Comme la majorité des parisiens, et la quasi-totalité des bobos intellos, j’étais plutôt hostile aux jeux olympiques, dans lesquels je voyais un spectacle coûteux et un peu vulgaire et, surtout, la cause de l’annulation de la quasi totalité des habituels événements culturels estivaux de la capitale – y compris, dans le domaine du jeu, Paris est Ludique. J’en voulais beaucoup à Anne Hidalgo, la compétente et courageuse maire de Paris, de s’être laissée entraîner dans cette galère.
Après coup, même si beaucoup des causes de mes réticences sont toujours là, j’ai un peu changé d’avis. Cela a commencé avec la cérémonie d’ouverture. M’attendant soit à un festival de mièvrerie bien-pensante, soit à des « reconstitutions » historiques lourdingues façon Puy du Fou, je ne l’ai regardée intégralement que quelques jours plus tard, après en avoir vu des extraits intéressants, pour découvrir un spectacle provocant et intelligent, même si, comme l’éternité, c’était un peu long, surtout sur la fin.
J’aurais bien aimé que ce type soit représenté dans notre jeu, mais les illustrations ont été faites avant la cérémonie.
La frontière entre le sport et le jeu de société est extrêmement ténue, et parfois arbitraire Curieusement pourtant, le sport ne m’a jamais vraiment intéressé, ni comme activité, ni comme spectacle. Si certains sports ne sont que de simples et ennuyeuses mesures de performance, où l’on cherche juste à savoir qui court le plus vite ou saute le plus haut, beaucoup, notamment ceux où s’affrontent deux joueurs ou deux équipes, sont structurellement des jeux. Ce qui différencie le sport du jeu de société est bien sûr l’importance de la force physique, mais la tactique, la stratégie, la chance et même le bluff sont loin d’être absents des compétitions sportives. Certaines activités, qui mettent souvent en jeu la dextérité, comme la Pétanque ou même le Mollky, ont un statut ambigu, classés tantôt parmi les sports, tantôt parmi les jeux. Il n’y a pas qu’en français que le même verbe, jouer, est utilisé pour les jeux et pour de nombreux sports, et on parle d’ailleurs des jeux olympiques. Si de nombreux sportifs professionnels sont aussi adeptes des jeux de société, c’est parce que les deux activités répondent à la même angoisse, au même besoin de sortir du réel en se fixant des objectifs totalement arbitraires et dénués de sens.
Une autre différence importante entre sport et jeux de société, et c’est elle qui me gêne un peu, est l’importance donnée à la victoire. Le champion sportif est fêté, peut même recevoir une médaille, devenir célèbre, ce qui rompt le « cercle magique », la séparation stricte d’avec le monde réel qui est au cœur du jeu. Cela peut arriver dans certains jeux, et c’est sans doute la principale raison qui m’a fait renoncer au jeu d’échecs, mais c’est quand même plus rare et moins prégnant. Il y a des tournois de jeux de société mais, dès le lendemain, on a oublié qui a été vainqueur. Il y a des joueurs, des auteurs, des éditeurs de toutes nationalités, mais personne n’y attache trop d’importance. C’est différent dans le sport et, pour les jeux olympiques, j’avais peur que la combinaison de la compétition exacerbée et du spectacle flamboyant amène à une mise en scène un peu obscène des nationalités des athlètes, voire à une sorte d’hystérie nationaliste. C’est viscéral, je n’aime pas les nations.
Ayant pris soin de quitter Paris pendant les jeux, je n’ai donc pas assisté aux épreuves, et ne suis pas allé jusqu’à en regarder à la télévision, mais il me semble que ce piège a été largement évité. Les athlètes vedettes, ceux dont les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux, ne sont pas toujours les vainqueurs mais aussi ceux dont l’attitude a semblé particulièrement sympathique, comme ce tireur turc avec la main dans sa poche. Si j’en crois les amis qui ont assisté à une ou deux épreuves, et quelques images vues ici et là, le nationalisme des supporters était aussi très ludique, personne ne prenant ça au sérieux. Les spectateurs maquillés aux couleurs de leurs drapeaux en deviennent même sympathiques, quand ils montrent, voire crient, que l’idée même de nation ne peut et ne doit pas être prise très au sérieux.
Bref, je ne vais pas me mettre à faire de la boxe ou regarder des matchs de foot, mais c’était finalement un beau spectacle. L’intelligence de la cérémonie d’ouverture a aussi finalement fait passer le fait que tant d’autres spectacles culturels ont été annulés l’été dernier.
Au fait, j’ai conçu, avec mon amie Camille Mathieu, un jeu de cartes et de dés sur les jeux olympiques, ou plutôt Trollympiques. L’action de Trollympics se déroule dans le même univers que celle de notre jeu Trollfest, avec des épreuves de rodeo licorne et de lancer de nain. Nous n’avons pensé que trop tard au crowdsurfing synchronisé. Rien de si extraordianire, en fait – saviez-vous que parmi les disciplines représentées aux vrais jeux olympiques ont figuré, à une date ou une autre, le tir aux pigeons vivants, le toilettage de caniches, le tir à la corde, le plan d’urbanisme et la peinture artistique ?
Trollympics avait été imaginé avant Trollfest, mais nous avions d’abord signé avec un éditeur hollandais qui a cessé son activité, nous rendant les droits sur le jeu. Étant très heureux de l’édition de Trollfest, et notamment des splendides dessins de David Hartman, nous avons récupéré les droits, nous avons tout naturellement contacté Trick or Treat games, et tout est allé assez vite – pas assez cependant pour rattraper le retard dû à l’épisode hollandais et sortir au moment des jeux olympiques.
Comme Trollfest, Trollympics est un jeu « poids moyen », ce que l’on appelle parfois un jeu « familial », même si l’on y joue surtout entre amis. Tout comme Trollfest a parfois été décrit comme « les Aventuriers du rail avec de l’humour et de l’interaction », on pourrait décrire Trollympics comme « Seven Wonders avec de l’humour et une brouette de dés ». Une partie se déroule en deux manches, les jeux d’hiver puis ceux d’été. À chaque manche, les joueurs se constituent en « draftant » une écurie d’athlètes qu’ils vont ensuite assigner aux différentes épreuves, qui ne sont pas toujours exactement celles qui étaient prévues. Bien évidemment, un nain sera plus performant dans l’épreuve de coupe de bois, et un elfe dans celle de patinage artistique. Ajoutez à cela quelques cartes pour embêter ses adversaires, voire tricher un peu et corrompre les jurés, et un système de paris, et cela donne un jeu de cartes et de dés rapide et mouvementé.
C’est après avoir terminé cet article que j’ai réalisé que j’aurais peut-être mieux dû comparer les jeux de Trollympics à ceux de la Grèce antique qu’à ceux d’aujourd’hui. Les jeux des trolls, des nains et des elfes sont en effet sans doute plus proche de ceux des Athéniens et des Thébains – on arrête de se foutre sur la gueule une quinzaine de jours et pour pouvoir se saouler la gueule ensemble au soleil.
Trollympics
Un jeu de Camille Mathieu et Bruno Faidutti
Illustrations de David Hartman
3 à 6 joueurs – 45 minutes
Publié par Trick or Treat Studios (2025)
Boardgamegeek
Like most Parisians, and almost all Parisians intellectual hipsters, I was originally hostile to Olympic games. I considered them an expensive and rather vulgar event and, most of all, the reason why almost all Parisians summer cultural events had been cancelled, including boardgame events such as Paris est Ludique. I was a bit angry against our excellent and courageous mayor, Anne Hidalgo, wondering how she got lured into this mess.
After the event, while some of my reservations are still there, I have nevertheless changed my mind. It started with the opening ceremony. I was expecting either a soppy and cutesy ballet, or a succession of clumsy Disneyish pseudo-historical reconstructions, something at which French parks like the Puy du Fou are very good. As a result, I didn’t bother to watch it at once, and only saw it a few days later after having seen a few strange extracts. It was a clever and thought-provoking spectacle, even if, like eternity, it felt a bit long, especially near the end.
I would have liked to see this guy featured in our game, but the art was made before his appearance in the ceremony.
Surprisingly, while the distinction between sports and games is razor-thin and sometimes arbitrary, I have never been much interested in sport, neither as an activity nor as a spectacle. Indeed, while some sports are just plain and boring contests on who runs the fastest or jumps the highest, many, especially those in which two opponents or two teams are facing each other, have the same structure as boardgames. Of course, what makes them different is the main role of physical strength or ability, but tactics, strategy, luck and even bluff are also part of most matches. Some activities, often based on dexterity like Bocce or Mollky, even have an ambiguous status and depending on the social context are called sometimes games, sometimes sport. In many languages, the same verb – to play in English – can be used for both activities. And, of course, we’re now talking of the Olympic “games”. The reason why so many sportsmen are also avid boardgamers is indeed that both activities give more or less the same answer to the same existential anguish, being an opportunity to leave reality for a while with focusing on arbitrary and meaningless goals.
What has always bothered me with sports, and it’s a difference with boardgames, is the excessive importance of victory. The winner is celebrated, can even win a medal and become a star, which breaks the « magic circle », the strict separation with reality which is at the heart of any game. It can happen with boardgames, and is probably the main reason why I gave up chess, but it’s not as systematic and never as strong. There are boardgames tournaments, but no one ever remembers who won them. There are gamers, game designers, game publishers from different parts of the world, but no one tries to oppose them and find out who is better. I was really afraid that, with Olympic games, the mix between exacerbated competition and public performance could lead to an unhealthy staging of athletes’ nationalities, or even to a kind of nationalist hysteria. I viscerally dislike nations.
This is why I carefully left Paris during the games, didn’t attend any olympic event and didn’t even watch a single one on TV. I might have been wrong, since it seems that the nationalist competitive trap has mostly been avoided. The most celebrated athletes, those whose image I saw on social networks, are not always the winners but also those whose attitude looked nice, like this Turkish hand-in-pocket shooter. If I am to believe my friends who attended a few events, and the pictures I’ve seen here and there, the supporters’ nationalism was very lighthearted and playful. This even makes the spectators with make-up in their national flag colors look nice and clever, showing that the nation idea itself cannot and should not be taken seriously.
I’m not going to start watching boxing or football matches, but I must admit that it was, by all accounts, a nice and healthy show. And the clever opening ceremony made me forget that so many other cultural events had been cancelled last summer.
And, by the way, I’ve designed with my friends Camille Mathieu a card and dice game about the Olympic, or rather the Trollympics, games. Trollympics is set in the same universe as our Trollfest, and has events such as Unicorn Rodeo, Dwarf Tossing, and Standing on the Shoulders of Giants. Unfortunately, it was too late when tought of adding synchronized crowdsurfing, which would have fitted well. Nothing so outstanding – did you know that, at one date or another, Live pigeon shooting, poodle clipping, tug of war, town planning and artistic painting have been olympic sports ?
Trollympics was designed before Troillfest, but we had first signed with Dutch publisher which went out of business before it could publish it. Since we were really happy with the edition of Trollfest, Camille and I then logically contacted Trick or Treat games. Everything went relatively fast, but not fast enough to make for the delay caused the Dutch episode and publish the game in time for the Paris Olympics.
Like Trollfest, Trollympics is a light and casual game, more suited to family and friends than to hardcore boardgamers. Trollfest has sometimes been described as “Fantasy Ticket to Ride with humor and interaction”, Trollympics could similarly be described as “Fantasy Seven Wonders with humor and tons of dice”. A game of Trollympics is made of two successive parts, Winter and Summer games. In both parts, players first draft a hand of athlete cards which are later sent to the various events, which are not always the ones originally scheduled. Of course, a Dwarf is likely to be better at Timber Cutting and an elf at Figure Skating. With a few action cards to meddle with opponents’ plans, or even cheat and corrupt the jury, and even a betting system, it makes for a fun and fast paced card and dice game.
It’s only after having finished this article that I realized I should may be rather have compared the Trollympics to the ancient Olympice games than to the modern ones. The games of trolls, dwarves and elves are indeed probably more similar with those of Anthenians and Thebans – people just stop fighting each other for real for one or two weeks to have fun getting drunk together in the sun.
Trollympics
A game by Camille Mathieu & Bruno Faidutti
Art by David Hartman
3 to 6 players – 45 minutes
Published par Trick or Treat Studios (2025)
Boardgamegeek