Ethnos, Archeos Society et l’interaction dans les jeux
Ethnos, Archeos Society and interaction in game design

Paolo Mori, auteur du génial Unusual Suspects, mais aussi de jeux plus ambitieux comme Libertalia ou Dogs of War, est l’un de mes créateurs de jeux préférés. J’avais de mes quelques parties d’Ethnos, originellement publié par CMON en 2017, un excellent souvenir, même si le jeu ne semblait pas tout à fait fini. Les choix graphiques étaient discutables, un peu plats. La carte divisée en six régions ne servait pas à grand-chose. Bref, un jeu au potentiel énorme, mais qui semblait avoir été développé et édité à la va-vite.

Je me suis donc réjoui lorsque j’ai appris que l’équipe des Space-Cowboys, qui avait déjà édité un autre excellent jeu de Paolo, Libertalia, préparait une nouvelle version d’Ethnos. Archeos Society vient de sortir, il est magnifique. J’en ai vite fait deux parties qui sont tombées un peu à plat. Ne me souvenant plus bien des règles d’Ethnos, je suis allé rouvrir ma vieille boite pour voir ce qui avait changé. J’ai tout de suite compris le problème, qui me semble illustrer une erreur que font aujourd’hui la plupart des éditeurs : vouloir expurger les jeux de tout ce qui est un peu agressif parce que la guerre, la violence, tout ça, c’est mal (et ça ne se vend pas).

La guerre, la violence, c’est en effet très mal dans la vraie vie, mais cela ne pose pas de problème dans les films ou les romans. Il ne devrait pas en aller autrement dans les jeux, d’autant que c’est un excellent moyen de générer de l’interaction entre les joueurs. La baston n’était déjà pas très sanglante dans Ethnos, qui était plus un jeu de majorité que d’affrontement, et je pense qu’il aurait fallu en rajouter un peu en permettant à certains peuples de franchir les frontières pour attaquer les voisins. Le choix inverse a été fait dans Archeos Society, où les rivalités pour le contrôle des six régions ont été remplacées par l’avancement de pions sur des pistes. Ce ne sont même pas des courses, il n’y a pas de prix pour le premier où de possibilité de faire un croche-pied à celui qui vous dépasse. Le fun, l’intérêt, l’interaction ont été supprimés et remplacés par des systèmes de score tarabiscotés, différents sur chaque piste, poussant chaque joueur à faire ses calculs en ignorant complètement ses adversaires.

Bref, même si les neuf-dixièmes des règles sont identiques, Ethnos et Archeos Society sont des jeux très différents. Ethnos était un jeu léger, que l’on jouait avec et contre ses adversaires. Archeos Society est, pour l’essentiel, un exercice d’optimisation mathématique que l’on fait chacun pour soi. Ethnos était un jeu simple, amusant, méchant, tout public. Archeos Society est un jeu sérieux, froid, techniquement intéressant mais qui reste sans doute trop simple pour les amateurs de gros jeux stratégiques.

Beaucoup d’éditeurs sont convaincus qu’un jeu de société ne peut aujourd’hui être un succès que s’il est gentil – gentil rose ou gentil vert -, si l’on peut jouer pour soi sans jouer contre les autres. J’ai récemment discuté avec l’un d’entre eux, qui envisageait de rééditer Isla Dorada, jeu méchant s’il en est, mais en en retirant les possibilités de blocage qui en font tout le charme. Curieusement, ceux qui tiennent ce discours citent toujours les deux mêmes mauvais exemples, Les Aventuriers du Rail et les Colons de Catan. Ce sont certes d’excellents jeux grand public mais, si l’on ne s’y fait pas vraiment la guerre, la course et le blocage y sont très présents.

Alors, certes, j’aime bien les jeux un peu agressifs, un peu méchants, ou pour parler politiquement correct « interactifs ». C’est un goût personnel, mais je pense qu’il reste très partagé, et sans doute plus dans le grand public que dans le petit milieu des professionnels et des initiés du jeu de société. J’en suis suffisamment convaincu pour continuer à faire des jeux « interactifs ».


Quelques jours seulement après avoir écrit cet article, je suis tombé sur un tweet de mon ami Eric Lang dans lequel il mettait en avant une autre manifestation de la même erreur d’analyse.

Il constatait que beaucoup de la complexité inutile des jeux de société récents était due à la volonté de minimiser les « feel bad moments », expression que je ne sais pas trop comment traduire, disons les moments où un joueur peut avoir l’impression de s’en prendre plein la gueule. Je n’avais pas employé cette expression, mais c’est précisément pour cette raison que les régions d’Ethnos sont devenues les pistes de score d’Archéos Society.
Eric pointe sur un autre procédé des éditeurs, qui demandent au concepteur du jeu d’introduire des « compensations » pour le joueur qui perd un combat ou une majorité, que ce soit à la suite d’un manque de chance ou d’un bon coup adverse, afin que la perte ne soit pas trop fortement ressentie.

C’est généralement une erreur pour deux raisons. D’abord, comme le remarque Eric, parce que ces « compensations », par exemple des bonus à utiliser plus tard pour modifier un jet de dé, complexifient les règles. Mais aussi et surtout parce ces « feel bad » moments, font partie du plaisir du jeu, ne serait ce que pour mieux mettre en avant les « feel good » moments. Un jeu où on ne rate jamais vraiment son coup, c’est aussi un jeu ou l’on ne réussit jamais vraiment, c’est un jeu plat.

Eric cite comme exemple King of Tokyo, de Richard Garfield, mais mes plus grands succès, Diamant, Mascarade ou Citadelles sont aussi des jeux qui peuvent parfois sembler injustes. Non seulement cela ne pose pas de problèmes aux joueurs, mais je suis convaincu que c’est une des raisons de leur succès.

Si je prends l’exemple de Citadelles, les alternatives à l’Assassin, Sorcière et Magistrat, sont effectivement une réponse à une demande de l’éditeur, qui voulait que le joueur tué, parfois un peu par erreur, ne perde pas complètement son tour. Je ne joue jamais avec ces personnages plus complexes, et je ne crois pas que beaucoup de joueurs y aient recours. L’assassin est injuste, mais il est aussi tellement plus simple et plus drôle.

Je ne suis pas toujours opposé aux compensations. Quand cela rentre dans le thème, ne complique pas trop les règles, ne ralentit pas le jeu et peut relancer la partie, pourquoi pas. Dans un de mes prototypes, le singe qui réveille le tigre reçoit un brin de moustache qu’il pourra utiliser plus tard pour refuser une carte et en piocher une autre. Cela passe parce que c’est simple. Trop souvent, et je m’y suis parfois laissé entraîner, les compensations s’accumulent au point qu’il devient presque indifférent de perdre ou de réussir un jet de dé, de piocher une bonne carte ou une mauvaise, et le jeu perd alors tout son sel.

J’ajouterai que les éditeurs qui cherchent à minimiser ces « moments négatifs » se méprennent assez largement sur la nature du plaisir ludique. Bien sûr, quand on joue, on cherche à gagner, c’est le principe même du jeu. Mais ce qui apporte le plaisir du jeu, ce n’est pas le résultat, la victoire, c’est la tension qui y mène – ou pas. On ne se souvient avec plaisir des parties que l’on a gagné que quand on a failli les perdre, et on se souvient avec le même plaisir de celles que l’on a perdu mais que l’on aurait pu gagner. Pourquoi tant de gens jouent-ils au poker, qui n’est guère fait que de “feel bad” moments ?

Ces éditeurs – pas tous, heureusement – me semblent oublier que les jeux sont achetés par des gens qui aiment jouer, qui cherchent à gagner mais acceptent de perdre. Les gens qui n’aiment pas perdre ne jouent pas.


Quelques mois plus tard encore, je me suis rappelé la grande théorie de mon ami Bruno Cathala, selon laquelle le plaisir du jeu vient en grande partie de la frustration du joueur à qui il manque toujours une carte, un point d’action, un jet de dé, une case pour pouvoir faire ce qu’il veut. Cette frustration est très voisine de celle que j’ai décrit plus haut, que ressent le joueur qui prépare longuement son coup… pour se faire soudain bloquer par une route ou un ouvrier posé par le joueur à sa droite. Elle est bien sûr tout aussi présente dans les jeux coopératifs, où c’est le système qui vient nous embêter.

Cet article a généré, depuis que je l’ai publié, pas mal de discussions parfois un peu arrosées avec d’autres auteurs de jeux. Si tous ne mettent pas toujours en avant la même émotion négative, je ne crois pas qu’il y en ait un seul qui m’ait dit faire, ou chercher à faire, des jeux « positifs ». C’est un fantasme d’éditeur, et un mauvais argument commercial qui repose sur une méconnaissance des joueurs et des mécanismes du plaisir ludique.



My favorite game by the talented designer Paolo Moris is certainly Unusual Suspects, but he mostly designed more ambitious stuff, games like Libertalia or Dogs of War. I played a few games of Ethnos, when it was published in 2017 by CMON, and thoroughly enjoyed them, even when the game felt a bit unfinished. The art was good but the graphics bland. The map was divided in six regions which didn’t mean much in game terms. It felt like a fabulous game which had been developed and published a bit too fast.  

I rejoiced when I heard that the Space Cowboys team, which was already responsible for publishing another of Paolo’s great designs, Libertalia, was working on a retheme of Ethnos. Archeos Society is just out, and it looks gorgeous. I played it twice and it fell flat twice. Since I didn’t remember Ethnos very well, I just opened my old box and browsed through the rules to check the changes. I instantly saw the problem. The game has been thoroughly expurgated from everything a bit aggressive, from every possibility to attack other players, because war and violence 1)are bad and 2) don’t sell. Such bowdlerization has recently become commonplace with game publishers.

War and violence are certainly bad in real life, but they are not a problem in novels and movies. They should not be either in games, especially since they make for an efficient way to generate interaction between the players. The fight was not very bloody in Ethnos, which was technically more an area majority game than a war game, and I think it could have been improved with the possibility, for some people, to cross borders and attack neighbors. Anyway, the opposite has been done in Archeos Society, where the rivalry for the control of the six regions has been replaced with simply moving players pieces on various scoring tracks. These are not even race tracks, since there’s no bonus for the first one past the post, and no possibility to trip opponents up. The fun and interactive part of the game has been replaced by complex scoring systems, different on every track, so that each player makes their own calculations, mostly ignoring opponents.

As a result, even when nine tenths of the rules are the same, Ethnos and Archeos Society feel completely different. Ethnos was a true game, played with and against opponents. Archeos Society feels like a math optimization problem. Ethnos was simple, fun, nasty, a game for every casual gamer. Archeos Society feels serious, cold, technically challenging but still probably too simple for hardcore gamers.

Most publishers nowadays seem to believe that a game can only be a major hit if it is cute – meaning either pink cute or green cute – if one can play for oneself without playing against the other. I even recently got an email from a publisher who wanted to republish Isla Dorada, a deliberately nasty game, with removing  the blocking possibilities which make most of its charm. Ironically, those who adhere to this narrative always give the same two examples, Ticket to Ride and Settlers of Catan. Both are outstanding games, and not about war, but blocking, and sometimes aggressive blocking, is one of their essential features.

I like aggressive, even mean, games – or, to use the euphemized term, interactive games. It’s a personal taste, but I think it is a very common one, and probably more among casual gamers than among hardcore ones and publishers. And I intend to keep on designing “interactive” games.


A few days only after I posted this blogpost, I read a tweet by my friend Eric Lang, in which he highlighted another manifestation of most publishers’ aversion fore negative effects in games.

He noticed that some of the unnecessary complexity of modern board games came from trying to minimize “feel bad moments” in games. I didn’t use this wording, but it is for this exact reason that the regions in Ethnos have been replaced by scoring tracks in Archeos Society.
The other reaction pointed by Eric is publishers asking the designer to add “compensations” for the player who loses a fight or a majority, be it because of bad luck or of an opponent’s clever move, so that the loss doesn’t feel too bad.

It is usually an error for two reasons. First because, and that was Eric’s main point, these compensations are added rules and make the game more complex. Another reason is that these “feel bad” moments are part of a game’s fun, if only because they help emphasizing the good moments. A game with no real bad moments is also a game with no real good moments – it feels flat.

Eric gives one example of game with simple rules bad moments, Richard Garfield’s King of Tokyo. My three best-selling games, Diamant, Mascarade and Citadels, are also merciless and even sometimes unfair. It doesn’t seem to be a problem for players, I even think it’s one of the reasons for their success.

In the recent editions of Citadels, there are two #1 cards designed to replace the Assassin, the Witch and the Magistrate. These two characters come from a demand by the publisher, who wanted to make the #1 character’s effect less violent for the affected player. I never play with these more complex characters, and I don’t think many players do. The assassin is so much simpler and more fun.

I’m not totally against compensations. If it fits with the story, if it doesn’t slow or complexify the game, if it adds to the tension, why not. In a prototype I’m working on at the moment, the monkey who wakes up the tiger can keep a whisker and use it later to discard a card and redraw. It’s OK because there’s a fun story in it, and it’s simple. In too many games, compensations are such that it doesn’t really matter any more if your die roll is a hit or miss, if the card you draw is good or bad – and the game becomes tenseless.

The publishers who want to minimize these “bad moments” misunderstand the essence of the gaming pleasure. Of course, players try to win, that’s the whole point of the game. The fun, however, is not in the result, in winning, it is in the tension, in trying to win. The games we best remember are those we won but nearly lost, and those we lost but could have won. Why do so many people play poker, a game which is mostly “feel bad moments”.

Many publishers – not all, luckily – seem to forget that the people who buy and play games are people who like playing. This means they try to win, but they dont mind losing. People who hate losing don’t play games.


A few months later, I remembered that Bruno Cathala had once explained to me his theory that gaming pleasure is largely based on frustration, on the players always missing one card, one action point, one spot on the die, on space on the track to do what they want. This frustration is not very different from that described above, of the player patiently preparing a move to see it blocked by a road or a worker placed the player on their right, just before their turn comes. It is not different in cooperative games, where blocking is done by the system.

This article has generated, since I published it six months ago, many half-drunk discussions with fellow game designers. While we don’t all claim to aim at the exact same negative emotion, I don’t think a single designer ever told me they design, or would like to design, entirely « positive » games. This idea is both a publisher’s fantasy, and a bad sales pitch due to a misunderstanding of gamers and the nature of gaming fun.

Quelques interviews

À quelques joueurs d’intervalle, deux interviews que j’ai récemment donné à des podcasts dludiques francophones ont été publiées sur le web. Les deux sont assez longues, et sont plus consacrées aux généralités sur le jeu qu’à la promotion de mes sorties récentes, d’ailleurs peu nombreuses.

Il y a quelques mois de cela, lors d’un passage à Nancy, dans les locaux de Iello, Laurène m’a interviewé pour son podcast “À quoi tu triches?”. J’y parle du jeu en général, de son histoire, de mon histoire et des jeux que j’aime bien.

La seconde interview a été enregistrée le dernier jour du festival des jeux de Cannes, et j’y discute avec Polgara et le Pionfesseur. On y est moins dans l’histoire, et plus de philosophie ou de sociologie du jeu. Ceci dit, c’était la fin du salon, j’étais fatigué, et je ne trouve pas toujours mes mots.

(Sorry, French only)

Retour à la nature
Back to nature

Il y a encore vingt ans, les thèmes les plus systématiquement exploités dans les jeux de société, les univers par défaut de la plupart des auteurs, moi le premier, provenaient de la littérature ou de l’histoire. La première apportait notamment les le fantastique, la science-fiction et l’enquête policière, la seconde les guerres, le développement économique et la colonisation. Aucun de ces thèmes n’a vraiment disparu, mais ils semblent de plus en plus, surtout sur les boites de jeux publiées en Europe et aux Etats-Unis, remplacés par des mondes moins marqués par l’homme, plus vierges, plus naturels – les fleurs, les arbres, les animaux et toutes ces sortes de choses. Entamée depuis une petite dizaine d’années, cette tendance s’est clairement accélérée depuis la fin de la crise sanitaire. Sans y être aucunement hostile, j’ai avec cette évolution quelques difficultés, tant ces thèmes ne me viennent pas… naturellement.

Les fleurs, les arbres et les oiseaux

Les jeux dans lesquels on plante des arbres, on cultive un modeste jardin, on protège les rongeurs ou les oiseaux, on gère une horde de loups ou un troupeau de bisons, sont à la mode. Il y a une trentaine d’années, de tels thèmes n’étaient guère abordés que dans des jeux très simples, destinés aux enfants. Ils sont aujourd’hui fréquents et appréciés dans des jeux pour adultes relativement complexes, comme les créations d’Elizabeth Hargrave, surtout connue comme l’auteur de Wingspan, qui s’en est fait une spécialité. De jeunes éditeurs, comme le français Palladis, semblent aussi vouloir se spécialiser sur ce « créneau porteur »

Si l’on peut encore considérer Wingspan comme un jeu familial, poids moyen, Woodcraft, de Ross Arnold et Vladimir Suchy, est d’un niveau de complexité qui le destine clairement à des joueurs expérimentés, les mêmes qui passent des heures sur de grands jeux de conquête ou de gestion.
Il ya bien eu quelques précureurs, et je pense par exemple à Agricola, de Uwe Rosenberg, paru en 2007 et devenu depuis un classique, mais ils étaient des exceptions. D’ailleurs, lorsqu’est paru Agricola, certains d’abord cru, ou fait mine de croire, à un jeu de stratégie sur la conquête romaine de la Bretagne. Si Uwe Rosenberg a continué à faire des jeux sur le thème de l’agriculture, qui semble particulièrement l’intéresser, il a fallu du temps avant que d’autres auteurs ne suivent son exemple.

La couleur verte, dont on disait dans les années quatre-vingt qu’elle ne faisait jamais vendre, est aujourd’hui omniprésente sur les boites de jeu.
J’ai cherché un peu sur le web francophone et anglophone des analyses un peu critiques sur cette tendance au “naturalisme ludique”, et n’ai pas trouvé grand-chose.

L’explication la plus souvent avancée, qui ne me semble pas suffisante, est que cette mode serait à l’initiative d’éditeurs recherchant des thèmes originaux, moins controversés, plus consensuels et plus intergénérationnels. Si les arbres et les animaux étaient en effet originaux, du moins pour des jeux qui ne sont pas destinés exclusivement aux enfants, il y a une dizaine d’années, ils ne le sont plus du tout aujourd’hui. Si la guerre, la conquête coloniale ou les enquêtes policières ne sont effectivement pas des thèmes très consensuels, l’argument ne vaut pas nécessairement pour le fantastique et la science-fiction. Ces derniers n’étaient peut-être pas intergénérationnels il y a quarante ans,  mais ils le sont sans aucun doute aujourd’hui.

Les joueurs passionnés sont statistiquement plutôt des hommes, et certains éditeurs pensent peut-être que des univers naturels attireront un public féminin. Je suis personnellement assez dubitatif sur l’idée que les femmes seraient, plus que les hommes, intéressées par les plantes et les animaux – par les chats, les fleurs et les petits oiseaux peut-être, et encore, même de cela je ne suis pas certain.

Plus qu’une recherche de consensus, c’est sans doute le besoin de réconfort face à l’angoisse contemporaine qui explique ce repli de l’imaginaire ludique sur une nature plus ou moins fantasmée. Entre la pandémie de Covid, le grand retour de la guerre en Europe, les dérives irrationnelles de la politique américaine, la misère et la pollution dans les rues, le réchauffement climatique auquel on ne peut plus faire semblant de ne pas croire, les principaux marchés du jeu de société sont, comme d’autres, touchés par une anxiété devant un avenir devenu plus inquiétant qu’excitant. En littérature, en musique, dans le monde du jeu aussi, les produits qui continuent à se vendre correctement sont les classiques, ceux que l’on a connu dans notre jeunesse, ceux qui nous donnent l’illusion que le monde ne change pas tant que cela. Mes jeux les plus anciens, Citadelles ou Diamant, se maintiennent mais mes nouvelles créations passent plus ou moins inaperçues, et il en va de même pour presque tous les auteurs. La nature, un thème éminemment rassurant, universel et intemporel, est alors pour les joueurs une autre manière de tenter de se rassurer, et les éditeurs ne font que répondre à la demande. Pour les auteurs, il y a sans doute un peu des deux.

On peut voir cela de façon plus positive et politique, se réjouir comme si jouer à planter des arbres, c’était déjà planter des arbres, voire sauver la planète. On peut sourire de la naïveté de cette confusion entre le jeu et le réel, on peut aussi s’en inquiéter. D’une part parce que, en prenant le jeu trop au sérieux, on lui ôte sa vanité, son inutilité, c’est à dire l’essence même du jeu, d’autre part parce qu’il est toujours dangereux de se bercer d’illusions. Jouer à des jeux gentils, généreux et écolos ne nous rendra pas plus gentils, généreux et écolos que jouer à des jeux méchants, généralement ceux que je préfère, ne nous a rendu méchants ou que jouer à des jeux idiots, ce qui détend quand même pas mal, ne nous a rendu idiots. On ne sauve pas plus la planète en jouant à sauver la planète que l’on ne fait la guerre en jouant à faire la guerre.

Il y a une dizaine d’années, je me moquais dans l’article qui reste le plus lu sur ce blog, Postcolonial Catan, de l’imagerie coloniale qui sous-tend les Colons de Catane et d’autres jeux de développement. Les jeux où l’on accumule des ressources pour construire des trucs qui produiront des ressources permettant de fabriquer des machins sont toujours là, mais ils prennent un tour écolo, un peu volontariste. On n’y cherche de moins en moins à bâtir des abbayes ou exploiter un continent vierge, et de plus en plus à cultiver son jardin, même si ce jardin peut rester assez exotique, comme le montrent les images ci-dessus.

L’ambition, ou la prétention, peut même aller jusqu’à reconstruire, à réparer une planète abimée. Je viens de lire les règles des Tribus du vent de Joachim Thôme, et je suis à peu près certain que le thème original du jeu était bien différent, que l’on y bâtissait des villages d’elfes ou de nains ou des châteaux médiévaux, et que c’est l’éditeur qui, pour être au goût du jour, a déplacé l’action dans un monde post-apocalyptique ou l’on construit des villages écolos.

Les esprits de la forêt

Le médiéval fantastique et la science-fiction avaient quand même un grand avantage pour les auteurs, celui de permettre à peu près n’importe quoi en termes de mécanismes. Tout effet bizarre pouvant se justifier par la magie ou la technologie du futur, le concepteur du jeu peut librement se concentrer sur l’intérêt tactique, sur les interactions entre joueurs, sans se soucier du réalisme. Avec les arbres, qui ont plus de racines que nous, et les animaux, dont les prouesses technologiques sont moindres que les nôtres, rien de tel n’est possible…. sauf à introduire là aussi une bonne dose de magie.

Du coup, on a vu fleurir dans les boites de jeu les esprits des animaux, des arbres et des sources, dotés de pouvoirs magiques. Parfois, ce sont les elfes de l’heroic fantasy, amis des arbres, qui deviennent les agents de la nature, ou les nains et gnomes qui sortent de leurs cavernes et se découvrent la main verte. Parfois ces esprits sont plus exotiques, souvent japonisants – le discours naturaliste est parfaitement compatible avec l’orientalisme.
On reste dans le fantastique, mais un fantastique à la sauce verte qui permet d’avoir un thème écolo tout en évitant les risques de confusion entre le jeu et le réel – sauf à croire vraiment aux esprits de la forêt. L’un de mes jeux préférés en ce moment, Parade of a Hundred Yokais, appartient à cette catégorie – même si l’on s’y tape un peu dessus quand même pour être le premier à bâtir un joli tori.

Histoire et nature

On peut mettre en scène la nature, les arbres et les animaux, sans nécessairement renoncer à l’histoire. Si les pandas sont sans doute les animaux sauvages les plus représentés sur les boites de jeux, les dinosaures et les mammouths suivent d’assez près. Dans des jeux récents comme Paleo de Peter Rustemeyer, ou Endless Winter de Stan Kordonskiy, les joueurs contrôlent des tribus préhistoriques face à une nature sauvage certes hostile, mais qui n’a pas perdu d’avance et dont elles font encore un peu partie. Les illustrateurs ne s’y trompent pas, qui dessinent volontiers sur les boites et les cartes des hommes coiffés de cornes ou de bois, sortes de druides ou de shamans prêts à invoquer les esprits des forêts et des montagnes.

La nature végétale et surtout animale est aussi de plus en plus présente, en arrière plan, dans les jeux mettent en scène découverte et exploration. Les explorateurs portent toujours leur casque colonial, mais ils font de moins en moins face à des indigènes armés de sarbacanes, et de plus en plus aux bêtes sauvages armées de crocs et de griffes, quand ce n’est pas aux esprits sylvestres locaux armés de leurs pouvoirs magiques. Dans une réalité où la nature semble une chose du passé, il peut être paradoxalement rassurant de jouer à des jeux où elle semble encore plus forte que nous.

Le zoo de Noé

Les jeux sur les animaux ne sont pas nouveaux. Quand on veut mettre le plus grand nombre possible d’animaux dans le même jeu, on se retrouve inévitablement soit à gérer un zoo, soit à bâtir l’arche de Noé.

L’Arche de Noé est le récit biblique qui a servi de prétexte au plus grand nombre de jeux de société. C’est sans doute un peu parce que l’épisode est perçu au moins autant comme un conte pour enfants que comme un dogme religieux, un peu aussi parce que l’idée de constituer des couples, puis de ranger des figurines d’animaux ou des cartes dans un espace limité, se prête assez bien à la création ludique. Beaucoup de ces jeux, mais pas tous, sont destinés aux plus jeunes. Mécaniquement, rassembler des animaux pour les enfermer dans un zoo n’est pas bien différent, et les jeux sur ce thème sont aussi depuis longtemps assez nombreux. Zooloretto, de Michael Schacht, a bien mérité son Spiel des Jahres.

Le problème bien sûr est qu’enfermer des animaux, c’est mal, tandis que les sauver de la noyade, c’est bien. Du coup, il est assez amusant de voir aujourd’hui un jeu de gestion de zoo, clairement destiné à un public de passionnés adultes, se cacher discrètement sous le titre Ark Nova, sans doute le résultat d’un intense brainstorming chez l’éditeur. Cela suggère une sorte de nouvelle arche permettant, peut-être, de sauver tout ce beau monde du réchauffement climatique, quand il ne s’agit, comme d’habitude, que de gérer un zoo, activité dans laquelle l’argent reste le nerf de la guerre. De même, il y a toujours des jeux dans lesquels on se déplace sur une carte d’Afrique pour trouver des animaux, mais cela fait déjà une vingtaine d’années qu’on ne les y chasse plus. Aujourd’hui, on ne les capture même pas, on se contente de les observer, osant à peine les prendre en photo.

Tant que nous parlons d’Arche de Noé, je viens de voir passer l’annonce d’un nouveau jeu, The Flood, dans lequel…. chacun bâtit son arche ! L’éditeur très chrétien semble ne pas vouloir trop insister sur ce qu’il pense être un bug vaguement hérétique ; il aurait à l’inverse dû construire toute la promotion du jeu sur ce point plutôt amusant. Je regrette de ne pas y avoir pensé plus tôt, mais je peux encore faire un jeu où chaque joueur contrôle un groupe de hobbits et cherche à être le premier à plonger son anneau unique dans le gouffre de la montage du destin.

Végétarianisme et mignonnitude

Mes compétences en botanique étant assez limitées, je suis bien incapable de vous dire quelles espèces d’arbre apparaissent le plus souvent sur les boites de jeu, et je doute que l’exercice soit très révélateur. Pour les animaux sauvages, en revanche, je me débrouille à peu près, et le résultat est plus intéressant. Le lion, le roi des animaux, est bien sûr fortement représenté, mais le cerf, tout ausi noble et fier mais herbivore – j’ai failli écrire végétarien – est sans doute plus fréquent, illustrant la volonté de montrer une nature pacifique, voire aseptisée. La grande vedette des boites de jeu est d’ailleurs le panda, véritable animal bobo, mignon comme tout et mangeant du bambou.

Anthropomorphisme

Le panda est aussi assez présent dans une toute autre famille de jeux, ceux mettant en scène des animaux anthropomorphes. Les vraies vedettes sont cependant là plutôt les chats et les renards, réputés malins et individualistes, ou à l’inverse les rongeurs, plus grégaires.

Les animaux anthropomorphes, auxquels sont attribuées des caractéristiques sociales, psychologiques et même parfois physiques de l’homme sont présents depuis bien longtemps dans les contes et donc dans les jeux pour enfants. On les rencontre aussi dans des textes qui ne sont pas exclusivement destinés aux plus jeunes, comme les fables, et dans les récits mythologiques. La littérature sur ce sujet est abondante, ce n’est pas le cœur de ma réflexion ici, je n’entrerai donc pas dans les détails. Leur présence insistante dans des jeux destinés aux adultes est plus récente, et peut être analysée un peu différemment.

Lorsqu’ils sont seuls de leur espèce, avec souvent une bonne bouille de peluche, ces animaux sont là pour transporter les joueurs dans l’univers des fables et des contes, ou simplement les ramener à leur enfance, deux moyens encore de se rassurer dans un monde un peu angoissant – même s’il faut se méfier des discours selon lesquels les joueurs seraient de « grands enfants ».

Lorsque le jeu met en scène des espèces animales entières, souvent en guerre, les choses deviennent plus complexes et parfois – pas toujours – ambiguës. Les peuples de la fantasy médiévalisante, nains, elfes, orques et autres gobelins, tout comme les étranges races extra-terrestres, ont souvent été utilisés comme un moyen de neutraliser, dans des jeux de combat ou de conquête, ce que pouvait avoir de problématique la mise en scène de conflits entre peuples, ethnies ou nations, dans une démarche qui relève paradoxalement à la fois de l’essentialisation et de l’euphémisation. Une prise de conscience très partielle de cela nous vaut aujourd’hui des débats un peu ridicules sur les clichés dans Donjons et Dragons. Le racisme envers les orques et les elfes noirs n’est pas un problème sérieux ; le fait que, dans nos univers imaginaires, les groupes sociaux, nationaux ou ethniques soient systématiquement essentialisés est en revanche sinon un problème, du moins un sujet qui mériterait une étude historique un peu fouillée.

L’essentialisme est plus net encore lorsque l’on remplace les peuples par des espèces animales. Des personnages à tête de lion, d’aigle, de castor ou de chat sont en effet aussi un moyen, en apparence plus léger, d’éviter de représenter tantôt des européens, des asiatiques et des africains, tantôt des russes, des américains et des chinois. Mon Chawaii, très joliment illustré par Paul Mafayon, en est un bon exemple, même si un seul groupe est représenté et si les chats mangent vraiment du poisson.

Bruno Cathala et moi réfléchissions il y a quelques jours à une nouvelle version de Mission Planète Rouge. Nous étions d’accord pour abandonner l’univers Steampunk des deux premières éditions, qui n’était d’ailleurs pas celui de notre prototype initial. Nous avons d’abord pensé à un univers de type Guerre Froide contemporaine, mettant en scène une rivalité entre les grandes puissances d’aujourd’hui, Russie, USA, Europe, Chine. Nous n’avions cependant pas envie de traiter ce thème sérieusement, et il semblait difficile de le faire avec humour. On va sans doute plutôt s’orienter vers Jeff Bezos contre Elon Musk, mais chats et chiens auraient aussi pu faire l’affaire en apportant un peu plus de légèreté.

Les animaux anthropomorphes ne sont pas toujours un succédané mignon ou paresseux d’humains. Ils peuvent être introduits de manière positive, avec humour, intelligence et recul critique, comme dans Root, de Cole Wehrle, un jeu complexe et ambitieux dont le contexte s’inspire des réalités géopolitiques actuelles. L’usage des animaux permet là un discours politique discret, qui aurait sans doute eu plus de mal à passer dans un contexte géopolitique et réaliste. Chacun aurait eu, selon ses allégeances, tel ou tel détail à reprocher aux auteurs. Et puis, et c’est sans doute l’essentiel, c’est quand même plus amusant.

Bien sûr, on peut aussi tout avoir, la science-fiction ou la fantasy et l’anthropomorphisme, pour mettre deux couches d’objectivation, ou juste pour s’amuser, ou juste parce que l’illustrateur avait envie de dessiner un chat ou un lion. Je viens même de recevoir un jeu avec des dragons anthropomorphes et très mignons, Flamecraft, de Manny Vega.

Remakes

Pour m’amuser, j’ai cherché des jeux dont, à l’occasion d’une réédition, les personnages ou groupes humains sont devenus des animaux. J’en ai trouvé quelques-uns, assez intéressants – dont un à moi, je l’avais presque oublié, Democrazy devenu Animocrazy. Si vous en connaissez d’autres, signalez-le moi, cela m’amuse. Air, Land and Sea, un jeu de cartes aux illustrations très réalistes dans l’univers de la seconde guerre mondiale, est ainsi devenu, sans aucun changement de règles, Critters at War, un jeu tout aussi martial mais auquel couleurs et bestioles apportent une certaine légèreté. Dans Hibachi, remake de Safranito, les cuisiniers japonais sont des chats, des renards et des singes. Dans le nouveau Libertalia, les pirates sont devenus des signes, des lions, des renards, des chevaux, sans que l’on sache trop pourquoi. Plus subtilement, My Little Scythe est une version légèrement simplifiée de Scythe, où l’univers du cartoon se substitue au monde post-apocalyptique de ce gros jeu de stratégie, Des pommes remplacent les habituelles étoiles comme symbole de points de victoire. Le jeu est cependant à peine plus simple que l’original, et son look enfantin doit être pris au second degré. La transformation de Quo Vadis en Zoo Vadis, sans que la référence à la Rome antique ne soit complètement expurgée, est expliquée et justifiée par l’éditeur dans un très intéressant article sur le Boardgamegeek.

Cela arrive même à des jeux abstraits, comme Splits devenu Battle Sheep, mais il est vrai que les jeux abstraits au thème animalier ne sont pas une nouveauté. Hive a une vingtaine d’années, le jeu de la jungle quelques centaines, le Bagh Chal et le jeu du Renard et des Poules quelques milliers.

L’inverse est beaucoup plus rare, puisque je n’en ai trouvé qu’un seul exemple, le mignon petit jeu de cartes japonais Kittys, que j’apprécie beaucoup. Dans l’édition française, les chats deviennent des gangsters, et le jeu perd soudain tout son charme.

Les représentations des fables sont intéressantes. Dans les premières éditions du classique de David Parlett, Le Lièvre et la Tortue, les deux protagonistes étaient représentés de manière réaliste. dans les versions plus récentes, tout comme dans un autre jeu inspiré de la même fable, ils deviennent anthropomorphes.

Alors, que penser de tous ces jeux verts, spirituels et animaux ? Même si, personnellement, je fais encore très bien avec, sans doute un effet de génération, je comprends que nombre d’auteurs, de joueurs et d’éditeurs plus jeunes en aient assez de la fantasy, de l’histoire et de la science-fiction et cherchent autre chose, plus au goût du jour. J’aime bien les chiens et les chats, je n’ai rien contre les esprits de la forêt, mais je regrette un peu qu’ils aient plutôt moins d’humour que les nains et les dragons, et fassent bien plus rarement preuve d’autodérision.

J’ai quand même trouvé un jeu où on tuait des arbres, et c’est un très bon jeu.

Twenty years ago, the most popular settings for boardgames, the default theme of most designers, myself included, and of most publishers, were borrowed from literature and history. From the former, we were using medieval fantasy, science-fiction and whodunit, from the latter wars, economic development and colonization. These settings didn’t disappear but, on the square game boxes recently published in Europe and in the USA, they are more and more often replaced by themes inspired not by men but by nature – flowers, trees, animals and all that stuff. The trend is at least ten years old, but it has grown stronger lastly, may be due to the end of the Covid crisis. I’ve nothing against these new settings but, unfortunately, they don’t come to me very… naturally.

Flowers, trees, birds

Games about planting trees, about arranging a small garden, about protecting bears, rodents or birds, about managing a tribe of wolves or a herd of bisons, are more and more frequent. Thirty years ago, such settings were almost only used for simple games aimed at young children and families. They are now common in relatively complex adult games, such as those by Elizabeth Hargrave, the designer, among others, of the recent hit Wingspan, who specializes in animals settings. New publishers such as the French Palladis are also trying to settle in that promising niche market.

Wingspan can stuill be considered a midweight game, but Ross Arnold and Vladimir Suchy’s Woodcraft, is an extremely complex game targeted at dedicated gamers, the same who play long conquest or management games.

There has been a few precursors, like Uwe Rosenberg’s Agricola, published, in 2007, but they were exceptions. When first hearing about it then, a few gamers even thought it must be a war game about the Roman conquest of Britain. Uwe Rosenberg kept on designing games about ariculture, but he was nearly the only for a some time before it became fashionable.

I remember hearing in the eighties that green covers didn’t sell, they are today everywhere. I browsed the French and English language web looking for analysis of this naturalist trend in boardgames, and was surprised to find very little, as if it were uninteresting or obvious.

The most common explanation is that this green fashion started with publishers looking for original, less controversial, more consensual and more intergenerational settings. I’m not entirely convinced. If trees and animals as an adult game setting were original ten years ago, they are not anymore and the trend still goes on. If war, colonial conquest or whodunits can be controversial themes, it’s not necessarily the case with fantasy or science-fiction. Furthermore, while these two last settings might not have been intergenerational in the nineties, they certainly are today. A majority of boardgameplayers are men, and some publishers might think that nature-themed boardgames will lure more women into the hobby, even I am personally skeptical about the theory that women are more interested in plants and animals than men. By cats, birds and animals, may be, but even of that I am not sure.

More than the search for consensus, this retreat of gaming into a more or less fantasized natural world is probably due to a crave for reassurance in a harrowing modern world. Between the covid pandemic, the comeback of trench warfare in Europe, the irrationality of US politics, the global warming which it is more and more difficult to ignore, people have reasons to worry. The boardgame market is certainly not the only one affected. In literature, in music, in games, good old classics, which give the illusion that the world doesn’t change, keep selling while most novelties flop. My Citadels and Incan Gold also keep selling while most of my recent games went unnoticed. Nature, the most reassuring, universal and timeless setting, or so we hope, is another way to look for reassurance. Gamers feel it, publishers follow, designers do one or the other.  

Of course, there’s a more positive way to see this. One can feel proud and enthusiastic playing at planting trees, as if it were almost planting real trees, and could help saving the planet. This confusion between game and reality can look cute, naïve and harmless, but it is problematic, for two reasons. It is worrying because taking games too seriously deprives them of their vanity, their pointlessness, which is the very essence of gaming. It is also dangerous because the idea that games have effects on reality is a delusion, at a time when real action is needed. Playing cute, generous and green games won’t make us more cute, generous and green, no more than playing mean games, my favorite ones, makes us mean or playing stupid games, which can be fun, makes us stupid. We didn’t wage war when playing war games, we won’t save the earth with playing at saving it.  

Ten years ago, on what is still my most visited blogpost, Postcolonial Catan, I was mocking the colonial imagery underlying Settlers of Catan and other development games. Games in which players gather and accumulate resources to build structures that will produce more resources to build further structures, and so on, are still there but they now have a more green and more voluntarist feel. It’s no more about building churches or settling a new continent, it is about cultivating one’s garden, even when this garden can still be quite exotic as you can see from the box covers above.

It can be much more ambitious, or pretentious, when players engage in replanting and repairing a spoiled planet. I just read the rules of Joachim Thôme’s Tribes of the Wind, and I am quite confident that the original prototype setting was different. It was probably about dwarves or elven villages, or may be medieval castles, before the publisher moved the action onto a post-apocalyptic world where players build strange green settlements.

Forest spirits

Trees have even more roots than we do, animals have even less technology than we do, so nothing like this is possible in nature settings… unless we unleash again the power of magic. That’s why there are so many games with forest, animal or spring spirits. Sometimes the good old fantasy elves become these nature agents, sometimes dwarves and gnomes leave their caverns and find out they have a green thumb, most times it’s just fairies. In other cases, these spirits are more exotic, often Japanese – naturalism is entirely compatible with orientalism. We’re back into fantasy, but it’s now a green nature fantasy, with no risk of confusion between game an reality – unless, of course, you really believe in fairies. One of my favorite recent games, Parade of a Hundred Yokais, belongs to this new genre, even when there is some fighting to be the first spirit to build a nice Tori.

Medieval fantasy and science-fiction have a great advantage for game designers : we can do more or less what we want with game systems and mechanisms. Since any effect can be justified by powerful magic or strange alien technology, the game designer can freely focus on tactics and player interaction, without any care for realism.

History and nature

Of course, a clever designert can fit nature and history together. Pandas are probably the most frequent wild animals on game boxes, but dinosaur and mammoths are not far behind. In recent games like Peter Rustemeyer’s Paleo, or Stan Kordonskiy’s Endless Winter, players control tribes of men facing nature, meaning cold winter and fierce beasts. This nature is wild and hostile, but it has not lost the fight yet, and men are still somewhat part of it. Illustrators got it and often draw tribesmen wearing horns or antlers, making them look like druids or shamans ready to invoke nature spirits.

The same is true, to a lesser extent, of many games about discovery and exploration. Explorators still wear their colonial helmet, but they are less and less facing savages armed with blowpipes and more and more wild animals armed wit claws and fangs, if not forest spirits and their magic. Living in a world where nature feels like a thing of the past, it can feel paradoxically reassuring to play a game where it seems it can still overcome us.

Noah’s zoo

Games with a variety of animals are nothing new. When a designer tries to pack as many and as diverse animals as possible in a single game box, it always ends in managing a zoo or filling an ark.

Noah’s Ark is the one and only biblical episode frequently used as a boardgame setting. It is in part because it has become a children story more than a religious dogma, in part because making pairs of animals already sounds like a card game and cramming them in a limited space already sounds like a boardgame. Not all of these games are aimed at children. Mechanically, gathering animals in a zoo is not very different, and zoo themed games have also been popular for quite long. Michael Schacht’s Zooloretto deserved its Spiel des Jahres.

Of course, there’s a difference. Locking up animals in cages is bad, saving them from drowning is good. This is why a  heavy zoo management game, clearly aimed at adult gamers, has been called Ark Nova and very superficially disguised as a Noah’s Ark game, probably after an intense brainstorming at the publisher. The name suggests something like saving animals from global warming and rising waters when it is just about managing a zoo, and, of course, about money. Similarly, there are still games whose board is a map of Africa, but for about twenty years now, players are no more hunting animals. Now they are not even capturing them anymore, they just want to look at them, not always even daring to take pictures.

While we are at Noah’s Ark, I just saw an announcement for a new big box boardgame, called The Flood, in which… every player builds their own ark ! The very christian publisher tries to downplay what it probably thinks is bordering on heresy, it should have done the opposite and insisted on this funny and almost surrealistic point. I regret I didn’t think of it before – may be I’ll try to do a game in which every player controls a company of hobbits and tries to be the first one to throw their one ring into the cracks of Doom.

Vegetarianism and cuteness

My knowledge of botanics being extremely limited, I am unable to tell what varities of trees are the most often represented on game boxes, but I doubt it would reveal anything worth commenting. I’m a little better with wild animals, and the result is interesting. The lion, king of animals, is often there, but there seem to be even more stags and deers – an animal as proud as the lion but herbivorous – I nearly wrote vegetarian. The nature represented is indeed usually peaceful, almost bowdlerized. The true star of boardgame cover art is, unsurprisingly, the panda, the ultimate hipster animal, cute and eating bamboo.

Anthropomorphism

There are also a few pandas in games featuring anthropomorphic animals, but the real stars here are rather cats and foxes, the archetypal individualistic and competitive animals, or conversely gregarious rodents.

Anthropomorphic animals have social, psychological and sometimes even physical human characteristics. For centuries, they appear in bedtime stories and therefore in children games. They have also long been a staple of fables, which don’t target only kids, and star in numerous myths. The literature on this topic, which is not the core of my subject here, is abundant. The fact that these humanised animals are more and more present in adult hobby games nevertheless deserves some analysis.

When there’s only one animal of every specie, usually with a cute plushy face, these animals are here to lure the players into the world of fable and stories, or even to remind them of their childhood – even though there’s much to say against the naïve idea that gamers are just grown-up kids.

Things can get more complex, and sometimes ambiguous, when the game features whole species, often at war with each other. Fantasy races such as dwarves, elves, orcs and goblins, as well as strange aliens from outer-space, have often been used to bowdlerize, in war or conquest games, the staging of competition between nations, countries or races, leading paradoxically both to an euphemization and an essentialization of these conflicts. There has been recently some understanding of this, but it has so far led mostly to vain and surrealistic debates about racial prejudices in AD&D. The real and serious issue is not racism against orcs and dark elves, it is that, in our fantasy worlds, social, national or ethnic groups are systematically essentialized. We’re still waiting for some serious historical analysis of this bizarre trend.

Of course, the essentialization is even clearer when these groups become animal species. Humanoid characters with lion, eagle, beaver or cat features are often just a lighter way to represent Europeans, Asians and Africans (in ancient settings), or Americans, Russians and Chinese (in modern settings). Even when there’s only one ethnic group represented, and when cats really enjoy eating fish, my Miaui, gorgeously illustrated by Paul Mafayon, is a good example of this.

A few days ago, Bruno Cathala and I were discussing a possible new edition Mission Red Planet. We agree on getting rid of the Steampunk setting, which was absent from our prototype. We first thought of cold war style universe, a rivalry between world powers, Russia, USA? Europe, China, but we didn’t want to deal with this seriously, and it was difficult to make it really lightly. We’re now thinking of a big corporation setting, Jeff Bezos vs Elon Musk. Cats and dogs could also do the trick, in a much lighter way.

Anthropomorphic animals are not always a cute or lazy substitute for individual humans or for social groups. They can be used in a positive, conscious, humorous and self-distant context. The best example is Cole Wehrle’s Root, a complex and ambitious game inspired by contemporary geopolitical issues. The use of animal species allows for a lighter, even discreet, political discourse, which would have been harder to sustain in a realistic geopolitical setting. It also makes more difficult to criticize this or that point, depending on one’s political allegiances. And, most of all, it’s cute and fun.

Of course, it’s possible to get the best of both worlds, science-fiction or fantasy and anthropomorphism, to superpose two layers of objectivation, or just because it’s even more fun, or just because the artist wants to draw a big cat. I even recently bought a game with anthropomorphic dragons, Manny Vega’s Flamecraft.

Remakes

I fooled around on the Boardgamegeek looking for games in which, for a new edition, humans were replaced by anthropomorphic animals. I found a few interesting ones, including one of mine, Democrazy, changed in Animocrazy in the new Chinese version. I’m curious of others, so please email me if you know more. Air, Land and Sea, a card game with very realistic art about the 2nd world war, has become the much lighter looking Critters at War, without a single change in the rules. Hibachi is a remake of Safranito;  the cooks moved from India to Japan and have become cats, foxes and monkeys. In the new Libertalia, pirates are lions, horses, foxes, monkeys, but no one really knows why. Things are more subtle and conscious in My Little Scythe, a new version of Scythe, in a which the action moves from a post-apocalyptic Europe to a cartoony world. Apples replace starts as victory points, but the game is only slightly simpler than the original one, and it’s childish look must not be taken at face value. How Quo Vadis became Zoo Vadis, without completely removing the Roman Senate reference is explained and justified by the publisher in a very interesting diary on the boardgamegeek.

This even happens to abstract games, like Splits which became Battle Sheep, but to be fair, abstract hames with an animal setting are nothing new. Hive is more than twenty years old, The Jungle game is more than a hundred years old, Bagh Chal and Fox and Geese more than a thousand.

The opposite is exceptional, and I’ve found only one occurence. The cute cats from Kittys, a clever japanese card game, have become standard gangsters in the French, and probably in the US edition. It’s a shame since it deprives the game of most of its charm.

Games inpired by fables are also interesting. In the first editions of David Parlett’s Hare and Tortoise, the two protagonists were drawn realistically. In the most recent versions of the game, as well as in Gary Kim’s game based on the same story, they are anthopomorphised and the race looks like human sport..

So, what should we think about all these green, spiritual, natural and animal games. I’m not yet bored of the good old fantasy, history or science-fiction settings, but I understand publishers and designers looking for something more actual. I personally like both cats and dogs, I’ve nothing against forest spirits, but I regret that they tend to have less humor than dwarves and dragons, and to be largely immune from self-mockery.

It was hard to find a game about killing trees, but it’s a good one.

IAs, illustration et création de jeux de société
AIs, boardgame illustration and boardgame design

Ces dernières semaines, l’un des sujets les plus discutés dans le cadre de mes deux métiers, l’enseignement et le jeu, a été l’émergence, certes attendue mais plus précoce et plus rapide que prévue, des intelligences artificielles. S’ils peuvent encore plus ou moins repérer les devoirs rédigés par ChatGPT, les profs devinent que cela ne va pas durer et qu’il va falloir adapter d’abord nos procédés d’évaluation pour contrer les tricheurs, et assez rapidement le contenu des enseignements pour le rendre plus utile dans un monde ou les capacités de synthèse et de réflexion des machines sont en passe de dépasser les nôtres – en gros, moins de maths, de langues, de littérature et d’économie, et plus de bricolage, de mécanique, de cuisine et de couture. Côté jeu, ce sont surtout les illustrateurs qui s’inquiètent de perdre leur boulot, remplacés par Midjourney et ses potes, mais je pense que les auteurs de jeux comme moi devraient aussi commencer à se poser des questions. Ce blog étant plus destiné aux joueurs qu’à mes élèves et collègues enseignants, c’est de l’impact des IAs sur le monde du jeu, et des réactions possibles, que je vais surtout discuter ici.

L’arrivée brutale sur le web – enfin, sur Discord – de Midjourney, il y a un peu plus d’un mois, a suscité, dans l’ordre, la curiosité, la surprise, l’émerveillement puis l’inquiétude et, parfois, la révolte. Pour analyser correctement les impacts possibles d’une telle technologie, il faut certes certes être un peu sociologue et historien, ce que je suis, mais surtout spécialiste du cerveau de l’homme et de celui des ordinateurs, domaines où je suis totalement incompétent. Malgré ou à cause de cette double incompétence, il me semble pourtant que les commentaires lus ici et là proviennent soit d’artistes qui ne réalisent pas vraiment ce que font les ordinateurs, voire le disqualifient par principe, soit de geeks qui ne voient que la performance technique de ces logiciels, effectivement impressionante, en ignorant plus ou moins délibérément les dimensions sociales et humaines.

Sci Fi boardgame cover, by Midjourney

Tout le monde, donc tous les auteurs de jeu, tous les illustrateurs, tous les éditeurs, a fait joujou avec Midjourney, parfois aussi avec Stable Diffusion. Ces outils sont d’une puissance effrayante, du moins pour qui parvient à les apprivoiser car je semble être assez mauvais à ce petit jeu, qui demande peut-être un apprentissage pour lequel je ne suis guère motivé. Les éditeurs se sont pris à rêver de jeux aux illustrations vite faites et quasi-gratuites, les auteurs à de jolis prototypes et les dessinateurs ont commencé à cauchemarder. L’inquiétude est particulièrement forte chez les illustrateurs de jeux car l’un des principaux arguments imaginés par les artistes qui veulent se rassurer est que les images artificielles seraient destinées à rester sans âme, sans émotion, sans intention. Ces caractéristiques essentielles dans bien des domaines n’ont en effet jamais été exigées dans le jeu de société, où l’art ne cherche qu’à être illustratif.

Je crains malheureusement que même cet argument soit un peu vain, et que tous les artistes graphiques soient à relativement court terme menacés, pour beaucoup dans leur métier, pour tous dans la manière dont ils l’exercent. La question est en effet moins de savoir jusqu’où l’ordinateur peut imiter l’humain, que de savoir dans quelle mesure nous fonctionnons différemment des intelligences artificielles, nous sommes capables de faire des choses qui leur resteront étrangères. Comme je l’ai dit, je ne suis spécialiste ni du cerveau humain, ni du raisonnement des machines, mais je ne suis pas sûr que la différence soit si grande et que les émotions les plus subtiles restent longtemps hors de portée des logiciels de dessin – quiconque a regardé un coucher de soleil sur une plage sait qu’il n’est nul besoin de ressentir une émotion pour la transmettre. Côté texte, ChatGTP commence à faire de l’humour, même s’il manque encore de subtilité dans ce domaine.

Quoi qu’il en soit, même si les illustrateurs de jeux ne sont sans doute pas les seuls menacés, ils sont parmi les premiers sur la liste. La réaction néo-luddiste à laquelle on assiste sur les réseaux sociaux, les artistes demandant aux éditeurs de les rejoindre dans un refus d’avoir recours à des IAs « malhonnêtes » parce qu’elles travailleraient à partir d’une base de données d’œuvres existantes et pour beaucoup juridiquement protégées, me semble mal fondée, vaine, et sans doute contreproductive. Mal fondée parce que, du moins pour la plupart d’entre eux, les artistes humains ne fonctionnent pas différemment, s’inspirant de tout ce qu’ils ont vu, voire étudié, et ne font pas toujours plus original que les IAs. Vaine parce que si, à qualité équivalente, l’art artificiel est moins cher que l’art humain, il finira nécessairement par emporter la plus grande part du marché, les créateurs humains ne jouant plus qu’un rôle marginal, comme cela a été le cas dans le textile. Les artistes, j’en connais aussi, qui s’interrogent sur leur future complémentarité avec l’ordinateur, ou sur les marchés de niche qui resteront protégés, auront plus de chances de s’en sortir. Si les tisserands ont quasiment disparu, les traducteurs sont toujours là, certes moins nombreux qu’il y a quinze ans, et travaillent avec les machines car personne ne paie plus cher pour avoir une traduction authentique intégralement faite à la main. Et ne me dites pas que la traduction est une tâche purement technique, elle est bien souvent aussi littéraire que la simple écriture.

L’arrivée de Midjourney et ChatGPT m’a pris, comme tout le monde ou presque, par surprise. Bien peu semblent avoir anticipé le pourtant inévitable progrès des IA, et leur capacité à faire des tâches créatives de plus en plus complexes. À ce rythme, je ne serais pas étonné que, d’ici quelques années, voire seulement quelques mois, Midjourney nous peigne des Picasso et des Rembrandt de bonne tenue, et ChatGPT écrive des inédits de Shakespeare et de Dostoievski parfaitement crédibles. Ces IA sont pour l’instant spécialisées, mais les prochaines générations seront polyvalentes, et donc capables de s’attaquer aux domaines des touche-à-tout créatifs que sont, par exemple, les auteurs de jeu. J’espère avoir tort, mais si je devais parier sur quand les IAs seront capables de concevoir entièrement un jeu de société qui soutienne la comparaison avec ceux des auteurs professionnels comme moi, je dirais, au doigt mouillé, d’ici 1 ou 2 ans. Les machines seront aussi bientôt capables d’écrire un article comme celui-ci, plus fouillé, avec plus de références et moins de fautes de frappe.

Nous avons longtemps cru le travail artistique et intellectuel protégé d’un progrès technique qui n’aurait affecté que les tâches manuelles et répétitives. Dans le futur rêvé de mon enfance, celui des trente glorieuses, les robots construisaient les bâtiments, travaillaient en usine à la chaîne, s’occupaient parfois du nettoyage, mais il ne serait venu à l’idée de personne qu’ils peindraient bientôt des tableaux et écriraient des poèmes. C’est  l’inverse qui se produit, et comme ce que l’on ne sait pas ou mal automatiser est aussi ce qui reste le plus cher, nous pourrions aller vers un monde où les plombiers, les livreurs et les femmes de ménage seront mieux payés que les artistes et les ingénieurs – ou à tout le moins aussi bien, ce qui ne serait pas nécessairement un mal. Malheureusement, la logique du capitalisme fait que l’alignement a plus de chances de se faire vers le bas. Il va falloir s’adapter – avec mes deux mains gauches, je suis mal barré.

En contrepoint à ces inquiétudes, on croise parfois aussi sur les réseaux sociaux, en particulier dans les milieux geeks, une vision plus optimiste de l’avenir que nous préparent les machines. Les intelligences artificielles seront peut-être capables de résoudre les problèmes écologiques et sociaux générés par l’intelligence, et surtout la connerie, humaine, mais ces problèmes ont peu à voir avec l’art. Si les robots s’occupent du travail manuel, et les ordinateurs du travail intellectuel, cela nous laisserait aussi plus de temps pour le sexe, la drogue, le rock’n roll et les jeux de société. Depuis Aristote impressionné par les progrès de l’agriculture antique, cette prédiction a déjà été faite quelques dizaines de fois, ce qui la rend peu crédible. Surtout, c’est négliger que les activités intellectuelles créatives, qu’il s’agisse de musique, de peinture, d’écriture ou de création de jeux, sont rarement vécues comme des travaux pénibles. La véritable peur des artistes n’est pas de perdre leurs droits d’auteur, c’est de perdre leur plaisir d’auteur. Si recourir aux machines pour échapper à des tâches pénibles est une bonne chose que nous semblons avoir plus de mal que prévu à faire, les voir prendre en charge les activités créatives en est une autre, plus problématique. Je n’irai pas plus loin ici sur les conséquences sociales de ces évolutions, qui dépendront grandement du contexte politique, lequel ne me semble pas nécessairement des plus favorables aux travailleurs.

J’espère un peu me tromper en estimant que les intelligences artificielles vont bientôt, au moins dans les domaines artistiques, produire des résultats aussi créatifs que ceux des artistes de chair et d’os, et indifférenciables de ces derniers. Quand bien même je me tromperais, je suis néanmoins convaincu que vouloir arrêter les IAs, ou se réfugier dans un petit monde où l’on ferait comme si elles n’existaient pas, est totalement vain – sans doute l’adjectif que j’ai le plus utilisé dans cet article – et ne bénéficiera donc à personne.

Comme tous les journalistes ayant récemment écrit sur les IAs, j’ai demandé son opinion à ChatGPT, mais contrairement à la plupart, j’ai choisi d’attendre d’avoir terminé de rédiger la mienne. Sa première réponse lorsque je lui demandé « quels seront les effets des IAs sur la création et l’illustration de jeux de société? » était centrée sur le contenu des jeux, point intéressant mais que je n’ai pas vraiment abordé dans mon article. Je je lui ai donc ensuite demandé « quels seront les effets des IAs sur le travail et l’emploi des auteurs et des illustrateurs de jeux de société ? ».  Ses prévisions, que voici, sont plus mesurées que les miennes, ce qui est logique puisqu’elles sont fondées sur une sorte de moyenne des opinions exprimées jusqu’à la fin 2021 sur le sujet – mais l’ordinateur nous conseille quand même d’être formés et préparés !

Il est difficile de prédire exactement comment l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pourrait affecter le travail et l’emploi des auteurs et illustrateurs de jeux de société. Cependant, il est possible que l’IA puisse être utilisée pour automatiser certaines tâches de création de jeux de société, comme la génération de concepts de jeu ou la création d’illustrations de base. Cela pourrait entraîner une réduction de la demande de travailleurs humains pour ces tâches précises, mais il est important de noter que l’IA ne peut pas remplacer complètement l’ingéniosité et la créativité humaines.
Il est possible que l’IA puisse également être utilisée pour améliorer le travail des auteurs et illustrateurs en leur fournissant des outils et des ressources pour faciliter leur travail. Par exemple, l’IA pourrait être utilisée pour générer des idées de jeux ou pour aider à la création de illustrations de haute qualité.
Il est important de noter que, comme pour tous les domaines professionnels, l’utilisation de l’IA dans la création de jeux de société pourrait entraîner des changements dans les emplois et les carrières des auteurs et illustrateurs. Il est important de continuer à surveiller de près l’évolution de l’utilisation de l’IA dans ce domaine et de s’assurer que les travailleurs concernés sont formés et préparés à ces changements potentiels


These last weeks, one of the hottest discussion topics at my two jobs, teaching and game designing, has been the much faster than expected emergence of artificial intelligence. Teachers still can more or less spot the student assignments made with ChatGPT, but we know it won’t last. We will have first, and very fast, to adapt the way we evaluate the students performances to prevent cheating. Then we must think of a new curriculum which will be more useful in a world where machines’ synthesis and reflexion abilities outsmart ours – probably less maths, languages, literature and economics and more handiwork, mechanics, cooking and sewing. In the boardgaming business, illustrators are already afraid of losing their jobs to Midjourney and its pals, but I think boardgame designers like me should also start to consider the future differently. Since this blog is more often read by boardgamers than by my students and fellow teachers, I will mostly discuss below the possible effects of the new AIs on the boardgaming world, and our possible reactions. 

The sudden arrival of Midjourney on the web – well, on Discord – , more or less a month ago, has generated first curiosity, then surprise, wonder, concern and, sometimes, revolt. To correctly analyze the possible effects of such a technology, one should of course be a bit of a historian and sociologist, which I am, but also a specialist in neuroscience and computer science, two domains in which I am largely incompetent.  Despite, or because of, this double ineptitude, it seems to me that most of the comments I’ve read these last weeks  come from artists who don’t really understand what computers are doing, or disqualify it on principle, or from geeks who see only the impressive technical performance and ignore, more or less deliberately, its human and social implications.

Fantasy family boardgame cover, by Midjourney

Everyone, including every boardgame designer, every boardgame illustrator, every boardgame publisher, has started toying with Midjourney, sometimes with Stable Diffusion. These tools are indeed impressively powerful, at least for those who easily learn how to use them, because I seem to be very bad at prompting and didn’t get anything really convincing. Anyway, publishers started to dream of nearly free and always delivered in time illustrations, designers of nice-looking prototypes, and illustrators got nightmares.

Game illustrators are among the most concerned because the main wishful thinking argument imagined by artists trying to reassure themselves is that artificial images are and will stay soulless, unable to convey intention or emotion. All this has never been required in boardgame art, which is usually purely illustrative. 
I’m afraid that even this argument is vain, and most graphic artists are threatened in a relatively short term, if not in their very job, at least in the way they do it. The question is not how far computers can imitate men, it is whether our brains work really differently from theirs, whether we will keep being able to do things that will stay alien to them. As I have said, I’m not a specialist of human or computer brains and reasoning, but I’m not sure differences are that deep, and I’m not sure conveying subtle emotions will long stay out of graphic AI’s range. Anyone who ever looked at a sunset on the beach knows that one doesn’t need to feel an emotion to convey it. ChatGPT, the text generating AI, is starting to show some humor, even if it’s not very subtle yet.  

Anyway, even if boardgame illustrators are not the only one whose jobs are at stake, they are on the frontline. The reaction of most of my artist friends on social networks has been to ask publishers to restrain from using « dishonnest » AIs who use existing and often legally protected works in their database. This neo-luddism is ill-founded, vain and may be even counter-productive. It is ill founded because, for most of them, human artists don’t work very differently; they get their inspiration from existing art that they have seen and even sometimes studied, and never create in a cultural limbo. It is vain because, if artificial art is as good and cheaper than human one, it will inevitably get the biggest market share, as it happened despite Ludd in the textile industry. Other artists who are wondering about their future complementarity with AIs, or trying to find niche markets that will remain protected, have better odds of getting by. Weavers have almost disappeared, translators are still there, though fewer than fifteen years ago, and work with computers because no one is going to pay a higher price for an authentic hand made translation.  

The emergence of Midjourney and ChatGPT took nearly everyone by surprise. We didn’t foresee the inevitable progress of AIs and, most of all, their ability to do ever more complex creative works. At this pace, I won’t be surprise if in a few years, if not a few months, Midjourney paints rather good Picassos and Rembrandts while ChatGPT writes perfectly credible Shakespeare plays and Dostoievsky novels. Online AIs are so far specialized, but the next generation will be more versatile and able to deal with the work of creative dabblers such as, for example, game designers. I hope I’m wrong, but my bet is that in one or two years such AIs will be able to design a complete boardgame as good as those created by a professional designer like me. Soon they will also be able to write an article like this one, with more references and examples, better spelling and better grammar. 

We have long believed that artistic and intellectual jobs would never be threatened by technical progress and automatization, which could only replacing mundane manual tasks. In my youth, in the sixties, we were dreaming of a world in which robots would construct buildings, work at assembly lines, sometimes clean houses, but no one imagined they would someday draw paintings and write poetry. The reverse is happening, and since what we cannot have machines do for you is usually what’s well paid, we might be entering a world in which plumbers, delivery drivers and housemaids will be better paid than artists and engineers – or at least paid the same, not necessarily a bad thing. Unfortunately, due to the capitalist inner logic, downward changes are more likely than upward ones. Intellectuals will have to adapt; with two left hands, I’ve a feeling I’m not gonna make it.

Contrasting with these worries, one can also read here and there on social networks, especially from hardcore geeks, a more optimistic take on our future life with the machines. Artificial intelligences might be able to solve social and ecological problems created by human intelligences, and even more by human stupidity, but these have little to do with art and creation. If robots take care of manual labor and computers of intellectual tasks, this should leave us more time for sex, drugs, rock’n roll and boardgames. Since Aristotle, who was impressed by the technical progress in ancient agriculture, this prediction has been made several dozens of time, and there’s no reason to believe it will be more accurate this time. This also neglects a very important point : unlike most of the physical tasks executed by machines and robots, creative and intellectual activities are mostly pleasurable. The real issue for most artists is not author’s rights, it’s author’s fun. Having machines taking over mundane and painful tasks can be a good thing, but seems to be more difficult than we expected. Having them take over creative activities is another one, more problematic. I won’t go further about the social impact of these changes. It will strongly depend on the political context, which doesn’t seem to be very favorable to workers, even intellectual ones.

As I said above, I don’t know much about neuroscience or computer science. I might be wrong, and I hope I’m wrong, in thinking that artificial intelligence will soon do creative works as good as that of flesh and blood humans, and impossible to differentiate from it. Even if I’m wrong, however, I’m sure that trying to stop AIs, or to take refuge in a small world from which they are banned, won’t profit anyone. « Vain » is probably the adjective I’ve used the most frequently in this blogpost.

Like all the journalists who recently wrote about AIs, I have asked ChatGPT for its opinion. When asked « what will be the effects of AIs on the design and illustration of boardgames », its answer was mostly dealing with the content of games, an interesting point but not the one I have discussed here. I rewrote my question as « what will be the effects of AIs on the work and jobs of boardgame designers and illustrators? ». His predictions are less violent than mine, which didn’t surprise me since they are based on the average opinion on the issue expressed until the end of 2021. It nevertheless advises us to be « trained and prepared ».  

It is difficult to predict exactly how the use of artificial intelligence (AI) will impact the work and jobs of board game designers and illustrators. However, it is possible that AI could be used to automate certain tasks related to board game creation, such as generating game concepts or creating basic illustrations. This could lead to a reduced demand for human workers for these specific tasks, but it is important to note that AI cannot completely replace human ingenuity and creativity.
It is possible that AI could also be used to enhance the work of board game designers and illustrators by providing them with tools and resources to facilitate their work. For example, AI could be used to generate game ideas or help create high-quality illustrations.
It is important to note that, as with all professions, the use of AI in board game creation may lead to changes in the jobs and careers of designers and illustrators. It is important to continue to closely monitor the evolution of AI in this field and ensure that affected workers are trained and prepared for these potential changes.

Tric Trac, c’est fini
Tric Trac, the end

Je suis sans doute l’un des rares « acteurs du monde ludique » encore en activité à avoir connu l’internet ludique d’avant Tric Trac, celui d’Ankou, et d’avant le Boardgamegeek, celui du Gaming Dumpster. Ça nous fait pas jeunes, comme on dit.
Tric Trac est appru il y a une vingtaine d’années. C’est peu dire que je n’appréciais guère le fondateur et webmaster “historique” de Tric Trac, qui me le rendait bien. Du coup, on n’y parlait guère de moi et je n’y mettais pas les pieds, mais ce fut pendant longtemps le centre du petit monde webo-ludique francophone. Disons que le site sur fond vert et son webmaster avaient du caractère. Et puis Tric Trac s’est fait dépasser par d’autres sites, plus jeunes et peut-être aussi plus lisses et consensuels.

Depuis trois ou quatre ans, je ne sais plus bien, Tric Trac avait déménagé d’Orléans à Paris et me semblait pourtant renaître d’une manière très sympathique, moins provocatrice et plus réfléchie. Alors même que je regarde très peu de videos, leur préférant systématiquement les textes, je me reconnaissais assez dans la nouvelle formule du Tric-Trac show, des émissions un peu « magazine », où un sympathique mix de nouvelles têtes et de vieux mandarins discutaient calmement, prenant du recul sur l’actualité ludique, et portant sur le jeu un regard intelligent, voire un peu intello. Ce n’était sans doute pas la tendance, ils ont peut-être pris le monde du jeu pour ce qu’ils voulaient qu’il soit, et que j’aurais aimé qu’il soit.

Et donc, c’est fini. Je devine que l’audience n’était pas au rendez-vous d’un show un peu trop ambitieux, un peu trop réfléchi, et que Tric Trac perdait trop d’argent, ou plus exactement perdait de l’argent depuis trop longtemps, pour qu’Asmodée continue à le soutenir. Je mentirais en disant que je suis vraiment surpris, mais je pensais que cela durerait encore quelques années. J’espère juste que François, Guillaume, Julien, Pénélope, Tarsa, trouveront tous un bon boulot dans un milieu ludique francophone auquel leur culture et leur subtilité risquent de manquer.

L’annonce par l’équipe sur le site de Tric-Trac

Mon dernier passage au Tric Trac Show

I’m one of the few people in the game business who still remembers what the boardgaming internet looked like before Tric-Trac, mostly with Ankou, and before the Boardgamegeek, mostly with the Gaming Dumpster. yes, I’m and old gamer and game designer.

Tric Trac appeared more or less twenty years ago, and my relations with it have long been very tense. The long time webmaster of Tric Trac and I strongly disliked each other, so I was rarely mentionned on a site which I carefully avoided. This green background website was nevertheless, for quite long, the center of the small French gaming world. Well, at least the site and its boss had some personality. And then Tric Trac was overtaken by the competition, by younger, and may be also blander and more consensual websites.

For three or four years now, Tric Trac had moved from Orléans to Paris. I really enjoyed its new formula, less provocative and more thought out. While I rarely watch videos, and prefer written articles, I enjoyed the Tric Trac show, where a nice mix of old gaming pundits and newer figures were discussing calmly, taking a step back from the crazy gaming news, and looking at the galing world in an intelligent, sometimes even a bit intellectual, way. It probably didn’t fit that well with recent trends…. They have probably mistaken the gaming world for what they wanted it to be, and what I would also like it were.

Anyway, it’s over. I guess this too ambitious show didn’t reach a large enough audience and it was losing too much money, or rather was losing money for too long, for Asmodee to keep paying the bills. It would be a lie to say I am completely surprised, but I honestly thought it could stay a few years more. I only hope that François, Guillaume, Julien, Pénélope and Tarsa will all find a new and lasting in a French speaking gaming world which won’t be the same without their culture and subtlety.

French Touch

Je viens d’avoir une conversation avec un journaliste qui souhaitait écrire un article sur une French Touch dans la création actuelle de jeux de société. Je l’ai sans doute un peu déçu en affirmant que s’il existait aujourd’hui une spécificité française en matière de jeu de société, c’était peut-être dans l’édition, mais certainement pas dans la création.

Si quarante ans d’enseignement dans des endroits bien différents m’ont appris une chose, c’est que les « différences culturelles » n’existent pas vraiment, ou du moins sont absolument négligeables en comparaison des différences individuelles. On a toujours tendance à exagérer des spécificités culturelles qui, lorsqu’elles existent, ne sont guère que des différences assez superficielles de langage, de codes sociaux et de références littéraires, culinaires et musicales. Un peu de la même manière, mon travail d’historien m’a surtout montré que les hommes de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance ne pensaient pas bien différemment de nous.

Cette tendance à exagérer les différences est particulièrement absurde dans un domaine comme le jeu de société. Les jeux de société modernes sont en effet apparus assez récemment. C’est pourquoi, contrairement à ce qu’il se passe en littérature, en musique ou en peinture, les auteurs de jeux français, américains, japonais ou autres ont très exactement les mêmes références, Catan, Magic, Les Aventuriers du rail, tout ça. Parler de spécificités nationales en littérature ou en peinture a encore un certain sens, même si je pense que l’on en rajoute, mais cela n’en a plus aucun en matière de jeu de société.
Mon style n’a, me semble-t-il, pas grand chose de commun avec celui de Bruno Cathala ou de Roberto Fraga, et serait sans doute plus proche de celui d’Alan Moon, de Seiji Kanai ou de Hisashi Hayashi. Et je ne vois absolument rien de commun entre les créations de Bruno et de Roberto, qui m’ont été cités comme deux éminents représentants de cette French Touch. Le monde de la création ludique est d’ailleurs très internationalisé, tout s’y fait en anglais, et j’ai côtoyé avec plaisir des auteurs allemands, italiens, grecs, américains, canadiens, brésiliens, coréens, iraniens, japonais, scandinaves, russes, polonais et autres, sans jamais avoir l’impression de me trouver face à une culture ludique différente de la mienne – ou en tout cas pas plus souvent qu’avec des auteurs français.
En matière de création, la French Touch n’est donc qu’un argument commercial, que je trouve personnellement peu convaincant.

La spécificité, s’il y en a une, n’est pas du côté de la création, mais de celui du business et de l’édition, et l’explication relève plus du coup de bol que de la culture. Il se trouve que Asmodée est la grande success story de l’édition du jeu de société moderne, et que ce qui était une petite boite de passionnés de jeux de rôles, comme il y en avait à la même époque dans bien des pays, est devenu une grande multinationale du jeu de société, avec des centaines de filiales dans le monde entier. Par facilité, son expansion s’est faite plus rapidement en France que dans les autres pays, et surtout s’y est plus porté sur le côté créatif, éditorial, et moins sur l’aspect commercial. Toute une série d’éditeurs plus modestes se sont lancés dans la foulée d’Asmodée, rêvant de et souvent parvenant à être rachetés par le démon du jeu, ou plus récemment par Hachette qui semble vouloir l’imiter. Du coup, il est en effet devenu plus facile pour les auteurs français de rencontrer des éditeurs et de faire publier leurs créations. Cela a créé quelques vocations, mais ne fait en rien des auteurs de jeux français une catégorie culturellement à part.



Je sais que l’expression de French Touch est beaucoup utilisé dans le jeu video, mais elle y désigne une réalité qui relève à la fois de la création et de l’édition, les deux y étant beaucoup plus fortement imbriqués que dans le jeu de société. Il faudrait pour avoir l’équivalent dans le jeu de société que se crée un véritable bouillon de culture entre auteurs voisins à la fois géographiquement et intellectuellement. Ce n’est pas encore arrivé et dans le jeu comme dans bien d’autres domaines culturels, je pense que l’on gagne plutôt à tout mélanger. Je suis français, je suis un auteur de jeu, je ne suis pas un « auteur de jeu français » parce que cette catégorie ne signifie rien.


I just had a phone conversation with a journalist who is writing about a French Touch in boardgame design. He felt a bit disappointed when I answered that if there was something specifically French today in boardgames, it had more to do with publishing than with design.

Forty years of teaching in various places have taught me one thing, that “cultural differences” don’t really exist, or are extremely marginal when compared with individual differences. We always tend to exaggerate cultural specificities which are little more than differences in language, social codes and literary, culinary or musical references. Similarly, my research as a historian convinced me that people form the late Middle Ages and the Renaissance didn’t think very differently from us.

This exaggeration of differences is particularly absurd when discussing boardgames. Modern boardgames are a very recent thing. Therefore, unlike what happens with literature, music or graphic art, French, American Japanese and other boardgame designers have the exact same references – Catan, Magic the Gathering, Ticket to Ride and all that stuff. Talking of national styles in literature or painting still makes sense, even when I think we usually overdo them, but it doesn’t make any sense when discussing boardgames.
My own design style has little in common with that of Bruno Cathala or Roberto Fraga, and is probably more similar with that of Alan Moon, Seiji Kanai or Hisashi Hayashi – and I don’t see the slightest thing in common between Roberto’s and Bruno’s designs. The boardgame design little world is very international, everything happens in English, and I’ve met publishers from dozens of countries such as Italy, USA, Canada, Brasil, Korea, Iran, Japan, Russia, Poland, Greece, Baltic and Scandinavian countries, without ever having the feeling that these people had a different gaming culture than mine – or not more often than with French designers.
The
French Touch in boardgame design seems to me to be only a marketing argument, and not a very convincing one.

If there is a French specificity with boardgames, it has to do with business, not design, and more with sheer luck than with culture. Asmodee happens to be the big success story of the boardgaming business. What was originally a small role playing publishing company founded by a few friends has become a big multinational company with hundreds of subsidiaries in the whole world. Its development started in France where, for practical reasons, it focused more on creation and development and less on distribution. Smaller companies followed suit, often with the more or less secret goal of being bought by Asmodee, or more recently by Hachette who is trying to follow suit. All this has made easier for French boardgame designer to meet publishers and have their creations published. It might have generated a few vocations, but it doesn’t make French designers a culturally specific category.

The expression French Touch comes from the video game industry, where it refers both to design and publishing, which are much more interwoven than in the boardgaming world. To have the same thing with boardgames, we would need a real cluster effect between designers both intellectually and geographically similar. It has not happened yet and, with boardgames like with many other cultural domains, I think it’s more rewarding to mix everything. I’m French, I’m a game designer, but I don’t like being called a “French game designer”, a category which doesn’t mean anything.

Traductions françaises, quand l’éléphant se prend les pieds dans le plat
French translations, when the elephant puts its feet in the dish

J’écoute peu de podcasts et regarde peu de videos consacrées aux jeux de société, qu’il s’agisse de critiques ou de discussions plus générales, leur préférant les textes écrits. C’est cependant avec beaucoup de curiosité que, il y a quelques semaines, j’ai écouté mes amis de Tric Trac et leurs invités débattre de la traduction des jeux de société dans leur émission hebdomadaire, le Tric Trac show. J’espérais un peu que quelqu’un allait mettre les pieds dans le plat – ou en anglais, même si ce n’est pas exactement la même chose, parler de l’éléphant qui est dans la pièce – en dénonçant la médiocrité de beaucoup de traductions françaises. Il n’en a malheureusement rien été, mais pour de très bonnes raisons puisqu’ils n’avaient invité que quelques-unes des rares personnes qui font ça bien. Je vais donc parler de l’éléphant.

Je ne suis pas très doué pour les langues étrangères. L’anglais est la seule que je maîtrise à peu près – et à l’écrit seulement, car j’ai beaucoup plus de mal à l’oral. Mes rudiments d’allemand, de latin et de polonais sont aussi modestes que lointains, et mes efforts plus récents pour apprendre le japonais semblent rester assez vains. J’ai toujours cependant été passionné par les problématiques de langue et de traduction, comme on peut le voir aussi dans mon livre sur les licornes.

Des traductions consternantes

C’est avec étonnement que, il y a une trentaine d’années, j’ai constaté que les règles présentes dans les traductions françaises de jeux de société étaient d’une qualité bien inférieure aux originaux anglais ou allemands, et même aux traductions anglaises de jeux allemands. C’est avec consternation que je constate que, excepté chez quelques éditeurs, surtout des gros, cela n’a pas beaucoup changé. 
Ce matin encore, Antoine Prono partageait fièrement sur Twitter un message d’un joueur le remerciant pour une traduction irréprochable. Cela montre surtout que les joueurs français sont tellement habitués aux traductions médiocres qu’une bonne, qui devrait être la norme, leur semble une exception.

Cette médiocrité a deux aspects. 
D’une part, comme également un certain nombre de règles rédigées directement en français, ces traductions sont le plus souvent écrites dans une langue lourde et désagréable, confondant emphase et élégance. C’est assez ironique lorsque cela vient de gens qui prétendent vouloir faire reconnaître le caractère culturel du jeu de société – à moins bien sûr que dans « caractère culturel » ils n’entendent que « TVA du livre ». 
D’autre part, et cela est plus spécifique aux traductions, les erreurs sont fréquentes, et les ambiguïtés récurrentes.

Deux exemples d’erreurs trop fréquentes :
•  Il n’existe pas d’équivalent français au pronom anglais « any ». Dans de très nombreuses règles de jeu de société françaises, l’expression anglaise « any player » est traduite systématiquement par « n’importe quel joueur », toujours au singulier. Selon le contexte et la structure de la phrase, elle signifie pourtant « un joueur quelconque » (c’est quand même plus élégant que « n’importe quel joueur »), « un ou plusieurs joueurs » ou « tous les joueurs ». Lorsque l’on ne comprend pas bien une carte en français parlant de « n’importe quel joueur », il faut donc essayer d’imaginer l’original anglais avec « any player ». Souvent, cela prend alors sens.
• Les jeux d’influence et de majorité sont à la mode. Quand une règle en français dit qu’un joueur doit être majoritaire dans une zone du plateau de jeu, il n’est souvent pas précisé s’il s’agit de majorité absolue ou relative. La raison en est que l’éditeur a trop rapidement traduit Majority, qui signifie majorité absolue, par majorité. Majorité relative se dit en anglais Plurality (et, pour les curieux, pluralité se dit Diversity).
C’est parce qu’il n’y a pas toujours de correspondance parfaite entre les mots d’une langue et ceux d’une autre qu’il faut éviter la facilité de la traduction trop proche du texte, voire mot à mot.

On peut certes trouver des explications. Il est plus facile de rédiger des règles en anglais qu’en français, et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je fais tous mes prototypes directement en anglais. La traduction est parfois faite en urgence, pour pouvoir ajouter quelques milliers de boîtes à un tirage multilingue et obtenir un meilleur prix de l’imprimeur.Si la règle dans la langue d’origine a été testée et relue des centaines de fois tout au long du développement, la règle traduite n’est pas toujours relue et rarement testée auprès de joueurs. La raison principale est cependant que trop d’éditeurs font encore la traduction vite fait chez eux, ou la font faire à des joueurs payés en boîtes de jeux, quand ce n’est pas par le stagiaire de quatrième. Cela dénote un certain mépris des jeux, des joueurs, des auteurs, de la langue d’origine et de la langue française.

Ces explications, surtout la dernière, ne sont pas des excuses, et auraient dû depuis longtemps pousser les éditeurs à prendre le travail de traduction plus au sérieux. 

Il y a quand même un problème dont la responsabilité est plus souvent du côté de l’auteur, les changements de dernière minute. Je reconnais en avoir fait quelques-uns. Lorsqu’un point de détail est modifié au dernier moment, alors que la règle est déjà partie en traduction, et que l’on fait passer le mot à tous les traducteurs, cela peut encore provoquer quelques erreurs. En tout cas, les traducteurs n’aiment pas !

Des solutions simples

Une règle de jeu est à la fois un texte littéraire et un texte technique, cela fait deux raisons de la faire traduire par une personne compétente, c’est à dire le plus souvent un traducteur professionnel qui soit aussi joueur. Ce peut-être Antoine Prono qui intervenait sur la vidéo du Tric Trac Show, mais je connais aussi un peu Mathieu Rivero ou Birgit Irgang, et il y en a d’autres. Oui, c’est un coût supplémentaire, mais si de plus en plus d’éditeurs le font, c’est qu’ils ont compris ce qu’ils avaient à y gagner en termes de « jouabilité », de réputation et donc de ventes. 
Une règle de jeu est à la fois un texte technique et un texte littéraire, ce qui fait aussi deux bonnes raisons de la faire relire par un correcteur ; lorsque c’est en outre une traduction, cela fait trois bonnes raisons. Je vous conseille les services de mon amie Camille Mathieu, avec qui j’ai conçu Trollfest, l’une des rares correctrices professionnelles qui soit aussi une joueuse de jeux de société.

Les éditions multilingues, mais elles sont rares, permettent aux joueurs, en cas de doute, d’aller chercher le texte princeps à partir duquel ont été faites les traductions, généralement la version anglaise. Cela signifie malheureusement plus de papier, et n’est pas vraiment possible pour les jeux, souvent les plus amusants, où du texte figure non seulement sur les règles, mais aussi sur les cartes.

Les petits jeux japonais sont à la mode. Une particularité de leurs règles est que la distinction traditionnelle entre le texte qui explique et les graphiques qui illustrent n’y est pas aussi nette qu’en Occident. Du coup, même lorsque les traductions sont fidèles, il peut arriver que le joueur occidental manque un point de règle qui était expliqué dans un schéma que l’on a sauté à la lecture. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il faudrait entièrement les réécrire, mais il vaut mieux connaître cette particularité avant de lire les règles, par exemple, des petites boîtes de chez Oink.

Que peuvent faire les joueurs

Les éditeurs anglo-saxons font généralement le boulot de traduction assez sérieusement. Les traductions en anglais de jeux français sont généralement de bien meilleure qualité que les traductions en français de jeux américains. Même les jeux allemands sont presque toujours mieux traduits en anglais qu’en français.

Cela fait donc maintenant une dizaine d’années que, lorsque je veux me procurer un nouveau jeu venu d’Amérique, d’Allemagne ou d’ailleurs, je cherche systématiquement une édition en anglais, quitte à payer un peu plus cher. Il m’est même arrivé de racheter en anglais des jeux que l’éditeur m’avait offert en français. Malheureusement, Philibert qui était ma source principale de nouveautés en anglais, semble de plus en plus ne vendre que des éditions françaises ; cela m’a obligé récemment à commander en Angleterre, ce qui revient encore plus cher. 

Malgré cela, j’encourage tous ceux qui, comme moi, ont été découragés par des règles françaises difficilement compréhensibles, au point d’aller  chercher les règles en anglais sur le Boardgamegeek, à faire de même, et à le faire savoir. Peut-être cela décidera-t-il les éditeurs francophones à faire un petit effort pour fournir de meilleures traductions.

Le paradoxe de l’auteur français

Je me suis placé jusqu’ici du point de vue du joueur. Pour l’auteur, la situation peut devenir carrément absurde. Pour plusieurs de mes jeux, j’ai écrit les règles en anglais mais pas celles en français. 

Lorsqu’un éditeur allemand ou américain publie l’un de mes jeux avec des règles multilingues, ce qui n’arrive que pour des petits jeux aux règles claires et simples, il me demande le plus souvent de rédiger les règles en français, quitte à les faire ensuite relire par un correcteur. Et c’est logique.
Il m’est en revanche arrivé plusieurs fois qu’un éditeur français ayant acquis auprès d’un éditeur original américain les droits pour la version française d’un de mes jeux, fasse lui-même ou fasse faire par quelqu’un d’autre une traduction, sans me prévenir ni, à fortiori, demander mon accord. Souvent, je l’ai appris trop tard pour pouvoir relire et corriger efficacement. 

Un point de droit : Contrairement au droit américain, le droit français distingue le droit moral de l’auteur du droit patrimonial. Le droit patrimonial est cédé à l’éditeur, en échange généralement du versement de droits d’auteur, mais le droit moral est inaliénable. Cela signifie qu’aucun éditeur ou distributeur ne peut modifier substantiellement l’œuvre sans l’accord de l’auteur. C’est pour cette raison que des réalisateurs de cinéma ont parfois pu obtenir que leur film montré en France respecte leur montage original, quand celui distribué dans le reste du monde était le montage du studio de production, et que des écrivains peuvent interdire à l’éditeur de couper dans leur texte. Il y a sans doute là une base légale pour qu’un auteur de jeu français puisse interdire à un éditeur de ne pas utiliser sa propre version française des règles, ou de traduire n’importe comment.

Même s’il est trop tard, je proteste systématiquement auprès des éditeurs lorsque cela se produit. Leurs réactions sont parfois étonnantes. La plupart s’excusent, et expliquent tout simplement que, n’ayant pas l’habitude de traduire en français des auteurs français, ils n’avaient tout simplement pas penser à me contacter. J’ai un peu de mal à y croire car je suis loin d’être le seul auteur francophone à avoir de temps à autre des jeux qui reviennent d’Outre Atlantique. Quelques-uns ne comprennent pas le problème. L’un d’entre eux m’a même récemment répondu qu’il n’avait pas de contrat avec moi mais seulement avec mon éditeur américain et qu’il se moquait donc totalement de mon point de vue. Je lui souhaite le succès qu’il mérite.

Je me suis déjà retrouvé deux ou trois fois dans la situation absurde où j’avais écrit les règles anglaises d’un jeu, même si elles avaient été un peu corrigées par l’éditeur, mais pas ses règles françaises.  Je ne dis pas que l’auteur original devrait toujours être en charge de la traduction dans sa langue, mais il me semble évident que, ne serait-ce que par politesse, on devrait toujours commencer par lui demander son avis. Il m’est arrivé souvent, surtout lorsque le jeu avait connu beaucoup de modifications chez l’éditeur et que les règles à traduire n’étaient plus vraiment les miennes, de préférer qu’un traducteur professionnel s’en charge, mais à condition d’être en contact avec lui et d’avoir tout le temps nécessaire pour relecture et correction. C’est comme cela que nous avons procédé l’an dernier avec Iello pour la version française de Vampire – The Vendetta. Le résultat me semble à la hauteur, et je garde de l’expérience un très bon souvenir. 

Un problème plus vaste

Le problème que j’ai mis en avant dans cet article n’est qu’en partie spécifique aux traductions. Les règles de jeux francophones sont, de manière générale, rédigées dans une langue moins soutenue et moins claire que les versions anglaises et, me suis-je laissé dire car je suis bien incapable d’en juger, allemandes. La syntaxe est approximative, les phrases longues et encombrées d’adverbes inutiles. Un texte mal écrit, ampoulé ou fautif est toujours désagréable à lire et souvent difficile à comprendre ; on ne peut pas dans une règle de jeu, comme dans un livre, sauter les passages que l’on ne comprend pas vraiment. Lorsqu’à cela s’ajoutent des erreurs ou maladresses de traduction, le résultat peut devenir incompréhensible et éloigner de potentiels joueurs du jeu de société. J’aimerais que les éditeurs consacrent aux règles, à leur rédaction et à leur traduction, autant de soin et de sérieux qu’aux illustrations et à la maquette. On en est encore très loin alors que, pour le jeu et pour les joueurs, c’est quand même beaucoup plus important. 

Et maintenant, je vais traduire ce texte en anglais. Ma traduction sera loin d’être parfaite, et je ne la fais pas relire. Mais, bon, je ne vous fais pas payer pour lire cet article, et une imprécision n’empêchera pas de le lire et de le comprendre comme elle peut empêcher de jouer correctement à un jeu.


I rarely listen to podcasts or watch videos about boardgames. I prefer written articles or reviews. I nevertheless listened with great curiosity, a few weeks ago, when my friends at Tric-Trac and their guests discussed the translation of boardgames into French in their weekly video, the Tric Trac Show. I was hoping that someone will address the elephant in the room – in French we say « put their feet in the dish » – and tell about the disheartening mediocrity of most French rules translations. This was unfortunately not the case, tough for good reasons, since the people they had invited are among the few who do this job well. So, I’ll put my feet in the dish.

I’m not very good at languages. I can more or less write in English, but speaking is another matter. At various moments in my life, I learned some Latin, German and Polish, but forgot most of It. I’m vainly trying to get the basics of Japanese. I was nevertheless always much interested in the everything that deals with language and translation, and this also shows in my work on unicorns.

Bad translations

I was surprised when, thirty years ago, I realized that the French game rules translations put by publishers in their boxes were vastly inferior not only to the French or English original rules, but also to the English translation of German games. I am horrified to see that, except for a few publishers, mostly big ones, it didn’t change much.
This morning, Antoine Prono was sharing on Twitter a message he got from a French gamer, thanking him for a flawless translation. A flawless translation should be the norm, but it has become so exceptional that gamers notice it and thank the translator !

The mediocrity of French translated rules has two facets.
First, but this also true of many rules directly written in French, these translations are written in a faulty, heavy and pompous French, mistaking grandiloquence for elegance. This is very ironic coming from publishers who claim that games should be recognized here as a « cultural item » – unless of course what they mean by « cultural » is only « lower VAT rate ». 
Furthermore, and this is specific to translations, errors are common, and ambiguities are everywhere.

Two examples of recurrent English to French rules translation errors :
•  There is no exact equivalent in French to the English pronoun « any ». In many French game rules, « any player » is systematically translated as « n’importe quel joueur », always in the singular. Depending on the context and the sentence structure, it should be translated as « un joueur quelconque », « un ou plusieurs joueurs » ou « tous les joueurs ». As a result, when one reads « n’importe quel joueur » on a French language card, the best way to understand it is usually to try to imagine the English sentence with « any player ». 
• Many modern game are about vote, influence and majority. The English word « Majority » translates as « majorité absolue », while Plurality translates as « Majorité relative » (and Diversity sometimes translates as Plurality). Unfortunately, in most translations, Majority simply becomes majorité, and the reader has no way to guess if this « majorité » is « absolue » or « relative ».  

Of course, one can find explanations. The English language is more precise and better fitted to rules writing, which is the main reason why I do all of my prototypes directly in English. Often, the translation is done in a hurry, to add a few thousand copies to a multilingual print run and get a lower unit price from the printer. While the original rule had been tested and proof read a few hundred times during development, the translation is not always proof-read and rarely tested with actual players. The true reason, however, is that many publishers do the translation by themselves, or ask players to do it for a few copies of the game, which shows some contempt for games, players and,  game designers and of course languages.

These explanations, however, are not excuses. It is great time publishers, and especially French ones, start taking rules translations seriously.

Last minute changes by the publisher or, more often, the designer can also be a problem. I admit having made a few ones. When a small rule is modified after the ruleset has been sent for translation, all translators must be informed and apply this small change. It can cause errors and inconsistencies. Translators hate it.

Simple fixes

A game rule is both a literary and a technical text. These are two reasons to have it translated by a skillful person, usually a professional translator who is also a gamer. For French translations, I suggest Antoine Prono, who is talking on the Tric Trac Show video, but I also know Mathieu Rivero and Birgit Irgang, and there are more. Yes, it’s an added cost, but if more and more publishers are starting to pay for it, it’s because they understand what they have to win in terms of playability, reputation and, of course, sales.
A game rule is both a literary and technical text. These are also two good reasons to have a professional proof-reader correct it; when it’s also a translation, that’s one more reason to do it. For French rules, I suggest my friend Camille Mathieu, co-designer of Trollfest, one of the few French professional proofreaders who really knows boardgames well.

There are very few multilingual editions. They allow players, in case of doubt, to check the original rule, usually the English ones. Unfortunately, this means more paper in every box, and is not really possible for the many games, often the most fun ones, which have text not only in the rules but also on the cards.

Small Japanese games are trendy. A specificity of Japanese rules is that the distinction between text and diagrams is not as strict as in the West. Even when the translation is faithful and well made, the western gamer can miss a point which is explained only in a diagram. This doesn’t necessarily mean that these games must be fully reorganized to translate them in French or English, but better know about this before reading, for example, the rules of the small Oink games.

What can gamers do ?

American publishers usually take translating rules seriously. English language translations of French games are usually much better than French translations of US games. Even german games have much better translations in English than in French. 

For about ten years now, when I want to buy a new game coming from the US, from Germany, from Poland, Japan or anywhere else, I systematically look for an English language edition, even when it’s more expensive. I’ve even bought English language copies of games the publisher had sent me in French. Unfortunately, Philibert, which was my main source for English language new games, is more and more selling only French editions, and I recently had to order games from Britain, at a higher price.

Despite this, I urge all those who, like me, have been put off by unreadable French translations and have looked for the English rules on the Boardgamegeek, to do the same. May be this will encourage French publishers to put some effort in making correct translations.   

The paradox of the translating a French game in French

This article has been written so far mostly from the gamer’s point of view. From the game designer’s one, it can become totally absurd. There are several games for which I wrote the English rules but not the French ones.

When a german or US publisher publishes a multilingual version of one of my games, which happens mostly for lighter games with short and simple rules, I am usually asked to writhe the French version, which is then corrected by a proofreader. It’s sound and logical.
Often, when a french publisher gets from a foreign publisher, usually US, the rights for the french translation of one of my games, they make the translation by themselves, or ask someone to do it, without asking for my agreement, without even telling me. Several times, I learned about it too late to proofread and correct the rules accurately.

Legal point : Unlike US law, French law divides the author’s right into two parts, patrimonial and moral. The patrimonial right is sold by the author to a publisher, in return for royalties, but the moral right cannot be sold. This means that no publisher or distributor can substantially modify a creation without the author’s agreement. This law has been used a few times by directors to have a movie shown in French venues with their original cut, despite the studio showing its own cut in most of the world, and by writers to prevent publishers to shorten their text. This might be a legal way to prevent a publisher from refusing to use the designer’s own French rule set.

Even when it’s too late, I systematically protest to the publisher when this happens. The publishers reactions can sometimes be surprising. Most of them apologize, then argue that they didn’t think about contacting me because they were not used to translate french designers into French. I don’t really believe it, since I’m far from being the only french game designer whose games sometimes cross the Ocean backwards. Other Publishers don’t see the problem. One recently answered me that he didn’t have a contract with me but with my US publisher, and that he didn’t care about my qualms. I hope he’ll get all the success he deserves. 

A few times, I even ended in the absurd situation of having written the English rules of a game, but not the French ones. I’m not saying the original designer should always be in charge of the translation in their original language, but asking them first about their opinion should be the least of courtesies. Often, especially when the game has been modified a lot with the publisher and the rules to be translated are not really mine any more, I prefer to have a professional translator deal with it, providing I have enough time for proofreading and correction. That’s how we deal last year with Iello for Vampire – The Vendetta, and the process was smooth, efficient and highly enjoyable.

A larger issue

The problem is not only with translations. French language game rules are often terribly written, with long and faulty sentences full of unnecessary adverbs. English language rules, on comparison, are short, clear and elegant. I can’t really judge, but I’ve been told most German ones are also good.  A convoluted or badly written text is unpleasant to read and hard to understand. One cannot, in a game rule, skip the unpleasant or unclear parts like in a novel, an essay or a blogpost. When there are translation errors and ambiguities on top of that, it can easily discourage people to start playing boardgames. I wish game publishers, especially French ones, were as careful with rules, their writing and their translation, as they are with art and layout. We’re very far from it when, for games and gamers, it’s much more important. 

I’ve translated the text in English by myself, and it has not been proofread by anyone. I know the result is far from perfect. I dare to do this because you don’t pay to read it, and because it’s not a game rule, it’s a blogpost. Even when a sentence is not perfectly clear, it will not prevent you from going forward and seeing the general point, like it could have done in game rules.

Indirect interaction

Depuis trois ou quatre ans est apparu dans les descriptions de jeux de société un concept nouveau, assez fumeux et un peu hypocrite, celui d’ interaction indirecte – indirect interaction en anglais – qui me semble fumeux, triste et un peu hypocrite.

En gros, les jeux se diviseraient entre
• les jeux sans interaction, les courses que l’on fait chacun pour soi,
• les jeux « directement interactifs », ceux où l’on peut taper sur son voisin, au besoin par derrière,
• les jeux « indirectement interactifs », ceux où l’on embête parfois ses voisins mais on ne l’a pas vraiment fait exprès – du coup, c’est un peu moins drôle mais c’est moralement plus acceptable.

Un très bon exemple en est donné par les jeux de type roll and write. Si un même jet de dé peut être utilisé simultanément par tous les joueurs, il n’y a bien sûr aucune interaction. Si on lance autant de dés que de joueurs, et que chacun à son tour peut en prendre un, privant les joueurs suivants de cette possibilité, il y aurait interaction indirecte. On ne peut juger des causes que par leurs effets. Comme, dans un roll and write, nul ne regarde jamais vraiment ce qu’il se passe sur les grilles des autres joueurs, cette interaction indirecte n’est donc, de fait, qu’une forme de hasard. Certes, le choix dont vous disposez dépend des actions des autres joueurs, mais comme ces actions n’ont pas été faites en prenant en cause votre situation, vous ne pouvez les percevoir que comme aléatoires. Mais voilà, le hasard, même rebaptisé aléa, ça fait puéril et ringard, l’interaction indirecte, ça fait moderne et subtil. Personnellement, même si je ne suis pas trop fan des roll and write, je tend à préférer ceux où le même jet de dé peut servir à tous, et où l’on joue donc sans interaction au même jeu, comme High Score / Würfel Bingo, à ceux où un dé ne peut servir qu’à un joueur, et où l’on joue donc sans réelle interaction à des jeux différents.

L’interaction est parfois plus réelle, par exemple dans les jeux de placement d’ouvrier où les places sont chères et ne peuvent être occupées que par un joueur. Si on joue sur un même plateau, si on voit ce que font nos adversaires et on essaie de les bloquer, je ne pense cependant plus que l’interaction soit vraiment indirecte. Du coup, cette fois, je préfère les jeux de placement d’ouvrier où l’on peut bien embêter ses rivaux, comme Architects of the West Kingdom, à ceux où l’on ne fait guère attention à eux, comme Stone Age.

L’expression interaction indirecte réussit donc à être un euphémisme bifide, signifiant tantôt hasard sans interaction, tantôt interaction directe. Son succès illustre malheureusement une tendance inquiétante à vouloir que les jeux répondent, quitte à tricher un peu avec les mots, aux mêmes critères moraux que nous voudrions voir toujours respectés dans la réalité. Le hasard est injuste dans la réalité, il serait donc mal dans un jeu. Taper sur ses amis est mal vu dans le monde réel, ce ne devrait donc pas être possible dans un jeu.

C’est très exactement le contraire et cette théorie, qui est trop souvent un prétexte pour ne pas s’occuper des problèmes réels, découle d’une incompréhension totale de ce qu’est un jeu. Si l’on joue, c’est parfois pour le plaisir de se laisser entraîner par un hasard dont on se protège dans le monde réel. Si l’on joue, c’est souvent pour le plaisir de trahir ses amis, ce que l’on ne ferait jamais dans le monde réel. Si vous enlevez au monde du jeu le hasard, la baston et les embrouilles, il n’en restera pas grand chose – il restera juste quelque chose comme de l’interaction indirecte.


For two or three years now, a new, sad, nebulous and sometimes hypocritical concept has appeared in boardgame reviews, indirect interaction.

If I understand well the people who use this expression – I usually don’t – they divide games into thre categories
• Games without interaction, mostly race games or multiplayer solitaire.
• Games with direct interaction, in which you can hit at other players, sometimes even from behind.
• Games with
indirect interaction in which you sometimes incidentally bother your opponents.

A good example of the latter can be found in roll and write games. When all players must use the same die roll, there is obviously no interaction at all. When several dice are rolled at once and each player on turn can take one, thus making it unavailable for the next players, it is indirect interaction. Causes can only be defined by their effects ; since in a roll and write game no one ever looks at other players’ grids, this so called interaction is, in effect, added randomness. Sure, your possible actions depend on what other players are doing, but since they didn’t consider your situation when making their choices, you can only perceive them as random. The problem is that randomness, even when renamed alea, sounds violent and unfair, when indirect interaction sounds modern and subtil. I’m not a big fan of roll and write games, but I vastly prefer those in which all players make use of the same dice (or card), like the good old High Score / Würfel Bingo, over those in which every die can be used only by one player. I prefer playing all the same game without interaction to playing all different games without interaction.


There is some real interaction in many worker placement games, when a spot can only be occupied by a single meeple. I vastly prefer worker placement games in which players can actively play to hinder their rivals, like
Architects of the West Kingdom, to those in which they mostly ignore them, like Stone Age. But when all players play on the same board, can see what other players are doing, and actively play to block them, I’m not sure this interaction is really indirect.

Indirect interaction is therefore a versatile double-sided euphemism, meaning sometimes effective randomness with fake interaction and sometimes direct interaction but, shh, we should not say it.The strange success of this expression is a consequence of a very worrying trend, the idea that we should respect in games the same moral rules we should – and often don’t – respect in real life. Or if we don’t, we should at least make some effort and use a few long and empty words to fake it. Randomness is unfair in the real world, so there should be no randomness in games. Hitting one’s neighbour is bad in the real world, so we should not do it in games.

This strange idea is mostly a way not to deal with the issues of the real world, and derives from a total misunderstanding of what a game is. We play games for the fun of being carried away by the crazy randomness we are carefully avoiding in the real world. We play games for the fun of backstabbing our best friends, something we usually don’t do in the real world. It is the exact opposite. If you remove randomness, violence and intrigue from games, there will be very little left – may be just indirect interaction.

Deckbuilding et crème brulée
Deckbuilding and creme brulee

Wonderland’s War

Dominion, de Donald Vaccarino, il y a une quinzaine d’années, fut sinon le premier jeu à avoir recours au “deckbuilding”, du moins le premier jeu de cartes entièrement construit autour de ce système. Chaque joueur débute la partie avec le même petit paquet de cartes, mais peut l’enrichir en achetant de nouvelles cartes plus puissantes, parfois aussi l’épurer en se débarrassant des plus modestes, construisant peu à peu un « moteur » pour sa stratégie propre, et l’adaptant au déroulement de la partie.

Donald Vaccarino
Dominion, 2008
Mike Elliott,
Thunderstone, 2009
Hisashi Hayashi,
Trains, 2012

J’ai tout de suite compris l’intérêt du truc, mais malgré plusieurs tentatives, je n’ai jamais accroché à Dominion, trop abstrait et, dès les premières extensions, trop calculatoire. J’ai plus joué à quelques uns de ses premiers successeurs, Thunderstone et surtout Trains, plus thématiques, mais je n’ai jamais été un spécialiste d’un genre auquel je ne m’intéressais que d’assez loin. Je n’ai d’ailleurs jamais non plus tenté de concevoir un jeu de deckbuilding.

Reiner Knizia,
El Dorado, 2017
Paul Dennen,
Clank!, 2016
Alexander Pfister,
Great Western Trail, 2016

J’ai donc été surpris en réalisant que, depuis deux ou trois ans, certains des jeux auxquels je joue sinon le plus souvent, du moins le plus sérieusement, sont des jeux de deckbuilding, ou de bagbuilding qui est un peu la même chose (on y mélange des jetons dans un sac au lieu de mélanger un paquet de cartes). Je ne répèterai donc pas dans toute la suite de cet article « ou bagbuilding » chaque fois que je parle de deckbuilding, considérez que c’est sous entendu et que je parle de trucbuilding. Il y a d’abord eu El Dorado, Clank!, Great Western Trails, Dwar7s Winter et Quacks of Quedlinburg, il y a depuis peu Dwar7s Spring, Taverns of Tiefenthal, Lost Ruins of Arnak, War Chest (Champ d’Honneur en français) ou Dune Imperium. Ce dernier est mon favori ces derniers temps, mais un nouveau venu, Wonderland’s War, pourrait bien le détrôner.

Luis Brueh,
Dwar7s Winter, 2018
Wolfgang Warsch,
Quacks of Quedlinburg, 2018
Luis Brueh,
Dwar7’s Spring, 2020

Aucun de ces jeux n’est cependant, comme l’étaient Dominion et ses premiers successeurs, un pur jeu de cartes et donc un pur jeu de deckbuilding. Ils ont tous un plateau de jeu sur lequel se passe autre chose, souvent une course ou une baston.

Il est assez habituel de distinguer les sports dans lesquels joueurs ou équipes s’affrontent, face à face, comme la boxe ou le football, et ceux où ils sont en compétition, côte à côte ou l’un après l’autre, sans que leur performance affecte celle de leurs rivaux, comme les courses, sauts et lancers. C’est un peu la même chose pour les jeux de société, les wargames étant l’archétype du jeu d’affrontement et les « roll and write » celui du jeu de compétition tranquille, mais les cas intermédiaires ou ambigus y sont beaucoup plus nombreux.
La magie des nouveaux jeux de deckbuilding est qu’ils sont à la fois des jeux d’affrontement et de compétition, que l’on y joue à la fois face à face et côte à côte. Ils sont comme une crème brulée, à la fois chauds et froids. On y trouve à la fois le plaisir tranquille et solitaire de construire son deck et de le faire évoluer tout au long de la partie, et l’excitation d’affronter les autres joueurs sur le plateau de jeu. Si cette interaction reste limitée dans Quacks of Quedlinburg, Taverns of Tiefenthal, Great Western Trails, elle est plus importante, sous la forme de course dans Lost Ruins of Arnak et plus encore dans Clank! ou El Dorado, qui est un vrai jeu de blocage. Elle devient essentielle dans les jeux de guerre que sont War Chest, une sorte de jeu d’échecs en deckbuilding et le seul jeu à deux de cet article, Dune Imperium, sans doute le plus vendu, et Wonderland’s War, ma dernière découverte.

Wolfgang Warsch,
Taverns of Tiefenthal, 2020
Elven & Min,
Lost Ruins of Arnak, 2020
Trevor Benjamin & David Thompson
War Chest, 2018

Certes, il y peut y avoir un peu d’interaction dans la constitution des decks, mais cela reste assez limité. Souvent, une carte prise par un joueur n’est plus disponible pour les suivants, mais c’est rarement pour cette raison qu’on l’achète; c’est un peu comme dans les Roll and Write où un dé pris par un jouer n’est plus disponible pour les suivants – s’il n’y a pas de véritable volonté de nuire aux adversaires, l’interaction tombe à plat.
Cela peut parfois être un peu plus sérieux. Je ne sais plus dans quel jeu un effet mesquin permet de voler une carte sur la défausse d’un adversaire ; dans Wonderland’s War un pouvoir permet de rajouter de mauvais jetons dans un sac adverse. Tout cela reste néanmoins marginal, et c’est bien la dichotomie entre les deux parties du jeu qui crée, malgré leur complexité, le rythme et le charme particulier de cette nouvelle génération de jeux de deckbuiliding.

Paul Dennen,
Dune : Imperium, 2020
Charlie Cleveland
& Bruno Faidutti
Vampire – The Masquerade Vendeta, 2020
Tim & Ben Eisner, Ian Moss
Wonderland’s War, 2022

Quant à en faire un…. Je m’y suis essayé avec Charlie Cleveland pour Vendetta, notre jeu de cartes dans l’univers de Vampire – La Mascarade. Je suis très fier du résultat, violent et thématique, mais cela a demandé un travail de réglage et d’équilibrage immense, que je ne me sens pas vraiment l’envie de vouloir faire une deuxième fois. Et je deviens de plus en plus paresseux. Surtout, des jeux comme El Dorado, Arnak, Quacks of Quedlinburg, Dune Imperium ou Wonderland’s War me semblent d’une telle qualité que je ne vois pas bien ce que je pourrais faire de mieux – il faudrait faire différent, donc associer le deckbuilding à quelque chose de nouveau – des enchères, peut-être ?

Si vous avez suivi, vous avez compris le code couleur de cet article. En bleu, les jeux froids, qui se jouent pour l’essentiel chacun dans son coin, avec son petit deck. L’interaction y reste limitée. En orangé, ceux avec un peu plus de blocage et de rivalité, mais sans interaction directe. En rouge, ceux que je veux mettre en avant dans cet article, les crèmes brulées, les jeux chauds et froids, ou le deckbuilding sert de support à un véritable affrontement entre les joueurs.


Vendetta – Vampire – The Masquerade

Fifteen years ago or so, Donald Vaccarino didn’t really invent deckbuilding, but he designed the first game entirely built around it, Dominion. Each player starts the game with the same small deck of cards and can develop it with buying new and more powerful cards, and sometimes also refine it with getting rid of the weakest ones. Thus, every player independently builds an « engine » for their strategy, and adapts it to the ongoing game.

Donald Vaccarino
Dominion, 2008
Mike Elliott,
Thunderstone, 2009
Hisashi Hayashi,
Trains, 2012

I immediately saw the point but, despite a few tries, I never found Dominion really exciting. The game was too asbstract and too brain burning for me. I had more fun with some of its more thematic successors, like Thunderstone or Trains, but I never become an enthusiast of the genre. I never tried to design a deckbuilding game.

Reiner Knizia,
El Dorado, 2017
Paul Dennen,
Clank, 2016
Alexander Pfister,
Great Western Trail, 2016

That’s why I have been surprised when noticing that several of the games I was seriously and regularly playing these last two or three years were deckbuilding game – or bagbuilding games, in which players add tokens to a bag instead of adding cards to a deck, but it’s more or less the same thing (from now on, I won’t repeat « or bagbuilding » every time I write deckbuilding). It started with El Dorado, then came Clank, Great Western Trails, Dwar7s Winter and Quacks of Quedlinburg. Recent additions to the list are Taverns of Tiefenthal, Dwar7s Spring, Lost Ruins of Arnak, War Chest and Dune Imperium. The latter was my favorite but I suspect it might soon be replaced with the brand new Wonderland’s War.

Luis Brueh,
Dwar7s Winter, 2018
Wolfgang Warsch,
Quacks of Quedlinburg, 2018
Luis Brueh,
Dwar7’s Spring, 2020

Dominion and most of its derivatives were pure card games, and therefore pure deckbuilding games. None of these games is. They all have a board where something else happens involving all the players, be it a race or a fight, and that’s what makes them interesting.

There are two kinds of sports. Those, like boxing or football, where teams or players fight against one another, and those, like races and throwing, where they compete side by side without any interaction. It is the same with boardgames, with wargames on the one end and roll & write games on the other, but there are also many intermediate or ambiguous cases.
What makes many of these new deckbuilding stand out is that they are not « in between », they are both fully « face to face » and « side by side ». They feel like a creme brulee, hot and cold at the same time. Players go both the quiet pleasure of building their deck and evolving it during the game, and the rough fun of fighting opponents on the board. This interaction was still relatively limited in Quacks of Quedlinburg, Taverns of Tiefenthal, Great Western Trails but it’s more important through race in Clank or Lost Ruins of Arnak, and even more in El Dorado which is very much abourt blocking. It becomes the heart of the game in War Chest, a chess-like deckbuilding game and the only two player game in this blogpost, in Dune Imperium, probably the best seller, and Wonderland’s War, my last discovery.

Wolfgang Warsch,
Taverns of Tiefenthal, 2020
Elven & Min,
Lost Ruins of Arnak, 2020
Trevor Benjamin & David Thompson
War Chest, 2018

There can be some interaction in building decks, but its always very limited. In many games, a card bought by a player is not available for the next ones, but it’s rarely the reason why one buys it; it feels a bit like in these roll and write games where a die used by a player is not available fpor the next ones, if there’s no will to hurt one’s opponent, it doesn’t feel as interaction.
It can sometimes be more serious. I don’t remember in which game an effect allows to steal a card from an opponent’s discard pile; in Wonderland’s War, it is sometimes possible to add a bad curse token in an opponent bag. All this is, however, purposefully marginal, and the charm of these new dackbuilding games comes from the dichotomy between their two parts, the solitary deckbuilding and the multiplayer board play.

Paul Dennen,
Dune : Imperium, 2020
Charlie Cleveland
& Bruno Faidutti
Vampire – The Masquerade Vendeta, 2020
Tim & Ben Eisner, Ian Moss
Wonderland’s War, 2022

As for designing one…I gave it a try, together with Charlie Cleveland, in Vendetta, our card game in the Vampire – The Masquerade universe. I think we made a strong, terribly interactive and very thematic game, but it was so much work !!!!! I’m not sure I’m ready to try it again, and I’m becoming lazier every day. More importantly, games like El Dorado, Lost Ruins of Arnak Dune Imperium or Wonderland’s War my favorites ones. are so well crafted that I don’t think I can do better in this style. Or may be I should mix the deckbuilding part with somethig new – auctions, may be.

If you followed well, you should have understood the color code for the games. Blue is for the old style deckbuildings, mostly played ise by side, with little interaction. Orange, is for games with some more rivalry, through race or blocking, but no direct interaction between players. Red is for those I really wanted to highlight in this blogpost, the cold and hot ones, in which deckbuilding is the prequel to a true fight between the players.

Quacks of Quedlinburg

Ici et là-bas
Here and there

Depuis quelques mois déjà, les éditeurs gros et petits sont de plus en plus nombreux à se découvrir une conscience écologique. Ils annoncent mettre désormais moins de plastique – inserts, figurines, protection – dans des boîtes de jeu dont ils rapatrient, ou envisagent de rapatrier, la production en Europe. C’est moins le cas pour les États-Unis, nous verrons pourquoi.

Je n’ai pas les chiffres, je ne suis pas certain qu’ils existent, mais il ne fait guère de doutes que l’empreinte écologique d’un jeu avec plus de carton, ce que l’on recycle le mieux, et produit plus près du consommateur sera plus modeste que celle d’un jeu de figurines produit au bout du monde et suremballé. Convaincu que la crise écologique est inévitable, espérant que l’on peut encore en limiter les dégâts, je me réjouis bien sûr de cette évolution. Je préfère que mes éditeurs produisent en Allemagne, en Pologne ou en Tchéquie qu’en Chine, mais je souhaiterais néanmoins pointer les hypocrisies, les ambiguïtés et les limites de leurs discours sur le sujet.

S’il n’est pas exclu que certains se sentent en effet soulagés de contribuer, même marginalement, à décarboniser l’économie, le motif principal de ces rapatriements déjà effectués ou seulement envisagés a, je pense, peu à voir avec les préoccupations écologiques. On est dans une autre nuance de vert.

Cela fait une vingtaine d’années maintenant que les éditeurs de jeux produisent partiellement ou totalement en Chine. Ils le font parce que cela coûte moins cher, en grande partie du fait de moindres coûts salariaux. La qualité est la même, grâce à l’utilisation des mêmes machines (souvent allemandes) et ce n’est pas beaucoup plus compliqué maintenant que les fabricants chinois ont presque tous des représentants en Europe et aux Etats-Unis. 

L’usine Hopes, en Chine.

Depuis trois ou quatre ans, néanmoins, quelques éditeurs avaient déjà commencé à déplacer ou rapatrier tout ou partie de leur production, ou envisageaient de le faire, et ce pour deux raisons.

La première est que, en grande partie d’ailleurs grâce aux délocalisations d’entreprises occidentales, les salaires et donc les coûts en Chine augmentent assez rapidement, réduisant lentement mais inexorablement le gain pour l’éditeur à sous-traiter sa fabrication à des Panda, Wingo, Longpack ou Magicraft. Des process un peu plus automatisés peuvent aussi diminuer la part du travail dans les coûts de production, mais comme le montrent les videos qui illustrent cet article, la fabrication de nos jeux demande encore pas mal de travail humain. Le choix est alors entre revenir en Europe ou aux États-Unis, ou se diriger vers de nouvelles localisations exotiques comme l’Inde ou les Philippines.

La seconde raison est que la compétition sur le marché du jeu de société se fait au moins autant sur les produits que sur les prix, et que les éditeurs doivent donc être de plus en plus réactifs. Pas question de rater Noël à cause d’un container en retard ou parce qu’un concurrent plus malin ou parlant mieux le cantonais vous a doublé sur le planning de production. Pas question d’être en rupture de stock sur un succès que l’on n’avait pas vu venir. Produire en Europe, notamment pour les petites séries, permet de s’adapter rapidement. On peut aussi jongler entre plusieurs fabricants, et je sais que les boites de Mascarade sont produites tantôt en Chine, pour les plus gros tirages, tantôt en Espagne, pour les réassorts et les plus petites séries.

À ces deux raisons déjà anciennes s’en est ajouté l’an dernier une troisième, l’engorgement des ports et l’explosion du coût du transport par container, multiplié par 5 entre juillet 2020 et juillet 2021. Cela baisse un peu depuis septembre, mais on est encore bien au dessus des prix d’avant crise, et il semble peu probable que l’on revienne rapidement aux tarifs antérieurs, si l’on y revient jamais. Lorsque les délais deviennent imprévisibles et les prix font du yoyo, raccourcir les chaines de valeur et logistique est aussi pour les éditeurs, surtout ceux de taille modeste, un moyen de reprendre le contrôle de leur processus de production.

L’usine Ludofact, en Allemagne.

Les mêmes éditeurs à la toute jeune conscience écologique s’enorgueillissent de mettre désormais moins de plastique dans leurs boites de jeu, mais c’est surtout parce que les fabricants européens, aux unités de production plus petites, s’inscrivent dans une très traditionnelle filière bois – carton – papier et ne connaissent rien à la production de figurines… sauf à sous-traiter en Chine. Les jeux des quelques éditeurs qui ont presque toujours produit intégralement en Europe, comme Queen ou Czech Games, ont depuis longtemps des inserts en carton et des pions en bois. Le prix du papier ayant aussi pas mal grimpé, ça risque de se compliquer également pour eux.

C’est plus compliqué pour les jeux destinés au marché américain. Il existe encore en Europe, surtout mais pas seulement à l’Est, des imprimeurs-fabricants qui, s’ils ont des prix un peu plus élevés que les chinois, produisent avec les mêmes technologies et la même qualité. Ce n’est plus vraiment le cas aux États-Unis, où la plupart des imprimeurs spécialisés ne savent guère faire que des jeux de cartes, et n’ont de toute façon pas les capacités nécessaires pour remplacer rapidement la production chinoise de jeux de société. Je me rappelle certes que les premières boites de Citadelles étaient produites au Canada, un coin où il y a du bois et où l’on devrait donc pouvoir faire du carton et du papier, mais c’était il y a bien longtemps et la qualité laissait un peu à désirer. Aujourd’hui, les éditeurs qui, parce que l’idée est à la mode, cherchent à rapatrier leur production aux États-Unis se plaignent tous de ne pas trouver de fabricant de qualité à des prix abordables.

Du coup, quitte à produire en Europe pour le marché européen, autant le faire aussi pour les États-Unis, ou  quitte à produire en Chine pour les États-Unis, autant continuer à le faire pour l’Europe, et l’on ne diminue alors guère le transport. 
Il semble néanmoins, et c’est une bonne nouvelle, que du fait des évolutions technologiques, les économies d’échelle sur les gros tirages tendent à diminuer, ce qui pourrait assez rapidement favoriser une production décentralisée en petites séries. On n’en est pas encore à « chacun fait tout chez lui avec son imprimante 3D », mais cela finira peut-être par arriver.

Je n’ai parlé ici que des marchés européen et américain. Le petit monde des joueurs s’est certes mondialisé depuis quelques années, mais l’Europe et l’Amérique du Nord restent les plus gros marchés. Viennent ensuite la Corée et le Japon, de plus en plus la Chine et le reste de l’Asie, mais là, la production chinoise est aussi plus ou moins locale, et le transport n’est donc pas vraiment un problème.

WinGo, China

Peu importe, me dira-t-on, les motivations des éditeurs de jeux, s’ils font réellement des efforts pour économiser sur le transport et le plastique. On peut, on doit sans doute, se réjouir de ces évolutions vers une production écologiquement moins coûteuse, mais la relocalisation économique se double souvent, et c’est un peu le cas dans le jeu de société, d’un repli culturel pas toujours très sympathique.

Si j’ai toujours été favorable à la globalisation économique et culturelle, au mélange des produits, des gens, des idées, des cuisines, des bouquins, des musiques, de tout et de n’importe quoi, c’est parce que je crois, comme Montesquieu, au « doux commerce » – en gros à l’idée que plus on se connait, plus on se mélange, plus on échange, plus on se rend compte que nos différences sont marginales et moins on a de chances de finir par se foutre sur la gueule. Si j’ai toujours cherché à travailler sur mes jeux avec des auteurs et éditeurs du monde entier, c’est certes pour le plaisir de découvrir des gens un peu différents, c’est au moins autant pour vérifier qu’ils ne sont pas si différents – même si j’admets que c’est sans doute un peu plus vrai quand on travaille sur des médias récents comme le jeu de société que sur des plus anciens comme la littérature ou la musique. Lorsqu’a éclaté la crise sanitaire, j’étais d’ailleurs en train d’essayer de me débrouiller pour être invité en Chine et y visiter au moins l’une des usines où sont produits nos jeux, et je regrette que ce projet soit tombé à l’eau.

Nécessité écologique et risques sanitaires obligent, hommes et produits vont donc devoir moins circuler. La relocalisation de la production est un mal nécessaire, qui touchera d’ailleurs d’autres secteurs bien plus fortement que celui du jeu, et dont les grands perdants risquent d’être ceux qui se préparaient à profiter de la prochaine vague de délocalisations – pour le jeu, j’aurais parié sur l’Inde. Nous devrions faire tout ce qui est possible pour que cette relocalisation économique ne s’accompagne pas d’une « relocalisation culturelle ». Entre Zemmour et le Covid, c’est plutôt mal parti.

Le discours sur le « made in France » ici, tout comme celui sur le « made in USA » outre Atlantique et sans doute ses équivalents ailleurs, est en effet très ambigu, mêlant louables préoccupations écologiques et réflexes réactionnaires, voire identitaires. J’ai récemment été contacté par plusieurs éditeurs qui se vantaient de pouvoir produire leur jeu intégralement en France ; à les écouter, à voir les logos « made in France » à base de petits drapeaux, ce qui aurait dû me réjouir me mettait parfois un peu mal à l’aise. Quand les journaux locaux parlent de jeux « bien de chez nous », ils mélangent d’ailleurs sans complexes les produits fabriqués dans le coin et ceux dont l’auteur habite dans le coin, deux démarches pourtant bien différentes. J’ai même vu passer sur Facebook un article sur les jeux bretons – la France, c’est déjà petit, ridicule et, j’espère, obsolète – alors la Bretagne…

Si la tendance au retour de la production en Europe se confirme, je me réjouirai que mes jeux aient de moins en moins à faire le tour du monde pour parvenir aux joueurs, mais peu m’importe qu’il soient fabriqués en France, en Belgique ou en Tchéquie. De même, je veux bien que l’on écrive, discrètement, « made in France » au dos de la boîte, mais je préfèrerais sans doute « made in Europe » – et dans les deux cas sans petit drapeau, merci.


For a few months now, game publishers, big and small, are suddenly discovering they have an ecological awareness. One after another, they announce publicly that they will, from now on, use fewer plastic elements in their game, be it miniatures, insert or wrapping, and even plan to bring their production back in Europe. Not so much in the US, we will see why.  

I don’t have the numbers, I’m not even sure they exist, but I don’t doubt that the environmental footprint of a game using more paper and cardboard, probably the components we are best at recycling, and manufactured nearer from the end consumer, will be much lower than that of a miniatures game produced on the opposite side of the world, overpacked and overwrapped. The ecological crisis is bound to happen, but it doesn’t mean we should not do what we can to lessen the damage and I am therefore happy with this move. I prefer when my publishers produce their games in Germany, Poland or Czech than in China, but I would like nevertheless to pinpoint the hypocrisies, ambiguities and limits of their usual discourse on this topic.  

While many probably feel relieved in helping, even marginally, to decarbonize the economy, the main motive for the relocations they are implementing, or only considering, has little to do with ecology. It is all about another shade of green.

For more or less twenty years now, most publishers manufacture some or all of their games in China. They do it because it is cheaper, mostly due to lower wages, for the same quality, in part due to the same German machines, and not really more complex now that many Chinese printers have representatives in Europe. 

HS Factory, China.

Recently, however, some publishers had already started moving or relocating some or all of their production, or were considering doing it, for two main reasons.

The first reason is that, in part due to the massive western outsourcing in China, wages and therefore costs are now steadily increasing, reducing slowly but inexorably the profit in outsourcing game production to Panda, Wingo, Longpack or Magicraft. More automatized processes might also lower the share of human work in the global cost but, as you can see on the videos illustrating this post, much work is still done by hand. This means the choice was now between relocating back to Europe or the US, or moving to other exotic destinations such as India or the Philippines. 

The second reason is that competition on the boardgame market is increasing, and is more about products than about price. Publishers must be more and more responsive. It’s not possible anymore to lose Christmas sales because a container was delayed or because you’ve been overtaken on the line by a competitor more fluent in Cantonese. It’s not possible to be out of stock for months because of an unexpected hit. Manufacturing games in Europe, especially for small series, makes fast reactions much easier. It’s even possible to go back and forth between two or more manufacturers – I know that my Mascarade is printed sometimes in China, for the bigger print runs, sometimes in Spain, for short series and restocking. 

These two reasons are already a few years old. A third one was added last year, the harbor congestions and container shipping prices skyrocketing – they’ve increased fivefold between July 2020 and July 2021. They are receding a bit since September, but are still much higher than before the Covid crisis. No one knows when they will fall back to the former standard prices, if they ever do. When delays become unpredictable and prices move wildly up and down, shortening the value and production chains is also a way, especially for small and midsize publishers, to gain back control on their activity.

NSF factory, Netherlands.

The same publishers, proud of their new green awareness, now claim they will use less plastic in their games. This is mostly because European manufacturers have smaller factories, still belong to a very traditional wood – cardboard – paper sector and don’t know anything about miniature production… or outsource it to China. Boardgames by the few publishers who, like Queen or Czech games, almost always entirely print in Europe, have cardboard inserts and wooden pieces. Anyway, the price of paper and cardboard is also going up, so production might become problematic here as well.   

It’s more complex for games aimed at the North American market. There are still in Europe, especially in Eastern Europe, boardgame printers-manufacturers whose prices are slightly higher than Chinese ones but can produce the same stuff with the same quality. It’s not really the case anymore in the United States, where most manufacturers are only used to print standard deck of cards, and anyway don’t have the capacity required to take over the Chinese game production. I remember the first Fantasy Flight copies of Citadels were printed in Canada, a place with enough wood to make cardboard and paper, but it was long ago and the quality was sub par. Publishers who, because the idea is in the air, consider relocating to the US regularly complain that they cannot find a manufacturer with a sufficient quality and realistic prices. 

And, well, if you produce in China for the US, it’s simpler to do it there for Europe as well. And if you produce in Europe for Europe, why not do it there as well for America. In both cases, we’ve not progressed much with reducing shipping. A good thing, however, is that due to more adaptable new technologies, economies of scale on large print runs are now receding, which might in time allow for more localized short print runs. It’s not yet « everyone do everything at home with their 3D printer », but we might be there some day soon.

I talked so far only about boardgames aimed at the European and North-American markets. The small gaming world has grown and been globalized these last years, but Europe and the USA are still the main markets. Of course, there’s Korea and Japan, and there will very soon be China and a few other Asian countries, but for all of these, Chinese production is also more or less local, and transport is not an issue.  

Anyway, never mind the motives of game publishers if they make serious efforts for less shipping and less plastic. Relocation is a move towards a leaner and more ecologically sustainable boardgame production, and it’s a good thing. Unfortunately, this economic relocation often comes together with a far less pleasant cultural withdrawal, and this sometimes happens with boardgames. 

Oriens Karton, Czech.

I’ve always supported economic and cultural globalization, the mixing and meting of products, people, ideas, cooking recipes, books, music, everything. The main reason is that I believe in what Montesquieu, an XVIIIth century French political philosopher, called the « sweet trade ». His theory was basically that the more we know each other, the more we mix, the more we trade, the more we notice that our differences are extremely superficial and the less likely we are to go at war one against the other. If I’ve always tried to work with designers and publishers from all over the world, it is of course for the fun of discovering slightly different people, but it’s even more to make sure they’re not that different. This is even more true with relatively recent cultural medias like boardgames than with older ones like music or literature. When the covid crisis started, I was trying to get invited in China and visit at least one of the factories where my games are produced, and I regret this project fell by the wayside.

Ecological imperatives and sanitary hazards mean that men and stuff will have to travel less. Economic relocation is a necessary evil, and many other sectors will be far more impacted than the boardgame business. The main losers will probably be those who were preparing to benefit from the next wave or outsourcing – for boardgames, may be India. We should do all we can to make sure that economic relocation doesn’t go with cultural relocation. Between the Covid and Eric Zemmour, our French posh version of Donald Trump, we are getting a very bad start here.

The usual talk here about « made in France », about « made in USA » in the US, and probably its counterparts everywhere, is ambiguous. It merges necessary ecological awareness with reactionary, if not nationalist, drawback. I’ve recently been contacted by a few publishers who claimed proudly that they would produce their game entirely in French. Listening to them, seeing « made in France » logos with tiny flags in the wind, what should have made me happy made me feel uneasy. When local newspapers talk of « local » games, they mix those which are produced locally and those whose designers lives nearby, which is a completely different thing. Someone even posted recently on facebook an article about « games from Brittany ». I think that France is already small, a bit ridiculous and hopefully obsolete, so better not discuss Brittany… 

If the trend towards the relocation of game manufacturing in Europe goes on, I will be happy that my games won’t have to travel all around the world to land on the players’ table. I don’t care, however, if they are printed in France, in Belgium or in Czech. I’m OK with a small font  “made in France” or “made in Europe” mention on the back of the box, but in both cases, please, no tiny floating flag.    

In Iran, machines are a bit older, but the process is not different.