Tous Collabos
Collaborators

Bruno shaman

William: “I’m sure we can all pull together, sir.”
Vetinari: “Oh, I do hope not. Pulling together is the aim of despotism and tyranny. Free men pull in all kinds of directions.”
― Terry Pratchett, The Truth

Coopérer ou collaborer

Les jeux de société les plus répandus sont des jeux de compétition. Cette compétition peut être brutale, sous la forme d’un affrontement direct entre les joueurs, où chaque territoire, chaque somme d’argent, chaque carte gagnée par un joueur est prise à un autre. Elle peut être plus douce, et prendre la forme d’une course pour arriver le premier au but ou d’une rivalité pour bâtir la plus belle cité. Le plus souvent, quelque part entre ces deux extrêmes, c’est une concurrence qui n’ignore pas les adversaires mais ne prend pas pour autant la forme d’une guerre ouverte. Et puis il y a les jeux dont la compétition est absente, du moins celle entre les joueurs, les jeux de coopération, dans lesquels les joueurs contribuent ensemble à un objectif commun. C’est de ces jeux de coopération, ou jeux coopératifs, dont je voudrais parler aujourd’hui, en reprenant en partie des idées que j’ai déjà exprimées dans d’autres posts.

Les mots sont importants, et je voudrais commencer par expliquer pourquoi je préfère parler de jeux de coopération et non de jeux de collaboration, expression que l’on rencontre aussi. Parler de collaboration, c’est en effet assimiler le jeu au travail, et donc supposer qu’il a ou devrait avoir une fonction productive ou formatrice, idée dont, en tant qu’auteur de jeu, je me méfie au plus haut point. Si l’on joue pour le simple plaisir, on coopère, on ne collabore pas.

Un peu d’histoire

Le jeu coopératif le plus populaire et le plus vendu est sans doute encore le Verger, publié par Haba au début des années quatre-vingt. Avec sa grosse boire jaune, ses jolis paniers, ses fruits en bois et son méchant corbeau, le Verger est annoncé à partir de trois ans, et perd tout intérêt vers cinq ou six. Je connais mal l’univers des jeux pour enfants, mais j’imagine que ce ne fut pas le premier de sa catégorie. Il y a aujourd’hui des dizaines d’autres jeux coopératifs destinés aux enfants, jeunes ou moins jeunes, chez Haba, Djeco et les autres. Aux États-Unis, un éditeur comme Family Pastimes s’en est fait une spécialité.
VergerVerger
Des jeux gentils pour les gentilles têtes blondes

Les jeux de rôles sur table, dans lesquels les joueurs constituent une équipe solidaire et le maître de jeu est un animateur et non un adversaire, étaient déjà un peu des jeux coopératifs. Cela montre d’ailleurs que solidarité et coopération ne sont pas incompatibles avec des thèmes parfois violents, nous y reviendrons.
Si l’on se limite aux jeux de société plus classiques, dans une boite, avec des cartes et des pions, le premier jeu coopératif moderne à avoir rencontré un certain succès est le Seigneur des Anneaux, de Reiner Knizia, paru en 2000. Si ce fut un hit en son temps, il a été un peu oublié depuis, sans doute parce qu’il était le premier d’un genre qui s’est beaucoup développé, et qu’il apparaît aujourd’hui, même avec ses multiples extensions, un peu rustique. On remarquera que Reiner Knizia, sans doute l’auteur de jeux « à l’allemande » le plus prolifique des années quatre-vingt-dix et deux-mille, n’était en rien hostile aux jeux de compétition, dont il a publié plusieurs centaines.

Lord of the Rings
Là où tout a commencé

Bien d’autres jeux coopératifs ont suivi, les premiers très inspirés du Seigneur des Anneaux. Matt Leacock, concepteur de L’Île Interdite, Le Desert Interdit, Thunderbirds et, surtout, le populaire Pandemic s’en est fait une spécialité, mais il est seul dans ce cas.

Pandemic  Thunderbirds

Forbidden islandForbidden Desert
Quelques jeux de Matt Leacock

Les auteurs un peu connus ont aujourd’hui le plus souvent un ou deux jeux de coopération à leur actif, comme un genre mineur, un peu difficile, auquel il faut bien s’essayer un jour. Aucun auteur que je connaisse n’a renoncé aux bons vieux jeux d’affrontement, de course ou d’embrouilles. En ce qui me concerne, la principale raison pour laquelle je n’ai pas poursuivi dans cette voie après l’expérience de Red November en 2008 est que je m’intéresse de plus en plus aux jeux de bluff, et qu’il est bien difficile d’introduire du bluff dans un jeu purement coopératif. Ça marche mieux avec mon autre centre d’intérêt, la prise de risque.

Red November Cover
Moi aussi

Lors de la sortie du Seigneur des Anneaux, je m’étais demandé si une nouvelle famille de jeux pour adultes, un nouveau genre était en train d’apparaître. La réponse est clairement oui, mais il a fallu plus de temps que je n’imaginais pour qu’elle s’impose réellement. Ces deux ou trois dernières années, avec Hanabi, Pandemic puis Pandemic Legacy (auquel je n’ai pas encore joué), Mysterium, Zombicide ou  les Poilus, les jeux de société coopératifs se sont même installés en tête des ventes. Je m’en réjouis et suis d’ailleurs un grand fan de Mysterium, que je préférais pourtant dans la version « purement coopérative » des règles originales que dans celle vaguement compétitive de l’édition occidentale.

HanabiMysterium
Primés et en tête des ventes.

Politiquement correct

Le jeu de coopération est aussi la dernière lubie politiquement correcte des bobos intellos écolos de l’est parisien et d’ailleurs, et cela m’énerve. Cela m’énerve d’autant plus que c’est un milieu qui m’est assez sympathique, ne serait-ce que parce que j’y appartiens plus ou moins. J’habite d’ailleurs à Belleville.

Il y a d’abord des motifs politiques sur lesquels je voudrais m’attarder car ils me semblent découler assez largement d’une erreur d’analyse économique, et au delà d’une incompréhension de ce qu’est un jeu. L’idée, en gros, serait que le vilain capitalisme mondial est le monde de la compétition sauvage, représenté par les jeux de compétition traditionnels, auquel nous devrions opposer le monde de la solidarité positive pour bâtir un avenir meilleur et un développement durable, illustré par les jeux coopératifs.
L’analyse du capitalisme contemporain comme un univers de pure compétition à tous les niveaux est largement, et parfois délibérément, trompeuse. Certes, le capitalisme met les entreprises (et les travailleurs) en concurrence. Mais le capitalisme moderne n’est pas seulement l’univers de la concurrence, c’est au moins autant celui de la connivence – des arrangements, de la combinazione diraient nos amis italiens, pas toujours non-violents. D’ailleurs, les grandes entreprises qui emploient le jeu lors de leurs formations internes utilisent essentiellement les jeux coopératifs, pour encourager le “travail d’équipe” très productif, les “synergies”, voire des foutaises comme la « culture d’entreprise », et je ne pense pas qu’elles nourriraient si volontiers un serpent en leur sein.

Par ailleurs, si je suis bien d’accord pour dire que l’on ne bâtira sans doute pas un monde meilleur à coups de fusils d’assaut et d’épées à deux mains, cela ne signifie pas que nous vivions d’ores et déjà chez les bisounours. Pour changer le monde, et le rendre plus gentil, il faut parfois se révolter, se battre, argumenter, convaincre, ruser, voire tricher. Faire du jeu de compétition la métaphore de la guerre et de la concurrence sauvage, et du jeu de coopération celle de la paix dans le monde et du développement durable, est donc une sympathique mais monumentale erreur d’analyse.

Certes, me répondront les gentils idéalistes, mais à défaut d’une pertinence politique, les jeux de coopération ont au moins une supériorité morale. Lorsque tout le monde gagne (ou perd) contre le vilain corbeau noir, l’œil de Sauron ou les terribles Cylons, nul ne se sent personnellement humilié. Je leur rappellerai donc que, sauf cas pathologiques, le perdant d’un jeu de compétition n’a aucune raison de se sentir humilié, ni le vainqueur de se sentir fier puisque, par définition, un jeu n’est qu’un jeu. Dans un jeu classique, si l’on cherche toujours à gagner, on se moque bien au fond, ensuite, de savoir qui a gagné.

Les ennuyeux partisans de l’usage pédagogique du jeu, ceux qui pensent donc que le jeu apporte des valeurs, sont fort logiquement aussi ceux qui pensent qu’il devrait apporter les bonnes valeurs. Les jeux de compétition encourageraient le chacun pour soi, faisant des petits pauvres de futurs délinquants et des petits riches de futurs capitalistes sans pitié. Les jeux de coopération, à l’inverse, formeraient à la discussion, au débat, à l’écoute, à l’ouverture sur l’autre. Ce discours naïf n’est pas bien différent de celui de ceux qui, inversant causes et conséquences, s’imaginent pouvoir lutter contre la violence sociale en confisquant aux enfants leurs pistolets à eau et leurs épées en plastique et en interdisant les jeux vidéos un peu violents. Je suis toujours étonné que ceux qui avancent ce type d’arguments ne proposent pas également que l’on interdise la lecture de Dostoievski, qui fait de nos enfants des débauchés et/ou des terroristes, ou celle de Shakespeare qui en fait de sinistres psychopathes violents et/ou suicidaires. Il faut croire que la littérature, c’est de la culture avec un grand K, sacrée et intouchable, tandis que le jeu, c’est juste bon pour les gamins et les imbéciles que les gens intelligents comme nous auraient le noble devoir de former.

Coopérer chacun pour soi

Supposons pourtant, même si je pense que cela n’est pas et ne doit pas être le cas, que le jeu forme à des valeurs ou des approches de la vie en société. Dans les jeux de coopération, il n’y a ni vainqueur, ni vaincu, mais il y a souvent un « alpha-player », un leader, un guide (j’arrête les traductions avant d’atteindre le point Godwin). Les vrais jeux de coopération, et notamment ceux destinés aux plus jeunes comme Le Verger, sont en fait souvent des jeux pour un seul joueur avec une stratégie optimale. Parfois, des joueurs d’âge, d’intérêt et de capacités équivalents vont débattre pour s’adapter aux circonstances et découvrir cette stratégie optimale mais, le plus souvent, l’un d’entre eux, le plus âgé, le plus malin ou la plus grande gueule, va prendre le dessus, expliquer ce qu’il faut faire, pourquoi il vaut mieux que le corbeau mange des prunes s’il reste plus de prunes, et l’initiation à la collaboration devient alors entrainement au leadership et à la soumission. Soyons sérieux cependant. Le seul vrai problème, c’est que si seul le leader prend du plaisir à jouer, le jeu ne fonctionne pas. Un jeu n’a en effet pas pour fonction de former à quelque valeur que ce soit, on l’a déjà dit, mais de procurer du plaisir aux joueurs.

big book of madnessPandemic

Lord of the RingsGhost Stories
Quelques jeux pouvant être affectés par un problème d’alpha-player. Bien sûr, cela dépend des joueurs.

Des auteurs malins ont donc tenté de contourner ce problème d’ « alpha-player ». Pour les plus jeunes, des jeux de construction ou d’adresse – je pense par exemple à Burgritter – obligent les joueurs à effectuer des actions à plusieurs.

Burgritterburgritter
Coopération “réelle”

Dans les jeux pour adultes, l’introduction d’un possible traître, comme dans les Chevaliers de la Table Ronde ou Battlestar Galactica crée la suspicion et empêche la franche discussion collective. Cela donne à ces jeux une dimension psychologique très intéressante, mais je ne suis pas certain que la délation et la chasse au mouton noir soient précisément ce que les pédagogues vantant les jeux de coopération cherchent à encourager. Cela n’empêche pas toutes les colonies de vacances de jouer aux Loups Garous de Thiercelieux, et c’est tant mieux car c’est un bon jeu.

shadows over camelot Battlestar Galactica
Il y a un traitre parmi nous.

Mon jeu Terra illustre ce que les économistes appellent coopetition. Chaque joueur tente d’être le passager clandestin, celui qui aura le moins contribué à l’incontournable objectif commun – rien de moins, dans Terra, que sauver la planète. Dans Dead of Winter, les joueurs ont certes un but commun, survivre face à des hordes de zombies (je reviendrai sur les zombies) mais chacun doit aussi atteindre un objectif personnel et secret pour compter au nombre des vainqueurs.

Terra coverDead of Winter
Coopétition

On peut aussi, et c’était le choix de Reiner Knizia dans The Lord of the Rings, poussé plus loin encore par Antoine Bauza dans Hanabi, restreindre la communication entre les joueurs – mais là, c’est le débat collaboratif qui en prend un coup. La solution la plus élégante est celle de Mysterium, où un joueur, le fantôme qui connaît la clef de l’énigme, ne peut communiquer avec les autres que grâce à des cartes aux motifs oniriques, créant un langage limité, subjectif et poétique.

Mysterium
Les rêves du fantôme de Mysterium

Restent les jeux par équipe – un genre que j’aime assez pratiquer mais avec lequel je suis suffisamment mal à l’aise pour ne m’y être jamais vraiment essayé comme auteur. Dans un jeu par équipe – et c’est notamment vrai dans le sport – il y a à la fois de la collaboration, entre partenaires, et de la compétition, avec les autres. C’est sans doute pour cela que les sports d’équipe sont si fréquemment utilisés et mis en scène à l’école, mais eux aussi produisent des leaders et, surtout, créent un univers de jeu divisé en deux camps. Pas du tout politiquement correct, ça !
Sans doute faut-il accepter une bonne fois pour toutes que l’on s’en moque, qu’un jeu n’est fait et ne peut être fait ni pour enseigner la compétition, ni pour apprendre la collaboration, mais simplement pour divertir les joueurs, et que l’on peut se divertir très innocemment l’un contre l’autre ou l’un avec l’autre tant que, justement, on ne pense pas être là pour apprendre quoi que ce soit.

Eux, les autres

Même si quelques uns tiennent un discours plus équilibré, comme par exemple sur le site de l’association Envies Enjeux, qui organise un espace dédié aux jeux coopératifs au prochain festival des jeux de Cannes, cette tendance au politiquement correct est très prégnante chez les pédagogues et associatifs de tous poils. Elle l’est un peu moins chez les joueurs de jeux coopératifs, et moins encore chez les auteurs.

Shadows of Brimstone

Certains auteurs, pour se dédouaner par avance de tout soupçon d’hypocrisie, ou juste parce que ça les amuse, prennent même un malin plaisir à imaginer des jeux de coopération aux thèmes douteux ou violents. On peut citer un dungeon-crawler plein d’horreurs innommables comme Shadows of Brimstone, ou un petit jeu comme mon Novembre Rouge – dont le thème original était le naufrage du Kursk et dans lequel la vodka peut aider à résoudre tous les problèmes. À l’inverse, mon seul jeu un peu politique, Terra, est délibérément ambigu, à la fois coopératif et férocement compétitif. Aucun auteur, à ma connaissance, n’est cependant allé jusqu’à imaginer un jeu coopératif où les joueurs sont les méchants, inquisiteurs, nazis ou terroristes par exemple.

Defenders of the Realm
Dans les jeux de guerre coopératifs, on n’attaque pas, on se défend – mais j’ignore si l’ironie est volontaire.

Les zombies, cependant, sont partout. Le zombie est une métaphore, plus ou moins ironique, du pauvre, du lumpenproletariat, de l’étranger – on pourrait ajouter aujourd’hui le réfugié – menaçant ce havre de paix de la classe moyenne américaine qu’est le centre commercial. Le zombie n’est même pas un individu, il est une horde, une masse grouillante et indifférenciée. C’est pourquoi, alors que l’on peut jouer des loups garous ou des vampires, on ne peut jouer que tous ensemble contre les zombies. Les jeux de zombies,  Zombicide, Dead of Winter, Zombie 15, sont donc le plus souvent coopératifs mais toujours violents et sanguinaires. Il serait intéressant de savoir, quels sont, parmi leurs auteurs, ceux qui voulaient créer un jeu de zombie et en sont venus plus ou moins logiquement à des mécanismes coopératifs, et ceux qui souhaitaient concevoir un jeu de coopération et ont cherché un thème qui soit cohérent mais pas trop naïf et gentillet.

zombicide Zombie 15

Gentils et poilus

On peut néanmoins être très politique, et politiquement très correct, sans donner pour autant dans la mièvrerie. Et aux jeux qui suivent, j’ai joué ou je jouerai sans doute avec un très grand plaisir.

Dans Pandémie, les joueurs sont des scientifiques, dont les blouses blanches cachent toutes les couleurs possibles, qui collaborent pour contenir puis éradiquer des virus mortels menaçant la population mondiale. Le jeu se joue quand même sur une carte du monde, qui n’est pas sans rappeler le Risk et tous ses cousins, et son déroulement est un peu une guerre, une succession de batailles perdues et gagnées contre bacilles et virus.

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Les Poilus, c’est l’inverse. Le thème, c’est la guerre, mais la guerre vue d’en bas. Les joueurs ne sont pas des chefs d’état major manipulant des troupes anonymes, ce sont Anselme Perrin ou Charles Saulière, des fantassins au fond des tranchées, dont le seul but est de s’en sortir vivant, tous ensemble. Les Poilus sont plus qu’un jeu coopératif, ils sont le premier jeu de guerre antimilitariste, un jeu triste et émouvant.

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Freedom, the Underground Railway, un autre exemple de jeu politiquement correct dont le thème est tout sauf mièvre.

La référence à Robinson Crusoe, qui est plusieurs dans le jeu, permet d’insiter plus sur la dimension romanesque, sur le récit, que sur l’organisation d’un petit monde. Dans Kréo, à paraître bientôt, dans la même gamme que les Poilus, les joueurs collaborent très pacifiquement pour créer un monde de paix, d’harmonie,, tout ça. On nous dit bien qu’ils sont les titans révoltés contre papa Chronos, donc pas des vrais gentils quand même, mais ça aurait pu se sentir un peu plus dans le jeu.

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Construire son monde

Pas plus qu’un roman, un jeu ne doit avoir nécessairement une signification politique et un thème socialement positif. Tout comme un roman, il peut les avoir, mais à condition de ne pas sombrer dans la mièvrerie et le didactisme. En trente ans dans le petit monde du jeu, j’ai vu passer des dizaines de jeux coopératifs, souvent ambitieux et parfois bien conçus, censés promouvoir la construction d’un monde meilleur grâce à la paix, à la diversité, au tri des déchets et au développement durable. S’ils ont tous été vite oubliés, c’est qu’ils étaient aussi passionnants que des romans sur la construction d’un monde meilleur grâce à la paix, à la diversité, au tri des déchets et au développement durable. Pandémie et les Poilus ont quand même plus de gueule.

Tous contre tous ou chacun pour soi

Entre les jeux agressifs et les jeux coopératifs, il y a une place pour les jeux de rivalité pacifique, dont le modèle est les Colons de Catan. Ce n’est pas par hasard que ce jeu a été conçu et initialement publié en Allemagne, où le jeu de guerre est encore un tabou très fort. Commercialement, Catan était d’abord conçu comme un succédané politiquement correct du Risk pour les familles allemandes.
Il faudrait donc distinguer deux types de compétition, selon que chaque joueur joue plus contre les autres ou pour lui-même. Nous aurions alors, par ordre croissant de violence sublimée et par ordre décroissant de gentillesse politique et sociale, les jeux de coopération auxquels on joue tous ensemble, les jeux de concurrence auxquels on joue chacun pour soi, et les jeux d’affrontement auxquels on joue les uns contre les autres, ou, pour le dire autrement, les jeux où les autres joueurs sont des partenaires, ceux où ils sont des concurrents et ceux où ils sont des adversaires.

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Les jeux de rivalité pacifique, jeux de course, jeux de développement dans la lignée des Colons de Catan ou des Aventuriers du Rail, jeux d’Engine building comme Puerto Rico où chacun joue sur son petit plateau individuel, restent très compétitifs, et sont sans doute plus proche des mécanismes du capitalisme contemporain que les jeux de guerre et d’affrontement. Ils ont quand même un aspect non violent qui en fait une étape intermédiaire, logiquement mais aussi chronologiquement, entre les jeux d’affrontement et les jeux de coopération. Leur faiblesse est que plus la rivalité est pacifique, plus l’interaction entre joueurs est faible. Coopération et affrontement sont deux moyens de susciter l’interaction entre les joueurs. Les jeux où l’on ne joue ni les uns contre les autres, ni tous ensemble, mais chacun dans son coin perdent un peu de l’aspect social qui fait la différence entre les jeux de société sur table et les jeux videos. Là encore cependant, il y a des degrés, et tout le charme et l’intérêt de Catan, des Aventuriers du Rail ou d’Ave Cesar viennent des possibilités de bloquer les autres joueurs, ce qui n’est quand même pas très gentil.

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Je me demande si le succès actuel des jeux de compétition sans affrontement direct, où l’on joue chacun dans son coin, et parfois chacun sur son petit plateau, ne provient pas d’une forme atténuée et moins consciente de la même illusion politique que l’on rencontre chez certains thuriféraires du jeu de coopération – l’idée que l’on serait moins méchant, et donc plus cool et plus moderne, si l’on joue à des jeux moins méchants. C’est bien sûr faux, le propre du jeu étant d’être déconnecté du réel, et le seul résultat est souvent que l’on s’amuse moins. C’est vrai des jeux de société comme c’est vrai du sexe.

Deception
Mysterium avec un traitre…

On a tort de vouloir systématiquement opposer jeux de compétition et jeux de collaboration, comme le montre le nombre de plus en plus important de jeux hybrides, à la manière des Loups Garous (ou du génial Deception, Murder in Hong Kong, qui devrait bientôt sortir en français). Les jeux coopératifs apportent de l’air frais au petit monde du jeu de société, mais ils ne rendent pas techniquement, politiquement ou moralement obsolète tout ce qui les a précédés. On leur doit de nouvelles mécaniques, de nouveaux thèmes, déjà quelques chefs d’œuvre comme Le Désert Interdit, Pandémie, Les Poilus et surtout Mysterium,  mais on peut les apprécier et les promouvoir sans jeter l’opprobre sur les délinquants et fachos en puissance qui pratiquent les jeux de compétition.


Bruno grand shaman

William: “I’m sure we can all pull together, sir.”
Vetinari: “Oh, I do hope not. Pulling together is the aim of despotism and tyranny. Free men pull in all kinds of directions.”
― Terry Pratchett, The Truth

Cooperate or collaborate ?

Most boardgames are competitive. Competition can be harsh, a direct confrontation between players, in which every territory conquered, every sum of money won, every card acquired is taken from another player. It can be soft, a race to be the first past the post or a well-spirited rivalry to build the nicest city, kingdom or whatever. Most times, it is somewhere in between, a competition which takes care of opponents without being an all-out war. Then there are games with no competition, or at least no competition between players. In cooperative games, players fight/work together towards a common goal.

Before considering these cooperative games at some length, building in part from what I’ve already written on this subject a few years ago, I’d like to reject another expression which is sometimes used (at least in France) to describe them, collaborative games. Collaboration is not a way of playing, it’s a way of working. Calling games collaborative suggests that gaming has something in common with work, that it has or can have a productive or formative value, an idea I have always, as a game designer, strongly rejected. If players are not doing anything more than playing, they cooperate, they don’t collaborate.

Short history

The best seller cooperative game in Europe is probably still The Orchard, published by Haba in the early eighties. It has a nice big yellow box, cute baskets, wooden fruits and an evil black crow, the common enemy. The box says it is for kinds aged 3 or more, it doesn’t say it becomes utterly boring at 5 or 6. I know little about the young children games market, but The Orchard was not the first of its kind. Most American kids have played one of the – usually bad – Family Pastimes cooperative boardgames.

VergerVergerCute games for cute kids

Tabletop role-playing-games, in which players stick together and the game master is more a moderator than an enemy, were also kind of cooperative games – and this already shows that solidarity is not incompatible with violence – more about this later.

Let’s stick to more classically looking boardgames, boxed games with cards and pawns. Reiner Knizia’s Lord of the Rings game, published in 2000, is the first noticeable one, a major hit by a major designer. It has been somewhat forgotten since, mostly because while it was the first of its kind, there has been many developments since, and it now feels a bit primitive. But let’s notice already that Reiner Knizia, probably the most prolific game designer in the 1990s and 2000s was definitely not averse to competitive games, of which he has published a few hundreds.

Lord of the Rings
Where it really started

Scores of other cooperative games followed, the first ones heavily inspired by Lord of the Rings. Matt Leacock, designer of games such as Forbidden Island, Forbidden Desert, Thunderbirds and, most of all, the popular Pandemic has become a specialist of the genre, but he is the only one that I know of.

Pandemic  Thunderbirds

Forbidden islandForbidden Desert
Some games by Matt Leacock

Most game designers gave a try at cooperative games, as a minor and relatively difficult genre. No game designer that I know of has resigned good old nasty games of war, race, rivalry and other forms of competition. As for me, the main reason why I didn’t persist after giving it a try in 2008 with Red November is probably that I’m more and more interested in bluffing systems, and I still didn’t find a way to implement bluffing in a pure coop game. It’s much easier, however, with my other favorite theme, risk taking.

Red November Cover
I did it too.

I remember, when the Lord of the Rings boardgame came out, wondering if a brand new genre of boardgames will develop out of this. It did, though it took longer than I was imagining for cooperative games to become really a major part of the gaming world, and of the gaming business. These two or three last years, cooperative games like Hanabi, which won German the Spiel des Jahres, Pandemic and now Pandemic Legacy (which I’ve not played yet), Mysterium and the Grizzled, cooperative games have become best sellers. That’s good news, and I’m a big fan of Mysterium, which I even prefer withnthe original purely cooperative rules than with the slightly competitive ones of the western editions.

HanabiMysterium
Awards and best sellers.

Political correctness

Cooperative gaming is the last politically correct craze of green liberal leftist hipsters from the east of Paris, and from some other places. This angers me, especially since I usually like these people, and Belleville, where I live, in the eastern part of Paris.

There are political reasons which deserve some serious deconstruction, because they are based on a faulty economic analysis and a misunderstanding of what a game really is and stands for. Broadly speaking, the idea is that the evil global capitalism is a world of unfettered competition represented and promoted in traditional competition games, and that we ought to oppose to it the world of inclusive solidarity to build a better tomorrow through sustainable development, embedded in cooperative gaming.
The idea that contemporary capitalism is a world of pure and violent competition, as described in Mankiw’s catechism, is a common mistake. Of course, competition between entrepreneurs (and between workers) is the original engine of capitalism. Contemporary capitalism, however, is also a world of cartels, collusion and connivance – combinazione, to use the Italian word, not always associated with non violence. Global corporations also make heavy use of cooperative gaming, though they prefer to call it collaborative, to promote “team spirit” and enforce “corporate culture” and similar bullshit. I don’t think they would nourish a snake in their bosom.

I agree that chainsaws, semi-automatic rifles and two-handed swords are not the best fitted tools to build a better tomorrow, but this doesn’t mean that we’re living in the best possible world. Furthermore, making the world cuter and nicer might require revolt, some fighting, debates, cunning, schemes and may be some cheating. Stating that competitive gaming is a metaphor of war and savage capitalism, and cooperative games a tool for peace in the world and sustainable development is a cute idea but a major error in reasoning.

Nice and well meaning teachers might answer that, if cooperative games may not be politically relevant, they have at least some moral superiority over mean and vulgar competitive ones. Since everyone wins, or sometimes loses, against the dark raven, the evil eye of Sauron or the chilling cylons, no individual loser can feel humiliated, and no individual winner can feel particularly proud of himself. Well, a common characteristic of all games is that they are just games and that winning and losing, while being fundamental when playing, doesn’t matter anymore once the game is over. Feeling otherwise is just perverse.

Logically, those who think games can teach social values are also those who claim they should carry positive values. Old style competitive game teach egoism, every man for himself, making delinquents out of poor kids and ruthless capitalists out of rich ones. On the other hand, cooperative games teach discussion, debate, openness and solidarity. This naive discourse reminds me of these good souls who revert causes and consequences and think we could fight social violence with banning kids water pistols and violent video games. If we follow this reasoning, we should also forbid the reading of Dostojevski, who will turn our kids into debauched and/or terrorists, and that of Shakespeare, who will change them into sad violent and/or suicidal psychopaths. But, of course, literature is part of the true culture, with a big K, while games are just for kids and loonies which clever people like us have to  train.

Lets’s cooperate every man for himself

Even though I think it doesn’t, and ought not to, let’s suppose games teach values and analytical theories about the social world. Cooperative games have no individual winner or loser, but they often have something far more problematic – an alpha-player, a leader, a guide (let’s stop with translations before we reach the Godwin point) who takes all the real decisions for all players. True cooperative games,  and especially those aimed at younger players like the ubiquitous Orchard, are in fact single player games with an optimal strategy. Players of the same age, energy and abilities might collaborate to find this strategy, but most times one will seize the leadership, explain why it’s better to have the raven eat plums when there are mostly plums left, and what was designed as a tool for learning collaboration becomes a tool for learning leadership and submission. But let’s be serious. The only real problem with the alpha-player syndrome is that the one player who takes all the decisions is the only one having fun. The goal of a game is not to teach anything, but to have players enjoy the ride. If only one does, the game fails.

big book of madnessPandemic

Lord of the RingsGhost Stories
Some games which can be affected by the alpha-player syndrome – but of course, it depends on the players..

Of course, clever game designers have found ways to avoid the leadership issue. Some children games, like the building game Burgritter, require gamers to really act as a team when fulfilling some tasks.

Burgritterburgritter
True collaboration

In adult games, the introduction of a possible traitor, like in Shadows over Camelot or Battlestar Galactica, creates strong suspicion and prevents totally open discussion. I think it brings a very interesting psychological dimension to these games, but I’m not sure denunciation and hunt for the black sheep are exactly what leftist and liberal educators promoting cooperative gaming want to teach. Anyway, this doesn’t prevent most summer camps to play werewolf, and that’s for the best because it’s a great game.

shadows over camelot Battlestar Galactica
There’s a traitor among us

Another solution is what economists call coopetition, the need to collaborate to some extent, to avoid collective defeat, while pursuing one’s own goal. My Terra is a coopetitive game, in which every player tries to be the free rider and make the smallest contribution to the common goal – saving the earth, no less. In Dead of Winter, a zombie game – zombies are coming soon – players have a common goal, but each one of them must also fulfill his personal secret objective to be among the winners.

Terra coverDead of Winter
Coopetition

One can also, like Reiner Knizia already did for Lord of the Rings, and Antoine Bauza did much more strictly in Hanabi, limit the communication between players, forcing each one of them to make his own decisions   – so much for collaborative debate. The most elegant solution is probably the one implemented in Mysterium, where one player knows the truth but has to convey it to the other players with handing to them “dream cards” with oneiric paintings, thus creating a limited, subjective and poetic language.

Mysterium
Life of a ghost is but a dream

Team games are a genre of their own. I like playing them, but I’ve never really known how to design them. In a team game – including most sports – there’s both collaboration between partners and competition against the opposing team. That’s probably why sports are so regularly used at school – though I used to hate them as a student. The problem is that they also encourage leadership, and create a game world divided in two sides – not very politically correct either.
So what ? Let’s agree that we don’t really care, that a game is never designed to teach competition or collaboration but just to give the players some fun or excitement, and that it’s perfectly well to play one against the other or one with the other, as long as it’s just a game and nobody thinks he’s here to learn anything.

The others

This politically correct trend is strong among educators, and among the most enthusiast cooperative game players, but it’s weaker among game designers. Many of them, to defuse by advance any suspicion about hypocrisy, or just for fun, deliberately design cooperative games with dark, violent or ambiguous settings.

Shadows of Brimstone

Shadows of Brimstone is a cooperative dungeon crawler full of unspeakable horrors. In my Red November, whose original design was based on the wreck of the Kursk Russian submarine, vodka is a wild card which can help with all kinds of problems. Conversely, my only politically conscious game, Terra, is deliberately ambiguous, both cooperative and fiercely competitive. No game designer that I know of, however, ever imagined a cooperative game in which players impersonate the bad guys, inquisitors, nazis or something like this. Some political correctness is probably necessary.

Defenders of the Realm
Even cooperative wargames are not about attacking but about defending. I don’t know if the irony is intended.

Zombies, however, are everywhere. Zombies are an ironic pop culture metaphor of the lumpenproletariat, the stranger – one could even add the refugee if we want to stick with the news – menacing the very heart of middle-class american life, the mall. The zombie is not even an individual, it’s a swarm, a teeming and undifferentiated flock. That’s why we can play vampires or werewolves, but we always play together against zombies. Zombie games like Zombicide, Dead of Winter, Zombie 15 are almost always cooperative, but they are also bloody violent. Zombies make me a bit uneasy, though I see the irony ; I can imagine the reaction of the most serious sectarians of political correctness, not always good at spotting and understanding it. It would be interesting to know who, among the zombie game designers, started with a zombie theme and logically ended with cooperative systems, and who wanted to design a cooperative game and looked for a consistent but not too soppy and mawkish setting.

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Nice and grizzled

One can nevertheless be perfectly politically correct without indulging into soppiness. I have played, or I would play, to the following games with really great pleasure.

In Pandemic, players are scientists whose white scrubs cover all the possible colors, and who collaborate to contain and then eradicate lethal viruses which could wipe out the human race. The game is played on a world map which looks a bit like Risk and other old style war games, and feels a bit like a succession of battles lost and won against bacilluses and viruses.

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The Grizzled was designed the other way. The setting is war, but war as seen from the bottom, not from the top. The players are not military staff and chiefs maneuvering anonymous troops on a map, they are Charles Saulière or Anselme Perrin, rank and file infantrymen in the French army during WW1. Their only goal is to get out of this together and alive. The Grizzled are more than a cooperative game, they are the first antimilitarist boardgame – or at least the first good one designed by someone with a real gaming culture -, a sad and moving game. Freedom, the underground railway, which I’ve not played, might feel a bit like this for US gamers.

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Freedom, the Underground Railway, is another cooperative game which is highly politically correct and definitely not soppy.

The Robinson Crusoe setting – and Robinson is more than one in the game – allows for a quixotic but also very thematic and enthralling adventure story. In Kréo, soon to be published in the same series as the Grizzled, players collaborate in a very constructive way to build a world of peace, harmony, flowers and cute little birds. Well, the rules say they are titans revolting against their father Chronos, and therefore not really nice guys, but they don’t really insist on it.

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Building one’s world.

A political meaning and a socially positive setting are not required in a good game, no more than in a good novel. It can have them, but only if it doesn’t sink into didacticism and sloppiness. I’ve been in the gaming business for thirty years, and I’ve seen dozens of ambitious games by passionate designers about building a better tomorrow through peace, diversity, waste sorting and sustainable development. They have all been forgotten because they were as exciting as a novel about building a better tomorrow through peace, diversity, waste sorting and sustainable development. Pandemic or The Grizzled are more plucky.

Peaceful competition and multiplayer solitaire

Between aggressive confrontational games and positive cooperative games, there is a vast continuum of games with more or less peaceful or trimmed down competition. Best known is probably Settlers of Catan, which significantly was designed and first published in Germany, where games about war are still a very strong taboo. Commercially speaking, Catan was originally a politically correct substitute for Risk aimed at German families.
This means we should make a distinction between competitive games, depending on whether each player plays mostly against opponents or for himself. We would therefore have three categories, from the coolest to the nastiest one, cooperative games in which all players play together, peaceful competitive games in which each player plays for himself, confrontational games in which players play against one another. To put it otherwise, the other players can be partners, competitors or opponents.

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Peaceful competitive games, be they racing games, development games like Settlers of Catan or Ticket to Ride, engine building games like Puerto Rico in which every player plays on his small board, can be very competitive, and feel probably more like contemporary capitalism than games of outward conflict. Their non violent look and feel makes them an intermediate category, both logically and chronologically, between confrontation and cooperation. Unfortunately, a more peaceful competition also means fewer interaction between players, the extreme being the games sometimes mocked as “multiplayer solitaire”, which lack some of the social aspect which is one of the edges of boardgames over videogames. Cooperation and confrontation are two different means to generate interaction between the players. There are degrees, however, and the charm and efficiency of great games like Settlers of Catan, Ave Caesar or Ticket to Ride comes from the fact that there are more than occasional opportunities to hinder or even block opponents – not that nice, isn’t it. 

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I wonder if the popularity of competitive games with no direct confrontation, in which each player plays for his own sake, and sometimes on his own small board, is not a lighter and less conscious version of the same assumption which is behind the success of cooperative games – the idea that we would be less nasty, and therefore cooler and more modern, if we play less nasty games. It’s wrong for a simple and obvious reason, that the very nature of games is to be disconnected from reality, and the only measurable effect of this trend is that players have less fun playing. It’s true of boardgames, and in a way it’s also true of sex.

Deception
Mysterium with a traitor…

Systematically opposing competitive and cooperative games is an error, as can be seen from the growing number of various hybrid, such as werewolves or Deception – Murder in Hing Kong, a recent favorite of mine. Cooperative games are blowing some fresh air to the small world of boardgaming, but they don’t make instantly obsolete all that was made before. They brought new game systems, new settings, and already several masterworks like Forbidden Desert, Pandemic, The Grizzled and, most of all, Mysterium, but they can be enjoyed and promoted without scorning the prospective fascists and delinquents who still play competitive games. They provide a new and different gaming experience, which is great, not a morally superior one.

Post Scriptum for US readers : while my French and European readers see perfectly well where I’m going with this article, the main reaction by US readers seems to be puzzlement. I don’t feel like in a foreign country when I’m in the US or in Canada, and I used to think that the whole western world was one large cultural area with no real differences, but I discover day after day that the devil is in the details, and differences are much bigger than what I thought. We use to think in Europe that americans are pretty good at the kind of political correctness which ridicules and therefore harms the very cause it is supposed to defend. It seems I’ve hit a point where we, in Europe, are much better, and there’s not in America the kind of cooperative games enthusiasts I’m mocking in this paper. If it means there are fewer pacifist, non violent, green, antiracist, post-hippie, liberal middle class people over there, that’s too bad because we need them and they are overall nice people. If it means your kind are smarter than the European brand and have subtler views on games and cooperation, it’s all the best for you. And by bthe way, here’s a link to a blogpost by an american girl who, I think, expresses the same kind of frustration with leftist culture that I do.

Waka Tanka Tric Trac

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with Juan Rodriguez, Julien Prothière, Didier Jacobée, Fabien Riffaud & Benjamin Treilhou, Sweet November’s team and authors.

La semaine dernière, je suis passé chez Tric Trac avec toute l’équipe (Didier Jacobée et Yann dont j’ai oublié le nom) et les auteurs de Sweet November (Juan Rodriguez et Fabien Riffaud pour les poilus, Julien Prothière pour Kreo) On a tourné des videos de présentation de Kreo, jeu de coopération bien malin, de Aux Ordres, l’extension des Poilus, et bien sûr de Waka Tanka, mon petit jeu de bluff joliment illustré par David Cochard. Voici donc une partie de Waka Tanka avec Didier, Julien et Guillaume de Tric Trac. Le jeu sera présenté en avant-première au festival de Cannes, la semaine prochaine, et arrivera en boutique dans les semaines qui suivront.

Last week, I was at Tric Trac with the whole team and the authors of Sweet November. We shot videos about their three upcoming games, Kreo, a clever cooperative game, Aux Ordres, the expansion for the Grizzled, and of course Waka Tanka, my small bluffing game prettily illustrated by David Cochard. Here is a whole game, in French, with Julien, the author of Kreo, Didier, the head of Sweet November, and Guillaume from Tric Trac. The game will be demoed next week at the Cannes game fair. The French edition will be published in the coming weeks, and the English one later this year.

 

 

Dolorès

Philippe des Pallières et le nouveau Tom racontent sur Tric Trac la longue histoire de Dolorès, mon premier jeu conçu avec Eric M. Lang – il y en aura d’autres. Ça commence à la 18ème minute, mais vous pouvez tout écouter, le reste est tout aussi intéressant.

In this long video – in French – Philippe des Pallières and the new Tom tell about all their projects, and mostly Dolorès, the first game I designed together with Eric M. Lang. There will be more.

Deception – Murder in Hong Kong

Mysterium et Code Names sont les deux grands succès du moment, les jeux dont tout le monde parle, et ce sont aussi des jeux auxquels on joue beaucoup chez moi. Ils sont d’ailleurs basés sur le même principe, un joueur qui doit faire choisir un élément – suspect, arme et lieu du crime dans Msyterium, noms dans Code Names – en donnant peu à peu des indices. Je viens de leur découvrir un cousin moins connu, Deception – Murder in Hong Kong, de Tobey Ho. Deception, c’est comme un mélange de Mysterium, de Code Names et des Loups Garous. Le jeu est très rapide, subtil et très amusant. En plus loufoque, il y a aussi Agent Trouble.

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Mysterium and Code Names are undoubtedly the two big hits of the year, the games every one is talking about, and they are also much played at my home. They are based on the same core idea, one player helping the other to select some cards with progressively giving them clues. I’ve Deception, Murder in Hong Kong, by Tobey Ho. Deception feels like a mix between Mysterium, Code Names and Werewolves. And if you want something more zany, you should also consider Spyfall.

Critiques
Reviews

Shaman 1

Le jeu de société se porte bien. Joueurs, auteurs et éditeurs n’ont jamais été aussi nombreux. S’y ajoute aussi un nouvel “acteur du milieu”, le critique de jeu, signe supplémentaire que le jeu de société est devenu un univers culturel cohérent, à l’instar du roman, du jeu video, de la musique ou du cinéma, avec ses codes, ses styles, et ses chapelles.

J’ai toujours eu un goût un peu pervers pour les critiques littéraires, même celles de livres que je ne lirai jamais. Je lis aussi avec beaucoup de plaisir, et parfois avec attention, les critiques de jeux. Pendant une quinzaine d’années, j’ai même régulièrement rédigé de brèves recensions de mes jeux préférés que je mettais en ligne dans une partie de mon site web baptisée, par référence à Malraux, la ludothèque idéale. C’est à la lumière de ma quadruple expérience, d’auteur de jeu, de joueur, de lecteur et de critique que je voudrais tenter d’analyser les grandes tendances, et les styles principaux, de ce genre littéraire relativement nouveau qu’est la critique ludique.

Même si le texte, parfois dans des magazines mais plus souvent sur des sites webs comme Tric-Trac et Ludovox, reste la forme la plus répandue, un nombre de plus en plus important de critiques de jeux sont présentées sous forme de videos. J’ai même l’impression que cela est proportionnellement plus fréquent pour les jeux de société que pour…. les jeux videos ! Préférant généralement l’écrit à l’image, j’ai résisté quelques temps mais je me suis moi aussi mis, ces derniers temps, à regarder plus souvent des critiques filmées, notamment celles de Tom Vasel, du Game Boy Geek ou de Shut up and Sit Down, et il me semble que les problèmes et les catégories rencontrés y sont, à quelques nuances près, les mêmes que dans les critiques écrites.

Paraphrase

Une première catégorie d’articles, et surtout de videos, se contente d’une description technique du jeu, presque une paraphrase des règles. En format écrit, cela ne présente bien évidemment aucun intérêt, sauf dans les cas très particuliers où les règles sont mal rédigées au point de demander une refonte totale.
En format video, c’est déjà plus intéressant. Face à un jeu complexe, avec une dizaine de pages de règles, il m’est arrivé de regarder d’abord une explication du jeu en video pour m’en faire une idée générale avant d’attaquer la lecture des règles écrites, qui reste toujours incontournable. La question que je me pose ici n’est pas tant celle de l’utilité pour les joueurs que celle de la motivation des auteurs de ces videos, qui ne sont généralement pas payés par les éditeurs. Je suis, par exemple, impressionné par la centaine, ou peut-être plus, de « videorègles » postées sur YouTube par Yahndrev. Cela doit être un travail fastidieux, et je ne vois pas bien le plaisir que l’on peut y prendre.

Description

W. Eric Martin qui s’occupe de la rubrique d’actualité du Boardgame Geek, est un joueur adorable, ouvert, loquace, avec qui j’ai toujours grand plaisir à discuter lors des salons. Longtemps, je me suis donc étonné de l’ennui que j’éprouvais à regarder les videos dans lesquelles il présente certaines nouveautés, jusqu’au jour, ou dans une discussion sur Facebook, il s’est vanté de parvenir à décrire un jeu sans laisser paraître son opinion personnelle, afin que les lecteurs ou spectateurs puissent librement décider si le jeu pouvait ou non leur plaire. Moi, la seule chose qui m’intéresserait, ce serait justement d’avoir son opinion argumentée sur le jeu.
Je trouve sa démarche frustrante et incompréhensible. En se retenant de toute critique, de tout jugement subjectif, Eric et tous ceux qui ont le même but, renoncent à dire ce qu’ils pensent, ce qu’ils ont à dire. Tout comme les paraphrases de règles, cela doit être prodigieusement ennuyeux à réaliser, et il n’est donc pas étonnant que cela soit aussi ennuyeux à lire ou à regarder. Le joueur, en outre, n’apprend guère plus avec ce genre de description qu’en lisant le « blurb » au dos de la boite de jeu.
Je suis encore abonné à Spielbox, le magazine allemand des jeux de société, mais je pense qu’ils se fourvoient en consacrant régulièrement deux pages « neutres » à la description des jeux, et quelques vagues lignes finales, ainsi qu’un tableau de notes non argumenté, donc inutile, à l’opinion des critiques.
Parler d’un jeu de manière froide et impersonnelle, en ignorant le plaisir ou l’ennui que l’on peut y éprouver, c’est passer à côté de l’essentiel, les sensations de jeu, en ne traitant que de l’accessoire, les outils qui sont censés les produire. C’est frustrant aussi bien pour le critique, qui s’interdit de dire ce qu’il pense, que pour le joueur, qui n’apprend pas grand chose du jeu. Imaginez seulement un critique littéraire, ou de cinéma, qui s’interdirait de dire s’il a aimé un film ou un livre – quel plaisir pourriez vous avoir à lire ses critiques ?

Notes

Une catégorie voisine, mais qui est elle plus fréquente dans les textes écrits, va encore plus loin dans la prétention malvenue à l’objectivité. C’est celle des critiques ressemblant à des tests dans une revue automobile, avec force critères plus ou moins pertinents notés sur 10, voire sur 100. J’ai expliqué récemment en quoi le procédé découlait d’une incompréhension de la nature même du jeu, et était donc désobligeant, même pour les jeux auxquels sont attribués les meilleures notes, et je renvoie donc sur ce point à mon article sur tests et critiques. Bien évidemment, notes, schémas, jauges et échelles n’apprennent rien sur le jeu, et le seul intérêt de ces critiques, quand il y en a un, est dans les textes qui les accompagnent, et qui feraient meilleure figure sans notes.
La principale raison qui m’a fait arrêter de mettre à jour ma ludothèque idéale est que je ne trouvais plus le temps nécessaire à suivre une actualité ludique de plus en plus riche. La raison qui m’a fait effacer toute la base de données, que je n’ai pas conservée, est que j’avais peu à peu réalisée que sa structure formelle, encyclopédique et classificatrice était néfaste. Je n’allais pas pourtant pas bien loin, avec juste deux notes, une pour le jeu lui-même et une pour les graphismes et les illustrations, et une échelle de complexité, tout cela de 1 à 5. Je constate avec plaisir que les critiques hyper-formalisées avec notes et tableaux se font de plus en plus rares, preuve que je ne suis pas le seul à faire ce chemin.

Critiques

Et puis il y a les bonnes critiques, celles en tout cas que j’ai plaisir à lire ou à regarder, et qui me laissent le sentiment de n’avoir pas perdu mon temps, d’avoir appris quelque chose. Une bonne critique présente bien sûr le jeu, son univers, ses mécanismes, son matériel, mais elle le fait à travers le regard du critique, pour faire comprendre ce qu’il a apprécié ou non dans le jeu, pour donner ou ôter l’envie de jouer. C’est d’ailleurs aussi sa raison d’être – si vous appréciez un jeu, un livre, un film, vous allez essayer en discutant avec vos amis d’essayer d’y jouer, de le lire, de le voir. Pourquoi devrait-il en être autrement avec des lecteurs ou spectateurs qui ne sont pas vos amis ?

Mon critique de jeu préféré a longtemps été Matt Drake, même s’il n’a jamais, je crois, chronique mes jeux. Il a malheureusement cessé de mettre à jour son site web il y a un peu plus d’un an, mais ses anciens articles sont toujours en ligne. Ses textes sont drôles et remarquablement bien écrits. Les descriptions ne se perdent jamais dans les détails de règle. Ses opinions sont tranchées et bien argumentées. Un très bon exemple, qui est aussi l’occasion de revenir sur un jeu que j’ai aussi beaucoup aimé mais qui est passé largement inaperçu, est sa critique de l’Âge des Dieux, de Croc. J’aime aussi beaucoup les trop rares critiques de Mops sur Tric Trac, mais comme je ne comprends toujours pas bien le fonctionnement de la nouvelle version du site, je ne parviens pas à en trouver une pour mettre un lien ici.

La plupart des critiques sont construites analytiquement, en deux parties, la description précédent l’opinion. Cela semble logique, mais tout est alors question d’équilibre, et trop souvent c’est la description, la partie la moins subjective et donc la moins intéressante, qui a la part belle. Comme beaucoup, les critiques videos de Tom Vasel sont généralement assez longes, une quinzaine de minutes de présentation des règles, de description, suivies de quelques minutes durant lesquelles il exprime, avec toutes les références que permet sa culture ludique encyclopédique, son opinion sur le jeu. Je pense ne pas être le seul à zapper régulièrement toute la première partie des videos pour passer directement à l’analyse, drôle, pertinente et intéressante.
Ce format en deux parties, assez facile, qui était aussi celui de mes critiques dans la ludothèque idéale, n’est pas le seul possible. J’apprécie en particulier la manière dont l’équipe de Shut up and Sit Down, parvient, aussi bien dans les videos – ici la critique de Mascarade – que dans les critiques écrites – ici la très belle critique de Thunderbirds, auquel je n’ai pas joué – à mêler la description, l’analyse et l’opinion – ou les opinions, puisque leurs critiques prennent la forme d’un dialogue soigneusement rédigé entre deux critiques qui ne sont pas toujours d’accord.

J’aimerais donc voir encore plus de critiques courageuses, subjectives, littéraires, franches, drôles, agréables à lire ou à regarder. Il faudrait pour cela, avant tout, qu’elles soient moins techniques, ou qu’elles aient l’élégance de le cacher.


Shaman 2

The boardgaming hobby and business are healthy. There has never been that many gamers, game designers and game publishers. There’s even a new kind of participant, the reviewers, whose existence proves that boardgames are becoming, like video games, music or cinema, a consistent cultural world, with its codes, its styles, its schools of thoughts – what we call in French « chapels », but I’m not sure this metaphor works also in English.

I’ve always had a perverted taste for literary reviews, and I even enjoy reading reviews of books I know I’ll never read. Similarly, I read boardgame reviews with great pleasure and attention. For fifteen years, I’ve even written short reviews of my favorite boardgames and posted them in a dedicated part of my website, the ideal game library – a reference to André Malraux’s ideal museum. In the light of my quadruple experience, as a game designer, a gamer, an avid reader of reviews and a reviewer, I’d like to analyse this relatively new literary genre, the boardgames review.

Most boardgames reviews are still written text, in magazines or on websites like the Boardgamegeek, but the proportion of video game reviews is growing fast – I even have the stage impression that this proportion is now higher for boardgames than for…. video games. I usually prefer texts, but these last months I’ve also started to look at Video game reviews like those by Tom Vasel, by the Game Boy Geek or by Shut Up and Sit Down, and I think the categories and the issues are the same for written and for video reviews.

Paraphrase

Some articles, and many videos, are just a technical description of the game flow, almost a paraphrase of the rules. As text, this is obviously pointless, except for the very few games whose rules are so badly written that they need a complete rewrite.
As video, it can have some interest. When I want to play for the first time a complex games with a dozen pages of rules, or more, I sometimes first watch at such a video presentation to have a general idea of how the game works before reading the actual rules for it. But while I see the utility of such video rules for the gamers, I wonder what is the motivation of those who make them, and who are usually not paid by the publishers. It must be something fastidious, not very creative and not very rewarding.

Description

W. Eric Martin is in charge of the news feed of the Boardgamegeek. It’s a really nice guy, fun, open minded, talkative, and I always enjoy meeting him at game fairs. That’s why I’ve always been surprised by how boring his video reviews are, until some day in a Facebook discussion he boasted about the way he could review a game without letting his personal feeling show through, so that gamers could make their own free and independent opinion on whether they will like the game or not. No wonder I don’t like his reviews, since the only interesting thing would be his personal opinion on the games.
I find this frustrating and meaningless. With restraining from giving their own opinion, from telling what they have and want to tell, Eric and all the reviewers who share his approach are emasculating their own works. Like the rules paraphrases, this must be boring to write, and it’s no wonder it’s also boring to read or look at. Such descriptive reviews usually don’t give more useful information than the blurb at the back of the box.
I still receive Spielbox, the major German boardgames magazine, but I don’t like its game reviews. They are usually made of two pages of rules description or « neutral » analysis, and the only two or three lines in which the reviewer can give his personal opinion. Other reviewers opinions are totally useless, since they are only marks, without any justification. Reviewing a game in a cold and impersonal way, ignoring the pleasure, fun, anger or boredom one felt while playing, it’s focusing on the subsidiary and ignoring the crux of the matter, the feel of the game. It’s frustrating both for the reviewer, who doesn’t give his opinion, and for the reader who doesn’t learn anything useful. Can you imagine a book or movie critic restraining himself from telling what he thinks of a novel or movie ? Where would be the point in reading his reviews ? It’s not different with games.

Marks

A similar genre, mostly in written reviews, is even more unpleasant in its pretense to objectivity. These are game reviews that look and read like a car review in a car magazine, with rankings from 1 to 10, or even to 100, on a dozen naive and esoteric criteria. I already explained in a former blogpost that these so-called reviews were based on a complete misunderstanding of what a game really is, and were disparaging even for the games that got the best rankings. Of course, marks, gauges and scales dont give any true information about a game, and only interest in these reviews is in the accompanying text – but most of them would be better with just the text.
The main reason why I stopped updating my ideal game library was that I could not keep up with the growing number of new games published, and wanted some free time. The main reason why I deleted it, and didn’t even keep a copy of the database, was that I had slowly realized that its formal, classified and encyclopedic structure was plain wrong, even with a modest use of marks – one subjective note on the game itself, one on the graphics and components, and a complexity scale, all from 1 to 5. I feel relieved to see that I’m not the only one moving this way, and there are fewer and fewer formalized reviews with ranks, marks and tables.

Reviews

And then, there are the good reviews. I enjoy reading or watching them, and I learn something doing it. Of course, a good review explain the basics of the game, its setting, its mechanisms, its components, its art, but it does it through the eyes of the reviewer, to make clear what he liked or not in the game, and therefore why the reader might like it or not. This is the only point of a game review. When ones likes a game, a book or a movie, one wants to share one’s enthusiasm with one’s friends. Why should it be different with gamers who are not one’s friends, who are just readers of spectators.

Matt Drake has long been my game reviewer of choice, even when I don’t think he ever reviewed one of my games. He gave up writing game reviews for his website one year ago, but his old blogposts are still online. His texts are  elegantly written and fun to read. His descriptions are clear and don’t go into unnecessary technical rules details. His opinions are clearly stated and explained, and one always know why he likes or dislikes a game. A very good example of his talent is his review of Croc’s The Age of Gods, a great game which also really enjoyed, but which unfortunately flew under most radars. I also like the French reviews by Docteur Mops on Tric Trac, but I’m so bemused by the new version of this website that I couldn’t find a single one which I could link to.

Most reviews follow a two parts analytical framework, first description, then opinion. This sounds logical, and the only issue I have with it is the balance between the two parts. Too often, the description, the first, least subjective and least interesting part, is also the longest one. Like many other, Tom Vasel video reviews at the Dice Tower are quite long, about fifteen minutes of description and rules explanations, and then two or three minutes during which Tom gives his opinion on the game. He does it with humor, and often with challenging and well thought comparisons with other games. I’m sure I’m not the only one who systematically skips the twelve or fifteen first minutes and goes directly to the point.
This two parts outline is the easiest and most obvious one, and that’s why I always like it when reviewers try a different framework. The Shut and Sit Down team, for example, both in their fun video reviews – here of my Mascarade – and in their written ones – here of Thunderbirds, which I have not played – manages to bring together description, analysis and opinion – or opinions, since their reviews are often written as a dialog between the two reviewers, and they sometimes disagree.

I’d like reviews to be more gutsy, subjective, honest, fun and pleasurable reviews. To do so, they need to be less technical, or clever and subtle enough to hide their technicality.

Règles en “français”
French Rules

Shaman 1

Je me suis fait quelques ennemis, il y a quelques semaines, en pestant contre le vocabulaire inadapté utilisé par certaines revues et sites webs pour parler des jeux de société. Je pense que ce vocabulaire fait obstacle à la reconnaissance sociale, et éventuellement juridique, de la nature culturelle du jeu, et donc du travail de tous ceux qui en vivent, à commencer par les auteurs.
Je vais m’en faire d’autres aujourd’hui en pestant, cette fois, contre quelques éditeurs dont le comportement pose très exactement les mêmes problèmes.

Les éditeurs nous ont énormément aidés, notamment en prenant peu à peu, et de très bonne grace, l’habitude de mettre nos noms sur les boites de jeu, à la manière de ce qui se fait pour les romans. Nous ne les en remercierons jamais assez, car rien n’a sans doute autant contribué au début de reconnaissance de notre métier. Cela impliquait pour eux de sacrifier, au moins en partie, l’idée que l’identité d’un jeu était d’abord celle de son éditeur, comme c’était encore souvent le cas dans les années soixante-dix et quatre-vingt, et de renforcer un peu la position des auteurs indépendants. Les éditeurs aussi, cependant, avaient et ont encore tout à gagner à ce que le jeu soit reconnu comme ce qu’il est, un univers culturel au même titre que la littérature ou le cinéma, tout en styles et en références.

Il est pourtant un autre domaine où, peut-être parce que cela demande un peu plus de travail et d’attention, j’ai l’impression que la situation tend plutôt à se dégrader, c’est celui de la rédaction des règles. Je ne parle pas ici de la précision technique, de l’exactitude, qui est essentielle mais qui aujourd’hui, à quelques rares exceptions près, ne pose plus vraiment de problèmes. Je parle du style, de la fluidité, du vocabulaire, parfois même simplement de l’orthographe et de la grammaire. Comment peut-on espérer faire accepter le caractère culturel du jeu, ou même simplement faire partager notre passion à ceux qui n’en connaissent rien, lorsque les règles sont écrites dans un style ampoulé et verbeux, ou sont traduites mot à mot de l’anglais ou de l’allemand.

Aujourd’hui, il est certains éditeurs – enfin, un surtout, pourtant francophone et épris de sagesse – dont j’essaie de me procurer les jeux en version anglaise plutôt que française, quitte à payer une dizaine d’euros de plus. Je crains en effet de ne pas oser sortir la boite en « français » devant mes amis, car je risquerais de leur donner l’impression que le monde du jeu est un univers de marchands de savon incultes n’ayant qu’une très vague idée de la syntaxe et de la grammaire française. C’est aussi vrai de certains sites webs, mais ils sont de moins en moins nombreux et fréquentés surtout par les passionnés. Je remarque d’ailleurs que celui auquel je faisais régulièrement ce genre de reproche – Tric Trac – a fait d’énormes progrès.

Il y a une dizaine d’années, nous nous moquions fréquemment des traductions incompréhensibles des jeux de Queen Games, mais pour en avoir vu quelques uns récemment, je constate qu’ils ont fait d’énormes progrès – j’ignore s’ils sont liés au rapprochement avec Asmodée. D’autres éditeurs plus ou moins lointains continuent à nous livrer des traductions assez exotiques, mais ce n’est pas le plus choquant. Les règles écrites en français fautif ou maladroit peuvent aisément être pardonnées aux éditeurs étrangers, on peut même en sourire. Chez des éditeurs français (ou francophones), cela m’enrage car cela montre un certain mépris des joueurs. C’est aussi un coup de poignard dans le dos des auteurs et de tous ceux qui, quotidiennement, défendent la nature culturelle de notre loisir.

Si nous voulons que notre passion soit respectée, nous avons tous, joueurs, éditeurs, illustrateurs, auteurs, intérêt à ce qu’elle soit le plus « présentable » possible. Cela suppose d’utiliser pour en parler le vocabulaire de la culture et non celui du commerce ou de la technique – critique et non test, auteur et non inventeur. Cela suppose aussi de montrer que nous avons un certain respect pour les jeux, en évitant les règles pleines de fautes et les traduction bâclées.

Donc, mesdames et messieurs les éditeurs, un peu de constance et de cohérence ! Vous mettez nos noms sur les boites, et les jeux nous représentent donc un peu. Faire relire un texte, ça ne coûte pas bien cher, et ça ne prend pas beaucoup de temps. Et je vous signale, pour ne reprendre que quelques unes des erreurs les plus fréquentes dans les règles de jeux, que l’on ne peut pas choisir une carte au hasard, que si un jeu est asymétrique les camps ne sont que différents, qu’après que est suivi de l’indicatif, et qu’infinitif, impératif et participe passé ne sont pas librement substituables l’un à l’autre.

Shaman 2

I already made myself a few enemies a few weeks ago with my blogpost protesting against the faulty vocabulary used by some French magazines and websites to discuss boardgames. I explained why the use, for example, of « test » instead of « review » could hinder the social, and possibly legal, acknowledgement of the cultural nature of games, and therefore of the work of all the people in the game business, first and foremost the game designers.   II’ll probably have a few more enemies after this new blogpost in which I protest against the behavior of some publishers, which could have the same effect.
We are all very grateful for the way publishers helped us with gracefully accepting to put the names of the designer on the game boxes, as it is done for books. Nothing could have helped more to the social recognition of our job. It was, at least in the short term, a sacrifice for them, because it meant the identity of a game was not first its publisher, like it has often been so far, and because it strengthened the position of independent game designers. Publishers knew, however, that in the long run, they had some interest in having games recognized as cultural items, like books and movies.

(The following reproaches are targeted only at French, or French speaking, publishers. I don’t have enough English to judge of the elegance of rules written in this language)

Unfortunately, there’s another issue where publishers are not helping, may be because it requires more actual work and dedication, it is the way rules are written. I’m not speaking of technical accuracy and exactness of the rules, which is now rarely an issue. I’m talking of style, elegance, and sometimes even orthography and grammar. How can we hope to have the cultural nature game socially recognized, or simply to lure more people into our hobby, when rules are heavily and pompously written, or when they are translated word-to-word from English or German.

There are a few French speaking publishers (especially one, who’s supposed to love wisdom) whose games I try to buy in English, even if it costs me a dozen euros more. I’ve had a few bad experiences with « French » editions which I didn’t dare to play with my friends because I didn’t want to give the impression that the board gaming world was made of unread people with only a very vague idea of French grammar and syntax. This is also true of a few websites, but it’s not that important when only hardcore gamers visit them. The website I used to criticize for this few years ago, Tric Trac, has made tremendous progress

Ten years ago, we used to mock the meaningless rules translation of the Queen games. I’ve bought a few ones recently, and they too have made much progress, may be due to the help of Asmodée. Other foreign publishers still give us more or less exotic translations, but it’s not such a big issue. I easily forgive them their heavy or faulty French, and it even makes me smile. Similarly, I hope my English readers also smile at my clumsy English.
It makes me angry when it comes from French or French-speaking publishers, because it’s disdainful of gamers. It’s also a stab in the back of game designers, and of all those who want a full cultural recognition of our hobby.

If we want our hobby to be considered, we must all – gamers, publishers, illustrators, game designers – make it as presentable, as nice looking as possible. This means that we must talk of it with the cultural vocabulary and not the technical or commercial one, and use, for example, review and not test. This also means that we must show some respect for the games, and try to avoid pompous or clumsy rules and rules translations.

So, dear publishers, please be consistent. Our names are on the boxes, so the games more or less represent us. Proofreading is not very expensive, and doesn’t take much time.

Quelles histoires racontent les jeux ?
What kind of stories do boardgames tell ?

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Ignacy Trzewiczek est un ami et, surtout, un auteur de jeux talentueux. Comme moi, il aime prendre le temps de réfléchir sur ce qu’il fait, c’est à dire sur le jeu. Il livre régulièrement ses réflexions sur son blog, et a publié il y a deux ans un passionnant recueil, Boardgames that Tell Stories, composé pour moitié de ses articles sur le jeu, et pour moitié de textes d’autres personnalités du tout petit monde du jeu de société. Ce fut un succès, et deux ans plus tard arrive un second recueil auquel j’ai participé, avec un article dans lequel je me demande quel genre d’histoire les jeux racontent. Vous y trouverez aussi des articles des auteurs de jeux Mike Fitzgerald, Paul Peterson, Vengelis Bagiartakis, Tony Boydell, Michael Hendricks, Cédrick Chaboussit, Eric Summerer, Ludovic Maublanc, Eric Lang, Mike Elliott and Stephen Buonocore et même de la charmante Merry, la compagne d’Ignacy.

Le livre étant en anglais, je pense que je peux me permettre de publier ici une traduction française de mon texte. Si vous lire tout le reste, il faudra vous procurer le livre en anglais. Pour l’instant, je crois qu’il n’est envoyé qu’aux souscripteurs, mais il finira certainement sur Amazon comme le premier tome.

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Quelles histoires racontent les jeux ?

Donc, les jeux racontent des histoires. La phrase est d’Ignacy, mais l’idée n’est pas neuve. Je la défends, en paroles et en actes, depuis que je fais ce métier. Je répète souvent que je me sens comme un romancier paresseux, très paresseux, qui concevrait la structure de son récit, le squelette, et s’arrêterait au moment où la tache réellement difficile, le véritable travail, l’écriture, aurait dû commencer. Les jeux de société racontent donc toujours des histoires, mais ils ne le font pas tout à fait de la même manière que les livres, les films ou même les jeux de rôles. ils ne racontent aussi pas les mêmes histoires et, d’une certaine manière, racontent toujours deux histoires, que l’on pourrait appeler celle du jeu et celle des joueurs.

Un jeu n’a nul besoin de zombies, d’astronautes ou de sous-mariniers gnomes et soviétiques pour raconter une histoire. Même les jeux les plus abstraits, les plus apparemment techniques, y parviennent très bien. Une partie d’échecs ne se situe dans aucun univers particulier; ce n’est pas vraiment une représentation de la guerre (et l’idée que ce puisse en être une est assez récente) mais c’est une histoire avec un début et une fin, du suspense, des retournements de situation, une histoire qui peut ensuite être racontée avec autant d’inflexions dramatiques qu’un roman. Bien sûr, c’est encore plus vrai d’une partie de Zombicide.

Il y a cependant une différence importante entre les jeux et les films ou les romans. Le jeu lui-même n’est pas l’histoire, il est un générateur d’histoires. L’auteur n’a pas écrit un récit complet, il a conçu une sorte de machine permettant aux joueurs de créer leur propre histoire. L’auteur de jeu est plus proche peut-être de l’auteur de théâtre, ou même du compositeur de musique, dont le morceau ne sera vraiment créé, et sera créé différemment à chaque fois, que lorsqu’il sera joué par les musiciens. C’est là que se situe la paresse de l’auteur de jeu – et peut-être du compositeur.

Théoriquement, jouets et jeux sont des choses complètement différentes. Un jeu a des règles précises, qui doivent être respectées par les joueurs, tandis qu’un jouet n’a pas de règles et peut être utilisé librement. Pourtant, la plupart des gens considèrent spontanément jeux et jouets comme des choses similaires. Les deux mots ont la même origine, le latin jocus – dont le sens n’était pourtant ni jeu, ni jouet, mais plutôt plaisanterie (il a d’ailleurs donné joke en anglais). Le même verbe, jouer, désigne l’utilisation du jeu comme du jouet – et s’emploie aussi pour le jeu théâtral et pour la musique, ce qui pourrait conduire à d’autres développements intéressants. La raison de cette confusion est sans doute que nous sentons intuitivement que, si le jeu s’apparente au livre, il a aussi quelque chose du jouet. Un jeu n’est pas tout à fait un jouet, puisque nous ne pouvons en faire ce que nous voulons, mais il est plus proche du jouet que ne le sont un roman ou un film, car l’histoire qu’il raconte n’est pas toujours exactement la même et dépend en partie des joueurs – comme une représentation théâtrale ou un concert, d’ailleurs.

Le jeu est fait de liberté et de contraintes. Le jeu nous demande de prendre des décisions libres dans un cadre déterminé par des règles précises, ce qui le distingue de la réalité dans laquelle nous prenons des décisions dont nous ne savons pas très bien si elles sont libres dans un cadre auquel nous ne comprenons goutte. Celui qui lit un livre ou regarde un film ne peux pas influer sur le cours de l’histoire. Il peut avoir sa propre interprétation, essayer de deviner ce qu’il va se passer, il peut accélérer ou ralentir sa lecture – et encore, cela n’est pas possible au cinéma -, il peut fermer son livre ou quitter la salle, mais il ne peut changer un mot du texte. Un livre ou un film raconte toujours plus ou moins la même histoire, et ce même si l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Un jeu raconte une nouvelle histoire à chaque partie, même si ces récits ont beaucoup en commun. C’est pourquoi jouer et rejouer encore et encore au même jeu est plus intéressant et plus intelligent que lire et relire sans cesse le même livre. Mais bon, j’avais dit que j’arrêtais de parler de religion.

Les joueurs de jeux video, ou de jeux de rôles, pourraient me reprocher d’ignorer la récente tendance narrativiste. Il est vrai que leurs jeux sont souvent construits comme des romans, avec un scénario très directif dans lequel les actions des joueurs visent plus à leur permettre d’exprimer leurs personnalités qu’à influer sur le récit. Cette tendance s’exprime aussi dans le jeu de société, avec les jeux coopératifs, les jeux de type Legacy, les hybrides de jeux de rôles comme Time Stories – mais même dans ces jeux, les joueurs ont rarement le sentiment que tout est déjà écrit.

Comme les livres et les films, les jeux peuvent être courts ou longs, légers ou lourds, simples ou complexes, sans prétention ou ambitieux. Les genres, et les émotions générées, ne sont cependant pas les mêmes.
Il y a, par exemple, d’innombrables romans d’amour et drames ou comédies romantiques, il n’y a pas de jeu romantique – et l’idée d’en créer un ne m’excite pas particulièrement. L’une des raisons est que le joueur n’incarne pas toujours un personnage, il peut aussi contrôler une ville, une nation, une entreprise, une civilisation extra-terrestre, ou une entité vague et abstraite, les pions rouges ou les pions verts. Une autre raison est sans doute que le fait que les joueurs puissent prendre des décisions et influer sur le déroulement du récit entraîne paradoxalement une relation beaucoup moins empathique avec les personnages, car ils ne se sentent pas emportés par l’histoire, au fil du destin. On croit sans doute moins à une histoire que l’on contrôle, que l’on écrit, et la « suspension temporaire d’incrédulité » (temporary suspension of disbelief) est bien moins forte dans un jeu, quel qu’il soit, que dans un livre ou un film. Cette suspension me semble plus proche de celle que l’on éprouve devant une photo ou un tableau, pour lequel nous devons imaginer, et nous contrôlons donc, le passé et le futur. C’est même vrai des jeux de rôles, où même la mort d’un personnage que l’on joue depuis vingt ans fait verser moins de larmes que celle d’emma Bovary ou d’Anna Karenine. Les jeux peuvent être tendus, crispés, dramatiques même, mais ils ne sont presque jamais tristes. Je ne connais qu’un seul jeu triste, Les Poilus, et c’est ce qui le rend unique – à l’ouest, rien de nouveau.

Pas de romance, pas de tristesse dans les jeux, mais beaucoup de compétition – et ce même dans les jeux dits coopératifs, où l’on affronte toujours un ennemi commun. Les jeux de guerre et de course sont si nombreux car la guerre et la course sont les deux archétypes du conflit social – on se bat l’un contre l’autre où l’on veut parvenir avant lui au but. Il y a bien des films ou des romans de guerre, mais ils ne sont pas si nombreux, et on trouve généralement au cœur du récit non pas la guerre elle-même mais une romance sans espoir ou une histoire d’amitié virile. Il n’y a pas beaucoup de film de course, et je n’ai jamais entendu parler de « roman de course ». Quant à bâtir des cités ou développer des réseaux ferrés, ce ne sont pas non plus des thèmes très excitants pour un roman – à moins d’y ajouter une bonne dose d’amour, de crime, de vengeance ou de critique sociale.

Il y a pourtant un thème qui semble aussi populaire, et traité un peu de la même manière, dans les romans, les films ou les jeux – l’enquête policière. La raison est sans doute à chercher non pas du côté des jeux, mais de celui de la littérature et du cinéma. Le lecteur d’un polar, du moins si le texte est bon et si le lecteur apprécie le genre (ce qui n’est pas mon cas) n’est pas emporté par le récit comme il le serait dans un roman d’amour ou d’aventure. Il enquête, il cherche à comprendre ce qu’il s’est passé, et à en déduire ce qu’il va arriver. Ce n’est pas exactement jouer à un jeu, mais c’en est assez proche.

Les jeux sont très interactifs, les romans et les films ne le sont pas. Pour construire leur histoire, les joueurs doivent chercher la victoire, et raisonner en termes tactiques et stratégiques. Cela laisse peu de place à la subtilité, aux sentiments, à l’empathie. L’histoire peut être complexe et mouvementée, mais l’univers dans lequel elle se déroule doit être entièrement maîtrisé par les joueurs avant même que ne démarre la partie – contrairement à ce qui se passe dans les livres ou films, où l’univers est parfois révélé petit à petit lorsque le récit avance. C’est peut-être pour cela que, en matière de jeu, on appelle un peu improprement « thème » ce qui s’appelle univers dans un film ou un livre – les jeux n’ont bien souvent pas vraiment de thème, au sens où l’on entend ce mot dans d’autres domaines, ou ont tous plus ou moins le même, la compétition. C’est aussi un peu pour cela que l’action des jeux de société se déroule si souvent dans des contextes historiques ou exotiques relativement simplistes, voire caricaturaux, thème que j’ai déjà longuement abordé sur ce site.
Il y a moins de texte et moins de profondeur dans un jeu que dans un film, tout comme il y a le plus souvent moins de texte et moins de profondeur dans un film que dans un livre. En outre, lors d’une partie de jeu, les joueurs consacrent la plus grande partie de leur énergie intellectuelle à essayer d’exploiter au mieux les règles pour parvenir à la victoire. Le « thème » doit les y aider, et doit donc faciliter l’appréhension de ces règles. Il importe assez peu qu’il soit authentique ou profond, mais il faut qu’il soit évident. En littérature ou au cinéma, l’inverse se produit aussi, les événements rythmant le récit étant un outil pour attirer le lecteur dans les profondeurs et la vérité de l’univers décrit. Certes, dans les meilleurs romans, les meilleurs films, les meilleurs jeux, le processus est dialectique.
Celui qui lit un roman ou regarde un film ne consacre guère de temps ni d’énergie à se demander comment lire, comment regarder, et espère que la compréhension, s’il y a des choses à comprendre, viendra d’elle-même. Celui qui joue consacre la plus grande part de son temps et de son énergie à réfléchir à ses coups, à sa tactique, à sa stratégie, ou à essayer de deviner l’adversaire, ce qui laisse peu de temps et de cerveau disponible pour envisager les sous-entendus du jeu, les subtilités de son univers. C’est aussi pour cela que les jeux ne sont jamais très politiques, ou le sont de manière très superficielle et didactique.

Paradoxalement, le fait que l’histoire contée par le jeu ne soit pas entièrement écrite avant que la partie n’ait été jouée ne libère pas, comme on aurait pu le penser, plus de place pour l’imagination des joueurs. Comme je l’ai dit plus haut, le joueur est engagé dans une réflexion stratégique, pas dans une rêverie romantique. Si l’histoire est incomplète, le monde dans lequel elle se déroule est plus cadré, plus limité, plus défini que celui d’un roman ou d’un film. Le lecteur d’un roman essaie toujours plus ou moins de « comprendre » ce qu’il se passe derrière le récit, comment les personnages pensent et agissent, ce qui fait avancer l’histoire. Il y a toujours plus dans un film ou un roman que ce qui est montré ou écrit, parce que le scénariste, le réalisateur ou l’écrivain a une idée précise de ce qui motive chaque personnage. Ces motifs, ces ressorts sont plus faciles à saisir dans certains films et romans que dans d’autres, mais ils ne sont pas révélés comme dans une règle de jeu, où ils sont présentés, noir sur blanc, sous l’intitulé « but du jeu ».

Les règles sont le seul texte du jeu. Elles sont moins qu’un récit ou un essai, mais plus qu’un mode d’emploi. Elles sont ce qui permet aux joueurs de créer l’histoire. Les ressorts cachés dans un film ou un roman sont par nécessité exposés à la vue de tous dans un jeu. Un jeu n’a pas de profondeur cachée, ou s’il en a elle ne peut être que tactique ou stratégique.

Bien sûr, les choix des joueurs sont essentiels, et ajoutent un peu de mystère et d’humanité à l’histoire, du moins s’ils ne jouent pas comme des ordinateurs calculant le meilleur coup possible. Les grands joueurs d’échecs vous diront que chaque bon joueur a son style, ce qui signifie que même dans un jeu entièrement calculatoire, il y a quelque chose de plus humain et de plus profond que la stratégie abstraite – et c’est bien sûr encore plus vrai du poker, et de tous les jeux qui font largement appel à la psychologie. Il n’y aurait pourtant guère de sens à chercher à expliquer les pensées et les décisions d’un joueur d’échecs ou de poker par les subtilités psychologiques que l’on peut déployer pour décortiquer celles d’Emma Bovary, ou même seulement de Jane Eyre. Un homme vivant est plus réel et plus profond qu’un personnage de roman, mais, en devenant joueur, il se simplifie, il n’a plus qu’un motif, gagner, et un moyen, la règle.

En relisant ce que j’ai écrit jusqu’ici, je me rends compte qu’il y a une ambiguïté dans ce que j’appelle l’ « histoire » contée par le jeu – ambiguïté qui rejoint celle du mot « thème » employé à tort et à travers dans le monde ludique. Parfois, l’histoire est celle racontée par les règles du jeu et les actions des joueurs, par exemple celle des survivants à un naufrage explorant une île déserte; parfois, c’est l’histoire des relations entre les joueurs, du jeu défensif de l’un et des paris risqués d’un autre, de la tension qui monte, des jets de dés et des pioches de cartes. Ces deux histoires sont liées. La première est en partie la résultante de la seconde, et la seconde peut influer sur la première lorsqu’un joueur essaie d’incarner un personnage ou un style. On pourrait en dire autant d’un film, mais seul un professionnel du cinéma considèrera que l’histoire d’un film n’est pas l’histoire racontée par le film, mais plutôt celle de ce qui s’est passé entre les acteurs, le réalisateur et toute l’équipe durant le tournage. Dans un jeu, ces deux histoires sont sans cesse entremêlées, et c’est peut-être cette confusion qui fait que les jeux sont si prenants malgré leur superficialité.

J’aime les jeux qui racontent des histoires, et le font dans les deux sens que j’ai donnés à cette expression. C’est sans doute pourquoi j’essaie d’imaginer des jeux dans lesquels les joueurs ne peuvent pas se cacher derrière leurs cartes, derrière leurs pions, et jouent réellement les uns contre les autres et non contre du carton. C’est aussi pourquoi j’aime les jeux aux thèmes simples et forts, un peu caricaturaux. Un bon jeu est un jeu vous apporte à la fois tous les ingrédients thématiques pour construire le récit, et les règles incitant les joueurs à créer l’histoire ensemble. Un bon jeu, c’est deux bonnes histoires qui n’en font qu’une.


Ignacy Trzewiczek is a friend and, which is probably more important for you, a talented boardgame designer. Like me, he likes to take the time to think on what he does – meaning games. His thoughts on games and game design can be found on his blog, and he also published, two years ago, a much noticed collection of articles, Boardgames That tell Stories. Half of the texts were his, and half from other personalities from the very small boardgaming world. Two years later, he asked me for a text for the second book in the series, and I wrote one on « What Kind of Stories do Boardgames Tell ? ». It also has articles about boardgames design by game designers Mike Fitzgerald, Paul Peterson, Vengelis Bagiartakis, Tony Boydell, Michael Hendricks, Cédrick Chaboussit, Eric Summerer, Ludovic Maublanc, Eric Lang, Mike Elliott and Stephen Buonocor, and even by the charming Merry Nowak-Trzewiczek.
I’ll publish it here in one or two years, but for now, if you want to read it, you’ll have to buy Ignacy’s book – unless you can read the French translation here over. I think it’s only sent to Kickstarter backer so far, but it will certainly end up on Amazon some day, like the first compendium did.

Elfenroads

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Vous vous souvenez d’Elfenland, d’Alan R. Moon, l’un des meilleurs jeux de société des années 90, ou de son grand ancêtre Elfenroads ?
Ce jeu fabuleux, qui fut l’une de mes inspirations pour Isla Dorada,est de retour en boutique. La très grosse boite s’appelle Elfenroads, mais elle contient en fait Elfenland, son extension Elfengold, et une nouvelle carte, Elfensea, et l’ensemble est fort joli. Je n’ai pas encore joué sur cette dernière carte, mais j’ai lu les règles et je vois très bien l’idée – introduire un peu plus de compétition et d’inattendu, ce qui est une excellente idée.

Bref, c’est la nouvelle du moment pour moi, et j’ai l’impression que personne n’en parle !

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Et si vous aimez Elfenland, jetez aussi un coup d’œil à Broom Service, d’Andreas Pelikan et Alexander Pfister. Quand on joue à Broom Service, on a un peu l’impression de jouer en même temps à Elfenland et à Citadelles.


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You remember Alan R. Moon’s Elfenland, one of the best boardgames of the 1990s, or its even older and larger version Elfenroads ?
This outstanding game, which was one the inspirations for Isla Dorada, is back in print. It’s a very big box, with cute graphics. It’s called Elfenraods, but it’s in fact Elfenland with the Elfengold expansion, and with a new map, Elfensea. I’ve not played Elfensea yet but the rules look very, very interesting, bringing more competition into the game.

I wonder why no one talks about it.

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If you like Elfenland, you should also have a look at Andreas Pelikan & Alexander Pfister’s Broom Service. It feels a bit like playing both Elfenland and Citadels at the same time.

Soutenez le petit monde du jeu
Support the small gaming world

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Dans mon éditorial précédent, j’ai expliqué ma conviction que le jeu de société était une création culturelle qui pouvait et devait être critiquée de la même manière, et donc dans les mêmes termes, que la littérature ou le cinéma. Cela est tout aussi vrai du jeu video.

Pour nous, auteurs, c’est important d’abord en termes de reconnaissance sociale de notre travail. Cela peut aussi avoir des conséquences en termes de reconnaissance juridique. Nous signons des contrats d’édition et touchons des droits d’auteurs comme les écrivains, ce qui deviendrait illégal s’il était un jour décidé que les jeux ne sont pas des « œuvres de l’esprit ».

La meilleure manière de nous soutenir consiste, dans la vie quotidienne, à utiliser autant que possible le vocabulaire adapté aux activités culturelles, et à reprendre ceux qui, sans penser à mal, utilisent des termes moins adaptés.

Donc, en parlant de jeu de société comme de jeu video :

pour parler de moi et de mes collègues,
ne dites pas UN INVENTEUR DE JEU
mais dites UN AUTEUR DE JEU

pour parler de ceux qui publient et vendent nos créations,
ne dites pas UN FABRICANT DE JEU
mais dites UN ÉDITEUR DE JEU
(d’ailleurs, presque aucun éditeur ne fabrique lui-même ses boites de jeu, cette activité est toujours sous-traitées à des imprimeurs, comme pour les livres)

pour parler de votre première partie,
ne dites pas TESTER UN JEU
mais dites JOUER À UN JEU POUR LA PREMIÈRE FOIS

pour parler d’un article exprimant une opinion argumentée sur un jeu,
ne dites pas UN TEST
mais dites UNE CRITIQUE

Cela peut paraître un peu ridicule, mais c’est extrêmement important pour nous, et cela ne vous coûtera rien. Si un jour le juge, le législateur ou l’administration doit trancher sur la nature de notre activité, ils observeront d’abord la manière dont elle est traitée et discutée dans la société, et en particulier par ceux qui la pratiquent et s’y intéressent.

Et tant qu’on y est, évitez gamer. Joueur suffit largement et a l’énorme avantage que tout le monde comprend. Les termes anglais sont très pratiques quand il n’y a pas d’équivalent français, mais quand ce dernier existe, inutile de se compliquer la vie. Je n’aime pas non plus jeu de plateau, et lui préfère jeu de société, pour plusieurs raisons. D’abord, jeu de plateau est un anglicisme (ou un germanisme, je ne sais pas bien, puisque l’on dit boardgame et Brettspiel) à la sonorité désagréable. Ensuite, en bon français, le plateau de jeu s’appelle un tablier, même si plus personne n’utilise ce terme. Enfin, beaucoup de nos jeux sont des jeux de cartes, ou de dés, et sont donc très mal décrits par le terme jeu de plateau. Jeu de société a en outre l’avantage d’insister sur ce qui fait la spécificité de notre passion, son caractère social.

Faites passer, faites circuler l’information autour de vous.

Merci pour votre aide.


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In my last blogpost, I explained my conviction that boardgames are cultural creations which could and should be analyzed and reviewed in the same way and with the same technical terms as literature or movies. This is also true of video games.

For us, game authors, this is essential for the social recognition of our job. In France, it could also be critical for legal recognition of our job. We sign publishing contracts and earn royalties like writers, and this would become illegal if it were settled that games are not cultural items.

The best way to support us – well, for French people at least – is to use in daily life the right terminology, the cultural one, and to correct people who, usually with no bad intent, use « wrong » terms.

From now on, when discussing boardgames or video games, please,

when discussing me and my colleagues
don’t say A GAME INVENTOR

but say A GAME DESIGNER or even better A GAME AUTHOR

when discussing the companies which develop and sell our creations,
don’t say A GAME MANUFACTURER

but say A GAME PUBLISHER
(actually, game publishers don’t manufacture anything, they outsource production to printing companies, exactly like book publishers do)

when you play a game for the first time,
don’t say TO TEST A GAME

but say TO PLAY A GAME FOR THE FIRST TIME

when discussing articles expressing an opinion on our games,
don’t say A TEST
but say A REVIEW

All this could sound a bit ridiculous, but it is of the upmost importance for all of us game designers, and it won’t cost you anything. If, some day, the French justice has to decide if designing a game is a cultural activity, it will probably first look at the way it is usually discussed by every one, and by the people involved. 

We thank you for your support.

Critique du test
Criticizing tests

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Il y a une trentaine d’années, lorsque j’ai commencé à créer des jeux de société, j’étais le plus souvent qualifié d’ « inventeur de jeux ». Aujourd’hui, cette formule maladroite n’est plus guère utilisée, et l’expression « auteur de jeu », qui me semble bien plus appropriée, s’est imposée. J’ai la faiblesse de penser que mon insistance, et celle de mes amis auteurs, est pour quelque chose dans cette reconnaissance de la nature culturelle de nos créations.
Je n’ai en effet jamais rien inventé. Mes jeux, comme tous les autres, avant d’être comme on le lit parfois le croisement d’un thème et d’une mécanique, sont d’abord un ensemble de références à tous ceux qui les ont précédés. Il me semble que c’est à cela que l’on reconnaît le caractère culturel d’une œuvre – elle n’a de sens que dans un contexte culturel donné et par rapport aux œuvres plus anciennes. On m’objecte parfois qu’il y a de la technique dans la création d’un jeu, mais il y en a tout autant dans l’écriture d’un roman ou d’une pièce de musique. Enfin, on ne me regarde plus comme un imbécile prétentieux quand je me présente comme auteur de jeux, et c’est l’essentiel.

Il semble pourtant qu’il faille aujourd’hui tout recommencer. Certains sites webs et magazines, emploient encore, pour désigner les critiques de jeux qu’ils publient, l’expression « tests ». Si nous sommes des inventeurs, nos créations peuvent être testées. Si nous sommes des auteurs, elles ne peuvent être que critiquées – et éventuellement détestées, comme dit Bruno Cathala. L’usage du mot test pour désigner une critique de jeu est donc soit une faute de français, qu’il est aisé de corriger, soit le signe d’une incompréhension de ce qu’est un jeu de société et peut-être d’un certain mépris pour les jeux et leurs auteurs.

Pour le Littré, test est un mot anglais qui ne s’emploie en français que dans la locution “Le serment du Test”, acte par lequel on nie la transsubstantiation et l’on renonce au culte de la Vierge et des saints. Ce n’est bien sûr pas de ce test qu’il est question ici, mais du moins cela nous apprend-il que le nom test, au sens d’essai ou d’expérience, n’est entré que très récemment dans la langue française. Son sens français n’a donc pas eu le temps de beaucoup s’éloigner de son sens anglais.
Plus moderne, le Larousse donne les définitions suivantes :
• Épreuve psychologique impliquant une tâche à remplir identique pour tous les sujets.
•  Essai d’un produit, d’un appareil pour vérifier son action, son fonctionnement.
•  Toute circonstance qui permet d’éprouver, de mesurer quelque chose : Ce sera un test de bonne volonté.
•  Examen, ou épreuve standardisée et étalonnée, permettant d’évaluer des aptitudes physiques ou psychologiques chez un individu donné.
• Examen complémentaire pratiqué pour orienter ou confirmer le diagnostic d’une maladie.
• Examen diagnostique basé sur l’apparition ou la non-apparition d’un phénomène chimique, biologique, physiologique, après mise en œuvre d’un procédé, administration d’une substance ou action d’un stimulus.
•  Enveloppe dure qui protège certains être vivants.   
À l’exception de la dernière – mais je ne suis pas un spécialiste des crustacés – ces définitions correspondent parfaitement aux sens usuels du mot test, et absolument aucune ne peut décrire les articles exprimant un avis argumenté sur un jeu de société.

Pour Critique, le même Larousse donne une vingtaine de définitions, parmi lesquelles “Jugement argumenté porté sur une œuvre littéraire ou artistique”, qui en revanche convient parfaitement, pour peu que l’on entende en un sens un peu large l’expression « littéraire ou artistique ». Recension, que la Larousse définit comme “Analyse et compte rendu critique d’un ouvrage dans une revue.” conviendrait aussi, mais le terme est sans doute un peu trop vieillot et universitaire.

Si l’on admet que nous sommes des auteurs de jeu, et qu’un jeu est donc une œuvre de l’esprit, c’est donc bien “critique” qu’il faut employer et non “test”. Le mot test est méprisant pour les auteurs mais il l’est avant tout pour les jeux eux-mêmes, qu’il rabaisse au statut de simple objet technique. Pour reprendre une expression de Christian Martinez, un auteur de jeu dont on devrait pas mal parler dans les mois qui viennent, faire des tests de jeux, c’est comme faire des tests de livres ou de films. Certains seront peut-être surpris que, alors que les Français ont plutôt la réputation d’être attachés aux valeurs culturelles, le problème que je soulève ici ne se pose pas dans le monde du jeu anglophone. Le mot test nous vient de l’anglais, a exactement le même sens dans les deux langues, mais c’est en vain que l’on cherchera sur le web des tests de jeux rédigés en anglais – on ne trouvera que des reviews, des critiques.

J’ajoute ici un argument de mon ami Bruno Cathala, argument que je ne partage qu’à demi mais qui va également contre l’usage du mot “test” dans les critiques – les jeux que nous publions fonctionnent, nous les avons nous même testés. Les joueurs peuvent les apprécier ou non, mais ce n’est plus à eux de les tester. Pour ma part, j’essaie d’éviter le mot test, au moins par écrit, même pour parler des parties effectuées avec des amis sur les ébauches successives de mes créations.

Régulièrement, les auteurs de jeux de société (tout comme d’ailleurs ceux de jeux videos) protestent contre l’usage abusif du mot test, comme ils ont protesté avec succès contre celui de l’expression inventeur de jeu. La plupart des sites et revues, même si c’est peut-être surtout pour ne pas s’aliéner la petite communauté des créateurs, adoptent aujourd’hui les termes « critique » pour désigner des articles longs et argumentés et « avis » pour des opinions exprimées plus rapidement. Certains font de la résistance, et j’ai récemment eu des discussions assez tendues sur ce sujet avec le responsable du site Ludovox. Un premier dialogue de sourds sur le forum du site s’est terminé lorsque le grand shaman a expliqué en substance qu’il était d’accord avec moi pour dire que le jeu est une création culturelle, mais que cela ne l’empêcherait pas de continuer à faire comme si ce n’était pas le cas. Une longue discussion sur Facebook, lors de laquelle j’ai reçu le soutien d’un très grand nombre d’amis auteurs et éditeurs, n’a pas mené plus loin.

Il y a certes une certaine cohérence à l’utilisation du mot test sur Ludovox. La présentation des jeux, comme l’a noté Tom Vuarchex, y ressemble un peu à un test de voiture dans auto-Plus – enfin, à la manière dont j’imagine un test de voiture dans Auto-Plus, car je n’ai jamais ouvert ce type de revue. On a l’impression que les rédacteurs du site cherchent à donner une impression d’objectivité, alors que le travail du critique consiste au contraire à exprimer aussi clairement et honnêtement que possible sa subjectivité. Les avis sont accompagnés de notes sur dix ou vingt décomposées en une dizaine d’items, comme s’il s’agissait de mesurer des performances. On peut mesurer les performances d’une voiture, sa vitesse, sa consommation, ses émissions de CO2 (sauf si c’est une Volkswagen), mais on ne peut pas plus mesurer celles d’un jeu de société que celles d’un film ou d’un livre. J’invite donc l’équipe de Ludovox, si elle tient tant à faire comme si le jeu était un simple objet technique, à aller au bout de sa logique, en n’utilisant plus l’expression « auteur de jeu » et en évitant, dans les « tests », de donner le nom des auteurs. Pour ma part, je m’abstiendrai désormais, sur mon site comme sur Facebook, de poster des liens vers les critiques de mes jeux, aussi enthousiastes soient-elles, lorsqu’elles sont baptisées “test”. Je considère en effet que l’usage de ce terme fait autant de mal au jeu en général que la critique peut faire de bien à mon jeu en particulier.

Je regrette d’autant plus cet accrochage avec Ludovox que j’avais jusqu’alors plutôt une bonne opinion de ce site, et que j’admire le courage qu’il leur a fallu pour le monter et le maintenir. Je suis par ailleurs déjà en très mauvais termes avec le responsable du site concurrent, Tric-Trac, et ne souhaite pas vraiment être fâché avec tout le monde. Ces derniers temps, ne comprenant absolument rien à la nouvelle version de Tric-Trac, j’avais d’ailleurs tendance à aller plus souvent chercher mes informations sur Ludovox. Je ne vais bientôt plus savoir ou aller.

Post scriptum. Bien que beaucoup de mes amis travaillent dans le jeu video, j’ignorais en écrivant cet article que nombre d’auteurs de jeux video avaient déjà protesté eux aussi contre l’usage du mot “test” et préconisé celui de “critique”, et avec un certain succès, par exemple auprès de la chaine NoLife TV, qui ne publie plus que des critiques de jeux. Je ne suis pas surpris, tant les problématiques auxquelles fait face le monde du jeu video sont souvent les mêmes que celles du jeu de société. Les acteurs aussi d’ailleurs, même si je fais un peu exception.

Post post scriptum. On me reproche de m’attaquer de front au site Ludovox. Je tiens à préciser que ce n’est absolument pas mon intention, et à m’excuser si c’est le sentiment que j’ai pu donner. Ludovox est un site que je pense honnête et courageux, et qu’en général j’apprécie (et qui n’a publié, je viens de vérifier pour pouvoir répondre à quelques insinuations malveillantes, que de très bonnes critiques de mes jeux). Il n’est pas le seul à utiliser le mot “test” pour qualifier ses critiques, même s’il est sans doute le plus important. Si je l’ai pris pour exemple, c’est pour deux raisons. La première est que je ne connais pas tout le web ludique et que, depuis que je ne comprends plus grand chose à Tric Trac, c’est le site sur lequel j’ai eu tendance à me replier, et que je l’ai donc un peu exploré. La seconde est que, dans les discussions que j’ai déjà eues sur la question de l’emploi de test ou critique, l’équipe de Ludovox a été la seule à faire un peu la sourde oreille. Je ne cherche en rien à les attaquer, je cherche à les convaincre. Je n’y arriverai sans doute pas sur les systèmes de notes délirants (j’ai le même problème avec des collègues profs qui font d’hallucinantes grilles de corrections à quinze items pour des dissertations), mais j’espère toujours y parvenir sur l’emploi de “critique” au lieu de “test”.

Post post post scriptum. Suite à cet article, et au soutien de la petite communauté des auteurs de jeux, quelques sites ont décidé de remplacer l’expression “Test” par “Critique”. C’est déjà le cas des 1dludiques et des Bretons de l’émission Des Luds et des Plums. Je les en remercie, et j’espère qu’il y en aura d’autres  – d’ailleurs, il y en a peut-être d’autres qui ne me l’ont pas dit. Je remercie aussi Bruno Cathala, Antoine Bauza, Manuel Rozoy, Christian Martinez, Régis Bonnessée, Fred Henry, Gwenaël Bouquin, Juan Rodriguez, Philippe des Pallières, Loïc Lamy, Alexandre Droit, Tom Vuarchex, Benoit Forget, Heinrich Glumper, Eric Vogel, Cedrick Chaboussit, Martin Vidberg, Arnaud Urbon, Lionel Borg et tous les autres auteurs de jeux de société, ainsi que les quelques écrivains et auteurs de jeux video, qui sont intervenus, notamment sur Facebook, pour me soutenir dans cette petite croisade – qui est encore loin d’être définitivement gagnée.

Post post post post scriptum. Le fait de savoir si nous sommes auteurs de jeux qui sont des créations culturelles pouvant être critiquées, ou inventeurs de jeux qui sont objets techniques pouvant être testés, question qui n’a jamais été juridiquement tranchée, peut avoir des conséquences juridiques importante. En effet, dans le second cas, (inventeurs, objets techniques, tests), tous ceux qui, comme moi, sont fonctionnaires n’ont tout simplement pas le droit de publier des jeux comme ils le font aujourd’hui, puisqu’ils ne peuvent être rémunérés en droits d’auteur que pour “la production d’œuvres scientifiques, littéraires et artistiques”. Il faudrait donc pour chaque jeu demander une autorisation préalable, souvent refusée. Pour les salariés du privé, il faudrait également le plus souvent une autorisation préalable de l’employeur. Si je défends l’idée que nous sommes des auteurs et que les jeux relèvent plutôt du domaine culturel, c’est d’abord parce que cela correspond à mon expérience intime de la création, mais il se trouve que cela correspond aussi pour moi et pour une dizaine d’auteurs de jeux français à un souci de sécurité juridique et une envie de continuer à créer.

Et pour replacer ce débat dans son contexte politique, un article sur un bouquin qui resitue cette petite question dans son contexte politique.


bruno mathieu

(This blogost largely deals with the correct use of French words, translating it in English was difficult and sometimes felt strange. I apologize if the my English sounds even more clumsy than it usually does).

Thirty years ago, when I started designing board and card games, I was usually called in French “inventeur de jeux” (“game inventor”). Now, this clumsy wording is rarely used, and the more appropriate one “auteur de jeux” (“game author”) has become usual. I think my insistence, and that of my fellow game designers (btw, we don’t use designer with this meaning in French) has helped in this acknowledgement of the cultural nature of our creations.

Inever invented anything. My games, like all other, before being like it is sometimes said the combination of setting and systems, are a collection of references to those that came before. I think that is what makes the cultural nature of a creation – it acquires its meaning only in a certain cultural context and in relation to older creations. I am sometimes objected that there is something technical in designing a game – that’s true, of course, but it’s at least as true as in writing a book or writing a music piece. Anyway, I’m no more looked upon as a pretentious imbecile when I claim to be a “game author”, and that’s the most important.

It looks like we have to start it all over gain. Some French websites and magazines use to call their game reviews “tests”. If we are inventors, our designs can be tested. If we are authors, they can only be reviewed (critiquées in French) and eventually detested, as Bruno Cathala says. The use of the word “test” to describe a game review is therefore either a French language mistake, in which case it’s easy to correct it, or the sign of a miscomprehension of what a game is, and may be even of some contempt for games and game designers

For the Littré, the 150 years old French reference literary dictionary, test is an English word and its only correct use in French is in the expression “Le Serment du Test” (Test Oath) “by which ones denies the transsubstantiation and abjures the cult of the Virgin and the Saints”. This is obviously not the test we are talking about here, but it proves that the word test, meaning essay or experience, has entered French vocabulary very recently, which also means its actual French meaning cannot be very different from its English one.

The more modern Larousse dictionary gives five definitions :
• Psychological experience in which all subjects have to do the same task.
• Trial of a product or machine to verify its action.
• Any circumstance allowing to measure or verify something – a test of good will.
• Standardized and marked exam to determine the physical or psychological aptitudes of a given person.
• Additional experience to confirm or infirm a medical diagnostic.
• Experience based on the apparition or non apparition of a given chemical, biological or physiological reaction after a given stimulus of the administering of a substance.
Hard shell of some living things.
(Sorry if I can’t write like an English dictionary, I did my best)
Except for the very last one – but I’m not a specialist in crustaceans – these definitions fit perfectly with the usual sense of the word “test” in French, and none of them can apply to a detailed review of a boardgame.

For Critique, the same Larousse dictionary gives about twenty definition, including the following one “ Detailed opinion on a literary or artistic creation.” This more or less translates the English “review”, and fits perfectly to boardgame reviews if one accepts a relatively generous reading of “literary or artistic”. For Recension, the Larousse gives the following definition : “analysis and critical review of a work in a magazine”. This could fit very well, but the word sounds a bit scholar and old fashioned.

If we are indeed “game authors”, and if a game is a cultural creation (we also say in French “œuvre de l’esprit”, which is untranslatable because it’s based on the ambiguity of the meaning of “esprit”, which means both “spirit” and “brain”), then our games must be reviewed and not tested. The world “test” is disparaging for designers but also, and more importantly, for the games themselves, which are considered as mere technical items. As Christian Martinez (a game designer you will hear about much in the coming months) said, testing games is like testing books or movies.

My foreign readers might be surprised that we have this problem in France and not in the English speaking world. Well, the French are supposed to be strongly attached to cultural values, but this reputation might be largely usurped. Anyway, test is an English world recently adopted in French, with exactly the same meaning it has in English, and there are no boardgames (or videogames) tests anywhere on the web – only reviews, which every English-French dictionary translates as “critiques”.

I’ll add one further argument, often stated by my friend Bruno Cathala, even when I don’t entirely agree with it, because it also goes against the use of the word “test” in game reviews. The games we publish work well, we have playtested them. You may like them or not, but you don’t need to test them. As far as I’m concerned, I try not to use the word “test”, at least when writing, even when discussing the games I play with friends on my prototypes.

Boardgame designers, and video game designers as well, regularly contest the inappropriate use of the word “test”, like they successfully opposed the expression “game inventor”. Most websites and game magazines now prefer to use “critique” (review) for longer articles and “avis” (opinion) for shorter ones, even if it’s only to please the small community of designers. A few ones, however, are stubbornly resisting. I had tense discussions online, first on their forum and then on Facebook, where I got the support of many other game designers, with the head of the Ludovox website, and his final point meant something like “well, I agree with you that games are cultural creations, but you can’t prevent me from doing as if they were not”.

There is indeed some consistency in the use of the word “test” on Ludovox. Tom Vuarchex rightly remarked that the way they review games looks a bit like the way cars are presented in car-magazines – or at least how I imagine them, since I’ve never opened a car magazine. It looks a bit like the reviewers were trying to have their judgment on games look “objective”, when a good reviewer must, on the contrary, assume his subjectivity as clearly and honestly as possible. Reviews are accompanied by numbered marks on a dozen different items, as if they were estimating the game’s performance. One can measure the performances of a car – its speed, its fuel consumption, its CO2 emissions (unless it’s a Volkswagen), but testing the performance of a game makes as much sense as testing the performances of a book, a movie or a piece of music. If they want to consider games like mere technical items, I suggest they go the whole way, with refusing to use the expression “game author”, and even with not mentioning the designers’ names at all. As for me, from now on, I won’t post links on this website, nor on Facebook, to French language reviews of my games called “game test” – even if the review is extremely positive.

I deeply regret this polemic with the Ludovox team, for several reasons. I had so far a rather good opinion of their sites, and I admire the courage they needed to create and maintain it. I am already in very bad terms with the boss of their main competitor, Tric Trac, and I don’t want to be at odds with everyone. Last but not least, since I find the new version of Tric Trac extremely confusing, I was more and more using Ludovox to get informed on what’s happening in the French gaming world. I don’t know where I’ll go now….

Post scriptum. Though many of my friends work in the video game industry, I didn’t know when writing this article that many French video game designers had already protested against the word “test” and suggested “critique” (review). They have had some success, for example with NoLife TV, a TV video game canal which now only braodcast game reviews. This is not very surprising, since the problems of the boardgame industry are often similar with the ones of the video game industry – and the actors often the same people, though I am more or less an exception.  

Post post scriptum. I’ve been criticized for my “frontal attack” on the Ludovox website. I want to state clearly that I didn’t want to attack anyone, and to apologize if some of my remarks give this impression. My opinion on Ludovox and the Ludovox team is that they are brave and honest, and I usually enjoy their site. It is not the only website to use the word “test” instead of “critique”, but it is probably the most important and popular one. I use it as an example for two main reasons. The first one is that I don’t know all French gaming websites, and these last weeks, since I don’t understand how to navigate the new version of Tric Trac, Ludovox is where I’ve been looking for game news, and this was an opportunity to explore the site. The second one is that I’ve already discussed this “test / review” issue with several people in the gaming world, and they were the only ones to turn a deaf ear. I don’t want to attack them, I want to convince them. I probably never will when it comes to arcane marking systems, but I still hope to do it about the use of critique / review instead of test.