Raptor – Les illustrations
Raptor – The Graphics

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Je pensais que Raptor était mon premier jeu illustré par Vincent Dutrait, jusqu’à ce que lors d’une discussion, à Cannes je crois, celui-ci m’apprenne qu’il avait déjà dessiné le plateau de jeu et la boite de mon China Moon, en 1996, quand je n’étais pas encore très connu et qu’il n’était lui-même qu’un tout jeune dessinateur (on ne disait pas encore beaucoup illustrateur) débutant. Ceci dit, les illustrations de China Moon étaient déjà très chouettes.

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Vingt ans plus tard, il est un illustrateur reconnu, je suis un auteur connu, et il illustre donc Raptor, le petit jeu de plateau pour deux joueurs que j’ai conçu avec Bruno Cathala, ou plutôt que Bruno Cathala a conçu avec un peu d’aide de ma part. Et le résultat est impressionnant, délibérément un peu kitsch, avec une couverture façon affiche de film – mais film des années soixante, pour que le clin d’œil ne soit pas trop lourd – et des cartes au dessin assez réaliste.

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Il y a deux manières de faire travailler les illustrateurs dans le jeu de société. Souvent, l’illustrateur ne livre que des dessins bruts, et tout le travail de mise en page est fait en interne par l’éditeur. Plus rarement, et c’est le choix qui a été fait pour Raptor, et je crois celui que préfère Vincent, le dessinateur fait lui-même une partie de la mise en forme, ce qui suppose qu’il maîtrise les règles, et de préférence qu’il joue au jeu. Pour Raptor, Vincent a donc livré les cartes déjà montées, et dessiné jusqu’aux symboles représentant les actions des joueurs – enfin, heureusement que d’autres étaient derrière pour valider chaque étape, ce qui nous a permis d’échapper au symbole suivant, censé représenter – c’est évident – un scientifique effrayé qui s’accroupit dans les herbes hautes pour se mettre à l’abri.

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Interrogé sur le design des cartes, voici ce que m’a répondu Vincent : Pour les cartes j’ai trouvé très intéressant de travailler des sets asymétriques. J’ai poussé l’expérience jusque dans les habillages des cartes avec une ambiance plus jungle et « nature sauvage » pour les raptors et un design plus strict et « civilisé » pour les scientifiques. “ – et dire que je n’avais même pas remarqué, en effet, l’habillage différent des cartes, les bordures bien droites chez les scientifiques et irrégulières chez les raptors.

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Le dessin de couverture de Raptor, avec son relief saisissant, son raptor en colère, menaçant, prêt à bondir hors de la boite, est celui qui a entraîné le plus de discussions. Personnellement, j’aurais laissé passer sans le moindre instant de doute le premier dessin proposé par Vincent, mais l’équipe de Matagot l’a trouvé un peu trop léger, un peu trop cartoon pour un jeu finalement assez tactique et sérieux. Il fut donc demandé à Vincent d’atténuer le contraste entre des scientifiques très funs et des raptors plus réalistes – ce qu’il a fait avec brio. J’ignore cependant pourquoi la jolie blonde a, au passage, perdu ses lunettes.

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Raptor arrive bientôt, en septembre je pense, et j’espère que je n’aurais pas à attendre encore vingt ans avant de travailler de nouveau avec Vincent Dutrait.

Raptor    
Un jeu de Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Illustré par Vincent Dutrait
2 joueurs – 30 minutes
Publié par Matagot (2015)
Ludovox          Tric Trac          Boardgamegeek
Le site de Vincent Dutrait


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I thought Raptor was my first game illustrated by Vincent Dutrait, until I learned from Vincent himself, at the Cannes game fair, that he had drawn the board and box of my China Moon, in 1996, as one of his first jobs, when I was still a little known game designer and he was a very young illustrator. He was certainly not as professional as he is now, but the cover and board of China Moon were really nice.

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Twenty years later, he is a well known illustrator, I am a well know designer, and he makes the graphics for raptor, a two player boardgame I have designed with Bruno Cathala – or rather Bruno Cathala has designed with some aid from me. The result is impressive, deliberately kitsch, with a cover looking like a movie poster from the sixties – a clever way to make a not so direct wink at a more recent movie – and cards in a rather realistic style.

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The illustrator can be involved in two very different ways in a game design. Most times, the illustrator just send the pictures he was asked for, and all the templates and prepress are done by the publisher. Sometimes, and that’s how Vincent Dutrait likes to work, , the illustrator also makes the card templates and the various game symbols and icons, and delivers an almost finished game mock-up. Well, it’s lucky we were checking the various steps, because that’s how we avoided the following symbol – obviously figuring a frightened scientist squatting in the high herbs to hide from the raptors.

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Let’s quote Vincent about the way he designed the cards : “Working on asymmetric card sets was very interesting. I went so far as to use slightly different templates to give a wild nature and jungle feel to the raptor cards, and a more clean and civilized look to the scientist ones.” Indeed, I had not noticed that the border lines were straight and clean on the scientist cards and irregular on the raptor ones.

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There were some interesting discussions about Raptor’s cover picture, with its angry and menacing dinosaur almost jumping out of the box. I would personally have validated Vincent’s first color drawing, but some at Matagot found it too light, too cartoony for what is a relative serious and strategic game. So, Vincent was required to soften the contrast between the fun and cartoonish scientists and the aggressive and realistic raptors. He did it, and the result is great – I only wonder why the pretty blonde lost her glasses in the way.

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Raptor arrives soon, next fall, and I hope I won’t have to wait twenty more years to have another game illustrated by Vincent Dutrait.

Raptor
A game by Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Graphics by Vincent Dutrait
2 players – 30 minutes
Published by Matagot (2015)
Boardgamegeek
Vincent Dutrait’s website

Le Collier de la Reine – Les illustrations
Queen’s necklace – The Graphics

Queen's Necklace cover

Il n’était pas facile de publier une nouvelle édition du Collier de la Reine, car il fallait tenter de faire oublier une superbe première version chez Days of Wonder, en 2003. L’équipe de Cool Mini or Not, dont c’est l’une des premières incursions dans les petits jeux de cartes, a fait le choix qui s’imposait d’une ligne graphique complètement différente – moins de rose et plus de bleu, et surtout les personnages très cartoon de Denis Zilber, à l’opposé du style dessin de mode de Pierre-Alain Chartier et Humbert Chabuel pour l’édition originale.

Il y avait du boulot, d’autant plus que, pour cette nouvelle version du jeu, nous avons ajouté une douzaine de nouveaux personnages, qui ne changent pas les mécanismes du jeu mais lui donnent bien plus de variété. Il y a donc la Courtisane, le Chambellan, le Capitaine, le Moine, l’Intrigant, la Dame de Compagnie… et bien sûr l’Ambassadeur, personnage central du roman qui avait curieusement été oublié dans la première édition. Il y a même une pie, attirée par tout ce qui brille.

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Denis Zilber est un illustrateur reconnu, spécialisé dans les personnages pour dessins animés, et il a visiblement laissé libre cours à son imagination pour dessiner, avec un humour redoutable, tout le petit monde d’une cour de France un peu ridicule hésitant comme le jeu entre XVIIème et XVIIIème siècle. J’ai hâte d’avoir entre mes mains une copie finale du jeu, dont quelques exemplaires devraient être en vente à la GenCon.

Pour en savoir plus sur Denis Zilber et son travail d’illustrateur, et peut-être le contacter pour lui proposer du boulot, vous pouvez aller sur son site.

Queen’s Necklace (Le Collier de la Reine)
Un jeu de Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Illustré par Denis Zilber
2 à 4 joueurs – 45 minutes
Publié par Cool Miny or Not et Spaghetti Western Games (2015)
Tric Trac    Boardgamegeek


Queen's Necklace

Publishing a new edition of Queen’s Necklace was a challenge, because it had to stand comparison with the gorgeous first edition by Days of Wonder, in 2003. Cool Mini or Not, for this first try at light card games, made a logical choice – something completely different from the original. The new edition is less pink and more blue, and the fashion design style of Pierre-Alain Chartier and Humbert Chabuel has been replaced by the fun cartoony style of Denis Zilber.

There was much work to do, more than for the first version because we have added a dozen new characters to the game. They don’t change the basic systems, but they game the game more variety and replayability. There is now a female Courtier, a Chamberlain, a Monk, an Intriguer, a Lady in Waiting……… and, of course, an Ambassasor, one of the main character in the book which had been forgotten in the first version of the game. There’s even a Magpie, eager to steal anything shiny.

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Denis Zilber is a reputed illustrator, who specialize in cartoon and animation characters. He visibly let his imagination wander to draw all the figures in this ridiculous French court, hesitating like the game between XVIIth century and XVIIIth century. I’m eager to get a copy of the game, of which a few copies will be on sale at GenCon.

If you want to learn more about Denis Zilber and his works as an illustrator, and may be contact him for some graphic job, visit his website.

Queen’s Necklace
A game by Bruno Faidutti & Bruno Cathala
Graphics by Denis Zilber
2 to 4 players – 45 minutes
Published by Cool Miny or Not & Spaghetti Western Games (2015)
Boardgamegeek

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Warehouse 51 – les illustrations
Warehouse 51 – The Graphics

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Warehouse 51 est le premier jeu illustré par le jeune dessinateur brésilien Rafael Zanchetin, et c’est un superbe boulot.

Alors même qu’il n’avait que quelques semaines pour réaliser les dessins de tous les artefacts entreposés dans l’entrepôt 51, et qu’on ne lui aurait sans doute pas reproché d’avoir laissé libre cours à son imagination, Rafael Zanchetin a pris le temps de faire quelques recherches sur internet pour chacun des objets, et a livré des illustrations très bien documentées, y compris pour des objets peu connus par chez nous comme par chez lui, comme le harpon des dieux polynésiens ou le disque volant de Vishnu. À voir le résultat, et les clins d’œil comme la vague de Hokusai sur l’illustration de la lance de la création, on devine qu’il s’est beaucoup amusé avec ces artefacts mythologiques à la fois très proches et très différents des univers fantastiques sur lesquels il travaille habituellement.

Même en tenant compte du fait qu’il devait surtout dessiner des objets, ce qui prend bien moins de temps que des personnages, Rafael Zanchetin a travaillé très vite. Lorsque Philippe, de FunForge, m’avait dit, en avril ou en mai, qu’ils espéraient, sortir Warehouse 51 pour la GenCon, cela m’avait semblé irréaliste. Si nous y sommes parvenus, c’est bien sûr grâce à toute l’équipe de FunForge et de Passport, mais c’est aussi grâce à Rafael.

Pour en savoir plus sur Rafael, et le contacter si vous avez un travail d’illustration à lui proposer, faites un tour sur son blog.

Warehouse 51
Un jeu de Bruno Faidutti, Sergio Halaban & Andre Zatz
Illustré par Rafael Zanchetin
3 à 5 joueurs  –
40 minutes
Publié par Funforge (2015)
Boardgamegeek
   Tric Trac     Ludovox

Pour vous donner une idée du travail de Rafael Zanchetin, voici les étapes successives du dessin de l’une de mes cartes préférées, les Bottes de sept lieues :

Warehouse - boots Warehouse boots Warehouse boots

Et l’un des collectionneurs désireux de s’approprier les artefacts de l’entrepôt 51 pour décorer son salon :

Warehouse Italian


Warehouse 51 is the first  game illustrated by Brazilian artist Rafael Zanchetin, and wow, he did a great job.

Rafael Zanchetin had only a few weeks to draw the illustrations of all the ancient artifacts stored in the Warehouse 51, and we would not have reproached him for letting his imagination wander aimlessly. He nevertheless took the time to do some research on each item, and gave us very well documented pictures, even for less known items (both here and there) like the Polynesian creation Fishhook or Vishnu’s flying disk weapon. From the result, and the clever winks hidden here and there, I know for sure he had great fun working on these mythological artifacts, which are at the same time similar and very different from the fantasy worlds he usually deals with.

Even though he mostly had to draw objects, which requires less time and work than characters, Rafael did the job extremely fast. When Philippe, at FunForge, had told me, in April or May, that the game will be ready for GenCon, I didn’t believe him. We managed to do it thanks to the whole FunForge team, but also thanks to a fantastic illustrator.

If you want to learn more about Rafael, and may be contact him if you have some work for him, have a look at his blog.

Warehouse 51
A game by Bruno Faidutti, Sergio Halaban & Andre Zatz
Art by Rafael Zanchetin
3 to 5 players  –
40 minutes
Published by Funforge (2015)
Boardgamegeek

Here are the three steps in the design of Amenunohoko, the Japanese spear of Creation – notice Hokusai’s wave in the background.

Warehouse Amenonuhoko0 Warehouse Amenonuhoko Warehouse Amenonuhoko

And one of the billionaires who want to buy the precious artifacts from the Warehouse 51 in order to embellish her living room :

Warehouse Chinese

La bulle du jeu
The boardgame bubble

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Il y a vingt ans on nous annonçait l’extinction programmée des jeux de société traditionnels, condamnés par loi de la sélection naturelle à être remplacés par les jeux videos plus modernes, plus efficaces. Le marché du jeu de société ne s’est pourtant jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Joueurs, auteurs et éditeurs sont chaque année plus nombreux, et les ventes ne cessent d’augmenter. Vivant moi-même très largement de mes droits d’auteur, et ayant eu il y a longtemps une vague formation d’économiste, je me suis donc demandé si nous avions affaire à un phénomène de « bulle » et s’il fallait s’attendre, dans les mois ou les années qui viennent, à un crash du jeu de société comparable à celui qui a affecté il y a quelques années, et affecte encore, le monde de la bande dessinée.
Le réflexe de l’historien est de rappeler que, lorsque l’on commence à parler de bulle, et surtout lorsque certains commencent à essayer d’expliquer avec véhémence, ici ou , qu’il n’y en a pas, c’est généralement le signe qu’il y en a une. Si l’on regarde les choses de près, cependant, il n’est pas facile de déterminer si la croissance actuelle du marché du jeu de société, tant du point de vue de la demande, c’est à dire des joueurs, que de l’offre, c’est à dire des auteurs et des éditeurs, est saine et durable, et si elle peut donc se poursuivre (et si j’ai des chances de pouvoir continuer à créer des jeux et gagner quelques sous).

Les professionnels du jeu comparent souvent la situation actuelle du jeu de société à celle de la bande dessinée il y a une dizaine d’années, avant un crash dont elle ne parvient encore pas à se remettre. Le parallèle, d’autant plus tentant que les deux milieux se ressemblent et se connaissent, se justifie d’abord par le fait qu’il s’agit dans les deux cas de produits culturels très sensibles à l’effet de mode.
Les jeux videos n’ont pas « ringardisé » les jeux de société, qui sont aujourd’hui un produit branché, socialement plus valorisant que les jeux videos, et qui séduit en particulier les milieux bobos, de trente ou quarante ans, qui sont sensibles à la mode et ont un pouvoir d’achat confortable. Si c’est une mode, elle peut passer comme elle est venue, et ne plus laisser alors qu’un public résiduel de passionnés un peu ridicules.
Cela ressemble en effet à la bande dessinée il y a une vingtaine d’années, avec cependant une nuance de taille. Les passionnés de BD étaient souvent des collectionneurs, achetant l’un après l’autre tous les tomes d’une même série, ce que les américains appellent des « completistes ». Il y avait en outre parfois chez certains une tentation spéculative, basée sur l’idée que les bandes dessinées des années quatre-vingt ne pouvaient que prendre de la valeur avec le temps comme l’avaient fait celles des années soixante, ce qui bien entendu ne s’est pas produit mais a contribué à entretenir la bulle. Collectionnite et spéculation sont largement absents du marché du jeu de société – Magic the Gathering étant l’exception qui confirme la règle – ce qui semblerait indiquer que la demande pour les jeux est moins susceptible de s’effondrer soudainement.

La popularité actuelle des jeux de société ne tient pas qu’à un effet de mode, même si celui-ci est indiscutable. Le jeu de rôle dans les années quatre-vingt, puis les jeux de cartes à collectionner dans les années quatre-vingt-dix, puis le poker dans les années 2000, et durant tout ce temps les jeux videos, ont contribué à faire enfin accepter l’idée que le jeu, de manière générale, n’est pas une activité réservée, ni même particulièrement destinée, aux enfants. Ayant une image plus « casual », plus décontractée, demandant un investissement moindre en temps et / ou en argent, le jeu de société a tout pour séduire durablement les anciens rôlistes ou joueurs de poker, de Magic et de jeux en ligne de toutes sortes. C’est aussi pourquoi le fait que le public des jeux de société modernes soit relativement âgé ne doit pas non plus trop inquiéter.

Le jeu video, qui était censé devoir éliminer des jeux en carton devenus obsolètes, a donc au contraire été l’un des principaux facteurs de leur nouvelle popularité des jeux de société. Les deux coexistent, très souvent pratiqués par les mêmes joueurs. Même si le jeu en ligne n’est plus une activité aussi solitaire que les anciens jeux informatiques, les joueurs sont encore le plus souvent seuls et concentrés devant leur machine. Le jeu de société, à l’inverse, est par nature une activité conviviale, amusante, qui se pratique entre amis, autour d’une table et souvent d’une bonne bouteille.
Il n’y a pas de différence entre écouter un vieux CD et écouter de la musique téléchargée, il y a très peu de différences entre lire un livre de papier et lire le même texte sur une liseuse, mais les expériences du jeu video et du jeu de société sont restées fondamentalement différentes. Tant qu’ils seront plus complémentaires que concurrents, il n’y a pas de raisons que les progrès du jeu informatique nuisent au jeu de société classique.
Cela peut changer. Il y a des jeux videos extrêmement interactifs, comme Space Team, mais ils sont l’exception, non la norme. On commence à voir apparaître des jeux hybrides, qui tentent de concilier la richesse technique et la versatilité du jeu video avec la convivialité des jeux de société. Je travaille moi-même à un jeu dans lequel les joueurs doivent courir en hurlant autour d’une tablette informatique. Mais il faudra encore bien du temps avant que les jeux videos ne menacent vraiment nos jeux en boite – les livres auront disparu avant.

J’ajoute que la convivialité des jeux de société bénéficie de son ambiguité. Le jeu étant un peu hors du monde, sortir un jeu de société, c’est un moyen de prendre du bon temps avec des amis sans avoir à parler de rien, ce qui est toujours agréable quand on n’a rien à se dire, ou quand on veut éviter de parler de politique (ce qui devient de plus en plus compliqué) ou de religion (ce qui devient presque interdit). Nos jeux, et en particulier les « party games » conviviaux et marrants, sont donc malheureusement de plus en plus nécessaires.

Beaucoup d’industries culturelles ont été très affectées ces dernières années par le piratage – le cinéma, la musique, dans une moindre mesure la littérature. La complexité matérielle des jeux de société, avec des cartes, des pions, un plateau de jeu, les protège quelque peu, mais peut-être pas pour très longtemps, contre ce danger. Ce n’est donc pas non plus par le téléchargement que l’informatique tuera le jeu de société, ou pas tout de suite.

L’Allemagne a été le premier pays occidental dans lequel les jeux de société modernes sont devenus populaires, presque vingt ans avant la France ou les États-Unis. Certes, l’Allemagne n’est plus l’eldorado du jeu, mais les ventes ne s’y sont pas effondrées et la crise du marché du jeu allemand semble plus liée à des problèmes d’offre que de demande – nous y reviendrons donc plus loin. À supposer que le marché français se stabilise à son tour, puis dans quelques années le marché américain, on peut penser que d’autres qui démarrent bien aujourd’hui – Pologne, Russie, Brésil, Corée, Japon, Chine même – prendront alors la relève, même si les éditeurs et les auteurs français, américains ou allemands y seront peut-être un peu plus à la peine.

Nous voila donc du côté de ceux qui créent les jeux, qui les publient, qui les vendent. Et c’est sans doute plutôt par là qu’il faut chercher la bulle.

Les jeux se vendent bien, beaucoup, et fort logiquement cela attire du monde. S’il y a là sans doute quelques margoulins qui espèrent se faire quelque argent en profitant de la mode, l’immense majorité sont des passionnés, des joueurs, qui rêvent de vivre du jeu de société, que ce soit en les créant, en les illustrant ou, surtout, en les publiant – la encore, comme cela s’était produit avec la BD.
Le jeu de société est en effet un secteur d’activité très ouvert, dans lequel quiconque a vu un peu de lumière peut facilement entrer.
Comparé notamment au jeu video, le jeu de société est une industrie dans laquelle le « ticket d’entrée » pour un éditeur, en temps comme en argent, est très bon marché, et le devient de plus en plus, et dans lequel le « point mort », le seuil de ventes à partir duquel une production devient rentable, est extrêmement faible. Un jeu video, c’est le plus souvent une équipe de plusieurs dizaines, voire centaines, de créateurs, un développement sur plusieurs années, et par conséquent un budget qui se compte en millions, voire en dizaine de millions d’euros; pour le rentabiliser, il faut aussi en vendre des millions. Un jeu de société, c’est parfois simplement un auteur, un illustrateur, un petit éditeur avec un ou deux salariés, un budget de quelques dizaines de milliers d’euros, et un modeste point mort à 3 ou 5000 copies, imprimées facilement et bon marché en Chine ou en Europe de l’Est. Rien d’étonnant donc à ce que beaucoup s’improvisent auteurs et/ou éditeurs, parmi lesquels d’ailleurs un nombre non négligeable de transfuges du jeu video, où tout le monde ne se porte pas très bien. Les chances de faire fortune sont plus faibles chez nous, mais celles de tout perdre aussi, car les risques sont négligeables, du moins tant que les nouveaux arrivants ne sont pas trop nombreux.

La crise du marché du jeu allemand est en effet née d’une concurrence trop forte entre des éditeurs trop nombreux produisant un trop grand nombre de jeux. Entre baisse des prix due à la concurrence et à la distribution en grandes surfaces, et baisse des tirages due à la multiplication des éditeurs et des nouveautés, les marges Outre-Rhin ont fondu, conduisant certains à fermer boutique ou à être repris par d’autres. Là encore, on pense à ce qui est arrivé en France (et aux États-Unis, si j’ai bien compris) à la bande dessinée.
Tout cela a d’autant plus de chances de se produire ailleurs que le développement actuel du crowdfunding permet de ne même plus passer par les cases banque et distributeur. Le jeu de société est sans doute le secteur d’activité qui a été proportionnellement le plus affecté par le développement du financement participatif, et notamment par Kickstarter. Cela a accéléré les tendances préexistantes, permettant à d’innombrables auteurs de s’improviser petit éditeur sans prendre le moindre risque, en trouvant un illustrateur pas trop cher sur internet et en contournant les problèmes de distribution et de financement.

Les auteurs de jeu, comme les écrivains, ont toujours eu, pour la majorité d’entre eux, un autre métier. Les éditeurs, en revanche étaient des professionnels, souvent venus de l’édition littéraire ou de la bande dessinée. Aujourd’hui, parce que le jeu est à la mode et donc valorisant, et parce que c’est facile, les éditeurs à compte d’auteur et/ou du dimanche se multiplient. Ils s’en sortent bien, ou souvent l’imaginent car ils n’ont pas besoin de dégager un salaire et sont contents de voir leur produit apprécié du petit monde des passionnés. Le risque est cependant que, comme pour la bande dessinée – qui a pourtant eu la chance d’exploser avant Kickstarter – cet éclatement finisse par peser sur les marges des vrais professionnels et que la multiplication des titres et, peut-être, une baisse de qualité des jeux ne finisse par décourager les acheteurs.
Pour l’instant, la qualité des jeux publiés reste excellente, plutôt meilleure que ce qu’elle était il y a une vingtaine d’années, mais je ne suis pas sûr que cette tendance se poursuive. La facilité à s’improviser auteur ou éditeur rend le secteur dynamique, les bonnes idées sont de plus en plus nombreuses, mais les jeux ne sont plus toujours sélectionnés et, surtout, développés comme ils l’étaient quand le secteur était plus concentré. C’est particulièrement frappant avec les petites publications via Kickstarter, dont j’achète un très grand nombre – je reçois quelques très bons jeux, mais aussi un grand nombre d’excellentes idées pas vraiment abouties dont je me dis qu’un éditeur professionnel, ou un auteur développeur avec un peu de bouteille, aurait pu tirer mieux. Les apprentis éditeurs s’amusent, et pour l’instant rentrent dans leurs frais, voire gagnent quelque argent, mais les joueurs pourraient bien se lasser et devenir plus exigeants.

Avec une offre trop nombreuse, éclatée, et composée pour partie d’éditeurs amateurs qui ne se soucient guère de leurs marges, le risque existe d’assister dans les années qui viennent à une paupérisation du milieu du jeu, semblable à celle qui touche aujourd’hui le monde de l’illustration.

Cela met un auteur comme moi dans une situation paradoxale.
D’un côté, tous ces jeunes auteurs et ces petits éditeurs, auxquels le dynamisme actuel du monde du jeu doit beaucoup, me sont des plus sympathiques, et je souhaite qu’ils aient leurs chances. Je souscris à deux ou trois jeux chaque mois sur Kickstarter, et je n’hésite pas à l’occasion à publier un de mes jeux chez un petit jeune lorsqu’il m’a l’air d’avoir les pieds sur terre.
D’un autre côté, je voudrais que la croissance du marché du jeu soit durable, et donc que l’on continue à y gagner de l’argent. Cela implique des marges solides, donc une industrie plus structurée, voire plus concentrée. Les gens d’Asmodée ou de Fantasy Flight Games ont fait tout autant, et avant, pour le monde du jeu, et sont aussi très sympathiques.

Les petits éditeurs ne sont en effet pas seuls sur le marché des jeux de société modernes. Le fait qu’un groupe comme Asmodée ait été repris par un gros fond d’investissement, et ait mené depuis une politique d’acquisition assez ambitieuse, montre que peuvent coexister, et même souvent collaborer, des logiques différentes. Des gens dont le seul objectif est de gagner beaucoup d’argent, et qui disposent d’outils d’analyse plus sophistiqués que les quelques intuitions sur lesquelles j’ai basé cet article dénué de chiffres, pensent que le marché du jeu a encore de l’avenir. Cela ne devrait effrayer personne, et c’est même plutôt rassurant.

Je ne pense pas avoir apporté dans cet article le moindre élément d’analyse original. J’ai surtout voulu rassembler, pour y voir clair, les nombreux arguments glanés ici et là ces derniers mois dans les discussions qui agitent le microcosme ludique. Il en ressort que si le marché du jeu ne connaîtra sans doute plus longtemps la croissance de ces dernières années, il y a des raisons de penser qu’il ne s’effondrera pas non plus.
Nous vivons actuellement un âge d’or du jeu de société, du point de vue des ventes mais aussi du point de vue de la créativité et de la qualité des jeux publiés, et les deux sont bien sûr liés. S’il ne s’est jamais vendu autant de jeux de société, c’est aussi parce qu’ils n’ont jamais été aussi bons. Si l’on veut que ça continue, il faut donc que l’on continue à faire du bon boulot ! D’ailleurs, je vais de ce pas m’y remettre.


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Twenty years ago, most analysts were predicting a complete extinction of traditional boardgames, going to be replaced by the more modern and efficient computer games – survival of the fittest. Twenty years later, the boardgame market looks healthier than ever. There has never been so many gamers, designers and publishers, and sales increase every year. Since I’m largely living from my designer royalties, and have been vaguely trained as an economist, I have been asking myself for some time if there is a boardgame bubble, and if we should expect, in the near future, a crash similar with what happened in the comics market a few years ago.
The historian’s instinctive reaction is to remind that when some people start to ask if there’s a bubble, and even more when some try to deny frantically that there’s one (like here and there ), this usually means that there’s one. At a closer look, however, it’s not easy to decide if the recent growth of the boardgame market, both on the demand side, the players, and on the supply one, the authors and publishers, is healthy and likely to be lasting. I hope it is, because I hope to keep on design games and make some money in the process.

Boardgame professionals often compare the actual situation in the boardgaming world with the situation in the comics business about fifteen years ago, before a violent crash from which it never really recovered (in France but also, from what I’ve been told, in the US, even when we don’t have the same comics). The parallel is made even more tempting by the fact that these two worlds are similar and connected, and because both comics and boardgames are cultural products strongly affected by fashion trends.
Video games didn’t throw boardgames out of the ark. Boardgames are now fashionable, socially more rewarding than video games, and mostly popular with 40 or 50 years old hipsters and upper-middle class, people with some purchasing power and much affected by fashion trends. If it’s a fashion, it will disappear and leave only a residual handful of ridiculous enthusiast geeks.
This sounds indeed a bit like comics fifteen years ago, but with one interesting difference. Comics fans were often collectors, buying all the books in a series, if not all the book by an author – what you Americans call “completists”, we have no similar word in French, may be because it’s less frequent in Europe. There might even have been some ill advised speculation by readers hoping that comics from the eighties would become rare and expensive items like it happened with comics from the sixties. It could not happen, of course, but it did help grow the bubble. There’s no, or very little, collecting or speculation in the boardgame market – Magic the Gathering being the one noticeable exception. That’s why the demand for boardgames is less likely to slump suddenly.  

The recent popularity of boardgames is not only a fad. Role playing games in the eighties, then collectable card games in the nineties, then the strange revival of poker these ten last years, as well as computer games for now thirty years, have finally made most people accept that games, all kinds of games, are not just for children, or even not more for children than for adults. Having a cooler and more casual image, and needing far less time and money to practice, boardgames are likely to keep attracting former RPG, CCG, poker or online games players. This is also the reason why we must not be too wary of the fact that the average boardgame player is relatively old.
This means that the development of computer games, which were supposed to make them obsolete, is paradoxically one of the main reason for the recent popularity of boardgames. Most dedicated gamers actually play both, because they don’t compete one against the other, they complement one another. Even when modern video games are no more the quasi-onanistic solitary activity they were twenty years ago, most players still play alone and seriously in front of their computer. Boardgames, on the contrary, are a very social and fun activity, usually played with friends around a table – and most times around a good bottle as well.
There’s no difference between listening to music on an old CD player or online, there’s very little difference between reading a book on paper and on an e-reader, but playing a boardgame and a computer game are still completely different experiences. As long as they are complementary and not competitors, there’s no reason why the development of computer games should harm the practice and sales of traditional boardgames.
This could change. There are some highly interactive computer games, like Space Team, but they are the exception, not the rule. There will certainly be more and more hybrid games, trying to get the best of both worlds, the technical depth and versatility of computer games and the conviviality of boardgames. I am presently working on a game in which players must run and shout around a tablet. I nevertheless think that cardboard boardgames won’t disappear in the next few years. Paper books are likely to disappear first.

There’s something ambiguous in boardgames’ friendliness. Since games are strictly separated from the real world, putting a boardgame on the table is a way to spend a nice time with friends without having to talk of anything, which is a nice thing when players don’t have anything to tell one another. It’s also a way to avoid talking politics, which is becoming more and more complex, and talking religion, which is becoming almost forbidden. That’s a sad reason why we will need more boardgames, and especially social party games.

Many cultural industries have been strongly affected these last years by pirating – movie, music and, to a lesser extent, literature. The relative complexity of boardgame components, with cards, tokens and board, makes them more complex to copy. There won’t be no ready to play downloadable boardgames in the next few years, so that’s the second way computers are not going to kill us soon. It will come, of course, like downloadable cars and pizzas, but it’s not there yet.

Modern board games first became popular in Germany, almost twenty years before they invaded France and the United States. Germany is no more the boardgame Eldorado it was ten years ago, but the sales didn’t really crash, they just stalled at a relatively high level. If there is a boardgame crisis in Germany, it’s more on the supply side – more about it later. The French and US market are likely to plateau soon as well, but other markets will take over, markets which are now emerging, like Poland, Russia, Brazil, Korea or even China. Of course, they won’t be as easy for French, German and US designers and publishers.

And indeed, if there is a bubble somewhere, it’s probably little to do with those who play games and more with those who design, publish and sell them. So let’s move to the other side, the supply.

Boardgames sell well, and this logically draws people into the business. There might be a few parasites who simply want to gamble on the fad and make some money, but the vast majority are dedicated gamers who dream of making a living from their hobby, be it with designing, illustrating or publishing games. This, once more, feels similar with what happened in comics.
We have a French proverbial expression about businesses with no or very low cost of entry – I just saw the light and came in. This applies perfectly to the boardgame industry, where both the cost of entry (in time and money) and the break even point are extremely low, especially when compared with the computer game industry.
Most times, a video game requires dozens, if not hundreds of developers, is years in the making, and requires a budget of several million dollars, if not hundred millions. To make it profitable, the publisher must also sell million copies. A boardgame needs just one designer, one illustrator, a small two or three persons publisher, and a budget in the five digits. The publisher can break even with selling 3 or 5 thousand copies cheaply printed in China or Eastern Europe. No wonder lots of people have their try at designing and publishing boardgames, and no wonder many of them come from the computer game industry, where the grass is not always green for everyone. The odds of making a fortune are lower, but so are the risks, as long as there are not too many people lured by the light.

The crisis of the German market these last years was caused by a strong competition between too many publishers printing too many games. Lower prices due to competition and sales to megastores, and lower print runs due to the increased number of publishers and new games, led to much lower margins and profit. Some publishers went out of business, some were taken over by bigger ones. Once more, this sounds a bit like what happened in France (and from what I’ve heard in the US) with comics.
The odds for the same thing to happen outside Germany are made much higher with the development of crowdfunding, which allows to pass over the bank and distributor spaces. No other industry has been as much affected by crowdfunding, and especially kickstarter, than the boardgame business. It accelerated the existing trend, making it even easier for hundreds of would be designers to become a small publisher, finding a cheap illustrator on the web, taking almost no risk and circumventing both banks and distributors.

Like writers, most game designers have always had another job, a day job. Publishers, on the other hand, were professionals, often coming from the literature or comics publishing business. Now, because boardgames are in fashion, and because it’s cheap and easy, many gamers are having a try at publishing, or self publishing, boardgames as a second job – what we call it in French “Sunday job”. Most think they are doing well, because they don’t need to pay themselves a full wage and are happy to see their game played and discussed online by fans. There is a risk, however, that, like it happened with comics (and remember, this was before kickstarter), the increased competition will reduce the margins of true professionals, while the explosion of new games and a decreasing quality will disconcert and discourage buyers.
So far, the quality of the games published is still very high, and probably higher than it was twenty years ago, but I’m not sure this trend will hold. The low cost of entry, which makes easy to become a game designer or publisher, makes the boardgaming world dynamic. There are more and more great ideas, but games are not selected and, most of all, developed as they were when the industry was more concentrated. This was especially striking with the many light boardgames I pledged on kickstarter. I’ve received some really great games, but also many outstanding ideas which felt not really finalized, and many times I thought that a professional publisher or a seasoned designer / developer could have made an even better game of them. Apprentice publishers have fun, and so far they manage to break even and sometimes to make some money, but gamers could get bored or become more demanding.

With a splitted, if not shattered, supply partly made of small amateurs publishers who don’t really care about their margins, there is a real risk that the boardgaming world will, in the coming years, be pauperized like it happens now in the world of illustration.

As a game designer, I am in an awkward and ambiguous position.
On the one hand, all these young designers and publishers make most of the fun and dynamism of today’s boardgaming world, and I wish them the best. I pledge two or three games every month on Kickstarter, and I sometimes publish my games with young small publishers, when they seem to be both nice and realistic guys.
On the other hand, I’d like the boardgame market to stay profitable and to keep growing this way. This means solid margins, and a more structured, if not concentrated industry. And after all, the guys at Asmodée or Fantasy Flight made even more for the boardgaming world, and made it first, and they are also really nice guys.

There are not only small publishers on the modern boardgame market. The fact that a big investment fund took over Asmodée and has since presided over an ambitious development strategy, including several acquisitions, shows that different strategies, and very different kind of people, can coexist and even often collaborate. People with lots of money, and with analysis tools far more sophisticated than this figureless blogpost based on vague feelings and intuitions, think that the boardgame market can still grow and be profitable. This should not frighten anyone, it’s rather reassuring.

I don’t think I’ve added a single new and original idea in this long post. I’ve mostly tried to gather together and balance the many arguments I’ve heard here and there these last months in the small bordgaming world. In the end, I think we can assume that, while the boardgame market won’t probably grow as fast as it did these last years, there’s no reason to anticipate a major crash.
We are in the golden age of boardgaming, a golden age for sales, and also a golden age for innovation and for the quality of games. Of course, all this comes together. If we sell more games than we ever did, it’s in the end because these games are good. If we want this to last, we must keep up the good work. That’s what I’ll try to do just now.

Le niveau monte

C’est un billet d’humeur que j’avais posté sur Facebook, il y a quelques jours, la veille des oraux du bac.  Je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il fasse à ce point parler de lui, repris des centaines de fois, cité dans des journaux et à la radio. C’est sans doute le signe qu’il visait juste. Du coup, quelques amis qui ne sont pas sur facebook (si, si, il y en a) me demandent le texte complet de mon petit coup de gueule. Le voici :

Je viens de corriger le bac, et je suis énervé. Je suis énervé par le discours obligé, que l’on lit dans tous les journaux, sur tous les sites web : le bac est donné, soldé, le niveau baisse, les jeunes sont incultes et ne foutent rien, etc….
Certes, les quatre cinquièmes d’une génération arrivent aujourd’hui au bac contre moins de la moitié quand j’ai passé le mien, dans les années soixante-dix. Ce qui a changé, ce n’est pas le niveau du bac qui a baissé (ou pas beaucoup, et seulement dans les disciplines littéraires, et pour de bonnes raisons qui mériteraient un post entier). Ce qui a changé, c’est le niveau des élèves qui a augmenté, et là encore pour de bonnes raisons.

Ils sont plus cultivés car ils ne sont pas coincés comme nous l’étions devant une télé à deux ou trois chaines, ils n’ont pas le choix en librairie qu’entre Pif gadget et Picsou Magazine, ils ne perdent pas chaque jour deux heures dans des bus bringuebalants ou sur de vieux vélos rouillés pour aller au lycée, ils peuvent compléter leurs cours en trainant sur internet, où ils apprennent au passage un peu d’anglais.

Ils bossent plus car ils ont la trouille, car ils savent qu’il ne leur sera pas facile de trouver un boulot, car on ne peut plus acheter d’éther dans les pharmacies, car il n’y a plus de trichlo ni dans les drogueries ni dans l’eau écarlate, et car on ne laisse même plus les mineurs se saouler le samedi soir.

Si je mets de meilleures notes aujourd’hui que lorsque j’ai corrigé le bac pour la première fois, il y a une trentaine d’années, ce n’est pas parce que je suis blasé, ou parce qu’une inspection démagogique m’y force, c’est parce que les copies sont meilleures. Les élèves que j’ai devant moi aujourd’hui ont des connaissances largement équivalentes, une ouverture sur le monde et des capacités d’analyse bien supérieures, à celles de ceux que j’ai côtoyés comme élève dans les années soixante-dix – même si j’admets qu’ils ont plus de mal avec la grammaire. Et ce n’est pas vrai seulement du bon lycée bourgeois du XVIème arrondissement où j’enseigne aujourd’hui, c’était déjà vrai du petit lycée de Tarascon où j’étais encore il y a deux ans.

Tout cela, j’ai l’impression que les quadragénaires et quinquagénaires ne s’en rendent pas compte. C’était leur enfance, donc tout était mieux avant. Certains ont simplement oublié leurs faiblesses, d’autres en rajoutent dans un discours hypocrite – mais pas vraiment nouveau – qui sert avant tout à discréditer politiquement la jeunesse.

Voila, c’était mon coup de gueule avant d’aller faire passer les oraux.

(Sorry, no English translation this time, but believe me, it’s a very French discussion)

Ludovox à Paris est Ludique

L’équipe du site lyonnais Ludovox était à Paris est Ludique et a tourné pas mal de petits reportages sur des jeux qui vont bientôt sortir. Voici donc les présentations de Warehouse 51, d’Argo, de Waka Tanka et de Raptor, ce dernier présenté par l’autre auteur, Bruno Cathala.

The Ludovox team came from Lyon to Paris est Ludique, and shot several short videos about upcoming games. Here are the presentations (in French, sorry) of  Warehouse 5, Argo, Waka Tanka and Raptor – the latter by Bruno Cathala.

 

 

 

 

Paris est Ludique – bilan et photos
Paris est Ludique Report

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Je reviens de Paris est Ludique, petit festival bien sympathique, mais qui, grisé par son succès, commence à être un peu à l’étroit dans le boulodrome Léo Lagrange (ça ne s’invente pas), en bordure du parc de Vincennes. Paris est Ludique se déroule entièrement à l’extérieur, ce qui suppose un peu de chance avec la météo, et ce fut le cas cette année. Mais, bon, c’est un boulodrome, c’est à dire un terrain sableux, et après 48 heures on en revient toujours blanchi et desséché. Qu’importe, tout le petit monde français du jeu était là, auteurs, éditeurs et journalistes, et on a joué, causé et bu pas mal de bière. Je ne sais d’ailleurs pas bien si c’est la fatigue, le soleil, le sable ou la bière qui est responsable de mon mal de crâne – sans doute un peu des trois.

Plusieurs de mes jeux qui doivent arriver dans les mois qui viennent étaient n avant-première à Paris Est Ludique. J’ai surtout présenté Waraehouse 51 et Waka Tanka, parce que je n’avais pas encore eu l’occasion de jouer avec les illustrations finales, et peut-être aussi parce que les éditeurs étaient l’un en face de l’autre, ce qui me facilitait les choses. Les deux ont été très appréciés. Je n’ai pas joué à Raptor, mais il n’y avait pas besoin de moi, les deux tables de démo étaient toujours pleines. Avec Éric Hanuise, nous avons réussi à extirper Serge de son jeu de Mare Nostrum géant pour une demi-heure, le temps d’une partie d’Argo, qui nous a permis de valider tous les changements apportés par Eric, qui dynamisent sacrément le jeu sans rien lui enlever de sa méchanceté ni de sa richesse.

J’étais tellement occupé à présenter et à discuter les jeux qui vont sortir que j’en avais presque oublié que j’avais aussi amené quelques prototypes. Ce n’est que dans la dernière heure que j’y ai repensé. J’ai donc juste eu le temps de montrer deux petits jeux aux frères Hascoet, de Bombyx – je les leur ai laissé, j’espère qu’ils seront convaincus.

Merci à toute l’équipe en orange, et à l’année prochaine !


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I’m just back from Paris Est Ludique, the small and cozy Paris summer game festival. Well, it’s still cozy, but it’s becoming a bit crowded, and a larger place will probably be needed next year. Je reviens de Paris est The fait takes place entirely outside, so the success depends much on the weather which, luckily, was really good this year. The place, nevertheless, is also a bocce field, and after two whole days there I am completely dry and covered in white sand. Anyway, the whole (and small) French boardgaming world was there, authors, publishers, critics and journalists. We played a few games, talked a lot and drank much beer. I don’t know if my headache was caused by sand, sun, tiredness or beer – probably a bit of everything.

Several games of mine are due to be published in the next few months and were shown at the fair. I played both Wanka Tanka and Warehouse 51 on near final prototypes, with the final graphics, for the first time. Both seemed to be really well-liked. I didn’t play Raptor, but the two tables where the game was demoed were always full. Eric Hanuise and I managed to lure Serge Laget out of his giant Mare Nostrum game to play a game of Argo together and validate the last changes made by the publisher. I’m impressed by the way Eric managed to speed-up the game without removing anything from it.

I was so busy discussing and demoing my upcoming games that I almost forgot I had also brought a few new prototypes. Actually, I remembered them only in the very last hour, and had just the time to show two of them to the Hascoet brothers, at Bombyx – they kept them, I hope they’ll like them.

Thanks to all the orange shirt team, see you next year !

Dernières découvertes
Recent Discoveries

Ces dernières semaines, j’ai pris part à pas mal de week-ends ou rencontres ludiques et de petits salons de jeux. Ce fut l’occasion de constater que le hobby du jeu se porte bien. Que ce soit chez les joueurs, les auteurs ou les éditeurs, le milieu rajeunit, se féminise, et les nouveaux venus font preuve d’un enthousiasme rafraichissant. C’est chez eux, d’ailleurs, que j’ai trouvé trois jeux particulièrement agréables dont je voudrairs aujourd’hui mettre en avant, un peu à la manière de ce que fait plus régulièrement mon ami Martin Vidberg sur son blog.

sapiens

On me demande régulièrement si une nouvelle édition de La Vallée des Mammouths est prévue, et la réponse est non. Il en va sans doute mieux ainsi, car je ne suis pas certain que ce jeu ait bien vieilli. Désormais, je renverrai ceux qui me posent la question vers Sapiens, de Cyrille Leroy, dont les mécanismes n’ont absolument rien à voir avec La Vallée des mammouths, mais qui traite le même thème avec le même humour. Dans Sapiens, chacun développe sa tribu sur son petit territoire, ce qui pourrait faire craindre un manque d’interaction. Il n’en est rien, les occasions de sales coups abondent, que ce soit en prenant des territoires/dominos sous le nez de l’adversaire, en repoussant les ours dans la vallée voisine, voire en organisant une petite baston commando. On retrouve dans Sapiens, dans un jeu d’une heure environ, beaucoup de ce qui faisait le charme de La Vallée des Mammouths.

piratoons

Piratoons, d’Olivier Grégoire et Thibaut Quintens utilise un système d’enchères rapide et simultané un peu similaire à celui de Going, Going, Gone !, de Scott Nicholson, mais dans une version un peu plus sophistiquée. Les joueurs sont des capitaines pirates qui écument le port à la recherche de quoi réparer et agrandir un peu leur rafiot, et bien sûr de nouveaux membres d’équipage. À chaque tour, les joueurs ont plus ou moins vingt secondes pour placer leurs membres d’équipage sur les objets et personnages qui les intéressent, avant que chacun ne soit attribué au plus offrant. Simple, rapide et drôle, Piratoons a cependant un système de score assez tarabiscoté qui permet quelques subtilités, et en fait bien plus qu’un jeu pour enfants.

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Le troisième jeu que j’ai beaucoup aimé, Lutèce, de Nicolas Sato, n’est pas encore sorti, et j’y ai joué avec l’auteur sur une maquette presque définitive. Ni le thème ni les mécanismes ne sont extrêmement novateurs, puisque les joueurs achètent aux enchères des bâtiments et des artisans et tentent d’acquérir des majorités dans divers domaines, mais le jeu est d’une légèreté très sympathique et abonde en petits systèmes amusants. Les enchères sont à demi cachées, à demi ouvertes, puisque que l’on joue une carte face cachée, mais on peut y ajouter des pièces d’or bien visibles. Cet équilibre entre tactique et psychologie fait tout le charme du jeu.

Trois jeux publiés à compte d’auteur ou par de petits éditeurs, je ne l’ai pas fait exprès mais ça fait plaisir, et ils ont sûrement plus que d’autres besoin d’un petit coup de pub.
Trois jeux français parce que je traine surtout dans les salons près de chez moi, mais je n’y attache pas d’importance particulière.


These last weeks, I attended several French small game fairs and game week-ends. The boardgame looby seems to be thriving. There are more gamers, more designers, more publishers, with a higher proportion of women and young people. Thanks to these newcomers, I found three just published, or soon to be published, middle-weight games that I really liked.

sapiens

I’m often asked if a new edition of The Valley of the Mammoths is in the works. The answer is no, and that’s probably better since I’m not sure this game aged that well. Anyway, from now on, when I’m asked this question, I’ll forward the asker to Cyrille Leroy’s Sapiens. The game systems have absolutely nothing in common with my old game, but the setting and the humor are the same. In Sapiens, every player develops his small tribe in his own valley. When the game was explained to me, I was afraid this would result in low interaction. On the contrary, there are plenty opportunities for nasty tricks, with stealing domino territories under the opponent’s nose, with sending bears into the neighboring valley, or with a plain good old brawl. Sapiens has most of what made the charm of the Valley of the Mammoths, in a more up do date packing – meaning lighter, simpler, shorter.

piratoons

Olivier Grégoire & Thibaut Quintens’ Piratoons uses a simultaneous action bidding system akin with Scott Nicholson’s Going Going Gone !, but more sophisticated. Players are pirate captains wandering through the harbor, looking for the stuff needed to repair and enlarge their ship, as well as for new crewmates. Every round, players have about 20 seconds to place their crew meeples on the stuff and people of interest for them, before every man or item goes to the highest bidder. It’s simple, fast and fun but with a clever scoring system that makes it much more than a simple children game.

lutece

The third middleweight game I really enjoyed, Nicolas Sato’s Lutèce, is not out yet, but I played it with authors (who beat me by one point) on a near final mock-up. Neither the setting nor the basic systems of Lutèce are very original, since the game is about bidding for buildings and artisans trying to get majority in various types of activities. The game, however, has a very light feel and is full of small clever systems. The half-secret auction system, in which players play a bidding card face down but can then add gold pieces over it, makes for some tricky bluffing. Lutèce, with its fun mix between tactics, psychology and a little bit of luck, is a highly enjoyable little game.

These three games are self-published, or published by small publishers. This choice was not made on purpose, but I’m happy of this, and I hope this blog post will help them get noticed.
These three games have French designers and publishers. I don’t care about it, I don’t think we’re necessarily better than anyone else, but I happen to visit more often the neighboring game fairs and I’m therefore more exposed to French designs.