu ou sont devenues confidentielles. Je ne suis plus abonné qu’à une seule, l’une des plus anciennes et des plus touffues, la version en anglais de la revue allemande Spielbox. Le dernier numéro commence sur une critique de Lift Off, un assez gros jeu de gestion de Jeroen Vandersteen sur le thème de la course à la lune et à l’espace dans les années soixante. La critique donne plutôt envie d’essayer le jeu, mais elle serait sans doute plus convaincante si elle ne commençait pas par une affirmation totalement fausse sur ce que les joueurs français appellent les « jeux de draft ».
En anglais, le terme draft signifie à l’origine enrôlement. D’abord synonyme de conscription, il désigne aussi, par extension, les systèmes par lequel les équipes sportives recrutent leurs athlètes. En matière de jeu, il peut s’appliquer à tout jeu dans lequel les joueurs choisissent leurs cartes, que ce soit dans des mains qui passent de main en main, dans une “rivière” ou un tableau au centre de la table, ou de quelque autre manière (cf la définition du boardgamegeek) ou cet article) Les joueurs français ont donné au mot draft le sens bien plus restreint de « choix d’une ou plusieurs cartes dans une main qui est ensuite passée au voisin ». Cela m’a valu, avant que je ne réalise cette différence, quelques quiproquos avec des auteurs anglo-saxons, qui n’ont pas vraiment de terme spécifique pour le type de « draft » dont il est question ici. Dans la version anglaise de cet article, j’utiliserai donc tantôt « circular draft », tantôt « pick and pass draft ».

Je cite donc l’auteur de cette critique, Christian Klein:
Existe-t-il un pire mécanisme ludique? Vous débutez avec n cartes en main. Vous en passez d’abord n-1 à votre voisin de gauche, puis n-2 de celles que vous a passé votre voisin de droite, et ainsi de suite jusqu’à ce que n-x = 0. Cela ne rend pas la distribution des cartes moins aléatoire ou plus équilibrée que de les mélanger et distribuer simplement aux joueurs, mais cela donne l’impression trompeuse d’avoir un certain contrôle sur la chance. C’est une perte de temps d’autant plus désagréable que le rythme est défini par le joueur le plus lent.

Si ce dernier point, le rythme défini par le joueur le plus lent, est malheureusement exact, tout le reste de ce paragraphe est simplement faux. La formalisation mathématique complète du problème m’échappe un peu, mais il est aisé de montrer que le draft rend les mains plus équilibrées, ne serait-ce que parce que les jeux extrêmes – un joueur ayant toutes les meilleures ou toutes les plus mauvaises cartes – deviennent impossibles, et les jeux moyens plus probables.
Les mains ainsi obtenues sont non seulement plus équilibrées, mais aussi moins aléatoires. Le jeux ayant recours à ces systèmes de draft n’ont pas seulement de bonnes et de mauvaises cartes, ce sont des jeux de combinaisons dans lesquels les joueurs s’efforcent de créer des synergies entre des cartes aux effets différents. Le draft est donc bien plus qu’une technique de distribution des cartes, il est un mécanisme ludique fascinant. Il peut même être, comme dans Fairy Tale ou 7 Wonders, la presque totalité du jeu. Les mains obtenues à l’issue du draft ne sont pas aléatoires, elles sont déjà le résultat de choix tactiques, chacun décidant de jouer militaire, ou merveilles, ou scientifique… Si 7 Wonders, était un jeu de pur hasard, et si le draft ne servait à rien dans un jeu où il n’y a guère que du draft, quelques uns des millions de joueurs s’en seraient rendu compte.

 

Le jeu des « kilos de merde » (Spoons dans le monde anglo-saxon, c’est quand même plus élégant), pratiqué depuis des générations dans les cours de récréation, est sans doute l’ancêtre des jeux de draft, même si l’on n’y passe qu’une seule carte à la fois. Il y faut autant de séries de quatre cartes (7s, 8s, 9s, 10s…) que de joueurs. On distribue quatre cartes à chaque joueur, puis chacun simultanément passe une carte à son voisin, jusqu’à ce qu’un joueur ait quatre cartes identiques et tape sur la table. Dans les années quatre-vingt-dix, j’ai beaucoup joué à Zuma, une variante particulièrement amusante, dans laquelle il fallait attraper des totems de plastique qui sont un peu les précurseurs de ceux de Jungle Speed. On retrouve parfois ce principe de draft à une carte dans des jeux plus récents, comme le subtil et déconcertant 12 Days of Christmas, de James Ernest et Mike Selinker.

 

Le système consistant à passer n-1 cartes, en n’en gardant qu’une à chaque passage, est sans doute apparu d’abord comme variante un peu loufoque du poker, l’anaconda, avant de devenir populaire parmi les joueurs de Magic the Gathering. Le premier jeu moderne construit autour de ce système auquel j’ai joué est sans doute Fairy Tale, petit jeu de cartes très malin mais un peu tordu de Satoshi Nakamura, paru en 2004. Je me souviens m’être alors dit qu’il y avait là un mécanisme assez génial que l’on allait beaucoup revoir, et sans doute dans des jeux plus simples, plus évidents. Je ne me suis pas trompé. Citons, parmi d’autres purs jeux de draft dans de petites boites, Nevermore, de Curt Covert, Medieval Academy, de Nicolas Poncin, Cosmic Factory de Kane Klenko et Mesozoic de Florian Fay, ces deux derniers se ressemblant un peu et ajoutant un côté puzzle en temps réel.

 

En anglais, le verbe to draft signifie enrôler des soldats dans une armée et, par extension, des athlètes dans une équipe. Curieusement, il n’y a pas tellement de jeux où l’on recrute ainsi une équipe de personnages. Dans Treasure Hunter, de Richard Garfield, l’un de mes préférés, on engage des aventuriers pour partir chercher des trésors, et dans Orc-lympics, de Trevor Benjamin & David Thompson, on recrute des nains, des elfes et des orques pour les jeux éponymes. J’ai aussi dans mes cartons deux jeux dans le même univers fantastique, l’un où l’on recrute aussi des sportifs et l’autre où l’on constitue des groupes de rock.

 

L’autre thème naturellement suggéré par les cartes qui tournent autour de la table, c’est bien sur les carrousels (dont j’aimerais bien que quelqu’un m’explique pourquoi ils ne prennent qu’un seul s), à commencer par ceux à sushis. Deux auteurs, Takahiro Amioka et Phil Walker Harding, ont eu la même idée, ce qui a donné deux jeux simples et amusants, Sushi Draft et Sushi Go. Ce dernier, dans sa version « party » , se joue jusqu’à 8 joueurs. À quand un jeu où l’on doit récupérer ses valises dans un aéroport ou ses enfants à la descente du manège.

 

Le charme de ce système de draft circulaire est qu’il permet, grâce à une règle très simple, de générer des choix tactiques permanents et sans cesse renouvelés. La tension y nait moins des interactions que de l’attente des cartes que l’on va recevoir et de la frustration de ne pouvoir toutes les garder – dans un bon jeu de draft, il n’y a que des bonnes cartes. Cela permet de créer des jeux tactiquement riches et subtils mais entièrement construits sur une règle qui s’explique en deux minutes.

Parmi les grosses boites, qui ne correspondent pas toujours à de vraiment plus gros jeux, la plus vendue et la plus connue est bien sûr 7 Wonders, d’Antoine Bauza, et ses multiples extensions. Dans les jeux de draft les plus simples, les joueurs se constituent d’abord une main qu’ils révèlent ou exploitent ensuite. Dans 7 Wonders, comme dans le mignon petit jeu à deux Tides of Time de Kristian Kurla, les cartes sont révélées au fur et à mesure du draft, ce qui rend le jeu plus lisible et interactif. Malgré cela, je ne suis pas fan de 7 Wonders, dont je trouve le système de score assez tarabiscoté et qui prend vraiment trop de place sur la table. On a aussi beaucoup parlé en 2018 de Paper Tales, de Masato Uesugi, mais s’il est graphiquement magnifique je n’ai pas trouvé que ses mécanismes ludiques apportent grand chose de frais (tiens, cela fait trois ou quatre auteurs japonais cités dans cet article, il y a sans doute quelque chose à creuser ici).

 

Je préfère à ces classiques l’amusant Bargain Quest, de Jonathan Ying, et surtout le simple et élégant Treasure Hunter, ou le très rigolo Bunny Kingdom, deux jeux de Richard Garfield – et du coup je suis très curieux de Carnival of Monsters, sa nouvelle création annoncée pour 2019. Antoine Bauza et l’équipe Kaedama ont également un nouveau jeu de draft à paraître cette année, Draftosaurus. Et puis il y en a pas mal auxquels je n’ai jamais joué, comme Among the Stars, de Vangelis Bagiartakis, Ginkgopolis de Xavier Georges, Between two Cities (et sa variante Between two Castles of Mad King Ludwig) de Matthew O’Malley et Ben Rossett, ou Lost Legends de Mike Elliott. Autant d’auteurs ne se seraient pas intéressés à ce mécanisme, autant de joueurs n’auraient pas été séduits, si tout cela n’était qu’illusion et perte de temps!

Il est une autre utilisation du draft, et c’est surtout contre elle que le journaliste de Spielbox se rebelle, c’est celle où les joueurs se constituent avant que la partie ne commence vraiment une main de cartes qu’ils vont ensuite utiliser dans des jeux assez conséquents d’affrontement, de développement, d’enchères ou de tout ce que l’on veut. Le draft « n-1 » peut alors sembler remplacer un substitut inutilement tarabiscoté à la distribution des cartes, mais c’est bien plus que cela dans Dominare de Jim Pinto, Seasons de Régis Bonnessée, Blood Rage d’Eric Lang, Seeders of Sereis de Serge Macasdar, Inis de Christian Martinez, Terraforming Mars de Jacob Fryxelius et sans doute dans un assez grand nombre des gros jeux parus ces dernières années, mais je ne joue plus à tout. Je n’ai jamais joué à Dominare parce que plateau et cartes son t vraiment trop moches, mais Ghislain Masson ne cesse de m’en dire du bien et finira bien par m’y faire jouer – après tout, je joue bien déjà au hideux Terraforming Mars.

Le draft initial est un procédé amusant et efficace pour permettre aux joueurs de se construire une stratégie avant que le jeu ne commence vraiment, en générant, contrairement à ce qu’affirme Christian Klein, des mains de cartes construites, équilibrées et intéressantes, ce à quoi ne parvient que rarement une distribution aléatoire des cartes. C’est une sorte de deck-building accéléré fait une fois pour toute en début de partie. Le principal inconvénient d’un tel système est qu’il peut devenir très technique, et donner un avantage excessif à celui qui connait déjà bien le jeu, sans vraie possibilité pour les débutants de se refaire en cours de partie – c’est particulièrement vrai dans Seasons, et c’est pourquoi je n’apprécie pas trop ce jeu. Les règles de Terraforming Mars suggèrent judicieusement une distribution aléatoire des cartes pour les premières parties, et un draft uniquement pour les joueurs expérimentés qui connaissent suffisamment les cartes pour pouvoir se préparer des combos et jouer de leurs synergies. Après, cela ne marche peut-être pas bien dans Lift Off – je ne sais pas, j’attends qu’il sorte en français ou en anglais pour y jouer – mais ça ajoute énormément d’intérêt à bien d’autres jeux.

  

On pourra sans doute s’étonner de me voir prendre ainsi la défense des jeux de draft alors que je n’en ai à ce jour, publié aucun. J’ai parfois vu Citadelles et son cousin Lost Temple classés parmi les jeux de draft, je comprends un peu pourquoi, mais cela me semble inapproprié. Certes, les cartes personnages passent de joueur en joueur, chacun en conservant une, mais il n’y a qu’un seul lot de cartes qui circule, et les joueurs ne cherchent pas vraiment à se constituer une main. Small Detectives, conçu avec Charles Chevalier, s’apparente aussi un peu à un jeu de « draft & play » à la manière de 7 Wonders, mais les choses s’y font à l’envers – les cartes que l’on fait passer n’y sont pas celles dont on ne veut pas mais, à l’inverse, celles que l’on joue, donnant ainsi au joueur suivant la possibilité de les jouer à son tour dans la suite de la partie. C’est un principe amusant que je suis surpris de n’avoir vu exploiter dans aucun autre jeu de cartes, mais ce n’est pas du draft.

Si je n’ai publié aucun vrai jeu de draft, ce n’est pas faute d’avoir essayé, puisque j’ai il y a quelques années proposé en vain aux éditeurs deux petits party games rigolo basés sur ce principe, l’un où l’on conçoit des scénarios de films, et un autre assez loufoque destiné à être joué en regardant un épisode de Game of Thrones. Je mettrai sans doute ce dernier en ligne gratuitement sur mon site avant le début de la dernière saison. J’ai aussi dans mes projets actuels trois jeux de plateau poids moyen dans lesquels les joueurs draftent leur main en début de partie. L’un d’entre eux devrait sortir en 2019 ou 2020 chez un assez gros éditeur, les deux autres sont encore en développement et je les aurai sans doute sous le bras lors de ma prochaine tournée des éditeurs.


It has now become very easy to stay informed of the new games published, and even to read or watch online detailed reviews by talented and well informed reviewers, on the Boardgamegeek or on websites like The Dice Tower. As a result, printed game magazines have nearly disappeared ore have become extremely confidential stuff. The only one I still subscribe to, Spielbox, is also one of the oldest ones and now even has an English language edition. The last issue starts with a detailed review of Lift Off, by Jeroen Vandersteen, which seems to be an interesting and a relatively heavy management game about the space race in the sixties. The review is rather positive, and made me want to play the game, but it would have been more convincing if it did not start with a completely wrong statement about the « pick and pass » drafting system used in games like Sushi Go or 7 Wonders. While French gamers now use the English word « draft » specifically for this type of draft, I’ve seen it used in English for games in which card are drafted from a central tableau, or a « river », or in a few other ways. Since there seems to be no specific term in English for games in which cards are drafted from hands passed from player to player around the table, I will use alternately “pick and pass” draft and “circular draft”.

Anyway, here’s Christian Klein’s rant against this kind of draft:
Is there a worse mechanism? You start with n cards in your hand; first you pass n-1 cards to the left, then n-2 of the cards you got from your right neighbor plus the cards in your hand, and so on until n-x equals zero. This approach doesn’t make the distribution of cards any less random or unfair than simply shuffling and distributing them, but it gives you the deceptive impression that you have a certain influence over your luck. However, it’s a waste of time, which is annoying given that the pace is given by the slowest player.

OK, the very last point is right, the pace of the whole draft is indeed given by the slowest player, but everything else in this paragraph is factually wrong. The maths are a bit complex and I could not formalize the whole problem, but it’s easy to prove that circular drafting makes players’ hands of cards better balanced, if only because extremely good and bad hands – the same player getting all best or all worst cards – become impossible, and therefore average hands much more likely.
Post draft hands are not only better balanced, they are also far less random. Indeed, games using this kind of card drafting do not only have good and bad cards, they have different types of cards which can be used to create synergies. Circular drafting is not a convoluted way to deal random hands, it’s a fascinating game system in itself. There are even a few games, like Fairy Tale or 7 Wonders, where drafting is almost the whole game. Post draft hands are not random because they are the result of tactical choices, each player opting for a military, scientific or building strategy. If 7 Wonders were a totally random game, if circular drafting were just a waste of time, I bet some of the million people playing it would have noticed it.

 

The traditional children card game Spoons is probably the ancestor of al circular drafting games, even when players only pass one card every round. It needs as many series of four cards (7,8,9,10s) as players. Each player is dealt four cards and players simultaneously pass one card to their left neighbor until someone has four identical cards and grabs a spoon. In the nineties, In the nineties, our gaming nights often ended with Zuma, which was a kind of glorified Spoons with totems in different colors replacing spoons, and a few special cards. One card circular drafting is still occasionally used in modern card games, for example in the subtle and disconcerting 12 Days of Christmas, by James Ernest and Mike Selinker.

The pick and pass circular draft, in which each player only keeps one or more card every round and passes all other ones, first appeared as a zany poker variant, Anaconda, and then became a popular deck building system in Magic the Gathering tournaments. The first modern game entirely based on this I ever played was probably Satoshi Nakamura’s Fairy Tale, a clever but a bit convoluted card game published in 2004. I remember enjoying it and thinking there will soon be more games of its kind, and probably lighter ones – I was right. Other pure and light circular drafting card games are Curt Covert’s Nevermore, Nicolas Poncin’s Medieval Academy, Donald Vacarino’s Greed, Kane Klenko’s Cosmic Factory or Florian Fay’s Mesozoic, these two last games feeling a bit similar with their real time element.

 

The verb “to draft” originally means to recruit soldiers, and by extension to recruit athletes in a team. Surprisingly, there are not that many games in which players recruit a team of characters through pick and pass. In Richard Garfield’s Treasure Hunter, cards are adventurers exploring unknown lands, in Orc-lympics, by Trevor Benjamin and David Thompson, they are fantasy athletes. I also have a prototype about recruiting fantasy athletes, and another one about recruiting fantasy musicians into a rock band.

 

There is another natural theme suggested by circular draft and cards going around the table – sushi carousels. Two designers Takahiro Amioka and Phil Walker Harding had this idea, resulting in two fun and simple drafting games, Sushi Draft and Sushi Go, the latter supporting up to 8 players in its party edition. Why not a game about recovering one’s at the airport, or one’s kids getting off the merry-go-round.

Circular draft generates, through a very easy rule, deep and recurring tactical choices. It creates tension not through aggressive interaction but through the expectation for new cards and the frustration of not being able to keep all of them – a well balanced drafting game has only good cards, but very different ones. Pick and pass drafting is a great way to create rich and subtle tactical games based on a rule explained in two minutes.

Bigger boxes doesn’t always mean much heavier games. Best seller is Antoine Bauza’s 7 Wonders and its many expansions. In most simple light drafting games, players first build their hand and then play their cards, either all at once or one after the other. In 7 Wonders, like in Tides of Time, a cute two player circular drafting game by Kristian Curla, drafted cards are immediately revealed, which creates more possibilities fir interaction. Despite this, I’m not a fan of 7 Wonders, which has a convoluted scoring system and takes far too much table place. Last year, there was also much talk of Masato Uesugi’s Paper Tales, which looks gorgeous but doesn’t feel really innovative (BTW, that’s the third or fourth Japanese designer in this article, there might be some reason), and not enough talk, I think, of Jonathan Ying’s really fun Bargain Quest.

 

Anyway, my two favorite big box drafting games are probably the very elegant Treasure Hunter and the cute and fun Bunny Kingdom, both designed by Richard Garfield – which makes very curious of Richard’s next upcoming drafting game, Carnival of Monsters. Antoine Bauza and the Kaedama team also have a new drafting game in the pipe, Draftosaurus. There are also several games I didn’t play yet, like Vangelis Bagiartakis’ Among the Stars, Xavier Georges’s Ginkgopolis, Mathew O’Malley & Ben Rossett’s Between Two Cities (and its sequel Between Two Castles of Mad King Ludwig), Mike Elliott’s Lost Legends. I don’t think so many talented designers could have been interested in designing such games, and so many players in playing them, if it were just illusion and waste of time.

Circular drafting can also be used in a very different way, which is the main target of the Spielbox reviewer’s rant, building the players’ hands of cards before a much heavier boardgame begins, which can be a game of development, war, management or anything. Pick and pass draft can indeed look like a convoluted substitute for random card dealing, but it is much more than that in Jim Pinto’s Dominare, in Régis Bonnessée’s Seasons, in Eric Lang’s Blood Rage, in Serge Mascadar’s Seeders of Sereis, in Christian Martinez’s Inis and probably in many other big box games published these 10 last years – there are too many, I can’t play everything. I’ve never played Dominare because the board and cards are too ugly, but Ghislain Masson keeps repeating it’s a great game and will probably have me play it one of these days. After all, I play and enjoy the ugly Terraforming Mars.

Initial circular drafting is a fun and efficient way to have players build a strategy before the game really begins and, unlike what Christian Klein writes, generates consistent, balanced and interesting hand of cards, something a random card dealing rarely does. It’s like a fast paced deck building made once and for all before the action really starts. The only issue I have with this mechanism is that it requires a good knowledge and understanding of the game from its very beginning, and therefore gives a strong advantage to players who already have some experience of it. This is a real problem, for example, in Seasons, and is why I don’t like this game that much. The rules for Terraforming Mars judiciously suggest a random dealing for the first game, and a circular draft only with experienced players who know the cards well enough to build combos and synergies. May be it doesn’t work that well in Lift Off, I don’t know, I wait for a French or English language version to play it, but it really adds interest to all the other games I’ve named in this article.

  

You might be surprised to see me stand up for pick and pass drafting when I’ve not published a single game using this mechanism. I’ve sometimes seen Citadels and its sequel Lost Temple described as drafting games, but this is a bit far fetched. There is indeed a pick and pass sequence at the beginning of every round, but there’s already one set of cards passed from player to player, and choosing a single card is not the same as building a hand. Small Detectives, co-designed with Charles Chevalier, also feels a bit like a « draft and play » game à la 7 Wonders, but it’s exactly the reverse. The cards passed are not the ones one doesn’t want, but the ones one plays, giving the next player the opportunity to play them later. It’s a fun mechanism, and I’m surprised it has not been used in other games that I know of, but it’s not really drafting.

I’ve no real circular draft game published so far, but it’s not for lack of trying. Two of the prototypes I’ve submitted to publishers these last years are fun party games based on drafting. One is about writing movie scenarios, the other one is a zany game which must be played while watching an episode of Game of Thrones. I’ll probably post the latter for free on my website before the last saison airs. I’m also working on three mid-weight boardgames in which players draft their hand around the table before the game really starts – one is scheduled to be published in 2019 or 2020, and I will probably have the two other ones with me next time I tour publishers.