Formula E

Assez régulièrement, je reçois des emails dans lesquels des auteurs de jeux connus ou inconnus me proposent de travailler avec eux sur un projet de jeu, souvent déjà assez avancé. Lorsqu’il y a des zombies ou quinze pages de règles, je réponds poliment que désolé, ce n’est pas mon style, mais bonne chance quand même. Dans les autres cas, je jette un coup d’œil avant, le plus souvent, de répondre poliment que, désolé, ça a l’air bien intéressant mais je n’ai vraiment pas le temps de me lancer dans un nouveau projet – mais bonne chance quand même. Et puis, une ou deux fois par an, quand aussi bien le sujet que les mécanismes m’amusent, quand j’ai le temps, et quand les auteurs ont l’air sympas, je réponds pourquoi pas.

Début 2011, j’ai ainsi reçu une proposition d’André Zatz et Sergio Halaban, auteurs brésiliens de deux petits jeux de bluff que j’apprécie beaucoup, Hart an der Grenze et Sultan. Ils y présentaient Indian Derby, un jeu de course d’éléphant qu’ils avaient réalisé quelques années auparavant, qui avait manqué de peu être publié par plusieurs éditeurs, et auquel ils pensaient qu’un regard neuf pourrait apporter un plus. Le jeu m’a tout de suite plu. Le thème, une course d’éléphant, était original et amusant, et permettait d’introduire des mécanismes de poussée inhabituels dans les jeux de parcours. Le moteur du jeu, des cartes de déplacement et des cartes action, me convenait très bien. Bref, nous avons quelque peu discuté, et nous sommes penchés ensemble – via email, parce que le Brésil, c’est un peu loin – sur un jeu que je voulais rendre plus léger, plus rapide, plus méchant. Après avoir unifié le système de gestion des cartes action et mouvement, simplifié les bousculades, ajouté quelques actions thématiques et amusantes, nous nous retrouvâmes quelques mois plus tard avec un jeu de course tactique et très enlevé, un peu dans l’esprit d’Ave Cesar, des bousculades, mais aussi des vaches sacrées, des tapis volants, des tigres et des charmeurs de serpents.

Le prototype d’Indian Derby commença alors à faire le tour des éditeurs et, assez rapidement, élit domicile chez Clever Mojo, l’éditeur de l’excellent Alien Frontiers. David MacKenzie eut l’idée amusante d’appeler le jeu Formula E. Mes amis d’Asmodée, l’éditeur de Formula D, acceptèrent bien volontiers à condition que le clin d’œil ne tourne pas à la confusion. Je pense qu’avec deux gros éléphants sur la boite, il n’y aura pas de problèmes.

Formula E
Un jeu de Sergio Halaban, André Zatz et Bruno Faidutti
Illustrations de Jacqui Davis
3 à 6 joueurs – 60 minutes
Publié par Game Salute
Tric Trac      Boardgamegeek


I regularly receive emails from both well known and completely unknown game designers asking me if I would like to work with them on some design, usually already well advanced. When it’s about zombies, or has fifteen or more pages of rules, I answer that I’m sorry, that’s not really my kind of game, but good luck anyway. In all other cases, I have a look and usually answer that I’m sorry, I’m already overbooked and wouldn’t find the time to start a new project, but good luck anyway. Once or twice every year, when both the setting and the game systems sound exciting, when I have time, and when the authors seem to be nice guys, I answer why not, let’s discuss the game.

Early in 2011, I got an email from André Zatz and Sergio Halaban, the Brazilian authors of two light double-guessing games I really like, Hart and der Grenze and Sultan. The subject of their email, Indian Derby was an elephant racing game they had designed a few years ago, which had raised some interest from several publishers but ultimately hadn’t been selected for publication. They wanted to rework it, and were thinking that a fresh look by a designer who wasn’t involved in the original design, could help.  I liked the game idea at once. The storyline, an Indian elephant race game, was new, and allowed for rules about pushing–something unusual in a racing game, and for fun thematic events. I had long wanted to design a card driven race game, so this was a good opportunity to jump in. We discussed the game and worked together via email–since Brazil is far from France–on new rules and events to make the game lighter, faster and nastier. We simplified the card management system and the jostling rules, we added some event cards, and we ended with a very dynamic and tactical racing game, in the style of Ave Caesar (one of my all-time favorites), but with lots of jostling and crushing, and also holy cows, flying carpets, snake charmers, monkeys and tigers.

The new version of Indian Derby was shown to several publishers and, very soon, Clever Mojo Games, the publisher of Alien Frontiers, decided to do it. David MacKenzie had the fun idea to name the game Formula E. I asked my friends at Asmodée, the publisher of Formula D, and they gracefully accepted as long as the pun doesn’t lead to confusion. With two large elephants on the box, I think there’s no great risk.

Formula E
A game by Sergio Halaban, André Zatz & Bruno Faidutti
Graphics byJacqui Davis
3 to 6 players – 60 minutes
Published by Game Salute
Boardgamegeek

Les jeux de société sur Kickstarter (et autres)
Boardgames on Kickstarter (and others)

canterbury

Le crowdfunding, maladroitement rendu en français par “financement participatif” est le sujet à la mode dans le monde du jeu. Le dynamisme et le succès de Kickstarter, et dans une moindre mesure d’Ulule et IndieGoGo, est impressionnant. Leur part dans les ventes globale de jeux de société reste sans doute encore assez marginale, mais en ce qui me concerne j’ai, ces derniers mois, acheté – ou pré-acheté – plus de jeux sur Kickstarter qu’en boutique de jeux.

L’intérêt, et les possibles effets pervers, de Kickstarter et ses émules sur le monde de l’édition et sur le monde des joueurs méritent d’autant plus d’être discutés qu’ils sont déjà en train de changer.

Au premier abord, le crowdfunding n’est rien d’autre que le bon vieux système de la souscription – c’est déjà ainsi que Diderot et d’Alembert avaient financé l’Encyclopédie. Internet, permettant des paiements simples et le regroupement des propositions dans des sites dédiés, comme Ulule et Kickstarter, à juste permis à tous les auteurs de jeux – ou de bien d’autres trucs – de faire appel directement aux joueurs en leur présentant leur projet de manière détaillée. On aurait pu craindre que, comme avec les jeux ou les livres auto-édités par des inconnus, le résultat soit souvent médiocre. Ce n’est pas ce que j’ai constaté jusqu’ici, et les projets visiblement sans intérêt ne sont pas financés.
Le premier jeu que j’ai acheté sur Kickstarer, Alien Frontiers, est un chef d’œuvre, et aucun de la dizaine que j’ai acquis depuis ne m’a vraiment dèçu, même s’ils étaient rarement très innovants. Tout se passe comme si les internautes étaient, collectivement, d’aussi bons directeurs de collection que les professionnels – à moins bien sûr que beaucoup de mauvais jeux n’aient aussi été financés avec succès et que ce soit moi qui sache choisir les bons, mais je n’ai pas cette impression.
En permettant à des auteurs indépendants, ou à de petits éditeurs, de se lancer sans grands risques, presque sans avance de trésorerie ni frais de distribution, Kickstarter a, malgré ses quelques lourdeurs de fonctionnement, introduit un véritable vent de fraîcheur dans l’édition ludique.

Cela est peut être déjà en train de changer. Ces derniers temps, quelques éditeurs déjà bien installés, comme Queen ou Gryphon, ont commencé à proposer également sur Kickstarter ou Ulule des jeux dont on devine qu’ils seront de toute façon publiés. Le crowdfunding n’est plus alors vraiment un procédé de financement communautaire, même si les éditeurs peuvent connaître des problèmes de trésorerie. Cela devient un outil publicitaire relativement bon marché et, surtout, un moyen pour l’éditeur d’augmenter sensiblement la proportion de ventes directes, sur lesquelles il marge bien plus que sur les ventes par les boutiques. À l’âge d’internet, les boutiques en dur ne peuvent guère que péricliter, même si elles gardent un grand charme, et il n’est pas nécessairement illégitime que les éditeurs, et pourquoi pas les auteurs, gagnent un peu plus de sous. Je trouve juste un peu dommage que, pour cela, les éditeurs squattent un outil, les sites de financement participatif, qui était beaucoup plus cool quand on n’y trouvait que les inconnus, les débutants, les innovateurs, les petits jeunes. Enfin, bon, je crois qu’un de mes jeux va bientôt se retrouver sur Kickstarter, mais j’ai une excuse, c’est chez un petit éditeur.

La catégorie “board and card games” sur Kickstarter

alienfrontiers

Crowdfunding is a much discussed topic on boardgaming mailing lists and forums these last months. The popularity and the rapid growth of crowdfunding websites such as Kickstarter, and to a lesser extent Ulule and IndieGoGo, is impressive. It probably accounts for a very small percentage of global board games sales so far, but more than half of the games I bought – or preordered – these last months were found on Kickstarter.

What makes the debate on Kickstarter and similar websites very interesting just now is also that, while still very recent, the way they are used is also already changing, at least for boardgames .

At first look, crowdfunding is just a new name for a very old idea, subscription sales. Diderot and d’Alembert’s Encyclopaedia was already published this way. Internet only makes things easier, especially when a website like Kickstarter can regroup thousands of projects, link the similar ones, and make payment easy. Innovators of all kinds, in arts or science, and in games, can use it to show their project and contact fans and potential founders in the whole world.
The result could have been mediocre, as are often books and games self-published by newcomers. That’s not what has happened so far, and a short look at the kickstarter listing shows that the obviosuly uninteresting projects won’t be funded.
The first Kickstarter game I bought, Alien Frontiers, is a masterwork, and none of the dozen I bought since were bad, even when there was less real innovation than I was expecting. It seems that, as a whole, crowdfunders are as good as selecting the right games to publish than any editor working for a professional publisher. unless, of course, may be I just chose the good games while many bad ones were also published, but it doesn’t look like this.
Kickstarter made the good old subscription scheme popular and accessible. Thanks to it, new game authors and publishers have entered the business with little or no cash, and no fee for shops and distributors. This brought some fresh air in the boardgaming world.

This might be already changing. These last months, several well established publishers, such as Queen or Gryphon Games, have started posting their upcoming games on Kickstarter. Of course, these games are scheduled and will probably be published even if the Kickstarter funding target is not reached. For these publishers, Kickstarter is no more a crowdfunding tool – even when some early cash is always welcome. It’s both a cheap advertisement opportunity, and a very efficient way to by-pass the shops and have more gamers buy directly from the publishers, which makes for a much higher margin. Of course, despite their charm, brick and mortar shops can only dwindle in the age of the internet, and it’s not necessarily a bad thing to have publishers, and why not designers, earn some more money. It’s nevertheless a bit sad and unfair to do this with a tool, the crowdfunding sites, which felt much cooler when it was used mostlly by wannabes designers, small new publishers, innovators and unknown people. Well, anyway, I think one of my games might soon end on Kickstarter, but since it’s through a small publisher…

The “board and card games” listing on Kickstarter