Des chiffres
Figures

Mon premier jeu publié, Baston, est sorti il y a exactement quarante ans, en 1984. Ce n’est cependant que dans les années 2000, avec Citadelles, Castel et l’Or des Dragons, que j’ai commencé à percevoir des droits d’auteur relativement importants, qui ont depuis régulièrement augmenté.

Quelques auteurs ont, ces dernières semaines, publié sur les réseaux sociaux des estimations de leurs revenus, ou des chiffres de vente de leurs jeux. Le procédé est sans doute plus habituel dans le monde anglo-saxon, mais pourquoi pas.

N’ayant jamais rien noté, je ne sais pas combien d’exemplaires de mes jeux ont été vendus, et serait bien en peine de retrouver l’information, surtout pour les jeux les plus anciens, qui ont souvent changé d’éditeur. Il s’est sans doute vendu plus ou moins trois millions de boites de Citadelles, beaucoup moins des autres jeux. Il m’est en revanche assez facile, surtout pour les années récentes, de retrouver le montant de mes droits d’auteur, pour lesquels je rédige des notes que je transmets à mon comptable, ce que je prévois d’ailleurs de faire ce soir pour le mois d’avril 2024.

Voici la répartition des droits d’auteur que j’ai reçu en 2023, pour un total de 118.000 euros, soit un revenu de 86.000 euros.Les dépenses entrainées par les salons, et tous mes achats de jeux, passent en effet en frais professionnels. C’est la première fois que je m’amuse à faire un tel graphique, mais je ne suis pas vraiment surpris des résultats.

J’ai regroupé dans la catégorie Divers tous les jeux, une douzaine, qui m’ont rapporté moins de 500 euros de droits d’auteur. Enfin, Avances et options regroupe les avances perçues en 2023 sur trois petits jeux qui ne sont pas encore publiés, et une option de six mois prise par un éditeur sur un jeu auquel il a ensuite renoncé, et que j’essaie donc à nouveau de placer.

Cela me fait un revenu très confortable, mais qui repose presque entièrement sur des jeux parus il y a bien longtemps, plus de 10 ans pour Mascarade, le Roi des Nains et Diamant, plus de 20 pour Citadelles. Ce dernier représente à lui seul, tous les ans, plus ou moins la moitié de mes droits d’auteur. J’espère qu’Asmodée va tenir le choc…

Je m’en sors donc très bien, mais cela ne signifie pas qu’il soit facile aujourd’hui de gagner sa vie comme auteur de jeu. Citadelles, Diamant, Mascarade et Le Roi des Nains sont ce que l’on appelle des Evergreen, des jeux dont les ventes sont presque identiques d’une année à l’autre. Si je n’avais pas dans mon catalogue ces quatre jeux, parus à une époque où le marché était moins encombré et où il était plus facile pour un jeu de s’installer, je me retrouverai avec un résultat fort modeste, en dessous SMIC – et encore, l’été 2023 a vu la sortie de Whale to Look, une excellente surprise dont j’espère un peu qu’elle va elle aussi s’installer durablement sur les tables de jeu. Il faut noter que les droits de trois de mes best sellers sont partagés avec des co-auteurs, Alan Moon pour Diamant, Jun Sasaki pour Whale to Look, les héritiers de Serge Laget pour the Artemis Odyssey.

Certains seront peut-être surpris des résultats du Roi des Nains, un jeu qui fait peu parler de lui sur les réseaux sociaux et dans le petit monde ludique, mais qui se vend très régulièrement à un public d’habitués des jeux de plis, qui apprécie sa simplicité et sa variété. Je pense que la nouvelle édition qui vient de sortir va encore le relancer.

Il est sans doute moins compliqué aujourd’hui de se lancer dans la création ludique, et même dans l’auto-édition. Grace à internet, et au grand nombre de jeux publiés en Europe, aux Etats-Unis et en Asie depuis une vingtaine d’années, l’accès à un riche catalogue de jeux, et donc à la culture ludique nécessaire à la création, est devenu bien plus facile. Sur un marché de plus en plus encombré, le succès financier est en revanche devenu très aléatoire. Même dans de relativement bonnes conditions, il s’est écoulé plus de quinze ans entre la sortie de mon premier jeu, en 1984, et le moment, dans les années 2000, où j’aurais pu envisager de ne plus vivre que de mes droits d’auteur. Je ne l’ai pas fait en partie par souci de sécurité, mais aussi parce que j’appréciais mon métier d’enseignant, qui me donnait le sentiment d’être socialement utile, quand le charme du jeu vient largement de ce qu’il est déconnecté du réel et ne sert à rien.

Si je suis aujourd’hui retraité, j’étais encore jusqu’à la fin 2023 professeur de lycée, quoique à temps partiel depuis une dizaine d’années. Mon mi-temps de professeur agrégé, qui me demandait beaucoup plus de temps et d’énergie que la création ludique, me rapportait pourtant bien moins, un peu plus de 20.000 euros sur l’année. En gros, je passais les quatre-cinquièmes de mon temps de travail sur une activité, l’enseignement, qui représentait un cinquième de mes revenus, et un cinquième de mon temps sur une autre, le jeu, qui m’en apportait la presque totalité.

Être à la retraite de l’éducation nationale va me donner l’occasion de faire mon métier d’auteur de manière un peu plus professionnelle. Cela me permettra d’être plus rigoureux dans le suivi des relations avec les éditeurs, d’assister à un plus grand nombre de salons, de consacrer plus de temps à la promotion de mes nouveautés, peut-être de trouver de nouvelles activités dans le monde ludique – je suis ouvert à toutes les propositions – mais je ne pense pas que cela m’amène à créer des jeux meilleurs ou plus nombreux.

Paradoxalement, si la création ludique est en effet une activité qui demande relativement peu de temps de travail, on n’en fait pas beaucoup plus quand on a plus de temps. Un auteur de jeu crée bien plus rapidement qu’un écrivain et perçoit des droits d’auteur calculés de la même manière. Pour autant, il ne suffit pas dy consacrer plus de temps, de faire des heures en plus, pour avoir plus d’idées ou être plus efficace. Plus encore que l’écriture, la création de jeux de société est donc une activité que l’on peut aisément mener en plus d’un emploi régulier, en prenant des notes rapides dans un coin de sa tête lorsque les idées viennent pour les formaliser ensuite durant son temps libre. Si vous êtes tenté par la création ludique, c’est comme cela que je vous conseille de procéder, ou au moins par cela que je vous conseille de commencer. Vous verrez alors si vous êtes assez bon et, parce que c’est quand même le plus important, assez chanceux.



My first published game, Baston, hit the shelves exactly 40 years ago, in 1984. It’s only much later, in 2000, with Citadels, Castle and Dragon’s Gold, that I started to earn significant and steady royalties, which then increased relatively regularly.

These last weeks, several game designers have published on social networks the stats of their game sales, and/or of their royalties. It’s probably something more usual and natural in the English speaking world, but why not.

Having never written anything down, I am totally unable to give an estimation of the number of copies of my games which have been sold so far – probably around three million copies of Citadels, much fewer of all other games. On the other hand, it’s very easy to reckon my royalties, for which I write royalty notes which I send every month to my accountant – something I have to do later today for April 2024.

Here is the distribution by games of the royalties I earned in 2023, for a total of 118.000 euros ($125.000), which means an income of 86.000 euros ($92.000) after deducting my business expanses, which include the cost of attending games fairs and…. buying more games. This is the first time I take the time to draw such a graph, but the results don’t surprise me.

The “miscellaneous” categories includes a dozen games which earned me less than 500 euros each. Advances and options include advances earned on three small card games which are not published yet, and an option paid by a publisher who later waived it, which means I’m back trying to find a place for this game.

This makes for a very decent income, though based largely on games published years ago – more than 10 years for Mascarade, The Dwarf King or Diamant / Incan Gold, more than 20 for Citadels. The latter generates, every year, more or less half of my royalties – so let’s hope the coming years won’t be too hard on Asmodee.

I am doing pretty well, but this doesn’t mean it’s that easy these days to earn one’s living as a game designer. Citadels, Diamant / Incan Gold, Mascarade and The Dwarf King are evergreens, games whose sales are extremely steady from year to year. If I had not these four older designs in my catalog, games first published when the market was not as cluttered as it is now and when it was much easier to find a place, I would only get a very modest income.

Furthermore, 2023 was the year when Whale to Look was published, an excellent surprise which, I hope, will also get lasting sales. It’s worth noting that the royalties on several of my best seller games are shared with co-designers, Alan R. Moon for Diamant, Jun Sasaki for Whale to Look and Serge Laget – well, his children – for the Artemis Odyssey.

Some might be surprised by the presence of The Dwarf King among these evergreens. It is not a game much talked about on the BGG and in the small gaming world, but its simplicity and variability has made it a minor classic among trick taking card games. I hope the recent new edition will make it even more popular.

Staring designing and even self-publihsing games has never been that easy. Thanks to the internet, and to the many games published these last twenty years in Europe, in America and in Asia, having access to a rich catalog of game designs, and therefore to game culture required to start seriously designing games, is not a problem any more. On the other hand, due to an overcrowded market, making money out of it has become mostly random. Even in a time when there were not that many designers and publishers, it took me fifteen years, until the 2000s, until I got enough royalties to make a living out of it. I decided however to keep my day-job as a teacher, though becoming part-time ten years ago, because it was safer but also because I liked it and because it gave me the feeling of being socially useful when most of the charm of games comes from the fact they are socially useless and disconnected from reality.

I am now retired, but I was still, last year, teaching economics in high school. Even part-time, it required much more time and energy than designing games, for a much lower reward, around 20.000 euros yearly. This means I spent four fifths of my time on an activity, teaching, which generated one fifth of my income, and one fifth on an activity, game design, which generated all the rest.

Being retired from teaching gives me the opportunity to manage my game design activity in a more professional way. I can now to be more serious and systematic in my relations with publishers, attend more game fairs (btw, any invites are welcome), spend more time on promoting my new games, may be find other activities in the gaming world (btw, any proposals are welcome), but I don’t think I will design more or better games.

Paradoxically, while boardgame design is indeed an activity which doesn’t require much working time, spending more time on it doesn’t mean one can do more. A boardgame designer creates much faster than a writer, but his royalties are calculated in the same way. Spending more hours on it, however, doesn’t bring more ideas or make one more efficient. Even more than writing, boardgame design is an activity one can easily handle together with a day job, taking fast notes in some corner of one’s brain when an idea arises to work on it more formally during free time. If you are considering becoming a boardgame designer, this is how I advise you to proceed, or at least how I advise you to start with. Then you’ll see if you are good and, that’s the most important, lucky enough.

One thought on “Des chiffres
Figures

  1. Effectivement, surpris par la position du roi des nains.

    Avec le marché ultra saturé du jeu de société, il est en effet beaucoup plus difficile d’avoir une chance d’avoir un jeu s’installer dans la longueur.

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