Histoire de deux cités
A Tale of Two Cities
Chronica sive historia de duabus civitatibus

Le prototype de Castel
Castle prototype

Le prototype de Citadelles
First Citadels prototype

Nous étions en hiver, et j’habitais encore à Paris. Un soir, au téléphone, je causais avec Serge Laget, l’ami lyonnais avec lequel j’avais conçu Meurtre à l’Abbaye. Pour ce jeu, nous avions travaillé chacun de son côté, testant avec des équipes différentes, et faisant un usage intensif de la poste et du téléphone pour rendre compatible ses réflexions tactiques compatibles avec mes délires chaotiques. Pourquoi ne pas reprendre une formule qui avait si bien réussi? Quelques heures, et quelques coups de téléphone plus tard, un nouveau projet – bientôt baptisé Citadelle (sans s) – était né. Les bases semblaient claires: il y aurait, dans un univers médiéval, des cartes représentant des lieux (château, tour, auberge…) et d’autres figurant des personnages (roi, magicien, princesse…), ces derniers permettant au joueur d’effectuer diverses actions (le roi commande et lève des impôts, le magicien échange des cartes, la princesse séduit…). C’est donc le thème qui était premier et non la mécanique, et cela explique peut-être le demi échec – ou le double succès – qui allait suivre.

Chacun réalisa quelques cartes et fit quelques premières parties avec ses amis. Mais au téléphone, il devint vite évident que Serge ne comprenait plus bien ce que je faisais, et que je ne comprenais plus bien ce qu’il faisait. Rien de grave, pensions-nous, nous allions facilement mettre tout cela en commun puisque, en avril, nous devions nous retrouver à mes rencontres ludopathiques. Entretemps, mon jeu prit forme plus rapidement que prévu. Les premiers tests étant concluants, une version presque définitive fut vite achevée. Cyrille Daujean, enthousiasmé, conçut une superbe maquette, qui allait rester presque inchangée jusqu’à la version finale, et parvint à convaincre ses voisins de Multisim de s’engager dans la publication du jeu. Frank Branham traduisit Citadelles en anglais et emmena sa maquette au Gathering of Friends d’Alan Moon, où elle rencontra un succès d’estime qui me valut un abondant courrier et quelques propositions d’éditeurs allemands.

Lorsque je retrouvai Serge à Étourvy, en avril 99, nous ne pûmes que constater ce que nous avions déjà pressenti: nos deux jeux n’avaient rien à voir. C’était un peu comme si, ayant décidé de travailler tous deux sur les courses automobiles, j’avais créé le Mille Bornes et lui Formule Dé. J’avais huit cartes personnages et soixante lieux, il avait cinq lieux et soixante personnages. À quoi bon tenter une impossible synthèse puisque mon Citadelles – un jeu de bluff – fonctionnait fort bien et que celui de Serge – plus tactique – semblait plein de promesses. Trop occupé à faire des bises, servir des zakouskis et ramasser des bouteilles de bière vides, je ne trouvais pas le temps d’essayer son jeu durant le week-end. Le dimanche soir, je lui laissai donc une maquette de mon jeu, et repartai avec le sien pour l’étudier de plus prêt.

Les premiers tests montrèrent que, si sa piste valait bien la mienne, son jeu avait encore des lenteurs, et menait trop souvent à des situations de blocage. Le Citadelles lyonnais, avec ses 60 cartes ayant toutes des effets différents, demanderait infiniment plus de réglages que le Citadelles parisien avec ses huit personnages. Le jeu était très prometteur, et profondément original, mais il avait besoin d’un regard neuf et c’est moi qui procédai, sur une mécanique inchangée, aux réglages définitifs. Le Donjon disparut, beaucoup de personnages acquirent des pouvoirs nouveaux, de nouvelles restrictions au placement firent leur apparition pour permettre des combinaisons de cartes. Je m’aperçus bientôt que je ne jouais plus guère à mon Citadelles et que celui de Serge, que j’avais tellement modifié était un peu devenu le mien. Cette fois, nous parvinmes à travailler en commun pour “finaliser le produit”. Le jeu séduisit Henri Balczesak, de Jeux Descartes, et le contrat fut bientôt signé, sans que le jeu – qui ne pouvait pas s’appeler Citadelles – ait trouvé de nom. Camelot était déjà pris et Tintagel semblait une marque de lessive. Forteresse faisait un peu lourd. Ce fut finalement Castel, un terme français un peu vieillot pour château.

Et voilà comment je me suis retrouvé à publier, presque simultanément, deux jeux sur le même thème, avec des traitements graphiques similaires, mais aux mécanismes totalement différents. Citadelles est, fondamentalement, un jeu de bluff et de psychologie. Castel est un jeu de tactique et de combinaisons de cartes, qui n’est pas sans rappeler certains jeux de cartes à collectionner. La première année, c’est Castel qui s’est bien vendu, tandis,que Citadelles peinait à trouver son public. Puis Castel à disparu avec son éditeur, tandis que Citadelles devenait un succès mondial, traduit en une trentaine de langues et vendu à plus de deux millions d’exemplaires. Cela aurait sans doute pu être l’inverse.

Castel
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Emmanuel Roudier

2 à 5 joueurs – 45 minutes
Publié par Jeux Descartes (2000)
Tric Trac    Boardgamegeek

Citadelles
Un jeu de Bruno Faidutti
Illustré par Julien Delval, Florence Magnin, Jesper Eising, Didier Graffet, Jean-Louis Mourier

2 à 8 joueurs – 30 à 60 minutes
Publié par Ubik, Hans im Glueck, Fantasy Flight Games , etc… (2000)
Tric Trac    Boardgamegeek


 It was wintertime and I was still living in Paris. One evening I was chatting on the phone with Serge Laget, the friend from Lyon with whom I’d invented Murder in the Abbey. For that game weíd each worked on our own, playtesting with different groups of people and making extensive use of the mail and the phones, in order to integrate his thoughts about tactics with my passionate ravings. Why not revive a formula that had been so successful? Several hours and a few phone calls later, a new project–soon christened Citadelle (without the s)–was born.The premise seemed clear: there would be a medieval world made up of “place” cards (castle, tower, inn …) and “character” cards (king, magician, princess …); the latter would allow players to accomplish various actions (the king could impose and collect taxes, the magician could switch cards, the princess could seduce …). Thus it was the theme that was dominant and not, as in Murder in the Abbey, the mechanics of the game-play; and that may explain the semifailure–or double success–that was about to follow

We each came up with some cards and had a few preliminary game-testing parties with friends. But over the phone it quickly became clear that Serge no longer had a clear idea of what I was doing and I no longer had a clear idea of what he was doing. No problem, we thought; we could easily get ourselves back on the same track since in April weíd be together at my Ludopathic Gathering (my very own little private game convention).In the meantime, my game took form more quickly than anticipated. After conclusive game-testing, a nearly final version was completed. Cyrille Daujean, with much enthusiasm, came up with a superb prototype that remained almost unchanged right up to the final version, and he managed to convince his friends at MultiSim to come out with the game. Frank Branham translated Citadelles into English and brought his version to Alan Moonís Gathering of Friends, where it was given a warm reception that brought me a great deal of mail, and a great interest from some german publishers.

When I got together with Serge in Etourvy in April ’99, we had to admit what we’d already suspected: our two games had nothing to do with each other. It was as if, both of us having decided to work on car racing games, I had created Mille Bornes and he Formula De. I had eight character cards and 60 locations, he had five locations and 60 characters. Why bother attempting an impossible synthesis, given the fact that my Citadelles–a bluffing game–was working quite well and Serge’s–more tactical– seemed full of promise. Too busy pecking cheeks, serving hors d’oeuvres, and cleaning up empty beer bottles, I never found time to try his game during the weekend. So Sunday evening I left him a sample of my game and headed home with his, to study it up close.

The initial tests showed that, although the trip around his game board was as interesting as mine, his game still had some snags that caused it to bog down too often and end up in gridlock. The Lyonnais Citadelles, with its 60 cards all with different abilities, would need considerably more tweaking than the Parisian Citadelles with its eight characters. The game was very promising, and extremely original, but it needed a new look; while keeping the same basic strategy, I did the necessary fine-tuning. The dungeon disappeared, many characters acquired new powers, and new restrictions on placement appeared, allowing cards to be combined. I soon noticed that I was hardly playing my Citadelles anymore; I had adopted Serge’s, and I’d modified it so much it had sort of become mine. This time, though, we managed to work together to come up with the final product. The game attracted Henri Baczesak, of Jeux Descartes, and the contract was soon signed, although the game–which we couldn’t call Citadelles–didnít yet have a name. Camelot was already taken, Tintagel (King Arthur’s birthplace) sounded like a brand of laundry detergent; and Fortress seemed a little heavy. Finally, it became Castel, a somewhat old-fashioned French word for castle – and Castle in English.

That’s how I found myself publishing, almost simultaneously, two games on the same theme, with similar graphics, but mechanically entirely different. Citadels is, fundamentally, a bluffing and double guessing game. Castle is a game of tactics and card combos, somewhat reminiscent of collectible card games. In the first year, Castle was the best seller, but it then disappeared together with its publisher, Jeux Descartes. Then Citadels became a world hit, with more than two millions copies sold in two dozens different languages. I can’t help thinking it could have been the reverse.

Castle
A game by Bruno Faidutti & Serge Laget
Art by Emmanuel Roudier

2 to 5 players – 45 minutes
Published by Jeux Descartes (2000)
Tric Trac    Boardgamegeek

Citadels
A game by Bruno Faidutti
Art by Julien Delval, Florence Magnin, Jesper Eising, Didier Graffet, Jean-Louis Mourier

2 to 8 players – 30 à 60 minutes
Published by Ubik, Hans im Glueck, Fantasy Flight Games , etc… (2000)
Tric Trac    Boardgamegeek

Castel
Castle

Au château, il n’y a pas de place pour tout le monde. Il va donc falloir jouer serré pour y installer tous les personnages – les cartes – que vous avez en main. Heureusement que chacun d’eux dispose d’un pouvoir particulier qui, utilisé judicieusement, doit lui permettre de se faire une place et de s’incruster. Mais vos adversaires ont des personnages tout aussi puissants que les vôtres. Ils peuvent même éjecter ceux que vous avez réussi à caser… Une sacrée bousculade en perspective!

Les cartes de Castel ont toutes des effets différents, ce qui en fait un jeu de combinaisons dans lequel il ne faut pas laisser passer la bonne occasion. Les aller-retours des cartes entre les mains des joueurs et le plateau de jeu modifient sans cesse la physionomie du jeu.

C’est à la fin des années quatre-vingt dix, quand la folie de Magic the Gathering avait envahi le monde du jeu, que Serge et moi avons conçu Castel. Si Castel n’est pas un jeu de cartes à collectionner, c’est néanmoins un jeu de combinaisons, avec des cartes presque toutes différentes dont les effets s’entremêlent, se combinent, se répondent pour permettre des coups pendables et des retournements de situation inattendus. Avec Castel, nous voulions faire un jeu tactique varié et dynamique procurant les mêmes sensations et la même variété que les jeux à collectionner comme Magic, mais sans demander le même investissement en temps et en argent. La preuve que nous avons réussi est que, depuis, nous n’avons cessé d’imaginer de nouvelles cartes pour renouveler le jeu. Une nouvelle version de ce jeu, avec plus de cartes, plus d’effets, plus d’action, plus de personnages est à la recherche d’un éditeur.

Castel
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Emmanuel Roudier

2 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Jeux Descartes (2000)
Tric Trac    Boardgamegeek


In the courtyard, there’s not enough place for all who want to get in. You’ll have to make place to play all the character cards in your hand. Happily, each character has some special ability that, if judiciously used, may help him to find a place and to keep it. But beware, your opponent’s characters are as powerful as yours, and may even eject those that you already managed to place.

All cards have different abilities, and Castle is a cunning placement and card-combination game, in which you must grab every opportunity. The various cards, coming from the player’s hands to the virtual board, and back, make it very dynamic. 

Serge and I designed this game in the late nineties, when, like all our friends, we were mostly playing Magic the Gathering. Castel is not a collectible card game, but it feels a bit like one, and this deliberate. It’s all about card combos, about various card effects interacting in dozens of different ways, allowing for unexpected turnarounds and comebacks. We wanted to nasty design a stand-alone game with all the fun, the chaos and the variety  of CCGs. We did it and, ten years after it was first published, we are still eventually discussing new card ideas. The new version of Castle, with more cards, more action, more characters, more variety is now looking for a publisher.

Castle
A game by Bruno Faidutti & Serge Laget
Art by Emmanuel Roudier
2 to 5 players – 60 minutes
Published par Jeux Descartes (2000)
Boardgamegeek

Kheops

Dans Kheops, les joueurs sont deux architectes rivaux contribuant à la construction de la grande pyramide . Les joueurs, à tour de rôle, placent des tuiles – salles et couloirs – et des pions – ouvriers, prètre, momie et même pharaon – pour faire avancer le chantier de la pyramide. Bien sûr, certaines tuiles sont particulières, abritant un sarcophage ou déclenchant une malédiction. On murmure même que certains couloirs pourraient pivoter, réservant bien des surprises aux ouvriers.

Lorsque la pyramide est terminée, le joueur contrôlant les plus grands réseaux de salles et de couloirs est nommé architecte du pharaon tandis que l’autre est donné en pâture aux crocodiles. Comment ça, ça vous rappelle quelque chose?

Histoire du jeu

Depuis longtemps, avant même que notre première création commune, Meurtre à l’Abbaye, ne soit publiée, Serge et moi réfléchissons aux jeux de tuiles et de réseaux. Cela a donné Castel, même si les tuiles y sont des cartes et s’il n’y a pas vraiment de réseaux. Cela a donné, plus classiquement, Space Station Argo, qui devait sortir chez FFG mais cherche aujourd’hui un nouvel éditeur. Cela a donné la Pyramide, devenue Kheops, un jeu qui semble avoir subi je ne sais quelle malédiction.

Pourquoi construire une pyramide égyptienne ? Essentiellement parce que l’on s’est dit qu’il y avait trop de jeux avec des tuiles carrées et hexagonales, mais qu’il y avait encore des choses à faire avec les tuiles triangulaires – et qui pense triangle pense pyramide, mais aussi parce que l’imaginaire de la pyramide, c’est celui des couloirs secrets, des portes de pierre qui pivotent, des momies et des malédictions, plein d’éléments thématiques intéressants à exploiter. Alors, certes, il y a des auteurs allemands a qui font des pyramides de pingouins sur la banquise, mais une vraie pyramide de pierres dans un désert de sable, ça a quand même plus de gueule.

Ludovic Maublanc jouant au prototype de Kheops.
Ludovic Maublanc testing the prototype of Kheops.

Bien sûr, l’Égypte n’est pas l’univers le plus original pour un jeu de société, mais nous au moins on construit une vraie pyramide de pharaon, sobre et classique, et pas un palais de nouveau riche pour une reine décadente. Et puis si vous pensez qu’on a pompé l’idée des architectes égyptiens rivaux sur nos compères Ludovic Maublanc et Bruno Cathala, regardez-bien l’image ci-dessus, qui prouve le contraire. On y voit en effet Ludo, en 2002, aux rencontres ludopathiques, testant un prototype de Kheops!

Kheops était un excellent jeu, tactique et stratégique à la fois, aux mécanismes originaux, au thème bien rendu, bien plus qu’un simple Carcassonne triangulaire. Il a malheureusement souffert d’une édition assez laide, réalisée par un éditeur qui a presque aussitôt disparu. Pourtant, Christophe Swal dessine sacrément bien, mais sur ce coup, il a dû être assez mal payé. Tout cela est bien dommage, et je pense qu’il mériterait une réédition, avec un graphisme plus soigné et un matériel de meilleure qualité.

Kheops
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Swal

2 joueurs – 30 minutes
Publié par Tilsit (2008)
Tric Trac    Boardgamegeek


In Kheops, players are rival architects taking part in the building of the great pyramid. In turn, player place tiles – rooms and corridors – and pawns – workers, priests, mummy and even pharaoh – on the pyramid building site. Of course, some tiles have special features, like sarcophagi or curses. There are even rumors of rotating corridors and secret networks.
When the pyramid is built, the player controlling the longest networks is named Pharaoh’s architect, while his rival is fed to the crocodiles. Yes, you may already have heard this in some other game.

History of the game

Serge and I have been toying with tile laying and network systems for quite long, even before our first common design, Mystery of the Abbey, was published. This made for Castle, even when it has cards instead of tiles and no real network. This made forSpace Station Argo, which was due to be published by FFG and is now looking for another publisher. This made for Pyramidour cursed game, which was to be published by a publisher who went out of business a few months too early – Eurogames – and was published by a publisher who went out of business a few months later, Tilsit. Talk about curses…

Why build an Egyptian pyramid? The main reason was we thought there were already too many games with square and hexagonal tiles, and not that many with triangular ones, so there may be new ideas to explore there. And, of course, triangular tiles led to triangular board, and therefore to a pyramid. Since a pyramid is supposed to have mummies, secret chambers, moving walls and Pharao’s curses, all good thematic elements in a game, we could not imagine any other setting. Of course, some German designers might make pyramids of penguins on the ice floe, but a pyramid of stone in the desert definitely looks more serious and consistent..

Of course, Egypt is not the most original setting for a boardgame, but at least we are building a true pharaoh’s pyramid, sober and classical, and not some nouveau riche palace for a decadent queen. And if you think we stole the idea of rival egyptian architects from Ludovic Maublanc and Bruno Cathala, have a look at the picture here over, which proves it was the other way round. It shows Ludovic, in 2002, playing a prototype of Kheops at the ludopathic gathering.

Marcel-André Casasola-Merkle et Emanuel Ornella jouant à Kheops.
Marcel-André Casasola-Merkle and Emanuel Ornella playing Kheops.

Kheops was a great game, both tactical and strategic depth, with original game systems and a really strong theme – much more than simply a triangular Carcassonne. Unfortunately, the edition was poorly realized, with bad graphics and cheap components. Christophe Swal usually draws great illustrations, but I bet he was really bad payed for this game. Things didn’t get better when, a few months later, the publisher went out of business. All this is a real shame, and I think Kheops iw worth being republished, with new graphics and better components.

Kheops
A game by Bruno Faidutti & Serge Laget
Graphics by Swal

2 players – 30 minutes
Published by Tilsit (2008)
Boardgamegeek

Ad Astra – Strategies

Si les mécanismes fondamentaux d’As Astra ont été assez rapidement conçus, les réglages ont demandé de très nombreux tests. Pour que le jeu reste intéressant au delà des parties de découverte, il ne fallait pas qu’une stratégie, qu’un mode de développement s’avère systématiquement plus profitable qu’un autre. Alors que les mécanismes du jeu ne changeaient plus guère, nous avons à plusieurs reprises modifié le coût des déplacements ou le score des terraformations afin de rendre tel ou tel « chemin vers la victoire » plus ou moins praticable.

Bien sûr, le choix de votre stratégie dans une partie d’Ad Astra doit tenir compte des circonstances, et notamment de la production de votre planète de départ ainsi que, dans une moindre mesure, des paires de ressources figurant sur vos cartes de production. Surtout, s’il est bon de songer à une stratégie en début de partie, il faut aussi savoir s’adapter aux circonstances et à ce que font les autres joueurs. Il peut être bon, par exemple, de se spécialiser dans une ressource également produite par un autre joueur, afin de la voir produite plus fréquemment. D’un autre côté, il peut être intéressant de privilégier un mode de développement (terraformation, vaisseaux, colonies…) où nul ne vous concurrence, afin de bénéficier plus facilement des bonus de score. Bref, Ad Astra est un jeu plus stratégique que tactique, mais qui demande néanmoins une certaine souplesse. C’est d’ailleurs pour handicaper les stratégies trop spécialisées que nous avons introduit le mécanisme des cartes scores ne pouvant être récupérées que lorsqu’elles ont toutes été jouées.

Voici quelques unes des stratégies que nous avons vu émerger lors des parties tests et qui, dans les bonnes circonstances et menées sans dogmatisme excessif, peuvent conduire à la victoire.

Terraformation
Si vous débutez la partie sur une planète produisant de l’eau ou de la nourriture, vous pouvez tenter de terraformer rapidement plusieurs planètes, marquant des points d’abord lors de la terraformation, puis ensuite avec votre cartes scores. Si vous trouvez rapidement d’autres planètes terraformables et ne rencontrez pas de concurrence, cette stratégie est facile à mettre en œuvre. Elle peut cependant s’épuiser, et peut facilement être contrée si d’autres joueurs plus mobiles s’emparent des bonnes planètes avant vous.

Hyperspécialisation
Produire une même ressource en grande quantité, et notamment l’énergie, peut permettre en cas de besoin de faire des échanges intéressants, notamment avec la banque. Surtout, cela crée des opportunités de score très impressionnantes avec la carte “ressources identiques”. La limite de 10 cartes ressources en main n’étant effective qu’à la fin du tour, rien ne vous empêche d’accumuler les cartes d’énergie, ou de toute autre ressource, et d’en dépenser une douzaine, voire plus, sur une carte score astucieusement placée parmi les dernières du tour.

Vaisseaux et systèmes
Si vous disposez de minerai en début de partie, vous pouvez construire un second vaisseau dès le premier tour et vous répandre rapidement dans des systèmes nombreux, laissant éventuellement une colonie derrière vous sur les planètes les plus intéressantes. Les vaisseaux coûtent certes assez cher, mais les score ” vaisseaux” et ” systèmes” figurant sur des cartes actions différentes, vous pouvez espérer bénéficier ainsi d’un plus grand nombre de bonus de score, qui sont souvent déterminants pour la victoire finale.

Autostop
La stratégie de l’autostoppeur est l’une des plus difficiles à mener, mais elle est aussi très satisfaisante lorsqu’elle fonctionne. Elle consiste à se reposer essentiellement sur les cartes action des autres joueurs et à jouer rapidement ses cartes de score, quitte à ne pas toujours être premier, afin de profiter au mieux du choix qui est à chaque fois donné entre les deux types de score. Le principal risque est, ne pouvant vraiment se spécialiser dans aucun domaine, de scorer souvent et correctement mais sans jamais bénéficier des utiles bonus de trois points.

Aliens
Les planètes aliens sont rares, et les effets des artefacts trop différents pour permettre de construire à l’avance une “stratégie alien”. Il ne faut cependant pas négliger les planètes aliens, d’une part dans l’espoir de piocher une carte intéressante, mais aussi pour bénéficier des points accordés lors de la construction d’une colonie, et plus encore d’une usine, sur ces planètes.

Ad Astra est un jeu de Serge Laget. Il y a donc plusieurs stratégies possibles pour parvenir à la victoire, et il vaut mieux qu’un joueur en ait une en tête pour guider ses choix. C’est aussi un jeu de Bruno Faidutti. Flexibilité et adaptabilité sont donc également essentielles, et il est parfois bon de reconsidérer en cours de partie ses choix stratégiques.

Ad Astra
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Justin Albers & Kieran Yanner
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Nexus (2009)
Ludovox          Vind’jeu         
Tric Trac         Boardgamegeek


While the core systems of Ad Astra were quite easy to design, the fine-tuning required many tests of many different versions. We wanted the excitement and challenge of the first games to last for many, many games. This meant we had to balance the different strategies and to prevent one or another from becoming the obvious path to victory once a player knows the game well. Without changing anything in the core game systems, we made many late test games with minor changes in the cost of movement, or in the terraforming scorings, to make this or that path to victory harder or easier to follow.

You can’t decide of a strategy before knowing what your starting planet produces and, though it’s less critical, what are the resource pairings on your production cards. Also, while it’s good to have a clear strategy in the first turn, you must sometimes adapt to the circumstances, and to what other players are doing. It could interesting in the first turns, for example, to have the same production as another player so as to make use of his production action cards. On the other hand, it could be interesting in the long term to specialize in something other players are neglecting, like terraforming or spaceships, which will make easier to get the three points score bonuses. Ad Astra is more strategy than tactics, but it nevertheless rewards some flexibility. We devised the rule stating than one cannot get his scoring cards back until all three have been played specifically to discourage rigid, one way strategies.

During our test games, a few strategies have emerged. All of them, if played at the right time and with enough flexibility, can lead to victory.

Terraforming.
If you start the game on a water or food planet, you can try to terraform quickly two or more planets. This can make for huge scoring, first when terraforming, then with the terraforming scoring cards. This works only if you find other terraformable planets quite soon, and if no one else is terraforming. This strategy is very easy to implement, but it doesn’t always do well in the long run, especially if other players land on the water and food planet before you do.

Hyperspecialization
If you can produce the same resource, usually energy, in great quantities, it can put you in a good position for trade, either with the bank or with other players. Also, this creates an opportunity for impressive scoring with the “same resource”-scoring scoring card. The 10 resource cards hand limit is only at the end of the turn, so you can accumulate resource cards during the turn and spend a dozen or more on a same resource scoring card played in the very last spaces on the track.

Spaceship and Systems
If you start the game with an ore planet, it can be clever to build a second spaceship in the first turn and start exploring new systems, leaving a colony behind you in each system. Spaceships are expensive, but the “spaceships” and “systems” scores are triggered with different cards, which means you can hope for many scoring bonuses if you manage to hold both majorities. Bonuses are often decisive in this game.

Piggyback
The piggyback strategy requires psychology and adaptability, but it can be very satisfying. The idea is to count on action cards from other players, and play many scoring cards. This way, you choose more often than other players what element is scored, which can be a strong advantage. The drawback from this strategy is that you can’t really specialize in one item or another. You often get good scores, but you rarely get the 3 points bonuses

Alien artifacts
Alien planets are scarce, and the artifact effects are too varied to be predicted and used in an “alien strategy”. Going for alien planets can be good nevertheless, not only for the artifacts, but also for the scoring points awarded when you build a colony, and even more when you build a factory.

Ad Astra is a game by Serge Laget. This means there are many different strategies that can lead to victory, and one must always have a strategy in mind. It’s also a game by Bruno Faidutti. This means it nevertheless rewards adaptability, and one must be ready to switch strategy on a good opportunity

Ad Astra
by Bruno Faidutti and Serge Laget
Art by Justin Albers & Kieran Yanner
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by Nexus (2009)
Boardgamegeek

Sic itur ad astra

Explorez la galaxie, découvrez les mystérieux artefacts laissés par des civilisations depuis longtemps disaprues, débarquez sur des mondes inhabités pour en exploiter les ressources naturelles, construisez des bases, des usines et de gigantesques vaisseaux spatiaux, terraformez et colonisez les planètes lointaines.

Le thème et le look de ce jeu pourraient faire croire à un grand jeu de conquête à l’américaine. Ne vous y trompez pourtant pas, Ad Astra est un “eurogame”, un jeu “à l’allemande”.

Histoire du jeu

Depuis longtemps, Serge Laget et moi voulions faire ensemble un “gros” jeu, expérience que nous n’avions pas renouvelée depuis Mystère à l’Abbaye, malgré quelques ébauches vite abandonnées. Serge est très branché science-fiction ; je suis resté un fan des colons de Catan. Un soir, au téléphone, tout cela se mélangea pour donner un cahier des charges relativement simple : un gros jeu d’exploration et de développement d’un empire spatial, bâti sur un système de ressources façon Catan.

Quelques jours plus tard, un vendredi soir, Serge débarquait à Avignon, et nous nous mîmes aussitôt au travail. Serge, en connaisseur des poncifs de la SF, insista sur la possibilité de terraformer les planètes. Je parvins à recycler un système de programmation à l’aide de cartes cachées que j’avais un temps envisagé pour Warrior Knights. Toutes les pièces du puzzle s’imbriquant parfaitement, chacun rebondit sur les idées de l’autre, et après une dizaine d’heures, nous avions un premier prototype, fait des cartes action imprimées à la va-vite sur du bristol, de pièces récupérées dans divers jeux, et de planètes griffonnées sur des disques de carton. Autant vous rassurer tout de suite, cela se passe rarement ainsi. La gestation d’un jeu est habituellement bien plus longue et difficile, et il faut généralement des semaines, voire des mois de réflexion avant la réalisation du premier prototype. Si cet historique est plus bref que celui de la plupart des mes autres jeux, c’est donc tout simplement parce que l’histoire de Ad Astra est assez simple et courte.

La toute première partie d’Ad Astra
The very first game of Ad Astra

Le samedi soir, j’invitai donc quelques amis pour une première partie, qui permit de valider l’ensemble des mécanismes – exploration, découverte, production, programmation, construction, mouvement, terraformation, tout fonctionnait parfaitement, à l’exception du système de score, qui allait encore demander un peu de réflexions. Il ne nous restait donc qu’à faire les réglages – déterminer la répartition des planètes produisant les différentes ressources, les ressources précises nécessaires pour chaque développement, le nombre de points de victoire rapportés par chaque élément de jeu. De simples ajustements, certes, mais qui pour un jeu ambitieux nécessitant un équilibre parfait entre les différentes stratégies possibles, demandèrent une centaine de parties, et autant de coups de téléphone entre Lyon et Avignon.

Notre prototype, baptisé Andromeda, puis Cassiopeia, suscita beaucoup d’intérêt chez les éditeurs. Il faillit être publié par nos amis de Days of Wonder, Cyrille réalisant même une très jolie maquette. Après quelques détours par l’Allemagne, le jeu se retrouva finalement chez les italiens de Nexus, qui firent un bon boulot d’édition… mais disparurent quelques mois plus tard. Ad Astra ne sera donc pas réimprimé, du moins pour l’instant, et l’extension que nous avions prévue ne sortira jamais. C’est un peu dommage, c’est un bon jeu dont Serge et moi restons très fier. Il doit encore en rester dans quelques boutiques.

Ad Astra
Un jeu de Bruno Faidutti & Serge Laget
Illustré par Justin Albers & Kieran Yanner
3 à 5 joueurs – 60 minutes
Publié par Nexus (2009)
Ludovox          Vind’jeu          Tric Trac         Boardgamegeek


Explore the galaxy, find the mysterious artifacts of long lost alien civilizations, land on uninhabited worlds and mine their precious ores, build living bases, factories and huge spaceships, terraform and colonize faraway planets…

The theme and graphic style of this game could make you think it’s an american style conquest and exploration game. It is not. Ad Astra is definitely a “Eurogame”.

History of the Game

For a few years, Serge Laget and I wanted to work together on a “heavy” game, something we had done only once, with Mystery of the Abbey. We had tried several times since, but none of our projects had gone very far. Serge is a science-fiction fan, I’m a Settlers of Catan fan. One evening, on the phone, these two facts merged into one simple idea – a big science fiction game about space exploration and empire development using a “Catan-like” resource and building system.

A few days later, on Friday night,  Serge was here in Avignon and we immediately started to work on this common design – and things went incredibly fast. Serge knows all Sci-fi clichés, and insisted on terraforming. I managed to recycle a face down card programming system I had once thought of using in Warrior Knights. All the pieces of our puzzle went together well, each one of us bounced on the other one’s ideas, and after ten hours of uninterrumpted work, we had a first prototype, with rough action cards, cardboard planet disks with drawn symbols, and pieces from various other games. Of course, it usually doesn’t happen that way. Most games usually need weeks, or even months, of thought and debate before realizing a first prototype. If this “history of the game” page is much shorter than for most of my other games, it’s simply because the story of the game design was short, simple, and straightforward.

On Saturday night, I called a few friends to play a first game. As a result, all global rules system were validated – exploration, discovery, production, programmation, building, movement, terraforming, everything worked well – the only exception being the scoring system, which needed a few more games before being satisfactory. So the game only needed tuning, but it needed a lot of fine tuning to decide of the planet distribution, the resources needed for every development, the number of victory points for ever game element, and so on. The game was nearly finalized after a first game session, but it needed a hundred more, and as many phone calls between Avignon and Lyon, before we were completely satisfied with it.

Bruno Cathala commente le prototype d’Ad Astra
Bruno Cathala comments on the Ad Astra prototype

The prototype was first called Andromeda, then Cassiopeia, and many publishers showed some interest in it. Our friends from Days of Wonder hesitated for a few months, and Cyrille even designed a wonderful prototype. After a few months in Germany, the prototype ended in Italy. Nexus made a great edition and production work… But went out of business a few months later. This means Ad Astra won’t be reprinted, at least for the moment, and the planned expansion won’t be published. It’s a shame, since Serge and I are very proud of this design. There ought to be still a few copies left in some shops.

Ad Astra
by Bruno Faidutti and Serge Laget
Art by Justin Albers & Kieran Yanner
3 to 5 players  – 60 minutes
Published by Nexus (2009)
Boardgamegeek