Harvest Valley

Dans la création ludique, comme dans beaucoup de domaines, les contraintes peuvent être une source d’inspiration dont il faut ensuite savoir s’affranchir. En 2022, j’ai voulu me livrer à une sorte d’exercice de style, en créant plusieurs petits jeux de 18 cartes, un format apprécié des éditeurs puisque l’on peut en mettre trois sur une planche de 54 cartes, le format standard des imprimeurs. Deux de ces jeux sont aujourd’hui publiés, 6 Suspects, qui est resté bien sagement dans le format des 18 cartes, et Migo, qui l’a un peu explosé, passant à 25 cartes et quelques jetons. C’est aussi ce qui est arrivé à Fruit Cocktail, qui devrait bientôt arriver dans la même collection que Migo, et à Harvest Valley, J’ai plus récemment conçu un autre jeu à deux joueurs qui semble destiné à rester dans le format 18 cartes, Les Sorcières de Minuit, qui cherche un éditeur.

Mais revenons à Harvest Valley, ou plutôt à Preachers’ War, la guerre des prédicateurs, qui était le nom de mes premiers prototypes. C’était un jeu de pose de cartes dans lequel chacun des joueurs, deux ou trois à l’origine, jouait un prêtre qui cherchait à attirer les ouailles dans son église, au détriment de celle du voisin. Les joueurs posaient donc sur une grille des cartes paysans, qui allaient à la messe dans l’église orthogonalement adjacente, ainsi que des chevaliers qui, parce qu’ils sont à cheval, pouvaient aussi à la messe en diagonale. Bien sûr, les paysans se détournaient de l’église si un joueur plaçait une taverne à proximité, et les chevaliers préféraient aller combattre les dragons, c’est quand même plus classe. À l’inverse, une relique bien placée pouvait augmenter l’attractivité et donc la rentabilité d’un lieu de culte.

Preachers War

Le thème fonctionnait bien, mais tous les éditeurs auxquels j’ai présenté le jeu avaient la même réaction – on ne peut pas se moquer de la religion. C’est gentil, ça passera peut-être, mais on ne veut pas prendre le risque. C’est dommage parce que, moi, j’aime bien me moquer de la religion. Sachant qu’ils prennent leurs religions bien moins au sérieux que nous, je l’ai aussi montré à des éditeurs japonais, en proposant de remplacer les chevaliers par des samurais et les églises par des temples bouddhistes ou des sanctuaires shinto, mais je n’ai pas eu beaucoup plus de succès.

Boardgame Fair

Antoine Davrou, qui gérait alors Ghost Dog, le petit éditeur de Migo, apprécia le jeu et me proposa un autre thème, les éditeurs cherchant, au salon de Cannes ou d’Essen, d’obtenir le meilleur emplacement pour leur stand afin de faire la promotion des nouveautés. Il me suggéra aussi d’ajouter quelques cartes pour que l’on puisse jouer à 4 ou 5 joueurs, et tant pis pour le format que je m’étais imposé à l’origine. On a bricolé un prototype, le nouveau thème ne fonctionnait pas vraiment, et on a laissé tomber.

J’ai continué à montrer mon petit jeu, notamment à Arnaud Chevalier, de Matagot, qui avait publié 6 Suspects. Arnaud ne voyait pas très bien ce jeu dans la même gamme, mais m’a mis en contact avec David Harding, de l’éditeur australien Grail Games, qui avait une petite gamme de jeux de cartes en « pixel art » dans laquelle il pensait que Preachers’ War pouvait avoir sa place.

Harvest Valley prototype

C’est David Harding qui a trouvé un nouveau thème, l’agriculture, et Preachers’ War est devenu Harvest Valley, référence à Harvest Moon, qui fut un grand succès sur Game Boy. Les églises sont donc devenues des fermes, les paysans des légumes, les chevaliers des arbres fruitiers. Tavernes et dragons sont devenus sangliers et corneilles détruisant les récoltes.

Dans l’éternel et vain débat sur thème et mécanismes dans les jeux, et ce qui vient en premier, on oublie souvent qu’il peut y avoir entre les deux des allers-retours. Il n’est pas rare qu’un jeu change de thème, et parfois à plusieurs reprises, entre le premier prototype et le jeu édité. Cela peut initialement nuire à la cohérence du jeu, certains systèmes inspirés par le thème initial n’ayant plus beaucoup de sens dans celui finalement publié. Mais à l’inverse, le nouveau thème peut suggérer de nouveaux mécanismes et enrichir le jeu. C’est ce qui s’est produit ici, et qui a fait de Harvest Valley un bien meilleur jeu que ne l’était Preachers’ War. Si les fermiers cultivent des légumes et des arbres fruitiers, me suis-je dit, pourquoi ne planteraient-ils pas aussi des céréales ?  C’était l’occasion d’introduire une troisième manière de marquer des points, en plantant de larges champs de blés composés de plusieurs tuiles adjacentes.

C’est un conseil que je donne souvent aux auteurs de jeu : vous pouvez acceptez un changement de thème proposé par l’éditeur, mais faites-en sorte d’avoir le temps de retravailler vous-même le jeu dans sa nouvelle incarnation. Certains des effets et des mécanismes qui étaient inspirés de l’ancien thème peuvent ne pas avoir beaucoup de sens dans le nouveau, qui a l’inverse peut vous donner de nouvelles idées de cartes ou de règles.

Le jeu fait partie d’une collection de petites boites bon marché au parti-pris graphique assez original, inspiré des jeux pour Game-Boy des années 90, et toutes illustrées par Francisco Coda. C’est un univers que je connais mal, mais c’est très mignon !  Les autres jeux de la série sont Level 10, un jeu de coopération et de communication limitée de la famille de The Game ou Hanabi, ainsi que Ohio Bob, le cousin d’Indiana Jones et Aliens Attack, inspiré de Space Invaders, deux jeux pour 1 ou 2 joueurs don’t je ne sais pas grand chose puisqu’ils  devraient sortir en même temps que Harvest Valley.

Harvest Valley
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Francisco Coda
2 à 5 joueurs – 15 minutes
Publié par Grail Games
Boardgamegeek



With boardgame design, like with many creative activities, constraints can bring inspiration, especially when one knows when to get rid of them. In 2022, I decided to try a kind of stylistic exercise, with designing a series of 18 cards games, a format much liked by publishers because one can print three copies on a standard 54 cards game printing sheet. Two of these games have been published since, 6 Suspects, which stayed at 18 cards, and Migo, which exploded or overflowed the format since it now has 25 cards and a few tokens. This also happened with two other games, Fruit Cocktail, which will soon be published in the same series as Migo, and Harvest Valley. More recently, I designed another one, Midnight Witches, which has managed to stay at 18 cards and is now looking for a publisher.

But let’s go back to Harvest Valley or, since this was the name of its first prototype, Preachers War. Preachers War was a card/tile laying game in which each one of the two or three players was a priest trying to attract the most flock to his church, if needed with diverting them from other churches. Each player on turn played a card in a grid. Peasant were going to orthogonally adjacent churches, while knights, being on horses, could also go worship diagonally. Of course, peasants would give up church if there was an adjacent tavern, while knights could be diverted to fight a dragon. Conversely, a well-placed relic could make a church more attractive and therefore more profitable.

Preachers War

The theme worked well, but all the publishers to which I showed the game had the same reaction – “better not mock religion. It’s done in a cute way, it would probably be OK, but I don’t want to take the risk.” Pity, I really enjoy mocking religion, may be because I know it too well. Knowing that they don’t take their religions as seriously as we take ours, I also showed this game to Japanese publishers, replacing churches with buddhist temples and Shinto shrines and knights with samurais, but I wasn’t really more successful.

Boardgame Fair

Antoine Davrou, who was then managing a small French publisher, Ghost Dog and had just published Migo, enjoyed the game and suggested another setting, publishers trying to get the best spot for their booth at the Essen or Cannes game fair to promote their new games. He also suggested that I add more cards so that the game could be played with 4 or 5 players, even when it would not fit anymore in the 18 cards format. We made a prototype, but the new theme did not work that well and we gave up.

I kept on showing my prototype to publishers, among which Arnaud Charpentier, of Matagot, who had just made 6 Suspects. Arnaud did not think my game could fit in the same line, but put me in contact with David Harding, of the small Australian publisher Grail Games, who had a line of small “pixel art” card games in which he thought my game could fit.

Harvest Valley prototype

David found the new setting, agriculture, and Preachers War has become Harvest Valley, a wink at the old Game Boy game Harvest Moon. Churches have become farms, peasants vegetables, knights fruit trees. Tavernes and dragons have become wild boars and crows eager to destroy your harvest.

The discussion about what comes first in boardgame design, theme or mechanism, is largely vain because both happen, but even more because it often goes both ways, back and forth. The theme of a game often changes between the first prototype and the published version. It sometimes weakens the game’s consistency, when some of the rules or effects designed within the original storyline don’t make much sense in the new ones. Conversely, the new setting can also inspire new mechanisms and make the game richer. That’s what happened with Harvest Valley. If farmers plant vegetables and fruit trees, why not also grain ? This was the opportunity for introducing a third way of scoring points, with building large wheat fields made of several adjacent tiles.

I often give this advice to wannabe boardgame designers: you can accept a change of theme suggested by the publisher, but make sure to keep enough time to rework the game in its new setting. Some of the effects designed for the old game can become meaningless in the new one, and should be removed, but conversely the new one can give ideas for new cards or abilities.

Harvest Valley is part of a small series of small and cheap boxes with an original graphic style – nineties style pixel art -, all with art by Francisco Coda. It is a world I don’t know much about, but it looks cute. The other games in the series so far are Level 10, a cooperative communication game in the style of Hanabi or The Game, as well as Ohio Bob, Indiana Jones’ cousin, and Aliens Attack!, inspired by Space Invaders, two 1-2 player games of which I know nothing since they will be published together with Harvest Valley.

Harvest Valley
A game by Bruno Faidutti
Art by Francisco Coda
2 to 5 players – 15 minutes
Published by Grail Games
Boardgamegeek

Fruit Cocktail

Fruit Cocktail est, après Migo, mon deuxième petit jeu de cartes dans la collection des Feux Follets, chez Ghost Dog, avec les mêmes illustrations colorées et géométriques de François Morin.

Mon prototype s’est d’abord appelé salade de fruits, l’idée étant que dans, une salade de fruits, on s’efforce de mettre de bons produits, mais qu’il arrive que quelques fruits soient un peu pourris. Dans un cocktail de fruits, ou plutôt un Fruit Cocktail, c’est un peu la même idée, en international.

Comme Migo, Fruit Cocktail est né de la volonté de créer un petit jeu de 18 cartes, format assez apprécié par les éditeurs ces dernières années. Comme Migo, le jeu a peu à peu pris du volume au cours des tests, passant à 24, puis à 32 cartes, et ne tient donc plus dans le format initial. C’est souvent à cela que servent les contraintes – donner un point de départ, quitte à s’en affranchir ensuite. Du coup, ce qui était dans les premières versions un jeu à deux joueurs à information parfaite est devenu un jeu pour 2 à 5 joueurs, à information presque parfaite, chaque joueur sachant un petit truc que les autres ne savent pas mais qu’ils peuvent essayer de déduire.

Une partie de Fruit Cocktail à Etourvy.

À chaque tour, chacun à son tour prend sur la table une carte qui représente un certain nombre de fruits. Ce serait tout simple si les cartes prises par les joueurs ne déterminaient pas aussi la valeur finale des différents fruits. C’est une mécanique de jeu simplissime, mais qui fait de sacrés nœuds au cerveau. Yoann Levet, l’auteur de Kronologic et Turing Machine, est d’ailleurs fan de Fruit Cocktail.

L’éditeur, Ghost Dog, ayant été repris par un autre, en l’occurence Don’t Panic, la sortie de Fruit Cocktail a été un peu retardée, mais le jeu arive bientôt en boutique, en septembre ou octobre 2025. Et Don’t Panic est le seul éditeur auquel je puisse rendre visite à peid, ce qui est quand même pratique.

Fruit Cocktail
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par François Morien
2 à 4 joueurs – 15 minutes
Publié par Ghost Dog



Fruit Cocktail is, after Migo, my second game in the Ghost Dog small box series, with the same cute colorful and geometric art by François Morin.

My prototype was first called Fruit Salad. The idea was that players try to get good tasty fruits, but that some of them are ripe, or even rotten. It’s the same with a Fruit Cocktail, but the name is more international.

Like Migo, Fruit Cocktail was originally intended to be an 18 card game, a format popular with publishers these last years. Like Migo, it grew bigger after a few playtests, 24 cards, then 32, too many to fit in the wallet game format. That’s often the point of constraints – they give a starting point, but one should not hesitate to abandon them when they become too much of a constraint. As a result, what was originally a perfect information 2 player game is now a 2-5 player game with just a bit of hidden information that the opponents can try to deduce.

A game of Fruit Cocktail in Etourvy.

Every round, each player in turn takes a card which represent a few fruits. What makes the choice tricky is that the cards taken by the players also determine, step by step, the end game value of the different fruits. It is mechanicall a very simple game, but it is also a brain burner – as you can guess from the fact that Yoann Levet, the designer of Turing Machine and Kronologic, is a fan of this game.

The publisher, Ghost Dog, has recently been bought by another publisher, Don’t Panic. As a result, the publication of Fruit Cocktail has been delayed, but the game will now soon be there, in september or october 2025. And Don’t Panic is the only publisher I can visit on foot, which is very convenient.

Fruit Cocktail
A game by Bruno Faidutti
Art by François Morin
2 to 4 players – 15 minutes
Published by Ghost Dog

Une modeste année ludique
A Modest Gaming Year

2019 a été pour moi une année relativement modeste, avec seulement trois jeux publiés. Le Petit Poucet, avec Anja Wrede, sera le tout dernier de la belle série des Contes et Jeux, chez Purple Brain. Tonari, joliment édité par IDW, est une remise au goût du jour d’une vieille idée d’Alex Randolph. Animocrazy est une nouvelle version de Democrazy, publié par un éditeur de Hong Kong, Jolly Thinkers, dans une édition bilingue anglais-chinois  Si les trois ont eu de bonnes critiques, je n’ai pas l’impression qu’ils soient de grands succès commerciaux.

Si tout se passe comme prévu, 2020 devrait être bien plus riche en nouveautés, avec une petite dizaine de jeux dans les tuyaux, même s’il est probable que quelques uns finiront, comme toujours, par prendre un peu de retard. 

Les premiers arrivés seront tous de petits jeux de cartes, mais dans des styles bien différents. Dans Vintage, illustré par Pilgrim Hogdson et publié chez Matagot, les joueurs collectionnent, et à l’occasion volent, des objets des années 50, 60 et 70. Dans Poisons, conçu avec Chris Darsaklis, illustré par Marion Arbona et publié chez Ankama, les joueurs sont des nobles attablés à un banquet et désireux de boire le plus possible sans se faire empoisonner. Dans Stolen Paintings, chez Gryphon Games, ils sont voleurs d’œuvre d’arts ou détectives tentant de les retrouver. Dans Gold River, version revisitée de La Fièvre de l’Or, ce sont des chercheurs d’or durant la ruée vers l’ouest. Dans Vabanque, un très vieux jeu conçu avec Leo Colovini qui n’avait jusqu’ici été publié qu’en allemand et en japonais, ils jouent, bluffent et trichent un peu au casino. Dans Reigns – The Council, avec Hervé Marly, l’un d’entre eux est le roi, les autres sont des courtisans s’efforçant, comme dans le jeu sur téléphone, d’influencer les décisions. Maracas, avec le même Hervé Marly, est un jeu qui se joue avec une maracas – vous devriez deviner aisément qui est l’éditeur en regardant la photo.

Je n’ose plus donner de date pour Ménestrels, conçu avec Sandra Pietrini et joliment illustré par David Cochard, dont, après quelques années de retard, j’attendais la sortie en 2019. L’éditeur rencontre quelques difficultés, mais j’espère que le jeu finira par arriver – et si ce n’est pas le cas, on lui cherchera un nouvel éditeur.

La fin de l’année, si tout va bien, devrait voir arriver des projets plus ambitieux et plus inhabituels, et même une ou deux grosses boites de jeu comme je n’en ai plus publié depuis quelques temps, avec des vampires, des nains et des trolls, de l’or, des pierres précieuses et du métal. Mais ça, je vous en parlerai plus tard.

 

J’espère que, dans un marché un peu encombré, mes nouvelles créations vont se vendre un peu car, confronté à l’immense gâchis (pour parler poliment) de la réforme du lycée, j’envisage  de plus en plus sérieusement, et un peu lâchement, de déserter l’éducation nationale. Si j’ai commencé l’enseignement un peu par hasard, c’est devenu une passion, mais cela ne peut en rester une que si je peux faire mon métier de prof honnêtement, c’est à dire enseigner des programmes qui ont du sens, dans des conditions correctes, et avec un minimum de liberté pédagogique. Tout cela ne va clairement plus être possible dans le cadre de la nouvelle organisation du lycée et du baccalauréat, qui brise en outre les solidarités entre enseignants et entre élèves auxquelles j’étais très attaché. Face à une réforme qui est au mieux un mélange absurde d’incompétence, d’improvisation et d’autoritarisme, au pire une stratégie délibérée d’humiliation et de précarisation subjective des enseignants, des élèves et des personnels de direction, beaucoup de profs sont désespérés et rêvent de s’en aller. Je suis l’un des rares à pouvoir se le permettre.

Abandonner l’enseignement impliquerait aussi de ne plus me consacrer qu’au jeu. Financièrement, ce ne devrait pas être un problème à court terme, même si je continue à penser que le marché du jeu a connu, ces dernières années, une croissance sinon artificielle, du moins trop rapide pour être durable. Entre la surproduction et la concurrence accrue, qu’elle soit en boutique et sur kickstarter, et des modes dans lesquelles je ne me reconnais pas toujours, je ne suis cependant pas certain d’être très à l’aise si j’essaie de m’impliquer plus avant dans le monde de l’édition… mais qui sait ! L’éducation m’apportait jusqu’ici un certain confort moral, le sentiment de faire un boulot qui a du sens, un boulot socialement utile, quand la caractéristique fondamentale du jeu, et celle qui fait tout son charme, est qu’il ne sert absolument à rien – mais il est vrai que c’est justement la perte programmée de ce sens qui me fait songer à quitter l’enseignement.

À propos des modes et tendances qui m’énervent un peu…. Je ne suis pas résolument hostile à Kickstarter, je suis même plutôt bon client et pense que cela va rester, mais je n’aime pas, quand l’un de mes jeux s’y retrouve, devoir faire la promotion de la campagne sur twitter et Facebook de manière un peu trop appuyée. Les jeux hybrides me semblent plus souvent le cul entre deux chaises que le meilleur des deux mondes, même si cela va peut-être s’arranger. Alors même que, dans les années quatre-vingt, j’avais bien aimé les livres dont vous êtes le héros, les Escape game en boîte (et ceux en vrai aussi) me font plus l’effet de casse-tête que de jeux de société. Les jeux Legacy demandent bien trop de temps et de régularité pour que j’y joue, bien trop de temps et de travail pour que j’essaie d’en concevoir. Pour compenser cela, Horrified et Pandemic – Fall of Rome m’ont un peu réconcilié avec les jeux coopératifs.

Si je râle un peu contre quelques modes, je constate cependant qu’il n’y a jamais eu autant non seulement de nouveaux jeux, mais surtout de bons voire d’excellents jeux publiés. Voici donc un petit choix parmi mes découvertes de cette année – mais il y a sans doute des jeux tout aussi bons, voire meilleurs, parmi tous ceux auxquels je n’ai pas joué.

Mr Face de Jun Sasaki et Selfie Safari de David Cicurel sont deux petits jeux d’ambiance sur les visages, aussi idiots que rigolos, et qui marchent toujours. Le second est d’ailleurs un jeu hybride, chaque joueur ayant besoin d’un téléphone, ce qui montre que je n’y suis pas totalement réfractaire. De la cafetière viennent deux autres petits jeux d’ambiance rigolos, Super Cats et Ninja Academy, j’ai même remporté un petit concours où il fallait imaginer une carte d’extension pour ce dernier. La même équipe, ou à peu près, a conçu le plus sérieux mais encore assez rapide Draftosaurus. Oriflamme, de Adrien et Axel Hesling, a tout d’un jeu de Bruno Faidutti, avec ses cartes tantôt cachées, tantôt visibles, et qui parfois se déplacent.  Die Quacksalber von Quedlinburg, de Wolfgang Warsch – Les Charlatans de Beaucastel en français – est un excellent jeu familial à l’allemande, qui mêle agréablement chance, prise de risque et planification – pour les pros, c’est du « bag building ». Flick of Faith, de Paweł Stobiecki, Jan Truchanowicz and Łukasz Włodarczyk, est un adorable jeu de pichenettes et de majorité avec votes et pouvoirs spéciaux, mélange improbable mais léger et très réussi. Scorpius Freighter, de Mathew Dunstan et David Short, est un jeu de pick-up and deliver particulièrement chafouin, pour utiliser un adjectif cher à l’autre Bruno, et malheureusement passé totalement inaperçu. Il fallait un jeu japonais dans la liste, c’est Master of Respect, de Kentaro Yazawa, un très dynamique et très mignon jeu de gestion d’une école d’arts martiaux – pourquoi pas ! Hadara, de Benjamin Schwer, est tellement fluide, bien conçu et bien édité qu’il m’a réconcilié avec un genre que je n’appréciais plus guère, les jeux de gestion de ressources allemands un peu froids et abstraits. Res Arcana, de Tom Lehmann, m’a quant à lui réconcilié avec les jeux de cartes à combinaisons tarabiscotées, même s’il reste un peu trop technique pour mon goût. Dans la même catégorie, mais bien plus légers quand même, j’ai aussi beaucoup aimé Abyss Conspiracy, de Bruno Cathala et Charles Chevallier, même si je n’en comprends ni le thème, ni le graphisme, ainsi que Nine, de Gary Kim. Horrified, de Prospero Hall, très américain, un peu baroque et pas trop au sérieux, est un jeu de coopération très agréable, même pour ceux qui, comme moi, n’apprécient pas trop le genre. Je ne pratique pas non plus beaucoup les jeux à deux, mais j’ai vraiment adoré Nagaraja, de Bruno Cathala et Théo Rivière, beaucoup plus agressif qu’il n’en a l’air.

La fréquentation de ce blog baissait depuis quelques années, et était passé en 2018 sous les 300 visiteurs par jour. En 2019, avec une actualité personnelle pourtant moins fournie, les visites sont redevenues plus nombreuses, ce qui m’encourage à continuer à écrire ici. Le nouvel article le plus visité a été celui sur la scène ludique iranienne, Jouer à Téhéran. Viennent ensuite un article déjà ancien, Décoloniser Catan, puis la présentation de mon jeu Kamasutra – mais dans ce dernier cas, je soupçonne des moteurs de recherche facétieux.

Ceci était la première et la dernière fois que je formatais et postais un article de blog entièrement sur mon ipad. C’est sûrement plein de fautes, et j’espère que c’est lisible sur un ordinateur….


2019 has been a modestly productive year for me, with only three games published. Lost in the Woods, designed with Anja Wrede, is the very last in the Purple Brain’s Tales and Games series. Tonari, gorgeously published by IDW, develops an older Alex Randolph’s design. Animocrazy is new version of Democrazy, in a bilingual Chinese / English edition by Hong Kong publisher Jolly Thinkers. All three got good reviews, but I don’t think they’ve been real hits so far.

If everything works as scheduled, I should have many more new designs in 2020, about ten, even when, as usual, a few ones will certainly be delayed. First will come several light games, in very different styles. In Vintage, published by Matagot with art by Pilgrim Hogdson, players sell, collect and occasionally steal vintage items from the 50s, 60s and 70s. In Poisons, designed with Chris Darsaklis, illustrated by Marion Arbona, and published by Ankama, they are nobles at a banquet, trying to drink as much as possible while avoiding getting poisoned. In Stolen Paintings, published by Gryphon Games, they are art thieves or detectives trying to find the stolen paintings. In Gold River, a modernized version of Boomtown published by The Lumberjacks, they are gold diggers during the gold rush. In Vabanque, an old co-design with Leo Colovini which had so far been published only in German and Japanese, they’re bluffing their way to riches in Casinos – unfortunately, I’m afraid the new version will be only in French ! In Reigns – The Council, with Hervé Marly, one of them is the king and the other ones are courtiers and advisors trying to influence his decisions, just like in the phone game. Maracas, designed with Hervé Marly, is a game played with a (special) Maracas. You should guess who the publisher is from looking at the picture.

 

I won’t give any more publishing deadline for Minstrels, designed with Sandra Pietrini and gorgeously illustrated by David Cochard. It has already been delayed a few times, but I really expected it to be published in 2019. The publisher has some problems, but I still hope the game will be there soon. If it really doesn’t work, we’ll look for another publisher.

I ought to have more ambitious designs, some of them in big boxes, at the end of the year. Big boxes with vampires, dwarves and trolls, with gems, gold and metal. More about it in a few months.

 

I really hope that, in a an already overcrowded market, some of my new games will sell well because I’m seriously, and a bit cowardly, considering quitting my daily job, as an economics and sociology teacher. The French high school reform which started to be implemented this year is absolutely catastrophic. Many French high school teachers would like to quit, I happen to be among the few ones who can afford it.  More details about it in the French text, I don’t think my english speaking readers will be much interested in this.

Of course, quitting teaching would mean devoting all of my working time to boardgames. Financially, I can afford it, at least in the short term, even when I still think the boardgame market growth these last years has been if not artificial, at least too fast to be sustainable much longer. Overproduction leads to increased competition, both in shops and on kickstarter, and while I like competition in gams, I don’t like it in real life. There are also a few recent trends I don’t necessarily like. That’s why I’m not sure I would feel at ease if I were to invest more time and energy in the game publishing business… but who knows ! Teaching is providing me with moral comfort, with the knowledge that I’m doing a meaningful and useful job, while the very essence of games, and what makes their charm, is that they are totally devoid of meaning or utility.

Here are some of the recent trends I’m wary of. I don’t really dislike Kickstarter. I think it’s here to stay, and I’m even a compulsive pledger, but I dislike having to support a campaign for my own games, posting too often and too aggressively on Twitter and Facebook. I think hybrid games usualy don’t bring the best of both worlds but fall between two stools – though I have hopes this will slowly improve. In the eighties, I really enjoyed reading choose your own adventure books, but I’m now bored by most « escape rooms in a box » – and in fact by most escape rooms, which feel more like puzzle than like games. Legacy games require too much time, dedication and regularity to play, too much time, dedication and work to design. At least, this year, the excellent Horrified and Pandemic – Fall of Rome made me reconsider my old hostility to cooperative games.

OK, I play the old boomer and rants against some trends, but I’m also impressed by the number not only opf games, but of outstanding games published now. Here comes a short list of my 2019 discoveries, but there are probably even better games among the hundred ones I’ve not played.

Jun Sasaki’s Mr Face and David Cicurel’s Selfie Safari are two fun party game about faces, fun and stupid, which work with everyone. The latter is a hybrid game, since every player needs their phone, which proves I’m not totally hostile to the genre. The coffee machine team has designed two other fun light party games, Super Cats and Ninja Academy – I even won an expansion card design contest for the latter. They also designed the more serious, though still fast paced, Draftosaurus. Adrien and Axel Hesling’s Oriflamme feels very much like one of my own designs, with its face up and face down cards – no wonder I enjoyed it a lot. Wolfgang Warsch’s The Quacks from Quedlinburg is your typical middle weight German family game, but it’s a really good one with the right mix of luck, programming and risk taking – it’s what pros call a « bag building » game, as if one could build a bag. Flick of Faith, by Paweł Stobiecki, Jan Truchanowicz and Łukasz Włodarczyk, is a really fun and light flicking / majority games with special powers and even some voting, on a fun and provocative theme, rival religions. Matthew Dunstan & David Short’s Scorpius Freighter an intricate pick-up and deliver game about space smugglers – which might explain why it went largely under radar. I had to put a Japanese game in this list, it’s Master of Respect, by Kentaro Yazawa, in which players are rival old masters of martial arts trying to form the best students – why not… Benjamin Schwer’s Hadara is a heavy German resource management game, a genre I’m supposed to be tired of, but it’s so fluid, well designed and well published that I really enjoyed playing it – even when I still have no idea what its theme is. Tom Lehman’s Res Arcana reconciled me with combo card games, even when it’s still a bit too technical for me. I’m more likely to play lighter games such as Bruno Cathala and Charles Chevallier’s Abyss Conspiracy – even when I don’t understand its art and setting – or Gary Kim’s Nine. Horrified, by Propspero Hall, is an american style game, slightly baroque and not too serious, extremely enjoyable, even by one who usually doesn’t care for cooperative gaming. I also don’t play many two player games, but I really enjoyed Nagaraja, by Bruno Cathala and Theo Rivière, which is much more interactive than it first looks.

This blog’s visiting figures were declining for a few years, and went for the first time under 300 visitors daily in 2018. In 2019, even though I had fewer new games, it started to go up again, which means it still makes sense to post long articles here. My most visited blogpost was Boardgaming in Tehran. The next ones are older stuff, first my long essay about Postcolonial Catan, then the presentation of my Kamasutra game. I suspect this last one is due to mischievous search engines.

This was the first and last time I entirely wrote, formatted and posted a blogpost entirely from my iPad. I’ll never do it again.